Épilogue des Poésies fugitives

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Poésies complètesLemerre1 (p. 103-104).


ÉPILOGUE


Lorsque je serai mort, oh ! je vous en convie,
Si vous vous rappelez une heure de ma vie,
Amis, où d’amitié j’aie oublié la loi,
                  Oubliez-moi,

Mais si quelqu’un de vous, entonnant ma louange,
Dit : Il n’est plus, l’ami, dont la parole étrange
Parfois pour consoler avait des mots si doux,
                  Souvenez-vous.

Si l’on vous dit : C’était un bizarre égoïste,
Un pédant envieux, un philosophe triste,
Qui, doutant de lui-même en personne n’eut foi,
                  Oubliez-moi.



Mais si quelqu’un répond : Avez-vous souvenance
Que ce frondeur sans fiel et sans impertinence,
Quand nous avions raison, se soit moqué de nous ?
                  Souvenez-vous.

Si quelque Hamlet, heurtant du pied mes os livides,
Dit : Hélas ! Yorick, pauvre crâne aux yeux vides,
Tu sonnais toujours creux quand on frappait sur toi,
                  Oubliez-moi.

Si quelque autre, arrêtant la voix qui me condamne,
Dit : Vous ne savez pas ce qui fut sous ce crâne,
Dieu cache la sagesse aux cervelles des fous,
                  Souvenez-vous.

Si l’on vous dit encor : Ci-gît un homme impie,
Qui sans doute en enfer dans les tourments expie
Les hommages cafards qu’il rendait à son Roi,
                  Oubliez-moi.

Mais si quelqu’un de vous se lève et dit : Mensonges !
Il croyait au grand Dieu qu’il voyait dans ses songes
Et, quand il était seul, il priait à genoux,
                  Souvenez-vous.

(Mars 1846).