Émile Zola. Notes d’un ami/X

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Émile Zola. Notes d’un amiCharpentier (p. 168-193).


X

LE SUCCÈS


Maintenant que j’ai raconté le romancier, l’auteur dramatique et le critique — ces trois aspects de l’homme de lettres complet — remontons en arrière. Reprenons Zola au 14 de la rue de la Condamine, où nous l’avons laissé commençant la série des Rougon-Macquart.

C’était en 1869, quelques mois avant la guerre. Il ne passa pas le temps du siège à Paris. Il s’était marié, et sa femme qui se trouvait très souffrante, avait été envoyée dans le Midi, vers cette époque. Ce fut ainsi qu’il se trouva à Marseille, lorsque les Prussiens investirent notre capitale.

À Marseille, pourtant, il fallait vivre. N’ayant alors ni fortune, ni avances, ni économies, se voyant coupé de Paris, siège de ses relations et de ses débouchés littéraires, il n’envisageait pas sans effroi cette période de perturbation générale. Aussi fut-il très heureux de retrouver là-bas M. Léopold Arnaud, directeur du Messager de Provence, feuille où avaient jadis paru les Mystères de Marseille. Ce dernier lui offrit aussitôt de lancer à Marseille un petit journal à un sou, en attendant que Paris fut rouvert. Le journal parut et s’appela la Marseillaise. Zola le rédigeait en entier avec l’aide de Marius Roux, son ami d’enfance, son collaborateur du drame : les Mystères de Marseille. Le succès fut d’abord très vif, la Marseillaise tira d’emblée à dix mille, chiffre considérable en province. Malheureusement, des difficultés d’installation et le manque d’outillage furent cause que le journal, au lieu de gagner, perdit bientôt.

Zola, inquiet, se décida alors à se rendre à Bordeaux, où venait de se transporter la délégation du gouvernement de la Défense nationale. Et ce fut là qu’il rencontra M. Glais-Bizoin, qu’il avait connu jadis au journal la Tribune, dont le digne homme était un des plus forts actionnaires. Pour faire comprendre ce qui va suivre, il faut dire ici un mot de la Tribune.

Cette feuille hebdomadaire avait été créée comme arme électorale, en vue des élections générales de 1869. Ses rédacteurs et ses actionnaires furent naturellement recrutés parmi les républicains ambitionnant une candidature. Zola disait en riant : « Ici, il n’y a que deux hommes qui ne soient pas candidats : le garçon de bureau et moi. » Il arriva que, les actionnaires du journal étant nombreux, plusieurs durent se présenter dans la même circonscription et furent ainsi compétiteurs. Or, comme la Tribune se trouvait obligée de ne nuire à aucun de ses actionnaires, et qu’elle ne pouvait pourtant pousser plusieurs candidats à la fois, cette arme mémorable, aiguisée à grands frais en vue des élections, devint radicalement inutile. Pendant la période électorale, le journal fut même réduit au silence. Seulement, les rédacteurs recueillirent [sic] cet avantage imprévu qu’au lendemain du Quatre-Septembre, ce fut un titre d’avoir été rédacteur de la Tribune : sous le nouveau régime, tous les anciens collaborateurs et le garçon de bureau lui-même, se trouvèrent désignés pour avoir des places.

Ici, j’ouvre une parenthèse, car je m’aperçois que le moment est venu de parler une fois pour toutes des opinions politiques d’Émile Zola. De tempérament, il est incontestablement révolutionnaire, comme l’avait pressenti jadis M. Hachette, qui, après avoir lu ce simple conte pour les enfants : Sœur des pauvres, fit venir son jeune employé dans son cabinet et lui dit : « Vous êtes un révolté ! » Il est donc un de ces esprits indépendants que la hardiesse attire, que la solitude et l’impopularité n’effrayent pas, un de ces esprits toujours portés à être dans l’opposition. Lors de ses débuts, à l’époque de jeunesse insouciante et de misère où il battait le pavé de Paris avec son grand ami Paul Cézanne, il éprouvait le plus beau mépris d’artiste pour la politique, qu’il ignorait d’ailleurs. Toutes ses ambitions se tournaient déjà vers la littérature ; il ne comprenait même pas que des jeunes gens de son âge pussent rêver un siège à la Chambre. Puis, les années venant, il cessa d’ignorer la politique : il vit de près les événements, assista à des débats parlementaires, suivit, la carrière publique de certains de ses contemporains. Eh bien ! son mépris pour la politique n’a fait que grandir. Certes, il est républicain, il est convaincu que le seul gouvernement logique, la forme définitive, doit être la République ; mais il n’a jamais voulu, pour sa part, entrer dans l’application : besogne trouble, où il ne distingue que confusion, petitesses, vilenies. Il est donc resté ce que j’appellerai un républicain théorique, croyant à des lois, ne croyant guère aux hommes qui prétendent les déterminer. Cela explique suffisamment comme quoi, tout en ayant longtemps collaboré à des journaux républicains, il les juge « des boutiques, » ainsi que les journaux réactionnaires d’ailleurs. En somme, il ne s’inquiète nullement des opinions de la feuille de papier où il écrit, sachant que, nulle part, on ne le forcera à dire ce qu’il ne veut pas dire.

Mais nous en étions à la Tribune, dont tous les rédacteurs se trouvèrent, après le Quatre-Septembre, membres du gouvernement, préfets ou ambassadeurs. Zola, qui venait d’arriver à Bordeaux, pour chercher à entrer dans un journal quelconque, en attendant des jours meilleurs, fit une heureuse rencontre. Le lendemain de son arrivée, comme il passait sur le port, il fut tout à coup hélé de loin par un vieillard, dont le visage exprimait une profonde stupéfaction. C’était M. Glais-Bizoin qui, avec M. Eugène Pelletan, avait dirigé la Tribune.

— Comment ! c’est vous ? cria-t-il. Vous n’êtes donc pas à Paris !… Mais d’où sortez-vous donc ?

— Je viens de Marseille, répondit Zola.

— Pourquoi n’êtes-vous pas venu à Tours ? Nous avons eu besoin de tant de monde !

Et le membre de la délégation se mit à énumérer les noms des anciens rédacteurs de la Tribune, tous casés depuis longtemps, et fort bien. Zola avoua alors à son ancien directeur, que lui, fort embarrassé, cherchait quelque chose. L’excellent M. Glais-Bizoin ne le laissa pas achever.

— Mais, mon cher, on va vous donner une préfecture ! Vous avez été de la Tribune, ça suffit.

Dès lors, Zola ne quitta plus Bordeaux. Il y fit même venir sa femme et sa mère, restées à Marseille. Quant à la préfecture, elle ne lui fut pas donnée tout de suite ; M. Glais-Bizoin le garda quelque temps comme secrétaire, après l’avoir présenté à Clément Laurier, qui s’était engagé séance tenante à lui donner la première situation vacante.


J’ai l’air, depuis un moment, de raconter des choses étranges. C’est que, depuis un moment, je touche à l’histoire et à la politique. Il faut se reporter à l’affolement de cette époque, pour bien reconstruire l’état psychologique dans lequel se trouvait notre romancier. Il m’a souvent parlé de cette minute de sa vie : — « Je m’imaginais que c’était la fin du monde, qu’on ne ferait jamais plus de littérature… J’avais emporté de Paris le manuscrit du premier chapitre de la Curée, et je l’ouvrais parfois, comme j’aurais ouvert des papiers très anciens, qui ne seraient plus que des souvenirs. Paris me semblait reculé, perdu dans les nuages. Et, comme j’avais avec moi ma femme et ma mère, sans aucune certitude d’argent, j’en étais arrivé à croire tout naturel et très sage, de me jeter les yeux fermés dans cette politique que je méprisais si fort quelques mois auparavant, et dont le mépris m’est d’ailleurs revenu tout de suite. »

Me voici donc arrivé à la fameuse histoire de la sous-préfecture de Castel-Sarrazin dont on a voulu écraser Zola ; car, ce ne fut pas même une préfecture, mais une sous-préfecture, qu’on finit par lui offrir. Il avait d’abord été question d’Auch, puis de Bayonne ; enfin, Clément Laurier fit appeler un jour notre ambitieux d’occasion et lui expliqua que le gouvernement avait besoin, à Castel-Sarrazin, d’un sous-préfet à poigne et à la plume facile, qui put enlever une élection par des proclamations vigoureuses ; tout de suite après, une préfecture importante récompenserait le fonctionnaire débutant. La nomination était donc signée, lorsque Zola apprit la nouvelle de l’armistice, et celle de l’arrivée de M. Jules Simon. Alors, à la suite d’une seconde conversation avec Clément Laurier, il refusa définitivement sa sous-préfecture. Ses convictions administratives n’avaient pas tenu devant le gâchis qu’il prévoyait. D’ailleurs, Paris était ouvert, maintenant, et il avait senti se réveiller en lui l’écrivain. Outre une correspondance quotidienne, politique et littéraire, que le Sémaphore, de Marseille, venait de lui demander — et qu’il garda sept ans — il avait écrit à la Cloche, dont il était rédacteur avant le siège, offrant d’envoyer de Bordeaux des articles sur l’Assemblée nationale ; et cette proposition avait été acceptée. Ce n’était donc pas vrai ! Le cauchemar se dissipait. On allait pouvoir de nouveau vivre de sa plume et faire de la littérature ! Son affolement d’une heure était passé à jamais. Comme il le répète dans l’intimité, quand, de loin en loin, un journal lui jette encore à la face sa sous-préfecture ratée de Castel-Sarrazin : — « C’est vrai ! j’ai failli être fonctionnaire, mais je ne l’ai pas été. Et il y en a tant d’autres qui, après l’avoir été, ont la bêtise de l’être encore ! »

Le voilà donc revenu à Paris, enfoncé de nouveau et pour toujours, dans cette incessante production littéraire qui est sa vie, et dont une crise de perturbation générale, comme la dernière guerre, n’était pas parvenu à le détacher. A Paris, au milieu des commencements précaires et troublés de la troisième République, parurent les premiers volumes de ces Rougon-Macquart dont j’ai raconté le début modeste, puis le succès tardif, mais colossal, éclatant un beau jour. Pendant la lente incubation de ce succès, l’existence du romancier, toujours pénible pécuniairement, s’améliorait pourtant de volume en volume. Il occupa trois ans encore son petit pavillon précédé d’un jardin, rue La Condamine. L’entrée n’était pas belle ; le pavillon, vu son exiguïté, était peu habitable ; mais le jardin, contenant un grand arbre et plusieurs petits, était consciencieusement bêché, semé, planté, arrosé par lui. Sortant moins encore qu’aujourd’hui, ayant moins de relations et surtout beaucoup moins d’argent pour aller dévaliser les marchands de bibelots, pas assez riche non plus pour quitter Paris l’été et s’offrir le luxe d’une villégiature, il trouvait une distraction hygiénique dans ce jardinet qui lui tenait lieu de café, de cercle, de maison de campagne, de chalet à Trouville. Je le revois, vêtu d’un tricot et d’un vieux pantalon couvert de terre, chaussé de gros souliers fourrés, tondant son gazon, sarclant ses fleurs, arrosant ses salades ; ou bien, armé d’un sécateur, émondant ses arbustes ; ou même, la scie et le rabot en main, construisant une niche pour son chien, une cabane pour ses lapins et pour ses poules. Quelquefois, par les beaux soirs d’été, la table était, mise sur l’étroite terrasse, et la famille dînait dehors. Puis, quelques intimes — Marius Roux, Duranty, les peintres Beliard et Coste, ou moi — arrivions. Et, les coudes sur la table desservie, le thé fumant dans les tasses, on causait jusqu’à minuit, sous les étoiles. Parfois, quand « le jardinier » avait terminé le matin quelque chapitre de la Curée, du Ventre de Paris ou de la Conquête de Plassans, il nous le lisait. Et lorsqu’il s’interrompait à la fin d’un alinéa, ou pour tourner une page, on entendait tout à coup le murmure profond et lointain de Paris : le mystérieux ronflement d’un colosse qui s’endormait.

Cette installation lui revenait à mille francs par an. Ce fut à cette époque que commença sa liaison avec Gustave Flaubert, et qu’il se rapprocha davantage d’Edmond de Goncourt, très isolé et très attristé depuis la mort de son frère. Enfin, en 1874, sa position s’améliorant toujours, il allia habiter, 21, rue Saint-Georges, aux Batignolles (aujourd’hui rue des Apennins). C’était un petit hôtel, avec jardin toujours. Pas d’autres locataires ! Et point de concierge ! Ce double rêve de tout ménage parisien un peu à l’aise, se trouvait réalisé.

Ici, avec le succès, l’existence de Zola se transforme insensiblement. Jamais il n’avait été si grandement logé. Un sous-sol pour l’office et la cuisine ; au rez-de-chaussée, le salon et la salle à manger ; puis deux étages : le premier pour lui et sa femme, une vaste chambre et un cabinet de travail très gai, donnant sur le jardin ; enfin, le second étage pour sa mère. Quand il s’agit de meubler tout cela, un grand confortable, même un commencement de luxe, s’introduisirent chez lui. On s’était passé longtemps de domestique ; puis, quelques heures par jour, une femme de ménage était venue aider les dames Zola ; en entrant rue Saint-Georges, on prend tout de suite un domestique mâle à demeure. Plus tard, un couple, le mari et la femme, ne sera pas de trop pour le service. D’autre part, le jardin un peu attristé par les hauts murs qui le séparent des jardins voisins, n’est plus de plain-pied avec le cabinet de travail, et Zola cesse peu à peu de le cultiver lui-même. Ça l’amuse moins, il n’a plus le temps. Puis, l’été venu, voici qu’il a maintenant les moyens de réaliser de vieux rêves de villégiature apportés du Midi : en 1875, il passe la belle saison à Saint-Aubin-sur-Mer ; en 1876, il va à Piriac, en Bretagne ; en 1877, à l’Estaque, aux bords de la Méditerranée. L’hiver, sans devenir pour cela mondain, le cercle de ses relations parisiennes s’étend un peu, et il fréquente deux ou trois salons, surtout celui de M. Georges Charpentier. En même temps, devenu critique dramatique, il assiste aux premières. Public à part, que celui des premières, toujours le même, où chacun se connaît ; pourtant, on resta des mois sans savoir qu’il était dans la salle, cet Émile Zola dont on commençait à tant parler, qui passait pour un rustre et un ours mal léché, mais dont on ignorait encore absolument le visage.

D’un autre côté, à mesure que l’argent arrivait, Zola, qui avait pris l’habitude de courir les marchands l’après-midi pour compléter son ameublement, ne s’arrêta plus : des vieux meubles, il passa aux bibelots. Et, ici, une curieuse remarque. Balzac dit quelque part que les parvenus se meublent toujours le salon qu’ils ont ambitionné autrefois, dans leurs souhaits de jeunes gens pauvres. Eh bien ! justement, dans l’ameublement de notre naturaliste d’aujourd’hui, le romantique des premières années a persisté. Il dit, pour s’en défendre, que ça coûterait trop cher, si l’on voulait un luxe tout moderne. Mais cette économie, réelle au fond, n’est chez lui qu’un prétexte. La vérité est que l’observation de Balzac se trouve ici confirmée. C’est surtout dans son appartement actuel de la rue de Boulogne, ou il habite depuis 1877, que Zola a pu contenter d’anciens rêves. Ce ne sont que vitraux, lit Henri II, meubles italiens et hollandais, antiques Aubusson, étains bossues, vieilles casseroles de 1830 ! Quand le pauvre Flaubert venait le voir, au milieu de ces étranges et somptueuses vieilleries, il s’extasiait en son cœur de vieux romantique. Un soir, dans la chambre à coucher, je lui ai entendu dire avec admiration : « J’ai toujours rêvé de dormir dans un lit pareil… C’est la chambre de Saint-Julien l’Hospitalier ! »

Puisque je viens de nommer Gustave Flaubert, il me faut ici dire un mot de la grande amitié qui lia les quatre romanciers que l’on a appelés « le quadrilatère du roman moderne, » c’est-à-dire : Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet et Émile Zola. Leur trait d’union à tous, fut Flaubert. Zola connaissait les frères de Goncourt depuis 1865 ; en 1866, étant à l’ancien Événement, il avait rencontré Daudet, qu’il perdit ensuite de vue, puis qu’il retrouva chez l’éditeur Charpentier, en 1872. Mais ce fut surtout en se réunissant tous chez Flaubert, chaque dimanche, que la liaison se resserra et devint très solide.

Toujours je me souviendrai des après-midi du faubourg Saint-Honoré. J’avais fait moi-même la connaissance de Flaubert. En province à dix-sept ans, sur les bancs du collège, je m’étais passionné pour Madame Bovary. Dix ans plus tard, ayant publié dans une petite revue littéraire une courte nouvelle : la Fin de Lucie Pellegrin, la première chose dont je fusse à peu près content, je l’envoyai au maître, qui m’invita à aller le voir le dimanche suivant. Il m’accueillit avec sa cordialité affectueuse et je devins un de ses fidèles.

Outre Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet et Émile Zola, les visiteurs les plus assidus étaient : le célèbre romancier russe Tourguéneff : Guy de Maupassant, très jeune alors, grand canotier l’été, poète l’hiver, chéri de Flaubert en toute saison comme une sorte de fils ; puis, le critique d’art Philippe Burty, l’éditeur Charpentier, François Coppée, Catulle Mendès, le docteur Pouchet, Bergerat, Maurice Bouchor, Marius Roux, Toudouze ; puis, presque toujours ensemble, Huysmans, Céard et Hennique ; enfin, à de lointains intervalles, MM. Taine, Renan, Maxime Ducamp, Maurice Sand, Raoul Duval.

La réunion de ces deux ou trois couches d’amis formait un ensemble curieux, où des individus de génération et d’opinions différentes se trouvaient en présence. Mais la grande affection que chacun éprouvait pour Gustave Flaubert, servait de trait d’union suffisant. Et la diversité des jugements, favorisée par la plus absolue liberté de langage, donnait à ces après-midi du dimanche une saveur et un intérêt que je n’ai vus depuis nulle part.

Bientôt même, non contents de se retrouver chaque semaine, désireux de causer dans une absolue intimité, les quatre romanciers « du quadrilatère » se mirent à dîner ensemble une fois par mois ; et, en riant, ils appelèrent leur dîner, « le dîner des auteurs sifflés, » car, tous, ils avaient eu des désagréments au théâtre. Il y eut même un cinquième convive : Tourguéneff, grand ami de Flaubert, et pour lequel Zola ressentait la plus vive sympathie. D’ailleurs, Tourguéneff jurait ses grands ieux qu’on l’avait aussi sifflé en Russie.

Quand Zola parle de ces dîners, aujourd’hui que Flaubert n’est plus, l’émotion le gagne, et il répète que ce sont les meilleurs souvenirs de sa vie littéraire. Il trouvait un grand charme pour sa part, à ces conversations qui se prolongeaient toute une soirée, à ces heurts d’idées qui, la discussion achevée, lui laissaient parfois dans l’esprit un ébranlement de plusieurs jours. Étaient-ce vraiment des discussions ? Oui et non ! Selon une expression plus caractéristique, qui est de Zola lui-même, c’étaient « des batailles théoriques entre gens qui, au fond, s’entendaient. »

D’autre part, les jeudis de Zola continuaient rue Saint-Georges, ces jeudis qui avaient commencé dans l’appartement de la rue des Feuillantines, il y avait quelque chose comme quinze ans ! Et ce fut là, rue Saint-Georges, que se rencontrèrent, pour la première fois, un groupe de jeunes hommes de lettres, que les journaux ont désignés parfois sous cette appellation énormément spirituelle : « la queue de Zola. »

Voici comment s’est formé ce petit groupe. J’ai déjà raconté de quelle façon j’avais fait la connaissance de Zola, en 1869. Sept ans plus tard, en 1876, Henry Céard, un jour, vint sonner rue Saint-Georges. C’était un dimanche. N’allant pas à son ministère ce jour-là, il avait eu l’idée de se présenter lui-même à l’auteur des Rougon-Macquart, en disant simplement : « J’ai lu tous vos livres et, les trouvant très forts, je viens vous voir. » Peu habitué à des visites pareilles, Zola accueillit le jeune visiteur presque avec embarras ; puis, comme c’était le jour de Flaubert, il racontait une heure après, chez celui-ci, la visite qu’il avait reçue. Flaubert, très touché, s’écria : — Ça, c’est très gentil, et ça fait toujours plaisir !

Quelques dimanches plus tard, Henry Céard revint sonner rue Saint-Georges, accompagne cette fois de son ami Huysmans, qui apportait Marthe, récemment partie en Belgique. Tous deux avaient découvert Zola ensemble, en lisant le Ventre de Paris.

De mon côté, j’avais fait la connaissance de Léon Hennique. Quelquefois, vers cinq heures, je le rencontrais en plein « Parnasse, » à la République des lettres, cette revue de M. Catulle Mendès, qui publiait alors la seconde partie de l’Assommoir, et où j’avais porté une nouvelle. Un peu plus tard, à la suite d’une conférence d’Hennique au boulevard des Capucines sur le même Assommoir, conférence qui produisit un scandale dans le petit clan parnassien, j’amenai Hennique rue Saint-Georges. Par Catulle Mendès, j’avais aussi connu Huysmans, une nuit de carnaval, devant la porte d’un bal masqué où nous entrâmes. La glace fut rompue tout de suite ; le matin même, j’avais lu Marthe, et trouvé une profonde saveur dans cette œuvre excessive, au charme maladif. Des le lendemain, j’envoyai à mon nouvel ami les deux numéros d’une revue ignorée qui contenaient La fin de Lucie Pellegrin. Huysmans, quelques jours après, me faisait dîner chez lui ; Hennique était là ; ainsi que Henry Céard, que je n’avais pas encore rencontré. Enfin, ce fut moi qui présentai à mes trois nouveaux amis Guy de Maupassant, avec lequel je m’étais lié chez Flaubert. Dès lors, nous fûmes [sic] cinq. Notre petit groupe se trouva constitué. Un beau jeudi soir, tous les cinq, en colonne serrée, nous nous rendîmes chez Zola. Et, depuis, chaque jeudi, nous y sommes retournés.

Maintenant, il faut bien dire un mot de notre véritable attitude devant Zola. Ce qui me force à entrer dans de pareils détails, c’est une absurde légende, qu’il s’agit de détruire, une fois pour toutes. J’ai devant les yeux une partie des aimables articles que certains de nos confrères nous ont déjà consacrés : un joli tas, en quatre ans à peine ! J’y trouve des aménités dans ce genre : « Jeunes présomptueux — Rebut de la littérature — Plats imitateurs — Valets impuissants — Épousseteurs de la gloire du maître — Au-dessous de tout — etc., etc. » Nous sommes des mendiants et des besogneux ! Zola nous entretient ! Nous préparons des romans qui s’appelleront « Le Bidet, » — « Le pot de chambre, » — « Le vase de nuit. » Nous sommes des égoutiers, des saligauds, des vidangeurs de lettres ! J’étonnerais même beaucoup de monde, si, en regard de ces grossièretés, je donnais ici les noms des prétendus hommes d’esprit qui, dans leur haine, ont vidé tout cela sur nos têtes.

La vérité est que nos rapports avec Zola, loin d’être des rapporta d’élèves à maître, ne différent nullement de l’intimité, de la camaraderie affectueuse qui règne entre nous cinq. Au contraire, chacun de nous, je crois, se gênéra moins avec lui qu’avec les autres, lui confiera plus librement certaines choses. Lui, un pion ? un normalien in partibus ? Allons donc ! Un pontife ? Pas davantage ! Cet intérieur de la rue de Boulogne, où l’on ne fait jamais de lectures, où l’on dit ce qui vous passe par la tête, où chacun est souvent d’un avis très différent, où l’on n’est même pas forcé d’avoir un avis, où le plus souvent il n’y a pas de conversation générale, enfin ce grand cabinet de travail où nous passons de si bonnes soirées, riant parfois comme des enfants, de tout, de tous, et même les uns des autres, est bien l’opposé d’une chapelle, malgré les vitraux des deux fenêtres.

Et si nos réunions du jeudi, rue de Boulogne, — où Édouard Rod est aussi un assidu, — comportent si peu de solennité, jugez de ce que ce doit être, pendant les visites que nous faisons à ce fameux Médan, où Zola passe maintenant huit mois de l’année.

Médan est un tout petit village, de deux cents âmes au plus, sur la rive gauche de la Seine, entre Poissy et Triel. Il y a un haut et un bas Médan ; c’est-à-dire que, des quelques masures de paysans, les unes se trouvent groupées le long de la route de Triel, — à mi-côte d’un coteau admirable, accidenté, planté çà et là d’un bouquet de hauts noyers ; — tandis que les autres semblent avoir glissé au bas de la rampe, jusqu’au remblai du chemin de fer de l’Ouest, qui passe en cet endroit parallèlement à la Seine, à une centaine de pas de la rive.

Ce coin du riche département de Seine-et-Oise est adorablement pittoresque. Ce ne sont que prairies grasses où des vaches paissent, rideaux de grands saules et de peupliers, quinconces de pommiers, massifs de noyers, de chênes et de trembles. La route elle-même, un peu creuse entre ses deux talus gazonnés, semblables à deux bancs de velours vert continus, monte et descend à chaque instant, ombragée, sans poussière, propre comme une allée de parc anglais. Et, sur tout cela, un grand calme plane, coupé de temps en temps par le passage d’un train ou par le sifflement de quelque transport à hélice, qui remonte lentement la rivière en remorquant cinq ou six péniches, on se croirait à cent lieues de Paris. Rien que des paysans. Dans toute la commune, une seule maison de bourgeois parisien, et « le château, » rarement habité, changeant souvent de propriétaires. Voilà Médan.

Comment Zola a-t-il découvert Médan ? Le hasard ! L’Exposition universelle de 1878 y est aussi pour quelque chose. Dès l’automne 1877, au retour d’un séjour de cinq mois à l’Estaque, Zola, qui, depuis plusieurs années, avait l’habitude de louer chaque été une petite maison tantôt ici, tantôt là, toujours au bord de la mer, pour y passer quelques mois avec sa mère et sa femme, songea à louer quelque chose, cette fois. aux environs de Paris, dont il ne voulait pas trop s’éloigner, à cause de la prochaine Exposition.

On lui avait parlé de Triel. Il se rend donc à Triel. Mais la platitude du pays, l’importance du gros village le consternent et le rebutent. — « Ça, la campagne ? Alors, autant tout de suite les Batignolles ! » Et, l’après-midi n’étant pas avancé, il loua une voiture, afin de visiter le pays plus à fond, avant de reprendre le train à Poissy.

En route, il rencontre d’abord Vernouillet, un petit village qui le console un peu. La route devient tout à fait pittoresque. Dix minutes plus loin, nouveau petit village. La première maison qu’il aperçoit, — étroite, cachée dans un nid de verdure, isolée du hameau par une allée d’arbres magnifiques qui descend jusqu’à la Seine, et sous laquelle un pont livre passage à la voie ferrée, — la première maison lui fait éprouver ce que, en amour, Stendhal appelait « le coup de foudre. » Seulement, un écriteau : « A vendre » pendait près de la porte. Bien qu’il n’eut [sic] aucune envie de devenir propriétaire, il visita quand même, espérant arriver à une location ; mais il se heurta contre une volonté absolue, et ce fut alors en lui un combat de quelques jours, qui se termina chez le notaire.

Il avait acheté la petite maison neuf mille francs. Une bagatelle ! La petite maison tenait de la ferme, et le jardin était grand comme un mouchoir. Quelques semaines après, les maçons, les peintres, les tapissiers y entraient pour préparer un premier aménagement. Ils n’en sont plus sortis ! C’est que, après leur avoir fait réparer la petite maison, Zola leur en a fait construire une grande, appropriée à ses besoins professionnels, à son goût du confortable, à sa passion unique : le travail. Cette seconde maison, il est vrai, décupla au moins le prix d’achat.

Voici maintenant l emploi [sic] d’une des journées de notre campagnard.

Huit heures du matin. Il s’éveille dans son large lit Louis XVI, à cannelures de cuivre. Pendant qu’il s’habille, — vêtements de vrai rural, veston et pantalon de velours marron à grosses côtes, souliers de chasseur, — devant lui, par une grande glace sans tain placée au-dessus de la cheminée, il donne un coup d’œil au paysage. La Seine est toute blanche ce matin, et les peupliers de l’île, en face, sont noyés dans une brume cotonneuse.

A peine descendu, il sort avec ses deux chiens : le superbe « Bertrand, » un bon gros terre-neuve, et le minuscule « Raton, » un sacré petit rageur. Quelquefois, madame Émile Zola est de cette sortie matinale. On suit la grande allée ; on passe sur le pont du chemin de fer. Voici la Seine, dont on longe la berge. Si l’eau n’est pas trop froide, Bertrand prend un bain. Un quart d’heure après, on est de retour pour le premier déjeuner. Neuf heures. Au travail !

Ici, dans le nouveau cabinet de travail, tout, est immense. Un atelier de peintre d’histoire pour les dimensions. Cinq mètres cinquante de hauteur, sur neuf mètres de largeur et dix de profondeur. Une cheminée colossale, ou un arbre rôtirait un mouton entier. Au fond, une sorte d’alcôve, grande à elle seule comme une de nos petites chambres parisiennes, complètement occupée par un divan unique ou dix dormeurs seraient à l’aise. Au milieu, une très grande table. Enfin, en face de la table, nue large baie vitrée ouvrant, une trouée sur la Seine. Je ne parle pas d’une sorte de tribune, élevée au-dessus de l’alcôve au divan, à laquelle on parvient par un escalier tournant : c’est la bibliothèque. Le même escalier mène sur une terrasse carrée, occupant toute la toiture de la nouvelle construction, qui se voit de loin dans la campagne, et d’où le panorama est admirable.

De neuf heures à une heure, assis devant l’immense table, Zola travaille à un de ses romans. « Nulla dies sine linea, » telle est la devise inscrite en lettres d’or sur la hotte de la cheminée. Tandis que son maître écrit, « Bertrand » est à ronfler par la, dans un coin.

A une heure, le déjeuner. Zola se livre avec le même soin à ce qui serait son second vice : la gourmandise — cette littérature de la bouche ! A deux heures, la sieste. A trois, arrivée du facteur. Montés par le domestique, les lettres et les journaux réveillent monsieur. Voici la nomenclature des journaux que reçoit Zola : le Figaro, l’Événement, le Gaulois, le Voltaire et le Gil Blas, auxquels il est abonné. Je passe sous silence d’autres feuilles qu’on lui envoie gracieusement. On voit qu’il a un goût particulier pour la presse dite « à informations. » Des faits et non des phrases ! des documents ! voilà ce dont sa tournure d’esprit le rend avide. Quant à la correspondance, c’est un envahissement, depuis quelques années. Il se voit fréquemment obligé de ne pas répondre, vaincu par l’entassement.

Le courrier dépouillé, il est quatre heures. Si le temps est beau, et quand il n’y a pas d’épreuves pressantes à corriger, on prend Nana, une barque peinte en vert, et l’on se rend dans l’île en face, ou Zola a fait construire un chalet. Là, on lit, on cause, on se promène, on s’étend sur l’herbe à l’ombre des grands arbres, « on fait son Robinson, » et l’on ne revient sur la terre ferme que pour dîner, parfois après une longue promenade en canot.

Le dîner a lieu à sept heures et demie. La nappe enlevée, après une causerie accompagnée d’une tasse de thé, quelquefois après une partie de billard, ce parfait bourgeois monte se coucher, vers dix heures. Toutes les lampes s’éteignent, sauf la sienne. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, il lit. De temps à autre, pendant cette lecture, au milieu de la large paix environnante, les trains de nuit passent sous la fenêtre, prolongeant leur vacarme dans le grand silence de la campagne. Il s’interrompt, écoute, reste un moment rêveur, puis reprend son livre. Il finit par s’endormir, en songeant « au beau roman moderne qu’il va à écrire sur les chemins de fer ? »

Outre l’ancienne maisonnette de paysan, rendue méconnaissable et augmentée d’une grande bâtisse carrée qui ressemble à une tour, il a fait bâtir un pavillon qui contient des chambres d’ami, souvent occupées. Ce sont toujours les mêmes amis, les amis de toute sa vie, qui visitent Zola à Médan. Ils viennent d’autant plus fréquemment que, l’année dernière, le 17 octobre 1880, madame veuve François Zola s’est éteinte doucement, dans la maison à peine installée ; et ils voudraient contribuer de tout leur pouvoir aux efforts de madame Émile Zola pour cacher au fils un grand vide.

Je finirai ces notes biographiques par une anecdote.

Émile Zola, qui, en 1871, avait failli être sous-préfet à Castel-Sarrazin, manqua être décoré en 1878. L’histoire exacte de cette décoration mérite d’être racontée, d’autant plus que des versions étranges ont couru.

Un jeudi, M. Georges Charpentier étant venu voir Zola, le prit à part et lui dit :

— Voici ce qui ce passe : Daudet, l’autre jour, dînait chez M. Bardoux, et, consulté par lui sur les gens qu’il devait décorer, il vous a nommé le premier… M. Bardoux a aussitôt sauté sur votre nom, en disant que c’était une affaire faite… D’ailleurs, il entend vous éviter l’ennui d’une demande écrite. Une simple visite suffira et lui fera plaisir.

Et M. Charpentier ajoutait :

— Cela contrarie beaucoup Daudet, car il ne sait comment vous prendrez la chose. Il ignore vos intentions et craint de vous avoir trop mis en avant, sans qu’il en ait été causé avec vous.

Un peu surpris, Zola ne put cacher qu’il aurait préféré qu’on ne l’engageât pas ainsi ; qu’il n’avait point demandé la croix et qu’il comptait bien ne la demander jamais ; mais, qu’en somme, il n’était pas assez paysan du Danube pour refuser d’aller voir M. Bardoux, un des grands amis de Flaubert.

Du reste, il apprit bientôt que Flaubert, lui aussi, avait demandé pour lui la décoration au ministre.

Quelques jours plus tard, il alla voir M. Bardoux, accompagné de Daudet, qui amenait également un autre de ses amis, M. Gustave Droz, dont il avait aussi mis le nom en avant. L’entrevue, cela va sans dire, fut très cordiale. Le ministre, avec une discrétion de bon goût, ne parla de la croix que sur le seuil du cabinet, en s’engageant d’une façon brève et formelle, pour le mois de juillet suivant.

Voilà donc Zola qui était décoré, sinon malgré lui, du moins sans l’avoir voulu. M. Bardoux ; paraît-il, était très plein de l’idée de le décorer, car il en parlait à tous venants. Il ne se trouvait pas en présence d’un reporter, sans lui dire : — « Je vais décorer Zola., qu’en pensez-vous ? » Si bien que tout, Paris sut bientôt que le ministre allait avoir le courage extraordinaire de décorer l’auteur de l’Assommoir. Et celui-ci, inquiet de ce bruit qui se faisait autour d’une chose dont on n’aime pas à parler soi-même, disait en souriant : — « S’il le fait, il n’y a encore que demi-mal. Mais s’il ne le fait pas, me voilà parfaitement ridicule. »

Cependant, juillet arriva. Et M. Bardoux, qui avait sans doute distribué beaucoup d’autres promesses, ne décora pas le romancier. On raconte qu’au dernier moment, le directeur d’un journal grave, dit au ministre : — « Décorez X… Il est vieux, et n’a plus de talent ; tandis que Zola a le temps d’attendre. » — Gustave Flaubert, furibond, avait écrit à M. Bardoux : « Tu es un… pas grand chose ! » — Daudet, désolé, était allé trouver son ami pour lui dire combien il regrettait de l’avoir engagé involontairement dans cette sotte affaire.

Tout aurait donc été pour le mieux, si l’excellent M. Bardoux n’avait recommencé à dire plus fort que jamais « qu’il voulait décorer Zola ! » Et ses conversations avec les reporters continuaient de plus belle.

Ce fut alors que Zola commença réellement à se fâcher. A cause de Flaubert et de Daudet, il n’osait rompre brutalement, malgré la grande envie qu’il en avait. D’ailleurs, Flaubert, toujours bon, toujours facile à tromper, lui jurait de nouveau que M. Bardoux brûlait du désir de « couronner son ministère » en le décorant.

Arriva janvier. Le ministre s’était tellement épanché dans le sein des reporters, que tout le monde s’attendait à voir, cette fois, le nom de Zola sur la liste. Mais la fameuse étude sur « les Romanciers contemporains, » écrite d’abord pour une revue russe, avait paru en décembre dans le Figaro, et tous les confrères traitaient le critique en homme indigne de faire partie de la littérature française. Si bien que, le jour où M. Bardoux proposa timidement Zola à son chef de cabinet, celui-ci répondit solennellement : — « Monsieur le ministre, ce n’est pas possible, il y va de votre portefeuille. »

Donc. une seconde fois, Zola ne fut pas décoré. Il s’y attendait du reste. Et il avala ce nouveau crapaud, avec l’habitude d’un homme qui en a avalé bien d’autres. Nouvelle fureur de Flaubert contre ce rien du tout de ministre. Nouveau désespoir de Daudet. Quand à lui, depuis cette époque, lorsqu’on parle de décoration en sa présence, il dit d’un air plaisant, en homme dont l’ambition est comblée et qui est décidé à ne plus rien accepter :

— Moi, j’ai failli être décoré par Bardoux : ça me suffit.