Élisabeth Seton/XX

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La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 93-96).

XX


Pendant ce temps, Cécilia Seton était retenue à New-York. La mort inopinée de sa belle-sœur, Mme James Seton, l’avait fait rappeler chez son frère, où sa vie était une souffrance de tous les instants. Elle écrivait à sa chère Élisabeth :


« Je préférerais être toute autre part ailleurs qu’ici, dussé-je y être au rang de la dernière des servantes. Si je n’avais la ferme foi qu’il y a un Dieu tout sage et tout puissant, pour diriger tous les événements de ce monde et récompenser tout ce que nous y avons à souffrir, je ne saurais, en vérité, que penser de ma situation. »


Sans qu’on s’en doutât, l’effort continuel dévorait ses forces.

Quand ses fanatiques parents s’en aperçurent, leur amer ressentiment se fondit. Ils entourèrent la jeune fille des plus tendres soins. Ils firent venir Harriet, sa sœur chérie, qu’on avait éloignée, la soupçonnant d’incliner vers le catholicisme.

C’était trop tard. Le mal était sans remède. Cécilia ne devait plus que languir.

Sa famille repentante ne savait plus rien lui refuser ; et elle n’eut qu’à exprimer son désir de se réunir à Élisabeth, pour qu’on s’empressât de la conduire à Emmettsburg.

La joie sembla lui rendre des forces ; on se reprit à espérer. Harriet l’avait accompagnée à Emmettsburg : et pour les trois sœurs, cette réunion était une jouissance aussi vive qu’inespérée. Cécilia pressait souvent la mère Seton de la recevoir au noviciat : « Je ne suis point venue chercher une vie d’aise et de plaisir, disait-elle, mais une vie de pénitence et d’humiliation. »

Pour Harriet, le monde avait bien des attraits et des promesses. Sa merveilleuse beauté était l’une des gloires de New-York ; elle y tenait le sceptre de l’élégance, et son fiancé, charmant, ardemment aimé, ne cessait de l’y rappeler.

Cependant elle prolongeait son séjour à Emmettsburg, et dans son cœur un grand combat se livrait. Sans examen, sans recherche, cette jeune fille était arrivée à la vérité : la foi lui avait été donnée. Mais l’amour extrême qu’elle portait à son fiancé la retenait dans le protestantisme. Elle ne pouvait se résoudre à sacrifier cet amour qui lui était plus que la vie.

Quelques semaines se passèrent dans ces luttes. Enfin, un jour que le saint sacrifice avait été offert pour elle, s’en revenant de l’église avec la mère Seton, elle lui dit tout à coup :

« C’en est fait, ma sœur, je suis catholique. »

Elle savait que ce mot allait la déconsidérer, l’isoler : « Ah ! j’ai bien réfléchi, dit-elle à Élisabeth. » Et lui montrant une miniature de son fiancé qu’elle portait toujours à son cou :

« Je serai peut-être repoussée même de lui qui m’est si cher ; mais je n’hésite plus, j’ai une âme à sauver. »

Tout fut mis en œuvre pour l’ébranler, mais tout fut inutile. « Il me semble, disait-elle, que j’éprouve pendant la sainte messe, au moment de l’élévation de la divine hostie, une impression aussi profonde que si la personne de Notre-Seigneur était là visiblement présente. »

Elle se prépara à sa première communion avec une ferveur toute céleste ; elle écrivait au P. Babad, qui avait reçu sa confession :


« C’est mon Dieu, c’est sa main qui m’a conduite ici. À cette heure, les luttes de la faible nature sont finies. Les plus tendres fibres de mon pauvre cœur sont déjà coupées, la blessure est cicatrisée. Il fera le reste. Si je vois rompre le lien sacré, le lien si fort qui me tient encore attachée, et qui causera, s’il vient à être brisé, la plus vive de toutes mes souffrances, ce sera Dieu qui l’aura voulu, et ce sera pour mon bonheur éternel. Jamais plus je ne formerai un engagement de cette nature. Je m’efforcerai d’oublier ; et je prendrai pour unique ami Celui qui ne nous abandonne jamais. À Jésus, je donnerai mon cœur. Je lui demanderai de l’unir à son cœur sanglant et blessé. J’ensevelirai dans cet abri, comme dans un tombeau, mes chagrins les plus secrets… Il faut que j’apprenne à soumettre ce corps de péché aux châtiments qu’il mérite, et à demander cette grâce fortifiante qui changera toute peine soufferte ici-bas en une gloire éternelle. C’est à Dieu que je veux offrir toutes mes souffrances, tous mes chagrins, tous mes ennuis ; le priant de les unir aux afflictions que mon adorable Rédempteur a endurées pour me sauver. J’irai me mettre en esprit au pied de sa croix ; je le supplierai de permettre qu’une goutte du précieux sang qu’il a répandu rejaillisse jusqu’à moi pour éclairer, soutenir, fortifier mon âme en cette vie, et assurer, après, mon salut éternel. Il connaît toute ma faiblesse et les misères de mon cœur ; mais il a déclaré lui-même que, comme un père a compassion de ses enfants, il aura compassion de nous. Quand la tristesse viendra m’assaillir, je reposerai ma tête sur le sein de l’innocent Jésus, avec la ferme assurance qu’il guérira toutes mes blessures, chacune en son temps. Ce soupir d’un cœur affligé, ce gémissement qu’aucune oreille humaine n’a pu entendre, est écouté du Dieu du ciel ; cette larme silencieuse, inaperçue, dédaignée, est recueillie par lui. »


La vie apparaissait encore bien longue à l’aimable jeune fille. Cependant elle touchait au terme.

Trois mois après sa première communion, comme elle veillait tour à tour, sa sœur Cécilia, dont l’état était désespéré, et son jeune neveu, William Seton qu’on avait ramené très malade du collège Sainte-Marie, Harriet fut saisie d’un mal subit, violent, qui la jeta entre les bras de la mort :

« Mon Jésus, je souffre avec vous, s’écriait-elle dans ses moments lucides ; mon Jésus, vous savez que je crois en vous, que j’espère en vous, vous savez que je vous aime. » Sa mort, arriva le 22 décembre 1809.