Éléments de la philosophie de Newton/Édition Garnier/Partie 3/Chapitre 7

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CHAPITRE VII.
Nouvelles preuves et nouveaux effets de la gravitation ; que ce pouvoir est dans chaque partie de la matière ; découvertes dépendantes de ce principe. — Remarque générale et importante sur le principe de l’attraction. La gravitation, l’attraction est dans toutes les parties de la matière également. Calcul hardi et admirable de Newton.

Recueillons de toutes ces notions que la force centripète, l’attraction, la gravitation est le principe indubitable et du cours des planètes, et de la chute de tous les corps, et de cette pesanteur que nous éprouvons dans les corps. Cette force centripète fait graviter le soleil vers le centre des planètes, comme les planètes gravitent vers le soleil, et attire la terre vers la lune comme la lune vers la terre.

Une des lois primitives du mouvement est encore une nouvelle démonstration de cette vérité : cette loi est que la réaction est égale à l’action. Ainsi, si le soleil gravite sur les planètes, les planètes gravitent sur lui ; et nous verrons, au commencement du chapitre suivant, en quelle manière cette grande loi s’opère.

Or, cette gravitation agissant nécessairement en raison directe de la masse, et le soleil étant environ 464 fois plus gros que toutes les planètes mises ensemble (sans compter les satellites de Jupiter, et l’anneau et les lunes de Saturne), il faut que le soleil soit leur centre de gravitation : ainsi il faut qu’elles tournent toutes autour du soleil.

Remarquons toujours soigneusement que, quand nous disons que le pouvoir de gravitation agit en raison directe des masses, nous entendons toujours que ce pouvoir de la gravitation agit d’autant plus sur un corps que ce corps a plus de parties ; et nous l’avons démontré en faisant voir qu’un brin de paille descend aussi vite dans la machine purgée d’air qu’une livre d’or. Nous avons dit (en faisant abstraction de la petite résistance de l’air) qu’une balle de plomb, par exemple, tombe de 15 pieds sur la terre en une seconde ; nous avons démontré que cette même balle tomberait de 15 pieds en une minute, si elle était à 60 rayons de la terre, comme est la lune : donc le pouvoir de la terre sur la lune est au pouvoir qu’elle aurait sur une balle de plomb transportée à l’élévation de la lune : comme le corps solide de la lune serait avec le corps solide de cette petite balle. C’est en cette proportion que le soleil agit sur toutes les planètes ; il attire Jupiter et Saturne, et les satellites de Jupiter et de Saturne, en raison directe de la matière solide[1] qui est dans les satellites de Jupiter et de Saturne, et de celle qui est dans Saturne et dans Jupiter.

De là il découle une vérité incontestable : que cette gravitation n’est pas seulement dans la masse totale de chaque planète, mais dans chaque partie de cette masse ; et qu’ainsi il n’y a pas un atome de matière dans l’univers qui ne soit revêtu de cette propriété.

Nous choisirons ici la manière la plus simple dont Newton a démontré que cette gravitation est également dans chaque atome. Si toutes les parties d’un globe n’avaient pas également cette propriété, s’il y en avait de plus faibles et de plus fortes, la planète, en tournant sur elle-même, présenterait nécessairement des côtés plus faibles, et ensuite des côtés plus forts à pareille distance : ainsi les mêmes corps, dans toutes les occasions possibles, éprouvant tantôt un degré de gravitation, tantôt un autre à pareille distance, la loi de la raison inverse des carrés des distances et la loi de Kepler seraient toujours interverties ; or elles ne le sont pas, donc il n’y a dans toutes les planètes aucune partie moins gravitante qu’une autre.

En voici encore une démonstration. S’il y avait des corps en qui cette propriété fût différente, il y aurait des corps qui tomberaient plus lentement, et d’autres plus vite, dans la machine du vide ; or, tous les corps tombent dans le même temps, tous les pendules même font dans l’air de pareilles vibrations à égale longueur ; les pendules d’or, d’argent, de fer, de bois d’érable, de verre, font leurs vibrations en temps égaux : donc tous les corps ont cette propriété de la gravitation précisément dans le même degré, c’est-à-dire précisément comme leurs masses ; de sorte que la gravitation agit comme 100 sur 100 atomes, et comme 10 sur 10 atomes.

De vérité en vérité on s’élève insensiblement à des connaissances qui semblaient être hors de la sphère de l’esprit humain.

Newton a osé calculer, à l’aide des seules lois de la gravitation, quelle doit être la pesanteur des corps dans d’autres globes que le nôtre : ce que doit peser dans Saturne, dans le soleil, le même corps que nous appelons ici une livre ; et comme ces différentes pesanteurs dépendent directement de la masse des globes, il a fallu calculer quelle doit être la masse de ces astres. Qu’on dise après cela que la gravitation, l’attraction est une qualité occulte ! qu’on ose appeler de ce nom une loi universelle, qui conduit à de si étonnantes découvertes[2] !

On ne peut connaître la masse de toutes les planètes, car celles qui n’ont point de lunes, point de satellites, manquant de planètes de comparaison, ne peuvent être soumises à nos recherches ; ainsi nous ne savons point le rapport de gravitation qui est entre Mercure, Mars, Vénus, et nous, mais nous savons celui des autres planètes[3].

Je vais donner une petite théorie de tout notre monde planétaire, tel que les découvertes de Newton servent à le faire connaître ; ceux qui voudront se rendre une raison plus approfondie de ces calculs liront Newton lui-même, ou Grégory, ou M. de S’Gravesande. Il faut seulement avertir qu’en suivant les proportions découvertes par Newton nous nous sommes attachés au calcul astronomique de l’Observatoire de Paris. Quel que soit le calcul, les proportions et les preuves sont les mêmes.


  1. Il faut entendre, par cette expression de matière solide, la matière condensée qui constitue la planète, fût-elle même gazeuse et liquide autant que solide. (D.)
  2. Dans les éditions de 1738 (où ce chapitre était le vingt-deuxième), et dans l’édition de 1741, on lisait de plus ici :

    « Il n’est rien de plus aisé que de connaître la grosseur d’un astre quelconque, dès qu’on connaît son diamètre : car le produit de la circonférence du grand cercle par le diamètre donne la surface de l’astre, et le tiers du produit de cette surface par le rayon fait la grosseur.

    « Mais, en connaissant cette grosseur, on ne connaît point du tout la masse, c’est-à-dire la quantité de la matière que l’astre contient ; on ne le peut savoir que par cette admirable découverte des lois de la gravitation.

    « 1° Quand on dit densité, quantité de matière, dans un globe quelconque, on entend que la matière de ce globe est homogène ; par exemple, que tout pied cubique de cette matière est également pesant.

    « 2° Tout globe attire en raison directe de sa masse ; ainsi, toutes choses égales, un globe qui aura dix fois plus de masse attirera dix fois davantage qu’un corps dix fois moins massif n’attirera à pareille distance.

    « 3° Il faut absolument considérer la grosseur, la circonférence de ce globe quelconque : car, plus la circonférence est grande, plus la distance au centre augmente, et il attire en raison renversée du carré de cette distance. Exemple : si le diamètre de la planète A est quatre fois plus grand que celui de la planète B, toutes deux ayant également de matière, la planète A attirera les corps à sa superficie seize fois moins que la planète B ; et ce qui pèsera une livre sur la planète A pèsera seize livres sur la planète B.

    « 4° Il faut savoir surtout en combien en temps les mobiles attirés par ce globe, duquel on cherche la densité, font leur révolution autour de ce globe : car, comme nous l’avons vu au chapitre xix, page 201, tout corps circulant autour d’un autre gravite d’autant plus qu’il tourne plus vite ; or, il ne gravite davantage que par l’une de ces deux raisons, ou parce qu’il s’approche plus du centre qui l’attire, ou parce que ce centre attirant contient plus de matière. Si donc je veux savoir la densité du soleil par rapport à la densité de notre terre, je dois comparer le temps de la révolution d’une planète comme Vénus autour du soleil avec le cours de la lune autour de notre terre, et la distance de Vénus au soleil avec la distance de la lune à la terre.

    « 5° Voici comme je procède : la quantité de matière du soleil, par rapport à « celle de la terre, est comme le cube de la distance de Vénus au centre du soleil est au cube de la lune au centre de la terre (prenant la distance de Vénus au soleil deux cent cinquante-sept fois plus grande que celle de la lune à la terre), et aussi en raison réciproque du carré du temps périodique de Vénus autour du soleil, au carré du temps périodique de la lune autour de la terre.

    « Cette opération faite, en supposant toujours que le soleil est à la terre en grosseur comme un million à l’unité, et en comptant rondement, vous trouverez que le soleil, plus gros que la terre un million de fois, n’a que deux cent cinquante mille fois ou environ plus de matière.

    « Cela supposé, je veux savoir quelle proportion se trouve entre la force de la gravitation à la surface du soleil, et cette même force à la surface de la terre ; je veux savoir, en un mot, combien pèse sur le soleil ce qui pèse ici une livre.

    « Pour y parvenir, je dis : La force de cette gravitation dépend directement de la densité des globes attirants et de la distance du centre de ces globes aux corps pesants sur ces globes : or, les corps pesants se trouvant à la superficie du globe, leur distance est précisément le rayon du globe ; mais le rayon du globe de la terre est à celui du soleil comme 1 est à 100, et la densité respective de la terre est à celle du soleil comme 4 est à 1. Dites donc : Comme 100, rayon du soleil, multiplié par 1, est à 4, densité de la terre multipliée par 1, ainsi est la pesanteur des corps sur la surface du soleil à la pesanteur des mêmes corps sur la surface de la terre ; ce rapport de 100 à 4, réduit aux plus petits termes, est comme 25 à 1 : donc une livre pèse vingt-cinq livres sur la surface du soleil ; ce que je cherchais. »

    « On ne peut avoir les mêmes notions de toutes les planètes, car celles qui n’ont point de lunes, point de satellites, etc. »

    Une note, qui n’est que dans l’édition de 1741, est ainsi conçue : « Tout ceci est mis en lettres italiques pour avertir les lecteurs peu exercés qu’on peut passer les calculs et aller tout d’un coup au chapitre viii. »

    Rien de ce qui vient d’être transcrit ne se retrouve dans les éditions de 1748 et 1756. Ce que Voltaire avait mis en lettres italiques, en 1741, est ici en lignes guillemetées. (B.)

  3. On déduit les masses de ces planètes des perturbations qu’elles produisent sur la marche d’autres éléments du système solaire. (D.)