Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 1/0/6

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Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 1p. 58-69).

VI.


Prêtons une égale attention aux étranges propositions de cet auteur, concernant les affranchis.

« La classe intermédiaire de la colonie, dit-il, celle des esclaves qui ont obtenu ou acheté leur affranchissement, est trop considérable ; et le ministère a eu plusieurs fois l’attention de la diminuer. Il a autorisé en différentes circonstances les administrateurs de la colonie à vendre les libertés à prix d’argent, mais cette méthode était mauvaise, elle a été proscrite.

» Le conseil supérieur du Cap, par un arrêt de règlement rendu en 1767, a déclaré nuls tous les affranchissemens qui seraient à l’avenir donnés par testament, et l’année suivante une ordonnance (royale) confirmant ce règlement, a voulu qu’on ne pût, non seulement donner à l’avenir de liberté par testament, mais même affranchir aucun esclave, sans en avoir obtenu la permission préalable du général et de l’intendant[1]. Il en est résulté que beaucoup de semblables permissions ont été vendues ou données à la faveur, et que les affranchissemens ne sont pas devenus plus rares.

» On a renouvelé le système de vendre à prix d’argent les permissions d’affranchir toutes sortes d’esclaves ; ce système est maintenant plus accrédité que jamais ; les permissions sont taxées, et l’objet de cet impôt n’est pas encore bien connu…

» Le premier motif qui puisse engager un maître à affranchir son esclave, c’est la reconnaissance des services qu’il en a reçus : ce motif devrait être le seul cependant, il y en a deux autres, savoir : les liaisons illégitimes du maître et de l’esclave, ou l’attachement qu’il a pour les enfans provenus de ces liaisons, et l’argent que l’esclave offre à son maître pour se racheter lui-même…

» Chez tous les peuples qui ont eu des esclaves, les fils ou petits-fils des affranchis étaient réputés ingénus ; mais à Saint-Domingue, l’intérêt et la sûreté veulent que nous accablions la race des noirs d’un si grand mépris, que quiconque en descend, jusqu’à la sixième génération, soit couvert d’une tache ineffaçable.

» Les mulâtres, quarterons ou métis sont respectueux et soumis envers les blancs, et les aiment tous en général ; ils ne se permettent de haïr que ceux qui leur ont fait beaucoup de mal. S’ils osaient frapper un blanc, même quand ils en sont frappés, ils seraient punis avec rigueur : telle est la force du préjugé contre eux, que leur mort, en ce cas, ne paraîtrait pas un trop grand supplice. Cette sévérité sera peut-être trouvée injuste, mais elle est nécessaire.

» Jusqu’à ces dernières années, un blanc qui se croyait offensé par un mulâtre, le maltraitait et le battait impunément ; mais à présent, les commandans militaires ont reçu du général (le comte d’Ennery) l’ordre de ne plus souffrir que les blancs se rendent justice à eux-mêmes d’une manière aussi violente[2] ; et quiconque frappe un mulâtre est mis dans les forts ou prisons militaires pendant le temps qu’il plaît au commandant de l’y retenir.

» S’il est juste qu’un nègre battu par un autre que son maître, puisse se plaindre de cette violence, à plus forte raison les mulâtres ont-ils droit à la même justice ; mais il faut faire cette différence, qu’un blanc offensé par un nègre peut se plaindre au maître de ce nègre, et qu’en ce cas le maître doit punir son esclave, au lieu qu’étant insulté par un mulâtre, il n’a pas la même voie. S’adressera-t-il à la justice, à la police, pour avoir réparation d’une insulte légère, que cependant il ne mépriserait pas sans danger ? Ne pouvant pas faire donner 20 coups de fouet au mulâtre insolent (comme au nègre), il serait trop cruel d’arracher ce mulâtre à son travail pendant huit ou quinze jours, pour le faire mettre en prison : d’ailleurs, c’est toujours un très-grand mal que d’avoir de grandes prisons et de les remplir. La peine de prison afflige, endurcit, révolte ; elle ruine le peuple pour enrichir des geôliers : c’est une invention barbare qui nuit à tout, et ne sert à rien ; la supériorité des blancs exige que le mulâtre qui leur manque soit puni sur-le-champ, et il y a une sorte d’humanité à permettre qu’ils puissent l’humilier par un châtiment prompt et proportionné à l’insulte[3].

» Il serait donc plus convenable et plus juste, que le gouvernement de la colonie continuât à garder, comme autrefois, le silence sur les insolences particulières des mulâtres et sur les suites qu’elles auraient, sauf à punir les blancs qui, en les maltraitant, se rendraient coupables envers eux d’une violence dangereuse, et à les poursuivre comme meurtriers…

» Les mulâtresses sont en général bien moins dociles que les mulâtres, parce qu’elles se sont attribuées sur la plupart des blancs un empire fondé sur le libertinage… Elles aiment les blancs…

» Elles sont charitables et compatissantes : il y en a qui rendent de grands services aux jeunes gens (blancs) qui viennent chercher fortune à Saint-Domingue, surtout dans les maladies qu’ils éprouvent…

» Les gens de sang-mêlé ont, comme les nègres, beaucoup de piété filiale. On a vu des mulâtresses retrancher sur leur luxe pour acheter des enfans mulâtres que les pères (blancs) n’avaient pu affranchir avant de mourir, et faire à ces enfans délaissés, le don le plus précieux, celui de la liberté

» Un blanc qui épouse légitimement une mulâtresse, descend du rang des blancs et devient l’égal des affranchis ; ceux-ci le regardent même comme leur inférieur : en effet, cet homme est méprisable.

» Celui qui est assez lâche pour se manquer à lui-même, est encore plus capable de manquer aux lois de la société ; et l’on a raison, non-seulement de mépriser, mais encore de soupçonner la probité de ceux qui, par intérêt ou par oubli, descendent jusqu’à se mésallier.

» Il y a dans la colonie environ 300 hommes blancs mariés à des filles de sang-mêlé ; plusieurs sont nés gentilshommes : ils rendent malheureuses ces femmes que la cupidité leur a fait épouser ; ils sont eux-mêmes plus malheureux encore, quoique moins dignes de pitié. Tout ce qui les entoure devient pour eux des objets de regret, tout ce qui doit consoler les autres hommes, les plonge dans la tristesse ; ils éprouvent sans cesse les supplices du cœur. Est-il rien de plus accablant pour des pères, que la honte de donner l’être à des enfans incapables de remplir aucunes fonctions civiles, et condamnés à partager l’humiliation des esclaves[4]. »

Il devrait être défendu sous des peines sévères, aux affranchis et filles de sang-mêlé, de se marier à des blancs, ou du moins, de tels mariages devraient être nuls, quant aux effets civils ; la police et les lois de la colonie ne doivent point avouer de semblables unions.

« Il est vrai que l’édit de 1685, vulgairement appelé code noir, permet aux blancs d’affranchir leurs négresses en les épousant, et de légitimer ainsi les enfans naturels qu’ils en auraient eus ; mais cette loi est sujette à de grands abus. Combien de négresses n’en ont-elles pas profité pour s’approprier toute la fortune de leurs maîtres abrutis dans le libertinage, et incapables de se soustraire à l’empire qu’il donne sur les âmes faibles et séduites qui s’y sont livrées sans rougir ? Les biens des familles ont été sacrifiés à la passion, sont devenus le prix de la débauche, et des noms respectables sont échus, avec les plus belles terres, à des mulâtres légitimés. Il faut prévenir pour la suite un abus aussi dangereux et si contraire à l’esprit des anciennes lois, qui ont toujours eu pour objet la conservation nécessaire des biens et des rangs[5].

» On a déjà voulu réprimer cet abus, et l’on a défendu aux affranchis et gens de sang-mêlé, de prendre les noms des blancs (règlement rendu en 1773, par le général et l’intendant, MM. de Vallière et de Montarcher, et enregistré dans les deux conseils supérieurs). On croyait éviter par ce moyen la confusion des rangs et des familles ; mais est-il quelque autorité capable d’empêcher les mulâtres et leurs descendans de porter les noms qui leur appartiennent par le droit de la naissance, qui leur ont été transmis par une suite du mariage de leurs pères ? Il faut donc empêcher qu’ils ne puissent à l’avenir se prévaloir de ces droits, et ne point souffrir que des blancs se dégradent eux-mêmes, en épousant légitimement des négresses ou des filles de sang-mêlé[6]

» Non-seulement il ne doit point être permis aux négresses, mulâtresses et quarteronnes de se marier à des blancs, il est nécessaire qu’à l’avenir, tous les nègres, griffes et marabous restent dans l’esclavage…

» Si la liberté est pour un esclave la plus grande récompense que l’on puisse imaginer, il faut convenir qu’il est peu d’actions dignes de cette récompense ; il ne faut donc pas multiplier les affranchissemens, donner la liberté à un nègre pour avoir bien fait la cuisine ou frotté les meubles pendant dix ou vingt ans ; c’est un abus…

» Les seuls nègres affranchis doivent être ceux qui, dans des occasions urgentes, auront donné de grands exemples de respect et d’attachement pour les blancs ; celui qui, par exemple, aurait sauvé, dans un péril évident, la vie d’un homme blanc, aux risques de la sienne, serait digne de la liberté. Le prix d’un tel esclave serait remboursé à son maître sur les deniers publics ; il lui serait permis de se marier légitimement à une mulâtresse[7] (non pas à une négresse, remarquez-le : on en verra le motif bientôt), et on lui assignerait une gratification capable de le faire subsister dans l’état de liberté. À l’égard des nègres qui auront bien servi leurs maîtres, ne sont-ils pas assez récompensés par la vie douce que la reconnaissance, qui aurait été le motif de leur affranchissement, leur fera trouver chez ces maîtres ? Il ne faut donc pas que sous aucun prétexte, ni à quelque prix que ce soit, les maîtres puissent, pour récompenser des services ordinaires, et dont tout homme est capable, obtenir la permission d’affranchir des nègres encore jeunes, qui, se mariant avec des négresses libres, ou abusant de l’édit de 1685, pour acheter des négresses esclaves et les affranchir par le droit du mariage, forment une population d’hommes libres semblables en tout à la race des esclaves.

» Mais la colonie ne pouvant pas être bien constituée, sans conserver une classe intermédiaire entre les esclaves et les ingénus, il faut que cette classe soit absolument distincte de celle des esclaves, par les signes extérieurs et individuels, comme par les droits civils. Il faut donc que cette classe soit jaune, c’est-à-dire entièrement composée de mulâtres ; et pour la rendre telle, il faut commencer par marier tous les nègres libres, à présent existans dans la colonie, à des mulâtresses, et les mulâtres à des négresses libres[8] ; il faut ensuite assurer les avantages de la liberté à tous les mulâtres, enfans de la faiblesse des colons, et qu’ils doivent aimer puisqu’ils les ont fait naître. En les laissant en esclavage, c’est affaiblir dans l’esprit des nègres le respect qu’il faut leur inspirer pour les blancs : tout ce qui procède des blancs doit leur paraître sacré. (Et les blancs eux-mêmes méprisaient ce qui procédait d’eux !)

» Tous les affranchis étant ainsi mulâtres ou fils de mulâtres, on ne pourra plus les confondre avec les esclaves, et les nègres qui seront en marronnage ne pourront plus se dire libres. Les deux classes seront distinctes et séparées, et il ne peut en résulter qu’un grand bien. Jamais aucun mulâtre n’a été accusé, ni complice du crime de poison. L’attachement des mulâtres pour les blancs ne s’est jamais relâché ; ils conserveront à plus forte raison les mêmes sentimens, quand ils seront encore plus détachés de l’espèce nègre, qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent[9].

» Il ne peut donc pas y avoir d’inconvénient à déclarer tous les mulâtres affranchis par leur naissance même, à la charge de fournir des hommes pour servir dans les compagnies de maréchaussée et de police, c’est-à-dire d’y servir chacun à leur tour pendant trois ans, et de fournir dans chacune des parties du Nord, de l’Ouest et du Sud, une compagnie de chasseurs, composée de 50 hommes, pour donner la chasse aux nègres marrons (voilà le but, clairement exprimé, des avantages à accorder aux mulâtres), et garder, sous le commandement des prévôts généraux, les frontières qui nous séparent de la colonie espagnole…

»… D’ailleurs, et d’après ce que je propose, on pourra s’en fier sur la distinction des rangs et le degré de nuance, à l’orgueil qui ne perd jamais ses droits, et à l’exactitude des registres publics…

» L’affranchissement naturel des mulâtres serait un frein à l’avarice de quelques hommes (blancs) qui semblent tenir dans leurs maisons des fabriques de mulâtres, et qui, mettant à contribution ceux que la faiblesse en a rendus pères, font authentiquement le plus méprisable de tous les commerces que l’on puisse imaginer (ils vendent ordinairement 3000 livres un mulâtre à la mamelle). D’un autre côté, il arrêterait tous les abus qui résultent de ces avantages indirects, de ces fidéi-commis tacites faits en faveur des négresses et de leurs enfans bâtards, que dans l’état actuel on ne saurait empêcher, et qui enlèvent aux légitimes héritiers des biens considérables, pour les donner à ceux dont la condition est de travailler persévéramment. »


Vraiment, en voyant le soin qu’a pris Hilliard d’Auberteuil de constater le despotisme du gouvernement colonial à Saint-Domingue, de ne dissimuler en rien les mœurs vicieuses des blancs en général, leur avarice, leur cupidité, leur orgueil, leur tyrannie, leur cruauté envers la race noire ; et, d’un autre côté, la peine qu’il s’est donnée pour faire ressortir la bonté native des nègres et des mulâtres, leurs qualités sociales, leur attachement pour leurs oppresseurs, on serait tenté de se demander si cet Européen instruit, éclairé, observateur des faits monstrueux qui se passaient sous ses yeux, n’a pas eu la secrète intention de foudroyer le régime colonial, en écrivant les étranges propositions qu’on vient de lire, et qui ne seraient alors qu’une amère ironie.

Mais, non ; il suffit de lire avec attention les deux volumes d’Hilliard d’Auberteuil, pour rester convaincu que tout ce qu’il a dit n’était que le résultat de ses propres convictions, du système suivi dans les colonies, dont la pernicieuse influence pervertissait l’âme de qui conque y passait pour s’établir, pour courir après cette fortune, ces biens, objet de tous les désirs les plus effrénés.

Quoi qu’il en soit, nos lecteurs reconnaîtront facilement que, dans la crainte d’affaiblir les pensées orgueilleuses des colons, et pour mieux exposer le régime infernal à l’aide duquel ils tenaient sous le joug la race noire tout entière, nous avons dû citer tout au long les passages du livre publié par Hilliard d’Auberteuil. Une analyse, quelque étendue qu’elle pût être, n’aurait jamais remplacé convenablement le texte de cet auteur ; elle eût pu paraître exagérée, mensongère même. Partie intéressée dans les questions que nous nous proposons de traiter, nous avons dû présenter le régime colonial dans toute sa nudité, pour le faire apprécier. Et d’ailleurs, écrivant pour essayer d’éclairer notre pays sur ce passé si fertile en enseignemens précieux, et n’ignorant pas que les documens sont rares en Haïti, nous ne devons pas craindre d’être long dans l’exposé de ces antécédens de son histoire, parce que notre but est de faire ressortir aux yeux de nos concitoyens le mérite, la gloire qu’ont eus nos pères en brisant les liens qui les tenaient enchaînés dans la servitude, pour s’élever à leur dignité d’hommes trop longtemps méconnue.

  1. Ce conseil, composé de colons, annula donc l’art. 55 du code noir, avant que l’autorité royale se prononçât à ce sujet !
  2. Le Roi, dit-on, ne veut pas qu’aucun de ses sujets soit maltraité. « On ne se trompe point dans le principe, mais on l’applique mal. La sûreté et les bons traitemens ne peuvent exister sans le maintien de l’ordre et la conservation des rangs. »

    Nous le répétons : Hilliard d’Auberteuil publia son ouvrage sous le gouvernement du conte d’Ennery ; c’est à ce général qu’il attribue ces paroles : elles font preuve de ce sentiment de justice qu’il montra durant le peu de temps qu’il gouverna la colonie. On connaît le fait suivant de ce général :

    Un mulâtre était créancier d’un blanc ; ayant demandé à celui-ci son argent, le débiteur l’assomma à coups de bâton. Le mulâtre indigné, ne pouvant lui rendre les coups, porta plainte directe au gouverneur. Ce dernier, plus indigné encore, manda le blanc, après avoir payé la créance au mulâtre. Le gouverneur, substitué ainsi aux droits du créancier originaire, interpelle le débiteur pour avoir battu le mulâtre : le blanc lui répond avec arrogance, se fondant sur le droit qu’il avait de réprimer l’insolence du mulâtre qui a osé lui demander son dû. Le gouverneur lui fait savoir alors qu’il est devenu son créancier, et exige son payement immédiatement : le blanc n’avait point d’argent sur lui. Il est frappé sans pitié à son tour, par le comte d’Ennery qui le contraint à aller chercher de suite le montant de la créance. Aussi était-il détesté des colons ! Mais son tombeau est respecté au Port-au-Prince.

  3. « À Paris, où le manquement d’un homme du bas peuple envers son supérieur est toujours puni de prison, y a-t-il un seul cocher de fiacre qui ne préférât dix coups de canne à dix jours de prison ? Et combien de fois subit-il l’un et l’autre ? Il y a cependant une grande différence politique entre un cocher de fiacre et un mulâtre des colonies. »

    Assurément, si Hilliard d’Auberteuit vivait encore, il trouverait une plus grande différence entre Haïti et Saint-Domingue ; et nous ne savons si, à Paris, il lui serait facile de trouver des cochers de fiacre qui préférassent dix coups de canne à dix jours de prison.

  4. « Des enfants procréés de semblables mariages ont cependant quelquefois servi en qualité d’officiers dans la maison et dans les troupes du roi ; mais à présent il y a trop de créoles en France, pour qu’ils puissent conserver l’espoir d’en imposer à l’avenir sur leur origine. »

    Avons-nous raison de dire que ce sont les colons qui ont toujours provoqué de l’autorité royale des exclusions contre les affranchis et leurs descendans, qui ont poussé aux rigueurs contre eux dans les colonies, aux barbaries contre les esclaves ?

  5. En 1790, Bauvois, membre du conseil supérieur et de l’assemblée provinciale du Cap, fit un livre où il proposait de retirer aux hommes de couleur tous les biens qu’ils possédaient, pour les réduire à la domesticité.
  6. Ce vœu a été entendu sous le gouvernement de Louis XVI : en 1778, deux ans après la publication du livre de l’auteur, une ordonnance fut rendue à cet effet. Et à l’assemblée coloniale de Saint-Marc, en 1790, Thomas Millet fit la motion de contraindre tous les blancs qui épouseraient une femme de couleur, à prendre un nom africain, comme les mulâtres y avaient été contraints par l’ordonnance de MM. Vallière et de Monlarcher.
  7. « En faisant considérer la permission de se marier légitimement comme une récompense, ce lien, trop profané de nos jours, le mariage, deviendrait plus respectable ; il deviendrait l’objet des désirs de presque tous les jeunes amans ; mais il sera dans l’avilissement, tant que l’on ne joindra pas les ressorts politiques aux commandemens religieux. »
  8. Hilliard d’Auberteuil se récriait contre la toute-puissance des gouverneurs et des intendans, qui portait bien des pères de famille, parmi les blancs, à donner leurs filles en mariage à des créatures de ces administrateurs ; mais il trouvait tout simple de contraindre les nègres et les mulâtres à épouser des femmes de leurs classes, contrairement à leurs sentimens. C’est que, nègres et mulâtres n’étaient pas des êtres semblables aux blancs. Le code noir défendait cependant d’user de contrainte à cet égard. Et voyez comme le préjugé l’aveuglait : il venait de dire qu’il fallait que tous les griffes fussent esclave. Or, les liaisons qu’il indiquait, entre les deux classes libres de couleur, devaient produire seulement ce que les blancs appelaient griffes : ceux-ci seraient cependant des hommes libres.
  9. Diviser pour régner ! « Ajoutons que, bien différente de la législation française, la législation espagnole n’avait pas élevé le préjugé de la couleur aux proportions d’un système politique. Elle avait pensé que l’harmonie, et, autant que possible, la fusion des différentes classes de la population, étaient un moyen de gouvernement, peut-étre moins profond, mais pour le moins aussi rationnel et aussi politique que la combinaison traditionnelle du divide et impera. » (M. Lepelletier de Saint-Rémy, p. 53 du t. 1er.)

    Gouverner, c’est réunir, a dit le général Pamphile de Lacroix (page 225 du tome 1er.), à moins que cette maxime ne doive pas être appliquée à la race noire.