Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Sa naissance

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Sa naissance

Émile Zola est né à Paris, le 2 avril 1840, 10, rue Saint-Joseph, de François Zola, ingénieur civil, né à Venise en 1793, mort à Aix, en 1847, et de Émilie Aubert, née à Dourdan, pays de Francisque Sarcey, en 1820, et morte à Médan, le 17 octobre 1880. Le futur naturaliste, né à deux pas de ces halles, ventre de Paris, qu’il devait peindre plus tard des couleurs les plus vives, se trouve être un croisé d’Italien et de Française.

Ce croisement de deux races, dans un sujet aussi remarquable que Zola, me conduit fatalement à appliquer à sa généalogie la prétendue vérité à laquelle il s’est efforcé de nouer sa fabulation des Rougon-Macquart.

« Je me propose de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil mathématique qui conduit d’un homme à un autre homme. L’hérédité a ses lois comme la pesanteur. »

En suivant ce fil mathématique qui lie le fils au père, en obéissant à cette loi de la pesanteur de l’hérédité qui écrase toute la descendance, quels effets étranges et inattendus ne ferait-on pas sortir de cette causalité terrible et fatale ! Étant accepté ce théorème naturaliste de la transmission des qualités et des défauts physiques et psychiques des ascendants aux descendants que doit produire l’effet Zola-Aubert, mâtiné italien-français, résultat de deux causes si différentes et si éloignées, l’une d’en deçà, l’autre d’au delà les Alpes ? Cette mixture franco-italienne a-t-elle la vertu des deux, les vices d’un seul, ou rien de personne ? Analyste expérimentateur, je suis, attentif et anxieux, le travail de cet alambic physico-chimique qui se nomme Zola, et je me demande lequel de ces deux facteurs a pu, dans ses évolutions de milieu, lui infuser ce naturalisme transcendant qui, de la matière la plus grossière, a produit de l’or… en romans. Le creuset de tous les alchimistes, si riche en découvertes scientifiques, mais si pauvre en pierre philosophale, n’a jamais produit autant d’or que la plume de cet ingénieux naturaliste.

L’auteur du Roman expérimental a expliqué tant de choses et essayé d’en faire passer tant d’autres par l’influence des milieux, qu’il est certainement légitime d’essayer sur lui-même sa propre méthode.

Je ne veux pas pousser cette formule naturaliste jusqu’à ses conclusions extrêmes, elle me mènerait trop loin ; je tiens seulement à faire observer que cette loi de l’hérédité n’est en somme qu’une contrefaçon du péché originel, cette verrue héréditaire que nous ont transmise Adam et Ève ; c’est un plagiat de la Genèse. Zola contrefacteur de la Bible ! pourquoi pas ? C’est une qualité ou un défaut qu’il exploite en grand, sans gêne et sans façon. Il a fait l’honneur à Dante d’imiter sa grandiose épopée, dans ses tentatives avortées de poèmes épiques ; à Alfred de Musset de modeler ses Contes à Ninon sur ses Contes d’Espagne ; à V. Hugo de lui emprunter ses prétentions homériques et ses fracas de style ; à Balzac de transformer sa Comédie humaine en arbre généalogique des Rougon-Macquart ; à Poulot de le détrousser de son Sublime et d’en fabriquer l’Assommoir ; à Claude Bernard, au docteur Lucas, etc., de démarquer leurs termes scientifiques et de les adapter à sa méthode matérialiste ; à Roret de copier tous ses Manuels professionnels et de surcharger ses romans de leurs connaissances spéciales, etc. J’en passe d’autres et de nombreux dont je citerai la collaboration forcée à son œuvre en l’analysant. En voyant combien il a contrefait, imité, démarqué et plagié d’hommes, de systèmes, de découvertes et de livres, on est tenté de croire que ce besoin de spoliation littéraire et scientifique est une nécessité de sa loi de pesanteur, un droit d’hérédité qui lui permet de considérer le bien d’autrui comme le sien propre et de s’en emparer.

Émile Zola ne fit, pour ainsi dire, que naître à Paris et fut aussitôt transplanté à Aix, où son père, triomphant enfin de tous les obstacles et de toutes les déceptions, finissait par commencer ce canal qui, malgré qu’il n’ait pas été terminé par lui, est désigné par le peuple sous le nom de canal Zola. Tout marchait à souhait, le canal et l’enfant, la fortune même semblait vouloir récompenser sa persévérance et ses travaux, quand le père, frappé, en plein succès, par une fluxion de poitrine, tomba et mourut. Aix, qui conserve ses restes et le souvenir de ses services, a donné son nom à un de ses boulevards.

Madame Zola, enlisée dans les mille difficultés d’une entreprise à ses débuts, plaida et perdit. Ce fut alors la misère progressive, on avait peu la veille, à peine le nécessaire, on eut moins le lendemain ; ce fut la lutte dure et poignante pour le pain de chaque jour. Pendant ce temps de cruelles privations, Émile, choyé, gâté par sa mère et ses grands-parents, sa grand’mère surtout, vaillante beauceronne d’Auneau, robuste et énergique paysanne qui ne craignait ni la peine ni la misère, poussait, jouait, buissonnait et travaillait peu. Sous ce ciel de la Provence, toujours bleu et luisant, qui mord de ses chauds baisers cette terre méridionale, éternellement embaumée de fleurs et de fruits, son corps avait trop à faire pour qu’il restât à son intelligence le temps de faire quelque chose. Son grand et presque unique travail, c’était le farniente musard, gamin, bruyant, capricieux et cascadeur de l’enfant nerveux du Midi.

Il commença pourtant ses études, mais sans ardeur et sans application, les accusant de gêner ses plaisirs.