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Épîtres de Salluste à César

La bibliothèque libre.
Traduction par Eusèbe de Salverte.
Didot (p. 3-12).


ÉPITRES


DE SALLUSTE

À CÉSAR.





PRÉFACE.





Salluste a écrit l’histoire en homme libre, bien que souvent partial ; mais la noblesse de son caractère ne répondait point à l’élévation de son génie, ni ses actions à l’austérité de son langage.

Au commencement de la guerre civile, il devint la créature et le complice de César. Celui-ci lui rouvrit l’entrée du sénat, d’où ses mauvaises mœurs l’avaient fait exclure ; il le nomma préteur ; et, plus tard, en lui confiant le gouvernement de la Numidie, il lui donna la facilité d’amasser des richesses immenses.

Salluste adressa à son protecteur deux Épîtres sur l’ordre à établir dans la république. Elles durent plaire à César : elles étaient propres à répandre, sur les actes de sa politique, un vernis de justice et de patriotisme.

La date de ces lettres n’est point une chose indifférente à l’intelligence du texte, ni même à l’intelligence de l’histoire. La seconde a suivi la victoire de Pharsale ; je conjecture qu’elle date de l’époque où les débauches, les rapines, les concussions, les violences que se permettait publiquement Antoine en l’absence de César, lui attirèrent, de la part du dictateur, une disgrâce de quelque durée : tant les traits sous lesquels Salluste peint les hommes qui voulaient exploiter, au gré de leurs passions, la victoire de Pharsale, rappellent tout ce que racontent des forfaits d’Antoine, Cicéron et Plutarque.

Bureau de la Malle (Œuvres de Salluste, tome II, p. 413), et M. Durozoir (Œuvres de Salluste, traduction nouvelle, tome II, page 165), pensent que la première épître fut écrite un an environ avant que n’éclatât la rupture de Pompée et de César, et lorsque celui-ci se bornait encore à demander un second consulat. Je ne puis partager leur opinion. Salluste parle avec la conviction qu’il suffira à César de vouloir, pour apporter, dans la constitution de l’Etat, les changements qu’il jugera convenables. Les choses n’en étaient pas arrivées à ce point, lorsque César combattait encore dans les Gaules, malgré la popularité que lui assuraient ses victoires sur les plus redoutables ennemis de Rome : Pompée et l’aristocratie sénatoriale conservaient encore trop de puissance. C’eût été d’ailleurs seconder mal la candidature de César que de le représenter comme prêt à opérer, dans l’exercice du consulat qu’il sollicitait, des réformes que ses antagonistes pouvaient, sans invraisemblance, assimiler à un dangereux bouleversement.

Suivant moi, la première épître fut publiée lorsque César eut pris la détermination de marcher sur Rome, pour rassurer les esprits des citoyens, justement alarmés de l’approche d’un chef qui, en pleine paix, et sans aucune provocation, arborait le drapeau de la guerre civile.

Une différence sensible de ton et d’idées dans les deux épîtres rappelle la différence des prétentions qu’afficha César avant et après la victoire : différence si bien marquée par le désir qu’il témoigna d’abord de s’étayer du crédit de Cicéron, et par la nullité à laquelle il s’efforça ensuite de réduire ce grand homme. Dans la première épître, Salluste provoque une véritable reconstitution de la république : les moyens qu’il indique sont peut-être insidieux, mais l’intention apparente n’est point équivoque. Dans la seconde, quoique César eût fait concevoir aux Romains quelque espérance du rétablissement de la liberté[1], Salluste ne lui propose que des réformes très-compatibles avec l’affermissement de la domination d’un seul[2].

Ce qu’il dit de Sylla, dans la première épître, semble d’autant plus extraordinaire, que César, parent de Marius, et presque proscrit lui-même par le dictateur, ne devait pas être flatté d’entendre affaiblir l’horreur due à ses crimes. Mais il importait davantage de flétrir toute la faction patricienne ; et d’ailleurs, c’était flatter l’homme qui voulait arriver au pouvoir de Sylla, que de faire envisager une telle domination connue moins funeste et moins sanguinaire que celle des sénateurs.

Salluste tient un tout autre langage dans la seconde épître, où, comparant à Sylla, Pompée qui le servit, il cherche à inspirer pour les forfaits de l’un et de l’autre, l’indignation la plus profonde. C’est qu’à cette époque on avait combattu, non pour la patrie, mais pour l’élévation de Pompée ou de César. César était vainqueur ; il fallait rendre odieux Sylla, et surtout Pompée. Rappeler aux Romains ce qu’ils avaient souffert de l’un, ce qu’ils auraient eu à souffrir de l’autre[3], n’était-ce pas leur apprendre à bénir, à adorer la clémence de César victorieux ?

C’est par une suite de la même intention que, de toutes les victimes immolées dans le cours de la première guerre civile, Salluste ne nomme que Domitius, Brutus et Carbon. Ces trois partisans de Mari us avaient péri par l’ordre de Pompée ; et après le passage du Rubicon, le bruit courut que César, parent de Marius, annonçait lui-même qu’il venait venger Cn. Carbon et M. Brutus[4]. Mais le reproche de leur mort est calomnieux, quand Salluste l’adresse à l’universalité des patriciens. Presque tous furent étrangers à ces violences : et dans les derniers temps, ils s’opposaient à l’usurpation de César plutôt qu’ils ne secondaient celle de Pompée. On n’a pas laissé perdre, depuis le temps où Salluste écrivait, cet art de flétrir un grand nombre de personnes, en les enveloppant toutes, sous une dénomination commune, dans une accusation méritée seulement par quelques-unes d’entre elles.

Je ne comprends pas comment Dureau de la Malle a supposé que le passage de la première épître, où sont rappelés ces assassinats, fait allusion au troisième consulat de Pompée et à la censure d’Appius (Œuvres de Salluste, tome II, pages 453 — 454) ; époque à laquelle ne fut assurément point versé le sang de quarante sénateurs. Ce que dit l’auteur sur le même sujet, dans la seconde épître (Domitium, Carbonem, Brutum, item alios, ete.), prouve qu’il n’a pensé qu’aux atrocités que commit Pompée, lorsque, secondant Sylla, il écrasa les derniers restes du parti de Marius, et rivalisa de cruauté avec le dictateur. Ces crimes imprimèrent à son nom une tache durable ; le souvenir en subsista parmi les Romains; Pompée en fit l’épreuve au plus haut point de sa grandeur : pour défendre un accusé, il attaquait l’accusateur ; et reprochant à celui-ci son grand âge, il lui dit qu’il revenait des enfers pour troubler la paix des vivants. « Oui, répliqua le vieillard ; oui, Pompée, je reviens des enfers, et j’y ai vu, encore dégouttants de sang, tous les citoyens se dont tu as été le bourreau, Domitius, Brutus a et Carbon, l’appui, le soutien de ton enfance !…[5] »

Quels que fussent les motifs qui guidaient la plume de Salluste, les conjonctures qu’il a eues en vue, les idées qu’il a développées, et la manière dont elles sont traitées, rendront toujours ses épîtres intéressantes pour le politique, l’historien et le littérateur. On trouve chez d’autres écrivains le détail des révolutions qui renversèrent la grande république : on démêle, dans les épîtres de Salluste, les causes principales de ces révolutions, la manière dont elles s’opérèrent, et le jugement qu’en portait l’un des contemporains les plus éclairés.

On y reconnaît aussi, à la vivacité et à l’énergie des tableaux, le génie et la touche vigoureuse de l’auteur. On y remarque, plus encore que dans ses ouvrages historiques, cette concision qui force de le lire si attentivement. Salluste supprime presque toutes les idées intermédiaires ; en sorte qu’il ne faut pas le perdre un instant de vue, pour saisir le fil des idées principales. Mais aussi Salluste s’adressait à César : le plus profond des écrivains au plus pénétrant des hommes.

Deux commentateurs, Cortius et Carrion, ont mis néanmoins en doute si ces épîtres étaient réellement de Salluste. Le premier, loin d’étayer de preuves son opinion, a fait le travail le plus propre à la renverser. Il a extrait des écrits reconnus pour être de Salluste, les passages nombreux qui établissent une parfaite identité entre le style de ces ouvrages et celui des deux épîtres.

Carrion fonde ses soupçons sur ce qu’aucun grammairien n’a cité les épîtres de Salluste. Ce fait indiquerait tout au plus qu’elles n’eurent qu’une publicité passagère, mais il ne prouve rien contre leur authenticité. Aucun auteur ancien n’a cité les fables de Phèdre ; Sénèque, postérieur à Phèdre, va jusqu’à dire que les écrivains romains ne se sont jamais essayés dans le genre de la fable[6] : personne pourtant ne regarde le recueil de Phèdre comme un ouvrage pseudonyme.

C’est en l’an VI (1797 — 1798) que, pour la première fois, j’ai publié la traduction des Épîtres de Salluste. Je l’avais écrite en entier, lorsque je lus l’imitation assez libre que Debrosses en a insérée dans le IIIe volume de sa République romaine, et la traduction que Beauzée publia en 1775 : les travaux de ces deux savants m’éclairèrent sans me décourager. Plus d’un traducteur est depuis entré dans la lice. Le plus récent et l’un des plus heureux est M. Durozoir, qui m’a fait l’honneur de me citer quelquefois dans ses notes : je me suis cru permis de profiter à mon tour des lumières nouvelles qui s’offraient à moi, pour me rapprocher du but que, comme mes émules, je me suis efforcé d’atteindre.

Nota. J’ai cru devoir m’affranchir de la division du texte en chapitres : elle m’a paru presque toujours arbitraire, et souvent opposée à la liaison des idées et au sens véritable.


ÉPITRES DE SALLUSTE A CÉSAR, SUR L’ORDRE A ÉTABLIR DANS LA REPUBLIQUE

Séparateur


ÉPITRE PREMIÈRE.

Je sais combien il est difficile et périlleux de conseiller un roi, un général, en un mot tout mortel revêtu d’une haute puissance. De tels hommes trouvent assez de gens qui s’empressent de leur donner des avis. Nul d’ailleurs n’est assez habile, assez prévoyant pour pénétrer l’avenir ; souvent enfin, le caprice du sort, qui décide de la plupart des événements, fait plutôt réussir les mauvais conseils que les bons.

Mais, dès ma tendre jeunesse, animé du désir de participer au gouvernement de l’Etat, j’ai pris, pour m’y former, des soins aussi assidus que multipliés. Mon but n’était pas seulement de parvenir aux honneurs, que tant d’autres obtenaient par des voies condamnables ; je voulais encore connaître l’état civil et militaire de la république, et ce qu’elle peut par ses citoyens, ses armes et ses richesses.

Plein des idées que m’a fournies cette étude, j’ai résolu, César, de hasarder tout pour augmenter ta gloire, et de sacrifier au soin de ton élévation toutes les considérations personnelles d’amour-propre et de réputation. Ce n’est point légèrement, ou ébloui par l’éclat de ta fortune, que j’ai conçu ce dessein ; c’est en te voyant, dans les revers, montrer constamment une âme plus grande que dans les succès. De toutes les qualités que tu possèdes, celle-là est la plus éminente à mes yeux. D’autres pourtant sont frappés davantage de voir les hommes se lasser de louer et d’admirer ta magnanimité, plutôt que toi de faire des actions glorieuses.

Rien de si profond, je le sais, ne peut être imaginé, qu’un instant de réflexion ne te présente. Aussi, en t’écrivant ce que je crois le plus avantageux à notre patrie, je n’agis point par une estime exagérée de mes idées et de mon esprit : mais, au milieu des travaux de la guerre et du commandement, au milieu des combats et des victoires, j’ai voulu te rappeler le soin des affaires de la cité. Si tu ne cherchais que les moyens de rendre impuissantes les attaques de tes ennemis, et de conserver la faveur du peuple, que veut te ravir un consul animé contre toi[7] : ces vues étroites seraient peu dignes de ta grande âme. Si , au contraire, tu suis encore ce génie qui, dès tes premiers pas, confondit la faction des nobles, et, du sein d’une pesante servitude, ramena le peuple romain à la liberté ; ce génie qui, dans ta préture, dispersa sans armes tes ennemis armés ; qui, dans la ville et dans les camps, a enfanté tant et de si brillantes actions, que tes adversaires mêmes n’osent se plaindre que de ta grandeur : alors, César, prête quelque attention à ce que je vais te dire sur le destin de la république. Tu y trouveras, je crois, la vérité, ou, du moins, je ne m’en serai que bien peu éloigné.

Puisque aujourd’hui Cn. Pompée, cédant à la perversité de ses sentiments, ou préférant à tout autre intérêt celui de te nuire, s’égare au point de mettre les armes aux mains de nos communs ennemis, tu dois employer, pour raffermir la chose publique, les moyens dont il s’est servi pour l’ébranler. Son principal artifice a été de livrer à un petit nombre de sénateurs la suprême administration des impôts, des dépenses et de la justice, laissant dans une servitude dont les conditions ne sont pas même supportables, le peuple romain, autrefois revêtu de la souveraine puissance. Bien que le pouvoir judiciaire soit, connue par le passé, confié aux trois ordres de l’État, les mêmes factieux dominent encore[8]. Ils accordent ou enlèvent les propriétés, circonviennent l’innocent, élèvent aux dignités leurs seuls partisans. Le crime, l’opprobre, la scélératesse, rien ne leur coûte pour envahir les magistratures ; tout ce qui leur convient, ils le dérobent ou le ravissent. En un mot, comme dans une ville livrée au pillage, ils n’ont de lois que la licence de leurs désirs effrénés. Mon indignation serait moins vive s’ils disposaient à leur gré, au sein de la tyrannie, des fruits d’une victoire remportée par la valeur : mais la domination qu’exercent si insolemment ces hommes si lâches, qui n’ont de vigueur et de courage que dans leurs vains discours, ils la tiennent uniquement du hasard et de notre négligence.

Eh ! quelle sédition ou quelle dissension civile a jamais exterminé tant et de si illustres familles ? Quels hommes se sont jamais montrés si cruels et si immodérés dans la victoire ? L. Sylla, vainqueur, pouvait tout se permettre, par le droit de la guerre : il savait que le supplice de ses ennemis affermirait sa puissance. Cependant, après la mort d’un petit nombre d’hommes, il aima mieux contenir le reste par ses bienfaits que par la terreur. Mais de nos jours, grands dieux, n’avons-nous pas vu, avec Carbon, L. Domitius et tous ceux de leur parti, quarante sénateurs et une foule de jeunes gens, espoir de la patrie, égorgés comme autant de victimes ! Et cependant les plus exécrables des mortels n’ont pu être rassasiés par le sang de tant de citoyens infortunés ; ni les enfants rendus orphelins, ni les parents désolés au terme de leur vie, ni les gémissements des hommes, ni les lamentations des femmes, rien n’a fléchi leurs cœurs farouches, rien n’a tempéré la malfaisance de leurs discours et de leurs actions, rien n’a pu empêcher que, plus cruels chaque jour, ils n’arrachassent aux uns leurs dignités, aux autres leur patrie.

Que dirai-je de toi-même ; toi, dont ces hommes si lâches achèteraient volontiers l’opprobre au prix de leur vie ? La jouissance du pouvoir le plus inespéré leur inspire moins de joie que ton élévation ne leur cause de douleur. Ils aimeraient mieux, pour t’écraser, mettre en péril la liberté de Rome, que de voir ce grand empire élevé par toi au comble de la grandeur. Tu n’en es que plus obligé à préparer, par un mûr examen, les moyens d’affermir et de fortifier la chose publique. Aussi n’hésiterai-je point à t’indiquer ceux que me suggère la réflexion ; ton jugement te fera discerner et approuver ce qui s’y trouvera de vrai et d’utile dans l’exécution.

Conformément aux institutions de nos ancêtres, je considère la cité comme divisée en deux parties : le sénat et le peuple[9]. L’autorité suprême résidait autrefois dans le sénat, et toute la force dans les mains du peuple. Aussi le peuple s’est-il fréquemment séparé du sénat ; et toujours il a étendu ses droits et diminue le pouvoir de la noblesse. Mais ce qui assurait la liberté du peuple, c’est que nulle puissance ne s’élevait au-dessus des lois. Le noble primait sur l’homme obscur, non par l’orgueil ou les richesses, mais par des actions courageuses et une réputation sans tache. Dans son champ ou aux armées, ne manquant jamais d’un honnête nécessaire, le moindre des citoyens suffisait à la patrie et à lui-même. Mais lorsque le pauvre, expulsé peu à peu de son héritage, livré à l’indigence et à l’oisiveté, n’eut plus de demeure assurée, il commença à rechercher le secours des riches, et à rendre vénales sa liberté et la république elle-même. Ainsi s’est insensiblement dissous ce peuple souverain, dominateur des nations ; et à l’empire commun à tous les citoyens, chacun a substitué son propre esclavage.

Une telle multitude adonnée à des professions et à des genres de vie si variés, toute infectée de la dépravation des mœurs, toute composée d’éléments incohérents, me semble à moi-même peu propre à la gestion des affaires publiques. Mais j’espère fortement que, si on l’augmente de nouveaux citoyens, tous ensemble s’éveilleront à la liberté, et au désir, les uns de conserver leurs droits, les autres de terminer leur servitude. Il sera donc à propos d’établir, dans les colonies, un mélange d’anciens citoyens et de nouveaux. Cette mesure accroîtra nos ressources militaires ; et le peuple, occupé de soins utiles, cessera de travailler au malheur public.

Je prévois sans peine combien l’exécution de ce plan excitera de fureurs et d’orages dans le parti des nobles. Ils s’indigneront de voir renverser de fond en comble toutes les institutions, imposer un joug si dur aux anciens citoyens, changer enfin en monarchie un État libre, puisque par le bienfait d’un seul, une multitude nombreuse parviendra au droit de cité. C’est, je le reconnais, un acte coupable de capter la popularité aux dépens de l’intérêt public. Mais il y aurait autant de lâcheté que d’ineptie à ne point travailler au bien général, parce qu’il favorise un intérêt particulier.

M. Livius Drusus, dans son tribunat, eut constamment le dessein de favoriser de tout son pouvoir le parti des nobles ; et dans le début, il ne fit rien que par leur inspiration. Mais ces factieux, moins fidèles à leurs engagements qu’au désir de tromper et de nuire[10], ne purent voir un seul homme accorder à une foule d’autres le plus grand des bienfaits, sans que chacun d’eux, inquiété par la conscience de ses intentions déloyales et perverses, jugeât de Drusus comme de soi-même ; et dans la crainte qu’à la faveur d’un si grand crédit, ce tribun ne s’emparât seul du gouvernement, tous s’unirent pour le combattre, et renversèrent ainsi des projets conçus pour les servir.

Tu dois d’autant plus. César, redoubler de soins et de témoignages de confiance pour t’assurer des partisans et des appuis nombreux. Il est facile à l’homme courageux d’abattre l’ennemi qui l’attaque de front : mais l’homme probe est aussi prêt à tomber dans des embûches, qu’incapable d’en dresser lui-même.

Dès qu’en augmentant le nombre des membres de la cité, tu auras rappelé le peuple à l’exercice de ses droits, tous tes soins doivent tendre à ramener les bonnes mœurs et à cimenter la concorde entre les anciens et les nouveaux citoyens. Mais le plus grand des biens que tu puisses assurer à ta patrie, à tes concitoyens, à toi, à notre postérité, au genre humain, c’est d’éteindre ou d’affaiblir autant qu’il sera possible, la soif des richesses ; autrement les affaires domestiques ou publiques, civiles ou militaires, ne peuvent être bien administrées. Partout où la cupidité règne, la force des lois, les bonnes institutions et l’habileté deviennent impuissantes ; le génie même, tôt ou tard, finit par succomber.

L’histoire nous présente fréquemment des rois, des cités, des nations, perdant, au sein de l’opulence, de grands empires conquis par la vertu et la pauvreté. Rien de moins surprenant. Quand l’homme de bien voit les méchants plus considérés, plus honorés que lui, grâce à leurs richesses, il se trouble d’abord ; des doutes nombreux assiègent sa pensée. Mais lorsque, chaque jour davantage, le faste l’emporte sur l’honneur, et l’opulence sur la vertu, de l’empire de la raison, son âme tombe sous celui des passions. La gloire seule, il le faut avouer, est l’aliment de la vertu ; et celle-ci, sans la gloire, n’offre que difficultés et amertume. Enfin, où les richesses sont en honneur, là sont avilis tous les biens véritables, la bonne foi, la probité, la pudeur, l’innocence ; car la voie de la vertu est une et pénible ; chacun, au contraire, choisit la route qu’il lui plaît pour arriver aux richesses ; on les obtient par de bonnes et par de mauvaises actions.

Il faut donc, avant tout, ôter leur crédit aux richesses. Que nul ne soit, selon sa fortune, jugé plus ou moins digne de prononcer sur l’honneur ou la vie d’un citoyen ; que la préture et le consulat soient accordés au mérite, et non à l’opulence.

Sur ces magistrats, le peuple porte facilement un jugement éclairé. Quant aux juges, si la nomination appartient à un petit nombre d’hommes, c’est despotisme ; les choisir d’après leur richesse, c’est infamie. Que tous les citoyens de la première classe composent les tribunaux : mais qu’ils y siègent en plus grand nombre qu’aujourd’hui. Les Rhodiens et bien d’autres cités n’ont eu jamais à se repentir de la composition de leurs tribunaux, où les pauvres et les riches, indifféremment, suivant que le sort appelle chacun d’eux, décident des plus grands et des moindres intérêts.

C. Gracchus, dans son tribunat, porta, sur l’élection des magistrats, une loi d’après laquelle les centuries des cinq classes y devaient être appelées sans distinction, par la voie du sort. Je l’approuve, et non pas sans raison : les dignités et les richesses ne troublant plus l’égalité, les citoyens s’empresseront de se surpasser l’un l’autre par la vertu.

Je[11] ne propose point de remèdes plus violents contre l’influence des richesses : car, aussi bien que toute autre chose, on ne les estime et on ne les recherche que pour leur usage. La perversité s’entretient par les avantages qu’on en recueille : qu’ils cessent, nul homme n’est gratuitement méchant.

Sans doute l’avarice, monstre farouche et dévorant, ne doit être tolérée nulle part : où elle porte ses pas, elle ravage les cités et les campagnes, les temples et les maisons ; elle confond toutes les choses divines et humaines. Ni armées ni remparts ne peuvent l’empêcher de s’introduire avec violence, d’arracher à tous les hommes leur réputation, leur pudeur, leurs enfants, leur patrie et leurs pères. Cependant, si l’argent cesse d’être honoré, cette grande puissance de l’avarice sera facilement réprimée par les bonnes mœurs. Justes ou pervers, tous les hommes l’avoueront ; et pourtant, sur ce point, tu auras grandement à combattre la faction des nobles : mais si tu sais te garder de leurs artifices, tout le reste te sera facile.

Si de tels hommes, en effet, possédaient encore quelques vertus, les bons citoyens seraient l’objet de leur émulation et non de leur envie. Mais, plongés dans l’indolence, la lâcheté, l’insensibilité, l’apathie, ils murmurent, ils calomnient, ils regardent la bonne renommée d’autrui comme leur déshonneur personnel. Mais pourquoi parler d’eux plus longtemps comme d’êtres inconnus ? Le courage et la force d’âme de M. Bibulus ont éclaté dans son consulat. Avec une langue embarrassée, et plus de perversité que de finesse dans l’esprit, qu’osera tenter cet homme, pour qui le consulat, le comble des honneurs, est devenu le comble de l’opprobre ? Est-il bien à craindre, ce L. Domitius dont tous les membres sont souillés de crimes ou d’infamies ? Ses mains sont ensanglantées, ses pieds fuyards, sa langue mensongère ; et plus déshonnête encore, ce qu’on ne peut honnêtement nommer.

Dans le seul M. Caton , je ne puis mépriser un esprit fin, adroit, facile dans ses discours : ce sont là des fruits de l’enseignement des Grecs[12]. Mais les Grecs n’enseignent pas l’habitude du travail, de la vigilance, de la vertu. D’un peuple qui, par sa lâcheté, a perdu son indépendance, peut-on recevoir des leçons bien sûres pour conserver l’empire ?

Le reste de la faction est composé des nobles les plus incapables, véritables statues qui n’ont de valeur que par les noms qui les distinguent. Je compare L. Posthumius et M. Favonius aux bagages superflus que porte un grand navire : arrive-t-on à bon port, on en tire parti ; au premier danger, c’est ce que de préférence on jette à la mer, comme ce qu’il y a de moins précieux.

Après avoir exposé les moyens de régénérer et de réformer le peuple, je dirai ce que tu dois, je pense, statuer à l’égard du sénat.

Lorsqu’avec l’âge mon âme se développa, je m’occupai peu d’exercer mon corps aux armes et à l’équitation ; mais j’appliquai mon esprit à la culture des lettres, fortifiant par le travail ce que la nature avait doué en moi de plus de vigueur. Livré à ce genre de vie, lisant et écoutant beaucoup, je me suis convaincu que les royaumes, les cités, les nations, ont vu constamment prospérer leur empire, tant que les véritables principes ont prévalu dans leurs conseils. Mais dès que ces principes ont été rendus impuissants par la faveur, la crainte, l’amour des voluptés, les peuples ont vu diminuer leurs forces ; la prépondérance politique leur a échappé ; ils sont enfin tombés dans la servitude.

Je suis également convaincu que, pour quiconque occupe dans sa patrie une place plus brillante et plus élevée que ses concitoyens, l’intérêt privé se lie intimement à l’intérêt public. Le salut de la cité n’assure aux autres que leur liberté personnelle. Il n’en est pas ainsi des hommes qui, par leur mérite, ont acquis des richesses, des dignités, de l’illustration. A peine se manifeste-t-il de l’agitation au sein de la république ébranlée, ils sont assiégés de soucis, accablés de travaux : il faut défendre ses biens, sa gloire, sa liberté ; il faut se porter partout, être partout le premier ; et plus, aux jours de la prospérité, la situation était florissante, plus, dans l’adversité, l’existence est inquiète et tourmentée.

Lors donc que le peuple, obéissant au sénat comme le corps à l’âme, n’agit que par ses impulsions, le sénat doit tirer sa force de sa sagesse, et la défiance devient inutile au peuple. C’est ainsi que nos ancêtres, pressés par les guerres les plus rudes, ayant perdu leurs trésors, leurs chevaux, leurs soldats, ne se lassèrent jamais de défendre leur empire les armes à la main : ni le dénûment du trésor public, ni la supériorité des ennemis, ni les revers ne purent contraindre ces grandes âmes à ne point retenir jusqu’au dernier souffle de la vie, ce qu’avait conquis leur courage. Ils y ont réussi, plus encore par des résolutions magnanimes que par des victoires. C’est que, pour eux, la chose publique était une ; tous s’en occupaient, on ne formait des ligues que contre l’ennemi. Chacun exerçait son esprit et son corps, non pour accroître son influence personnelle, mais pour se rendre utile à la patrie.

De nos jours, au contraire, des nobles plongés dans la mollesse et la lâcheté ; ne connaissant ni le travail, ni les camps, ni l’ennemi ; nourris aux factions au sein de leurs familles, commandent avec arrogance à toutes les nations. Le sénat, dont la sagesse affermissait jadis la république chancelante, maintenant opprimé, flotte çà et là au gré de quelques passions particulières, décide tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, et ne voit le bien ou le mal public que là où le placent les démêlés ou l’orgueil des dominateurs.

Si les sénateurs jouissaient tous d’une égale indépendance, ou si les votes avaient moins de publicité, l’intérêt de l’État aurait plus de force, et la noblesse moins d’influence. Mais il est difficile d’assurer à tous un crédit égal : les uns tiennent de la vertu de leurs ancêtres un nom glorieux, des dignités et des clientèles nombreuses ; la plupart des autres semblent étrangers au sénat où on les a transplantés[13]. Que leurs avis soient affranchis de toute crainte : assuré du secret, chacun préférera ses droits à l’élévation d’autrui. La liberté est également désirable aux bons et aux méchants, aux braves et aux lâches : mais la plupart des hommes y renoncent par crainte, les insensés ! et immobiles, ils acceptent comme vaincus, ce que le sort du combat tient encore en balance.

Deux choses, par conséquent, peuvent rendre de la force au sénat : augmenter le nombre de ses membres, et les faire voter au scrutin. Le secret du scrutin donnera à chacun plus de courage pour voter librement ; et un grand nombre d’hommes offre plus d’appuis et plus de ressources. Car nous avons vu, dans ces derniers temps, la plupart des sénateurs occupés, les uns dans les tribunaux, les autres au soin de leurs propres affaires et de celles de leurs amis, négliger absolument celles de la république, ou en être écartés, moins par leurs occupations que par la volonté de quelques hommes superbes. Ce sont les nobles qui, avec un petit nombre de sénateurs dont ils grossissent leur faction, usurpent le droit d’approuver, de condamner, de décider tout suivant leurs fantaisies. Mais lorsque le sénat plus nombreux votera par scrutin, ces hommes abaisseront leur orgueil, contraints d’obéir à ceux qu’ils tyrannisaient avec tant d’arrogance.

La lecture de ce projet te fera désirer peut-être de connaître mon avis sur le nombre des membres à admettre dans le sénat, sur le mode dans lequel seront réparties entre eux les fonctions nombreuses et variées de leurs charges, et si l’on confie, connue je le propose, les jugements à la première classe, sur la distinction des diverses espèces d’affaires, et sur le nombre de juges qu’il faut attribuer à chacune. Il m’eût été facile d’entrer dans ces détails ; mais j’ai cru plus nécessaire de discuter la base même du projet et de t’en montrer la solidité. Une fois entré dans cette voie, les détails d’exécution ne t’offriront plus de difficultés.

Je puis souhaiter que mes conseils soient sages et vraiment utiles, puisque, de tes succès, il me doit revenir de l’honneur : mais je suis plus encore entraîné par le besoin de voir, au plus tôt et de quelque manière que ce soit, la république secourue. La liberté m’est plus chère que la gloire : je te supplie, je t’adjure, toi, le plus grand de nos généraux, le vainqueur des Gaulois, ne souffre pas que l’empire souverain, invaincu, du peuple romain, soit dissous par la vétusté et déchiré par les fureurs de la discorde.

Si ce désastre nous est réservé, ô César ! tourmenté par des songes sinistres, égaré, furieux, jeté sans cesse hors de toi-même, n’espère point que le jour ou la nuit apaise un moment le trouble de ton âme. Car je regarde comme certain que la divinité a les yeux ouverts sur la vie de chaque mortel ; qu’aucune action, bonne ou mauvaise, n’est perdue ; que, par la force même des choses, un prix différent est assuré au bon et au méchant. Ce prix peut quelquefois être tardif : mais la conscience indique à chacun ce qu’il en doit attendre.

Ah ! si la patrie, si nos pères pouvaient se faire entendre à toi, ne te diraient-ils point : « César ! nous, les plus braves des hommes, nous t’avons donné la vie dans cette excellente cité, pour être sa gloire, son appui, et la terreur de ses ennemis. Tout ce que nos travaux et nos périls sans nombre nous ont acquis, tu l’as reçu de nous avec le jour : une patrie la plus puissante qui soit dans l’univers, une origine et une famille très-illustre dans ta patrie et aussi une louable instruction et des richesses pures ; enfin tout ce que la guerre offre d’honneurs et la paix de dignités. Pour prix de bienfaits si grands, ce n’est point un crime, ce n’est point une action honteuse que nous te demandons, c’est le rétablissement de la liberté renversée. Accomplis cette œuvre, et la renommée de tes vertus volera parmi toutes les nations. Quelque brillantes, jusqu’à ce jour, qu’aient été tes actions comme guerrier et comme citoyen, cette gloire, toutefois, t’est commune avec d’autres grands hommes. Mais si tu relèves, sur le penchant de sa chute, cette cité dont le renom est si étendu, la puissance si auguste, quel mortel dans l’univers sera plus grand, plus illustre que toi[14] ? Si, au contraire, cet empire était détruit par ses vices ou par le destin, peut-on douter qu’à l’instant ne se répandissent sur toute la terre, les guerres, les massacres, la désolation ? Suis le noble désir de te montrer reconnaissant envers ta patrie et tes aïeux : et le rétablissement de la république t’assurera, dans la postérité, une gloire au-dessus de celle de tous les autres hommes ; et la mort seule pourra ajouter à l’éclat de ta vie. Tant que l’homme respire, la fortune l’attaque quelquefois, et plus souvent l’envie : dès que le héros a cessé d’être, ses détracteurs se taisent ; et chaque jour élève plus haut sa renommée. »

Pour moi, César, j’ai rédigé aussi brièvement que je l’ai pu, ce que j’ai cru praticable et utile à tes intérêts. Quelque parti que tu prennes, je supplie les dieux immortels de faire que l’issue en soit prospère à toi et à la république.





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ÉPITRE DEUXIÉME.

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Le peuple romain put croire autrefois que le hasard dispensait les royaumes[15], les empires et tout ce que désirent les avides mortels : d’autant plus que ces biens semblaient souvent, comme par caprice, distribues aux hommes les moins dignes ; et que nul n’avait pu les conserver sans mélange. Mais l’événement a démontré ce que dit Appius dans ses poésies, que chacun est l’artisan de sa fortune. Tu en es surtout la preuve, ô César ; toi qui as surpassé de si loin les autres hommes, qu’ils se lassent plutôt de louer tes actions que toi de faire des actions dignes de louange.

Mais les biens conquis par le courage, non moins que les ouvrages de l’industrie, exigent, pour être conservés, une grande activité : l’incurie les dégrade, ils s’écroulent faute d’appuis. Nul, en effet, ne cède volontairement l’empire à un autre : et quelles que soient les vertus et la clémence de celui qui exerce le pouvoir suprême, on le craint toutefois, parce qu’il peut, s’il le veut, être méchant. Cela vient de ce que le plus souvent les hommes investis de ce pouvoir suivent des principes pervers, et mesurent leur sûreté à la corruption de ceux qu’ils dominent.

Mais toi qui joins la bonté à l’énergie, il est de ta gloire de faire tout pour commander aux hommes les meilleurs ; car plus l’homme est méchant, moins il supporte patiemment qu’on le gouverne. Mais il t’est moins facile qu’à aucun autre avant toi, de constituer l’État que t’a soumis la victoire. Par toi, la guerre a été moins cruelle que ne l’était la paix sous tes adversaires : aujourd’hui les vainqueurs demandent leur proie ; les vaincus sont tes concitoyens : gouvernant à travers ces écueils, tu dois affermir à jamais la république, non-seulement par les armes et contre les attaques extérieures, mais, ce qui est plus grand et plus difficile, par la sagesse d’institutions pacifiques. Ainsi la conjoncture appelle tous les citoyens, quelle que soit la mesure de leurs lumières, à énoncer l’avis qu’ils estiment le meilleur.

Je pense, quant à moi, que la manière dont tu useras de la victoire décidera de tout le reste. Souffre donc que je t’expose en peu de mots mon opinion sur le parti le plus facile et le plus sûr que tu puisses prendre.

Tu as combattu un homme illustre, comblé de richesses, avide de pouvoir, plus grand par sa fortune que par son habileté. De ceux qui l’ont suivi, un petit nombre, par les injures qu’ils t’avaient faites, s’étaient rendus tes ennemis[16]. D’autres furent entraînes par des liaisons de parenté, ou par quelque attachement personnel ; car personne ne partageait sa puissance ; et s’il avait pu souffrir un égal, la guerre n’eût point ébranlé l’univers. Quant au reste, tourbe cédant à l’habitude plus qu’au discernement, chacun a suivi, comme le plus sensé, celui qui marchait devant lui.

A la même époque, induits par des bruits calomnieux à espérer qu’ils envahiraient la chose publique, des hommes tout souillés de débauches et d’opprobres, venaient en foule grossir ton armée, et menaçaient ouvertement le citoyen paisible de la mort, du pillage, en un mot de toutes les violences que leur inspirait un cœur corrompu. La plupart d’entre eux t’ont depuis abandonné, voyant que tu ne voulais ni prononcer l’abolition des dettes, ni traiter les citoyens en ennemis. Quelques-uns demeurèrent dans ton camp ; ils y devaient trouver plus de tranquillité qu’à Rome, où s’apprêtaient à fondre sur eux tant de créanciers.

Mais il est impossible de dire et quels citoyens, et combien, par un motif semblable, se retirèrent ensuite vers Pompée ; et tout le temps de la guerre, restèrent près de lui, comme dans un asile sacré, inviolable, ouvert à tous les débiteurs.

Victorieux aujourd’hui, tu dois t’occuper de la guerre et de la paix ; terminer l’une en bon citoyen, rendre l’autre aussi juste que solide : fixe-toi donc d’abord sur le meilleur principe qui puisse diriger ta conduite personnelle. La puissance exercée avec barbarie est toujours, je crois, plus terrible que durable. Nul ne peut être redoutable à un grand nombre d’hommes, qui ne doive à son tour en redouter un grand nombre. La vie devient une guerre interminable et toujours indécise : ne se sentant hors d’atteinte ni de front, ni par derrière, ni autour de soi, on n’est jamais exempt d’effroi ou de péril. A ceux qui, au contraire, ont tempéré le pouvoir par la bonté et la clémence, tout a semblé favorable et prospère : ils ont trouvé plus d’équité dans leurs ennemis que d’autres dans leurs concitoyens.

Quelques hommes m’accuseront-ils de frapper de stérilité ta victoire, et de me montrer trop favorable aux vaincus, parce qu’au lieu de venger, suivant la coutume des barbares, le sang par le sang, le massacre par le massacre, je propose d’accorder à nos concitoyens, ce qu’ont souvent obtenu de nous et de nos ancêtres, des peuples étrangers, nos ennemis naturels ? Quoi ! a-t-on oublié les reproches qui, peu avant la guerre, flétrissaient et Pompée, et le triomphe de Sylla ? A-t-on oublié Domitius, Carbon, Brutus, et tant d’autres Romains, égorgés, non dans le combat, les armes à la main, et par le droit de la guerre, mais, ô comble de crimes, désarmés et suppliants ! A-t-on oublié le peuple romain, parqué dans un édifice public[17], et mis en pièces, comme un vil troupeau ? Hélas ! combien les assassinats secrets, le meurtre des citoyens soudainement immolés dans les bras de leurs fils ou de leurs pères, la fuite des femmes et des enfants, le pillage des maisons, combien tout, eu un mot, était cruel et atroce avant ta victoire !

Et ce sont de telles horreurs que ces mêmes hommes t’invitent à renouveler ! Ainsi, nous n’aurions combattu que pour décider qui de César ou de Pompée pourrait à son gré commettre l’injustice ! la république n’aurait pas été recouvrée, mais envahie par toi ! les plus aguerries, les plus vaillantes de nos troupes, au terme de leurs travaux, auraient pris les armes contre leurs frères, leurs pères et leurs enfants, afin seulement que les plus vils des mortels trouvassent, dans les maux de leurs concitoyens, de quoi alimenter leur voracité et leur insatiable débauche, et couvrissent la victoire d’un tel opprobre, que la honte de leurs vices ternît la gloire des braves ! Car tu n’as sûrement point oublié de quelle manière et avec quelle retenue vivait chacun d’eux, quand la victoire était encore incertaine ; comment, au milieu des soins que la guerre réclamait, on voyait s’abandonner à des orgies ou à des prostituées, des hommes dont la vieillesse, dans le loisir même de la paix, n’eût pu, sans quelque opprobre, accorder un moment à la volupté.

Je n’en dirai pas davantage au sujet de la guerre.

Ton but et celui de tous les tiens étant d’affermir la paix, considère avant tout la nature de ce que tu te proposes, afin que, distinguant les inconvénients et les avantages, tu arrives sans obstacle à la vérité. Voici mon opinion : Puisque tout ce qui a commencé doit finir, à l’époque que le destin aura marquée pour la ruine de Rome, nos citoyens combattront les uns contre les autres ; et, épuisés ainsi de forces et de sang, ils deviendront la proie d’un despote ou d une nation étrangère. Autrement, ni l’univers, ni tous les peuples conjurés ne peuvent abattre ou ébranler cet empire. Il faut, en conséquence, rendre durables les avantages de la concorde, et prévenir les maux que les dissensions enfantent.

Tu y parviendras, si tu réprimes la licence des profusions et des rapines ; non en rappelant les institutions anciennes, rendues dès longtemps ridicules par la corruption des mœurs, mais en mettant chaque citoyen dans l’impossibilité de dépenser au delà de ce qu’il possède.

Aujourd’hui, grâce à l’usage, les jeunes gens croient se faire honneur en dévorant à la fois et leurs biens et ceux d’autrui, en ne refusant rien à leurs passions et à l’avidité de ceux qui les entourent. Voilà où ils placent la vertu et la grandeur d’âme ; et la modération et la retenue ne leur semblent plus que bassesse. Aussi ces esprits bouillants, égarés dans une voie perverse, dès que les ressources ordinaires ne leur suffisent plus, s’élancent avec avidité, tantôt sur les citoyens, tantôt sur les alliés, renversent l’ordre établi, et, au milieu du trouble, renouvellent leurs richesses[18].

Il faut donc proscrire désormais les prêteurs et l’usure, afin que chacun ne s’enrichisse que par le soin de ses propres affaires. Grâce à ce moyen simple, mais efficace, on verra le magistrat exercer ses fonctions pour l’intérêt du peuple, et non d’un créancier, et mettre son honneur à accroître la richesse de l’État et non à s’enrichir de ses pertes[19].

Je sais combien cela présentera d’abord de difficultés, surtout de la part de ceux qui, dans la victoire, espéraient trouver plus de liberté et de licence, et non des lois répressives. Mais en travaillant à sauver ces mêmes hommes, plutôt qu’à flatter leurs passions, tu peux assurer une paix solide à eux, à nous, à nos alliés. Si, au contraire, notre jeunesse conserve les mêmes goûts et les mêmes mœurs, ta réputation, quelque brillante qu’elle soit, s’écroulera bientôt avec la république.

L’homme sage ne fait la guerre que pour avoir la paix, ne supporte le travail que dans l’espoir du repos. Si tu ne rends la paix inébranlable, qu’importe d’avoir été vainqueurs ou vaincus. Au nom des dieux, César, prends soin de la république, et surmonte toutes les difficultés avec ta vigueur accoutumée. Tu peux remédier à nos maux , ou personne ne doit l’entreprendre. Nous ne te demandons point des condamnations sévères, des supplices cruels, qui dévastent la cité plutôt qu’ils ne la corrigent : nous te conjurons d’arracher la jeunesse à des goûts dépravés, à des occupations pernicieuses[20]. La véritable clémence consiste à empêcher que les citoyens ne s’exposent témérairement à l’exil ; à les écarter du dérèglement et des plaisirs trompeurs ; à rendre stables la paix et la concorde ; et non pas à condescendre aux actions honteuses, à tolérer les crimes, à laisser acheter la satisfaction du moment au prix d’un désastre prochain.

Mon esprit se rassure, je l’avoue, par cela même qui effraye les autres, par la grandeur de la tâche qui t’est imposée, et parce que ton génie, trop sublime pour descendre à de minces détails, doit tout régler à la fois, et sur la terre et sur les mers : d’une si vaste entreprise, le prix sera immense.

Corrompu jusqu’ici par les largesses et les distributions de blé, que le peuple se livre désormais à des occupations qui l’empêchent de travailler à la ruine de l’État ; qu’aux richesses et aux profusions, la jeunesse préfère l’exercice de la vertu et des talents : voilà le but que tu dois atteindre ; et tu y parviendras, si la plus forte cause de la ruine de tous, l’or, perd le prix et l’estime qui y sont attachés.

Ayant souvent recherché par quelles voies sont arrivés à la gloire les hommes les plus illustres, quel principe a, par la bravoure des héros, agrandi les peuples et les nations, quelles causes enfin ont entraîné la chute des royaumes et des empires les plus vastes, j’ai retrouvé constamment les mêmes maux et les mêmes biens, l’amour des richesses chez les vaincus, et leur mépris chez les vainqueurs. J’ai vu que l’homme, pour s’élever, et quoique mortel, approcher des dieux, doit négliger l’opulence et les plaisirs du corps, ne s’occuper que de son esprit, non pour lui faire goûter une satisfaction pernicieuse en caressant ses passions et obéissant à ses désirs, mais pour le former au travail, à la patience, aux instructions saines, aux actions courageuses. Car élever un palais ou une maison de campagne, l’orner de statues, de tapis et de mille autres décorations, faire que, chez soi, tout soit à voir plutôt que soi-même, c’est déshonorer la richesse, et non s’en faire honneur.

Quant à ces hommes accoutumés à se gorger de nourriture deux fois par jour, et à ne trouver le sommeil que dans les bras d’une concubine, lorsqu’ils ont avili dans l’esclavage des sens leur âme faite pour commander, vainement ensuite veulent-ils mettre en œuvre leur esprit émoussé et rétréci : leur impuissance précipite la ruine des affaires et leur propre ruine.

Ces maux, ainsi que tous les autres, s’évanouiront, je le répète, avec le culte des richesses, dès que cesseront d’être vénales les magistratures et toutes les choses communément désirées.

Il faut ensuite rétablir la sûreté publique en Italie et dans les provinces. Le moyen n’en est pas difficile, puisque ce sont encore ces mêmes hommes qui dévastent tout, et abandonnent leur héritage pour s’emparer avec violence de l’héritage d’autrui.

La milice ne doit plus être réglée avec une inégalité et une injustice telles que les uns fassent trente campagnes, et que les autres n’en fassent pas une seule. Il convient aussi que les distributions de blé, qui étaient devenues le prix de la fainéantise, soient réparties exclusivement, dans les municipes et les colonies, aux citoyens qui rentreront dans leurs foyers après avoir servi le temps de leur engagement.

J’ai exposé succinctement ce qui me semble profitable à la république et à ta gloire. Je crois également à propos de dire quelques mots sur la tâche que je me suis imposée. La plupart des hommes ont ou paraissent avoir assez de sens pour porter des jugements sains. Mais s’il s’agit de reprendre les actions ou les paroles d’autrui, il n’en est point qui ne se passionne ; la bouche semble trop lente à s’ouvrir, la langue trop peu active pour exprimer tout ce que l’on pense. Je ne me repens pas, néanmoins, de m’être exposé à de telles censures ; je regretterais bien plus d’avoir gardé le silence. Car, soit que tu suives cette voie ou toute autre meilleure, j’aurai parlé, j’aurai agi pour la chose publique, suivant mes facultés. Il ne me reste qu’à faire des vœux pour que les dieux immortels, quelles que soient tes résolutions, les approuvent et les couronnent d’un heureux succès.



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  1. Cicer. Epist. ad famil., lib. XIII, epist. 68.
  2. Nous remarquerons que, vers la même époque, Cicéron, pressé par Atticus de composer un ouvrage qu’il pût adresser à César, choisit un sujet analogue à celui qui avait occupé Salluste. Les amis de César, à qui il communiqua sa lettre, trouvèrent qu’il y régnait un trop grand esprit de liberté. Cicéron, qui s’accusait d’un excès contraire, la supprima. (Cicer. ad Attic., XII, 51 ; XIII, 27, 28, 31.)
  3. « Pompée brûle d’imiter Sylla. Ila Sullativit animus ejus, » écrivait Cicéron à Atticus (Epist. lib. IX, Epist. 10).
  4. « Atqui eum loqui quidam narrabant, Cn. Carbonis et M. Bruti poenas se persequi. » Cicer. Epist. ad Atticum, lib. IX, Epist. 14.
  5. Valer. Maxim., lib. VI, cap. 2, Ex. 2. — J’ai dû abréger cette réponse qui, dans le texte latin, est beaucoup plus étendue.
  6. « Fabellas quoque et AEsopeos logos, intentatum romanus ingeniis opus, etc. » (De consolat. ad Polyb., cap. 27.) L’authenticité de cet ouvrage est contestée.
  7. Lentulus et Marcellus, consuls de l’année à laquelle je rapporte la date de cette épitre, étaient tous deux ennemis de César, et par leur violence ne contribuèrent pas peu à précipiter la guerre civile, et à donner une apparence de justice aux plaintes de l’agresseur.
  8. « D’avoir, par des lois qui ne sont pas même d’accord, laissé dans la servitude, etc. » Beauzée. — « Non content de jeter le peuple dans l’esclavage, il a voulu l’y enchaîner par des lois. » Debrosses. — « Il l’a laissé dans la servitude, sans lui conserver même l’égalité devant la loi. » Dureau de la Malle. — Sylla avait détruit le tribunat et conféré au sénat seul le droit de juger. Pompée se rendit populaire en révoquant l’une et l’autre de ces dispositions qui imposaient au peuple une véritable servitude. Mais l’ascendant des nobles les rendait, dit Salluste, aussi puissants que jamais : la servitude du peuple subsistait donc de fait, et ne acquis quidem legibus, et les conditions n’en étaient pas même supportables.
  9. Cette expression d’une opinion susceptible de doute (arbitror), cet appel à la tradition ancienne (sicut a majoribus accepi), forment un sens bien puéril, s’il ne s’agit que de la division de fait, du peuple et du sénat. Salluste parle donc ici de la division de souveraineté qui formait deux corps politiques du sénat et du peuple : division contestée tour à tour par l’un et l’autre parti, depuis les troubles suscités par les Gracques. J’espère donner ailleurs un développement plus étendu à cette vérité politique.
  10. Le sens nécessaire du mot cariora décide le sens de la phrase, et prouve que fides ne désigne point ici la bonne loi en général ; mais la fidélité que les gens d’un même parti se doivent les uns aux autres. Nous voyons dans un des paragraphes suivants le même mot pris dans le sens de majore curà fideque.
  11. Au lieu de haec je lis haud que l’on trouve dans quelques éditions, ou nec, comme on lit dans des éditions antérieures à celle de S. Havercamp ; cela ne change rien au fond des idées, et parait mieux approprié au dessein que Salluste indique d’écarter toute proposition de mesures violentes contre les riches.
  12. Dans ce portrait de Caton, une partialité odieuse ne peut flétrir entièrement le plus vertueux des hommes. Salluste est forcé de rendre justice à sa prudence et à son éloquence. Les qualités qu’il lui refuse, le courage, la vigilance, l’habitude du travail, appartenaient si éminemment à Caton, qu’une telle imputation ne déshonore que son auteur.

    À cette image mensongère, opposez le parallèle de César et de Caton, tracé par la même main (Catilin. 54), et que termine ce trait profond, plus honorable qu’un long panégyrique : « Il aimait mieux être vertueux que de le paraître. »

  13. La plupart des éditions portent inscia, étrangère aux affaires. Ce sens peut être adopté. L’ignorance des affaires, chez un grand nombre de sénateurs, donnait sur eux une dangereuse prépondérance à ceux qui en possédaient la connaissance ou étaient censés la posséder, grâce au temps depuis lequel leurs familles occupaient des places élevées dans l’État. J’adopte néanmoins, avec Dureau de la Malle et M. Durozoir, la leçon plus énergique donnée par Carrion : multitudo insititia, littéralement, (une multitude entrée récemment dans le sénat). Elle entraîne à la fois l’idée d’inexpérience et celle de défaut de crédit et de considération. C’en était assez pour que les nouveaux sénateurs n’osassent pas contrarier leurs puissants collègues ; aussi Salluste ajoute-t-il qu’il les faut affranchir de toute crainte en les faisant voter au scrutin secret.

    Observons que, suivant Dion Cassius, Mécène donna le même conseil à Auguste. Rien, en effet, ne semble plus propre à affranchir de la honte et de la crainte les hommes faibles dont ces motifs pourraient influencer le vote. En 1792-1794, les Jacobins voulaient proscrire l’usage des scrutins ; aujourd’hui les Radicaux anglais le réclament dans les élections, certains qu’elles en deviendraient beaucoup plus libres. Dans les délibérations de nos législatures, le scrutin a servi quelquefois la cause de la liberté et de la justice, et quelquefois la cause contraire. Voilà donc une de ces questions politiques que l’on ne peut trancher d’une manière absolue. Dans le même pays, dans le même temps, pour les mêmes hommes, sous l’empire des mêmes mœurs, l’opportunité varie suivant la nature de la question, le plus ou moins de force de l’opinion publique, l’habileté ou la puissance des adversaires que cette opinion doit combattre.

  14. J’ai tâché, dans ma traduction, de faire sentir l’intention de Salluste. Il veut, je crois, placer César, restaurateur de la république, au-dessus de tous les héros passés, quoique la mort ait mis le sceau à leur gloire. Ce sera, dit-il, César seul dont la mort pourra élever la gloire au-dessus de celle de César vivant.
  15. Je suis ici la leçon donnée par les anciennes éditions. Des éditions postérieures, les unes suppriment les mots populus romanus, ce qui altère peu le sens ; les autres omettent les mots pro vero. Il faudrait dans ce dernier cas traduire. ainsi : « Le peuple romain dispensait autrefois, etc. » Mais ce sens se lie avec tout ce qui suit.
  16. « Qui, pour leur malheur étaient tes ennemis. » (Beauzée.) Tous les ennemis de César le furent pour leur malheur. « Quelques-uns furent entraînés par des ressentiments personnels contre toi. » (Dureau de la Malle). Je n’admets pas que Salluste reproche ici à son protecteur de s’être attiré des ennemis par des torts personnels. Per suam injuriam doit signifier ici l’injustice qu’on a faite et non celle qu’on a soufferte. Salluste sert bien son protecteur, lorsqu’il accuse les partisans de Pompée de n’avoir pris les armes que parce qu’ils craignaient le ressentiment de César, dès longtemps offensé par eux. Debrosses traduit en ce sens : « Qui se déclarèrent contre vous, parce qu’ils vous avaient offensé. »
  17. « In villâ publicâ, dans la métairie publique. » (Beauzée) « Entassés dans un parc (Debrosses). » Le massacre de six mille Romains que Salluste rappelle ici, eut lieu, par ordre de Sylla, dans l’hippodrome, proche du temple de Bellone, où le sénat était assemblé au même moment.
  18. « Faire de nouvelles acquisitions aux dépens des anciennes. » (Beauzée) … Chercher de vieux moyens pour acquérir de nouveaux biens. » (Debrosses.) Je ne comprends pas ces deux versions. « Ils sacrifient la fortune de l’État pour relever la leur. » (Dureau de la Malle.) Veteribus ne peut être traduit par la fortune de l’état. Je crois avec Wasse que le texte est altéré. Le sens de l’auteur est peut-être, qu’après s’être ruinés par le désordre et la profusion, les nobles emploient les débris de leur ancienne fortune, et les emprunts que leur procure encore le crédit attaché à leur nom, pour acheter des suffrages, et parvenir à des magistratures où, par le brigandage et la concussion, ils renouvellent leurs richesses.
  19. Beauzée ne sépare via est de magistratum que par une virgule, et fait dire à l’auteur que le moyen de réprimer l’excès des dépenses, est d’amener le magistrat à ne plus gérer ses fonctions pour ses créanciers, mais pour le peuple. Mais Salluste attribue les maux de la république à un amour effréné du luxe, et surtout à l’usure qui, fournissant au prodigue des ressources perfides, le plonge dans un tel abîme qu’il n’en peut plus sortir que par le renversement des lois et de l’État. Or, un règlement somptuaire et la répression de l’usure peuvent être l’objet de lois positives, et non pas l’intégrité des magistrats, qui doit résulter, au contraire, de l’efficacité de ces lois.
  20. Il ne s’agit plus ici d’exils arbitraires, ni d’abus de pouvoir, mais des maux qu’entraîne l’amour désordonné des richesses. La leçon généralement reçue, ne immerito, etc., ne se lie donc ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. J’ai cru pouvoir lire, avec Ursinus, ne merito cives, etc., « Empêcher que les citoyens ne se trouvent, par leur pauvreté ou par leurs crimes, forcés de s’exiler de leur patrie. »