Épître de M. A. J. Guirot

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Épître de M. A. Guirot
À M. Alexandre Latil

Le papillon, l’aigle et le léger rossignol,
Et la femme et la fleur : tous, par un même vol,
Retournent à celui qui d’un souffle suprême
Les avait animés, et les éteint de même.
(Alexandre Latil)

I

Eh quoi ! briser ta plume,
Quand le champagne fume,
Que sa brillante écume
Pétille nuit et jour !
Et qu’un baiser d’Hélène,
Glissant de veine en veine,
Nous verse son haleine
Et l’ivresse et l’amour

!

Quand Inès la gentille
Jette au loin sa mantille,
Alors que du quadrille
A retenti la voix,
Et que, vierge pudique
Ou Péri fantastique,
Son corset élastique
Frissonne sous nos doigts !

Quoi ! suspendre ta lyre,
Enfant,,, ! Ne plus écrire !
D’un stérile délire,
Quoi ! supporter l’affront !
Et, poète Créole,
Insoucieux, frivole,
Dédaigner l’auréole
Qui doit parer ton front !

J’oubliais, ô pardonne,
Que sur ton front rayonne

La mystique couronne
Emblême du malheur !
Et que la douce flamme
Du regard d’une femme
N’arrachait de ton âme
Que des chants de douleur !

À ces lueurs lointaines
De faveurs incertaines,
Aux vanités humaines,
N’as-tu point dit adieu ?
La vie est éphémère,
La gloire est une chimère,
L’homme n’est que poussière,
L’éternité…..c’est Dieu !


II

Comme un ruisseau qui coule,
Ou le torrent qui roule,
Ainsi se perd la foule
Au sein d’une autre m

er,
Immensité profonde,
Où l’écho, lorsqu’il gronde,
N’éveille de ce monde
Qu’un souvenir amer !

La femme blanche et rose,
L’orphelin qui repose,
Et la fleur fraîche éclose
Ont-ils un lendemain ?
Que l’homme doute ou croie,
La mort en fait sa proie,
Le torture et le broie
De sa hideuse main !

Géants que créa l’homme,
Tyr, Babylone et Rome,
Vous avez donc fui comme
Un lumineux éclair !
L’orgueilleux, quoiqu’il fasse,
Ici-bas lorsqu’il passe,

Laisse hélas ! moins de trace
Que l’oiseau qui fend l’air !

Culte, rang, diadème,
Peuples, lois, vertu même,
Il est un jour suprême,
Hélas ! où tout finit ;
Jour où Rome la fière
Courbant sa tête altière,
S’endort dans sa poussière
De marbre et de granit !

Mais il est une flamme
Immortelle, c’est l’âme !
Lorsque Dieu la réclame,
Elle monte, elle va,
Roulant de sphère en sphère,
Dans des flots de lumière,
Vaporeuse et légère
S’unir à Jéhova !