Ésope à la cour/Avis au Lecteur

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La Compagnie des Libraires (Théâtre de feu Monsieur Boursault. Tome IIIp. 371-372).
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AVIS
AU LECTEUR


On n’a pas donné cet Ouvrage au Public comme une Piéce fort exacte dans toutes les régles du Théâtre, mais comme d’excellens traits de morale, & de parfaitement beaux Vers qu’avoit composés feu Monsieur Boursault, en attendant qu’il y donnât lui-même tout le jeu & toute la liaison qui y étoient nécessaires. La mort l’a empêché d’y mettre la derniere main : & c’est ce qui y a laissé quantité d’endroits, ausquels il n’eût pas manqué de donner toute une autre forme. On sçait assez quel étoit son heureux génie & sa facilité à mettre ses Ouvrages dans le point qu’il faut pour plaire : & cela suffit pour le justifier, & pour faire passer les bons esprits sur tout ce qui a arrêté les esprits critiques & difficiles. On ne dit rien ici de plus ni sur l’Ouvrage, ni sur l’Auteur, dont le Public connoît tout le mérite ; on avertit seulement que la troisiéme Scene du troisiéme Acte n’est imprimée avec des guillemets, que parce qu’on ne la jouë pas sur le Théâtre ; n’y étant pas tout-à-fait convenable. Il faut pourtant avouer que cette Scene est très-bonne en soi : & que le motif sur lequel Esope presse son Athée de croire, s’il n’est pas bien convainquant, est du moins très-raisonnable. Il ne s’agissoit pas ici de convaincre un Philosophe sur l’existence des Dieux ; mais de combattre dans un Courtisan un défaut commun à la Cour, de n’y pas croire grand’chose : Or il est constant que la plûpart des gens de ce caractere ne doutent pas avec fondement, mais seulement par libertinage, & parce qu’ils veulent douter, & qu’ils n’envisagent la mort que comme fort éloignée. L’experience fait assez voir que rien au monde n’est plus foible dans le péril & à la vûë d’une mort prochaine, que la plûpart de ces Esprits forts : C’en est assez pour autoriser Esope à leur faire des reproches, de ce qu’ils ne veulent pas croire dans leur vie ces mêmes Dieux qu’ils invoquent à la mort.