Éros et Psyché (Giraud)/01
Éros et Psyché
Saturne.
Jupiter.
Apollon.
Mercure.
Mars.
Bacchus.
Pluton.
Éros.
Le prêtre de Jupiter.
Le père de Psyché.
Le vieux pâtre.
Un bouvier.
Un jeune berger.
Un autre jeune berger.
Junon.
Vénus.
Diane.
Psyché.
La mère de Psyché.
Les deux sœurs de Psyché.
Une femme.
Une autre femme.
La vieille servante.
Une jeune fille.
Une autre jeune fille.
Scène I
(Le sommet de l’Olympe, azur et soleil. Le festin des Dieux. Un hémicycle de colonnes de marbre, adossé à la crête du mont, du haut duquel Saturne, immobile et presque statue, domine la table, plongé dans un rêve sans fin. Les Immortels sont assis autour de Jupiter. Derrière eux, tapisserie vivante et mouvante, leurs animaux familiers : l’aigle de Jupiter, le paon de Junon, la chouette de Minerve, le tigre de Bacchus, l’oiseau-lyre d’Apollon, le serpent de Mercure. Des ramiers volent en couronne au-dessus de la tête blonde de Vénus. Un siège reste vide : celui d’Éros qui, accoudé à la terrasse, regarde en bas, vers la terre.)
Éros ! Désir des Dieux et des hommes, flambeau
Resplendissant, faiseur de blessures profondes,
Archer au front doré de fier es boucles blondes,
À quoi rêvez-vous donc de la sorte ?
J’ai beau
Vous convier du geste à la table éclatante,
Vous restez immobile…
Il nous boude : voilà huit jours qu’il est ainsi…
Ô mon fils adoré ! quel étrange souci
Vers le pavé de marbre incline ainsi ta tête ?
À te voir mes ramiers roucoulent tristement…
Éros ! reprends ta place à l’éternelle fête,
Car pour te présenter le nectar écumant,
Voici la rose Hébé près du brun Ganymède !
Éros ! raconte-nous le chagrin qui t’obsède !
T’aurions-nous offensé ? N’avons-nous pas tous fait
Tout ce que tu voulais, ô Désir ?
Que vous manque-t-il donc, ô mon fils ?
Quoi ! Tu peux t’ennuyer dans ce palais vermeil,
Parmi l’azur royal, sous ce divin soleil ?
L’homme est heureux : il a le ciel gris et la pluie !
Il se moque de nous !
Comme je donnerais votre Olympe vermeil,
Votre immuable azur, votre incessant soleil,
Pour le jour indécis dont la vapeur changeante
Baigne le tronc noueux des saules qu’elle argenté !
Voyez ! Il est là-bas un paisible vallon
— Peut-être y gardas-tu les troupeaux, Apollon,
Lorsque tu te cachais sous une forme humaine ! —
Les pieds nus, un berger adolescent y mène
Ses chèvres en chantant une fille aux doux yeux,
Et là-bas, près de l’eau, sous la verte ramée,
S’éveille un toit lointain, vénérable et pieux,
Et le vent matinal joue avec la fumée !…
Ô mon fils, revenez vous asseoir parmi nous !
Une vierge paraît : elle est timide et fière.
Elle s’en va laver du linge à la rivière.
Qu’elle est belle ! On devrait lui parler à genoux.
Elle ressemble au nom sonore qu’elle porte.
Une vague lumière émane de son front.
Ceux qui l’aiment seront heureux : ils souffriront !
Regardez tous l’Amour amoureux !
À toi, valet par goût ! à toi, Dieu serviteur !
Mercure, je n’ai pas besoin d’entremetteur !…
Paix, les langues ! Et vous, ô convive irritable !
Venez à mon côté prendre place à la table.
Non !
Ô Père ! Roi des Dieux ! ô Père ! Dieu des Rois !
Si vraiment vous aimez via grâce et ma jeunesse,
Si vous avez pitié des cœurs désordonnés,
Ô vous le plus puissant des Dieux que l’on connaisse,
Si vous savez mon mal, si vous le comprenez,
Oh ! laissez-moi quitter cet Olympe où nous sommes
Spectateurs sans espoir du spectacle éternel,
Laissez-moi, pour un jour, vêtu d’un corps charnel,
Descendre sur la terre et me mêler aux hommes ;
Puis, je vous reviendrai, plus jeune et plus joyeux !…
Hélas !
(tombant peu à peu dans une rêverie profonde, qui se communique aux autres dieux, pendant qu’Éros demeure agenouillé et sans entendre)
Oui ! c’est le mal divin ! Les uns après les autres
Nous en sommes atteints… Jusqu’ici deux des nôtres,
Minerve aux regards gris, Éros aux yeux de feu,
Avaient su résister au vertige du jeu !…
Ô vertige enivrant ! ô parfum de la terre !
Regrets mystérieux des délices d’en bas !
Ô tendres souvenirs que l’Olympe doit taire,
Plus capiteux que le nectar de nos repas,
Et que les Immortels burent jusqu’à la lie !
Baisers dont la saveur engendre la folie !
Ferez-vous donc toujours chanceler les Dieux las ?
J’ai respiré la fleur de la tendresse humaine !
Ravissement d’Europe, étonnement d’Alcmène !
Ô terrestre fraîcheur des lèvres de Léda !
Ô candeur d’Hyacinthe !
Je ne sais plus… C’était dans une ville prise…
Eurydice !
Anchise !
Père ! vous fléchissez dans votre âme indécise !
Vous savez être bon puisque vous êtes fort :
Adoucissez pour moi la dureté du sort !
Ô mon fils bien aimé ! votre plainte me touche.
Puisque le mot fatal a franchi votre bouche,
Allez ! Allez dormir sur un sein ignoré !
Mais avant de sortir de ce palais sacré,
Jurez-moi sur le Styx, par un serment terrible,
De ne point dépouiller votre forme sensible
Et de cacher à tous que vous êtes un Dieu !
Je le jure !
Éros ! en ton honneur je vide mon cratère !
Et maintenant, mon fils, descendez sur la terre !
Marche sans le savoir vers ton destin caché !
L’Olympe te regarde : adieu !
Psyché ! Psyché !