Élisabeth Seton/XXVI

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La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 114-117).

XXVI


L’heure du repos n’était pas venue pour elle. La douleur n’avait pas fini son œuvre dans son cœur.

La maladie de Rébecca, qui durait depuis quatre ans, devint atrocement douloureuse et se prolongea longtemps. La pauvre petite n’avait de soulagement qu’en sa mère ; et pendant les neuf dernières semaines de sa vie, Élisabeth la tint nuit et jour entre ses bras.

La patience de l’enfant était prodigieuse :


« Il semble parfois que je ne puis plus y tenir, disait-elle, à sa mère, mais un regard sur mon crucifix change tout. Oh ! mère, que n’a-t-il pas souffert, lui, quand ses os étaient tout brisés… Il ne me laisserait pas souffrir un seul moment, ce bon Sauveur, si ce n’était pour mon bien. Non, je ne puis croire que Notre-Seigneur aurait voulu m’envoyer tant de souffrances, si ce n’avait été pour me faire faire pénitence et pour me sauver… Oh ! mère, répétait-elle, dans l’excès de ses tourments, priez… priez pour ma foi. Pourtant, je ne me souviens que d’avoir eu deux fois la pensée que mes souffrances étaient trop dures. »


Les larmes de sa sœur Catherine lui faisaient mal : « Je ne m’arrête pas à la pensée que vous me laisserez dans le tombeau, disait-elle, que moi partie, vous reviendrez à la maison, toutes, sans moi. Je regarde là-haut. »

Et, elle ajoutait, en faisant à sa mère mille caresses :

« Oh ! comme je vais prier Notre-Seigneur, pour qu’il me laisse souvent venir auprès de vous, quand vous serez là, sans votre petite Becc. Comme je vais lui demander de me laisser venir et vous consoler. »

Avant de recevoir l’Extrême-Onction, elle demanda à son confesseur si c’était mal d’espérer aller droit au ciel en mourant. — Non, mon enfant bien-aimée, répondit le prêtre, pourvu que votre espérance ne s’appuie pas sur vos mérites, mais sur la miséricorde de Dieu et les mérites de Jésus-Christ. — Ah, répondit-elle, quels mérites une pauvre enfant comme moi peut-elle avoir !

Mais, à la dernière heure, l’angoisse la saisit : « Mon amour a été si faible, si imparfait, disait-elle. Ma mère, j’ai été si peu fidèle, j’ai si mal prouvé mon amour. »

Elle baisait sans cesse le petit crucifix qu’elle portait à son cou : « Mon âme délaissée se suspend à toi, lui disait-elle. » Puis, transportée de joie elle se mit à chanter un hymne qu’elle aimait : « Allons, levons les yeux, je verrai le chemin de la vie. » Elle languit encore quelques heures dans des souffrances indescriptibles, et ses cruelles douleurs augmentèrent jusqu’à la fin.

Quand la sainte enfant eut rendu le dernier soupir, Élisabeth lui ferma les yeux ; aidée de l’une des Sœurs, elle la porta sur le lit où la pauvre petite n’avait pu reposer, même pour y mourir. Penchée sur son visage inanimé, elle resta longtemps à la regarder, à la caresser, à l’embrasser, répétant avec une infinie tendresse :

« Ma Rébecca, ma Rébecca, ma chère petite enfant !…  » Puis levant les yeux au ciel, elle s’écria dans une sorte de transport : « Mon Dieu, mon enfant bien-aimée est avec vous. Elle ne peut plus vous offenser, et je vous bénis et je vous bénirai. »


Mais ce ne fut que vingt jours plus tard qu’elle trouva la force d’écrire à son fils William :


21 novembre 1816.

« Mon William, cher enfant de mon âme, oh ! que ne donnerais-je pas pour me trouver auprès de vous quand vous apprendrez la douloureuse nouvelle à laquelle vous ont préparé toutes mes dernières lettres ! Il est des moments, mon fils, où notre soumission envers Dieu doit triompher des sentiments les plus tendres, les plus profonds de la nature. C’est là ce qui vous est demandé maintenant, mon bien-aimé ; car, s’il avait été donné de voir notre Rébecca monter au ciel sous la forme d’un ange, vous ne pourriez être plus certain qu’elle est avec Dieu que vous n’en serez certain par la foi, lorsque vous aurez appris de quelle sainte mort nous avons été les témoins.

« C’eût été de notre part un souhait égoïste, oui égoïste, de désirer prolonger ses souffrances et ajourner son assuré bonheur pour nous conserver plus longtemps la douce possession de cette chère créature. Et pourtant, j’ai perdu en elle la bien-aimée petite amie de mon cœur, qui lisait en lui toute peine et toute joie, comme en un livre ouvert. J’ai perdu l’enfant la plus chérie de mon âme, à cause de ses souffrances et de sa patience incomparable. Toutefois, en ce moment, je regarde en haut avec joie, souffrant seulement pour vous qui êtes si loin… Elle a dit souvent que si Dieu permettait qu’elle se fît voir à vous, elle n’y manquerait pas ; mais ce dont elle se tenait pour bien assurée, c’est que Notre-Seigneur ne refuserait pas à son âme la douceur de vous voir. Pour nous, vraiment, après les grâces célestes dont son Seigneur l’a favorisée en ce monde, nous pouvons bien croire qu’il ne lui refuse plus rien à cette heure.

« Il ne m’est pas possible de vous donner une idée de la perfection de Rébecca : la beauté de son âme, et même aussi sa terrestre beauté ont été croissant chaque jour, jusque dans les bras de la mort. Votre dernière lettre nous arriva la veille du jour où nous l’avons perdue. Elle était entrée déjà dans sa longue agonie. Je pus encore lui apporter vos tendres paroles : elle leva les yeux sur le crucifix, vous bénissant avec une expression de tendresse répandue sur tout son visage, et en même temps une expression très vive de cette douleur qu’elle a toujours ressentie de votre absence. Ne pas vous voir, c’est le seul regret qu’elle ait jamais exprimé en quittant ce monde : — « Dites-lui seulement qu’il vienne vers moi, » murmura-t-elle, quand déjà elle n’avait plus assez de force pour supporter d’entendre parler de vous pendant plus d’un instant.

« C’est dans les bras de sa mère, c’est sur ce cœur qui l’aimait, tant, qu’elle a rendu le dernier soupir. Neuf semaines, nuit et jour, je l’ai tenue entre mes bras ; bien souvent, prenant ma nourriture avec une main, derrière son oreiller, tandis qu’elle reposait sur mes genoux. Dans ses souffrances, elle ne trouvait ni trêve, ni soulagement qu’en sa mère bien-aimée, en sa pauvre mère. J’étais si heureuse de souffrir avec elle ! Je n’ai pas eu un seul moment conscience de fatigue ni de mal. Soyez sans crainte pour votre mère, mon bien-aimé William. »


« Son âme se soutint sur ces hauteurs sereines. Une force divine la transportait hors de ce monde. Au milieu des misères, des difficultés et des douleurs de la vie, elle avait commencé la vie du ciel :

« Ma petite chambre a une fenêtre vers le bois où mes bien-aimées sont endormies. Je regarde de ce côté vingt fois par jour, et mon cœur se maintient en haut. C’est par là que je commence le matin, c’est par là que je finis le soir. Puis, je me dis : Plus de douleur maintenant ! en haut ! en haut ! belles et joyeuses âmes ![1] »

  1. Lettre à Mme Scott.