Épîtres, satires, chansons, épigrammes, et autres pièces de vers/2

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ÉPITRE ENFANTINE,[1]


À Mr. H. H…Y, SUR LA CHASSE.


 Allons ! tout est-il prêt, as-tu ce qu’il convient ?
Je suis si bien muni qu’il ne me manque rien.
C’est trop dire, pourtant, car ma vue est si courte,
Qu’à peine de dix pas je puis voir une tourte,[2]
Mais je sais à cela quel remède apporter ;
C’est une longue-vue ; et je vais l’acheter.
L’un sur l’autre, pour lors, n’ayant nul avantage,
On verra qui des deux en fera davantage.
Le gibier dans nos bois commence à se montrer
Vite, point de lenteur, il le faut rencontrer :
La paresse jamais ne valut rien qui vaille.
Je me fais fort d’abattre et la grive et la caille.
Tu peux prendre sur toi de tuer l’étourneau :
Je t’abandonne encor le merle et le perdreau.
Le milan, le vautour, et tout oiseau vorace,
N’ont garde d’espérer que nous leur fassions grâce :

Ce sont des malfaiteurs, des ennemis cruels,
Des êtres abhorrés du reste des mortels :
Le meurtre, le carnage est leur plus grande joie ;
Tout être, s’il est faible, est sûr d’être leur proie,
D’en être dévoré. Le gentil écureuil,
Dans mon sac, en tombant, trouvera son cercueil.
Eh ! pourquoi ? dira-t-on ; il n’est point homicide,
Et vouloir le tuer, c’est être bien perfide.
Non, mais il est voleur, il viole les lois ;
Pour se remplir le ventre, il dérobe nos noix :
Comme tel, il mérite, à mon gré, la torture ;
Nous le ferons passer par une mort moins dure ;
Il aurait expiré sur un honteux gibet ;
Nous l’en délivrerons d’un seul coup de mousquet.
Il pourrait bien se faire, ô tendre bécassine,
Que malgré soi l’on vint enrichir la cuisine.
 Mais ce sera bien pis, dans la chaude saison,
Quand nous verrons venir les tourtes à foison,
En tourbillons épais passer par la campagne,
Et, lasses de voler, gagner notre montagne ;
Dans les marais bourbeux de la Pointe à Ménard,
Comme en un pays sûr séjourner le canard ;
La bécasse roder autour de nos fontaines,
Le lièvre aux pieds légers gambader dans nos plaines ;
Les timides perdrix errer sur nos côteaux,
Les pluviers abonder auprès de nos ruisseaux ;
L’alouette, en un mot, la sarcelle étrangère,
Nous attendre à la file eu bord de la rivière.

 Quant aux petits oiseaux, j’en fais bien peu de cas ;
Les tuer sans raison, la chose ne va pas :
Ayant, de tous côtés, des ennemis à craindre,
Déjà, par leur faiblesse, ils sont assez à plaindre :
Je les trouve d’ailleurs et gentils et mignons ;
Pour tout dire, en un mot, nous les épargnerons.
Mais si la grue à tort voulait entrer en guerre,
Son cou long de deux pieds ne lui servirait guère :
Ses ailes, son grand bec ne la sauveraient pas ;
Un seul coup suffirait pour la jeter à bas ;
Elle verrait alors qu’elle était mal armée ;
Qu’il ne s’agissait pas de combattre un pygmée.
De même le hibou, pour sa grande laideur,
Et parce qu’il n’est bon qu’à donner de la peur,
Recevrait, à coup sûr, au milieu de sa fale,
Ou bien sur sa caboche, une funeste balle :
Le butor, pour son cri propre à nous effrayer,
De la belle façon se verrait foudroyer
La triste poule-d’eau, qui prédit à la terre
L’orage, écraserait sous un coup de tonnerre ;
Et ce lugubre oiseau, qu’on n’entend que de nuit,
Si je l’apercevais, serait bientôt détruit.
Enfin, tout oiseau sale et de mauvais augure
Se verrait, sur-le-champ, déchirer la figure.
 En voilà bien assez, il est temps de finir ;
Ce discours, à la fin, pourrait bien t’endormir.
J’oubliais cependant un être détestable,
Qu’avec grande raison l’on nomme enfant du diable ;

Ah ! si ton mauvais sort, malheureux animal,
Te mettait devant moi, que tu finirais mal !
Oui, je te le proteste, une balle sifflante
Te percerait le front, bête sale et puante.
 Tu n’auras pas de peine à te rendre, je crois ;
Tu chéris pour le moins la chasse autant que moi,
Et d’en être privé ce te serait supplice.
Il n’est point, en effet, de plus noble exercice :
Les plus fameux guerriers, en temps d’inaction,
En firent presque tous leur occupation :
Cette occupation est partout rencontrée ;
Et, sans chercher, courir de contrée en contrée,
Ismaël et Nemrod, ces anciens conquérans,
Furent de grands chasseurs dès leurs très jeunes ans.
Les payens ont jugé que la chasse était telle,
Qu’il n’était pour un dieu de passion plus belle :
Diane, dans les bois, courait après les cerfs ;[3]
Apollon poursuivait les oiseaux dans les airs.





  1. Cette épitre, d’un écolier à un autre écolier plus jeune que lui, mérite-t-elle d’être mise sous les yeux du public ? Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’en décider ; mais si j’y parle à un. enfant comme on doit lui parler, pour en être écouté et goûté, j’ai atteint le seul but que je m’étais proposé.
  2. Le Dictionnaire de l’Académie Française dit tourtre ; mais je trouve dans Richelet, tourte, oiseau, turtur, rimant avec courte, écourte, tourte, pâtisserie, et cette autorité doit être suffisante pour un rimeur.
  3. On prononce comme s’il y avait cers.