Épitres (Horace, Leconte de Lisle)/I/15

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Épitre XV. — À C. NUMONIUS VALA.


Quel hiver à Vélia ? Quel ciel, Vala, à Salernum ? Quels hommes y vivent ? Comment sont les routes ? (Car Antonius Musa m’a rendu Baiæ inutile et même détestable, voulant que je m’inonde d’eau glacée au milieu du froid. Je délaissa les bois de myrtes, je dédaigne les soufres qui, dit-on, apaisent les maladies de nerfs. Baiæ en gémit, et en veut aux malades qui osent exposer leur tête et leur estomac aux sources de Clusium, et qui se rendent à Gabiæ et dans ses froides campagnes. Il faut changer de lieu et pousser son cheval au delà des auberges connues. — « Où vas-tu ? Je ne vais ni à Cuma, ni à Baiæ, » dira le cavalier irrité, en tirant les rênes de gauche ; car l’oreille du cheval qui porte un frein est dans sa bouche.)

Laquelle des deux populations possède la plus grande abondance de froment ? y boit-on les eaux de la pluie, ou y trouve-t-on toujours des puits d’eau de source ? (Car je ne me soucie point des vins de cette côte. À ma campagne, je puis me contenter et m’accommoder de tout ; mais, quand je viens à la mer, je recherche un vin doux et généreux, qui chasse les soucis, qui coule avec la riche espérance dans mes veines et dans mon esprit, qui me fasse parler et me fasse trouver jeune par ma maîtresse Lucanienne.)

Laquelle des deux régions nourrit le plus de lièvres et de sangliers ? Quelle mer cache le plus de poissons et de coquillages ? D’où pourrai-je revenir à la maison gras et beau comme un Phæacien ? Écris-le-moi : je croirai tout ce que tu diras.

Mænius, dès qu’il eut dévoré bravement son bien paternel et maternel, devint un plaisant, un bouffon vagabond, sans râtelier assuré, qui, n’ayant pas dîné, ne distinguait plus un ami d’un ennemi, couvrait chacun d’outrages railleurs, fléau, ruine et gouffre du marché, et donnant à son ventre insatiable tout ce qu’il trouvait. S’il n’avait tiré rien ou presque rien des fauteurs de son vice ou des gens intimidés par sa méchanceté, il soupait de plats d’intestins et de mauvais agneau, de façon à rassasier trois ours ; et il disait alors, comme le censeur Bestius, que le ventre des débauchés devait être marqué au fer rouge. Le même, quand il s’était emparé d’une meilleure proie, et que tout était déjà cendre et fumée : — « Par Herculès ! je ne m’étonne pas, disait-il, s’il en est qui mangent leurs biens, car il n’y a rien de meilleur qu’une grive grasse et rien de plus beau qu’une large vulve de truie ! »

Je suis certainement comme cet homme. Je vante le repos et la médiocrité, quand l’argent me manque, assez résigné d’ailleurs à mal manger ; mais, dès qu’il m’arrive quelque chose de meilleur et de plus succulent, je dis que vous seuls savez être sages et bien vivre, vous dont l’argent est solidement placé en brillantes villas.