Épigrammes (Martial)/1841/05

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Traduction par Constant Dubos.
Chapelle (p. 166-208).

LIVRE CINQUIÈME.



1.

À DOMITIEN.

Toi qui des Dieux pour nous est la vivante image,
Colonne de l’empire, ô toi dont la santé
De la faveur du ciel est pour nous l’heureux gage,
Et pour l’état celui de sa prospérité ;
César, soit que ta cour en ce moment habite
D’Albe, chère à Pallas, le fortuné séjour,
D’où ton regard contemple tour à tour
Le temple de Diane et les flots d’Amphitrite ;
Ou que tu te sois prononcé
Pour les bords de Gaëte ou le mont de Circé ;
Soit qu’aux murs d’Antium caressés par Neptune,
Tu dictes les décrets de la double fortune ;
Soit que d’Anxur les rochers blanchissants
Dans leurs salubres eaux rafraîchissent tes sens ;
Où que tu sois enfin, de ce nouvel ouvrage,
César, je t’adresse l’hommage.
Reçois-le ; tu le lis, ou du moins je le crois :
Et, simple comme un franc Gaulois,
Je m’applaudis de ton suffrage.

2.

L’AUTEUR A SES LECTEURS.

Lis, chaste mère de famille ;
Jeune garçon et jeune fille,
Lisez : pour vous ce livre est fait.
Mais ceux à qui la gravelure
Présente un plus piquant attrait,
Qu’ils cherchent ailleurs leur pâture,
Ils n’y trouveraient pas leur fait.
Quoiqu’il ait osé se permettre
De folâtrer avec son maître,
Et d’assaisonner ses ébats
De temps en temps, du mot pour rire,
Sans scrupule et sans embarras
Germanicus pourra le lire
Même aux prétresses de Pallas.

3.

À DOMITIEN.

Du Danube asservi ce Dégis qui t’arrive,
César, du Tibre à peine avait touché la rive,
Que tout à coup, à ton auguste aspect,
Il s’arrête ; et frappé, saisi d’un saint respect :
Voilà du monde entier l’arbitre tutélaire,
Dit-il ; combien je suis plus heureux que mon frère
Moi qui puis voir, et de près adorer
Ce dieu que de si loin il ne peut qu’honorer !

4.

CONTRE MYRTALE.

Myrtale, dont l’haleine est souvent avinée,
A mâcher du laurier passe sa matinée ;
Par ce moyen, la belle, assise en un festin,
Se dispense le soir de tremper d’eau son vin.
Paullus, si tu la vois, la face enluminée,
Avec la veine enflée et le regard altier,
Tu peux dire à coup sûr : Elle a bu du laurier.

5.

À SEXTUS.

Des arts chers à Pallas digne dépositaire,
Et de César intime secrétaire,
A sa personne auguste en tout temps attaché,
Qui de près jouissez des traits de son génie,
Et de son cœur, pour vous qui n’a rien de caché
Sextus, dans ce dépôt que César vous confie,
Parmi ces mille écrits divers
Ne pourriez-vous trouver une place à mes vers ?
A côté de Pédon, de Marsus, de Catulle,
Peut figurer mon opuscule.
Quant au divin poème où brille retracé
César au Capitole, et sa jeune vaillance
D’un parti révolté terrassant l’insolence,
Auprès du grand Virgile il sera mieux placé.

6.

À PARTHÉNIUS.

A toi, Parthénius, des muses favori,
Les muses vont porter les vœux de ton ami.
Que puissent tes vieux jours, sans douleur, sans danger,
Sous les yeux de César longtemps se prolonger !
De bonne heure imitant l’exemple de ta vie,
Vois ton fils sur tes pas prompt à se diriger,
Et jouis d’un tel sort sans exciter l’envie !
D’un recueil nouveau-né que je viens d’abréger,
Ami, ma missive est suivie ;
C’est un enfant timide, il faut le protéger.
Je te connais prudent ; fais si bien qu’il pénètre
Au fond du sanctuaire où réside ton maître.
Choisis l’instant où la gaîté,
Désarmant son austérité,
Rend Jupiter plus abordable ;
Où la paix, la sérénité,
Se peignent sur son front aimable,
Où nul placet n’est rejeté :
Mon livre, en ce moment, peut être présenté.
Ne crains pas qu’il te compromette ;
Sur le cèdre un livre roulé,
Garni d’ébène et de pourpre habillé,
Ne fait point redouter de demande indiscrète.
Ne l’offre pas ; mais, comme sans dessein,
Négligemment tiens-le en ta main,
Et crois que des neuf Sœurs le protecteur suprême
Le demandera de lui-même.

7.

À VULCAIN.

Ainsi qu’après mille ans, le fabuleux oiseau
Brûle son nid et meurt pour renaître plus beau ;
Ainsi Rome aujourd’hui, dépouillant sa vieillesse
De son maître revêt l’immortelle jeunesse.
Épargne-la, Vulcain ; ne lui sois plus cruel !
Ton vieux ressentiment doit-il être éternel ?
Tes feux ont de ton front assez vengé l’injure ;
Pardonne enfin ; grâce, je t’en conjure !
Nous sommes fils de Mars, mais aussi de Vénus.
Oubliez, toi ses torts, elle tes lacs tendus ;
Et qu’ainsi puisses-tu, laissant toute querelle,
Dans Vénus retrouver une épouse fidèle !

8.

SUR PHASIS.

« A César notre Dieu que grâces soient rendues !
« Depuis longtemps les places confondues,
« Au peuple, dans les jeux, mêlaient les chevaliers :
« César leur a rendu leurs bancs particuliers.
« Par son nouvel édit devenu nécessaire,
« L’ordre équestre reprend sa dignité première,
« Et, plus commodément sur nos sièges assis,
« Nous ne les verrons plus par le peuple envahis,

« Ni nos manteaux froissés, salis par un vil pâtre. »
Ainsi parlait hier en plein théâtre,
Au rang des chevaliers Phasis en s’asseyant,
Phasis, fier d’un manteau dont la noble écarlate
Sur son dos plébéien avec regret éclate.
Tandis que d’un ton arrogant
Il se donnait carrière, étendu sur son banc,
Arrive Lectius qui, d’un geste sévère,
Fait lever avec lui sa pourpre mensongère.

9.

CONTRE UN MÉDECIN.

J’étais étendu sur ma chaise,
Éprouvant un léger malaise ;
Arrive le docteur Clément
Que suit, en marchant à la file,
D’élèves tout un régiment.
Il faisait froid : la troupe auprès de moi défile,
M’interrogeant l’artère avec un doigt gelé ;
Je n’avais pas la fièvre, et maintenant je l’ai

10.

À REGULUS, SUR LA RÉPUTATION DES PŒTES..

Me dira-t-on pourquoi l’ingrate renommée,
Faisant honneur aux morts, néglige les vivants ?

Pour les contemporains, sa main, toujours fermée,
En faveur des anciens s’ouvre, et brûle l’encens.
A ces traits, Régulus, on reconnaît l’Envie ;
Pour mériter qu’enfin on s’occupe de nous,
Il faut depuis longtemps avoir quitté la vie,
Et l’éclat du présent blesse son œil jaloux.
Nos vieillards à l’envi vantent le temple antique
Dont le nom de César usurpa le portique ;
Les arbres que Pompée autrefois a plantés
Dans leur décrépitude encor sont fréquentés.
Rome lit Ennius et possède Virgile ;
Homère, dans son temps, fut honni par Zoïle,
Et Ménandre jadis, pour fruit de ses travaux,
Au théâtre n’obtint que de rares bravos.
Ovide n’a point vu sa gloire répandue.
Certes, la gloire est belle et vaut qu’on s’évertue ;
Pourtant, mes vers, s’il faut, pour vous donner l’essor,
Que mon ombre aux enfers d’abord soit descendue,
Se presse qui voudra : je puis attendre encor.

11.

SUR STELLA.

De mon Stella, la main à mes regards présente
Jaspe, sardoine, émeraude et rubis ;
A ses doigts, et surtout dans ses charmants écrits,
Vous ne trouvez que bijoux d’un haut prix :
Voilà ce que j’appelle une main élégante.

13.

CONTRE CALLISTRATE.

Il est vrai, je suis pauvre et l’ai toujours été,
Callistrate, et pourtant j’ai quelque renommée.
Chevalier, dans mon ordre avec honneur cité,
Je suis aussi poète, et la foule charmée
Qui lit mes vers, me suit avec un bruit flatteur,
Et du doigt désigne l’auteur.
Ainsi j’obtiens par ses suffrages,
De mon vivant, ce que n’obtiennent pas
Tant d’autres après leur trépas.
Et toi, quels sont tes avantages ?
Dans un vaste palais de marbre revêtu,
Tu vois ton coffre-fort regorger de richesses ;
Syène pour toi seul épuise ses largesses,
Et les toisons de Parme enflent ton revenu.
Oui, nous voilà tous deux : mais sache te connaître :
Tu n’as, pour tant d’orgueil, que de faibles appuis ;
Chacun peut devenir ce que je te vois être,
Tu ne seras jamais ce que je suis.

14.

SUR MANNÉJUS.

Aux jeux du cirque, assis toujours aux premiers bancs,
Avant que l’empereur eût assigné les rangs,

On voyait Mannéjus, même après l’ordonnance,
Aux mêmes bancs toujours prendre séance.
Mais bientôt, expulsé par l’un des inspecteurs.
Force lui fut d’aller siéger ailleurs.
Notre homme alors, muni de sa sellette,
Passe à la troisième banquette,
Après Caïus et Lucius,
Tous deux vrais chevaliers et pour tels reconnus.
Bien encapuchonné, désormais sans obstacle
il croit pouvoir, d’un œil du moins, voir le spectacle
Mais par l’inspecteur aperçu,
Pour la deuxième fois son espoir est déçu.
Devant Lectius qui le chasse,
Il recule de place en place,
Et du banc à grand’peine il occupe le bout.
Dans cette équivoque posture
Peut-être croyez-vous qu’il se plaint ? point du tout ;
Parmi les chevaliers, presque assis, il figure ;
Pour Lectius, il est debout.

15.

À CESAR DOMITIEN.

Auguste, je poursuis ; ma muse peu sévère
Pour la cinquième fois rentre dans la carrière.
Aucun nom jusqu’ici dans mes vers enchâssé
Ne se plaint par mes traits d’avoir été blessé.
Même, beaucoup de ceux que je loue en mon livre
Sont enchantés de voir que leur gloire y doit vivre.
Mais que m’en revient-il ? en suis-je plus heureux ?
Non ; mais quoi ? Je m’amuse, et c’est ce que je veux.

16.

AU LECTEUR.

Je pourrais m’imposer un travail sérieux ;
Mais le genre badin est mon genre ordinaire ;
Et pourquoi ? Cher lecteur, c’est que je veux te plaire
A toi qui vas récitant en tous lieux
Les folâtres produits de ma muse légère.
Mais, cher lecteur, tu ne sais guère
Ce qu’il m’en coûte afin d’être aimable à tes yeux.
Si je voulais, orateur mercenaire,
Dans le forum interprétant les lois,
Consacrer mon temps et ma voix
Aux accusés tremblants, aux débats du vulgaire,
Je recevrais de maint client
Toujours quelque nouveau présent ;
Mes celliers s’empliraient de vins de toute espèce
Et de l’Espagne et de la Grèce,
Mon buffet, de vaisselle, et mon coffre, d’argent.
Mais mon livre, qu’est-il ? un convive agréable
Qu’on appelle aux soupers, que l’on caresse à table,
Dont on jouit, sans bourse délier,
Et qu’on n’admettrait pas s’il fallait le payer.
Jadis la gloire avait un plus digne salaire ;
Pour Virgile, Alexis fut un prix ordinaire.
Aujourd’hui, d’un C’est bien il faut nous contenter.
Mais tu cesses de m’écouter,
Cher lecteur, et tu feins de ne pas me comprendre ;
Plaidons : c’est, je vois bien, le parti qu’il faut prendre.

17.

CONTRE GELLIA.

Fière de ses aïeux, renommés dans l’histoire,
En épousant un chevalier
Gellie eût craint de se mésallier ;
Un consul pouvait seul prétendre à tant de gloire !
La belle (on ne pourra le croire !)
Elle épouse un porte-panier.

18.

À QUINCTIANUS.

Dans ces moments où Saturne est fêté,
Où nous voyons voler de tout côté
Riches tapis et fines aiguillettes,
Petits bijoux, et bougie et tablettes,
Et de Damas les délicats pruneaux
Encaissés dans leurs longs bocaux,
Si, pour te tenir lieu de quelque objet plus rare
Je ne te fais passer qu’un livre de mon cru,
Bien que ce don soit assez peu congru,
Ne me soupçonne pas, ami, d’être bizarre,
Incivil, ou peut-être avare.
Je hais de tout présent l’échange intéressé ;
Tout don est un appât, et nous voyons le scare

Par une mouche être amorcé.
Ainsi de tout cadeau je me suis dispensé.
Le pauvre est libéral lorsque son indigence
Jamais d’un riche ami n’amorce l’opulence.

19.

À CÉSAR DOMITIEN

Non, grand César, nul siècle au tien n’est préférable,
Et jamais règne au tien ne sera comparé.
En quel temps de nos Dieux le concours favorable
Par de plus grands bienfaits s’est-il mieux déclaré ?
Sous quel chef plus aimé, Rome jamais fut-elle
Au dedans, au dehors, et plus grande et plus belle ?
Quand fut-elle plus libre, et son sort plus heureux ?
Quand vit-on plus d’exploits, de triomphes fameux ?
Un seul point cependant, mais d’extrême importance,
Semble de tant d’éclat obscurcir la splendeur.
Le client dévoué que poursuit l’indigence
Ne trouve en son patron que dédain et froideur.
De ses plus vieux amis la mémoire est ingrate :
A peine il en reçoit quelque stérile accueil ;
Quel est le chevalier, s’il n’est de fraîche date,
Qui daigne l’honorer seulement d’un coup d’œil ?

20.

AU MÊME.

Aux saturnales, lorsqu’un grand
Daigne envoyer à son client

Un manteau de couleur vermeille
Ou quelque autre chose pareille,
Il s’admire dans son présent,
Et prétend avoir fait merveille.
Un seul ou deux peut-être encore
Y joindront quelques pièces d’or,
Et là se bornent leurs largesses.
Où sont les patrons généreux,
O César ! si tu nous délaisses ?
Pourtant, à quoi bon les richesses,
Si l’on n’en fait pas des heureux ?
C’est la vertu d’un chef suprême,
Vertu qui l’égale aux Dieux même.
— Je t’entends et te vois de loin,
Marcus ; ton adresse est extrême :
Mais c’est prendre ici trop de soin ;
Ton conseil est bon en lui-même,
Mais César n’en a pas besoin.

21.

À JULES MARTIAL.

Que ne puis-je à mon gré disposer de ma vie,
Cher Jules, et, près de toi, maître de mes loisirs
Rentrer dans la nature et goûter ses plaisirs,
Les seuls réels, qu’ignore ou respecte l’envie !
Loin du triste Forum et des fâcheux procès,
Que de bon cœur alors, laissant tout patronage,
Je dirais adieu pour jamais
Aux superbes hôtels, aux fastueux palais

Qu’habitent à la fois l’orgueil et l’esclavage !
Les riants entretiens, le murmure des eaux,
Du portique les frais arceaux,
Les promenades, la lecture,
L’ombre des bois et leur verdure,
Le Champ de Mars et les bains chauds,
Tels seraient tour à tour nos plaisirs, nos travaux.
Mais que nous sommes loin de ce bonheur suprême !
Cher Jule ! de nous deux nul ne vit pour lui-même.
Notre temps se gaspille, et tous nos meilleurs jours,
Inaperçus, s’échappent pour toujours.
Ils nous comptent, pourtant ! hâtons-nous donc ; la vie
N’est qu’un éclair prompt à s’évanouir ;
Qui la connaît et l’apprécie
Peut-il différer d’en jouir ?

22.

SUR APOLLONIUS.

Naguère, mon cher Régulus,
Le rhéteur Apollonius
Dont on nous cite mainte histoire,
En saluant Quintus l’appelait Décimus,
Et d’un Macer il faisait un Crassus.
Mais, de l’étude effet qu’on aura peine à croire !
Maintenant à chacun il applique son nom.
— Certes, l’effort est méritoire ;
Comment le retient-il ? — Il le prend au crayon,
Puis le confie à sa mémoire.

23.

CONTRE PAULLUS.

Si je n’ai projeté de te voir ce matin,
Si tel n’était pas mon dessein,
Que du mien ton logis s’éloigne plus encore !
Mais, Paullus, ton manoir est au mont Esquilin ;
Des piliers de Tibur le mien est fort voisin,
Près du temple écarté d’où la champêtre Flore
Voit Jupiter Capitolin.
Du chemin de Suburre il faut gravir la pente,
Que la boue en tout temps rend encore plus glissante,
Éviter les fardeaux et les pesants haquets
Que traîne avec effort un long rang de mulets.
Mais le pis, c’est qu’après tant de soins et de peine,
Lorsque tout suant, hors d’haleine,
A ta porte, à la fin, j’arrive anéanti,
En m’ouvrant, ton valet me dit : Il est sorti !
Et voilà le loyer de ma fatigue vaine
Dont ton meilleur accueil ne m’eût payé qu’à peine !
Un client a toujours des patrons inhumains ;
Veux-tu rester le mien ? Paullus, dors les matins.

24.

À BASSUS.

Avant qu’eût repris sa vigueur
La loi qui, dans les jeux, marque à chacun sa place,

Tes vêtements de modeste couleur
Ne te distinguaient pas de la vulgaire classe.
Mais depuis que, sans bruit, un vigilant censeur
A la loi périmée a rendu l’existence,
Et que le chevalier, sans craindre un inspecteur,
Jouit en paix du droit de préséance,
On voit tes vêtements afficher l’opulence ;
Et tu crois nous tromper par ce luxe imposteur !
Pauvre Bassus, reviens de ton erreur !
Ton beau manteau ne vaut pas la finance
Qui donne aux chevaliers une place d’honneur,
Ou mon Codrus sur tous aurait la préférence.

26.

SUR CHERESTRATE.

Tu n’as pas le cens nécessaire
Aux chevaliers de bon aloi,
Bon Chérestrate ; ici, dis-moi, que viens-tu faire ?
Lectius vient : debout, fuis, cours et cache-toi.
Mais, ô bonheur ! qui t’arrête en ta course,
Et te ramène auprès de moi ?
Quel ami généreux veut, en t’ouvrant sa bourse,
Mériter que son nom, avec honneur cité,
Soit transmis par mes vers à l’immortalité ?
Qu’est-elle auprès de lui, l’âme crasse et terrestre
De ce Crésus qui siège dans nos rangs,
Et de nuages odorants
Inonde les bancs et l’orchestre ?

Ou qui jette vingt mille écus
Pour élever une statue équestre
Où doit briller en or (que de frais superflus !)
Le nez grotesque d’un Scorpus ?
O richesse inutile ! amitié prétendue !
A de semblables traits je vous vois applaudir,
Et pour les imiter, aucun ne vient s’offrir :
O pour vous, que d’argent, que de gloire perdue !

27.

À CODRUS.

Dans un de mes écrits, en plaisantant, naguère
Des gens à manteau long je t’ai nommé l’Alpha.
Codrus, le mot peut-être aura pu te déplaire ;
Eh bien, des manteaux courts nomme-moi le Bèta.

28.

SUR UN FAUX CHEVALIER.

L’esprit et les talents, les mœurs et la naissance,
Sont chez toi, j’en conviens, dignes d’un chevalier
Mais ton cœur, je le vois, est encor roturier.
Flétri, découragé par la triste indigence,
De nos quatorze bancs tu dédaignes l’honneur,
Et, toujours circonspect, tu n’as pas l’assurance
D’y venir prendre place, et braver l’inspecteur.

29.

SUR MAMERCUS.

Tu peux m’en croire, cher Aulus,
Quand tu réunirais de Nerva la sagesse,
La piété des frères Curius,
De Marcus la délicatesse,
La probité de Mauricus,
Et de Ruson la politesse ;
Lorsqu’à la gaîté de Paullus
Tu joindrais le talent du fameux Régulus ;
Non, jamais tu ne pourras faire
Que Mamercus sur toi pense ou dise du bien ;
Sa dent noire toujours ronge et n’épargne rien.
— C’est un censeur malin, un critique sévère ?
— Non, c’est un malheureux à qui nul ne peut plaire.

30.

À GELLIA.

« Mange ce lièvre, ami, que je te donne ;
« Tu seras beau pendant sept jours. »
— Si ton dicton est vrai toujours,
Tu n’en as donc jamais mangé, ma bonne ?

31.

À VARRON.

Varron, toi que Sophocle avoûrait pour émule
Dont Horace envîrait la lyre et les accents,

Fais trêve à tes travaux, et laisse, pour un temps,
Les jeux badins de l’élégant Catulle,
Et l'élégie en pleurs que fit gémir Tibulle.
Mais, près de ton foyer, parcours ces vers nouveaux,
Que dans ce mois oisif je t’envoie à propos ;
A moins que dans ces jeux où l’esprit se repose
Tu ne perdes les jours dont Saturne dispose.

33.

SUR CRISPUS.

Crispus, à son heure suprême,
A sa femme, par testament,
N’a pas légué deux écus seulement.
— Qui donc a-t-il nommé son héritier ? — Lui-même.

34.

CONTRE UN AVOCAT.

Un avocat, dit-on, s’est égayé sur moi ;
Si j’apprends quel il est, avocat, gare à toi !

35.

SUR LA JEUNE ÉROTION.

A sa mère Flaccille, à toi, Fronton, son père,
Je remets cette enfant, ma joie et mon amour.

Vous l’avez précédée au souterrain séjour,
Elle va retrouver votre appui tutélaire.
Vous me l’aviez léguée, hélas ! pour peu d’instants !
Six ans, moins quelques jours, ont borné sa carrière.
Rassurez-la contre les aboîments
De votre affreux gardien, du terrible Cerbère,
Et dans l’obscurité guidez ses pas tremblants.
Des champs élysiens, habitante nouvelle,
Parmi ses vieux parents rassemblés autour d’elle,
La folâtre, en jouant, leur bégaîra mon nom.
Terre ! ne laisse point s’épaissir le gazon
Sur les os délicats qu’ici ton sein récèle,
Et que je confie à ta foi :
Elle ne pesa pas sur toi,
Terre, ne pèse pas sur elle !

36.

SUR EUCLIDE.

« Je touche de Patras, par an, vingt mille écus,
« Du faubourg de Corinthe autant, même encor plus ;
« Et mes nobles aïeux de Léda sont issus ! »
Fier d’un manteau de pourpre, ainsi, dans le théâtre,
Euclide s’écriait, et, malgré l’inspecteur,
Voulait se maintenir aux banquettes d’honneur.
Mais tandis qu’il s’opiniâtre,
Et lutte en répétant toujours même refrain,
Une très-grosse clef, qui glisse de son sein,
Tombe, et trahit l’esclave dans Euclide :
Fut-il jamais, Fabulle, une clef plus perfide ?

37.

À FAUSTIN.

J’ai loué dans mes vers certain particulier,
Et n’en ai rien reçu ; c’est un banqueroutier.

38.

SUR LA MORT D’UNE JEUNE ESCLAVE.

Je l’ai perdue, hélas ! cette jeune merveille,
Mes uniques plaisirs, mes seuls amusements ;
Cette enfant dont la voix flattait plus mon oreille
Que les accents du cygne à ses derniers moments.
Douce comme l’agneau qui sur les bords du Tage
Broute le cytise fleuri,
Sa peau du pur ivoire égalait le poli ;
Sa blancheur eût terni le brillant coquillage
Dont la mer Érythrée enrichit son rivage,
La neige encor récente, et le lis du matin.
Des toisons du Bœtis et des tresses du Rhin
Dont une poudre d’or embellit la souplesse,
Ses blonds cheveux surpassaient la finesse.
Le folâtre écureuil n’était pas plus lutin.
L’ambre qu’on froisse dans la main,
La myrrhe et l’encens arabique,
La rose de Pœstum, et le miel de l’Attique,
N’exhalèrent jamais de plus douces odeurs.

Auprès d’elle le paon eût perdu ses honneurs,
Et le phénix eût cessé d’être unique.
Elle n’est plus ! son bûcher fume encor.
En la perdant, j’ai perdu mon trésor !
Adieu, plaisirs, amour, délices de ma vie !
Qui l’eût cru, que si tôt elle me fût ravie ?
Cruel, inflexible destin,
Tu l’as frappée, et sa sixième année
N’était pas encor terminée !
— Ami, d’où vient tant de chagrin ?
Pour une esclave enfant j’excuse ta tendresse :
Maïs, c’est trop la pleurer, te déchirer le sein,
T’arracher les cheveux ; rougis de ta faiblesse,
Et réprime ce noir transport.
Mon épouse était riche, et jeune, et belle, et sage,
Et naguère en mes bras elle a fini son sort :
Pourtant je vis ! — Pœtus, j’admire ton courage ;
Vingt mille écus te sont dévolus par sa mort,
Et tu consens à vivre !… O le sublime effort !

39.

CONTRE CALLIODORE.

Je sais, mon cher Calliodore,
Et personne, je crois, n’ignore
Que pour vous faire admettre au rang de chevalier,
Vous possédez le taux strictement régulier ;
Mais, nous vous connaissons un frère
Qui comme vous réclame, à titre d’héritier,

La moitié de ce cens qui vous est nécessaire.
Un seul cheval ne peut avoir double écuyer.
D’Océanus redoutez l’œil sévère.
Irez-vous, confondant pluriel et singulier,
Et bravant à la fois les lois et la grammaire,
Lui dire : Je montons tous deux un seul coursier ?
Levez-vous, dira-t-il, ainsi que votre frère !
Nouveau Castor, laissant ce Pollux importun,
Avec lui, croyez-moi, n’ayez rien de commun.
Des enfants de Léda suivez l’exemple sage,
Et faites de vos droits l’alternatif usage.
Surtout, gardez qu’au même jour
Le même banc tous les deux vous rassemble.
Vous ne pouvez siéger ensemble ;
Eh bien ! siégez donc tour à tour.

40.

CONTRE CHARIN.

Charin, dans cette année, a fait son testament
Trente fois, et toujours disant : C’est la dernière ;
Et chaque fois, afin de lui complaire,
Je lui fais passer en présent
Des gâteaux du plus pur froment,
Que mon habile ménagère
A pétris d’un miel odorant.
C’est assez : prends pitié, Charin, de ma détresse ;
De grâce, plus de testaments nouveaux
Qui m’obligent à des cadeaux.

Ou plutôt, hâte-toi de remplir la promesse
Dont ta perfide toux nous amuse sans cesse.
Tu me ruines en gâteaux :
À force de tester, chaque jour tu m’achèves ;
Eussé-je été plus riche que Crésus,
Aujourd’hui je serais aussi pauvre qu’Irus,
Quand je ne t’eusse offert chaque fois que mes fèves.

41.

À ARTÉMIDORE.

Tu peins Vénus ; Minerve a seule ton hommage ;
Ne t’étonne donc plus qu’on blâme ton ouvrage.

42.

LA MÊME AUTREMENT.

Ta Vénus est manquée, et j’en suis peu surpris ;
Sur elle, dans ton cœur, Minerve obtient le prix.

43.

IL FAUT DONNER AUX AMIS.

Un habile voleur de ton coffre enfoncé
Emportera tout l’or par tes soins amassé ;
La flamme en un instant peut faire disparaître
Les lares paternels dont tu te vois le maître ;

Un parjure emprunteur nîra te rien devoir,
Souvent un sol ingrat trahira ton espoir.
La mer peut engloutir tes vaisseaux, ta richesse,
Ou bien ils passeront aux mains d’une maîtresse ;
Mais un bienfait, du sort ne craint pas les retours :
Les dons que tu répands seuls te restent toujours.

44.

SUR THAÏS ET LECANIA.

Lise a les dents d’un noir d’ébène,
Sa sœur les a d’un ivoire éclatant :
Pour l’une, le pourquoi se devine sans peine ;
Pour l’autre, c’est le secret du marchand.

45.

CONTRE DENTON.

Mais, qu’arrive-t-il donc à notre ami Denton ?
Chose étrange ! A dîner quatre fois je l’invite,
Et quatre fois il m’a répondu : Non.
S’il me rencontre, il passe vite.
Lui qui, naguère encor, de salon en salon,
Au théâtre, aux bains même, était à ma poursuite,
Aujourd’hui partout il m’évite.
Un pareil changement a de quoi m’étonner.
Quel en est le motif ?… Ah ! parbleu, je devine.

Alléché par l’odeur de meilleure cuisine,
Denton préfère au mien un plus friand dîner.
Mais ton triomphe, ingrat, ne sera pas durable.
Quand le riche patron pour qui tu m’as laissé,
En te connaissant mieux, de toi sera lassé,
Confus, tu reviendras à ta première table.

46.

CONTRE BASSA.

Bassa nous soutient qu’elle est belle,
Et qu’aux amants elle est rebelle ;
Je n’y crois pas trop, quant à moi ;
Elle brille dans ces deux rôles :
Mais, on sait bien que ses paroles
Ne sont pas articles de foi.

47.

Je n’aime le baiser que s’il est disputé ;
Ton air mutin me plaît bien plus que ta figure ;
Résiste-moi toujours, Paula, je t’en conjure :
Je veux n’être de toi chéri ni redouté.

48.

SUR PHILON.

Philon, qui n’a pas de cuisine,
Me jure que jamais il ne mange chez lui ;

Je le crois ; s’il ne dîne en effet chez autrui
Le malheureux jamais ne dîne.

50.

À LABIÉNUS.

Hier si je me suis mépris,
Il ne faut pas que tu t’étonnes ;
Lorsque je t’ai vu seul, assis,
En toi j’ai cru voir trois personnes.
Ton front, d’un et d’autre côté,
Porte un bouquet de chevelure
Si peu touffu, qu’en vérité
D’un jeune enfant emmaillotté
Il ne ferait pas la coiffure.
Un sillon dont l’aridité
N’offre pas un poil qui l’ombrage,
De ton occiput qu’il partage
Étale en long la nudité ;
D’une telle difformité
Pourtant tu tiras avantage.
En décembre, quand l’empereur
Donna les sportules d’usage,
Tu fis un triple personnage
Et tu reçus triple faveur.
De Géryon vivante image,
Si tu veux éviter son sort,
De Philippe fuis le portique ;
Là, figure un Hercule antique :
S’il t’aperçoit, te voilà mort.

51.

CONTRE CHAROPINUS.

Si je dîne chez moi sans t’avoir invité,
Aussitôt tu me fais la guerre,
Et, l'épée à la main, dans ta grande colère,
Tu vas, dis-tu, punir mon incivilité.
Ami, calme cette furie !
Un tel acharnement me devient importun ;
Je veux, sur cent dîners dont je te gratifie,
Pouvoir impunément du moins t’en voler un.

52.

À RUFUS.

Cet homme que tu vois, Rufus, jusqu’au menton
Enfoncé dans la paperasse,
Que de clercs empressés assiège un escadron,
Et qui, sans se lasser, toujours sasse et ressasse
Testaments et dossiers que sans cesse on lui passe :
Cet homme qu’on prendrait pour un grave Caton,
Pour un Brutus, un Cicéron,
N’est rien qu’un ignorant de la première classe.
Tu ris ! aborde-le ; par prière ou menace,
Tu n’en obtiendras pas qu’il te rende à son tour.
En grec plus qu’en latin, réponse à ton bonjour.

53.

À POSTHUME.

Si, malgré ma reconnaissance,
Sur les biens dont tu m’as comblé
Je garde toujours le silence,
C’est que toi-même en as parlé.
Toutes les fois qu’en ton absence
Je veux citer à mon égard
Quelque trait de ta bienfaisance,
On m’arrête ; on me dit : D’avance
Lui-même nous en a fait part.
Dans mainte et mainte circonstance,
Pour que tout soit fait à propos,
Agir deux n’est pas nécessaire ;
Un seul suffit : reste en repos,
Mon cher Posthume ; en cette affaire
Je dois parler, tu dois te taire.
Les dons que de toi j’ai reçus,
Indiscret ! tu les as perdus.

54.

À BASSUS.

Quoi ! toujours nous chanter, et sur le même ton,
La triste Niobé, Thyeste, Agamemnon,
Andromaque, Médée, et tels sujets semblables !
Il en est, pour tes vers, de bien plus convenables :

Crois-moi, Bassus, choisis Deucalion,
Ou la chute de Phaéton.

55.

SUR UN RHÉTEUR.

Mon rhéteur, je le vois, finira par s’instruire.
Hier au soir, le croira-t-on ?
II m’a salué par mon nom
Sans avoir pris soin de l’écrire.

56.

SUR L’AIGLE DE JUPITER.

Aigle, que portes-tu ? — Des cieux le roi suprême.
— Eh quoi ! sans foudre ? — Amour l’a désarmé.
— Quel objet ?… — Ganymède, un enfant l’a charmé.
— D’où vient ce bec ouvert, cet œil moins enflammé ?
— Je lui parle de ce qu’il aime.

57.

À LUPUS.

« Quel maître, ami, donnerai-je à mon fils ?
« Qu’en dois-je faire, et que doit-il apprendre ?
« Depuis longtemps mon choix flotte indécis
« Et sur ce point je désire l’entendre. »

— Loin de ton fils rhéteur, grammairien,
Vrais charlatans dont le savoir futile
Ne peut l’aider ni le conduire à rien.
Mets de côté Cicéron et Virgile,
Très-beaux diseurs et fort hommes de bien,
Mais pour percer n’offrant aucun moyen.
Qu’il laisse en paix avec sa renommée
Rutilius épris de sa fumée ;
Et si jamais, de la gloire entêté,
Il fait des vers, qu’il soit déshérité !
Mais, s’exerçant dans un art moins stérile,
S’il veut mêler l’agréable à l’utile,
Ne peut-il pas, ou danseur ou chanteur,
Avec éclat figurer dans un chœur,
Pincer la harpe ou jouer de la flûte ?
A ces états ne pouvant se plier,
Si dès l’abord tu vois qu’il se rebute,
Fais-le architecte, ou, si tu veux, huissier.

58.

À CINNA.

Lorsque je t’appelle mon maître,
Garde-toi de te méconnaître,
Cinna ; de ce nom qui te plaît
J’appelle souvent mon valet.

59.

À POSTHUME.

« Oui, je veux vivre, et dès demain. »
Voilà ton éternel refrain.
Mais ce demain qu’il faut toujours attendre,
Quand le verrons-nous donc enfin ?
Qu’il est lent, qu’il tarde à paraître
Ce demain toujours prêt à naître,
Déjà plus vieux que Priam et Nestor !
Peut-il s’obtenir à prix d'or ?
Où donc est-il, où faut-il l'aller prendre ?
En l’attendant, la mort peut te surprendre.
Tu vivras dès demain ! Et pourquoi pas, dis-moi,
Dès aujourd’hui ? c’est déjà tard s’y prendre ;
Déjà c’est un jour de perdu ;
Dès hier que n’as-tu vécu ?

60.

À STELLA.

Au lieu de vases d’or, d’un prix inabordable,
Je t’en donne de terre, et je crois faire bien ;
Qui fait un grand présent en attend un semblable :
Le mien, mon cher Stella, ne te coûtera rien.

61.

CONTRE UN DÉTRACTEUR.

Misérable envieux, qui nous viens des enfers
Pour semer parmi nous et l’insulte et l’outrage,

Tu t’agites en vain, gronde, aboie et fais rage,
Non, tu n’obtiendras pas que dans tout l’univers
Ton nom déshonoré circule avec mes vers.
Je ne veux pas, même pour ma défense,
D’un monstre tel que toi révéler l’existence.
Vis détesté, meurs inconnu,
C’est le supplice qui t’est dû.
Pourtant quelques auteurs, peut-être, en cette ville,
Voudront du cerbère nouveau
A belles dents mettre en pièces la peau ;
Pour moi, d’une proie aussi vile
Je rougirais d’arracher un lambeau.

62.

CONTRE MARIANUS.

Dis-moi, mon cher Marianus,
Quel est ce beau jeune homme, aux cheveux si crépus,
Qui chez toi se comporte avec un air d’aisance,
Qui toujours à ta femme, et même en ta présence,
Rend les soins les plus assidus ?
Partout il la suit et l’assiège ;
Et souvent, à l’oreille, appuyé sur son siège,
Lui débite quelque fadeur
Qu’elle entend sans trop de froideur.
A chacun de ses doigts une bague étincelle,
Et la ponce a poli sa jambe fine et belle.
Dis-moi donc quel il est : a-t-il un nom, un rang ?
Occupe-t-il chez toi quelque poste important ?
— De mon épouse, ami, c’est le chargé d’affaires,

Actif, intelligent, et des plus nécessaires.
Sa figure décèle un habile intendant ;
Aufide, près de lui, ne serait qu’un novice.
— Que tu mérites bien, pauvre Marianus,
L’affront qu’à son valet prodigue Latinus !
Qu’en te traitant de même on te rendrait justice !
Ouvre les yeux : ce jeune dameret
N’a point l’air occupé d’affaires d’intérêt ;
Ta femme à lui, dit-elle, a confié les siennes,
Mais je croirais plutôt qu’il s’est chargé des tiennes.

63.

À SON HÔTE.

Use comme du tien de mon manoir des champs,
Cher hôte, si tu peux reposer sur la dure ;
Ou d’un fort mobilier amène une voiture
Pour remplacer le mien, volé depuis longtemps.
Mes lits brisés n’ont plus coussin ni couverture ;
Les sangles en lambeaux, sur le plancher poudreux
De leurs sales débris traînent la pourriture.
Pourtant à frais communs on peut y loger deux ;
J’ai payé le local : fournis la garniture,
Et tu ne seras pas dupe de l’aventure.

64.

À PONTICUS.

« Ami, que penses-tu, dis-moi, de mes écrits ? »
Vingt fois par jour de toi j’entends la même phrase.

Ils sont parfaits : j’admire ; et j’en suis en extase !
Sur ceux de Régulus ils emportent le prix.
— C’est bien là ton avis, Marcus, en conscience ?
Dans les faveurs de César et des Dieux
Que ta sincérité trouve sa récompense.
— Je fais pour toi les mêmes vœux.

65.

À SES ESCLAVES.

D’un falerne vieilli que l’eau n’a pas trempé,
Esclaves, remplissez une double mesure ;
Que de glace à l’instant ce nectar soit frappé,
Et que de fleurs mon front enveloppé
En exhale partout l’odeur suave et pure.
Jouissons : ce tombeau, qui dans mon voisinage,
D’Auguste est le dernier séjour,
Du temps qui fuit me dit de faire usage ;
Un Dieu même a subi ce terrible passage :
Je puis demain le subir à mon tour.

67.

CONTRE PONTILIANUS.

Toutes les fois que dans la rue
Je te rencontre et te prévien
Du mot civil : « Je te salue, »
Tu passes et ne réponds rien.

Puisque ce mot que tu dois rendre
Toujours en vain se fait attendre
Et se refuse à mon appel,
Désormais tu ne dois entendre
De moi que l’adieu solennel
Qui des morts honore la cendre.

68.

SUR UNE HIRONDELLE.

Quand les hirondelles frileuses,
A l’approche des noirs frimas,
Vont sur des plages plus heureuses
Chercher de moins âpres climats,
Une d’entre elles, paresseuse,
Au fond de sa couche moelleuse
Se blottit et ne partit pas.
Quand la saison moins rigoureuse
A leur gîte les ramena,
Toute la troupe, furieuse,
Sur la transfuge se tourna,
Et du bec si fort s’acharna,
Qu’elle en mourut, la malheureuse !
Procné, mère du jeune Ithys,
Aurait dû, cent fois plus coupable,
Subir un supplice semblable
Quand elle déchira son fils.

69.

À LESBIE.

On vante des Germains la chevelure d’or :
Compare-lui la tienne, elle est plus blonde encor.

70.

CONTRE M. ANTOINE.

Va, ne reproche rien au barbare Photin,
Antoine ; des proscrits exécrable assassin,
La mort de Cicéron t’accuse plus encore.
L’affreux Catilina, qu’à bon droit Rome abhorre,
Jamais d’un tel forfait n’aurait souillé sa main.
Toi, c’est le sang romain dont la soif te dévore.
Un infâme soldat par ton or soudoyé,
En frappant Cicéron, l’a forcé de se taire ;
Le silence d’un seul, si chèrement payé,
Que te vaut-il ? pour toi quel en est le salaire ?
Oui, Cicéron se tait : mais entends Rome entière !

71.

CONTRE SYRISCUS.

Toujours errant de buvette en buvette,
Près des quatre bains, Syriscus,
Sans presque quitter la sellette,
Vient de manger, dit-on, huit mille écus

De son patron récemment obtenus.
O gourmandise détestable !
En peu de jours manger huit mille écus !
Un pareil trait sans doute est incroyable ;
Mais ce qui doit le paraître encor plus,
C’est qu’il les a mangés sans s’être mis à table.

72.

À FAUSTIN.

Non loin de Trébula, dans une plaine humide
Qui du midi brûlant brave le souffle aride,
Il est une retraite où, durant la chaleur,
L’été n’exerce point d’influence perfide ;
Le doux zéphyre seul en tout temps y préside.
Là, Faustin, je t’attends ; là, goûtant la fraîcheur,
Tu pourras du Lion défier la fureur
A l’ombre de nos bois, aux bords d’une eau limpide ;
Déjà Phébus s’allume aux ardeurs du Cancer ;
Viens ; de Tibur, ici, tu trouveras l’hiver.

73.

SUR L’ORIGINE DE BACCHUS.

Jupiter, a-t-on dit, de Bacchus fut la mère :
A ce compte, Rufus, Sémélé fut son père.

74.

À THÉODORE.

De mes œuvres vingt fois tu réclamas le don
Vingt fois je t’ai répondu : Non.

D’un refus qui te semble étrange
Tu me demandes la raison ?
Tu voudrais me donner les tiennes en échange.

74.

LA MÊME, AUTREMENT.

De ton nouvel ouvrage on dit beaucoup de bien,
Lis-le-moi. — Non. — Pourquoi ? — Tu me lirais le tien.

75.

SUR POMPÉE ET SES ENFANTS.

De l’illustre Pompée et de ses jeunes fils
La fortune s’est plue à semer les débris.
En Europe, Cnéïus, et Sextus en Asie
Ont leur tombeau ; leur père a vu trancher sa vie
En Afrique, où, peut-être ! il a trouvé le sien.
Qu’un autre en soit surpris ; moi, je comprends très-bien
Qu’une maison, en gloire, en grandeur si féconde,
De sa vaste ruine ait dû couvrir le monde.

77.

SUR CINNA.

Mithridate, que le poison
À chaque instant tenait en crainte,

A force d’en prendre, dit-on,
Cessa d’en redouter l’atteinte.
Cinna, depuis vingt ans, a tant jeûné, qu’enfin
Le voilà convaincu qu’on ne meurt pas de faim.

79.

À TARANIUS.

Si tu te vois réduit à dîner seul chez toi,
Viens dîner, ou plutôt viens jeûner avec moi.
Mais apprends quelle chère, ami, t’est préparée.
Un saucisson couché sur un lit de purée
Allumera ta soif ; des œufs garnis d’anchois,
Un fin lard, escorté de fèves et de pois,
Un chou bien frais, baigné dans l’huile la plus pure,
Et qui dans un plat noir près d’un jambon figure,
Voilà ce qui t’attend ; ami, ces simples mets
Ne m’ont pas, tu le vois, coûté beaucoup d’apprêts.
Pour fruits, des raisins secs, la poire de Syrie,
Et la châtaigne au feu lentement amollie.
Tu feras en buvant l’éloge de mon vin.
Et si Bacchus encor veut réveiller ta faim,
Je t’offre pour surcroît la verte et douce olive,
Qui, comme exprès pour toi, de Pinénum m’arrive ;
J’ajoute la lentille et le tiède lupin ;
Et voilà, tout compté, le menu du festin.
C’est peu : mais à défaut de meilleure cuisine,
Tu trouveras chez moi bon hôte et bonne mine.
Franc parler, cœur ouvert, entière liberté.
Point d’indiscrets ; partant, pleine sécurité ;

Surtout point de lecture : une musique exquise
Couronnera la fête. Accours, la nappe est mise ;
Claudia, qui t’attend, t’a déjà prévenu ;
Viens donc, et sois certain d’être le bienvenu.

80.

CONTRE ZOÏLE.

Dix fois dans un repas, prétextant la sueur,
Tu sors pour reparaître en nouvelle chlamyde ;
Tu crains, dis-tu, que la synthèse humide
Sur ta peau ne retienne une tiède moiteur
Qu’un léger vent soudain changerait en fraîcheur.
Je te vois plus vain que timide,
Zoïle, dans tous ces apprêts ;
Moi, qui dîne avec toi, vois-tu que je transpire ?
C’est que, pour me maintenir frais,
Je n’ai qu’une chlamyde ; elle sait me suffire.

81.

À SÉVÈRE.

Si tu n’as rien de mieux à faire,
Pour lire, examiner ces légers impromptu,
Dispose en ma faveur d’un instant, cher Sévère.
« Dois-je ainsi gaspiller mes loisirs ? » diras-tu.
Pardon ; mais ton ami t’en prie avec instance,
Et cet acte de complaisance,
Crois-moi, ne sera pas perdu.
Même (suis-je assez téméraire ?)
Si tu veux m’accorder la grâce tout entière,

Tu t’adjoindras le docte Secundus ;
Mon livre alors te devra plus
Qu’il ne devra même à son père.
En effet, il ne craindra plus
D’aller voir, au séjour habité par Cerbère
Sisyphe, qui s’épuise en efforts superflus,
Quand il aura subi ta critique sévère
Et la lime de Secundus.

82.

À ÉMILIEN.

Es-tu pauvre ? ton sort est de l’être toujours ;
L’argent court à l’argent : c’est le train de nos jours.

83.

CONTRE GAURUS.

Après m’avoir promis un don de mille écus,
Tu ne peux, me dis-tu, m’en prêter cent cinquante
Si ta volonté seule a dicté ton refus,
Cette insulte, Gaurus, est doublement choquante.
Va donc, et que ton or te porte un jour malheur !
Tu n’es qu’un idiot, sans foi, comme sans cœur.

84.

À DINDYMUS.

Tu m’appelles, je fuis ; tu me fuis, je t’appelle ;
Je dis oui, tu dis non ; tu veux blanc, je veux noir :

De nos goûts opposés la lutte est éternelle,
Et nous suivra, je crois, au souterrain manoir.

45.

À GALLA.

Décembre expire : adieu les jeux de noix !
L’enfant qui de son maître a reconnu la voix
Retourne à ses travaux, quoiqu’à regret, docile.
Cornet et dés en mains, le rebelle joueur,
Au fond de son tripot surpris par l’inspecteur.
Se voit traîné devant l’édile
Dont il redoute la rigueur.
Ils sont passés, les jours des saturnales,
Où partout des mains libérales
Vont aux amis prodiguer leurs présents.
De toi, Galla, malgré les coutumes anciennes,
Je n’en ai vu venir petits ni grands,
Et mon décembre a perdu ses étrennes.
Mais bientôt mars nous sera ramené,
Mois où tu comptes sur les tiennes ;
Alors je te rendrai ce que tu m’as donné.


FIN DU CINQUIÈME LIVRE.