Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Que restera-t-il à Zola de Zola ?

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Que restera-t-il à Zola de Zola

Alfred de Musset, dans un suprême cri humain, a dit : « Il me reste d’avoir pleuré ». Il ne croyait plus à rien, cet enfant du siècle, du moins il le croyait ; mais il avait des larmes ; il lui restait d’avoir pleuré, d’être encore homme par la douleur et la souffrance. Mais que peut-il rester au naturaliste ? Tout est document pour lui, tout est matière : la pierre du chemin, la boue du ruisseau, la pourriture d’amphithéâtre, etc. Le cœur est le piston mécanique de la machine humaine ; le cerveau une machine à fusion et à effusion cogitative ; le père, un germe ; la mère une matrice à œufs, une couveuse ; la larme, cette perle humaine, ce dernier diamant fait de toutes les joies et de toutes les douleurs, cette première et dernière vibration humide de la vie, dans l’enfant et dans l’homme, n’est même plus une larme, elle est un composé chimique qu’analyse scientifiquement l’instrument du naturalisme. Ah ! non, il ne vous restera pas d’avoir pleuré, mais il vous restera d’avoir fait pleurer. Aussi, qu’il soit maudit dans ses succès, dans ses férocités de luxe, dans son orgueil, dans son égoïsme brutal, ce malfaiteur littéraire qui a déséquilibré plus de cerveaux, névrosé de consciences, sali de pudeurs, brisé de liens sociaux et inspiré de crimes et de vices que ne feront jamais de victimes et de cadavres les armes perfectionnées les plus meurtrières ! Le naturalisme est, en littérature, ce qu’est en chimie la dynamite ; l’instrument naturaliste est même plus dangereux que l’engin anarchiste ; ils tuent tous deux, c’est vrai, et terriblement, mais la seconde, toute meurtrière qu’elle est, fait moins de victimes que le premier.

Pour conclure, et il le faut bien, quand encore il me reste tant à dire, je supplie Zola d’avoir pitié de son étrange talent, de ses facultés littéraires peu communes ; qu’il n’en abuse pas, en les condamnant à des études spéciales, dangereuses pour la société et pour lui-même. Il pouvait faire bien dans le bien, c’est la mission de tout honnête homme ; il fait bien dans le mal ; c’est le pis de son œuvre, c’est la mauvaise action de son talent, ce sera le châtiment de sa vie littéraire. Il ne restera et ne sera lu que comme une individualité curieuse et particulière ; la postérité, s’il y va, le classera dans le genre des curiosités et des étrangetés littéraires. Les cruautés maladives de son tempérament feront peut-être excuser les exagérations aphrodisiaques de son procédé littéraire, de sa méthode plus anatomique que psychologique, mais lui feront refuser le titre d’écrivain génial. Il sera le Roret du roman expérimental, le Dictionnaire encyclopédique du naturalisme, le Bottin des trivialités, mais il ne sera jamais le chef d’une école littéraire ; il sera l’exception honteuse, mais jamais la règle.