Émile Zola : l’homme & l’œuvre/La critique est un droit

La bibliothèque libre.

La critique est un droit

La pensée, dès qu’elle se manifeste par un acte externe : la parole, le livre, la peinture, la sculpture, etc., relève aussitôt de lois intellectuelles, morales et sociales, par conséquent, pour nous arrêter à la pensée écrite, elle est justiciable de la critique.

Où il y a loi, il y a droit, d’où celui de la critique.

Critiquer, c’est soumettre l’acte extérieur de la pensée à l’examen impartial du goût, de la conscience et du jugement.

Toute critique est le document de demain, une pièce justificative déposée au dossier de la postérité. Son enquête, destinée à éclairer la religion des juges littéraires futurs, doit avoir la dignité, l’honnêteté et la liberté de la plus haute magistrature. Un enquêteur doit être indépendant pour être juste, et libre pour être honnête. Son appréciation n’aurait aucune autorité si elle ne visait au stable, à l’irrévocable, au jugement. Donc la solidité, l’impartialité, la fermeté, la justice sont les éléments essentiels de toute critique. Ce qui se résume en deux mots : conscience libre et sens droit.

« La critique, dit Zola, dans la Vie littéraire, 29 mars 1877, article Sainte-Beuve et Taine, s’est élargie, est devenue une étude anatomique des écrivains et de leurs œuvres. Elle prend un homme, elle prend un livre, les dissèque, s’efforce de montrer par quel jeu de rouages cet homme a produit ce livre. Le tempérament de l’auteur est fouillé, les circonstances et le milieu dans lesquels il a travaillé sont établis ; l’œuvre apparaît comme un résultat inévitable, bon ou mauvais, dont il s’agit uniquement de démontrer la raison d’être. Toute l’opération critique consiste à verbaliser sur un fait, depuis la cause qui l’a enfanté jusqu’aux conséquences qu’il peut avoir… La critique expose, elle n’enseigne plus… La génération actuelle des écrivains naturalistes a le malheur de ne pas avoir encore trouvé son critique. »

Un livre est un document, et chaque critique un juge qui taille, à toute plume, dans le livre, et qui tranche à pleine chair dans l’auteur, sans souci des amis ou des ennemis. La postérité aura encore trop à faire pour reviser nos jugements, même sévères, sans l’encombrer de nos éloges inutiles et de nos haines impuissantes. Pour moi, si elle me fait l’honneur de me citer comme témoin à son tribunal, je ne veux pas, par dévouement à un ami ou par peur d’un ennemi, qu’elle m’accuse d’un faux témoignage. Par ainsi, auteurs, mes chers contemporains, pour qui ou contre qui je rends témoignage, ne soyez ni flattés, ni irrités de mes critiques, je vous dois la vérité. Si parfois j’ai un tort, ce sera de déposer devant le tribunal des lettres de façon à ménager aux plus coupables les circonstances atténuantes.

De la constatation du droit de la critique découle nécessairement le devoir du critique.