État actuel des Indes anglaises/02

La bibliothèque libre.



ÉTAT ACTUEL
DES INDES ANGLAISES.

SECONDE PARTIE.[1]
L’Indus. — le Sindh. — Avenir politique et commercial.

I. – SYSTÈME FLUVIAL DE L’INDUS.

Dans ce vaste empire de l’Inde anglaise, tout, il faut en convenir, est sur une vaste échelle. Les plus hautes montagnes du monde lui servent de rempart au nord ; les mers qui le baignent sont le lien de l’Orient et de l’Occident ; les plus nobles fleuves arrosent et fertilisent son sein. Le plus grand et le plus important de tous sous le point de vue historique et politique est l’Indus, dont la conquête vient de faire un fleuve britannique.

Les sources de l’Indus ne paraissent pas avoir encore été déterminées d’une manière précise. Les indications les moins douteuses font sortir les deux cours d’eau principaux ou branches primitives de l’Indus, l’un du lac Mansorawar, dans le Pays des Neiges (Ouna Désa), visité par Moorcroft en 1812, l’autre du lac Nobra-Soh, situé à environ quatorze jours de marche de Léh capitale de Ladack[2], vers Yarkend. Ces deux grandes branches se joignent à quelques milles seulement au-dessus de la vallée d’Iskardoh, explorée par d’autres voyageurs anglais, MM. Vigne et Hamilton, en 1835 et 1837. Elles présentent à peu près le même volume d’eau. Ce qu’il y a de certain, c’est que le cours supérieur de l’Indus commence dans la haute chaîne Himalaya, derrière le Kaïlasa, passant de Ghertope à Léh. De là, descendant sous le nom de San Pou (c’est-à-dire le grand fleuve), le cours de l’Indus n’a été constaté par des témoins oculaires que dans la portion qui longe la route de Léh à Kashmir, au travers du petit Thibet ou Baltistan. Après sa réunion avec son affluent du nord, le Shayouk, il poursuit sa course solitaire sur un espace d’environ 200 milles, pénétrant l’immense barrière du Caucase indien (Hindou Koush), recevant à Mallaï les eaux de l’Abba Sine, et environ 100 milles plus bas (par 33° 15′ L. N.) la rivière de Kaboul, le plus important de ses affluens à l’occident ; il passe à Attock, et bientôt après se fraie, par un étroit passage, une route au travers des embranchemens de la chaîne des monts Soliman.

C’est à partir d’Attock, et après sa jonction avec la rivière de Kaboul, que l’Indus appartient réellement à l’Hindoustan. Son lit, étendu naguère sur un vaste plateau, se resserre à une largeur de moins de 300 mètres. Sa profondeur et la vitesse de son courant augmentent en proportion. Pendant la saison des hautes eaux, le fleuve, sous les murs de la forteresse d’Attock, est profond de 35 à 40 pieds. Ce point, tant à cause de son importance réelle qu’à cause des souvenirs historiques qui s’y rattachent, mérite que nous nous y arrêtions quelques instans.

Le district d’Attock fait partie du Pandjâb, et est au pouvoir des Sikhs depuis 1813. Randjit-Singh avait rassemblé immédiatement au-dessous de la forteresse une quarantaine de bateaux à l’aide desquels il pouvait jeter un pont en quelques jours pour le passage de son armée. Dans la saison des basses eaux, c’est-à-dire de novembre à avril, vingt-quatre de ces bateaux, mouillés à de petits intervalles (le fleuve n’étant large à cet endroit que d’environ 250 mètres), suffisaient à la construction du pont, dont le tablier était formé de planches recouvertes de terre mouillée.

Il est remarquable que la méthode de construction de ce pont, telle que la donne Burnes, soit précisément la même que celle que décrit Arrien, comme ayant été en usage chez les Romains, et qu’il suppose avoir été employée par Alexandre. Le passage de l’armée macédonienne a dû s’opérer, en effet, près d’Attock et de l’embouchure du fleuve de Kaboul. C’est là aussi que Tchingiskhan avait conduit la première armée mongole et établi son camp, sans cependant oser franchir le fleuve. Son descendant Timour, deux cents ans plus tard, construisit à la même place un pont de bateaux et y passa le fleuve après avoir donné audience aux envoyés de la Mecque, de Médine et de Kashmir. La position d’Attock, à l’entrée de la partie de l’Indus la plus favorable à la navigation, au bas des pentes immenses de Kaboul, devait appeler à la fois l’attention des souverains de l’Hindoustan et celle des chefs étrangers qui aspiraient à la conquête de ce pays. L’empereur Baber, qui savait aussi bien qu’Alexandre distinguer d’un coup d’œil les points stratégiques et les utiliser, indique, dans ses mémoires, quatre passages différens de l’Hindoustan dans le Kaboul, mais qui tous présentent des difficultés pour la traversée du fleuve. Il remarque qu’en hiver on arrive au Sindh (l’Indus) au-dessus de l’embouchure de la rivière de Kaboul, et que dans la plupart de ses invasions il avait pris ce chemin ; dans la dernière, seulement il franchit le fleuve en bateaux à Nilâb ; Nilâb est encore aujourd’hui situé à environ quinze milles anglais au-dessous d’Attock. Le lit du fleuve y est très rétréci, l’eau très profonde et le courant très rapide[3]. L’empereur Akbar fit construire le fort d’Attock pour protéger efficacement ce point important des frontières de l’empire. Mais les faibles princes qui succédèrent à Aureng-Zeb négligèrent la défense de l’Indus, et Nadir-Shah, en 1738, s’empara facilement d’Attock, qui, en 1809, lorsqu’Elphinstone visita ce lieu mémorable, tombait en ruines. Randjit-Singh a reconstruit ou réparé la forteresse, et la garnison en est considérable. Comme position militaire et sous le point de vue politique, Attock a donc une grande importance. Des préjugés religieux qui ne sont pas indignes d’attention, se rattachent également à ce nom qui a été imposé non-seulement au lieu, mais au fleuve. Attock signifie empêchement, obstacle, arrêt. Or, d’après les idées traditionnelles, il y a empêchement à ce qu’un Hindou orthodoxe traverse la rivière d’Attock ou même le Sindh ou Indus en général. Cependant nous ne pouvons affirmer que la formule prohibitive qui spécifie cet empêchement existe dans l’un des livres sacrés. Quoi qu’il en soit, il est admis parmi ces mêmes Hindous orthodoxes que l’empêchement cesse immédiatement au-dessus du confluent des rivières d’Attock et de Kaboul. Les Brahmanes du Radjpoutâna et ceux qui habitent l’Afghanistan traversent d’ailleurs le fleuve sans beaucoup de scrupule ; et on a vu que les soldats hindous, qui formaient la plus grande partie de l’expédition anglaise dans l’Afghanistan, ont franchi, avec la même ardeur et le même empressement que les troupes européennes, le double obstacle que leur présentait l’Indus. Il faut remarquer, à ce sujet, que l’Indus, malgré son antique célébrité, son importance, et bien qu’il figure parmi les fleuves sacrés, n’a jamais eu, dans l’opinion des Hindous, le caractère de sainteté qu’ils reconnaissent à d’autres rivières, même d’un cours très borné. Les causes de cette espèce d’interdiction dont le passage de l’Indus est frappé, nous paraissent d’ailleurs se rattacher au grand système d’isolement qui fait la base des institutions brahmaniques, et dont le but était surtout de garantir les quatre castes pures du contact des Metchas (barbares ou incivilisés) qui ne reconnaissent pas la forme de gouvernement prescrite par les livres sacrés. Nous ajouterons en terminant que diverses espèces d’interdiction atteignent les eaux de quatre rivières dans l’Hindoustan. Il est défendu de toucher les eaux de la Caramnassa, qui sépare la province de Bahar de celle de Benares ; de se baigner dans la Caratoya, petite rivière du Bengale ; de nager dans le Gondak, l’un des affluens orientaux du Gange, et enfin de traverser l’Attock.

De Nilâb à Karabâgh (improprement appelé Calabâg), vers le 33° L. N., l’Indus serpente au travers des montagnes ; à sa sortie de la chaîne des monts salins (salt range), il s’étend en une nappe claire, profonde et tranquille, et poursuit son cours majestueux vers le sud ; c’est là que commence le cours moyen de l’Indus. Cependant, de ce point jusqu’à la mer, son bord occidental est longé par un grand système de montagnes (la chaîne des monts Soliman), qui se lie au nord à l’Hindou-Koush, et finit sur la côte de la mer Indo-Persique au cap Mouari ou Monze (le Fines Gedrosiœ des anciens) ; au-dessous de Karabâgh, l’Indus, qui depuis son entrée dans l’Hindoustan prend le nom d’Attock, ou rivière d’Attock, se partage tout d’abord en quatre bras, qui courent en serpentant pour se réunir à peu de distance, se diviser ensuite en de nouveaux rameaux, se réunir et se diviser encore, de manière que le lit principal du fleuve, sous l’influence des crues inégales et des accidens du terrain, se déplace sans cesse. Près de Mittun Kote (Mittenda Kote), sous le 28° 55′ L. N., il reçoit du côté gauche, c’est-à-dire du Pandjâb[4], les eaux de cinq fleuves réunis en un seul sous le nom de Tchénab (d’après celui des cinq qui est le plus voisin de l’Indus), et désigné, à l’est de l’Indus seulement, sous le nom de Pandjund, Pandjnud ou Pandjnoud. Ce puissant affluent coule presque parallèlement à l’Indus l’espace de 70 milles, et à peu de distance, en sorte que pendant la saison des inondations, en juillet et en août, presque tout le pays intermédiaire est sous l’eau. Les cinq rivières qui arrosent le pays des Sikhs, et dont la réunion forme le Pandjnud, sont le Sutledje (Hesudrus des anciens), le Béyas ou Beyah (Hyphasis), le Râvy (Hydraotes), le Tchénab (Acesines), et le Djélôm (Hydaspes). Le plus considérable de ces fleuves tributaires est le Sutledje, qui prend sa source au lac Mansorawar dans l’Himalaya thibétain, à 5,200 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, et probablement dans le voisinage des sources principales de l’Indus. C’est à une distance de 900 milles de son origine, et sous-tendant pour ainsi dire l’arc immense décrit par le roi des fleuves de l’Inde, que le Sutledje rejoint ce dernier à Mittun Kote. Ainsi, comme deux bras gigantesques, l’Indus et le Sutledje embrassent le Pandjâb, le Kashmir et une partie du Thibet, et l’avenir politique et commercial de ces contrées est soumis désormais à l’influence de l’Angleterre, dont ces deux vastes cours d’eau navigables reconnaissent aujourd’hui la domination. Le Sutledje est navigable pour de grands bateaux dans la majeure partie de son développement fluvial. Après sa jonction avec le Beyah, dont le volume d’eau est au moins égal au sien, il prend le nom de Gharra jusqu’au Pandjnud. Après le Sutledje, le Tchénab est le plus important des affluens de l’Indus. Il n’a pas moins de 540 milles de longueur sur une profondeur moyenne de 10 à 12 pieds. Le Djélôm, le Râvy et le Beyah sont aussi des rivières assez considérables et comparables à plusieurs des principales rivières d’Europe par le volume de leurs eaux et l’étendue de leur cours.

À partir de Mittun-Kote, le cours inférieur de l’Indus a été exploré avec exactitude d’abord par Burnes, puis par des officiers de la marine anglaise ; mais de ce point de Mittun-Kote en amont jusqu’à Attock, le cours moyen du fleuve est peu connu. Elphinstone, allant en ambassade à Kaboul, traversa l’Indus sur un bac le 7 janvier 1809, à Kahirie Ghât (31° 28′ L. N.), environ cent soixante-quinze milles au nord de Mittun-Kote. La rivière était à cet endroit divisée en plusieurs branches parallèles, dont la principale était large d’environ mille mètres, avec une profondeur de douze pieds ; c’était la saison des basses eaux. Le lit était sablonneux, un peu limoneux, l’eau pareille à celle du Gange. Près de Kahirie, selon Elphinstone, l’Indus avec ses prairies a un aspect imposant ; sur son rivage oriental est situé le plat pays de Moultân, dont les sables touchent presque le fleuve. Une étroite bande sur le rivage est tout ce que l’intelligente activité de l’homme peut disputer au désert. Cette bande naturellement fertile est parfaitement cultivée, pleine de métairies, de terres labourées et fumées avec soin. Des maisons construites en nattes grossières sur le bord même du fleuve sont élevées sur des plate-formes, soutenues par de forts piliers hauts de douze à quinze pieds, et offrent un refuge pendant les inondations. Sur la rive occidentale de l’Indus, on voyait s’élever le haut pays de l’Afghanistan, en trois chaînes distinctes qui paraissaient superposées l’une à l’autre jusqu’au Takht Soleiman (trône de Salomon), qui les domine toutes, et dont aucun Européen n’a encore atteint le sommet, quoique cette exploration hardie ait été tentée par des officiers de l’ambassade d’Elphinstone[5].

Ce pays de hautes terrasses s’appelle Damaun, c’est-à-dire lisière de montagnes ; il sépare l’Indus de l’ouest. Traversé par un petit nombre de passes, il est sillonné par quelques courans d’eaux tout-à-fait insignifians, enflés parfois en torrens qui roulent avec bruit, mais ne durent qu’un instant. L’Indus, semblable au Nil égyptien, n’a donc aucun affluent de ce côté, et tous ses affluens de gauche, au contraire, se dirigent vers cette contrepente précipitée de l’ouest. C’est comme si tout le système de l’Indus était attiré vers cet ourlet de montagnes (comme le Gange vers le rempart éternel de l’Himalaya), quoique dans l’est une plaine immense s’étende devant lui. Dans ce cours, différens noms sont donnés à l’Indus par différens auteurs : Sar, Shar, Syr, Mehrân ; mais ils sont, ou erronés, ou importés (comme Mihran du Zenda Vesta, et Mehran-al-Sind d’Abulfeda). Aujourd’hui la rive orientale est habitée par des Sikhs, des Hindous et des Beloutchies ; la rive occidentale est peuplée par des tribus afghanes.

Au-dessous de Kahirie, à partir du parallèle de Sanngar, le cours de l’Indus, strictement parlant, jusqu’à Shikarpour, est désigné par le nom de Sindh supérieur. Plus loin, jusqu’au Delta de l’Indus, c’est le Sindh inférieur. La plaine étendue autour de Shikarpour, à l’ouest de l’Indus, s’appelle Kutch-Gandava ; du temps de l’empereur Akbar, elle portait le nom de Sévistân. Dera Ghazi-Khan est la seule ville considérable située au nord de Mittun-Kote, sur la rive droite de l’Indus ; sur la rive gauche, du côté de Pandjâb, il n’y en a aucune de quelque importance. Cette capitale est entourée d’un sol très fertile et remarquable, ainsi que Dera-Ismael-Khan, ville située à 7 milles géog. (35 m. angl.) plus au nord, — par ses beaux jardins et ses bosquets de dattiers. Autrefois appartenant au royaume afghan, elle fut constamment le but des excursions et du pillage des Sikhs, qui enfin, voyant que cette contrée était trop éloignée pour y détacher sans cesse des troupes, l’affermèrent au khan de Bahawalpour, dans le Daoudpoutra, pour six lacs de roupies (environ 1,500,000 francs) ; mais, comme ce district ne pouvait guère fournir plus de quatre lacs, le gouvernement du khan a eu recours à d’affreuses exactions, sous lesquelles ce malheureux pays a gémi jusque dans ces derniers temps. Les relations plus directes et plus régulières qui se sont établies entre le Nawab de Bahawalpour et le gouvernement anglais, en vertu des derniers traités, auront sans doute amené dans l’administration de ce petit état les améliorations importantes que réclamait l’humanité.

Quelques productions de la partie occidentale des districts riverains de l’Indus et du Damaun sont transportées dans le Pandjâb, surtout le bois de teinture appelé mandjit, qu’on porte au marché de Outch (pays des anciens Oxydrakes) ; mais la voie commerciale plus animée, qui mène à travers le Pandjâb à l’Indus, se trouve située plus haut, et va de Moultân au passage Kahirie. De là, la route des caravanes continue par terre jusqu’à Dera-Ismael-Khan ; puis, par Deraband et par le pays montagneux de Vaziri, à travers Ghizni, elle se dirige à Kaboul. Cette route, qui a été suivie en 1833 par M. Honigberger[6], était inconnue auparavant. Il paraît que le fleuve de l’Indus lui-même ne sert encore, dans cette partie de son cours moyen, de Calabâg à Mittun-Kote, à aucun transport. Le louage des barques, dont le nombre est très petit, est démesurément coûteux ; les transports se font à meilleur marché sur des bœufs et des chameaux. C’est la cause principale pour laquelle cette ligne fluviale n’est pas encore utilisée. Il convient d’observer à ce sujet que dès le temps d’Alexandre les fleuves du Pandjâb avaient eu la préférence pour le transport en aval, parce que le Pandjâb était plus riche, mieux cultivé, et que les grands marchés et les résidences principales, telles que Lahore et Moultân, étaient situés sur ces fleuves, ce qui manque au cours de l’Indus.

Près de Mittun-Kote, l’Indus atteint 2,000 mètres de largeur ; dans sa descente jusqu’à Bâkker, il se rétrécit souvent de moitié, mais sa profondeur ne diminue pas dans la même proportion ; elle n’est jamais au-dessous de 7 mètres 5 décimètres au temps des basses eaux, et elle atteint parfois l’énorme chiffre de 30 mètres. Sa vitesse n’augmente cependant pas beaucoup, et son lit serpenté indique une pente extrêmement douce.

Au-dessous de Mittun-Kote, le point le plus remarquable jusqu’à Hyderabad, comme le plus important de tout le fleuve, sous le point de vue politique et stratégique, est la forteresse de Bâkker. Bâkker est situé sur une île ombragée de bosquets et de dattiers ; le château s’élève sur une roche de silex, entre les villes de Sakker sur la rive occidentale, et Rori sur la rive gauche, les dominant et les protégeant toutes deux. L’île est longue de 800 pas, large de 300. Du rivage de l’Indus, le groupe de rochers sur lequel s’assied la forteresse présente un beau coup d’œil.

La navigation est assez dangereuse sous le fort, à cause des bas-fonds ; ces dangers seraient nuls pour des bateaux plats à vapeur. Rori, sur son rocher haut de 40 pieds, compte 8,000 habitans. Ses maisons paraissent suspendues sur le fleuve, et ses habitans peuvent en puiser l’eau de leurs fenêtres. La plus grande partie des habitans de Bâkker sont Hindous ; mais cette ville est aussi un lieu de pélerinage pour les mahométans, parce qu’un cheveu de la barbe de Mahomet y est conservé dans une boîte d’or.

Nous ne nous arrêterons pas long-temps sur l’hydrographie du cours inférieur et du delta de l’Indus. Nous ferons observer d’abord que les deux grandes branches de l’Indus, — au sommet desquelles se trouve située Hyderabad, la capitale actuelle du Sindh, — désignées par les noms de Fulaili et de Pinyari, et qui constituent le Grand-Delta, sont desséchées en grande partie dans leur cours inférieur, en sorte que le véritable Delta de l’Indus se réduit à celui que forment immédiatement au-dessous de Tatta les bras du fleuve connus sous les noms de Baggaur et Sata, le premier, à son origine, coulant à angle droit dans l’ouest, le second au sud. Ces différens bras de l’Indus se divisent et se subdivisent à l’infini avant d’entrer dans la mer[7]. Les bouches de l’Indus changent fréquemment de position, ou du moins le chenal dans chaque bouche se trouve souvent déplacé et paraît rarement présenter la même profondeur pendant plusieurs années. L’Hadjamri est aujourd’hui l’entrée principale du fleuve. On croit avoir découvert une branche nouvelle navigable dans le voisinage du port de Karatchi, ce qui augmenterait encore l’importance de ce port ; mais cela demande confirmation. Karatchi et Vikkar, ou Bander-Vikkar, sont les principaux ports du Sindh ; des navires tirant jusqu’à 7 pieds d’eau peuvent remonter le fleuve de l’embouchure Hadjamri jusqu’à Vikkar. Ce bourg, avec les petits villages voisins, a une population d’environ 1,200 ames, abritée par de chétives huttes de roseaux plâtrées de boue ; le commerce de Vikkar est cependant plus considérable que ne le semble indiquer ce misérable extérieur. Il s’y fait pour cinq lacs de roupies d’affaires, et l’importance des relations de cette ville ne peut qu’augmenter. Le montant des exportations, d’après les derniers avis reçus, y a excédé de plus d’un tiers celui des importations. Le Sindh exporte, par cette voie, du riz, du ghi (beurre fondu), et du gourh (sorte de cassonade) : il reçoit en échange, de Bombay, des toiles, sucres, teintures, du fer, du cuivre et du plomb ; de Maskat, des dattes, des fruits secs et des esclaves ; de Goudjerat et de Kutch, du coton ; de la côte de Malabar enfin, du poivre, du bois de construction, de grosses toiles, etc. Le commerce le plus actif paraît être celui qui se fait avec Bombay. Les droits perçus à Vikkar par les Amirs s’élevaient, année commune, à environ 250,000 fr.

Karatchi a plus d’importance dans le présent et dans l’avenir, et il nous paraît nécessaire de faire connaître plus particulièrement ce point intéressant dont les Anglais ont pris définitivement possession depuis près d’un an.

L’occupation de la ville de Karatchi et de son petit fort par une division de l’armée anglaise, le 2 février de l’année dernière, avait accéléré, on le sait, la soumission des Amirs de Sindh. Ayant des communications sûres et promptes par la voie de terre avec Tatta, avec la mer et les côtes de l’Hindoustan par sa baie d’un accès facile, Karatchi, le seul port véritable sur toute la côte du Sindh, était destiné à devenir de bonne heure le centre d’un commerce de transit soit entre le golfe Persique et celui de Kutch, soit entre l’Hindoustan et l’Afghanistan. Karatchi est situé presque sous le 25e degré de latitude nord et par 65° environ de longitude est, et conséquemment à l’ouest des principales embouchures de l’Indus, entre le cap Monze et l’embouchure Phitti du Baggaur (branche occidentale du petit Delta), à cinq heures de marche de cette embouchure[8]. Le petit fort de Manhara ou Manora, qui garde l’entrée du port, est bâti sur une éminence pittoresque. Les Amirs le regardaient comme imprenable. Quand sir J. Maitland (l’ancien commandant du Bellérophon), arriva devant Karatchi, Manhara n’était défendu que par vingt hommes et sept pièces de canon. La garnison s’attendait à être renforcée dans la soirée du 2 février, et avait repoussé les offres de capitulation honorable qui avaient été faites par l’amiral dans la matinée. Une cinquantaine de coups de canon avait, avant l’heure de l’après-midi, démoli le fort en partie et mis en fuite la garnison, qui espérait pouvoir se réfugier à Karatchi, mais que les troupes déjà débarquées firent prisonnière, et la ville, sommée le soir même, était occupée par les Anglais dès le lendemain. Karatchi est une ville considérable, bien que de chétive apparence. Les rues en sont étroites et tortueuses à l’excès ; toutes les maisons sont construites en terre détrempée mêlée avec de la paille hachée, à toits plats, avec un ou plusieurs ventilateurs faits d’une espèce d’osier et servant à la fois de manche à vent et d’abat-jour ; aucun édifice de quelque importance n’attire les regards. Les maisons, dont les plus élevées sont toutes au centre de la ville, diminuent graduellement de dimensions du centre à la circonférence, dont un mur épais en terre défendait autrefois les approches. Il ne reste que des portions de cette enceinte. Quoique Karatchi fût depuis long-temps l’entrepôt commercial du Sindh, ni le gouvernement des Amirs, ni l’administration locale n’avaient pris aucune mesure pour faciliter l’arrivage et le débarquement des marchandises par l’établissement d’un quai, le creusement, l’élargissement du canal naturel qui conduit du port à la ville, c’est-à-dire à plusieurs milles dans l’intérieur, en sorte que le transport s’effectue moitié en bateaux plats qu’on hale avec peine au travers d’une eau vaseuse, moitié à l’aide d’hommes qui portent leur charge sur la tête. Le bazar est grand ; quelques-unes de ses rues sont complètement abritées du soleil par des nattes étendues d’un toit au toit opposé. Là se presse une population bigarrée, qui présente peu de traits intéressans pour le voyageur. On y remarque toutefois quelques Hindous du Moultân, qui sont les seuls commerçans et les seuls hommes d’affaires du pays, et qui se distinguent par la propreté de leur mise et leur air de prospérité, On rencontre aussi des soldats Beloutchis, si de pareils brigands peuvent mériter le nom de soldats, dont le costume pittoresque et la physionomie sauvage attirent les regards. Les Beloutchis sont des hommes d’une assez forte stature et dont l’apparence indique la vigueur et les habitudes martiales. Ils sont armés jusques aux dents. Ils laissent souvent croître leurs cheveux par derrière, contrairement à la coutume ordinaire des mahométans. Leur barbe touffue, le bonnet de forme étrange et de couleurs variées dont ils se coiffent, leur nez aquilin, leurs yeux petits, mais vifs, l’expression sournoise et même farouche de leur regard, tout concourt à les faire reconnaître comme une race à part et comme les dominateurs du pays. Les Beloutchis, formaient, disait-on, la principale force des Amirs. On supposait que ces princes entretenaient sur pied un corps d’environ 20,000 hommes, de cette milice indisciplinée, infanterie et cavalerie. Par les stipulations du dernier traité, cette armée a dû être entièrement licenciée et remplacée par un corps de troupes anglaises de 5,000 hommes, répartis suivant le bon plaisir du gouvernement suprême. Un régiment européen (le 40e), et d’autres troupes appartenant à la présidence de Bombay occupent Karatchi, qui nous semble devoir être regardé maintenant comme la clé de l’empire hindo-britannique à l’occident, se trouvant au sommet de l’angle formé par la ligne des bouches de l’Indus et la branche la plus occidentale de ce fleuve.

En général, la population mâle de Karatchi a des formes athlétiques et l’apparence de la santé. La tête et la face sont petites, mais d’un beau contour ; l’habillement des hommes est d’un tissu grossier, mais il leur sied à merveille, et tous, à l’exception des Hindous, que l’on rencontre en petit nombre, portent le bonnet beloutchi. Les femmes ont, comme les hommes, les traits marqués et le nez aquilin. Leurs cheveux sont simplement partagés sur le front, mais cependant la coiffure des coquettes du pays doit, pour être parfaite, satisfaire à une condition étrange. Une mèche de cheveux bien lisse, ramenée avec soin du sommet du front sur le nez, s’attache à l’anneau qui traverse l’une des narines. Les domestiques sont esclaves pour la plupart. Le commerce d’esclaves a été jusqu’à présent en grand honneur à Karatchi. Un bon esclave mâle se payait en général de 2 à 400 roupies (de 500 à 1,000 francs environ). Les femmes ne coûtaient guère plus de 60 roupies, et les enfans de sept à huit ans, 50. Cet odieux trafic a dû cesser depuis que les Anglais sont entrés en possession de ce district. — Le chameau, qui est ici d’une petite espèce, n’en est pas moins le plus précieux de tous les animaux domestiques. On l’emploie à tout. Les chameaux qui servent de monture font aisément un trajet de 70 milles dans un jour.

Nous avons déjà dit que la portion la plus industrieuse de la population, quoique de beaucoup la moins nombreuse, est hindoue. Le commerce est tout entier entre les mains des Hindous Moultanis. Ils occupaient aussi, sous le gouvernement des Amirs, quelques emplois subalternes, mais à la condition de laisser croître leur barbe comme les musulmans et de porter le même habillement qu’eux, humiliation que l’amour du gain leur faisait supporter sans hésitation. Le gouvernement anglais n’a pas tardé à utiliser l’intelligence et l’expérience locale de cette classe d’hommes, et nous voyons, par une lettre d’un des officiers appartenant à la garnison de Karatchi, que l’amiral sir Frédérick Maitland[9] n’a pas dédaigné de s’asseoir à un banquet qui lui avait été offert par un de ces Hindous Moultanis, le principal négociant de la place. « C’était chose étrange, dit notre jeune officier, que de voir à la table de Seth Pratom Dass le vétéran qui commandait le Bellérophon, quand le grand Napoléon vint s’y placer sous la protection du pavillon britannique. » Après le repas, et au moment où l’amiral prenait congé du riche Hindou, celui-ci présenta à son excellence un superbe bonnet beloutchi et une pièce de lounghie, comme échantillons des manufactures du Sindh. Le lounghie est un tissu soie et coton nuancé des plus riches couleurs ; la longueur ordinaire d’une pièce de lounghie est de 10 à 12 pieds, et sa largeur de 2 pieds. Roulé autour de la taille, un lounghie forme une ceinture d’une richesse et d’une élégance parfaites. Il paraît qu’il se fabrique à Karatchi une grande variété de ces tissus de soie et de coton, ainsi que des toiles d’une grande finesse et d’un fil très fort avec de jolies bordures de soie. On cite parmi les produits les plus remarquables de cette industrie des pièces de toile destinées à servir de vêtement aux femmes. Ces pièces sont d’abord teintes du plus beau cramoisi, on y imprime ensuite les plus riches dessins, à l’aide d’une composition de gomme et d’étain dont l’effet est précisément celui d’un magnifique tissu d’argent. Des tissus de laine grossiers, et particulièrement une sorte de couverture faite en poil de chèvre et presque imperméable, méritent aussi d’être mentionnés. Au total, il paraît certain que non-seulement les habitans de Karatchi, mais les Sindhis ou Sindhiens, en général, sont adroits et imitateurs par nature, et que différentes branches d’industrie auraient déjà atteint un haut degré de développement parmi eux, si la main de fer du gouvernement musulman n’en eût arrêté l’essor. Les revenus des douanes de Karatchi se sont élevés en 1832 à environ 500,000 francs. Ils ont beaucoup diminué depuis cette époque, ce qu’il faut attribuer surtout à la mauvaise administration des Amirs, qui, au lieu de protéger et d’encourager le commerce, l’écartaient pour ainsi dire par des exactions et des violences dont on ne pouvait prévoir le terme. Indépendamment des articles que nous avons indiqués plus haut, le commerce de Karatchi, qui est surtout un commerce de transit, consiste en noix d’areck, cardamome, cochenille, girofle, draps, cuivre, fers en barre, plomb, quincaillerie, sucres, bois de charpente et autres (qui sont importés surtout de Bombay), etc. Les caravanes de Kaboul et de Kandahar apportent des amandes, des graines de cumin, des dattes, du ghi, du grain, des cuirs, de l’huile, des cotonnades, etc. Karatchi est loin de répondre, par son aspect, à l’idée qu’on doit se former, d’après ce qui précède, de son importance politique et commerciale. Son territoire est borné au nord et à l’est par une chaîne de hautes montagnes appelée dans le pays le Pob, à l’ouest, par la chaîne des monts Lakki, prolongement du Hala, au sud par la mer. L’espace intermédiaire est une plaine aride presque entièrement dépourvue de végétation, et parsemée çà et là de noirs rochers dont les blocs confus semblent témoigner de quelque convulsion intestine de ce sol désolé. À la distance de 8 milles environ de Karatchi, et dans les seuls lieux peut-être dont l’aspect repose un peu le regard qu’attriste sans cesse l’infertilité poudreuse et monotone de ce pays, au milieu de bosquets de dattiers et des tombes de saints musulmans, on a trouvé des sources d’eau chaude dont les propriétés médicinales n’ont point encore été constatées par les Européens. Dans le voisinage immédiat de ces sources, et dans les mares qu’elles alimentent, se voient un grand nombre de crocodiles qui sont non-seulement respectés, mais protégés et nourris par les fakirs. Un jour viendra sans doute où le territoire de Karatchi, utilisant enfin le voisinage des cours d’eau dont il paraît être entouré, et changeant par degrés de nature sous la main intelligente de ses possesseurs actuels, se revêtira de verdure et produira en abondance des légumes et des fruits. En attendant, on trouve quelques légumes dans les rares jardins ou terrains cultivés décorés de ce nom, aux environs de la ville. Le poisson et le gibier sont à très bon compte, ainsi que la volaille. L’eau est remarquablement saine et abondante, quoique ce soit de l’eau de puits. Enfin, comme si la nature eût tenu à dédommager les habitans de ce district des bois touffus, des gras pâturages, des riches moissons qui leur sont refusés, le climat de Karatchi est un des plus beaux de la terre ; l’air est vif et pur, les chaleurs sont très modérées, les maladies y sont rares et les convalescences promptes ; en un mot, tout semble indiquer que, comme station militaire et comme entrepôt commercial, les Anglais ne pouvaient choisir dans ces parages un poste qui fût plus à leur convenance. La population actuelle de Karatchi peut être estimée à huit ou dix mille ames, et augmentera rapidement selon toute apparence.

Le gouvernement de l’Inde a fait commencer dès 1836 l’exploration hydrographique de l’Indus. À la fin de cette même année, le travail des ingénieurs n’embrassait encore que la partie du cours du fleuve entre Hyderabad et la mer. Ce que nous connaissons de ce beau travail nous semble justifier les conclusions suivantes.

Les données fournies par Burnes sur la largeur moyenne de l’Indus, sa profondeur et le plus ou moins de facilité qu’il présente à la navigation dans diverses portions de son cours, sont en général d’une grande précision. Il paraît, cependant, que les branches du Delta ont plus de bancs de sable qu’il ne l’avait supposé, et que les embouchures réelles du fleuve se réduisent à peu près à deux, dont la principale est l’Hadjamri (où a débarqué au mois de décembre 1838 le corps d’armée de Bombay, sous le commandement de sir John Keane)[10]. Les lits qui avaient été considérés comme des issues et qui ont été ou ont pu être des embranchemens utiles du fleuve à des époques antérieures, ont entièrement perdu ce caractère. Dans l’état actuel des choses, les deux branches navigables du Delta ne peuvent et ne pourront, probablement d’ici à long-temps, être parcourues avec sûreté que par des navires dont le tirant d’eau n’excède pas sept pieds. Toutefois, à une époque assez rapprochée, la rivière a été navigable pour des navires d’un tirant d’eau beaucoup plus considérable, des débris de navires de cette classe étant encore visibles sur plusieurs points du Delta. Il serait difficile et peut-être impossible, au terme où en sont arrivées nos connaissances, de préciser les causes de changemens aussi rapides que ceux qui sont attestés par ces débris[11]. Il est cependant évident que, faisant toute la part possible aux tremblemens de terre et en particulier à celui de 1819, qui a ruiné une partie de la province de Kutch, il faut admettre qu’il y a quelque chose dans la nature du fleuve ou du pays qu’il parcourt, qui le soumet à de plus grands changemens qu’aucun grand cours d’eau du même genre, et que ces changemens se sont manifestés, pour ainsi dire, par des oscillations fréquentes depuis les temps les plus reculés. Sous ce rapport, le résultat des recherches des ingénieurs anglais a une portée historique intéressante, en ce qu’il démontre l’impossibilité de déterminer avec le moindre degré de certitude, au moins dans le Delta, les lieux que l’expédition d’Alexandre a successivement atteints dans sa marche. Le premier steamer employé à l’exploration de l’Indus[12] n’était pas, à ce qu’il paraît, d’une assez grande force pour manœuvrer avec la vitesse et la précision convenables dans cette rivière si difficile à remonter à cause de la nature capricieuse de son lit et de la mauvaise qualité de son fond. Aujourd’hui que la domination anglaise est établie de fait dans toute l’étendue du Sindh, cette exploration importante sera promptement complétée, et il est hors de doute que la navigation de l’Indus et de ses affluens recevra dans peu d’années un immense développement.

L’expédition de l’Afghanistan a été, comme on pouvait le prévoir, l’occasion et l’instrument de nombreuses recherches qui ont suggéré d’utiles mesures pour l’encouragement et l’extension du commerce intérieur par l’Indus et ses affluens. Les points les plus avantageux pour servir d’entrepôt ou de point de départ ont été signalés par le gouvernement à l’attention des spéculateurs. Les ressources du pays, les échanges les plus profitables, leur ont été indiqués ; en un mot, une impulsion et une direction nouvelles ont déjà été données au commerce, en particulier à celui de Bombay. Le port riverain le plus important auquel la navigation puisse s’étendre dans les circonstances actuelles, est celui de Firozepour, à 950 milles des bouches de l’Indus. Firozepour était une ville considérable dans les anciens temps, de nombreuses ruines l’attestent. Elle a un fort d’une bonne assiette qui a été récemment mis en état de résister à un coup de main. On y a construit des marchés et de nombreuses boutiques ; elle se repeuple rapidement. Trois régimens sont cantonnés dans les environs. Le Ghât (débarcadère) est à la distance d’une lieue environ de la ville et d’un accès commode. De Firozepour on peut se rendre par des routes faciles dans toutes les parties des états sikhs protégés (protected sikhs states). Patalla, Nabal, etc., sont des pays riches et qui peuvent offrir plusieurs articles de commerce. Toutes les pacotilles d’objets d’Europe pour Sabattou et Simlah sont maintenant envoyées à Barr, située dans la vallée de Pinjore, à 14 marches (160 milles) de Firozepour. Ces pacotilles sont amenées de Calcutta à Allahabad par des bateaux à vapeur, et de là conduites 560 milles plus loin par la voie de terre au Ghât de Gharmakteser, sur le Gange, puis enfin par Mirut (206 milles) au lieu de leur destination. Les prix des articles de luxe venant d’Europe, qui sont fort demandés et dont la consommation tend à s’augmenter de jour en jour, sont portés ainsi à 50 p. 100 au-dessus des prix courans de Calcutta. Les marchands de Bombay, remontant le Sutledje dans la saison favorable, pourront dès à présent, selon toute probabilité, soutenir une concurrence avantageuse avec les expéditionnaires de Calcutta, même dans l’approvisionnement des marchés de Simlah, Sabattou, etc. Loudiana, position civile et militaire importante, située, comme nous l’avons vu, sur le Sutledje, à peu de distance de Firozepour, se fournira aussi de préférence à cet entrepôt. C’est une chose digne de remarque, pour le dire en passant, que le point de départ de l’armée qui a soumis l’Afghanistan à l’influence de la civilisation européenne, soit destiné à devenir l’un des centres principaux du commerce qui va refleurir sous la protection de la domination anglaise.

Sur la rive droite du Sutledje, vis-à-vis de Firozepour, des routes directes conduisent à Amritsir et à Lahore, les deux principales villes des domaines de Rundjit-Singh. La distance est courte et la route facile, et il est probable qu’on pourrait se rendre à Lahore plus commodément par cette voie que par la rivière Râvy (quoique celle-ci passe à Lahore même), parce que le cours du Sutledje est infiniment moins tortueux que celui du Râvy. À sept milles de la rivière, sur la route de Lahore, se trouve une ville nommée Kassour, où il se fait beaucoup d’affaires, et où des articles de sellerie, de quincaillerie, sur les modèles sikhs, et des cuirs de couleur, rouges, verts et jaunes, trouveraient un débit avantageux. Rassour était autrefois une ville fort considérable. Des articles de fantaisie, des soies, des satins, des kimkhabs (brocarts) et de la bijouterie, en particulier les perles et les émeraudes, vraies ou fausses, seraient fort recherchés dans les villes sikhs, les chefs sikhs et les gens aisés aimant à s’habiller richement. Des outils de charpentier, du fer en barres, se vendraient aussi avec profit.

En descendant le Râvy, le marché de Moultân appelle l’attention des spéculateurs. Le gouverneur actuel de Moultân est un administrateur éclairé qui protége le commerce. Moultân fabrique de très beaux et bons tapis. Bahawalpour, près du Sutledje, à 377 milles de Firozepour et environ 70 milles de Moultân, se présente ensuite. C’est une ville peuplée de 20,000 habitans parmi lesquels on compte un assez grand nombre d’Hindous ; tout le commerce de détail est entre leurs mains. De Bahawalpour, il s’établira probablement des relations avantageuses avec la province anglaise d’Harriana et les provinces voisines, ainsi qu’avec les marchés importans de Bhawani et de Palli dans le Radjpoutana. On trouve encore, de Bahawalpour à Bâkker, plusieurs points situés dans un pays fertile, bien cultivé, et dont les productions offriront très probablement d’utiles échanges ; mais Bâkker (144 milles de Bahawalpour) est, nous le répétons, le point le plus important de tous. C’est celui qui commande le commerce de tout le fleuve ; c’est le terme de jonction des routes qui viennent de l’Hindoustan, du Sindh, de l’Afghanistan. Kheyrpour n’en est éloigné que de 15 milles, Shikarpour de 22 milles. C’est là que les steamers devront remonter d’abord ; c’est de là que l’ouest de l’Afghanistan et la Perse elle-même tireront peut-être un jour tous les articles d’Europe nécessaires à leur consommation. Hyderabad est à 178 milles de Bâkker. On compte 329 milles de Bâkker à l’embouchure Hadjamri de l’Indus.

Vers le mois de mai dernier, un avis officiel du gouvernement suprême avait prévenu le commerce que 5 bateaux, de 300 mands au moins chaque (10 à 12 tonneaux), et préparés pour recevoir des passagers aussi bien que des marchandises, seraient expédiés deux fois par mois du Ghât de Firozepour pour Bâkker, à commencer du 1er  juin. Au moment où nous écrivons, le commerce de l’Indus par le Sutledge est donc très probablement en toute activité.

Le commerce français nous semble appelé à prendre sa part dans ce mouvement commercial, et nous aimons à croire qu’il profitera des nouveaux débouchés qui lui sont offerts dans l’extrême Orient. Nous pensons que les ports de Bombay et de Karatchi en particulier pourront devenir le but d’expéditions profitables, et nous appelons sur les relations nouvelles et importantes qui doivent nécessairement s’établir pour fournir à de nouveaux besoins, l’attention des armateurs de nos ports principaux.

On ne nous blâmera pas, nous l’espérons, d’avoir exposé dans tout son ensemble et dans ses rapports principaux le système fluvial de l’Indus. Partout, et d’après la même loi, les eaux courantes se fraient leur route, directement ou indirectement, des points les plus élevés de la surface du globe aux mers qui la baignent ; mais les circonstances et les effets de la chute présentent des variétés infinies. C’est de l’ensemble de ces circonstances que résulte l’individualité de chaque système d’eaux ; par elles, la surface inorganique de la terre se divise et se constitue en unités locales, que nous désignons par les noms de pays, contrées, et ces lieux, ainsi individualisés par les eaux, exercent partout sur l’homme qui y vit un charme secret et mystérieux, et sont la base de toute vie organique. L’exploration détaillée des systèmes d’eaux dans leurs rapports avec l’agriculture, l’industrie et le commerce, est un des élémens les plus importans des études de l’homme d’état, et, avec l’importance de ces systèmes, s’accroît la portée des considérations dont ils sont l’objet[13]. Les fleuves comme l’Indus exercent une immense influence sur la civilisation des peuples et sur leurs destinées. Ces vastes systèmes d’eaux navigables sont comme les artères et les veines de la terre ; sans eux, il n’est point de vie politique et commerciale complète ; par eux, l’humanité est fortement excitée au développement de ses forces utiles, et, s’organisant en grandes nations, elle sème à chaque instant, dans le présent déjà riche, les germes d’un avenir plus riche encore.

II. — LE SINDH.

Si nous avons réussi à donner une idée exacte du système fluvial de l’Indus et des circonstances particulières de son développement dans la partie inférieure de son cours, on comprendra que la province de Sindh ne vive, pour ainsi dire, que par ce fleuve, qu’elle lui doive son importance politique et commerciale, et que ses élémens de prospérité aient subi jusqu’à ce jour l’influence des causes physiques qui se résument dans les accidens de ce cours gigantesque, qu’une civilisation, toujours imparfaite, souvent rétrograde, n’a pu maîtriser encore.

Alexandre, cet homme d’une si grande prévoyance, d’une volonté si prompte et si ferme, d’une puissance d’exécution si merveilleuse, avait compris du premier coup d’œil le parti qu’on pouvait tirer d’une occupation permanente du Delta : il s’était rendu maître du cours navigable du fleuve en fondant des villes et en élevant des forts sur deux points qui sont précisément, on a tout sujet de le croire, ceux sur lesquels s’élèvent les villes modernes de Bâkker et de Tatta. L’œuvre ébauchée par cet homme, si grand qu’il fût, ne pouvait être achevée que par une nation, et avec toutes les ressources de la civilisation européenne. Ce que tout le génie et la persévérance d’Alexandre n’auraient pu accomplir, même relativement, pendant la durée d’un long règne, se fera de nos jours, sinon sans efforts, au moins sans lutte, et se fera surtout par l’introduction de la navigation à la vapeur, cette puissance miraculeuse qui seule pouvait, en assujettissant complètement le cours de l’Indus à la domination intelligente d’un grand peuple, doter le Sindh et le Pandjâb d’une vie nouvelle et d’un riche avenir.

Nous avons vu que les pays situés sur la rive occidentale de l’Indus, dans son cours moyen et à partir de Sanngar, sont désignés par le nom de Sindh ; mais le Sindh proprement dit commence au confluent de l’Indus et du Pandjnud, et a pour limites au nord le Pandjâb et le Kutch-Gondava, au sud la province de Kutch et l’océan, à l’est le Radjpoutana et le pays des Daoudpoutras (le Bahawalpour), à l’ouest enfin, le Beloutchistan. Sa forme est irrégulière, elle approche cependant de celle d’un triangle dont les embouchures de l’Indus (occupant une ligne de 130 milles environ de longueur) formeraient en partie le plus petit côté, et dont l’angle opposé aurait son sommet près de Mittun-Kote. L’aire de ce triangle peut être évaluée à environ 2,600 myriamètres carrés. Les quatre cinquièmes au moins de cette surface, si l’on en croit les témoignages les plus dignes de foi, sont propres à la culture ; on n’en cultive aujourd’hui qu’un peu plus des deux cinquièmes. Ce que produit cette exploitation imparfaite du sol suffit cependant et au-delà aux besoins de la population actuelle, qui paraît ne pas excéder un million d’ames, si même elle atteint ce chiffre. Dans le Delta comme au Bengale, le riz forme la nourriture principale des habitans ; plus haut, le blé, comme dans le cours moyen du Gange, remplace fréquemment le riz. L’aspect de ce pays est dénué d’intérêt. À l’est de l’Indus, à l’exception des collines de Bâkker et d’Hyderabad, on ne rencontre pas un seul accident de terrain, pas une pierre depuis le fleuve jusqu’aux monticules de sable du vaste désert qui sépare la province du Sindh de l’Hindoustan ; tout est plat et couvert de buissons. À l’ouest du fleuve, du parallèle de Mittun-Kote à celui de Sehwun (26° 30′ L. N. environ), on retrouve cette plaine monotone et infertile jusqu’au pied des monts Hala, qui bordent le Beloutchistan. De Sehwun à la mer, le pays est nu et hérissé de rochers. Le sol du Delta est riche, mais mal cultivé ; la surface en est sans cesse modifiée par les inondations périodiques du fleuve. Les points, en petit nombre, qui ne sont pas atteints par le débordement, y participent par des canaux artificiels de 4 pieds de large sur 3 pieds de profondeur qui suffisent aux besoins de l’irrigation. La crue des eaux commence en avril, atteint sa limite en juillet, décroît sous l’influence des vents du nord et disparaît en septembre ; les pluies, sont très rares[14]. Un huitième environ du sol du Delta est couvert par les lits du fleuve ou ses ramifications ; une grande partie des sept huitièmes restans est envahie par une végétation naine, mais vigoureuse, qui forme des fourrés impénétrables. Dans la proximité des villes seulement, comme près d’Hyderabad et de Tatta, on cultive la vigne, le figuier, le pommier, le grenadier, la canne à sucre ; on récolte aussi quelque peu d’indigo, du tabac et du chanvre : ces deux dernières plantes sont employées comme narcotiques. Partout les grands arbres sont rares. De vastes portions de la surface du Delta sont occupées par des plaines entièrement nues, d’une argile durcie. Sans l’Indus et ses inondations bienfaisantes, tout le Sindh deviendrait un désert semblable à celui qui s’étend entre ce pays et l’Hindoustan. Malgré ces désavantages naturels et l’incurie de ses habitans, le Sindh a rapporté, dans ces derniers temps, au gouvernement des Amirs, environ 40 lacs de roupies (à peu près 10 millions de francs) ; sous la dynastie précédente, les revenus s’élevaient, dit-on, au double de cette somme.

L’histoire du Sindh est assez bien connue, Alexandre avait trouvé ce pays habité par les Hindous et gouverné par les brahmanes. Après avoir fait quelque temps partie de la monarchie bactrienne, le Sindh regagna son indépendance qu’il conserva jusqu’à l’établissement de l’islamisme, et passa bientôt après sous le joug mahométan. Les califes renversèrent la dynastie brahme, et de Baghdad gouvernèrent cette province par députés. Le Sindh passa successivement sous la domination des Ghaznavides et des Ghorides, jusqu’au XIVe siècle ; à cette époque, les princes du pays reprirent le dessus, et plusieurs tribus se disputèrent l’honneur de donner des souverains au Sindh, qui fut soumis de nouveau par les conquérans tartares. Enfin, Nâder-Shâh le réunit à son empire, et quand, après sa mort, Ahmed-Shâh fonda le royaume de Kaboul, cette province en fit partie et a été considérée depuis lors comme une de ses dépendances. Du temps de Nader, elle était gouvernée par la famille des Caloras, originaire du Beloutchistan. Sous le règne de Timour-Shâh (fils d’Ahmed-Shâh), vers l’année 1786, le pouvoir passa dans la famille des Talpouris, qui l’a conservé jusqu’à ce jour, et qui est également Beloutchie d’origine. Nous savons déjà ce que l’on doit penser du caractère et des résultats de leur administration, qui avait pour but exclusif de remplir les coffres des Amirs, sans égards pour le commerce, pour l’agriculture, pour le bien-être présent ou futur des populations. Le gouvernement anglais chercha plusieurs fois à former avec ces princes une alliance qui pût profiter d’une manière efficace et durable à leurs intérêts commerciaux ; mais il n’y avait aucun résultat utile à attendre de traités conclus dans ce but avec des chefs qui n’avaient qu’un respect médiocre pour la foi jurée, et dont les engagemens ne liaient pas d’ailleurs d’une manière absolue les chefs secondaires. Nous avons dit que l’avant dernier traité datait de 1832. Le caractère des négociations entamées à cette époque par ordre et d’après les instructions positives de lord William Bentinck, se ressentit de la circonspection souvent imprévoyante et de la politique timide et flottante de ce gouverneur-général. La dignité du gouvernement suprême en souffrit sans que les intérêts matériels en retirassent aucun bénéfice. Si jamais l’inopportunité et le danger des demi-mesures ont été démontrés, c’est en ce qui touche aux relations de l’Inde anglaise avec le Sindh. Lord Bentinck a voulu temporiser, se borner à un traité de commerce avec des gens qui ne comprennent, ou du moins qui ne respectent que la force. Ce traité n’a servi à rien parce que les spéculateurs ne pouvaient compter sur aucune protection dans le Sindh, par suite de l’organisation, ou, si l’on veut, de la désorganisation politique du pays. Il fallait imposer un traité dont les stipulations pussent protéger efficacement les intérêts politiques et commerciaux. C’était le seul moyen d’en finir avec les Amirs, et c’est celui qu’a adopté lord Auckland. Parmi les princes de la famille régnante, le plus intelligent et le plus puissant de beaucoup est Mir-Mourad-Aly-Khan-Talpour, d’Hyderabad. Les Amirs de Kheyrpour et de Mirpour, ses neveux, sont plus ou moins sous sa dépendance. Mir-Mourad-Aly a usurpé les droits de Mir-Sobdar-Khan, un autre neveu, fils de son frère aîné ; il a de plus désigné, comme son successeur, le second de ses propres fils, au détriment de l’aîné ; et, comme Mir-Sobdar-Khan est encore en vie, à ce qu’on nous assure, il ne saurait y avoir moins de trois prétendans au trône, à la mort de Mir-Mourad-Aly. Toutefois ces prétentions rivales ont trouvé, par suite des derniers traités, un arbitre dont les décisions seront sans appel, et conséquemment l’avenir politique du Sindh est, sous ce rapport, à l’abri de toute commotion violente.

Nous croyons inutile d’entrer dans de longs détails sur la forme de gouvernement du Sindh et son action dans ces dernières années. La domination anglaise commence pour ce pays, et nous ne pourrions former que des conjectures sur le système d’administration qui va être introduit. Nous nous bornerons donc à résumer en peu de mots ce qu’on sait sur l’état actuel, la population et les ressources du Sindh et le caractère de ses habitans.

Les trois districts principaux du Sindh se subdivisent en un nombre presque infini de cantons pressurés outre mesure par de petits chefs absolus qui paient une certaine redevance aux Amirs. Ces despotes, grands et petits, ont sans cesse les versets du Koran à la bouche, mais ne reconnaissent, par le fait, d’autre loi que leur caprice. Ils pouvaient mettre à mort, et cela s’est vu maintes fois, leurs femmes ou leurs concubines et leurs propres enfans, sans que personne y trouvât à reprendre. Fumer, mâcher le bétel ou l’areck, s’enivrer par tous les moyens connus dans l’Inde, chasser ou au moins tuer à loisir le gibier entassé dans les innombrables réserves ménagées à cet effet sur les bords du fleuve, telles sont leurs occupations habituelles. Ces enclos réservés, connus sous le nom de Shikar-Gahs, occupent à eux seuls une portion considérable du pays. On n’en compte pas moins d’une trentaine sur une seule rive, entre Hyderabad et Tatta. Ce sont autant d’obstacles à la culture et même à la navigation, car les clôtures descendent jusque dans le voisinage du chenal et interceptent le halage.

La masse de la population du Sindh est mahométane ; un quart environ de cette population suit la religion brahmanique. Sous le rapport ethnographique, comme sous le point de vue du climat et des productions, le Sindh est une terre de transition. Bien des races, autrefois distinctes, s’y sont croisées et confondues. Les Sindhis ou Sindhiens proprement dits sont la partie nomade de la population ; on les regarde comme les premiers habitans du pays. Convertis à l’islamisme, ils se sont mêlés par le mariage avec la race des conquérans. Il y a des mahométans dans le Sindh et des Hindous dans la province de Kutch qui reconnaissent les mêmes ancêtres. Les mahométans sont grands et bien proportionnés, très bruns ; ils portent les cheveux longs, ce qui les distingue des autres mahométans de l’Inde ; ils portent tous le bonnet, au lieu du turban (comme on a déjà pu voir dans la description que nous avons donnée de la ville de Karatchi). Les Hindous du Sindh ne diffèrent pas extrêmement de ceux de l’Hindoustan ; ils ont le teint plus clair que les mahométans. On voit aussi dans le Pandjâb quelques Sikhs de la caste ou tribu des Lohanies ; ceux-ci et les Hindous se livrent exclusivement au commerce.

Le fanatisme religieux est porté par les musulmans au plus haut degré. En tout ce qui touche aux pratiques extérieures de la dévotion, les Sindhiens sortent de leur apathie habituelle ; aussi dit-on d’ordinaire qu’ils n’ont de zèle que pour célébrer la fête de l’Ide[15], de libéralité que pour nourrir la paresse des sayëds[16], de goût que pour orner les tombeaux de leurs saints. Les sayëds et les fakirs, mendians religieux à pied et à cheval abondent dans toutes les parties du Sindh ; ils demandent l’aumône avec arrogance et souvent la menace à la bouche. Mendier est un métier si profitable dans ce pays, que beaucoup de gens du peuple suivent cette vocation, et s’attirent les respects et les offrandes de la multitude sans y avoir d’autres titres qu’une apparence étudiée d’austérité et de pieux recueillement. Rester assis toute une nuit, par exemple, sur le toit en terrasse d’une maison, et répéter des milliers de fois, sans interruption, le nom d’Allâh, suffit pour donner à l’un de ces personnages une réputation de sainteté. Au reste, tout se réduit à ces démonstrations extérieures et à ces vaines pratiques. Pour un homme vraiment religieux et de quelque instruction, on en rencontre cent parmi ces classes privilégiées qui savent à peine lire et qui ne savent pas écrire. Dans toutes les classes, le goût des plaisirs sensuels, des jouissances matérielles les moins relevées, l’emporte sur le sentiment du devoir et les affections de famille. Les personnes des deux sexes s’abandonnent à l’usage immodéré des liqueurs spiritueuses et des drogues enivrantes. Les exercices mâles propres à entretenir et à développer la vigueur de la constitution sont inconnus au bas peuple, qui, ainsi que les grands du pays, regarde l’oisiveté, il dolce far niente, comme le bien suprême. Dans ce pays ainsi peuplé et ainsi gouverné, on conçoit que l’agriculture se repose sur l’Indus du soin de fertiliser le sol, et que le commerce languisse ou soit comprimé dans son essor par l’aveugle rapacité du despotisme. Cependant les Sindhiens, nous le répétons, ont un penchant marqué à l’imitation et beaucoup d’aptitude pour les arts mécaniques. Ils fabriquent des armes d’assez bonne qualité, ils préparent les cuirs mieux qu’on ne le fait dans l’Hindoustan. Nous avons vu qu’ils réussissent particulièrement dans la fabrication de certains tissus ; mais ces différentes branches d’industrie, que le gouvernement musulman a constamment rançonnées au lieu de leur donner quelque encouragement, n’ont produit, surtout dans ces derniers temps, que ce qui pouvait suffire à la consommation locale.

La plupart des chefs sont Beloutchis. Il y a quelque analogie de position entre eux et les mamelouks au milieu des populations égyptiennes, et ce n’est qu’une des nombreuses analogies qui, sous le point de vus physique et sous le point de vue politique, ont été déjà signalées entre le Sindh et l’Égypte.

Il y a peu de villes de quelque importance dans toute l’étendue du pays ; la plus considérable est Shikarpour, dont la population est au moins de 26,000 ames, et qui, se trouvant située sur les bords d’un canal, à peu de distance de l’Indus, sur la grande route suivie par les caravanes, est devenue le centre de relations très actives[17]. Hyderabad, moins peuplé, quoiqu’elle soit la capitale actuelle du Sindh, ne compte, selon Burnes, que 20,000 habitans (Elphinstone lui en donne 80,000 !). Tatta, l’ancienne métropole, la Pattata d’Alexandre, a environ 15,000 ames. Viennent ensuite Larkhana, Kheyrpour, Mittun-Kote, Schwun, Karatchi, et quatre ou cinq autres de moindre importance. Au reste, les principales autorités que l’on puisse consulter ne s’accordent guère que sur le chiffre général de la population du Sindh, population qui ne semble pas, comme nous l’avons déjà dit, dépasser un million.

Les productions du règne végétal et du règne animal diffèrent peu de celles de l’Hindoustan. Le chameau et le buffle sont les deux grandes ressources du pays ; l’un et l’autre s’y sont prodigieusement multipliés : le chameau est petit, mais très vigoureux ; le buffle, d’une grande espèce au contraire, et donnant en abondance un lait très riche. Le mouton à large queue (doumba) est aussi très commun. Les produits de la pêche sont assez considérables, non-seulement pour fournir amplement à la consommation, mais encore pour former une branche d’exportation qui ne manque pas d’importance. Le commerce intérieur est insignifiant, la consommation des articles d’Europe est restreinte à la classe élevée ; mais à mesure que la population s’accroîtra avec la liberté et l’aisance des classes inférieures, de nouveaux besoins se développeront parmi ces classes, et nos toiles, nos indiennes, nos soies, nos velours trouveront des acheteurs, soit pour être employés sur les lieux, soit pour être exportés dans l’Asie centrale. Dans ces derniers temps, les principales importations consistaient en bois de construction, en indiennes, mousselines, calicots et autres tissus de Bombay, velours, soies, satins, fils de soie, noix de cocos, épiceries, métaux, ivoires, etc., des ports de l’Arabie et autres ports du sud. Goudjerât, Marwar et Djeyssulmire envoient du sucre et de l’opium de Malwa.

Les exportations consistaient en riz, sel, poisson (l’espèce appelée poullah, qui est très délicate), ailerons de requin, ghi, et quelque peu d’indigo, etc.

Le langage du Sindh est d’origine hindoue. Les classes élevées parlent un persan corrompu ; les basses classes, un jargon mêlé de sindhy et de pandjâby : le sindhy est une langue écrite, mais nous ne savons pas quels sont les caractères qu’elle emploie.

Avant de nous occuper des ressources que pourront offrir au commerce les contrées situées à l’ouest de l’Indus, à la suite des grands changemens que la domination anglaise doit amener dans l’administration des pays afghans, nous croyons intéressant de comparer le système du Gange avec le système de l’Indus, et de rattacher à cette comparaison l’étude politique du domaine de ce dernier fleuve.

Les sources du Gange et celles de l’Indus, venant du même système de montagnes, traversent les mêmes parallèles de latitude, mais dans une longueur inégale, une direction opposée, avec des ramifications caractéristiques diversifiées, et par conséquent avec un développement fluvial très différent. Le Gange reçoit ses eaux des systèmes Himalaya et Vindhya, l’Indus uniquement du système Himalaya. Tous les deux sont des fleuves sous-tropicaux, tous deux voient leurs eaux croître à des époques déterminées. Le volume de leur décharge dans l’Océan nous marque leur grandeur relative, modifiée cependant par la différence de leurs pentes.

Sikliguly, au-dessus de Rajmahal, sur le Gange, et Tatta, sur l’Indus, sont deux points de comparaison convenables, étant situés l’un et l’autre à l’endroit où chacun des fleuves respectifs a reçu la totalité de ses affluens, et immédiatement avant la bifurcation de ces fleuves au delta. Si les deux bras les plus orientaux de l’Indus, le Fulaili et le Pinyari, n’étaient pas trop insignifians (malgré leur crue momentanée pendant la saison des grandes eaux), Hyderabad serait encore plus propre à servir de point de comparaison avec Rajmahal, tous les deux étant situés à la pointe du delta, comme le Caire sur le Nil. G. Prinsep, qui a étudié particulièrement le sujet qui nous occupe, établit que le Gange, près Sikliguli, décharge dans le mois d’avril 21,500 pieds cubes d’eau par seconde, que la largeur moyenne du fleuve y est de 1,500 mètres au moins, et sa profondeur, pendant la saison des basses eaux, de 3 pieds (d’après Ritter, 5 pieds de chenal au plus. Les mesurages à Bénarès (en avril) donnent des résultats semblables ; la largeur du Gange y est de 1,400 pieds seulement, sa profondeur, de plus de 34 ; il y passe donc de 19,000 à 20,000 pieds cubes d’eau par seconde.

L’Indus, au milieu d’avril, près Tatta, a une largeur de 670 yards (environ 2,000 mètres). Sa vitesse est de 2 milles et demi par heure ; ses rives escarpées lui donnent dans toute sa largeur, à quelques mètres près, la même profondeur régulière, qui est au moins trois fois aussi grande que celle du Gange, c’est-à-dire de 15 pieds. Sa décharge s’élèverait, d’après ces données, à 110,500 pieds cubes dans une seconde, ou seulement 93,465 pieds d’après la formule de Buat. Il faut introduire dans cette évaluation une légère correction pour les basses eaux des rivages, et il paraît raisonnable de s’arrêter au chiffre de 80,000 pieds cubes par seconde pour la décharge de l’Indus, c’est-à-dire quatre fois autant que le Gange, dans la même saison, près de Bénarès (le Rhin près de Bâle n’en décharge que la moitié, c’est-à-dire 13,400 pieds cubes par seconde), et presque autant que le Mississipi.

Nous n’avons encore aucunes données précises qui nous permettent d’établir une comparaison utile entre l’Indus pendant la saison de l’inondation et le Gange pendant la saison des pluies, époque du maximum de la crue de ce fleuve, et à laquelle il passe à Sikliguly 500,000 p. cubes d’eau par seconde. Cependant les observations recueillies sur l’Indus conduisent aux considérations suivantes :

La longueur plus grande du cours de l’Indus, depuis le voisinage du lac Mansorawar, où se trouvent les sources de l’Indus et du Satadrou (Sutledje), fait supposer une plus grande quantité absolue d’eau que dans le Gange. L’Indus parcourt un domaine fluvial relativement aride, désert ou faiblement peuplé ; le Gange s’élargit beaucoup plus dans son cours et dote ses rivages de plus riches moissons. L’Indus, même dans le temps de son inondation, reste toujours emprisonné dans son lit entre des rives escarpées et proportionnellement beaucoup plus rapprochées ; rarement il a plus d’un demi-mille anglais de largeur. Il rappelle en ceci le cours étroitement encaissé du Nil. Le Gange, au contraire, pareil aux fleuves chinois, s’élargit en quelques portions de son parcours comme un immense lac ou une mer d’eau douce ; d’un rivage on peut à peine distinguer l’autre. C’est pourquoi l’évaporation à sa surface et la quantité d’eau absorbée par le fond et par l’atmosphère doivent être infiniment plus grandes que dans l’Indus.

Le Gange, avec ses affluens, reçoit le déversement atmosphérique uniquement de la pente méridionale du système Himalaya, et l’Indus le reçoit non-seulement de celle-ci, mais aussi de la pente septentrionale et des gîtes de neiges de la haute masse des plateaux. Ses eaux croissent long-temps avant la saison des pluies par la fonte des glaces et des neiges, nonobstant la longueur extraordinaire de son cours. Sa pente paraît être très douce, comme dans tous les grands fleuves ; sa vitesse moyenne ne dépasse pas 2 milles et demi anglais par heure, tandis que toutes les rivières du Pandjâb parcourent un mille anglais de plus dans le même espace de temps, ce qui s’explique par leur plus grande proximité des montagnes. De l’ensemble des faits observés, il résulte que l’Indus a un volume d’eau plus considérable que le Gange, quoique le Gange paraisse surpasser de beaucoup l’Indus dans le développement grandiose de son lit. Le Gange semble offrir plutôt le caractère d’un torrent de montagnes qui dans une saison inonde tout, et dans une autre accuse une pauvreté d’eau remarquable ; l’Indus, au contraire, roule toujours ses eaux également abondantes vers l’Océan. De son côté, le Gange, présente d’autres contrastes et d’autres avantages partiels en opposition à ce développement plus régulier du cours de l’Indus, qui rappelle celui du Rhin. Ces contrastes viennent d’un plus riche déversement des pluies sur son domaine fluvial et d’une irruption plus profonde de la marée ; deux rapports qui, dans le domaine de l’Indus, situé plus à l’ouest, sont d’une moindre importance, excepté pendant le règne des moussons. L’action de la marée dans l’Indus pénètre à peine jusqu’à Tatta ; est-ce à cause d’un plus grand volume d’eau douce, qui oppose une plus grande résistance à la pression des vagues de la mer, ou bien serait-ce que les grandes embouchures de ce fleuve sont situées peu favorablement pour admettre une pénétration complète de la marée ? Quoi qu’il en soit, il est certain que la marée, dans l’Indus, reflue avec une vitesse incroyable, surtout dans le voisinage de l’embouchure. La plus grande marée moyenne, dans le Gange, paraît être de douze pieds ; dans l’Indus, à la pleine lune, la marée observée par Burnes atteignait neuf pieds, mais la hauteur moyenne n’a pas été observée, que nous sachions.

Ces résultats sont d’une extrême importance pour l’étude de la navigation sur l’Indus. L’application de la vapeur à cette navigation sera grandement facilitée par la découverte faite en 1830 de gîtes de houille très riches, au-dessus d’Attock, à seize heures de marche seulement de cette forteresse, dans les montagnes de Cohat. Ces mines se trouvent ainsi à l’extrémité nord de la navigation possible sur l’Indus, comme il s’en trouve à son extrémité sud, et à proximité de son embouchure dans la province de Kutch. Il est, certes, très remarquable que l’Indus supérieur, même dans la saison sèche, n’ait pas moins de 15 pieds de profondeur, sur une largeur d’un demi-mille ; que le Tchénab conserve 12 pieds de profondeur dans la même saison, et le Râvy 6 pieds environ. Il s’ensuit que la navigation intermédiaire la plus étendue, sans transbordement, ne pourra s’effectuer qu’à l’aide de bateaux plats qui ne tirent pas plus de 4 à 5 pieds d’eau ; de pareils bateaux peuvent charger de 75 à 80 tonneaux, comme les grands bateaux sur le Rhin. Des bateaux à vapeur, construits dans le genre de ceux du pays, répondront parfaitement aux besoins de cette navigation mais il ne faut pas songer aux navires à quille tirant beaucoup d’eau. Burnes avait mis deux mois à remonter la rivière jusqu’à Lahore, 40 jours jusqu’à Moultân. Avec des bateaux à vapeur, on arrivera certainement de l’embouchure de l’Indus à Moultân, en 10 jours, au lieu de 40, que nécessiterait, comme on le voit, le hâlage, et déjà, de ce point comme centre, on pourra ouvrir des relations avantageuses avec les provinces voisines. Nulle part la marche n’est obstruée par des barrages, des rapides, des cataractes, et la nature semble avoir tout fait pour favoriser cette navigation intermédiaire. Le trajet de Lahore à la mer (une distance de 1000 milles environ) se fera probablement en moins de 15 jours ; à Moultân, en 6 jours ; de là à Bakkar en 4 jours au plus ; puis à Hyderabad en 3, et de là à l’embouchure en 2 jours. Nous ferons observer, à ce sujet, que du temps d’Aureng-Zeb, il se faisait un commerce considérable par l’Indus et le Râvy jusqu’à Lahore. Ce commerce, ruiné par les commotions politiques du pays, et surtout par les exactions des nombreux chefs qui s’étaient rendus successivement indépendans, sur les lignes parcourues par les marchands, va renaître, et probablement acquérir, sous la protection du gouvernement anglais, un développement bien supérieur à celui qu’il avait atteint à l’époque dont nous parlons.

Résumons en peu de mots les observations qui précèdent.

Les plus grands obstacles politiques s’opposaient depuis longues années au rétablissement de cette ligne commerciale si importante qui, de l’embouchure de l’Indus, atteint le pied de l’Himalaya. Les princes qui régnaient hier encore le long des rivages de ce fleuve grevaient de droits énormes le passage des marchandises ou pillaient les marchands. Le commerce était réduit à se frayer par terre des voies détournées et coûteuses. Entre Lahore et la mer, on comptait tout au plus dans ces derniers temps, sur tout le système de l’Indus, 700 bateaux, qui suffisaient pour le service des passagers et le transport des bagages et des marchandises. Quelle différence de là aux 300,000 bateliers du système richement peuplé du Gange ! Aujourd’hui que l’Indus est devenu de fait, comme il était destiné par la nature à le devenir, la frontière occidentale de l’empire hindo-britannique, cet état de décadence va faire place, comme par miracle, à une activité et une prospérité sans cesse croissantes. Les obstacles politiques qui s’opposaient au développement et à l’utilisation des ressources naturelles de ces vastes contrées ont disparu. Ils ont disparu devant la volonté intelligente de la nation anglaise, représentée sur cette terre lointaine par un véritable homme d’état et un grand citoyen, car tel nous apparaît lord Auckland à la tête de ce vaste empire de l’Inde, dont il vient de consolider la puissance. Quelles que soient nos opinions, nos sympathies particulières, nos répugnances peut-être, nous ne pouvons refuser notre admiration à de semblables actes. L’humanité tout entière doit applaudir à des mesures dont l’énergie prévoyante a avancé d’un demi-siècle le triomphe de la civilisation européenne dans ces pays qui languissaient depuis si long-temps sous le joug du despotisme le plus ignorant et le plus immoral à la fois. L’agriculture encouragée, l’industrie protégée, le commerce ouvert à la concurrence des nations de l’Europe et de l’Asie, les rapports intérieurs améliorés et consolidés dans un but d’avenir, les rapports extérieurs étendus et rendus de jour en jour plus profitables, tels sont les bienfaits que la domination anglaise promet aux peuples qui habitent les bords de l’Indus ; tels sont les devoirs qu’une saine politique lui impose. Puisse la France s’associer à l’accomplissement d’une œuvre si belle, en contribuant à établir dans ces pays lointains l’heureuse influence de la civilisation et du commerce !


A. de Jancigny.
  1. Voyez la livraison du 1er  janvier
  2. Léh est, selon les voyageurs les plus récens, le nom véritable de la ville principale du petit Thibet, et Ladack est le nom de la province dont cette ville est le chef-lieu immédiat. Léh est située sur un plateau d’une élévation à peu près égale à celle du mont Blanc.
  3. Le cours moyen de l’Indus, à partir d’Attock, et même le fleuve entier paraissent avoir été désignés souvent par ce nom de Nilâb, principalement par les Arabes. — On a donné aussi ce nom à la rivière de Kaboul, et parfois le nom d’Attock, parce que les peuples à l’ouest du grand fleuve regardaient cet affluent comme le véritable Indus ; mais Rennell fait observer que les habitans de l’Hindoustan ont toujours considéré la branche N.-E. comme le vrai Sindh.
  4. Pandj, cinq ; âb, eau ; Cinq-Eaux.
  5. MM. Frazer et Harris entreprirent de la gravir, mais la route était si tortueuse, qu’après une marche de douze milles, ils apprirent qu’il leur faudrait encore trois jours pour s’élever près du sommet, que les neiges rendaient d’ailleurs inaccessible ; ce qui, joint au départ prochain de la mission, les détermina à revenir sur leurs pas. La tradition de ces peuples veut que l’arche de Noé se soit arrêtée sur le Takht-Soleiman après le déluge.
  6. M. Honigberger, Journal of a Route from Dera Ghazi Khan through the Vaziri country to Kabul in Journal of the Asiatic society of Bengal.
  7. Le bras le plus oriental de l’Indus, et qui par sa jonction avec le Fulaili (ou Foulaili) contribuait à former le Kori, dont l’embouchure est encore aujourd’hui la plus vaste de toutes et de l’aspect le plus grandiose, se nommait, du temps de Nader-Shâh, Nalla Sankra. Cette branche du fleuve, qui se détachait du tronc principal au-dessus de Bâkker, et qui traversait le petit désert du côté d’Omerkote, n’existe plus que comme un lit d’inondation. L’importance historique de ce nom de Nalla Sankra, inconnu aujourd’hui aux habitans du Sindh, nous est révélée par l’acte de cession des provinces à l’ouest de l’Indus, signé par l’empereur Mohammed Shâh en faveur de Nader-Shâh.
  8. Alexandre avait reconnu lui-même cette portion du Delta avant d’arrêter le départ de sa flotte pour le golfe Persique. Suivant le récit d’Arrien, Néarque, à sa sortie de l’Indus, par cette même embouchure peut-être, très certainement par l’une des embouchures du Baggaur, longea la côte des Arabites, ayant à sa droite le mont Irus, et jeta l’ancre près d’une île sablonneuse appelée Crocala. Les environs de l’embouchure Phitti sont encore aujourd’hui appelés par les natifs Krokala. On voit encore le long de la côte des îles sablonneuses semblables à celle dont parle Arrien, et l’entrée de la baie de Karatchi est fermée à l’est par trois de ces ilôts (les îles Andry), débris probables de cette même île où l’amiral macédonien s’arrêta un jour au mois de septembre, il y a 2165 ans.
  9. Mort dernièrement à Bombay.
  10. Voyez la livraison de la Revue des Deux Mondes du 1er  janvier 1840, pag. 115.
  11. Tavernier écrivait en 1665 : « … Moultân est une ville où il se fait quantité de toiles, et on les transportait toutes à Tatta, avant que les sables eussent gâté l’embouchure de la rivière ; mais, depuis que le passage a été fermé pour les grands vaisseaux, on les porte à Agra, et d’Agra à Souratte, de même qu’une partie des marchandises qui se font à Lahore. » (Voyage de Tavernier édit. de 1712, vol. II, pag. 62 et suiv.)
  12. Probablement le Snake (serpent), employé depuis pour le service de l’expédition en décembre 1838, et retenu par le colonel Pottinger pour courir entre Hyderabad et Tatta.
  13. Ritter, dans son Introduction à l’Étude de la terre, observe que souvent le moindre fleuve est de la plus haute importance pour le pays auquel il appartient. Par exemple, l’Isar, en Bavière, reçoit, depuis sa source jusqu’à son confluent, 860 rivières sur la rive gauche, dont 44 arrivent directement jusqu’à elle ; sur la droite, 433 en 59 lits. Elle est en tout alimentée par 130 lacs et 1,293 rivières, qui s’y jettent en 103 lits ; et cependant l’Isar n’est qu’un des trente-quatre affluens du Danube, qui lui-même n’occupe que le troisième rang parmi les grands fleuves de la terre.
  14. À Karatchi, d’après les renseignemens récemment recueillis, il n’aurait pas plu depuis trois ans.
  15. La principale de leurs fêtes religieuses.
  16. Descendans du prophète.
  17. Voyez, pour des détails intéressans sur le Sindh et sur Shikarpour en particulier, les voyages et les mémoires de Burnes et les voyages de Conolly.