Épaves (Baudelaire, 1866)/Un cabaret folâtre

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Les Épavesà l'enseigne du Coq (p. 157-158).



XXIII

UN CABARET FOLÂTRE

sur la route de bruxelles à uccle



Vous qui raffolez des squelettes
Et des emblèmes détestés,
Pour épicer les voluptés,
(Fût-ce de simples omelettes !)

Vieux Pharaon, ô Monselet[1] !
Devant cette enseigne imprévue,
J’ai rêvé de vous : À la vue
Du Cimetière, Estaminet !


  1. La malice est cousue de fil blanc ; tout le monde sait que M. Monselet fait profession d’aimer à la rage le rose et le gai. — Un jour M. Monselet reprochait à M. Baudelaire d’avoir écrit ce vers abominable, à propos d’un pendu dont les oiseaux ont crevé le ventre :

    Ses intestins pesants lui coulaient sur les cuisses.
    « Mais, dit le poëte impatienté, je ne pouvais pas faire autrement. Le sujet voulait cela. Qu’auriez-vous préféré à cette image ? — Une rose ! » répondit M. Monselet.

    Cependant il ne faudrait pas croire que l’indispensable mélancolie ne perce pas de temps en temps sous ce vernis anacréontique. Nous avons vu récemment une petite composition de lui, où, se reprochant d’avoir rebuté une pauvresse, le poëte se met à sa recherche, et ne se couche que tout triste de ne l’avoir pu retrouver. Cette pièce est d’un homme vraiment sensible, même à jeun.

    Regrettons que M. Monselet ne cède pas plus souvent à son tempérament lyrique, qu’une gaieté, tant soit peu artificielle, a trop souvent contrarié.

    (Note de l’éditeur.)