Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 2/2.10

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Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 2p. 224-264).

chapitre x.


Nouvelles trahisons en faveur des Espagnols. — Mesures militaires ordonnées par Polvérel. — Triumvirat royaliste de Jean François, Biassou et Jean Guyambois. — Polvérel fait arrêter Jean Guyambois, François Guyambois hyacinthe et autres complices. — Motifs de ses proclamations des 20, 21 et 27 août. — G. H. Vergniaud et la commune du Cap. — Sonthonax proclame la liberté générale, le 29 août. — Comparaison entre les systèmes d’affranchissement des deux commissaires civils. — Lettre de Polvérel à Sonthonax, du 3 septembre, et réponse de ce dernier. — Proclamation de Polvérel, du 4 septembre. — Sa lettre à Delpech, et réponses de Delpech, des 8 et 12 septembre. — Polvérel proclame la liberté générale, le 21 Septembre — Nomination de six députés à la Convention nationale, pour le Nord. — Mort de Delpech aux Cayes, le 27 septembre.


En se séparant de Sonthonax, Polvérel était informé des agitations qui se manifestaient dans l’Ouest, tant parmi les hommes libres de toutes couleurs, que parmi les esclaves. Les premiers s’effrayaient des mesures prises au Cap par ces deux commissaires, après l’affaire de Galbaud. Ils voyaient bien que la liberté donnée aux noirs enrôlés comme soldats entraînerait la commission civile à la liberté générale avant longtemps ; d’ailleurs, leurs proclamations du mois de juillet annonçaient assez cette mesure, bien qu’ils eussent seulement alors l’intention de rendre cette liberté graduelle. C’étaient surtout les blancs de toutes classes qui éprouvaient ces craintes ; pour eux, l’esclavage était une chose toute naturelle. Cependant, nous ne prétendons pas dire qu’aucun mulâtre, qu’aucun nègre affranchi, et possédant des esclaves comme les blancs, ne partageait aussi ces craintes ; l’effet de l’intérêt et de la cupidité est le même chez tous les hommes ; mais, du moins, ces sentimens égoïstes n’étaient pas ceux des plus éclairés parmi les hommes des deux branches colorées, anciens libres.

Quant aux esclaves de l’Ouest, leurs agitations étaient bien légitimes. Ils ne pouvaient ignorer, sans doute, que toutes les bienfaisantes dispositions prises par les commissaires, étaient suspendues dans cette province. Ils avaient dû apprendre que ces dispositions avaient été ensuite étendues à la province du Sud ; trop de gens étaient placés pour le leur dire. Les agens espagnols surtout avaient mission de leur gouvernement, de bouleverser la colonie française par tous les moyens possibles. On se rappelle que la dépêche du ministre Pedro Acuña indiquait à Don J. Garcia, Hyacinthe, comme un des chefs noirs qu’il faudrait gagner.

Hyacinthe n’était pas le seul qui eût de l’influence sur les ateliers : bientôt nous parlerons des autres. Comme auxiliaires des agens espagnols, se trouvaient tous les blancs royalistes de l’ancien parti des contre-révolutionnaires dans la colonie. Unis maintenant à ceux du parti de l’indépendance, ils travaillaient tous ensemble l’esprit de la population de toutes couleurs, pour préparer les défections, soit en faveur de l’Espagne, soit en faveur de la Grande-Bretagne.

Le honteux exemple tracé par Neuilly, Lafeuillée, Brandicourt, fut bientôt imité par des paroisses entières. Plaisance allait se rendre quand Polvérel y arriva ; Gonaïves, selon l’expression de ce commissaire, attendait les Espagnols et les brigands comme le Messie.

La conquête d’un territoire devient facile, quand de pareils sentimens animent sa population ; la trahison préparée diminue singulièrement le mérite des guerriers qui en profitent.


Polvérel était parti du Cap avec un fort détachement composé d’hommes de toutes couleurs ; il fut renforcé par les contingens venus du Borgne, du Gros-Morne, du Port-de-Paix, etc. A. Chanlatte en avait le commandement supérieur ; Montbrun était aussi avec le commissaire. Celui-ci laissa Chanlatte à Plaisance, après avoir fait arrêter quelques conspirateurs qu’il envoya au Cap. En ce moment-là, Sonthonax faisait attaquer infructueusement les bandes de Jean François, du côté du Dondon.

Polvérel ordonna à Desfourneaux, commandant de la place du Port-au-Prince, d’aller attaquer les Espagnols sur leur propre territoire, à San-Miguel de l’Atalaya. Son armée était assez nombreuse ; mais Desfourneaux qui s’était déjà laissé battre dans une rencontre, pendant la campagne que Rochambeau ouvrit contre les noirs insurgés à la fin de 1792, fut encore repoussé par ces hommes, unis aux Espagnols, à San-Miguel. Il fut forcé, après une grande perte, de se replier sur les Gonaïves. Cette affaire eut lieu le 17 août 1793[1].

Dans le même temps, les blancs royalistes dont l’influence dans le Nord avait tant contribué à la révolte des esclaves, avaient imaginé un vaste plan, d’accord avec les agens espagnols, pour attirer tous les noirs de la partie française dans leurs intérêts. Polvérel fut prévenu de ce complot par Duvigneau, cet homme de couleur à qui lui et Sonthonax avaient adressé leur lettre, à l’occasion de la trahison de Brandicourt.

Polvérel se porta à la Petite-Rivière de l’Artibonite, foyer de la conspiration. Là, se trouvaient l’abbé Bousquet, qui remplissait les fonctions de procureur de la commune, et les deux frères Jean Guyambois et François Guyambois, deux noirs anciens affranchis du quartier de l’Artibonite. On a vu que l’un d’eux avait figuré dans la coalition de Saint-Marc, en 1792, entre les hommes de couleur et les blancs royalistes. De la Petite-Rivière, ils exerçaient la plus grande influence sur les agitations des ateliers de l’Artibonite, du Mirebalais et du Cul-de-Sac, par leur entente avec Hyacinthe. Un ancien affranchi, du nom de Jean-Jacques Laplaine, qui avait figuré aussi au traité de paix et d’union de Saint-Marc, et qui alors était membre de la municipalité de la Petite-Rivière, s’entendait également avec les royalistes.

Le plan de la conspiration consistait en six points, suivant une lettre de Polvérel à Sonthonax, du 26 août : « 1o Jean Guyambois, Biassou et Jean François devaient être les trois chefs de la colonie ; 2o ils devaient traiter avec le gouvernement espagnol ; 3o ce gouvernement devait céder tout le territoire de San-Miguel, de Saint-Raphaël et de Hinche ; 4o la liberté universelle des esclaves serait proclamée ; 5o J. Guyambois, à la tête de son armée, devait mander dans son camp tous les propriétaires et tous leurs créanciers, les premiers, pour distribuer aux nègres toutes les propriétés à titre de vente, les seconds pour accepter des délégations de leurs créances sur les nouveaux propriétaires ; ceux-ci se seraient engagés à payer annuellement les intérêts et une portion du capital dont leurs propriétés demeureraient grevées ; 6o Fontanges (venu à Haïti en 1816) et ses adhérens devaient être rappelés dans la colonie. Ainsi, le grand protecteur Guyambois devait terminer, sans effusion de sang, toute guerre intestine et étrangère. »

Quand Polvérel arriva dans l’Artibonite, les deux Guyambois avaient eu déjà des entrevues, soit avec Biassou, soit avec deux de ses officiers. Concertant tout avec Biassou, J. Guyambois fît assembler les habitans de la commune de la Petite-Rivière et leur fît donner lecture du projet de triumvirat, qui fut accepté par eux. Un tel projet, ainsi rédigé, ne pouvait pas être l’œuvre de ces hommes. Au Mirebalais, il fut également accepté : un député fut envoyé de là auprès du gouverneur espagnol. Le marquis D’Espinville, grand propriétaire de ce quartier, y était l’âme de ces machinations, d’accord avec ce gouverneur. D’Espinville s’était mis en correspondance avec Jean Pineau, chef des noirs insurgés de la montagne des Crochus, située entre le Mirebalais et le Port-au-Prince ; il correspondait également avec Hyacinthe, au Cul-de-Sac[2].

Agissant avec la plus grande résolution, Polvérel fit arrêter les deux Guyambois qu’il envoya dans les prisons de Saint-Marc, où l’esprit public n’était pas meilleur. Il rassembla les noirs et tous les habitans, et par de chaleureuses allocutions, il leur fit prêter serment de fidélité à la République française et de combattre les rois. Quelques mesures militaires eurent ensuite pour effet de procurer du calme sur les deux rives de l’Artibonite. Arrivé bientôt à la Croix-des-Bouquets, il fit encore arrêter Hyacinthe et quelques-uns de ses complices qu’il envoya dans les prisons du Port-au-Prince, pour être jugés par un conseil de guerre qu’il avait établi.


Toutefois, la découverte du projet de triumvirat formé entre J. Guyambois, Biassou et Jean François, fut pour Polvérel un sujet de sérieuse réflexion. Sonthonax et lui, par leur proclamation du 21 juin, avaient bien donné la liberté aux esclaves qui combattaient pour la république ; ils avaient bien annoncé leur projet de la donner graduellement aux autres, en promettant à tous de leur délivrer des terres en propriété, suffisantes à leur honnête subsistance et à celle de leurs familles. Mais dans le plan du triumvirat, il s’agissait de proclamer immédiatement l’affranchissement général de tous les esclaves, et de plus, de leur distribuer toutes les propriétés à titre de vente, en évinçant toutes les propriétaires. Pour mieux les capter, l’Espagne offrait l’abandon du territoire de trois vastes communes de sa colonie.

Certes, il est permis de croire que ni l’Espagne, ni les royalistes français n’étaient sincères dans ces promesses ; leur but était d’anéantir le pouvoir des commissaires civils, en détruisant le prestige qui leur donnait une si grande autorité sur les noirs. Ils se réservaient de reprendre leur ascendant sur ces masses, à l’aide des forces combinées que l’Espagne et la Grande-Bretagne allaient jeter à Saint-Domingue. Mais, en attendant, la propriété ayant infiniment plus d’attraits que la liberté, pour tous les hommes, et surtout pour ceux dont les idées sont bornées, le plan des ennemis de la république devait produire un immense effet sur l’esprit des noirs. À bien considérer les choses, la propriété seule peut réellement rendre l’homme libre, par l’indépendance individuelle qu’elle lui procure dans l’état social ; car, dans les relations qui existent, par le travail, entre l’ouvrier et le propriétaire, ce dernier tend souvent à abuser de sa position ; de là, la dépendance, la sujétion du prolétaire.

Quel était donc le moyen qui restait aux commissaires civils, pour déjouer les combinaisons perfides des ennemis de la France ? Le même que celui qu’ils employaient : il n’y avait pas à hésiter. En effet, quel que fût le désir de ces commissaires de n’arriver que graduellement à la liberté générale des esclaves, de leur assurer une part dans les produits de la culture, des portions de terrains sur les habitations pour être cultivés on vivres à leur profit, même des concessions sur les terres non occupées du domaine public, ils ne pouvaient pas concevoir l’idée d’exproprier les propriétaires de toutes couleurs dans la colonie. Cependant, ce plan une fois jeté en avant, avec la perspective pour les noirs d’avoir trois chefs pris dans leurs rangs, devenait un grand embarras. Polvérel dut concevoir l’espoir de le déjouer par la fermeté dans les résolutions de la commission civile, et par l’intérêt même des propriétaires qui les porterait à s’y rallier. Il croyait qu’elle pouvait compter sur le concours de la classe de couleur, déjà prépondérante et influente dans toutes les provinces de la colonie. Son espoir ne fut pas trompé, et Sonthonax le partagea entièrement.

Avant de parler des mesures qu’ils prirent chacun dans leur sphère d’activité, remarquons le rapprochement que l’histoire de notre pays nous permet de faire, à l’occasion du triumvirat projeté par les royalistes français et les Espagnols, et ce qui devait s’ensuivre. On y voit mentionner le nom du vicomte de Fontanges, ce royaliste qui, après l’organisation du cordon de l’Ouest et du conseil de paix et d’union à Saint-Marc, s’était éloigné de la colonie. Cet homme et ses adhérens devaient être appelés pour présider à l’exécution de ce plan contre-révolutionnaire. Le destin le rappela un jour, comme chef d’une mission royaliste, pour tenter la restauration de l’autorité souveraine de la France sur Haïti ; mais en 1816 comme en 1793, il échoua devant des événemens accomplis, en s’adressant à un chef qui réalisa les idées de Polvérel, dans les proclamations que nous allons citer de ce commissaire civil. Les propriétés des colons français avaient été morcelées, divisées, au profit de ces noirs que Fontanges et consorts avaient voulu entraîner contre la cause de la France ; et Pétion répondit à ce vieillard, qui lui rappelait que les hommes de couleur avaient servi sous ses ordres, que la France ne doit plus prétendre à son ancienne colonie. Il résulta cependant de cette mission, que le collègue de M. de Fontanges devint en quelque sorte l’intermédiaire des arrangemens ultérieurs qui furent pris entre Haïti et la France, pour indemniser les anciens colons de la perte de leurs propriétés[3].


Afin de déjouer les intrigues qui menaçaient l’autorité de la commission civile, Polvérel commença par émettre une proclamation, le 20 août, par laquelle il ordonna des mesures sévères de discipline militaire. Une cour martiale fut instituée dans l’Ouest pour juger à mort ou à la déportation, de nombreux délits définis par cet acte.

Le 21 août, il rendit une autre proclamation qui disposait « que les condamnés seraient, en outre, déchus de toutes les propriétés mobilières et immobilières qu’ils possédaient dans la colonie, lesquelles seraient, à cet effet, séquestrées et mises au pouvoir de l’administration, pour les dites propriétés et les revenus en provenant, être distribués aux bons et fidèles républicains qui combattent et qui continueront de combattre les ennemis de la république, tant du dedans que du dehors, jusqu’à la cessation de la guerre extérieure et des troubles intérieurs.

Cette distribution des propriétés devait être déterminée par un acte subséquent. Ce fut l’objet d’une troisième proclamation rendue par Polvérel, le 27 août. Voyons sur quels principes il faisait reposer ce partage des terres.


« Le droit de propriété ne peut exister sans une force protectrice. Cette force ne peut exister que par la réunion des forces individuelles de tous les propriétaires ; car ce n’est pas ceux à qui n’ont rien, à sacrifier leurs vies pour la défense des propriétés d’autrui.

D’un autre côté, sans la culture le droit de propriété est absolument stérile, et le cultivateur qui défriche les terres, qui les féconde par son travail, est le premier à qui la nature en a destiné les fruits.


Le partage des propriétés déclarées vacantes doit naturellement se faire entre le guerrier et le cultivateur. Les parts doivent être inégales ; car, si les fatigues du cultivateur et celles du guerrier sont à peu près égales, le guerrier court de plus des dangers pour sa vie ; sa part doit donc être plus forte que celle du cultivateur. »


Ces principes, que de nos jours on appellerait en Europe du socialisme, furent ceux qui guidèrent Pétion dans la distribution des terres : distribution juste, équitable et éminemment politique pour son époque. Leur application en Haïti produisit des effets immenses sur l’esprit public, et a garanti la société d’une subversion totale, dans les derniers événemens de ce pays.

Nous regrettons de ne pas avoir cette proclamation du 27 août sous les yeux ; mais ce qu’en dit Garran suffit pour la faire apprécier.

Le surplus du préambule, dit-il, qui est écrit avec beaucoup de force, comme tout ce que faisait Polvérel, ne contient que des exhortations patriotiques et des développemens que la politique s’honorerait d’avouer… Il y présage l’heureuse époque où, « par une grande révolution en faveur de l’humanité, révolution telle que la paix ni la guerre ne sauraient en arrêter le cours… cessant de calomnier la race africaine, on commencera à croire qu’aux Antilles, comme partout ailleurs, la terre peut être cultivée far des mains libres ; et les colons à qui il resterait des esclaves éclairés sur leurs véritablés intérêts, se coinvaincront par des calculs exacts, que la culture par des mains libres, moyennant salaire ou moyennant une portion déterminée des fruits, est moins coûteuse et plus productive que la culture par des esclaves ; alors, ils donneront, à l’envi les uns des autres, la liberté à leurs ateliers et fonderont l’espoir de leur opulence, non sur l’esclavage, mais sur des conventions libres, qui détermineront d’une part l’engagement au travail, de l’autre le prix et les conditions du travail. » Polvérel annonce au surplus, ajoute Garran, que « les commissaires civils ayant reçu des pouvoirs plus étendus de la convention nationale et du pouvoir exécutif, ils vont s’occuper d’un nouveau règlement qui temperera, à l’égard des esclaves, la rigueur des dispositions excessives indiquées par le code noir, et qui, par le bien-être qu’il leur assurera, les mettra presque au niveau des hommes libres. »


Polvérel et Garran lui-même jugeaient trop favorablement, et des colons et des gouvernemens qui se succéderaient dans leur pays. Oui, cette grande révolution dans l’intérêt de l’humanité s’est opérée, malgré tous les obstacles ; mais on a continué de calomnier la race africaine. La terre d’Haïti, celle de plusieurs autres Antilles, sont actuellement cultivées par des mains libres ; mais la caste coloniale ne fut jamais éclairée sur ses vrais intérêts ; elle ne voulut jamais être convaincue, elle ne donna jamais, de son propre mouvement, la liberté aux malheureux esclaves : la cupidité l’emporta sur la justice.

Nous remarquerons encore que, quoique pressé par les circonstances, Polvérel persistait dans ses idées de liberté graduelle ; car, malgré les pouvoirs plus étendus qu’il annonçait avoir reçus, en reconnaissant la rigueur excessive des dispositions du code noir, que la proclamation du 5 mai avait eu le tort de renouveler en partie, il promettait seulement de la tempérer pour mettre les esclaves presque au niveau des hommes libres.

En conséquence, la proclamation du 27 août disposait :

Article 1er. Tous Africains ou descendans d’Africains, de tout sexe et de tout âge, qui resteront ou qui rentreront sur les habitations auxquelles ils ont ci-devant appartenu, qui ont été ou qui pourront être déclarées vacantes en exécution de ma proclamation du 21 de ce mois, sont déclarés libres et jouissent dès à présent de tous les droits de citoyens français, sous la seule condition de s’engager à continuer de travailler à l’exploitation desdites habitations.

3. Tous les nègres jusqu’à présent insurgés ou marrons, et même les indépendans, qui habitent le Maniel (ou Bahoruco) ou autres lieux de la partie espagnole de Saint-Domingue, pourront profiter des dispositions de l’article 1er.

8. La totalité des habitations vacantes dans la province de l’Ouest appartiendra en commun, à l’universalité des guerriers de ladite province et à l’universalité des cultivateurs desdites habitations vacantes, dans les proportions qui seront ci-après déterminées.

9. Elles resteront indivises pendant toute la durée de la guerre et des troubles intérieurs, jusqu’au terme qui sera indiqué par l’art, 24 ; les revenus en seront versés dans la caisse de l’administration ; le trésorier comptable en rendra compte chaque année et distribuera à chacun sa part, suivant les proportions indiquées par l’article précédent et celles qui le seront ci-après.

12. Tout créancier présent ou absent qui ne réclamerait pas, dans une année pour tout délai, est déclaré déchu.

24. Il ne pourra être procédé au partage des habitations déclarées vacantes, entre les nouveaux propriétaires, qu’après l’estimation totale des dettes en capitaux et intérêts.

37. Seront admis à ce partage, comme guerriers, tous les nègres armés qui sont actuellement en état d’insurrection, qui remettront la république ou qui l’aideront à se remettre en possession desdits territoires avant d’y avoir été contraints par la force des armes, qui prêteront serment de fidélité à la république, et qui combattront pour elle jusqu’à la fin de la guerre extérieure et des troubles intérieurs.

38. La liberté leur sera irrévocablement acquise par le fait seul de la remise du territoire et de la prestation du serment de fidélité à la république ; l’obligation de porter à l’avenir les armes au service de la république ne leur étant imposée que comme une condition nécessaire pour être admis au partage des terres comme guerriers, ils pourront y être admis comme cultivateurs, quand même ils renonceraient au métier des armes, pourvu qu’ils remplissent d’ailleurs les conditions ci-dessus prescrites aux cultivateurs.

39. Toutes les possessions immobilières appartenantes à la couronne d’Espagne, aux nobles, aux moines et eux prêtres, dont la république fera la conquête, seront partagées de même entre les guerriers étant au service de la république à Saint-Domingue, et les ouvriers ou cultivateurs qui s’attacheront à leur exploitation.

40. Seront considérés et admis au partage, comme guerriers français, tous les Espagnols, tous les Africains insurgés, marrons ou indépendans, et tous autres individus, de quelque nation qu’ils puissent être, qui auront secondé les armes de la république, et qui auront contribué à lui faciliter la conquête de la partie espagnole.

41. Seront de même admis au partage, comme guerriers, tous citoyens armés de la province de l’Ouest, qui resteront pour défendre, leurs foyers, tandis que leurs frères d’armes iront conquérir la partie orientale de l’île.

42. Seront déclarés libres, citoyens français, et admis au partage desdites terres, comme cultivateurs, tous les Africains marrons, insurgés ou indépendans, ainsi que tous les esclaves de la couronne d’Espagne, des nobles, des moines et des prêtres espagnols, qui voudront s’attacher à la culture et à l’exploitation desdites terres.

43. Seront au surplus observées, dans le partage des terres de la couronne, des nobles, des moines et des prêtres, toutes les dispositions de ma précédente proclamation, relatives au partage des terres déclarées vacantes dans la province de l’Ouest.

44. Dans le cas où la commission civile jugera à propos de rendre ladite proclamation commune aux provinces du Nord et du Sud, il sera fait une seule masse de toutes les propriétés déclarées vacantes dans les trois provinces, et les guerriers et cultivateurs de la partie française, seront admis, sans distinction de provinces, à partager entre eux la totalité desdites propriétés déclarées vacantes, et des revenus en provenant, suivant l’ordre et aux conditions qui ont été prescrites depuis pour la province de l’Ouest.

On sent l’embarras qu’éprouvait Polvérel, en présence des intrigues ourdies contre la commission civile, par les ennemis intérieurs et extérieurs ; car, à travers toutes les dispositions de sa proclamation du 27 août, on reconnaît les pénibles efforts qu’il fait pour trouver une solution à la crise dont la colonie est menacée. Esprit par trop systématique, il a conçu un plan de libération graduelle pour appeler successivement les esclaves à la liberté, en leur faisant mériter de l’obtenir ; il voit ce plan contrarié par les événemens et par la perfidie des ennemis de sa patrie, et il s’y rattache encore ; il semble ne pas concevoir que les esclaves qui se soulèvent de toutes parts sont aussi impatiens d’obtenir leur liberté que les affranchis l’avaient été d’obtenir leur égalité avec les blancs. Alors qu’il dispose de beaucoup de propriétés des colons en faveur des diverses catégories d’esclaves qu’il déclare libres, il s’arrête devant la mesure de la liberté générale, comme si elle eût été plus condamnable que cette expropriation.

Une autre observation ressort de sa proclamation du 27 août : c’est cette espèce de décousu qui existe dans les opérations de la commission civile. Dans le Nord, Polvérel et Sonthonax, après l’affaire de Galbaud, ont donné la liberté à un certain nombre d’esclaves, en suspendant la mesure dans l’Ouest et dans le Sud. Peu après ils retendent pour le Sud, en exceptant encore la province de l’Ouest ; maintenant Polvérel prend d’autres mesures pour cette province seule, en doutant si ses collègues voudront les appliquer dans les deux autres. L’unité d’action manque dans toutes ces opérations, et prépare infailliblement les esprits au doute sur les pouvoirs des trois commissaires, à l’hiésitation sur le parti qu’il faut prendre dans les conjonctures où se trouve la colonie, et enfin aux défections, aux trahisons en faveur des ennemis extérieurs. Que sera-ce bientôt, quand on verra ces commissaires se désapprouver mutuellement, à propos de la liberté générale devenue la seule mesure compatible avec l’état des choses, le seul moyen de se concilier et de s’attacher les masses pour défendre Saint-Domingue contre ses ennemis ?


Dans le Nord, en effet, les événemens entraînaient Sonthonax à cette grande réparation aux injustices séculaires qui avaient pesé sur les noirs infortunés. Ceux qui habitaient la ville du Cap avaient été les premiers à se joindre aux hommes de couleur pour les défendre, ainsi que les commissaires civils, contre Galbaud et les blancs réunis ; d’autres y étaient accourus dans le même but : ils avaient plaidé en quelque sorte la cause de l’universalité de leurs compagnons d’infortune. Dans l’état fiévreux des esprits de la province du Nord, un blanc au noble cœur, Guillaume-Henri Vergniaud, parent, dit-on, de l’illustre girondin, Vergniaud, que les commissaires civils avaient nommé sénéchal du Cap, voyant l’hésitation de ces commissaires à adopter la mesure de la liberté générale, conçoit le projet de la demander en se mettant à la tête de tous les noirs du Cap, sans armes, pour présenter une pétition à cet effet. Le 13 et le 15 août il adressa des lettres à Sonthonax, pour l’avertirde son projet et obtenir son assentiment.

« L’arbre de la liberté, dit-il, fut planté à Paris le 14 juillet 1789, et tous les Français furent libres. Il fut planté au Cap le 14 juillet dernier, et nous sommes encore dans l’esclavage !… Ne sommes-nous pas des hommes ? Au nom de l’humanité, cessez de lutter contre vos principes ; ne vous laissez pas aller aux insinuations perfides de quelques officiers de l’ancien régime, liberticides par habitude, et par là même vos ennemis[4]… Dites un mot, Saint-Domingue est heureux et libre… »

Quelques jours après, la commune du Cap, suivant les inspirations de son sénéchal et autorisée par la municipalité, s’assemble et rédige une pétition que signent 842 citoyens :

« Nous réclamons des droits, disent-ils, que toutes les puissances divines et humaines ne peuvent nous refuser, des droits que la nature elle-même nous a concédés, les droits de l’homme, liberté, sûreté, propriété, résistance à l’oppression. La France les a garantis à tous les hommes. Ne sommes-nous pas des hommes ? Eh ! quelle loi barbare a donné à des Européens le droit de nous porter sur un sol étranger et de nous y consacrer à des tortures éternelles ? Vous nous ayez expatriés, eh bien ! que votre patrie devienne la nôtre ; mais nous voulons être reconnus libres et Français ! Nos maux vous sont connus, citoyen… faites-les donc cesser. Vous en avez le pouvoir, nous le savons. La convention nationale vous a laissé l’arbitre de notre sort, par le décret du 5 mars dernier… »

La population du Cap, hommes, femmes et enfans, précédée du bonnet de la liberté, porta cette pétition à Sonthonax, le 25 août. Les femmes se jetèrent à ses pieds.

Les citoyens du 4 avril, dit Dufay à la convention nationale, dans son compte-rendu, le 16 pluviôse an II, en reconnaissance des services que leur avaient rendus les noirs dans les journées des 20, 21 et 22 juin, où on voulait les assassiner, et où les noirs les avaient si courageusement secourus, eurent la générosité (il aurait dû dire qu’ils furent assez justes) de se joindre eux-mêmes aux noirs pour implorer le commissaire civil en faveur de leurs défenseurs, et furent les premiers à offrir le sacrifice de leurs esclaves, à qui ils donnèrent la liberté. Mes frères, mes collègues, ont donné des premiers l’exemple. »

Nous sommes heureux de pouvoir constater, par le témoignage de Dufay, témoin oculaire des faits, que les mulâtres et nègres libres du Cap reconnurent comme des blancs, la justice de cette sainte réclamation des droits de la nature en faveur des nègres esclaves. Dans l’Ouest, dans le Sud, il en fut de même. Les droits des uns et des autres étaient semblables, comme la couleur de leur peau. Sortis tous de l’esclavage imposé par les Européens à la race africaine, ils avaient les mêmes intérêts, ils s’honorèrent par cette démarche.

Sonthonax fut sans doute ému de cette scène attendrissante, de ce spectacle offert à ses yeux par la population entière d’une cité naguère opulente, maintenant ruinée, demandant à l’un des agens de la France l’application des principes qu’elle avait proclamés en faveur de toute l’espèce humaine, et qu’au fond du cœur il professait lui-même. L’art. 18 de la nouvelle Déclaration des droits, publiée par la convention nationale, autorisait la pétition des noirs. Cet article portait que l’homme ne peut pas être la propriété d’un autre homme, que nul homme ne peut se vendre ni être vendu. Comment résister à un si touchant spectacle, et aux raisons si judicieusement invoquées par les pétitionnaires ? Il leur promit une réponse positive dans quatre jours, et cette réponse fut sa proclamation du 29 août 1793.

Il est permis de croire que la lettre de Polvérel, du 26 du même mois, lui était déjà parvenue, l’informant de la gravité des circonstances qui se passaient ou s’étaient passées dans l’Artibonite : elle dut le porter lui-même à réfléchir sur la situation de la colonie menacée de toutes parts. Subissant de son côté une pression égale à celle qu’éprouvait Polvérel, et qui le détermina à émettre sa proclamation du 27 août, Sonthonax dut prendre, avec plus de résolution que son collègue, par l’effet même de son caractère plus porté que le sien aux mesures vigoureuses, la détermination de proclamer la liberté générale des esclaves dans le Nord.

« Sonthonax n’eut à craindre, dit Garran, lors de cette détermination, aucune violence personnelle, quoi qu’il soit incontestable qu’elle fut commandée par les circonstances les plus impérieuses. Ce fait, qui peut importer à l’histoire, est au surplus absolument étranger à la légalité de l’affranchissement général. Des esclaves sont en état de guerre perpétuel avec leurs maîtres et avec le gouvernement qui maintient l’esclavage. Ils ont le droit de revendiquer par toute sorte de moyens, même par la force, la liberté dont ils ne peuvent être privés que par la violence. Ils font preuve d’une grande modération en recourant au droit de pétition ; mais, quelle que soit leur attitude, on ne doit pas les refuser, on ne peut pas le faire sans manquer à la justice naturelle, et perpétuer l’état de guerre. »

Dufay dit aussi : « Les Espagnols et les Anglais, auxquels s’étaient déjà réunis un grand nombre de contre-révolutionnaires, étaient là tout prêts, qui appelaient les esclaves et leur tendaient les bras. Les Espagnols leur offraient même de l’argent avec la liberté, et même des grades supérieurs. Il ne fallait pas laisser échapper » l’instant favorable, sans quoi tout était perdu… Au reste, si nous devions perdre nos colonies (ce que je suis très-loin de croire ni de craindre), n’était-il pas plus glorieux d’être juste, et plus raisonnable de faire tourner cette perte au profit de l’humanité ? Dans cette extrémité pressante, le commissaire en résidence au Cap, rendit la proclamation du 29 août. »

Lisons donc cette célèbre déclaration du droit des esclaves de toutes couleurs, d’être libres à Saint-Domingue. Voyons comment Sonthonax a résolu cette question qui tenait les noirs en insurrection depuis deux ans.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits : voilà, citoyens, l’Évangile de la France ; il est plus que temps qu’il soit proclamé dans tous les départemens de la république.


Envoyés par la nation, en qualité de commissaires civils à Saint-Domingue, notre mission était d’y faire exécuter la loi du 4 avril, de la faire régner dans toute sa force, et d’y préparer graduellement, sans déchirement et sans secousse, l’affranchissement général des esclaves.

À notre arrivée, nous trouvâmes un schisme épouvantable entre les blancs qui, tous divisés d’intérêt et d’opinion, ne s’accordaient qu’en un seul point ; celui de perpétuer à jamais la servitude des nègres, et de proscrire également tout système de liberté et même d’amélioration de leur sort, Pour déjouer les malintentionnés et pour rassurer les esprits, tous prévenus par la crainte d’un mouvement subit, nous déclarâmes que nous pensions que l’esclavage était nécessaire à la culture.

Nous disions vrai, citoyens, l’esclavage était alors essentiel, autant à la continuation des travaux qu’à la conservation des colons. Saint-Domingue était encore au pouvoir d’une horde de tyrans féroces qui prêchaient publiquement, que la couleur de la peau devait être le signe de la puissance ou de la réprobation ; les juges du malheureux Ogé, les créatures et les membres de ces infâmes commissions prévôtales, qui avaient rempli les villes de gibets et de roues pour sacrifier à leurs prétentions atroces les Africains et les hommes de couleur ; tous ces hommes de sang peuplaient encore la colonie. Si, par la plus grande des imprudences, nous eussions, à cette époque, rompu les liens qui enchaînaient les esclaves à leurs maîtres, sans doute que leur premier mouvement eût été de se jeter sur leurs bourreaux, et, dans leur trop juste fureur, ils eussent aisément confondu l’innocent avec le coupable ; nos pouvoirs d’ailleurs ne, s’étendaient pas jusqu’à prononcer sur le sort des Africains, et nous eussions été parjures et criminels si l’a loi eût été violée par nous.

Aujourd’hui, les circonstances sont bien changées ; les négriers et les antropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l’émigration. Ce qui reste de blancs, est ami de la loi et des principes français. La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril, de ces hommes à qui vous devez votre liberté, qui, les premiers vous ont donné l’exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l’humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N’oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d’eux les armes qui vous ont conquis votre liberté ; n’oubliez jamais que c’est pour la République française que vous avez combattu ; que, de tous les blancs de l’univers, les seuls qui soient vos amis sont les Français d’Europe.

La République française veut la liberté et l’égalité entre tous les hommes sans distinction de couleur[5] ; les rois ne se plaisent qu’au milieu des esclaves : ce sont eux qui sur les côtes d’Afrique, vous ont vendus aux blancs : ce sont les tyrans d’Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La république vous adopte au nombre de ses enfans : les rois n’aspirent qu’à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.

Ce sont les représentans de cette même république qui, pour venir à votre secours, ont délié les mains des commissaires civils en leur donnant le pouvoir de changer provisoirement la police et la discipline des ateliers. Cette police et cette discipline vont être changées : un nouvel ordre de choses va renaître, et l’ancienne servitude disparaîtra.

Ne croyez pas cependant que la liberté dont vous allez jouir, soit un état de paresse et d’oisiveté. En France, tout le monde est libre, et tout le monde travaille ; à Saint-Domingue, soumis aux mêmes lois, vous suivrez le même exemple. Rentrés dans vos ateliers ou chez vos anciens propriétaires, vous recevrez le salaire de vos peines ; vous ne serez plus assujétis à la correction humiliante qu’on vous infligeait autrefois ; vous ne serez plus la propriété d’autrui ; vous resterez les maîtres de la vôtre, et vous vivrez heureux.

Devenus citoyens par la volonté de la nation française, vous devez être aussi les zélés observateurs de ses décrets ; vous défendrez, sans doute, les intérêts de la république contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance, que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l’existence, montrez-vous dignes d’elle : abjurez à jamais l’indolence comme le brigandage ; ayez le courage de vouloir être un peuple, et bientôt vous égalerez les nations européennes.

Vos calomniateurs et vos tyrans soutiennent que l’Africain devenu libre ne travaillera plus ; démontrez qu’ils ont tort ; redoublez d’émulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu’en vous associant à ses intérêts, elle a véritablement accru ses ressources et ses moyens.


Et vous, citoyens égarés par d’infâmes royalistes ; vous qui, sous les drapeaux et les livrées du lâche Espagnol, combattez aveuglément contre vos propres intérêts, contre la liberté de vos femmes et de vos enfans, ouvrez donc enfin les yeux sur les avantages immenses que vous offre la république. Les rois vous promettent la liberté ; mais voyez-vous qu’ils la donnent à leurs sujets ? L’Espagnol affranchit-il ses esclaves ? Non, sans doute : il se promet bien, au contraire, de vous charger de fers sitôt que vos services seront inutiles. N’est-ce pas lui qui a livré Ogé à ses assassins ? Malheureux que vous êtes ! Si la France reprenait un roi, vous redeviendriez bientôt la proie des émigrés ; ils vous caressent aujourd’hui ; ils deviendraient vos premiers bourreaux.

Dans ces circonstances, le commissaire civil délibérant sur la pétition individuelle signée en assemblée de commune ; exerçant les pouvoirs qui : lui ont été délégués par l’article 3 du décret rendu par la convention nationale le 5 mars dernier ;

A ordonné et ordonne ce qui suit, pour être exécuté dans la province du Nord.

Article 1er. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera[6]

2. Tous les nègres et sang-mêlés actuellement dans l’esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyen français ; ils seront cependant assujétis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivans…

5. Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés au service de leurs maîtres ou maîtresses que pour trois mois, et ce, moyennant le salaire qui sera fixé entre eux de gré à gré.

6. Les ci-devant esclaves, domestiques, attachés aux vieillards de 60 ans, aux infirmes, aux nourrissons et aux enfans au-dessous de 10 ans, ne seront point libres de les quitter. Leur salaire demeure fixé à une portugaise (8 gourdes) par mois pour les nourrices, et six portugaises par an pour les autres, sans distinction de sexe.

9. Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres seront tenus d’y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.

10. Les guerriers enrôlés qui servent dans les corps ou dans les garnisons, pourront se fixer sur les habitations en s’adonnant à la culture, en obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront être délivrés qu’en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.

11. Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an, pendant lequel temps ils ne pourront changer d’habitation que sur une permission des juges de paix…

12. Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles sont prélevées sur la totalité.

Un tiers demeure affecté à la propriété de la terre, et appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance d’un autre tiers pour les frais de faisance-valoir ; le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs de la manière qui va être fixée.

19. Les cultivateurs auront en outre leurs places à vivres ; elles seront réparties équitablement entre chaque famille, eu égard à la qualité de la terre et à la quantité qu’il convient d’accorder.

26. L’inspecteur général de la province du Nord sera chargé d’inspecter toutes les habitations, de prendre auprès des juges de paix tous les renseignemens possibles sur la police et la discipline des ateliers, et de nous en rendre compte, ainsi qu’au gouverneur général et à l’ordonnateur civil. Il sera en tournée au moins vingt jours du mois.

27. La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée, pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours, suivant l’exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d’une partie ou de la totalité des salaires…

28. À l’égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugea comme les autres citoyens français.

29. Les cultivateurs ne pourront être contraints de travailler le dimanche…

31. Les femmes enceintes de sept mois ne travailleront point au jardin, et n’y retourneront que deux mois après leurs couches…

32. Les cultivateurs pourront changer d’habitation pour raison de santé ou d’incompatibilité de caractère reconnue, ou sur la demande de l’atelier où ils sont employés. Le tout sera soumis à la décision du juge de paix assisté de ses assesseurs.

33. Dans la quinzaine du jour de la promulgation de la présente proclamation, tous les hommes qui n’ont pas de propriétés, et qui ne seront ni enrôlés, ni attachés à la culture, ni employés au service domestique, et qui seraient, trouvés errans, seront arrêtés et mis en prison.


34. Les femmes qui n’auront pas de moyens d’existence connus, qui ne seront pas attachées à la culture ou employées au service domestique, dans le délai ci-dessus fixé, ou qui seraient trouvées errantes, seront également arrêtées et mises en prison.

35. Les hommes et les femmes mis en prison dans les cas énoncés, seront détenus pendant un mois, pour la première fois ; pendant trois mois, pour la seconde, et la troisième fois, condamnés aux travaux publics pendant un an.

36. Les personnes attachées à la culture elles domestiques ne pourront, sous aucun prétexte, quitter, sans une permission de la municipalité, la commune où ils résident…

38. Les dispositions du code noir demeurent provisoirement abrogées.

En reproduisant le texte du préambule et des principales dispositions des deux proclamations des 27 et 29 août 1793, la première de Polvérel, la deuxième de Sonthonax, nous avons voulu mettre le lecteur à même de comparer les idées qui animaient ces deux commissaires, pour mieux apprécier leur influence sur la transformation que va subir la société coloniale, par suite de ces deux actes importans.

La première différence qui saute aux yeux en les lisant, entre le système de Polvérel et celui de Sonthonax, — c’est que le premier, s’il restreint tout d’abord les cas de liberté, s’il établit des catégories, fait marcher la propriété de pair avec l’affranchissement, — tandis que son collègue n’assure qu’une part dans les revenus des propriétés, aux cultivateurs qui les exploitent, en accordant la liberté généralement à tous les esclaves, sans distinction.

Aussi dans les Débats, après la mort de Polvérel, Sonthonax accusé par les colons. Page nommément, d’avoir établi la loi agraire a Saint-Domingue, Sonthonax se défend-il de toute responsabilité à cet égard, en disant qu’il n’a pas signé la proclamation de son collègue[7]

Le système de Southonax a prévalu durant quinze années sur celui de Polvérel, parce qu’il entra plus dans les convenances, dans les vues, dans les intérêts des propriétaires, et même des divers gouvernemens qui se succédèrent dans le pays jusqu’alors.

Mais celui de Polvérel, plus juste en soi, plus rationnel, plus politique, plus en harmonie avec les besoins réels de toutes les classes de la population, ce système trouva en Pétion le chef qui le comprit et le mit en pratique au profit des masses. Il devint la base de la république qu’il avait fondée. Cette mesure a valu à ce chef l’amour de ses concitoyens, en assurant le bonheur individuel sur les ruines de l’ancienne société coloniale. De l’Ouest où Polvérel avait conçu ce système, où Pétion l’a exécuté, il a rayonné sur toutes les parties du territoire haïtien.

Si Polvérel se trouve en contradiction, comme son collègue, avec ses déclarations consignées dans son discours du 20 septembre 1792 et dans leur proclamation du 24 du même mois, même avec celle du 5 mai 1793, du moins il ne cherche pas à s’expliquer à ce sujet, comme le fait Sonthonax, dont les déclarations personnelles ont été plus positives. Aussi Garran dit-il : « On y voit (dans le préambule de l’acte du 29 août) que Sonthonax éprouvait quelque embarras à concilier cette promulgation avec ses déclarations précédentes, et l’on regrette d’y trouver, à côté de l’expression la plus pure des droits de l’homme, des preuves d’un vif ressentiment que le magistrat doit toujours écarter, quels que soient les souvenirs de l’individu. »

Garran se trompait, peut-être, quand il pensa que Sonthonax éprouva de l’embarras. Ce commissaire n’en éprouvait jamais ; peu lui importait ses déclarations antérieures ; pour lui, le succès est tout, la fin justifie les moyens, car le plus souvent il agit par expédient. Ainsi, voyez comme il déclare que leur mission à Saint-Domingue était, non seulement d’y faire exécuter la loi du 4 avril, relativement aux hommes de couleur, mais d’y préparer graduellement l’affranchissement général des esclaves. Nous avons cité à dessein les instructions que les trois commissaires civils reçurent du roi ; on n’y trouve pas un mot qui fasse préjuger que la liberté des esclaves sera proclamée ni même préparée ; et ce n’est ni Louis XVI, ni son ministre Lacoste, partisan des colons et rédacteur de ces instructions, qui y auraient inséré ce mot. L’assemblée législative elle-même n’était nullement disposée à cet affranchissement, bien que Brissot et les Girondins fussent partisans d’une liberté graduelle[8].

L’affranchissement général des esclaves fut donc une nécessité impérieuse que subirent Polvérel et Sonthonax. Les circonstances diverses qui les entouraient, qui les pressaient, leur en firent une loi de salut public. Il fallait conserver Saint-Domingue à la France, au moment où la Grande-Bretagne et l’Espagne menaçaient cette colonie, que les colons de toute nuance d’opinion et les émigrés voulaient livrer à ces puissances. Cette grande mesure de justice était le seul moyen de sauvegarder cette possession.

Pour y avoir été contraints, Polvérel et Sonthonax n’en méritent pas moins aux yeux de l’histoire et de la postérité. À leurs noms se rattache le souvenir de ce grand acte de réparation envers plusieurs centaines de milliers d’hommes que l’esclavage retenait dans les fers. Le sort en fut jeté ! Et quelques réactions qui soient survenues après, la Liberté a triomphé dans les Antilles. La grande nation qui va prêter bientôt l’appui de ses armes aux colons de Saint-Domingue, pour rétablir l’esclavage des noirs dans cette colonie, a fini elle-même, sous l’influence des sentimens religieux qui l’éclairent, par devenir le défenseur de leur liberté qu’elle a proclamée libéralement, après avoir tout tenté pour faire cesser l’infâme trafic de cette portion de l’espèce humaine.

Polvérel et Sonthonax agirent en août 1793, comme hommes d’État. Le devoir de ceux qui sont appelés à diriger les affaires des peuples, est de savoir se soumettre aux nécessités de leur époque. Les événemens sont plus puissans que la volonté de l’homme, et un homme d’État surtout ; se recommande aux éloges de la postérité, quand il sait ne pas reculer devant l’accomplissement de son devoir. D’ailleurs, nous l’avons déjà dit, comme hommes privés, ces deux commissaires étaient mus par des principes libéraux, par des idées généreuses. Nous avons cité deux lettres de Sonthonax qui le prouvent.

Nous remarquons encore, par la comparaison des deux systèmes de Polvérel et de Sonthonax, que celui de ce dernier prêtait davantage au maintien des cultivateurs émancipés de l’esclavage, sur les habitations des propriétaires auxquels ils avaient appartenu. Aussi Dufay dit-il à la convention nationale, en expliquant les mesures prises par Sonthonax dans le Nord : « Cependant la proclamation, en les déclarant libres, les assujéiit à résidence sur leurs habitations respectives, et les soumet à une discipline sévère en même temps qu’à un travail journalier, moyennant un salaire déterminé ; ils sont, en quelque sorte, comme attachés à la glèbe.

Ce système, nous l’avons dit, fut suivi à leur égard par tous les chefs, par tous les gouvernemens, jusqu’à Pétion qui, dans la République d’Haïti, les émancipa de cette servitude de la glèbe.


La proclamation de Polvérel, du 27 août, malgré le grand nombre d’esclaves appelés à la liberté, malgré le partage ordonné de certaines propriétés entre eux, ne produisit pas le même enthousiasme que celle de Sonthonax, du 29 août. C’est que le premier n’employa pas les mêmes moyens que son collègue qui en fît le sujet d’une grande cérémonie au Cap, et qui envoya dans toutes les paroisses des agens qui la renouvelèrent partout. D’ailleurs, Sonthonax, jeune, bouillant d’ardeur en tout ce qu’il faisait, communiquait facilement le feu de son enthousiasme républicain. Polvérel, au contraire, déjà au milieu de la carrière de la vie, était froid, grave, et n’avait que cet élan réservé que donne une forte conviction dans le droit, dans les principes. Il s’était borné à faire publier sa proclamation par les autorités secondaires, selon la forme habituelle, et elle ne décidait pas aussi souverainement la question entre l’esclave et le maître ; bientôt après il répara cette faute.

Cependant, le premier moment d’enthousiasme dans le Nord étant passé, des excès y furent commis par les intrigues de quelques ambitieux et d’autres agitateurs, intéressés à susciter le désordre. Deux noirs qui s’étaient soumis aux commissaires civils avec leurs bandes, Pierrot et Pierre Cécile, devinrent les agens de ces excès dans les paroisses du Port-Margot et de Plaisance. Il en fut de même au Port-de-Paix. On y prêchait aux noirs la défense de travailler, comme conséquence nécessaire de l’affranchissement. Ils se livrèrent à des dévastations, à d’affreux brigandages, dans la crainte qu’on leur inspirait aussi que la liberté serait bientôt révoquée. A. Chanlatte, qui occupait Plaisance, ayant voulu s’opposer à ces désordres, fut cerné par de nombreuses bandes. Sonthonax dut faire marcher à son secours, pour le dégager et réprimer sévèrement ces mouvemens désordonnés.

Dans la petite île de la Tortue, les choses se passèrent avec calme, par l’influence soutenue qu’y avait toujours exercée le blanc Pierre Labattut, qui était le plus grand propriétaire de l’endroit et commandant de la garde nationale. Il sut préserver ce berceau de la colonie de Saint-Domingue de tout excès, comme de la conquête des Anglais durant leur occupation de quelques points de la grande île.


Pendant que Polvérel espéiait le plus grand succès des dispositions de sa proclamation du 27 août, il apprit indirectement la mesure que Sonthonax venait de prendre par celle du 29. Il en douta. Systématiquement attaché à ses propres idées, il lui écrivit :


Avez-vous, ou n’avez-vous pas proclamé la liberté générale dans le Nord ? Avez-vous été libre de ne pas le faire ? L’assemblée de la commune du Cap n’a-t-elle pas été plutôt un rassemblement militaire, qu’une assemblée de citoyens libres, délibérant paisiblement ? L’assemblée d’une seule paroisse, où il ne reste presque aucune propriété, aura-t-elle suffi pour déterminer un acte de cette importance dans la province du Nord, et dont les contre-coups peuvent être terribles dans toute la colonie ? Avez-vous reçu, et reçu assez tôt ma dépêche du 26 août, et les deux exemplaires de mes deux proclamations du 20 et du 21 août, qui accompagnaient cette dépêche ? J’ignore tout cela, et jusqu’à ce que j’en sois instruit, je ne puis ni discuter, ni décider, mais je crains tout.

Vous le savez, je déteste autant, que vous l’esclavage ; autant que vous je veux que la liberté et l’égalité soient désormais la base de la prospérité de Saint-Domingue. Mais quelle liberté que celle des brigands ! quelle égalité que celle où il ne règne d’autre loi que le droit du plus fort ! quelle prospérité peut-ou espérer sans travail ! et quel travail peut-on attendre des Africains devenus libres, si vous n’avez pas commencé par leur en faire sentir la nécessité, en leur donnant des propriétés, et leur créant des jouissances qui, jusqu’à présent, leur étaient inconnues ?

Je vous envoie un exemplaire de ma proclamation du 27 août… Vous y verrez que je m’acheminais aussi vers la liberté générale, mais par des voies plus douces, plus légales, et que je croyais propres à atteindre notre but, sans causer aucune commotion, et surtout à nous créer une force capable de défier Navarrais mêmes et Castillans. Si vous avez mieux rencontré que moi, hâtez-vous de me communiquer votre plan, pour que nous marchions sur la même ligne.


Cette lettre fut écrite le 3 septembre ; le 11, Sonthonax lui répondit : « J’ai été libre et parfaitement libre dans cet acte. Les circonstances l’exigeaient. Les Espagnols promettaient la liberté aux nègres insurgés, et cette mesure va ranimer la culture à Saint-Domingue. » Dès le 30 août il lui avait écrit : « Vous sentirez aisément que, dans les circonstances où je me trouve, elle est aussi politique que juste. »

Mais, le 4 septembre, Polvérel défendit la publication et l’exécution de la proclamation du 29 août dans la province de l’Ouest où elle circulait avec la rapidité de l’éclair. C’était déjà un tort de sa part, capable de soulever contre lui tous les ateliers. Il y ajouta, par une mesure inconcevable de la part d’un esprit aussi judicieux, tant il est vrai que l’influence d’un système préconçu peut égarer les plus fortes têtes.

Le 4 septembre, en effet, dérouté par la mesure hardie de son collègue, il rendit une nouvelle proclamation pour soumettre son plan de liberté et celui de Sonthonax, au jugement des noirs esclaves.


Frères et amis, leur dit-il, ma proclamation du 27 août dernier a donné à plus de la moitié d’entre vous la liberté, des terres en propriété, et les droits du citoyen français… Je préparais la liberté de tous… Et en attendant la liberté universelle, qui, dans mon plan, était très-prochaine, je m’occupais de la rédaction d’un règlement qui mettait presque au niveau des hommes libres, la portion d’Africains qui restait encore pour quelque temps soumise à des maîtres.

Six mois de plus, et nous étiez tous libres et tous propriétaires. Des événemens inattendus ont pressé la marche de mon collègue Sonthonax. Il a proclamé la liberté universelle dans le Nord, et lui-même, lorsqu’il l’a prononcée, n’était pas libre.

Il vous a donné la liberté sans propriétés, ou plutôt avec un tiers de propriété sur des terres en friche, sans bâtimens, sans cases, sans moulin et satis aucun moyen de les remettre en valeur ; et moi, j’ai donné, avec la liberté, des terres en production, ou des moyens de régénérer promptement celles qui avaient été dévastées.

Il n’a donné aucun droit de propriété à ceux de vos frères qui sont armés pour la défense de la colonie… Et moi, j’ai donné un droit de co-propriété à ceux qui combattaient pendant que vous cultiviez… Frères et amis, Sonthonax, Delpech et moi sommes tous animés des mêmes principes… Nous voulons tous que l’île de Saint-Domingue, comme toutes les parties de la République française, ne soit peuplée que d’hommes libres et égaux en droits… Réfléchissez, frères et amis, sur votre propre intérêt. Les trois délégués de la république veulent votre bonheur ; mais vous ne devez le chercher que dans la propriété et le travail. Ce n’est pas dans l’oisiveté et le brigandage que vous le trouverez.


La proclamation du 4 septembre dut être lue par les commandans militaires, tant aux noirs armés qu’à ceux des ateliers, de même que celle du 27 août du même commissaire et celle de Sonthonax du 29, en dressant procès-verbal du vœu émis par ceux qui seraient consultés.

Le 5, Polvérel prit la même mesure envers Delpech, à qui il adressa une lettre où il l’invitait d’opter entre son plan d’affranchissement et celui de Sonthonax. « Si vous rejetez l’un et l’autre, ou que vous en créiez un troisième, ce n’est plus danger, c’est dissolution totale de la commission civile, et perte infaillible de la colonie. » Le 8 septembre, il lui écrivit de nouveau à ce sujet : « Réfléchissez-y, mais réfléchissez-y rapidement. Si je ne reçois pas rapidement votre adhésion à mes mesures y j’adopte sans hésiter celles de Sonthonax, toutes dangereuses quelles me paraissent. »



Si nous devons regretter que Polvérel ait tenu le langage qu’il tient dans sa proclamation du 4 septembre, en faisant la comparaison de son système avec celui de Sonthonax, en déclarant authentiquement, publiquement, que ce dernier n’était pas libre : ce qui pouvait laisser des doutes dans le Nord comme dans les deux autres provinces, sur la validité de tous leurs actes ; du moins la termina-t-il convenablement, en rendant justice aux principes de son collègue comme à ceux de Delpech. Il fit encore mieux, selon sa lettre du 8 septembre à ce dernier, en adoptant entièrement le système de Sonthonax. Cependant il avait foi dans le sien, il était convaincu que ses mesures étaient les plus propres à régénérer les noirs, rendus libres et égaux à tous les autres hommes. L’avenir l’a justifié, mais il a fallu que Saint-Domingue traversât encore de grandes révolutions pour amener cet heureux résultat. Cette proclamation, néanmoins, était de nature à irriter Sonthonax, déjà très-mécontent de la désapprobation donnée par Polvérel à plusieurs de ses actes.

Aux lettres de Polvérel, Delpech répondit :


Je suis convaincu que la commission civile n’a pas le droit de changer le régime colonial et de donner la liberté à tous les esclaves ; que ce droit n’appartient qu’aux représentans de la nation entière, qui ne nous l’ont pas délégué.

Je le suis encore, que si la commission civile est autorisée à mettre à la disposition de la république les propriétés des citoyens dans certains cas, elle ne l’est pas à disposer de ces propriétés en faveur de tels autres individus.

Mais je le suis bien plus, qu’un commissaire civil n’a pas le droit, séparément, et sans le concours de ses collègues, de prendre des mesures de cette espèce, ni en général aucune de celles qui tiennent à l’intérêt de la colonie entière, ou à ses rapports avec la métropole.

Ne croyez pas cependant que je veuille protester contre vos opérations, ni donner à la colonie le spectacle d’une division scandaleuse.

Ne pensez pas non plus que je prétende rivaliser avec vous, ni vous disputer la gloire de prononcer sur les grands objets. Je suis au-dessus de cette petite vanité ; l’amour de ma patrie et de l’humanité est la seule passion qui m’anime : mais je ne dois pas m’astreindre servilement à vos dispositions, contre mes vues et ma conscience ; c’est moins pour mes droits que je réclame, que pour le bien public.

La proclamation de Sonthonax ou la vôtre, adoptées purement et simplement, me paraissent devoir entraîner de grands désordres, surtout la première.

Cependant, celle de Sonthonax est un coup d’électricité dont il est impossible d’arrêter la commotion ; il n’y a plus moyen d’y revenir, il faut donc la modifier, et il est possible de la rendre telle, en combinant ses vues avec les vôtres, et celles que je vous communiquerai, qu’elle n’ait plus que le défaut d’être prématurée.

Mais il est indispensable que nous prononcions de concert, et que des décisions de cette importance soient le résultat de nos délibérations communes : c’est le seul moyen de leur donner le caractère qui leur convient, et de commander le respect et l’obéissance des colons ; c’est le seul moyen de couvrir ce qu’elles auront d’illégal ; c’est le seul moyen de donner à leurs effets un ensemble, une marche uniforme et régulière, qui puisse prévenir les troubles et les désordres.

Je songe à la responsabilité que cette hardiesse nous impose, et je ne trouve notre sauvegarde que dans le succès. Il faut donc user de la plus grande prudence. Je vous prie donc de suspendre, autant que vous le pourrez, l’effet de vos proclamations, jusqu’à ce que nous ayons délibéré tous trois sur cette matière, et que nous ayons pris un arrêté commun… Je partirai sous quatre ou cinq jours, et je serai sous huitaine auprès de vous… Je vais, en attendant, prendre quelques mesures de sûreté et surtout tranquilliser les citoyens sur leurs propriétés et sur leur vie, car ces bruits de liberté générale ont jeté l’alarme dans les esprits.


Quoique Polvérel adhérât au vœu de Delpech, en invitant Sonthonax à venir dans l’Ouest se réunir à eux ; désapprouvant néanmoins l’indécision qu’il manifestait par sa réponse du 12 septembre, et pressé de plus en plus par l’impatience des esclaves intéressés à la solution prompte de cette grande question, par les soulèvemens qui éclataient de toutes parts, par les incendies et les ravages qui les signalaient, il sentit qu’il ne pouvait plus retarder dans l’Ouest la déclaration de la liberté générale ; mais il voulut que les propriétaires, que les maîtres concourussent ou parussent concourir à ce grand acte de manumission, afin que les esclaves pussent croire que leur volonté n’y était pas contrariée. L’anniversaire de la fondation de la République française arrivait alors : il choisit ce jour pour être celui de la proclamation de la liberté générale dans toutes les paroisses de l’Ouest ; il donna des ordres à cet effet, en prescrivant aux citoyens assemblés pour la célébration de cet anniversaire, de signer sur des registres leurs déclarations conformes aux résolutions de la commission civile.


Ainsi, le 21 septembre 1793 fut marqué au Port-au-Prince et dans toutes les communes de l’Ouest, par le plus grand acte de justice qui ait jamais été rendu dans la colonie de Saint-Domingue[9]. Une cérémonie pompeuse réunit sur la place d’Armes de cette ville[10] les citoyens de toutes couleurs : garde nationale, légion de l’Egalité, troupes de ligne européennes, fonctionnaires civils et militaires. Là, Polvérel, monté sur l’autel de la patrie, prononça un discours à la suite duquel il proclama la liberté générale de tous les esclaves. Tous les propriétaires adhérèrent à cet acte de justice, et apposèrent leurs signatures sur le registre ouvert à cet effet[11]. Cependant beaucoup d’entre eux ne furent pas sincères dans cette adhésion : l’intérêt, le vil intérêt plaidait intérieurement contre les principes éternels du droit.

Nous n’entendons pas désigner les seuls blancs colons ; c’était naturel de leur part. Mais des mulâtres, des nègres, anciens libres, partagèrent ce honteux sentiment. On le vit se manifester plus ouvertement dans les communes de Saint-Marc, de Saint-Louis et d’Aquin. Toutefois, les hommes d’élite de la classe de couleur, pénétrés de leurs devoirs envers celle des esclaves, se réjouirent de la grande mesure qui affranchissait leurs frères de l’humiliation de la servitude, pour les élever à la dignité de l’homme libre et du citoyen. Ces hommes honorables, Pinchinat, Bauvais, Rigaud, Montbrun, et tant d’autres que nous ne nommons pas, prêtèrent un concours loyal et désintéressé au triomphe de la liberté générale proclamée par les commissaires civils.

La ville du Port-au-Prince reçut deux jours après, de Polvérel, le nom de Port-Républicain, « pour rappeler sans cesse aux habitans les obligations que la révolution leur imposait[12]. »

L’heureuse idée qu’il eut de rattacher la déclaration de la liberté générale, à la fondation de la République française dont il célébrait en même temps l’anniversaire, contribua sans doute à jeter dans le sol de l’Ouest, les profondes racines du gouvernement républicain qui apprécia ses vues sur le partage des propriétés en faveur des noirs, et qui constitua l’unité de la nationalité haïtienne par la réunion de toutes les parties du territoire d’Haïti sous les mêmes lois.

En attendant cette époque glorieuse pour les fils régénérés de l’Afrique, l’éternelle Providence qui a créé tous les hommes pour être libres et égaux en droits, dut sourire aux succès qu’obtenaient à Saint-Domingue les efforts des vrais philanthropes de l’ancien hémisphère, qui avaient plaidé la cause des noirs et des mulâtres au tribunal de l’opinion. Et qui sait si, dans ses desseins impénétrables, elle n’a pas voulu que la civilisation de l’Afrique pût naître un jour de la transplantation de ses enfans en Amérique ?

En nous rappelant qu’au moment où la liberté générale était proclamée à Saint-Domingue, Brissot et les Girondins, ces constans Amis des noirs, gémissaient dans les cachots de la Terreur, et qu’un mois après leurs têtes tombèrent sous le fer homicide de cette sanglante époque, nous nous demandons si les Haïtiens ne doivent pas d’éternels regrets à la mort de ces fiers révolutionnaires qui, par leurs écrits, par l’ascendant de leurs opinions, assurèrent le triomphe de nos droits ? N’est-ce pas à leur influence dans les conseils de Louis XVI, que Polvérel et Sonthonax furent nommés commissaires civils ? Si ces agens de la France n’ont pas reculé devant l’impérieuse nécessité de cette mesure humanitaire, Brissot et les Girondins partagent avec eux la gloire de l’avoir prise. Certes, il ne nous appartient pas d’examiner, de juger si ces derniers furent coupables envers leur pays, ou si les rivalités, les jalousies de leurs adversaires dans la convention nationale, ne furent pas la principale cause de leur fin tragique. Mais nous savons que les colons de Saint-Domingue saisirent l’occasion des déplorables dissensions survenues dans cette assemblée, pour les accuser d’avoir été les auteurs des troubles de cette ancienne colonie ; nous savons que ces êtres haineux les poursuivirent avec acharnement, pour leurs opinions favorables à la race noire, et cela suffirait seul pour exciter notre sensibilité et nos regrets.

Oui, mon pays doit toujours se ressouvenir des noms de Brissot, de Vergniaud, de Gensonné, de Pétion, de Ducos, de Guadet, de Condorcet, etc. À côté de ces noms, il doit placer ceux de Clavière, de Grégoire, de Mirabeau, de Garran ; car eux tous plaidèrent notre cause. La reconnaissance des services rendus est le sentiment qui honore le plus une nation.

Et ne doit-il pas joindre aux noms de ces dignes Français, celui du grand écrivain qui a consacré des pages éloquentes à l’histoire des Girondins ? Dans cet ouvrage si palpitant d’intérêt, dans ses travaux parlementaires, il a également plaidé la cause des noirs. Lui aussi, noble fils de la France, arrivé au pouvoir dans un moment de grande commotion politique, il s’est empressé de signer le décret qui a réhabilité trois cent mille hommes de notre race dans leurs droits civils et politiques : déclarés libres comme nous, mais moins heureux que nous, ces infortunés avaient subi un nouvel esclavage durant plus de quarante ans.

Que le nom de Lamartine reste donc à jamais honoré des Haïtiens[13] !

Ils ne peuvent, ils ne doivent pas être insensibles au triomphe de la cause de leurs frères, en quelque lieu que ce soit, ni oublier les hommes généreux qui s’y sont dévouée.

C’est au même titre que Granville Scharp, Wilberforce, Thomas Clarkson et leurs coopérateurs ont également droit à notre souvenir ; car l’abolition de la traite des noirs, l’affranchissement de huit cent mille esclaves des colonies anglaises, provoqués par la persévérance de leurs sentimens philanthropiques, a puissamment consolidé l’indépendance politique d’Haïti, et même contribué à sa reconnaissance par la France. La commune origine des Haïtiens et des autres noirs, l’identité d’intérêts qui existe entre nous tous, sont un motif pour nous de participer à la joie, au bonheur de ces hommes que la liberté a régénérés.


Le 10 du mois de mai, après la reddition du Port-au-Prince, Polvérel et Sonthonax avaient adressé à la commission intermédiaire, une lettre où ils annonçaient leur intention de convoquer prochainement les assemblées primaires, afin de nommer les dix-huit députés que Saint-Domingue devait envoyer à la convention nationale, selon les dispositions du décret du 22 août 1792 : l’affaire de Galbaud avait ajourné cette convocation. Mais après sa proclamation du 29 août, Sonthonax convoqua les assemblées primaires des paroisses du Nord, qui envoyèrent au Cap les membres de l’assemblée électorale. Celle-ci élut, les 25 et 24 septembre, sous l’influence de ce commissaire, deux députés blancs, deux mulâtres et deux nègres pour la province du Nord. Ce furent Dufay et Garnot, parmi les premiers ; Mills et Boisson Laforêt, parmi les seconds ; Jean-Baptiste Belley et Joseph Georges, parmi les derniers.

Dufay avait été, dans l’ancien régime, brigadier dans les gardes du corps du roi, avant de venir habiter Saint-Domingue. Dans l’expédition de Sayannah, il avait commandé une compagnie de mulâtres et nègres libres : ce qui peut expliquer ses opinions favorables à cette classe d’hommes et à celle des esclaves ; il avait pu reconnaître leur bravoure et leur aptitude à défendre la colonie contre les ennemis de la France. Garnot était un homme honorable, également partisan de la liberté et de l’égalité. Mills était d’origine anglaise et habitant du Cap depuis longtemps. J.-B. Belley fit aussi la campagne de Savannah. Nous avons dit avec quelle valeur il défendit les commissaires civils dans les journées de juin. Laforêt avait été officier municipal au Cap. Quant à Joseph Georges, nous ignorons ses antécédens.

Soit que Sonthonax ne convînt pas de ces nominations avec Polvérel, soit que ce dernier ne jugeât pas opportun d’en faire pour l’Ouest et pour le Sud, il n’y eut pas de députés nommés dans ces deux provinces, et ce fut une chose regrettable par rapport à ce qui eut lieu en 1796. Mais, quelque temps après, H. Vergniaud, Louis Boisrond, Castaing et François Raymond qui se trouvaient alors au Port-au-Prince avec Sonthonax, furent choisis pour aller informer la convention nationale de la situation de la colonie. Les trois derniers étaient membres de la commission intermédiaire.


Comme il l’avait écrit à ses collègues, Delpech se disposait à se rendre au Port-au-Prince pour conférer avec eux, lorsqu’il tomba malade. Il mourut aux Cayes le 27 septembre, très-regretté par Rigaud et les autres hommes de couleur qui avaient trouvé en lui un homme juste et loyal. Venu à Saint-Domingue en qualité de secrétaire de la commission civile, il avait reçu depuis peu de temps sa nomination de membre de cette commission. S’il hésita à reconnaître la nécessité urgente de proclamer la liberté générale, s’il douta de la légalité de cette mesure et des pouvoirs de la commission civile, ce n’est pas sans doute qu’il fût opposé à cette liberté. Il avait été témoin de toutes les opérations antérieures de ses collègues, il avait assisté à toutes leurs délibérations concernant le maintien de l’esclavage, il avait écrit sous leur dictée la plupart de leurs résolutions dans ce but, et il les savait sincères. Delpech pouvait donc ne pas partager leurs convictions nouvelles sur l’opportunité de la mesure, et même sur sa légalité. N’avait-il pas une excuse pour ses opinions, dans le dissentiment qui existait à ce sujet entre Polvérel et Sonthonax ? Sa lettre du 12 septembre leur expliquait suffisamment sa pensée.

C’est donc avec regret que nous lisons dans Garran, que Polvérel, après avoir rendu justice aux principes de Delpech, dans sa proclamation du 4 septembre, attribue ses doutes à la pusillanimité, à la vanité, à l’envie, et dit qu’il mourut un mois trop tard, tout en rappelant qu’il était honnête homme et bon citoyen. Pour être l’un et l’autre, il faut posséder bien des qualités ! Et sa proclamation où il faisait aux esclaves de l’Ouest, une si pénible comparaison de son système d’affranchissement avec celui de Sonthonax, n’avait-elle pas pu fournir à ce dernier une occasion de l’accuser lui-même de vanité et d’envie ? Qui sait si cette proclamation n’a pas influé sur la froideur qui se réveilla entre eux, et qui fut cause de tant de fautes de la part de Sonthonax ?

Nous nous rangeons par ces motifs à l’avis de la commission des colonies, qui considéra la mort de Delpech comme un malheur pour Saint-Domingue, eu égard aux circonstances de cette époque, et nous nous associons aux regrets qu’elle occasionna.

  1. Deux auteurs français, Pamphile de Lacroix et M. Lepelletier de Saint-Rémy, se sont efforcés de faire de Desfourneaux un héros à Saint-Domingue. Le premier lui attribue la reprise des camps Lesec et de la Tannerie, au mois d’août 1793, tandis qu’il était alors au Port-au-Prince, et que ce fut Laveaux qui reconquit ces deux postes. Le second dit de Desfourneaux (page 135 de son 1er volume) : « Enfin, dans le Nord, un homme qui depuis a consacré toute sa carrière aux choses coloniales, et dont le nom fut aussi redouté dans la guerre qu’honoré dans l’administration, le général Desfourneaux refonlait les Espagnols sur leur territoire, et livrait au gouverneur Garcia, sur les bords de l’Artibonite, le plus sanglant et le plus décisif combat de cette guerre. Il eut pour résultat la convention de 1795, annexe du traité de Bàle, qui déclara la France souveraine de la partie espagnole, plaçant ainsi toute l’île sous sa suzeraineté de droit, quand par le fait elle ne détenait pas même toute la partie française. Cette pacification acheva de ruiner les affaires de l’Angleterre à Saint-Domingue… »

    Il faut que cet auteur ait été étrangement induit en erreur, par les documens qu’il a eus sous les yeux ; car Desfourneaux, embarqué au Port-au-Prince, en 1794, fait prisonnier par les Anglais et rentré en France, s’y trouvait jusqu’en 1796 où il revint à Saint-Domingue avec Sonthonax. Durant les Débats de l’accusation contre ce commissaire civil, en 1795, il était à Brest. À la fin de 1796, il se fît battre encore par les Anglais et les colons de la Grande-Anse, à l’attaque du camp Raimond. C’était néanmoins un militaire brave et courageux, dévoué à son pays. La cession de la colonie espagnole à la France a été le fruit de la soumission de Toussaint Louverture à Laveaux, et des victoires des armées françaises aux Pyrénées. Dans son compte-rendu, publié à Paris, Laveaux est loin de faire l’éloge de Desfourneaux dans l’affaire de San-Miguel. Il a eu un seul succès, en 1797, deux ans après la cession de la partie espagnole ; et encore le plan de cette campagne fut préparé par le colonel du génie Vincent, et H. Christophe y contribua plus que lui.

  2. Encore un autre marquis de Saint-Domingue à signaler !
  3. M. Esmangart, ancien colon de Saint-Domingue, a pris une grande part dans ces arrangemens.
  4. Vergniaud faisait allusion à Laveaux qui s’était brouillé avec lui et qui lui a gardé une rancune indigne de son courage militaire : nous en trouvons la preuve dans le compte-rendu de Laveaux. Ce sentiment de haine qu’il y manifeste contre Vergniaud, explique la haine qu’il porta aussi aux hommes de couleur en général.
  5. Les mêmes déclarations se retrouveront dans deux autres proclamations, de 1799 et 1801, peut-être avec moins de sincérité que de la part de Sonthonax.
  6. C’est la nouvelle Déclaration des droits publiée par la convention nationale, et non celle publiée par l’assemblée constituante.
  7. Débats, t, 6, p. 38 et 39, séance du 25 floréal an III, et les séances suivantes.

    « La liberté et la propriété sont les fondemens de l’abondance et de la bonne agriculture. Je ne l’ai vue florissante que dans les pays où ces deux droits de l’homme étaient bien établis. » (L’intendant Poivre, cité par Garran.)

  8. « Oui, nous avons été envoyés à Saint-Domingue pour préparer graduellement et sans secousse l’affranchissement général des esclaves ; car la loi du 4 avril n’est qu’une préparation à l’affranchissement général des esclaves. Lorsque l’assemblée nationale a proclamé l’égalité pour les nègres libres et les hommes de couleur libres, elle n’a pas entendu que les autres fussent éternellement esclaves ; elle n’a pas entendu que les parens des hommes libres fussent éternellement esclaves. Les colons nous disent que nous avions des instructions secrètes : nous déclarons que nous n’avions aucune instruction secrète… » (Paroles de Sonthonax aux Débats, t. 4, p. 18 et 19.)

    Sonthonax était un excellent avocat. En insistant sur nos opinions à son sujet, nous mettons du moins le lecteur à même de tout apprécier et de juger par lui-même.

  9. Cette cérémonie eut lieu le 21 septembre, parce que Polvérel ignorait alors la date réelle de la fondation de la république, qui n’a été fixée que par le décret de la convention nationale, du 5 octobre 1793.
  10. La place Pétion.
  11. On raconte que Polvérel prit une plume qu’il remit malicieusement à Bernard Borgella, maire du Port-au-Prince. Ce grand planteur, homme d’esprit et de sens, s’exécuta sans murmure.
  12. Rapport de Garran, t. 4, p. 216. Elle a perdu ce nom, dès le 1er janvier 1804, et l’avait repris de 1843 à 1845.
  13. Nous citons le nom de Lamartine, comme la plus haute individualité du gouvernement provisoire de 1848, qui a décrété la liberté générale des esclaves dans les colonies françaises.