Étude historique sur l'abbaye royale de La Vassin/02

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II


On ne connaît point la date précise de la fondation du monastère de La Vassin, qui semble avoir été édifié dans la seconde moitié du xiie siècle.

Ce furent les sires de La Tour qui appelèrent dans cette solitude, non loin du chef-lieu de leur baronnie, dans les dépendances de l’église de Saint-Donat, des filles de Saint-Bernard qui les reconnurent pour suzerains

L’abbaye existait déjà en 1166, car Bernard Atton, vicomte de Nîmes, qui mourut le 24 septembre de cette année, avait précédemment légué à La Vassin deux cents sols pour célébrer son anniversaire[1].

L’ancien obituaire du couvent portait, en effet, cette mention : VIII Kalend. septembris, commemoratio bonœ memoriœ Bernardi Atonis vicecomitis Nemausensis fratris dominœ de Turre qui legavit pro anniversario suo faciendo singulis annis C. C. solidos melgarienses[2].

Les religieuses furent appelées par Bertrand Ier, fils de Bernard IV de La Tour, qui les établit dons une pensée purement personnelle : pour qu’elles fussent les gardiennes de son tombeau, tout ainsi que les Dauphins fondèrent en 1149 l’abbaye de Saint-André-lès-Clermont, et les comtes d’Auvergne le monastère de Val-Luisant ou du Bouschet, en 1182, pour que les moines par eux dotés veillassent sur leur poussière.

Le fondateur de La Vassin était le descendant de ces pieux barons dont l’un, Gérand P, qui avait épousé Gausberge, fille de Bérilon, vicomte de Vienne, s’était fait moine à Sauxillanges, en 994, après avoir comblé de biens ce monastère, pour Te repos de son âme[3].

Il était le petit-fils de ce Géraud II qui donna au même monastère de Sauxillanges les églises de Singles et de Saint-Pardoux, de Sainte-Marie de Chastreix, de Saint-Donat, de Saint-Pierre de Messeix, et la chapelle de La Tour, donations qui, faites vers l’année 1075, furent confirmées le 7 décembre 1095 par une bulle du pape Urbain II revenant du concile de Clermont et se trouvant alors à Aurillac.

De même Géraud donna en même temps i Cluny la moitié de l’église de Besse : medietatem in ecclesia de Bessiâ[4], c’est-à-dire la moitié des revenus appartenant à cette église.

Non content d’avoir construit un couvent sur ses terres, Bertrand Ier fit encore hommage de sa baronnie de La Tour à l’abbé de Cluny qui, dit-on, était pour lors Pierre-le-Vénérable (1156).

Il constitua ainsi ce qu’on appelait un fief de dévotion et de reprise, c’est-à-dire qu’après avoir reconnu tenir ses biens d’une abbaye ou encore de la Vierge et des Saints, du Pape et des Évêques, le possesseur, mû par sa piété, reprenait immédiatement, à titre de fiefs, les domaines qu’il venait de céder, en reconnaissant pour suzerain le personnage ou le monastère qu’il voulait honorer.

Guy II, comte d’Auvergne, donna de cette manière sa terre de Châtelguyon au Pape, en 1198, pour la reprendre de suite en fief, moyennant une once d’or pour droit de mutation.

De même, Héracle de Polignac offrit tous ses biens, en 1181, au chapitre de Brioude[5].

Bertrand avait épousé, vers 1129, Matheline de Béziers, fille de Bernard Atton, vicomte de Nîmes.

Matheline, suivant l’ancien obituaire de La Vassin, fut enterrée dans cette abbaye : Pridié Kalendas Augusti obiit domina Mathelina, uxor Bertrandi Domini de Turre, fundatoris ejusdem ecciesiœ[6].

Bertrand de La Tour ne tarda pas à venir lui-même, à côté de sa femme, dormir à La Vassin son éternel sommeil, et pendant plus d’un siècle ses descendants trouveront égalementieur couche funèbre dans le même cimetière, à l’ombre du monastère, pieux gardien des dépouilles mortelles des seigneurs de La Tour.

Cette touchante coutume de se retrouver, après la mort, au même rendez-vous, dans la même demeure, est un des signes caractéristiques du moyen-âge, un de ses traits les plus saillants.

S’il est une douceur à mêler ses cendres, nulle époque ne l’aura mieux connue que ce temps que nous appelons barbare et qui, cependant, dans ses aspirations et dans ses actes, nous apparaît souvent plein d’une véritable poésie.

Quel lieu, en effet, pouvait être mieux choisi pour le repos qui ne finit point, que cette clairière silencieuse avec ses horizons bornés, derrière lesquels se devinent d’autres espaces, comme derrière les froides parois du sépulcre se pressentent d’autres mondes ?

Après avoir guerroyé toute leur vie, les rudes barons voulaient pour les rêves de leur âme la paix des Thébaïdes, et pour s’endormir sur leur dur oreiller de pierre, il leur fallait les douces voix des vierges et les psalmodies du cloître.

  1. Baluze, Hist. généalogique de la Maison d’Auvergne, t. Ier, p. 268, t. 2, p. 487.
  2. Baluze, t. 2, p. 487.
  3. Baluze, Hist. de la Maison d’Auvergne, t. Ier, p. 250.
  4. Baluze, t. Ier, p. 265, t. 2, p. 485.
  5. Baluze, t. 2, p. 77, 65 et 64. — Chabrol, Cout. d’Auv., t. 4, p. 301.— Rivière, Instit. de l’Auv., t. ter, p. 578 et 437.
  6. Baluze, t. 2, p. 487, Audigier, Hist. mss. d’Auv., art. La Vassin.