Émile Zola : l’homme & l’œuvre/L’homme

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L’HOMME

La physionomie n’est pas une règle qui nous soit donnée pour juger des hommes : elle nous peut seulement servir de conjecture. La figure est le moule imparfait, souvent même trompeur, du caractère et de l’esprit ; mais comme il y a certaines affinités entre le physique et le moral, Émile Zola me permettra d’en faire l’expérience sur son portrait. En ce faisant, je vise plutôt à la curiosité qu’à la vérité, j’examine un document humain dans ses diverses évolutions, mais sans en tirer les conséquences rigoureuses de l’observation expérimentale.

Émile Zola n’est ni grand, ni petit, il est moyen ; la tête est forte, massive, beaucoup du faune antique, moins les oreilles ; le front droit, carré ; l’œil profond et dur ; les sourcils, deux accents graves, sur un nez large ; la lèvre lourde, sensuelle, nerveuse, plus prompte à l’ironie qu’au sourire ; la barbe courte, épaisse, aiguillonnante, zébrée de fils blancs sur fond noir ; les épaules larges ; la poitrine bombée et provocante ; l’estomac haut ; en un mot, un ensemble viril, mais sombre et taciturne. C’est une de ces figures qui, sans éloigner la sympathie, la déconcertent et la refroidissent : on ne la hait pas, mais on sent qu’on ne peut l’aimer. Il a la physionomie de l’orgueil ; peut-être vaudrait-il mieux être orgueilleux que de le paraître : l’orgueilleux de caractère n’irrite que lorsqu’il se fait connaître, celui de physionomie irrite toujours. La physionomie provoque continuellement, le caractère ne le fait que lorsqu’il parle.

Il vaut mieux se donner le ridicule d’exagérer sa modestie que d’avoir le ridicule de surfaire son mérite. Je complète son portrait par ces lignes, qu’il se consacre dans le Roman expérimental, p. 365 : « Je ne me sens pas gai du tout, pas aimable, pas polisson, incapable de chatouiller les dames. Je suis un tragique qui se fâche, un broyeur de noir que le cocuage ne déride pas, et c’est mal connaître les lois de l’hérédité que de vouloir asseoir sur mes genoux d’homme hypocondre cet aimable poupon enrubanné (le Gil Blas) qui fait déjà des farces avec sa nourrice. Le Gil Blas, enfant de l’Assommoir et de Nana, mais grand Dieu, c’est Jérémie accouchant de Piron. »

Voilà, d’après les apparences, pour le physique.

Au moral, c’est-à-dire littérairement, É. Zola est un auteur doublé de plusieurs autres ; il pense, il parle, il agit, il écrit si habilement d’après ses lectures, qu’on aurait l’illusion que c’est de lui, si un lapsus naïf, une ignorance imprévue, une interprétation scientifique fausse ne décelaient l’emprunt, la supercherie ou la contrefaçon. Il se sert si naturellement de l’esprit et de la science des autres, qu’il y est le premier trompé, et qu’il croit souvent obéir à son goût, expliquer sa pensée ou appliquer sa méthode, lorsqu’il n’est que l’écho de quelqu’un qu’il vient de lire : il n’est lui que par les autres.

Reprenez, en effet, à son œuvre ce qu’il a emprunté à la science de Claude Bernard, aux études du docteur Lucas, de Le Play, de Poulot, etc., et à l’exégèse littéraire de nombreux écrivains, que lui restera-t-il ? Moi, moi, dira-t-il, et c’est assez. Assez ! car lui seul ignore combien il est au-dessous du génie ; il est même incapable de savoir jusqu’où l’on peut avoir de l’esprit ; il croit simplement que ce qu’il en a est tout ce que les hommes pourraient en avoir ; aussi a-t-il l’air et le maintien de celui qui en vend et qui en a à revendre ; il parle plus souvent aux autres de lui-même qu’à lui-même ; sa vanité l’a fait tellement grand qu’elle l’a mis au-dessus de lui ; il se surprend à regarder au-dessus de sa tête, volontiers il s’étonnerait de ne pas s’en trouver une autre ; l’on juge, en le voyant, et surtout en le lisant, qu’il n’est occupé que de son moi, il l’aime, le caresse, l’admire, le tourne, le retourne, le produit sur toutes ses faces, et, par un dernier tour de main, le suprême de l’art ! l’étale en queue de paon, devant tous les naturalistes… naturalisés. Il a l’air de son buste, de celui qu’il se rêve sur un piédestal, j’entends.

La Bruyère, que je lis plus que Zola, me fournit un caractère que je ne peux résister au plaisir de reproduire pour lui ; il en fera ce qu’il voudra : « Émile, du plus haut de son esprit, contemple les hommes, et dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse : loué, exalté et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais : occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles : élevé par son caractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux âmes communes le mérite d’une vie suivie et uniforme, et il n’est responsable de ses inconstances qu’à ce cercle d’amis qui les idolâtrent ; eux seuls savent juger, savent penser, savent écrire, doivent écrire ; il n’y a point d’autre ouvrage d’esprit si bien reçu dans le monde et si universellement goûté des honnêtes gens, je ne dis pas qu’il veuille approuver, mais qu’il daigne lire ; incapable d’être corrigé par cette peinture qu’il ne lira pas. »

Ces lignes me semblent si bien convenir au prétendu inventeur du naturalisme et à ses adeptes, qu’il m’a été impossible de ne pas prier le célèbre moraliste de les leur répéter : un naturel comme lui vaut tous les naturalistes comme eux.

Dans ce portrait, j’ai cherché à saisir les côtés saillants ou voyants qui peuvent indiquer le caractère de l’homme et de l’écrivain, mais j’ai si peu l’intention de leur donner une valeur absolue que je m’empresse de reconnaître qu’Émile Zola a une science descriptive et des qualités de style qu’on ne pourrait deviner sur cette figure sombre et fermée. On ne voit point son œil étinceler des vives lumières qui inondent ses paysages, ni sa figure se muscler sous l’effort de l’observation et de la recherche. Sa physionomie annonce plutôt le bourgeois qui thésaurise que le romancier, hardi et sans frein, qui innove. Allez vous fier après cela aux apparences du portrait et aux pronostics du caractère !

Les milieux ambiants qui encadrent Émile Zola pouvant être un cas intéressant pour les gens qui cherchent, dans la vie des hommes et dans les objets dont ils s’entourent, les explications des mystères de leur esprit, je donne, à titre de curiosité, ces extraits de sa biographie par Guy de Maupassant, page 28 : « Ce fougueux ennemi des romantiques s’est créé, à la campagne comme à Paris, des intérieurs tout romantiques. Á Paris, sa chambre est tendue de tapisseries anciennes ; un lit Henri II s’avance au milieu de la vaste pièce éclairée par d’anciens vitraux d’église qui jettent leur lumière bariolée sur mille bibelots fantaisistes, inattendus en cet antre de l’intransigeance littéraire. Partout des étoffes antiques, des broderies de soie vieillies, de séculaires ornements d’autel. Á Médan, la décoration est la même. L’habitation, une tour carrée au pied de laquelle se blottit une microscopique maisonnette, comme un nain qui voyagerait à côté d’un géant, est située le long de la ligne de l’Ouest ; et d’instant en instant les trains qui vont et qui viennent semblent traverser le jardin. Zola travaille au milieu d’une pièce démesurément grande et haute, qu’un vitrage donnant sur la plaine éclaire dans toute sa largeur. Et cet immense cabinet est aussi tendu d’immenses tapisseries, encombré de meubles de tous les temps et de tous les pays. Des armures du moyen âge, authentiques ou non, voisinent avec d’étonnants meubles japonais et de gracieux objets du xviiie siècle. La cheminée monumentale, flanquée de deux bonshommes de pierre, pourrait brûler un chêne en un jour, et la corniche est dorée à plein or, et chaque meuble est surchargé de bibelots. Et pourtant Zola n’est point collectionneur. Il semble acheter pour acheter, un peu pêle-mêle, au hasard de sa fantaisie excitée, suivant les caprices de son œil, la séduction des formes et de la couleur, sans s’inquiéter, comme Goncourt, des origines authentiques et de la valeur incontestable.

» En face de sa maison, derrière la prairie séparée du jardin par le chemin de fer, Zola voit de ses fenêtres le grand ruban de la Seine coulant vers Triel, puis une plaine immense et des villages blancs sur le flanc de coteaux lointains, et, au-dessus, des bois couronnant les hauteurs. Parfois, après son déjeuner, il descend une charmante allée qui conduit à la rivière, traverse le premier bras d’eau dans sa barque Nana et aborde dans la grande île, dont il vient d’acheter une partie. Il a fait bâtir là un élégant pavillon, où il compte, l’été, recevoir ses amis.

» Les abstracteurs de quintessence psychologique n’auraient-ils pas là un curieux sujet d’observation ? » Curieux, oui, mais tout autre que celui qui semble convenir à un naturaliste tel que Zola. On se le figure dans un autre milieu que ce bric-à-brac de marchande à la toilette. Fernand Xau consacre à son intérieur une description aussi intéressante : « Après m’avoir fait attendre quelques minutes dans un vestibule de cinq pieds carrés, un valet de chambre m’introduit dans le cabinet de travail de l’auteur des Rougon-Macquart. C’est une vaste pièce où la lumière n’arrive que difficilement. Les croisées, qui sont fort grandes, se trouvent intérieurement réduites à des dimensions insignifiantes par de larges tentures Bonne-Grâce, en peluche bleue, avec application de broderies de fleurs découpées sur d’anciennes chasubles italiennes. De doubles rideaux de crépin de Chine rouge et des rideaux simples en dentelle contribuent à augmenter l’obscurité et à donner à cette pièce un aspect sévère et quasi-lugubre. Pourtant, lorsque les portières qui séparent le cabinet de la chambre à coucher sont écartées, l’impression de tristesse qu’on avait éprouvée est bientôt dissipée. Sur les fenêtres exposées au soleil, on aperçoit, comme un décor, le feuillage des tilleuls et des platanes.

» Le cabinet de travail est garni de meubles de toutes les époques, de tous les styles et de tous les pays. La table de travail, d’origine hollandaise, remonte à l’époque de Louis XIII ; le vaste fauteuil, en palissandre massif, qui y fait face, date de l’époque de Louis XIV et a été rapporté de Portugal. J’ai remarqué, en outre, deux petites bibliothèques Louis XVI, contenant les ouvrages favoris de M. Zola, une petite table Louis XV, un secrétaire marqueté, une délicieuse encoignure Louis XV, un piano, une garniture de cheminée d’une grande valeur artistique et deux magnifiques vases persans contenant des lilas, — des lilas de Médan, sans doute. Á la première fenêtre, un immense bananier. Au-dessus d’une porte, en guise de lambrequin, un devant d’autel italien du xviie siècle, brodé de perles vénitiennes. Aux murs, de nombreux tableaux, la plupart sans grande originalité, sans sérieuse valeur. Tous appartiennent à l’école impressionniste. Les plus remarquables sont le portrait que Manet a fait de M. Zola ; puis des paysages de Guillemet, Monet, Cézanne, Pessaro, etc. Peu de livres. Je ne parlerai de la salle à manger que pour y constater la présence d’une immense volière.

» La chambre à coucher est surtout curieuse. Les murs sont ornés de vieilles tapisseries provenant du château d’Amboise. Des vitraux garnissent les fenêtres ; il y en a de toutes les époques : du xiie au xiiiesiècle. Quelques-uns sont fort beaux. J’ai admiré à la fenêtre de droite une Sainte Barbe et une Rébecca à la fontaine, deux œuvres superbes du xviie siècle. Entre les deux fenêtres, un coffre gothique, en fer ciselé. Un lit LouisXIII, haut et massif, est orné de garnitures de chasuble en velours de Gênes. Á gauche de la cheminée, un Centador ; à droite, une vieille armoire bretonne. La cheminée, elle-même ornée de majoliques anciennes, est entourée d’une magnifique tapisserie.

» On sent tout de suite qu’on se trouve en présence d’un homme qui aime son chez soi et qui, simplement, à l’instar du peuple britannique, préfère, aux plaisirs fugitifs et trompeurs des salons, les joies réconfortantes du travail et les douceurs incomparables du at home. Il y a, par exemple, dans le cabinet de travail, un encombrement de meubles minuscules et de brimborions inutiles qui frappe l’observateur. Seulement cet encombrement n’est pas un fouillis ; chaque chose est à sa place ; rien n’a été sacrifié à la fantaisie : évidemment M. Zola est un homme d’ordre et de méthode. Le bureau est placé au fond de la pièce, à droite en entrant. M. Zola est assis dans ce vaste fauteuil portugais dont j’ai déjà parlé et sur le dos duquel est jetée une épaisse fourrure. Il porte un paletot sac de molleton noir, qui, il faut l’avouer, ne rappelle nullement la robe monacale dans laquelle s’enveloppait son maître, ou plutôt son parangon… Il y a dans sa physionomie une expression vague de sincère amertume ou de dédain profond qui serait plus appréciable si des lèvres épaisses n’avaient quelque chose de cette raillerie brutale qui caractérise certains types italiens. D’ailleurs, il y a à la fois du Bavarois et du Napolitain chez lui. »

Le voilà peint à la ville, pontifiant, austère et magistral dans ce cabinet mosaïque qui, par ses vitraux et ses broderies sacerdotales, se donne un certain air de chapelle. Empruntons maintenant à la plume de son fidèle disciple, Paul Alexis, son portrait pris à la campagne : Émile Zola, notes d’un ami, page 187 : « Voici l’emploi d’une des journées de notre campagnard. Huit heures du matin. Il s’éveille dans son large lit Louis XVI, à cannelures de cuivre. Pendant qu’il s’habille, — vêtements de vrai rural, veston et pantalon de velours marron à grosses côtes, souliers de chasseur, — devant lui, par une grande glace sans tain placée au-dessus de la cheminée, il donne un coup d’œil au paysage. La Seine est toute blanche, ce matin, et les peupliers de l’île, en face, sont noyés dans une brume cotonneuse.

» Á peine descendu, il sort avec ses deux chiens : le superbe Bertrand, un bon gros terre-neuve et le minuscule Raton, un sacré petit rageur. Quelquefois Madame Émile Zola est de cette sortie matinale. On suit la grande allée ; on passe sur le pont du chemin de fer. Voici la Seine, dont on longe la berge. Si l’eau n’est pas trop froide, Bertrand prend un bain. Un quart d’heure après, on est de retour pour le premier déjeuner. Neuf heures. Au travail !

» Ici, dans le nouveau cabinet de travail, tout est immense. Un atelier de peintre d’histoire pour les dimensions, Cinq mètres cinquante de hauteur sur neuf mètres de largeur et dix de profondeur. Une cheminée colossale, où un arbre rôtirait un mouton tout entier. Au fond, une sorte d’alcôve, grande à elle seule comme une de nos petites chambres parisiennes, complètement occupée par un divan unique où dix dormeurs seraient à l’aise. Au milieu, une très grande table. Enfin, en face de la table, une large baie vitrée ouvrant une trouée sur la Seine. Je ne parle pas d’une sorte de tribune, élevée au-dessus de l’alcôve au divan, à laquelle on parvient par un escalier tournant : c’est la bibliothèque. Le même escalier mène sur une terrasse carrée occupant toute la toiture de la nouvelle construction, qui se voit de loin dans la campagne, et d’où le panorama est admirable.

» De neuf heures à une heure, assis devant l’immense table, Zola travaille à un de ses romans. Nulla dies sine linea, telle est la devise inscrite en lettres d’or sur la hotte de la cheminée. Tandis que son maître écrit, Bertrand est à ronfler par là, dans un coin.

» Á une heure, le déjeuner. Zola se livre avec le même soin à ce qui serait son second vice : la gourmandise, — cette littérature de la bouche ! Á deux heures, la sieste. Á trois, arrivée du facteur. Montés par le domestique, les lettres et les journaux réveillent monsieur. Voici la momenclature des journaux que reçoit Zola : le Figaro, l’Événement, le Gaulois, le Voltaire et le Gil Blas, auxquels il est abonné. Je passe sous silence d’autres feuilles qu’on lui envoie gracieusement. On voit qu’il a un goût particulier pour la presse dite à informations. Des faits et non des phrases ! Des documents ! Voilà ce dont sa tournure d’esprit le rend avide. Quant à la correspondance, c’est un envahissement depuis quelques années. Il se voit fréquemment obligé de ne pas répondre, vaincu par l’entassement.

» Le courrier dépouillé, il est quatre heures. Si le temps est beau, et quand il n’y a pas d’épreuves pressantes à corriger, on prend Nana, une barque peinte en vert, et l’on se rend dans l’île en face, où Zola a fait construire un chalet. Là on lit, on cause, on se promène, on s’étend sur l’herbe à l’ombre des grands arbres, on fait son Robinson, et l’on ne revient sur la terre ferme que pour dîner, parfois après une longue promenade en canot. Le dîner a lieu à sept heures et demie. La nappe enlevée, après une causerie accompagnée d’une tasse de thé, quelquefois après une partie de billard, ce parfait bourgeois monte se coucher, vers dix heures. Toutes les lampes s’éteignent, sauf la sienne. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, il lit. De temps à autre, pendant cette lecture, au milieu de la large paix environnante, les trains de nuit passent sous la fenêtre, prolongeant leur vacarme dans le grand silence de la campagne. Il s’interrompt, écoute, reste un moment rêveur, puis reprend son livre.

Il finit par s’endormir, en songeant au beau roman moderne qu’il y a à écrire sur les chemins de fer. »

Voilà une journée minutieusement expliquée et régulièrement remplie ; mais eût-elle satisfait Marc-Aurèle, j’en doute. Au point de vue de l’idéal, il n’y a rien, et au point de vue du naturalisme, je n’y trouve aucune trace de ces fonctions naturelles de l’individu que le maître se garde bien d’oublier et de négliger dans ses œuvres. Quel luxe de détails intimes et quel abus des trivialités les plus indiscrètes ! L’homme qui accepte un semblable déshabillé et l’ami qui se le permet méritent tous deux le ridicule de leur admiration réciproque.

Si ennuyeux que soit ce long encensement de trois admirateurs du dieu-nature, je ne pouvais l’épargner à mes lecteurs ; il leur révèle le caractère déterministe du maître et des disciples, de l’école et des élèves. C’est, au reste, un spécimen précieux du genre descriptif de messieurs les naturalistes et de leur procédé d’observation. Pour présenter un document humain, dans ses évolutions sociologiques, analyser une passion et fouiller un caractère, ils bâtissent, pierre à pierre, une maison, distribuent géométriquement chaque pièce, inventorient chaque meuble, comptent toutes les fleurs des rideaux, soulèvent toutes les tapisseries, déclouent tous les tableaux, pèsent tous les bronzes, etc., ouvrent une allée ici, peuplent une volière d’oiseaux et une niche de chiens et vous disent : voilà le cadre original où vit, pense, écrit… l’inventeur génial de la généalogie des Rougon-Macquart, le chef puissant de l’école naturaliste. Il a une barque verte, Nana, un bon gros terre-neuve, le superbe Bertrand et le minuscule Raton, un sacré petit rageur ; donc, il est un grand écrivain, le premier de notre temps. Très bien, mais que serait-il alors, s’il avait plusieurs superbes Bertrands et beaucoup de minuscules Ratons ; où serait-il, même un petit écrivain, s’il n’en possédait aucun ? Qu’était-il, quand crotté, maigre et efflanqué, comme certains congénères de ses heureux gardes du corps, il cherchait, dans Paris, du pain pour sa journée et un gîte pour sa nuit ? Avait-il des Alexis, des Céard, des Xau, pour admirer son génie ? Les amis sont ennemis du malheur, ils fuient la misère et ne cultivent que le succès. Tout homme à succès peut compter sur des féticheurs, d’autant plus nombreux, plus fidèles et plus zélés, qu’ils escomptent sa grandeur, son génie pour édifier leur fortune. Vingt romans, savamment épicés d’érotisme ou de naturalisme, si vous le préférez, ont valu à Zola une armée d’admirateurs ; un seul, honnêtement écrit, lui suscitera une armée de détracteurs et lui fermera la bourse des acheteurs : il est condamné au succès et aux bénéfices d’une curiosité malsaine.

Guy de Maupassant va, dans une envolée de notes enthousiastes et sonores, clore ces longues considérations et me permettre de fêter, par une sorte de fanfare joyeuse, la naissance de Zola.

« De tous les noms littéraires, il n’en est point peut-être qui saute plus brusquement aux yeux et s’attache plus fortement au souvenir que celui de Zola. Il éclate comme deux notes de clairon, violent, tapageur, entre dans l’oreille, l’emplit de sa brusque et sonore gaîté. Zola ! quel appel au public ! quel cri d’éveil ! et quelle fortune pour un écrivain de talent, de naître ainsi doté par l’état civil.

» Et jamais nom est-il mieux tombé sur un homme ! Il semble un défi de combat, une menace d’attaque, un chant de victoire. Or, qui donc, parmi les écrivains d’aujourd’hui, a combattu plus furieusement pour ses idées ? Qui donc a attaqué plus brutalement ce qu’il croyait injuste et faux ? Qui donc a triomphé plus bruyamment de l’indifférence d’abord, puis de la résistance hésitante du grand public ? »

Zo-la ! je n’y trouve ni tant de sonorité, ni tant de gloire que cela, dans ces deux syllabes. Zo-la ! Iront-elles jusqu’à la postérité ? L’écho, bruyamment agité, s’éteint et va s’affaiblissant déjà ; c’est à peine si, tendant l’oreille, on perçoit dans un murmure, léger comme un souffle…, la… a.., a.