Étude historique sur l'abbaye royale de La Vassin/07

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VII.


Grâce aux donations et aux legs que lui faisaient généreusement les grands et petits tenanciers de l’Auvergne, La Vassin prospérait et bon nombre de jeunes filles appartenant à de nobles et riches familles venaient s’y consacrer à Dieu.

La maison de La Tour lui donnait parfois des abbesses et, sous le gouvernement de femmes d’élite et de tant lignage, l’abbaye prenait du renom et un développement relativement important. C’est ainsi qu’une de La Tour que les autpurs du Gallim Chrùdana indiquent comme ayant été abbesse avant 1350 et qu’ils placent avant Casielione, fit construire la grande porte de l’église[1]

Après elle, une de Trégnolles eut la crosse abbatiale et Aimodie, citée dans la charte de Montaigut, fut élue le jour de Sainte-Lucie, eu l’année 1350[2].

Dès le milieu du xive siècle nous ne voyons plus de libéralités faites par les grands barons au profit de l’abbaye : les malheurs de l’invasion étrangère, les troubles des guerres civiles arrêtèrent les progrès jusqu’alors continus des établissements religieux.

C’est qu’en effet une lamentable et désastreuse période s’ouvre en 1328 avec l’avènement du premier Valois pour se terminer plus d’un siècle après, en 1453, par la victoire de Castillon.

La défaite de Crécy, le désastre de Poitiers, la captivité du roi Jean, les dévastations commises par les grandes compagnies et enfin la malheureuse bataille d’Azincourt sont autant d’épisodes qui ajoutent quelque chose de plus aux douleurs de la patrie déchirée par les factions.

L’Auvergne eut particulièrement à souffrir de tous ces malheurs publics. Le souvenir du passage de l’armée anglaise et des ravages qu’elle exerça chez nous dans la fatale année de 1356, a été conservé par Froissard qui, dans ses Chroniques, raconte les tribulations de notre province : « Si ardoient, dit cet historien, et exiloient tout le pays, quant et eulx, chevauchant à leur ayse et trouvant le pays d’Auvergne moult gras et rempli de tous biens… Et quand ils estoient entrés dans une ville et qu’ils la trouvoient pourveue de tous biens et qu’ils s’y estoient refreschis deux jours ou trois, ils s’en partoient, ils exiloient le demourant et défonssoient tonneaux pleins de vin et ardoient bleds et avenes et anltre chose afin que leurs ennemis n’en eussent amendement[3]. »

Les Anglais, sous la conduite du Prince-Noir, marchaient alors sur Poitiers et peu de temps après, à Mautpertuis, le fils du vainqueur de Crécy détruisait la brillante armée du roi Jean.

Parmi les chevaliers auvergnats qui, dans cette mémorable journée, combattirent vaillamment aux côtés du roi de France, le noble suzerain des dames de La Vassin, Bertrand IV de La Tour, se distingua au premier rang. En 1360, il eut l’honneur d’être l’un des otages envoyés en Angleterre pour l’élargissement du royal prisonnier du traître Denis de Morbecque.

Puis, ce furent les compagnons, les routiers anglais et Français qui apparurent en Auvergne et couvrirent nos campagnes, se faisant un jeu de tous les excès, votant, massacrant, blasphémant, n’épargnant ni les vieillards, ni les enfants, ni les monastères, ni les églises, marquant leur route avec du sang et des cendres, ravageant les plus humbles villages pour le seul plaisir de la destruction.

On prêcha une croisade contre les grandes compagnies. Le pape Urbain V les excommunia en 1365. Dans toutes les églises on fit des prières publiques pour demander au ciel la délivrance de ce fléau ; des hymnes furent composés à la même intention[4].

Les Allemands et les Brabançons fournissaient la plupart des recrues à ces bandes qui reçurent de la terreur populaire les plus étranges qualifications : Mange-bacon, croquants, retondeurs, tard-venus, mauvais garçons, guetteurs de chemins.

Dans ces temps d’accablement suprême, le tiers-état, on ne saurait trop le répéter, déploya un admirable patriotisme et prit la plus large part à la défense du sol natal. La foule des plébéiens ressentit vivement la honte de l’invasion, et le vilain des villes et des campagnes fut le premier à accourir pour la défense de la patrie.

Les milices communales, qui avaient jadis à Bouvines arrêté la grande invasion germanique, se montrèrent héroïques et prouvèrent d’une manière éclatante qu’elles n’avaient pas déchu de leur antique vaillance. Le peuple, pour repousser l’étranger, ne marchanda ni son argent, ni son sang ; les états des provinces firent d’immenses sacrifices pécuniaires, tout en provoquant des levées considérables de défenseurs.

Lorsqu’après le traité de Troyes, la Fronce eut été livrée aux Anglais ; lorsque, seul représentant de la nationalité française, le dauphin Charles errait, délaissé et sans appui, au-delà de la Loire, privé des trois quarts de son royaume, ce fut une fille du peuple qui apparut tout à coup comme la personnification vivante du grand mouvement national, et Jeanne d’Arc sauva la monarchie et la France.

Depuis la bataille de Poitiers jusqu’à la paix de Brétigny, les grandes compagnies occupèrent l’Auvergne. Dans le but de débarrasser ses états d’aussi redoutables garnisaires, Charles V résolut de les expatrier. Henri de Transtamarre disputait alors la couronne de Castille à son frère don Pèdre le Cruel. Le roi de France traita avec les compagnons et les envoya, sous le commandement de Duguesclin, au secours de don Henri, en 1362.

Bertrand de La Tour, l’ancien ôtage de Jean-le-Bon, accompagna l’illustre chef breton dans son expédition au-delà des Pyrénées. De retour en Auvergne, et ses finances se trouvant quelque peu épuisées, par suite de ses nombreuses pérégrinations, Bertrand emprunta aux consuls et habitants de Besse la somme de cinquante florins d’or, et en échange il confirma les privilèges et bonnes coutumes de la ville[5].

Expulsês à prix d’argent de notre province, les routiers revinrent lorsque la guerre se ralluma avec l’Angleterre, en 1370. Des bandes dévastatrices parcoururent les montagnes, mettant tout à feu et à sang. Les villes ouvertes, les bourgs et les monastères dépourvus d’enceinte fortifiée eurent principalement à souffrir.

Nous ne savons si La Vassin put se protéger contre les incursions des ennemis, mais nous voyons la ville de Besse, sa voisine, obtenir à cette époque de Guy de La Tour la permission d’édifier à côté de l’église une grande et haute tour carrée, avec des murs de l’épaisseur de « deux toises et demie, » afin que cette tour pût servir de refuge aux habitants.

La permission fut accordée par lettres données die Jovis post festum beatæ fidis anno Domini millisimo trecentesimo septuagesimo, et le même Guy octroya en même temps aux gens de Besse la licence de construire un autre fort qui comprendrait dans son enceinte l’église et le château seigneurial[6].




  1. Gallia christ., t. 2, p. 408. Audigier, Hist. mss. d’Auv., art. La Vassin.
  2. Gallia, t. 2, p. 408.
  3. Froissard, t, 1er, p. 183.
  4. Rynaldus, Annales ecclésiast., t. XXVI, p. 110. — Lebœuf, t. III, p. 458.
  5. Baluze rapporte l’acte confirmatif qui est du mardi après la fête des apôtres Philippe et Jacob, de l’an 1566. Preuves, t. 2, p. 592.
  6. Archives de Besse, Mss Godivel, Remarques sur la ville de Besse}}.