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Étude historique sur l'abbaye royale de La Vassin/01

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ÉTUDE HISTORIQUE
sur
L’ABBAYE ROYALE DE LA VASSIN
PRÈS LA TOUR D’AUVERGNE.





I


Au fond des montagnes de l’Auvergne, non loin du massif des Monts-Dore, à l’extrémité sud-ouest de la commune de Saint-Donat et sur les confins des départements du Puy-de-Dôme et du Cantal, il est un petit vallon solitaire auquel on arrive après avoir traversé les bois et suivi un ravin resserré où mugissent les eaux claires d’un torrent : c’est le vallon de La Vassin où s’élevait avant la Révolution une abbaye de femmes de l’ordre de Cîteux, sous le vocable de Saint-Jean.

« Si vous voulez connaître, a dit Herder, le genre de vie des habitants d’une contrée, vous retrouverez dans la nature externe et dans les circonstances du voisinage la solution du problème que vous cherchez à résoudre. »

En voyant cette clairière si tranquille, si étroitement confinée dans sa retraite, si fermée à tous les bruits terrestres, on pressent tout de suite qu’elle a dû être une cellule : cellule bien calme et vraiment selon le vœu de saint Rernard qui, pour ses abbayes, ne voulait que les lieux profonds dérobant la vue du monde et ne laissant que celle du ciel.

Au nord et à l’ouest les bois de Montoveix, au midi ceux de la Pruneyre, à [‘est la forêt de Chaperonge enserrent le vallon et l’étreignent de toutes parts. Au pied de la Pruneyre, la rivière de la Trentaine[1], sur la rive droite de laquelle se trouvent les ruines de l’abbaye, sépare le Puy-de-Dôme et le Cantal et contournant la vallée presqu’entièrement circulaire, elle lui forme, avec le petit ruisseau qui descend de Chaperouge, comme une ceinture mobile qui autrefois fit donner à ce lieu le nom d’Entraigues, Inter amnes, inter aquas, qu’on retrouve dans quelques anciens titres[2]. Ce nom fut changé plus tard en celui de La Veissy, La Vissy (1199 à 1660), La Vassin, Vallis sana, Vallis sancta, la bonne, la sainte vallée (1666-1790).

Elle était sainte et bonne, en effet cette petite vallée pour les Aines élues qui venaient s’y réfugier, unies dans une même intention de renoncement, d’immolation et d’adoration.

La monotonie même de son paisible paysage s’allie bien avec l’idée fixe, l’idée d’éternité, dont furent tourmentées les nobles femmes qui vinrent y vivre et y mourir, et c’est avec un charme véritable qu’on écopte la mystérieuse mélopée que cette nature uniforme ne se lasse pas de redire et que les cénobites d’autrefois ne se lassaient point d’écouter.

C’est un beau soir d’été, au déclin du jour, qu’il faut voir La Vassin, pour comprendre le doux et puissant attrait que devaient trouver là des cœurs pleins d’une ardente foi.

Quand les rayons du couchant passent à travers les bois d’alentour, une lumière tamisée et harmonieuse se répand dans le vallon et le baigne d’une ravissante clarté, à peine atténuée dans les fonds par les dégradations de la pénombre. On dirait qu’un jour fluide et doré s’épanche du faîte des grands arbres qui s’étagent sur les versants ; une vapeur transparente enveloppe l’étroite enceinte, une sorte de lueur mystique l’emplit et l’éclaire jusque dans ses profondeurs.

L’impression produite par un tel spectacle est vraiment étrange, incomparable. On est comme fasciné par l’ineffable grâce de cette sérénité lumineuse ; on se sent pénétré dans le plus intime de son être et le sentiment des placides visions vient tout à coup effleurer votre âme.




  1. Cette rivière est ainsi nommée, disent les auteurs du Gallia Christiana, parce qu’elle est formée par trente sources qui jaillissent des Monts-Dore. Elle se jette plus loin dans la Dordogne, (Gallia Christiana, t. 2, col. 408).
  2. Archives départementales. Serment des abbesses d’Entraigues (1195). — Gallia Christiana, t. 2, col. 408.