Étude sur la côte et les dunes du Médoc/I/4

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IV. FIXATION DES DUNES CONSTITUTION DES FORÊTS ACTUELLES

Origines de la fixation des dunes


Premiers faits. — On lit sur le monument élevé à Brémontier dans la forêt d’Arcachon : « L’an 1786, sous les auspices de Louis XVI, M. Brémontier fixa le premier les dunes et les couvrit de forêts. En mémoire du bienfait, Louis XVIII continuant les travaux de son frère, éleva ce monument en 1818. »

Cette inscription est trompeuse. Le célèbre ingénieur n’a le mérite ni de la priorité ni de l’invention dans le boisement des dunes. Il a seulement celui, très beau à la vérité, d’avoir su profiter des travaux ou découvertes de ses devanciers, d’avoir su comprendre et lancer, malgré les difficultés du moment, cette gigantesque entreprise de la fixation des dunes. À ce titre, la reconnaissance de la postérité lui est assurément due. Mais il a terni sa réputation en dissimulant qu’il devait beaucoup, sinon tout, à ses aînés et même à un collaborateur, et en usurpant le titre d’inventeur, aidé dans cette « erreur volontaire d’amour-propre » (Grellet-Balguerie) par l’aveuglement de ses contemporains, tandis qu’il aurait dû partager sa gloire avec d’autres plus modestes ou moins favorisés, qui sont restés généralement inconnus. Sic vos non vobis. L’histoire est pleine de semblables exemples !

Certains auteurs font dater de la fin du xviiie siècle la découverte du vrai moyen de fixer les dunes et en attribuent le mérite, les uns à l’abbé Desbiey, les autres au baron de Villers, D’autres placent à une date bien antérieure les premiers travaux de ce genre. (Ch. Bal, La vêrité sur la fixation des dunes,1850 ; Delfortrie, Les dunes littorales du golfe de Gascogne, 1879 ; J. Thoulet, Le bassin d’Arcachon, Revue des deux Mondes, 1893 ; Dulignon-Desgranges, Les dunes de Gascogne, le bassin d’Arcachon et le baron de Villers, 1890).

Dès la plus haute antiquité, des sables ont été couverts de végétation. La preuve en est dans ces forêts installées sur des dunes anciennes et dont nous avons montré des vestiges dans les troncs restés debout sur certaines plages du Médoc et des débris dans les bois des Monts d’Hourtin, de Carcans et de Lacanau. C’est aussi l’opinion de Baurein, de Jouannet, de Bernadau, du baron de Villers (passage cité au chapitre III), d’Élisée Reclus, de M. de Lapparent, etc. Mais ou ne peut savoir si ces premières dunes ont été boisées par les travaux de l’homme ou plutôt par les seules forces de la nature. Il paraîtrait que les Boïens avaient installé sur certaines dunes des forêts que les Vandales détruisirent à peu près totalement en 407. Un vieux titre donne à croire qu’au xve siècle, les captaux de Buch avaient ensemencé des dunes ; mais on n’a rien de positif à cet égard et les procédés usités dans ces temps anciens furent oubliés.

Au xviiie siècle la question se présentait donc entière, et c’est de cette époque seulement que datent les premières vraies tentatives faites dans le sens de la fixation des sables. En 1734, Alain de Ruat, captal de Buch, planta ou ensemença de grandes dunes en pins et en chênes. Les résultats avaient été satisfaisants, mais des incendies dus à la malveillance aveugle des pâtres détruisirent les bois déjà grands (Mémoires de de Villers ; Greliet-Balguerie, La fixation des dunes). — L’essai était donc à reprendre, et c’est dans ce but qu’Amanieu de Ruat, petit-fils du précédent, demanda au roi, à plusieurs reprises et notamment en 1779, la concession des dunes situées dans l’étendue de son captalat, puis leur inféodation. Il fit de nouveaux semis, mais n’obtint qu’un très médiocre résultat.

Il paraît qu’en 1727 un sieur Baleste-Marichon, maître chirurgien royal à la Teste, eut l’idée d’ensemencer les lèdes. L’opération réussit, mais elle n’avait porté que sur les lèdes. D’ailleurs, on semait à la volée, sans recouvrir ni protéger les graines, et ce procédé par trop simple ne pouvait aboutir sur les sables mouvants des dunes.

Baurein a noté dans ses Recherches sur l’ancien état des côtes de la mer de Gascogne (Ms. de la Bibliothèque de Bordeaux, I766), qu’on avait déjà en partie fixé des dunes, et il y a timidement émis l’idée des semis sur les sables. Dans un mémoire adressé en 1768, par Marbotin, conseiller à la Cour du Parlement de Bordeaux, à Duchesne, premier secrétaire de l’Intendance, le même fait de fixation ancienne des dunes est signalé. Mais on ignore quand et comment cette fixation fut obtenue.

On rapporte aussi qu’un paysan du nom de Berran aurait arrêté la dune d’Udos à Mimizan ; mais Berran avait employé uniquement le clayonnage dont l’efficacité est de bien courte durée. D’après Thore, un ancien notaire de Mimizan, nommé Texoëres, aurait fixé une dune par une complantation en gourbet. L’authenticité de ces derniers faits est loin d’être établie.

Il faut observer qu’à l’époque on ne se rendait pas toujours compte de l’utilité de la végétation sur les sables. En 1742, au Verdun, un nommé Isac Reynal, voisin du chapelain, avait coupé les arbres et les plantes poussés devant sa demeure et avait ainsi permis aux sables d’envahir le jardin du chapelain. Celui-ci se plaignit et éleva des palissades pour se protéger. L’Intendant lui donna tort et fit enlever les palissades.

Bien plus, un préjugé courait communément qui faisait regarder les sables comme absolument stériles et impropres à toute végétation. Nous verrons les rédacteurs des rapports et procès-verbaux relatifs aux premiers travaux de fixation des dunes, constater avec étonnement dans ces sables une fertilité qu’on ne leur soupçonnait pas.

Pendant la seconde moitié du xviiie siècle, on commença à s’inquiéter sérieusement des progrès des dunes et à rechercher les moyens de les arrêter. Toutefois leur fixation n’était pas le principal objectif des études et des entreprises d’alors ; elle n’arrivait qu’en seconde ligne d’un plan dont le but primordial était la mise en valeur des Landes par le défrichement et la canalisation.

C’est ce que l’on voit dans les deux intéressantes requêtes présentées au roi en 1773 et 1775 par M. Bocquet-Destournelles, avocat, au nom du comte de Montausier. L’une d’elles porte : « Sur la requête présentée au Roi en son conseil par Anne Marie André de Crussol, comte de Montausier, colonel-lieutenant du régiment d’Orléans infanterie, contenant que les avantages considérables que l’Etat et le public pourroi eut retirer des landes de Bordeaux, si elles étoient cultivées, font désirer depuis longtemps que l’on puisse parvenir à les dessécher et défricher. Ce pays immense produit des bois de toute espèce, des pignadas, des mines dont on retireroit la plus grande utilité par le moyen des débouchés : Bordeaux ne seroit plus obligé d’aller chercher en Hollande le goudron pour les vaisseaux; l’air deviendroit plus salubre ; une partie de ces cantons est aujourd’hui sujette à des fièvres longues et difficiles à déraciner et dont la cause, de l’aveu unanime, est dans les exhalaisons des marais; la terre cultivée augmenteroit la population et donneroit des prairies agréables et fécondes au lieu des marais. Les essais pratiqués par la Cie Neser et Billard font voir tout ce qu’on peut espérer s’ils étoient mieux suivis ; quelques familles établies il y a 4 ou 5 ans dans un des plus mauvais endroits de ces landes cultivent aujourd’hui des champs, des vignes, des jardins, des pépinières, des pignadas qui sont en très bon rapport. Les dunes ou montagnes de sable, qui appartiennent à sa Majesté, ainsi que les bords de la mer, ne produisent rien ; il seroit possible d’en tirer parti en faisant des plantations d’arbres à peu de distance de ces dunes et en semant sur leurs talus des graines abondantes en racines telles que le chiendent et autres graines de cette espèce. On auroit le double avantage d’arrêter par là les désastres causés par les sables que la mer dépose continuellement sur ses bords, et d’empêcher les dunes de se fendre, de s’affaisser et de s’étendre insensiblement dans les terres. Les ravages opérés par ce fléau ne sont malheureusement que trop réels. L’ancien et le nouveau Soulac ne présentent maintenant qu’une mer de sable. De hautes dunes couvrent aujourd’hui l’ancien bourg de Mimizan, (…) Le dessèchement et défrichement de ces landes, ne peut s’opérer que par des canaux navigables et de dessèchement qu’il est facile de construire…

» Requerroit à ces causes le suppliant qu’il plût à sa Majesté l’autoriser et ses ayants causes à construire à ses frais des canaux de navigation, 1° depuis Bayonne jusques au bassin d’Arcachon en côtoyant les dunes à travers les étangs qui se trouvent entre ces mêmes dunes et la terre ferme, 2° depuis le bassin, etc.… »

On lit dans l’autre requête, qu’ « il existe dans les landes de Bordeaux, et notamment depuis Bayonne jusqu’à la pointe de Grave, le long des bords de la mer, des terrains immenses appartenant à sa Majesté, lesquels sont incultes, déserts et ne rapportent absolument rien au Domaine ; que la plupart de ces terrains, en avançant dans les terres, sont couverts d’eau en tout temps ; qu’il en sort des exhalaisons qui rendent l’air très malsain et occasionnent des fièvres et autres maladies difficiles à détruire. Il seroit possible à force de frais et de dépenses de défricher ces landes, dessécher ces marais et de les mettre en culture en bons pâturages (…) Requérant à ces causes, le suppliant, qu’il plût à sa Majesté de lui faire concession de tout le terrain qui régne le long des bords de la mer depuis la pointe de Grave jusques à Bayonne, etc. »

Le projet de Montausier n’aboutit point, parce que la fixation des dunes, qui était la première condition de sa réalisation, fut déclarée matériellement impossible par l’Administration des Ponts et Chaussées consultée à ce sujet. Chose à noter, ce fut le sous-ingénieur Brémontier qui émit le premier cet avis défavorable.

La mise en culture du terrain et l’ouverture de canaux dans les Landes inspirèrent un grand nombre de projets ou d’entreprises qui ne furent pas réalisés ou échouèrent misérablement. M. Dulignon- Desgranges (dans la brochure citée plus haut) en analyse plus de dix- sept. La fixation des sables y était à peine envisagée ou même négligée complètement.

À côté des particuliers agronomes ou financiers, qui s’occupaient de ces questions tant en vogue alors, l’Académie de Bordeaux ou Société des Sciences, Arts et Belles-lettres s’y intéressait également. L’abbé Louis Desbiey faisait partie de cette académie. Il y présenta sous le nom de son frère, Guillaume, receveur des fermes du roi à la Teste, un mémoire sur l’amélioration des Landes qui fut couronné par l’Académie et imprimé en 1776.

Suivant les uns (Bal, Delfortrie, Thoulet) les frères Desbiey, aidés par MM. Caule et d’Entomas-Darmentieu, auraient réussi en 1769 à fixer par des semis de pins une dune qui menaçait leur bien patrimonial près de St-Julien-en-Born. L’abbé aurait lu, le 25 août 1774, à l’Académie, un mémoire intitulé : « Recherches sur l’origine des sables de nos côtes, sur leurs funestes incursions vers l’intérieur des terres et sur les moyens de les fixer ou du moins d’en arrêter les progrès ». Ce mémoire fut visé plus tard dans une note placée à la fin du mémoire primé en 1776. L’original, déposé à l’Académie, aurait été prêté au comte de Montausier qui ne l’aurait jamais rendu. La seule copie qui en existât aurait été, elle aussi, prêtée par Desbiey, sur la prière de l’intendant Dupré de St-Maur, au sous-ingénieur Brémontier qui ne l’aurait pas non plus rendue. Pendant la Révolution, l’abbé émigra. Après son retour, en 1810 seulement et Brémontier déjà mort, il revendiqua la priorité de sa découverte, expliqua que son mémoire avait été perdu, que ses semis avaient disparu broutés par des bestiaux, enfin protesta, mais en vain, contre Brémontier qui s’attribuait toute la gloire du boisement des dunes.

Suivant les autres (dont M. Dulignon-Desgranges), qui tirent argu- ment de la correspondance même de l’abbé Desbicy, les deux frères ne se seraient occupés dans leur propriété de S’-Julien que d’accli- mater divers arbres fruitiers ou forestiers sur le sol de la lande; leur mémoire de 1776 n’aurait eu pour objet que la mise en valeur des landes, sans traiter des dunes ; l’histoire des manuscrits perdus serait apocryphe et de l’invention de Desbiey, comme aussi la disparition de ses semis de pins de St-Julien.

En tout cas, personne n’a pu dire quels avaient été exactement les procédés de fixation des Desbiey : semis de pins, soit entre clayonnages, soit sous couverture de branchages — ou bien plants de vigne marcottés tous les deux ans et placés entre des palissades parallèles.

De Villers. — En 1778, un sieur de Lorthe ayant formé un nouveau projet comprenant l’exploitation et la canalisation des landes et de plus la construction d’un port au bassin d’Arcachon, Louis XVI envoya le baron Charlevoix de Villers, ingénieur de la Marine et des Colonies, étudier ledit projet. Déjà sous Louis XIV, Vauban avait conseillé de faire du bassin un port de refuge pour les vaisseaux de guerre. La mission du baron de Villers dura quatre années, pendant lesquelles il fut constamment en butte aux vexations et à l’hostilité de l’intendant Dupré de St-Maur, des ingénieurs des Ponts et Chaussées et des géomètres même employés par lui, tous coalisés dans leur jalousie à son égard.

De Villers résuma ses études dans cinq mémoires.

Le premier, de 1778, est un abrégé de l’historique des landes et l’exposé des travaux préliminaires. Il a pour titre : Prospectus du résultat des différentes observations faites relativement au port d’Arcachon.

Le second, rédigé la même année, est le Résumé d’observations sur la commission de S. M. décernée à M. le baron de Villers pour l’examen du projet de former un port au bassin de la Teste-de-Buch, etc. Il est plus étendu, plus complet que le premier.

Le troisième, écrit en 1779, est intitulé : Prospectus du projet général d’un port au bassin d’Arcachon, d’un canal de ce bassin à Bordeaux, d’un autre de la rivière de Ladour vers Baïonne et de l’établissement de toutes les Landes.

Le quatrième, écrit aussi en 1779, est tout spécial. Il a pour objet : Le port d’Arcachon et particulièrement son entrée.

Le cinquième et dernier date de 1781. Il renferme le Résumé du devis des travaux du port d’Arcachon, etc.

Les mémoires de de Villers sont soigneusement étudiés jusque dans les détails et témoignent d’une connaissance approfondie des lieux.

Le troisième est le plus intéressant pour nous, bien que les autres aient plusieurs parties communes avec lui. Le savant et modeste ingénieur y expose sa méthode de fixation des dunes. Cette fixation était le premier travail qui s’imposait et elle était réalisable : « Pour venir à bout de creuser des canaux, dit de Villers, (…) il faut avant tout retenir les sables des dunes qui seules peuvent entraver la marche des travaux ; pour cela faire, il faut les fixer par l’ensemencement du pin, et, pour que cet ensemencement soit possible, il suffit de retenir la graine d’une façon quelconque. » Et ailleurs ; « Mais il est un besoin plus urgent et d’un avantage infini, c’est de fixer les dunes… » (2e Mémoire).

Voici comment de Villers propose d’y arriver :

« La première [difficulté majeure à la formation d’un port] est la source du mal qu’il faut arrêter dans son principe, le seul moyen (et il est sûr) c’est de fixer les dunes de sable par une complantation générale qui garantisse également de la submersion totale le Bassin, les Passes, les Islets, tous les villages et terres cultivées le long de ces dunes depuis la pointe de Grave jusqu’à Baïonne. (…) Depuis vingt ans l’invasion des sables augmente prodigieusement. (…) Depuis la pointe de Grave jusqu’à Baïonne, il existe sur les dunes plusieurs forêts que les sables couvrent tous les jours, ce qui prouve la nécessité urgente de les arrêter en même temps que la possibilité en est démontrée, puisqu’il en subsiste près de 40 mille journaux encore parfaitement boisés, ces dunes de sables couvertes de bois sont devenues fermes et liées par les racines de différentes espèces d’arbres ou arbustes qui y ont été semés et qui les ont parfaitement consolidées.

» Cet exemple doit donc prouver suffisamment la possibilité et la facilité de l’ensemencement proposé.

» Pour l’exécuter il n’est question que de commencer l’ouvrage du côté de la mer, à l’endroit même où les hautes marées ne montent pas, c’est là la source fatale de ces sables, et continuer successivement en venant du côté des terrains habités. On peut avec succès pour arrêter les sables dans les portions complantées, les espacer par de légers cléonages ou fascinages qui empêcheroient ces sables de passer ces cléonages et de s’accumuler ou de trop couvrir les ensemencements, y jeter de la graine de pins à distance égale, du gland de loin en loin et beaucoup de graines de différents arbustes et herbes rampantes dont l’élévation et le fourré serviroient à opposer un rempart à la course du sable qui, sur ces bords, est on ne peut plus fin et par conséquent léger ; les graines d’agions appelés dans le païs vulgairement jogues, celles du genêt, celle du gourbet, espèce de jong qui se plaît infiniment dans le sable et surtout celles du gruau paroissent les plus propres à remplir cet objet. Cette dernière a un avantage sur toutes les autres, c’est que fleurissant deux fois l’année, et donnant conséquemment sa graine autant de fois, elle se reproduit d’elle-même et ne s’élevant pas au-dessus d’un pied, s’étend et forme un abri assez étendu pour que le vent ne puisse pas prendre le sable sur son sol ; rien de plus aisé que de s’en procurer puisque c’est avec le secours de cette graine qu’on est parvenu à Dunkerque à donner des bornes aux sables de cette côte

» Il faut… [aux habitants] leur interdire le pacage dans les dunes et terres ensemencées tout le temps nécessaire pour en assurer le succès qui sera fixé au moins à 15 ans… leur deffendre surtout et à tous résiniers de lâcher des cochons dans les forêts (les sangliers qui peuplent beaucoup faisant déjà assez de dégâts) ainsi que des chèvres, ce qui est trop contraire à la reproduction des jeunes pins et des chênes. » (3e mémoire, 2e division, article 1er).

De Villers conclut en proposant de faire quelques essais pendant deux ans, au cas où l’Administration douterait de l’excellence des moyens indiqués et « d’ordonner préalablement à tout, et sans aucun jdélai, cet ensemencement général des dunes. » Il ajoute que l’État pourra retirer plus tard 4 à 5 millions de revenu des forêts ainsi constituées.

Le baron de Villers termina ses travaux et quitta la Guienne à la fin de 1781.

Brémontier. — En 1784, Nicolas Thomas Brémontier fut nommé ingénieur pour cette Généralité. Il remplissait alors les fonctions de sous-ingénieur en Normandie, son pays natal. Avant d’entrer dans les Ponts et Chaussées, il avait été longtemps clerc de Procureur. Nous l’avons déjà vu en Guienne comme sous-ingénieur. C’était à l’époque où il donnait un avis contraire au projet Montausier, qu’il estimait impraticable en raison de l’impossibilité où l’on était de fixer les sables (1773).

En 1784, ses opinions changèrent, influencées par les travaux des Ruat, des Desbiey, et surtout par les études de de Villers ; Il comprit alors la possibilité et les moyens de réaliser cette grande idée du boisement de toutes les dunes et résolut d’y arriver, non sans vouloir d’ailleurs en faire son œuvre à lui seul. Il obtint du gouvernement, et la tâche n’était pas alors des plus faciles, quelques crédits pour faire des essais et commença ceux-ci en 1787 à la Teste. Un propriétaire de cette localité, Pierre Peychan, avait déjà étudié la question des semis sur les sables et obtenu de bons résultats en couvrant les graines de branchages pour neutraliser l’action du vent. On ignore si ce procédé, procédé classique de la fixation des dunes encore employé de nos jours, était de l’invention de Peychan lui-même, ou lui avait été inspiré par les mémoires de de Villers qui le cite, ou par les travaux du général Claussen en Zélande, on autrement. Bref, Brémontier voulut s’assurer le concours de cet homme expérimenté. Peychan consentit à s’adjoindre à l’ingénieur en qualité d’inspecteur des travaux des dunes sous ses ordres.

Ils commencèrent des semis de pin et de genêt à la dune du Pilat en 1787 et les continuèrent en 1788 dans la plaine du Moulleau. Mais, contre l’avis formel de Peychan, Brémontier ne voulut pas user des couvertures de branchages ! Le vent balaya les graines ; l’insuccès fut complet et les travaux arrêtés. De 1791 à 1793, Peychan seul, autorisé par l’administration départementale de la Gironde, fit une nouvelle tentative. Il ensemença, mais sous couverture, l’emplacement de la ville d’hiver actuelle d’Arcachon et obtint une réussite parfaite. On ne devait pas cependant reprendre les travaux avant l’an x (1802), date à laquelle commença seulement, pour ne plus s’arrêter qu’après achèvement, et, hâtons-nous de le dire, sous l’impulsion de Brémontier, la colossale entreprise de fixation des 113 900 hectares des dunes de Gascogne,

C’est pendant cette période d’inaction que furent publiés plusieurs mémoires ou brochures, qui, se basant sur les essais faits de 1787 à 1793 montraient la possibilité du boisement des dunes, la nécessité de ce travail et les avantages qui en résulteraient pour la région et pour l’État lui-même.

La principale de ces publications est à tous égards la première en date de celles produites par Brémontier : le célèbre Mémoire sur les dunes et particulièrement sur celles qui se trouvent entre Bayonne et la Pointe de Grave, à l’embouchure de la Garonne. Paris, thermidor an v (juillet 1797).

Dans les trois premiers chapitres, l’auteur expose la nature des dunes et leur formation. Au chapitre iv, il donne les Moyens qui peuvent être employés pour la fixation des dunes. Ces moyens consistent à établir parallèlement à la côte et à 20 ou 25 toises (40 ou 50m) de la laisse de haute mer, soit un ou deux cordons de fascines de 4 ou 5 pieds de haut, soit un fossé de 12 pieds de largeur sur 6 de profondeur, — ensemencer en pin, genêt et ajonc la zone de 100 toises de largeur qui s’étend quasi horizontale entre la mer et les premières dunes, — continuer les semis à l’est une fois que ces premiers ont 5 ou 6 ans en procédant par zones successives et contiguës larges de 25 à 30 toises ; — pour protéger les graines une couverture de branchages serait excellente, mais trop coûteuse, la remplacer par des cordons de fascines parallèles plus ou moins proches ou disposés en damier.

C’est, on le voit, exactement le système préconisé par de Villers (à part le fossé qui semble d’une efficacité douteuse et n’a du reste jamais été employé). Et cependant Brémontier dît au début du chapitre, que la fixation des dunes a toujours paru sinon impossible, du moins très difficile, que le Danemark et l’académie de Leyde l’ont vainement tentée, et il ne souffle mot des Ruat, de Desbiey, ni de de Villers ! S’il se décide à mettre la note suivante au bas d’une page du même chapitre, c’est en prenant bien soin d’affirmer la priorité pour lui et même de frauder la vérité quant aux premiers essais de 1787 et 1788 : « J’ai trouvé, dit-il, depuis la rédaction de ce mémoire, dans le nouveau voyage de Coxe en Danemark, Suède, etc., publié en 1791, que le général Claussen avait employé avec succès le moyen des couvertures en branchages (dont nous nous sommes également servis en 1787 et 1788) pour fixer les sables des environs de Frédéric Swerk sur le rivage septentrional de Zélande… »

Le devis des ouvrages à faire pour la fixation générale des dunes forme l’objet du chapitre V. Il se divise en deux sections. Dans la première section, Brémontier envisage le cas où l’on se bornerait à fixer une zone littorale de 100 toises (200m) de largeur tout le long des côtes (100 000t) soit une surface de 10 millions de toises carrées ou 11 900 journaux bordelais (4 000ha), laissant à la nature le soin d’achever elle-même la fixation des dunes sises à l’est, ce qui demanderait bien deux siècles et plus, selon l’auteur, La dépense totale serait ainsi de 300 000 livres en semant 25 livres de graines par journal (38kg par hectare) et en ne faisant qu’un cordon de fascines (100 000 toises), mais y compris : rétablissement de cabanes-abris en planches à 4 ou 5 milles les unes des autres, le traitement de 20 gardes pour les 6 premières années à 300 livres chacun par an, la fourniture de 11 900 livres de graines pour regarnis, et une somme de 10 547liv pour frais imprévus.

Dans la seconde section, Brémontier suppose que l’on veuille fixer toute la superficie des dunes, ce qui demanderait 30 ou 35 ans. En évaluant le prix de fixation du journal à des chiffres qui varient de 8l à 53l, selon que le terrain est plus ou moins déclive, plus ou moins exposé aux vents, et en comptant que l’on protégera les graines au moyen de clayonnages parallèles, sans couverture, il arrive à une somme totale de 8 millions de livres, y compris 875 296l pour frais imprévus.

Le chapitre VI est consacré à l’énumération des avantages qui doivent résulter de la fixation des dunes. Ce sont notamment : un revenu considérable pour l’État, 5 055 000 livres (la production résineuse seule serait au bas mot de 3 quintaux (150 kg.) de résine à 5 livres le quintal par journal), soit un taux d’intérêt de 12,5 % ; le pays produisant lui-même les résines, térébenthines, etc. dont il a besoin ; un nouvel aspect des côtes favorable à la navigation ; la possibilité d’ouvrir des canaux de navigation et d’assainissement dans les Landes ; un obstacle opposé au progrès de la mer, etc. Dans une note, à la fin du mémoire, Brémontier fait l’éloge de Peychan qui a dirigé sous ses ordres à lui, a-t-il bien soin d’ajouler, les essais de serais à la Tesle. Nous savons, pour ces essais, la part de succès qui revient à chacun d’eux.

Par la suite, le fameux ingi^-nieur modifia ses procédés de fixation Cl SCS estimations. Il avait dû reconnaître l’efficacité supérieure des couvertures de ramilles, le s)-stèrae de Peychan, II l’a même implici- tement déclaré dans des procès- ver baux officiels de tournée {1795 et 179S), où il constate la bonne venue des semis de la Tesle. Dans ces documents, bien qu’il ne précise pas l’âge de ces jeunes bois, la sur- face qu’il leur attribue (36 hectares, alors que de lySyà [791 on par- courut eu tout une centaine) montre qu’il ne peut avoir en vue que les semis &its par Peychan avec convcnure en 1791. Aussi adopta-t- il résolument ce procédé.

Ainsi, dans son quatrième mémoire du 20 pluviôse an Xii (10 février 1S03) relatif aux dunes des côtes rie la Manche et de la mer du Nord, il prescrit le mode d’ext-cution suivant pour Ic-s semis : établir un cordon haut de 8 à 10 mètres, au bord de la mer, au niveau des plus hautes marées, ou au pied des monticules à fixer, lorsqu’un apport de sable est à craindre; à l’abri de ce cordon, semer à la pelle sans préparation sur les parties planes, à raison de 5 â 6 Kg. de graines de pin et 4 à 6 décagrammes de graines de genèl par arpent {^7* , 50") ; sur les pentes ou les parties balayées par le vent, semer sous couverture de branchages, ceux-ci étant maintenus par des gaules placées paral- lèlement à I" les unes des autres et retenues elles-mêmes par des pi- quets à crochet. II évalue à 39’""- le prix de la plantation d’un arpent en louffes de gourbet espacées de o’"30, y compris la confection de 20" de clayonnage, ^à 98’’’ gole prix de l’ensemencement sous couverture d’un arpent, y compris encore 20" de clayonnage : ce prix de 98’’- 50 devant baisser à jp^’- , lorsque, au bout de quelques années les samis antérieurs fourniront les broussailles nécessaires. Dansée même mémoire, Bré- montier donne le tableau suivant, récapitulant les eadmaiions relatives à toutes les dunes de France :


Entre l’embouchure île VV.S- caut el celle de la Seine. .

En Ire l’embouchure de la Seine cl celle de la Gi- ronde, compris les isics. .

Eolre l’embouchure de la Gi- roode e[ lesOoatlèresd’Es-


Surface eu lieues de


Surface en hectares


Mourant de la dépense


Produits présumés


75


35 ’555 20400 113887


1030000 900000

SOOOOOO


550 o«> 450000 4000000


Tolaux


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■59342


fi 930000


5000000 Dans une lettre qu’il adresse, le 25 frimaire an xi (16 déc. 1802), à la Société d’Agriculture de la Seine, Brémontier écrit : « D’après un calcul que nous ne croyons pas exagéré, le Gouvernement, qui fournira une somme de 2 350 000fr, retirera en 57 ans, un revenu net de 575 000 francs qui s’accroîtra successivement ; en 60 il sera remboursé de sa première dépense, et en 81 à peu près il jouira plus que complètement des produits de cette entreprise que nous pouvons porter, sans trop d’erreur, à 4 ou 5 millions de revenu. »

Les essais concluants de 1791 avaient démontré la possibilité de la fixation des sables. Brémontier avait su, par ses démarches et ses écrits, convaincre tout le monde et intéresser le public même à l’entreprise qu’il préconisait. Cette persévérance est le beau côté du caractère de Brémontier et constitue le meilleur de sa gloire qu’on ne doit point lui marchander. Il a fait preuve en cela d’un esprit hardi et ouvert aux grandes conceptions. Un tel esprit était nécessaire pour entreprendre et exécuter le boisement de toutes les dunes, malgré leur immense étendue, malgré les difficultés et les préoccupations politiques et sociales du moment.

À la suite du célèbre ingénieur et sous ses auspices, bien des gens travaillaient la question de la fixation des sables. Ainsi fut rédigé, par exemple, le mémoire suivant, revêtu d’une lettre approbative de Brémontier : Projet d’amélioration pour une partie du Ve arrondissement de Bordeaux, présenté au conseil du dit arrondissement le 26 messidor de l’an VIII, par le citoyen Fleury fils aîné, de la Teste, l’un de ses membres (17 juillet 1800). On y lit notamment que le procédé des semis avec couverture est « le plus simple, le plus infaillible et le plus économique » ; que la dépense totale de fixation des dunes ne dépassera pas 4 à 5 millions et que le journal de bois produira 8fr de revenu en résine.

Enfin le triomphe de Brémontier fut de convaincre le gouvernement et d’obtenir les crédits nécessaires pour cette grande œuvre.

Mais, avant de poursuivre cet historique, il convient de préciser le rôle du célèbre ingénieur et de montrer le mal-fondé de sa réputation d’inventeur, sans toutefois porter atteinte à ses mérites. Nous avons dit quels furent les travaux des Ruat, quels furent peut-être ceux des Desbiey, et quelles ont été les études du baron de Villers. Or, il est inadmissible que Brémontier n’ait pas eu connaissance des premiers, dont tout le monde entendit parler en Guienne, où lui-même avait été assez longtemps sous-ingénieur, avant d’y revenir avec le grade supérieur. On peut encore moins douter que les mémoires du baron de Villers ne lui fussent parfaitement connus. N’en est-ce pas d’ailleurs une preuve suffisante que de retrouver dans ses écrits le cadre, les idées et les chiffres de ceux de de Villers, reproduits parfois servilement ! (Delfortrie, Les dunes littorales du golfe de Gascogne ; Dulignon-Desgranges, Les dunes de Gascogne). Et cependant Brémontier garde un silence absolu et bien étrange en vérité sur ceux qui lui ont ouvert la voie et dont il est le débiteur. Bien plus, pour s’attribuer la priorité, il date ainsi son mémoire sur les Dunes imprimé en 1797 : Fait le 25 avril 1790 et remis à l’administration du département de la Gironde le 25 décembre 1790. Dans un autre travail, intitulé Observations et lu à la séance de l’Académie de Bordeaux du 27 germinal an vi (16 avril 179S), il prétend avoir composé son mémoire dès 1776 et mûri son procédé depuis 25 ans ! Mais ces retards de publication sont complètement inexplicables, Brémontier ayant eu tout intérêt à prendre date aussitôt que possible.

Pour plus de sûreté encore, Brémontier se fit, en rusé normand qu’il était, décerner par la municipalité de la Teste, en janvier 1803, un certificat élogieux niant que « qui que ce soit avant le citoyen Brémontier aît fait travailler efficacement à la fixation et à la fertilisation des dunes ». Puis il écrivit aussitôt aux signataires pour les remercier de leur déclaration spontanée. Malheureusement pour le succès de la supercherie, le certificat et la lettre de remerciement sont de la même écriture ! Selon le joli mot de M. Dulignon-Desgranges, les Testerins n’avaient que « contresigné l’autographe de ce bienfaiteur de l’humanité. »

Toutes ces manœuvres réussirent et l’opinion publique regarda Brémontier comme le véritable et le seul inventeur du procédé de fixation des dunes, alors qu’il avait seulement mis à exécution les idées et les projets des autres. En vain quelques-uns de ses contemporains voulurent remettre les choses au point. M. Tassin, secrétaire général de la Préfecture des Landes, rappela les insuccès de 1787 et de 1788, et les mérites des devanciers et collaborateurs de Brémontier. Mais ce dernier protesta, se donna l’auréole de la persécution. On le crut. La commission des dunes, l’Académie de Bordeaux étaient à sa dévotion ; elles le couvrirent de lauriers et s’indignèrent contre ses détracteurs (séance de la commission des dunes du 12 nivôse an xiv — 2 janvier 1806).

Quant à Peychan, auteur du procédé des couvertures de branchages, ses fonctions d’inspecteur sous les ordres du fameux ingénieur l’empêchèrent de parler. Il mourut sans avoir osé revendiquer ses droits, laissant son chef, qui d’abord avait décrié son procédé, s’en attribuer le mérite.

Après la mort de Brémontier, la tradition continua jusqu’à nos jours la réputation usurpée de ce bienfaiteur de l’humanité, qui a eu le tort de ne pas savoir se contenter de sa part légitime de mérite et de gloire déjà très belle. Le corps des Ponts et Chaussées prit d’ailleurs le soin d’entretenir l’illusion de la renommée. Rares ont été jusqu’ici ceux qui ont su la vérité et tenté de la faire connaître.

Achevons cet exposé par ces paroles bien justes et instructives que nous (extrayons d’un mémoire adressé le 6 août 1812 à la Commission des Dunes, par M. Guyet-Laprade, Conservateur des Forêts à Bordeaux, du temps même de Brémontier, et membre de celle Commission : « À la vérité, dit-il, nous ne donnions pas à feu M. Brémontier ni au corps des Ponts et Chaussées le mérite de l’invention relative à l’opération de l’ensemencement et de la fixation des dunes de sable sur le golfe de Gascogne, par la raison que nous avions sous les yeux la preuve qu’elle ne lui appartenait pas, mais nous ne lui enlevions pas la gloire et le mérite d’en avoir provoqué l’application. » Il ajoute qu’il a depuis 9 ou 10 ans connaissance du Mémoire du baron de Villers, qui « n’est qu’une révision d’un mémoire présenté au gouvernement sous Louis XIV, vérifié par M. de Vauban. Il est vrai, remarque-t-il aussi, que toutes les améliorations qui ont eu lieu et que les changements qu’a essuyés le système depuis la reprise des travaux, sont plutôt dus aux observations éclairées par l’expérience de l’inspecteur qu’à tout autre membre de la Commission et plus qu’à MM. les Ingénieurs en chef qui ont succédé à M. Brémontier qui, y compris M. l’Ingénieur en chef actuel, n’y ont paru que trois fois. »


Fixation des dunes


Organisation législative. — Brémontier parvint donc à persuader le gouvernement de la possibilité et de la nécessité de fixer les dunes. Les essais de 1791 à 1793 étaient en effet convaincants. L’Institut national, appelé à juger les moyens proposés, donna son entière adhésion au projet (classe des sciences et arts, 16 floréal an viii, 6 mai 1800). Aussi le gouvernement se décida-t-il à intervenir. Dans un rapport aux consuls du 9 frimaire an ix (30 nov. 1800), Chaptal, ministre de l’Intérieur, exposait en ces termes la situation et proposait les mesures nécessaires :

« Les dunes, en roulant sur elles-mêmes, avancent dans les terres et envahissent tout ce qu’elles rencontrent à leur passage, les forêts, les maisons et les campagnes cultivées. Elles menacent les campagnes en refoulant les eaux des ruisseaux qu’elles obstruent, et forment prés de quarante lieues de lacs et de marais pestilentiels, qui jettent la dévastation et la mort parmi les habitants.

» Le projet de l’ingénieur en chef (Brémontier) est basé sur ce que les dunes sont susceptibles de devenir fertiles et d’être arrêtées dans leur marche par des plantations de pins maritimes et de genêts, protégés par quelques précautions indiquées par l’auteur.

» L’expérience a justifié l’utilité de ce procédé.

» Des semis furent faits en 1788, 1792 et 1793, sur 4 890 mètres de longueur ; ils occupent environ 1 200 journaux de terrain (372 hectares).

» Les semis ont parfaitement réussi…

» Les essais qui ont été faits, l’examen d’une Commission spéciale nommée par le ministre de l’intérieur et l’opinion de l’Institut national ne permettent aucun doute sur l’efficacité des moyens présentés pour arrêter la mobilité des dunes, ainsi que pour les rendre productives par la vente des bois qui y auraient été plantés.

» Ce projet mérite toute l’attention du gouvernement…

» Son exécution rendrait à la culture des bois cent lieues de terrain carrées susceptibles un jour de rapporter annuellement 5 000 000 de francs…

» Pour ne point rendre illusoire ce projet, il convient d’affecter annuellement à son exécution 20 000 francs pour subvenir aux dépenses des plantations des dunes entre la Gironde et l’Adour, à l’entretien des premiers semis, et à celles de leur administration.

» Cette dépense, faisant partie de l’administration des Forêts et devant procurer des produits forestiers, doit être acquittée par la régie des forêts nationales sur les produits des départements de la Gironde et des Landes.

» Les premières plantations faites peuvent encourager des spéculations particulières ; dans ce cas, on pourrait concéder ces dunes à charge de les planter.

» Les semis faits en 1788, entre la grande et la petite forêt d’Arcachon, y sont d’une beauté rare.

» Ces sables sont devenus si fertiles que ces plantations ont besoin d’être éclaircies et essartées ; les branchages qui en proviendront deviennent indispensables à la propagation des semis ; ce travail ne peut être différé et rend encore indispensable ce fonds annuel de 20 000 francs.

» Enfin les plantations des dunes, indiquées depuis longtemps comme une mesure aussi bonne en administration qu’en finance, est un objet digne des soins du gouvernement, qui, par cet acte éclatant, signalera son désir d’assurer l’existence de propriétés menacées de l’envahissement des sables, et de favoriser la multiplication des bois… »

Conformément aux conclusions de ce rapport, les consuls rendirent le 13 messidor an ix (3 juillet 1801) un arrêté, inséré au Bulletin des Lois et dont les dispositions essentielles étaient celles-ci :

On fixera et plantera en bois les dunes de Gascogne d’après les plans du citoyen Brémontier. — Les travaux auxquels est affecté un crédit annuel de 50 000 francs, seront surveillés et dirigés sous l’autorité et sauf l’approbation du préfet de la Gironde, par une commission composée de l’ingénieur en chef, d’un administrateur forestier, et de dois membres de l’Académie de Bordeaux nommés par le préfet. Celui-ci nommera un inspecteur et un garde forestier, dont les traitements seront respectivement de 1 200 francs et 600 francs.

Cet arrêté fut bientôt suivi d’un autre, en date du 3e jour complémentaire an ix (20 septembre 1801), appelant l’administration des Forêts à concourir aux travaux des dunes et qui prescrivait notamment que les dépenses pour les clayonnages et ouvrages d’art seraient faites sur les fonds de l’intérieur, et celles pour les plantations et traitements des agents forestiers sur les fonds affectés aux forêts ; que le préfet présiderait la Commission des dunes et, à son défaut, qu’elle serait présidée par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, lorsque la délibération aurait pour objet des ouvrages d’art, ou par le conservateur des Forêts lorsqu’il s’agirait de semis et plantations ; etc.

Telles étaient les grandes lignes de l’organisation qui régit au début cette immense entreprise de la fixation des dunes dont Brémontier resta en fait, jusqu’à sa mort (1808), le glorieux directeur. Malgré la modicité des ressources affectées à ces travaux, ceux-ci n’en furent pas moins poursuivis avec activité et succès. Les événements politiques de 1815 les interrompirent seuls : mais l’ordonnance du 5 février 1817 en prescrivit la reprise sous la direction et sur le budget des Ponts et Chaussées. Elle décida aussi qu’à mesure que les semis atteindraient un âge à fixer ultérieurement, le service des Ponts et Chaussées les remettrait à l’administration des Forêts qui en prendrait dès lors la régie. Nous verrons enfin qu’en 1862 tous les travaux des dunes cessèrent d’être confiés aux Ponts et Chaussées pour l’être exclusivement aux Forêts.

À quel titre l’État a-t-il occupé les dunes pour les fixer ? La question présente d’autant plus d’intérêt qu’aujourd’hui les communes du littoral sont disposées à engager contre le Domaine des instances en revendication.

Il faut remarquer qu’avant la Révolution la propriété des côtes de la mer et les droits inhérents à cette propriété (naufrage, épave, pêche, etc.) étaient d’abord disputés entre le roi d’une part, et les seigneurs locaux d’autre part (prieur de Soulac, sire de Lesparre, baron de Lacanau, captal de Buch, etc.). À la vérité, le pouvoir royal paraissait se contenter d’une sorte de suzeraineté. Mais comme les seigneurs et leurs vassaux ou fermiers en vinrent dans la suite à délaisser complètement ces sables incultes et stériles, le souverain en fut alors universellement regardé comme le véritable seigneur et propriétaire. C’est ce qui ressort des Mémoires des de Montausier, de Villers, Brémontier, Fleury et d’autres encore, qui tous présentent la fixation des dunes comme un devoir s’imposant à l’État et comme une spéculation dont il retirera les plus grands avantages. Durant les premières années des ensemencements, cette idée est également adoptée par les habitants des communes voisines qui appellent les dunes fixées ; « biens de la République », « semis de la Nation », « semis de l’État », « propriétés du gouvernement », « propriétés impériales ».

Aussi, lorsqu’en 1801 l’État commença les travaux, il occupa les terrains à titre de propriétaire, animo domini, et sans aucune espèce de formalité. Pour agir ainsi, il pouvait se fonder non seulement sur ce que les dunes lui appartenaient, au moins pour la partie touchant le rivage comme lais et relais de mer ; mais encore sur ce qu’elles étaient des propriétés particulières abandonnées par leurs maîtres et lui revenant dès lors comme biens en déshérence, et aussi sur ce qu’elles étaient pour beaucoup propriétés seigneuriales ou ecclésiastiques confisquées au profit de la Nation, en vertu de la loi des 10-11 juin 1793.

C’est en 1809 seulement, dans sa séance du 36 mai, que la Commission des Dunes agita pour la première fois cette question de la propriété des dunes, et du caractère de leur possession par l’État. La Commission s’en occupa de nouveau dans sa séance du 9 avril 1810 : « Il paraît, dit le procès-verbal de cette séance, que les dunes en général n’appartiennent au gouvernement que comme lais et relais de la mer, ou par l’abandon que sont censés en avoir fait les propriétaires qui ont cessé d’en payer les contributions, toute espèce de production ayant disparu par suite de l’envahissement des sables.

» Il est nécessaire cependant que la législation prononce quelque chose à cet égard

» Elles ont été abandonnées par les propriétaires, on les a fait ensemencer aux frais du gouvernement, et elles font partie de la grande propriété nationale.

» Il est certain que les dunes, dans leurs progrès, ont envahi une superficie immense de propriétés particulières. Des preuves s’en font remarquer avec évidence, et la tradition en a conservé la mémoire à la Teste, à Mimizan, au Vieux-Soulac, et quelque trace qu’il en subsiste, les propriétaires, dont plusieurs ont dû conserver leurs titres, seraient-ils fondés à les revendiquer, lorsqu’elles sont ensemencées ? Plusieurs, dit-on, paraissent disposés à le faire. »

» C’est à ces difficultés que la législation doit pourvoir ; elle saura allier au droit sacré de la propriété, des principes qui protègent la conservation des travaux et en assurent les revenus. »

Le 11 du même mois, la Commission présenta au Ministre un projet de loi relatif à cette question.

Bientôt après parut le décret du 14 décembre 1810, inspiré sans doute par le projet de la Commission et par de précédentes instructions de l’administration des Ponts et Chaussées. Mais ce décret, qui n’a été d’ailleurs inséré qu’en 1847 au Bulletin des lois, fut d’abord considéré comme simple règlement administratif et demeura longtemps sans exécution dans les dunes de Gascogne. On soutient même, à tort ce nous semble, qu’il leur serait aujourd’hui encore inapplicable. Ce n’est qu’à partir de 1833 que l’on commença à remplir, pour l’occupation des terrains à fixer, certaines des formalités qu’il indique. Celle occupation des terrains par les agents de l’État fut dès lors autorisée par des décrets, qui réservaient les droits en revendication des tiers et visaient l’article 5 du décret de 1810. En général, du reste, on fixait d’abord les dunes, laissant les lèdes à la libre disposition des communes et de leurs troupeaux. Plus tard seulement, les communes ayant refusé de rembourser ses dépenses à l’État ou n’ayant pu le faire, l’État acheva le boisement des lèdes et garda le tout. Tel est le cas des dunes d’Hourtin et de Carcans.

Bref, « lorsque l’État a ensemencé les dunes, en vertu de l’arrêté des consuls du 13 messidor an ix, il a fait acte de propriétaire. Les droits des propriétaires des terrains abandonnés par suite de l’envahissement des sables n’en étaient pas moins réservés implicitement, mais à la condition qu’il en fût justifié dans le délai de trente ans à compter du jour où l’État, possesseur de bonne foi, avait mis en culture les terres trouvées sans maître.

» Cette réserve existait d’ailleurs… en vertu d’un principe de droit qu’il n’appartenait pas à l’État de faire fléchir. » (Mémoire de l’administration des Domaines relatif à la revendication de la forêt domaniale de Soulac par les communes de Soulac et du Verdon).

Suite des travaux en Médoc. — Revenons maintenant au Médoc que nous avons laissé, à la fin du xviiie siècle, en proie aux sables dévastateurs, et suivons-y les travaux de fixation.

Le territoire de Soulac était un des points du littoral gascon les plus menacés après la Teste ; aussi, dés 1801, très peu après la promulgation du premier arrêté des consuls, la Commission des Dunes, le Préfet de la Gironde et Brémontier s’y rendirent pour inaugurer les travaux. Cette visite est relatée dans un procès-verbal du 3 vendémiaire an x (22 sept. 1801).

« Notre premier soin, y est-il dit, a été de parcourir la c6te et d’y faire choix du lieu le plus convenable pour l’établissement de nos premiers ouvrages. Nous y avons vu, avec peine, que le fort était menacé par la mer ; qu’une assez grande partie de la pointe de Grave allait être incessament envahie sans espoir de pouvoir l’empêcher ; que la côte n’était qu’un désert affreux et dénué de toute espèce de production, et que les progrès rapides des dunes dans les terres étaient effrayants. L’Église de Soulac en est une preuve incontestable. Le clocher, qui, il n’y a pas 30 ans, était enseveli sous une épaisseur de plus de 20 mètres de sables, en est aujourd’hui entièrement débarrassé et sert de balise. La montagne a passé.

» Unanimement convaincus que le point le plus avantageux pour l’établissement de notre premier atelier se trouvait au midi du fort, nous y avons fait transporter les lattes, piquets et branchages, que nous avions provisoirement fait couper et approvisionner sur la côte ; et, à quatre heures précises de l’après-midi, le Conseiller d’État, Préfet de la Gironde, le Commissaire principal de la Marine, les membres de la commission et le citoyen Brémontier, nommé président de ladite Commission par les consuls de la République, et auteur du projet, les citoyen Peyjehan, inspecteur, et Barrennes tracèrent chacun leur sillon, semèrent les premières graines, établirent les premières couvertures et commencèrent enfin cette grande et utile opération d’où doit dépendre la conservation de tant de possessions précieuses, le salut d’un très grand nombre de navigateurs, la fertilisation de plus de douze cent mille quarrés de terrein, qui sans exagération ni dans les dépenses ni dans les produits, doivent apporter un revenu à peu près égal à cette dépense qui ne peut former un objet de plus de 4 ou 5 millions. Après avoir donné les ordres nécessaires pour la continuation de ce premier atelier, nous nous sommes rembarques avec cette douce satisfaction et une conviction intime, que deux décades, au plus, suffiront pour faire germer et naître la plus grande partie de nos graines, et successivement de même toutes celles qui seront semées dans ces sables dévastateurs et soi-disant arides et que les meilleurs et les plus savants agriculteurs avaient si mal à propos condamnés à une éternelle stérilité.

» Le Conseiller d’État Préfet Dubois. »

Le fort dont il est ici question s’appelait fort Grave et se trouvait sur le bord de la mer un peu au nord du lieu dit aujourd’hui la Claire. C’est donc au sud de ce lieu-dit, entre les marais des Logis et la dune Girofle, que furent semées, par les mains mêmes de Brémontier, du Préfet Dubois et des membres de la Commission, les premières graines dont sont issus les quelques pins quasi séculaires qui s’élèvent aujourd’hui en cet endroit.

Mais ce n’était là qu’un premier début. Les travaux furent bientôt organisés et répartis sur une plus vaste échelle par l’arrêté préfectoral du 23 nivôse an x (13 janvier 1802), dont les considérants ne sont pas la partie la moins intéressante.

En voici un extrait :

« Le Conseiller d’État, Préfet du département de la Gironde,

» Vu : 1° le mémoire du citoyen Brémontier…

» 2° l’arrêté des consuls du 13 messidor an ix

» 3° Notre arrêté du 17 Thermidor, qui nomme les citoyens Brémontier, ingénieur en chef, Guyet-Laprade, Conservateur de la 11e division des Forêts, Bergeron, Labadie de Haux et Catros, membres de la Société des sciences, arts et belles-lettres de Bordeaux, section de l’Agriculture, pour composer ladite Commission.

» … » 9’ la leUre des Administrateurs généraux des ForCts du 3i vendé- » miaire.... et par laquelle ils manifestent l’intérêt qu’ils attachent à » une opération dont les résultats doivent être aussi avantageux et » offrent de faire un fonds de 50000 fr. pour l’article seul des planta-


» Considérant que le vent d’ouest souffle presque liabituellement » sur cette plage

» que les progrès des dunes vers l’est deviennent tous les jours plus » sensibles, qu’elles sont sur le point d’engloutir la commune de la y Teste cl tout son territoire,

» qu’une partie notable du Médoc eu est déjà couverte et que si on » n’oppose sans délai aux irruptions de la mer des obstacles qu’elle » ne puisse pas franchir, cet élément privera le département de la » Gironde cl la République du sol précieux où croît un dos meilleurs » vins de l’univers.

» Considérant que les sablesdes dunes ont été mal à propos regardés » comme stériles,

» qu’il y croit en très peu de temps des végétaux de toutes espèces » et que le seul moyen de les soustraire à l’action du vent et de les » fixer consiste à y jeter des graines avec des précautions coave- » nablcs.

»

» Considérant que les sables à couvrir de végétaux sont d’une » immense étendue et qu’une fois mis en rapport, ils fourniront le » bois de chauifage et le charbon nécessaires aux départements de la » Gironde, des Landes et des Basses- Pyrénées où la rareté de ces » objets est déjà sentie ;

» Considérant que le pin semé sur les dunes y devient très beau, et » que si on en multiplie l’espèce sur cette vaste superficie elle four- > nira sous peu d’années à la marine et au commerce des quantités ia- » calculables de goudron; qu’on pourra même rendre le commerce » étranger tributaire de la France pour ces deux denrées ;

s> Considérant que les dunes une fois couvertes, produiraient un » immense revenu au profit du gouvernement, » Arrête ;

» Art. 2. — Pour continuer l’ensemencement et les ouvrages, Usera » établi dans le mois 5 ateliers sur les points suivants savoir : le i" » au VerdoQ, entre la Pointe de Grave et les balisesde Soulac, le 2* » sur la cote d’Arcachon, le ^’ à la pointe de Pachon, le 4" au cap » Ferrct, le 5’ au Boucaul de Mimizan

»

xAht. 5, — I-’Administratioa géné-rale des Forêts est invitée à » nommer des gardes pour veiller à la conservation des semis, des clayonnages et des autres ouvrages accessoires et à mettre incessament à la disposition de la Commission des dunes la somme de 50 000 francs

» Art. 6. — La Commission est invitée à faire mêler dans l’ensemencement des graines de diverses espèces d’arbres et notamment de ceux qui sont reconnus les plus propres à la construction des navires. (…) »

Les semis du premier atelier du Verdon furent terminés le 28 juillet 1806 . Ils comprenaient : la Pièce de la Pointe entre les terres et vignes des Logis et la Pointe de Grave, la pièce du Verdon entre les Logis et le Verdon, enfin la longue pièce du Royannais, allant depuis la route de Bordeaux rejoindre les premiers semis de vendémiaire an x. On continua ensuite dans le voisinage des Logis, du Royannais, des Grandes-Maisons. Vers la même époque, on commença les travaux au nord du Vieux-Soulac (dunes de Lestor, des Huttes, de la Grande Courbe, de Poléron) ; ils furent terminés en 1811. En 1809 on attaqua les dunes autour de l’église et au sud du Vieux-Soulac, jusqu’au Coustau ; on sauva ainsi le hameau du Vieux-Soulac que ses habitants se préparaient à abandonner aux sables qui déjà le touchaient. De 1817 à 1821 on revint au Verdon, sur la côte, et l’on fixa les dunes de Tout-Vent, du Rocher, de Girofle, etc. Tout fut terminé en 1821 sur le territoire de Soulac.

Dès l’an xi (1802) on commença les travaux d’ensemencement dans les régions d’Hourtin et de Carcans par quelques emplacements disséminés dont le boisement était acquis en 1806. C’était notamment les lèdes du Salot, du Sablon (ou Sablonnet), le Crohot des Poulains, les lèdes de Bret et du Hairay (forêt dle d’Hourtin), la lède de la Sippe (forêt dle de Carcans).

On continua les semis dans l’ordre suivant :

  • en 1806, dunes du Flamand ;
  • de 1807 à 1809, dunes et plaines du Junca, de Bonneau, de Jean Petit, du Crohot de l’âne, de la Côte, de Calais, de Lacroix, petites dunes du Flamand, (forêts part. et domle du Flamand) ;
  • de 1810 à 1815, dunes de Lacroix, de Brémontier (forêt part. du Flamand), des Genêts (forêt domle d’Hourtin) ;
  • de 1817 à 1825, dunes de Carau, Ramon, Taste soule, la Canillouse (voisines de l’Hôpital de Grayan), dunes de Meynieu, dunes intermédiaires (forêt part. du Flamand), dunes des Genêts (forêt dle d’Hourtin) ; en 1819 on fit un regarni au Verdon sur 2 dunes dont celle du Sémaphore ;
  • de 1826 à 1831, dunes de la Barreyre, Piquey Leley, la Moulineyre, Martignan (alentours de l’Hôpital de Gravan), du Hournau (forêt part. du Flamand) ;
  • de 1832 à 1838, dunes de Martignan (Hôpital de Grayan), de Ginestras, de la Marthe, de la Saudine, du Cocu, des Dormants, du Crohot long, de Sergentou, du Crohot de l’âne, du Flamand (forêt part, du Flamand), de Calais, de Lacroix, petites dunes du Flamand, dunes des Genêts, de Lirangeon (forêt domle d’Hourtin) ;
  • de 1839 à 1843, dunes de la Perge, des Abits, du Crohot Nègre, de Lesplingade, la Hon, Gorgélian, la Viney, Bumet, Lignon, Lespau, du Mourey, du Berger, de Larrigade, Martalinat, du Hagnot, de Baronnin, des Agneaux, de Labernade, des Aubes (forêt part. du Flamand), des Aubes, des Genêts, de Bret (forêt domle d’Hourtin) ;
  • de 1843 à 1847, dunes du Beautemps (forêt dle du Flamand), de Lirangeon, des Grands Monts, des Places, de Place Vieille (forêt domle d’Hourtin) ;
  • de 1848 à 1855, dunes des Frayres (forêt dle du Flamand), de Place Vieille, de Pointe Blanque, canton de Balbise (forêt dle d’Hourtin), dunes de la Gemme, de Bombannes, de Coben, de la Baynasse (forêt domle de Carcans) ;
  • de 1855 à 1860, dunes des Bahines, du Crohot des Poulains, de Gréchas, du Salot, des Places (forêt dle d’Hourtin), dunes de la Gemme, de Malignac (forêt domle de Carcans) ;
  • de 1860 à 1863, dunes des Bahines, du Crohot des Poulains, de Gréchas, de Place-Vieille, des Phares, de la Gemme (forêt domle d’Hourtin), de Malignac, de Bombannes, de Coben, de la Parten, de Barin de haut, de la Sippe (forêt domle de Carcans).

En 1864, nous trouvons donc terminés les gros travaux de fixation des dunes du Médoc. Il ne restait plus alors que quelques lacunes à remplir, quelques regarnis et travaux de détail qui furent exécutés dans la suite par l’Administration des Forêts. Car les Ponts et Chaussées ne faisaient que des ensemencements en grand sur les dunes blanches et de quelque importance, laissant ordinairement de côté les lèdes et les petits trucs.

L’ordre suivi dans les semis montre que ces travaux ont été bien et rationnellement conduits ; on a commencé d’abord par les dunes de Soulac, Grayan et Vendays, qui menaçaient immédiatement des habitations et des cultures ; l’on n’est passé qu’ensuite aux dunes d’Hourtin et de Carcans qui, séparées du pays par les marais et les étangs, étaient d’un danger moins pressant. Remarquons enfin que l’État s’est désintéressé du littoral de Grayan et de Vensac, où les apports de sable n’avaient pas d’importance et que les communes propriétaires prétendaient fixer elles-mêmes.

Brémontier avait proposé pour les grands massifs de dunes, comme ceux d’Hourtin et du Flamand, de réserver des allées larges de 20 ou 50m, perpendiculaires à la côte, non boisées, mais garnies seulement d’herbes ou d’arbustes. Ces allées auraient servi de balises pour la navigation, grâce à leur couleur et à leur aspect bien différenciés de ceux des bois environnants. Elles auraient aussi joué le rôle de « préservatifs d’incendie ». Il ne paraît pas que cette idée ait jamais été réalisée, du moins sur le littoral médocain, autrement que par nos garde-feu modernes.

Un autre projet du célèbre ingénieur a eu le même sort, bien qu’ayant reçu un commencement d’exécution. Il consistait à rétablir les anciens boucauts qui déversaient à la mer les eaux des étangs, en laissant une allée nue de 120 toises (240m) de largeur, que les vents auraient creusée jusqu’à la mettre au niveau des étangs. On aurait facilité l’action du vent en ameublissant le sable par des piochages.

L’idée était originale, sinon très pratique. Une allée semblable fut tracée pour l’étang d’Hourtin, mais elle se perdit dans la suite et on ne la rétablit point. Elle allait de l’est à l’ouest, et prenait à la lède de Malignac, au sud de laquelle on voyait alors les restes d’un bois de pin (Rapport de l’Ingénieur de Libourne du 4 fructidor an XI, 22 août 1803). C’est ce bois de Malignac dont nous avons parlé à la (in de notre chapitre Ier. Le tracé de Brémontier n’était donc pas sur l’emplacement de l’ancien boucaut d’Hourtin, qu’il laissait bien au nord à Balbise.

Modes et procédés d’exécution. — Dès le commencement des travaux, on établit sur divers points des dunes des cabanes ou baraques en planches, couvertes en brandes ou en chaume de gourbet, pour abriter les ouvriers et les surveillants et gardes. Il y en avait au Flamand, à Malignac et sur la côte d’Hourtin. Les archives de la Conservation des Forêts de Bordeaux renferment, à propos de cette dernière, un document intéressant datant de 1806. C’est un croquis en couleurs, fort grossier du reste, des dunes et de l’étang d’Hourtin, avec légende explicative, annexé à une lettre qu’adressait à la Commission des dunes un chef ou conducteur d’atelier du nom de Coutures. On y voit l’étang bordé du côté de la lande par des pêcheries que marquent des pieux innombrables; au nord sont les marais du Pelous « pallus vrayment mœotides », dit Coutures, avec de nombreuses pêcheries également, et la lande du Pelous, puis le bois des Aubes (ou Petit Mont) avec le fossé ou craste traversant les marais et avec la fontaine ferrugineuse ; puis, le long des dunes, les bois du Grand-Mont, de Malignac, du Mont de Coben (ou Cawbens ?) et du Mont de Carcans. Au nord et près de Malignac se trouve le port de l’atelier des semis, au lieu dit Croot d’aux Guits (ou Crohot des Canards, forêt domle d’Hourtin) ou aborde le bateau qui transporte les matériaux destinés aux travaux des dunes. De ce port, un chemin sinueux de 5 quarts de lieue va à la cabane des serais, située à 150 toises (300m) du rivage de la mer (dans la zone littorale d’Hourtin, à peu près sur le prolongement du garde-feu de la Gemme ou de l’ancien garde-feu du Crohot des Canards), Quand on ne traverse pas l’étang, pour aller d’Hourtin ou de Naujac à la cabane, explique Coutures, on prend le tour par la lande du Pelous, puis les dunes. Parmi celles-ci, sont représentées sur le croquis des lèdes garnies d’une maigre végétation herbacée. La côte maritime est figurée très sinueuse, ce qui devait être peu exact. Sur le rivage, au sud de la cabane des semis, sont échoués deux « navires impériaux la Charente et la Joye ».

Dans les dunes de Gascogne, les travaux de fixation ont été pour l’ensemble effectués en allant de l’ouest à l’est suivant la direction des vents dominants, et cela pour que les premiers semis installés protégeassent contre les sables mouvants les semis faits après eux, et aussi pour qu’eux-mêmes ne fussent pas ensevelis sous les sables venant de la côte. Cependant on s’est souvent écarté des prescriptions de de Villers et de Brémontier, qui voulaient que les premières fixations eussent lieu sur la zone littorale séparant la laisse des hautes mers des premières dunes, « afin de tarir la source même du mal », et que l’on continuât ensuite à fixer des zones successives et contiguës. Quelquefois même on a commencé les travaux à l’est du côté des terres, avant que les sables de l’ouest ne fussent immobilisés. La nécessité de sauver des cultures et des lieux habités, ou d’arrêter la marche particulièrement prompte de quelques hautes dunes, la présence à l’ouest d’une vaste lède inondée ou enherbée, l’éloignement et la rareté des broussailles nécessaires à la couverture, et aussi les progrès rapides des travaux, justifiaient ces anomalies. D’ailleurs, toutes les fois qu’un apport de sable était à craindre, soit au bord de la mer, soit surtout dans l’intérieur des dunes, on garantissait l’atelier du côté de l’ouest et du côté du N.-O. ou du S.-O. par des palissades ou des clayonnages élevés jusqu’à 8 et 10m, contre lesquels s’amassaient les sables et qui donnaient au semis le temps de lever et de grandir, avant d’être atteints par ces sables. (Brémontier, mémoire du 30 pluviôse an xii ; Devis des travaux des dunes dressés par les Ponts et Chaussées.)

Les palissades étaient formées généralement de planches fichées dans le sol et ayant entre elles un intervalle de 2 centimètres. Les sables s’accumulaient contre la palissade en prenant une pente douce du côté du vent. Une partie passait par les intervalles des planches et, se déposant de l’autre côté, formait un second talus à terre croulante qui contrebuttait et maintenait la palissade. Quand celle-ci était près d’être couronnée, on l’exhaussait en relevant verticalement les planches. Les clayonnages étaient formés de cordons de branchages tressés sur piquets agissant de même à l’égard des sables. Lorsque ceux-ci atteignaient le sommet du clayonnage, on en établissait un nouveau sur la levée de sable ainsi obtenue.

Ces palissades (ou clayonnages) étaient placées touchant à l’atelier d’ensemencement. Au-devant d’elles, du côté des apports sableux, on ménageait une bande de terrain, large d’environ 40m, qu’on ne boisait pas, mais qu’on plantait seulement de touffes de gourbet disposées en quinconces. Tout ce système constituait pour l’atelier la défense à l’abri de laquelle s’effectuaient les semis. Ces sortes de digues protectrices se distinguent encore de nos jours (notamment la passe de Bret dans la forêt d’Hourtin) par une levée de sable longeant une zone de terrain dont le peuplement est notablement plus clair et plus jeune que les bois environnants. Ce qui s’explique par ce que ce peuplement plus jeune est né de semis naturels qui à la longue ont remplacé la zone de gourbet et proviennent des graines tombées des pins d’alentour.

Le mode d’ensemencement que l’on a employé pour fixer la presque totalité des dunes est le semis dit avec couverture ou sous couverture. Il consiste, on le sait, à étendre sur le sol des broussailles qui couvrent les graines et les empêchent d’être balayées par les vents. Mais il faut que ces broussailles soient elles-mêmes retenues, afin que les vents ne les dispersent pas non plus. Leur fixation a varié et s’est perfectionnée suivant le cours des temps. Au début, on maintenait ces broussailles par des gaules parallèles, qui étaient tenues elles-mêmes par des crochets en bois. C’était fort dispendieux. Au bout de quelque temps on supprima les gaules et on fixa les broussailles au moyen de crochets seulement. Puis enfin ces derniers furent abandonnés, grâce à un entrepreneur qui introduisit la méthode appliquée aujourd’hui encore, laquelle consiste à jeter sur les branchages de 30 en 30 centimètres des pelletées de sable qui les assujettissent très suffisamment. De plus, ces ramilles bien aplaties, parées en éventail au moyen de la serpe, sont imbriquées les unes sur les autres, et celles du bord du chantier sont rechaussées pour enlever toute prise au vent. Les broussailles employées étaient, comme de nos jours, des rameaux d’ajonc, de genêt, de pin, ou même de bruyère. Souvent, faute de mieux, on dut prendre des branchages de tamarix, de saules et même des roseaux ou « bauge » des marais. Aujourd’hui on jette d’abord la semence sur le sol et on place ensuite la couverture par-dessus ; autrefois on semait souvent, au contraire, les graines par-dessus la couverture, sans doute parce que ces semis s’ensablaient facilement, en raison de la quantité de dunes qui étaient encore mouvantes.

Quelquefois, lorsque la broussaille était rare ou trop éloignée, on remplaçait la couverture par des aigrettes, c’est-à-dire des rameaux piqués verticalement dans le sol à peu de distance les uns des autres. Ce procédé était moins efficace, mais bien plus économique que le précédent. Ou parfois encore, on protégeait les semis par des cordons de fascines se croisant perpendiculairement, de manière à laisser entre eux de petites cases, comme celles d’un damier, dans lesquelles étaient jetées les graines.

Enfin, dans les lèdes enherbées et partout où les mouvements de sable n’étaient pas à craindre, on pratiquait le semis à la pelle, procédé très simple qui consiste à faire un trou ou plutôt une fente dans le sol à l’aide d’une pelle ou d’une pioche, à y jeter quelques graines, et à le refermer en tassant avec le pied. Les trous sont disposés par lignes parallèles ou en quinconces, suivant l’espacement jugé convenable. Les semences employées étaient généralement des graines de pin maritime, de genêt à balai, d’ajonc épineux et de gourbet, ces dernières s’employant à peu près uniquement à proximité de la mer. On y adjoignit souvent des glands de plusieurs sortes de chênes et des châtaignes (par exemple au Verdon en 1809). On essaya même par serais ou plantations un grand nombre d’arbres et d’arbustes résineux et feuillus (Rapport sur les différents mémoires de M. Brémontier. Soc. d’agriculture de la Seine, 1806). Mais on s’en tint en somme aux quatre espèces de semences énumérées ci-dessus en premier lieu, comme étant celles qui réussissent le mieux, qui sont les plus abondantes et les moins chères et qui se manient le plus facilement. (Voir pour les travaux des dunes : Mémoire sur les dunes de Gascogne, Laval, ing. en chef, Annales des Ponts et Ch., 1847, — Notice sur le pin maritime, Lorentz, adm. des Forêts, Annales forestières, 1842, — Les Landes et les dunes de Gascogne, Goursaud, insp. des forêts, Revue des Eaux et Forêts, 1879-80).

Pendant les douze premières années environ de la fixation des dunes, tous les travaux se faisaient en régie avec des ouvriers à la journée ou à la tâche. Vers 1814, on donna à l’entreprise la coupe et le transport sur les chantiers des broussailles nécessaires à la couverture, en continuant d’exécuter en régie le serais et la pose de la couverture. C’est en 1817, pour les dîmes du Médoc, qu’on commença à effectuer la totalité du travail par voie d’adjudication publique. Depuis, on ne s’est pas départi de ce mode d’exécution, assurément le plus économique et le plus régulier pour des travaux d’une pareille importance.

À ce propos, nous ne pouvons passer sous silence le mémoire qu’un M. Taffard-Larnade, de la Teste, adressa, le 5 décembre 1816, au Ministre de l’Intérieur sur les moyens économiques de l’ensemencement des sables. L’auteur s’y attribue le mérite : d’avoir donné l’idée de la couverture de broussailles pour protéger les graines et de sa substitution aux clayonnages employés au début, — d’avoir donné aussi l’idée de supprimer, pour la pose de cette couverture, les lattes et crochets au moyen desquels on la maintenait d’abord, ce qui diminue les frais de moitié, — d’avoir fait donner à l’entreprise la coupe et le transport des branchages, qui s’effectuaient primitivement en régie, etc. Il critique les proportions des graines employées dans les travaux, préconisant le chêne, dont il veut voir augmenter la quantité semée. Il signale des détournements frauduleux de fonds, le peu de surveillance de la Commission des Dunes. Il propose de supprimer des emplois et de diminuer des traitements.

Les prétentions et les accusations de M. Taffard, qualifié d’« esprit turbulent » par l’administration, furent réfutées et la Commission des Dunes rejeta ses propositions.

Les ateliers de fixation ne manquaient pas de pittoresque et offraient un spectacle qu’il est intéressant de se représenter. Sur le ciel pur d’une belle journée de printemps ou d’automne, les goëlands blancs passent à grands coups d’ailes, l’océan d’un bleu glauque renvoie les rayons du soleil en reflets métalliques qui dansent sur les vagues, et la blancheur des sables est éblouissante. Le grondement des lames s’abattant sur la plage retentit seul dans le silence de ce désert. Cependant, au milieu de ce décor grandiose et sauvage se déroule un saisissant épisode de la lutte continuelle que l’homme soutient contre les forces de la nature.

Sur un versant de dune descendant en pente assez douce vers la côte, se déploie une longue suite de travailleurs qui tournent le dos à la mer. Au premier rang sont des femmes, jeunes pour la plupart, séparées de deux en deux par des gars, qui ont pour mission de consolider le tapis de broussailles qu’elles étalent. Les uns et les autres allègent leur costume, car ils ne se ménagent point, et le soleil, dont rien ne les abrite, est ardent.

La plupart sont bras et jambes nus ; les hommes, maigres et vigoureux, ont une simple culotte et leur chemise, avec le petit béret landais posé sur le crâne ; les femmes, le corsage ouvert, portent jupe courte, et sont coiffées de la vaste benèze. Tous sont brunis par le hâle de la mer et du soleil.

On travaille allègrement, mais non sans échanger quantité de lazzis. Les femmes avec la serpe façonnent et parent en éventail les rameaux que leur jettent des enfants placés derrière, puis les disposent sur le sable à la façon des tuiles d’un toit. Leurs compagnons assujettissent ces branchages et jettent dessus des pelletées de sable qui les maintiennent. Le chantier opère à reculons.

Derrière ou devant cette ligne d’ouvriers, passe le semeur qui, de son « geste auguste », jette à la volée les graines sur lesquelles des oiselets pillards arrivent bientôt prélever un léger tribut.

Auprès des travailleurs vont et viennent le chef d’atelier qui commande, reprend, gourmande en quelques mots de patois, et le garde surveillant qui conduit le travail.

De temps à autre arrivent, cheminant péniblement sur le sable, des attelages de bœufs ou des chevaux de bât. Ils portent en charges débordantes les broussailles coupées au loin, et c’est à grands renforts de gestes et de jurons gascons que les excitent leurs conducteurs. Ceux-ci, aidés par les gamins, déposent les fagots par tas de proche en proche, pendant que le garde, soupesant ces bourrées, procède à leur réception. Puis bêtes et gens retournent chercher de nouvelles chaînes.

Le soir venu, toute l’équipe s’en va pêle-mêle à la cantine, cabane de planches et de chaume, abri de la nuit, trouver le souper et le repos bien gagnés, après un dur travail, qui, pour sembler perdu dans l’immensité de ces sables déserts et dévastateurs, ne les transforme pas moins peu à peu et sûrement en forêt féconde et bienfaisante.

Attitude des populations à l’égard des travaux. — Bien que tout le monde se rendît compte, au début du siècle, de la nécessité d’arrêter les dunes, il se trouvait cependant des propriétaires et des pâtres assez jaloux de leur liberté d’allures et assez ennemis de toute intervention étrangère pour non seulement ne pas faciliter les travaux de fixation, mais encore les entraver ou même les détruire.

C’est un des nombreux exemples de cette lutte de la raison prévoyante contre l’égoïsme et l’ignorance, lutte ingrate que doivent si fréquemment soutenir les agents de l’État, et dont une large part est réservée aux forestiers avec l’Arabe incendiaire, le pâtre montagnard, ou même une municipalité à court d’argent.

Les documents de l’époque nous ont conservé des témoignages de ces différences d’attitudes des populations médocaines vis-à-vis des reboiseurs des dunes.

Les habitants de Soulac ont plus que tous autres, parce qu’ils étaient plus endommagés, demandé et favorisé la fixation des sables et assuré le gouvernement de leur reconnaissance pour ce bienfait. Dans une suite de délibérations de 1806 à 1811, le conseil municipal de Soulac expose que la commune « voit journellement son terrain envahi par des sables que les vents poussent avec violence » et demande un règlement qui défende de mener paître à moins de 60 toises (120m) de distance du pied des dunes, et d’arracher ou couper les plantes qui croissent en ces endroits (26 ventôse an ix) ; il demande « une subvention pour la charge d’un garde champêtre, afin d’empêcher les habitants de couper sur les dunes les plantes appelées gourbet » (28 février 1809), « qu’il soit fait une supplique à la Commission des dunes pour faire faire les couvertures aux frais du gouvernement » (12 mai 1809), et qu’il soit alloué « une somme suffisante pour fixer les sables errants qui vont dans l’intérieur du hameau du Verdon et menacent d’envahir le chenal de Rambaud et le port » (13 mai 1811).

Précédemment, le 5 juillet 1810, le maire de Soulac écrivait au nom de ses administrés au préfet de la Gironde : « C’est une grande satisfaction pour moi de voir une grande partie des propriétés à l’abri de l’envahissement des sables… Je pense que c’est la commune qui vous doit des remerciements et il m’est très agréable de vous prier de recevoir les expressions de sa profonde reconnaissance. Les travaux ordonnés par M. Guyet-Laprade au midi du Vieux-Soulac sont à la veille d’être terminés; les habitants ont fourni abondamment les broussailles nécessaires, et si, dans cette circonstance, il m’était permis d’émettre mon opinion, je vous demanderais de (aire continuer les travaux au nord pour achever de couvrir la chaîne des dunes qui nous menacent… J’ai parcouru un de ces jours les semis, ils offrent un coup d’œil satisfaisant ; les pins semés cette année sont d’une fraîcheur vraiment étonnante relativement aux chaleurs excessives qui ont eu lieu ; leur beauté est surtout remarquable sur le sommet des dunes. J’en ai remarqué qui avaient environ 3 pouces de tige et 10 à 11 de racine, preuve évidente du succès. Dans le fond, les pins ont une couleur (jaunâtre occasionnée sans doute par la trop grande humidité qui augmentera encore dans la mauvaise saison… »

Et le 20 mai 1811, il écrit encore : « Je vous supplie, M. le Préfet, au nom de tous les propriétaires de cette commune, de faire obtenir des fonds plus importants à la Commission afin qu’elle puisse venir à notre secours et que les dunes les plus élevées soient couvertes avant l’hiver.

» En ce qui concerne la dune du Vieux-Soulac, tout annonce la certitude d’un succès complet ; la fixation de ces sables rassure les habitants qui les avoisinent et leur offre un gage assuré de la conservation de leurs biens. »

On lit d’autre part dans un rapport de tournée du 17 décembre 1810 : « M. le Maire (de Soulac) nous a observé qu’il serait bien nécessaire de fixer une dune située prés de l’ancien couvent de Saint-Nicolas, laquelle envahit journellement des terrains d’excellente qualité, prairies et terres labourables… »

Par contre, dans cette même commune de Soulac, en 1809, un propriétaire, M. de St Léger, refuse de laisser prendre, dans ses marais salants envahis par les sables, les joncs et tamarix nécessaires pour les travaux de couvertures !

Les habitants de Grayan, Vensac et Vendays réclament la fixation de leurs dunes, mais ils ne font rien pour la faciliter et fournir la couverture. Plusieurs sont même sourdement hostiles à cette entreprise. À propos de la lède du Junca, sans doute, un procès-verbal de visite de l’Inspecteur Dejean, en date du 27 décembre 1806, porte : « il paroit que les habitants de la commune de Vendays veulent s’opposer à ce que cette plaine soit semée vis à vis leur territoire, ils prétendent qu’elle leur appartient et disent en payer les impositions. »

Pour protéger les semis de Soulac, le Préfet rend, le 16 janvier 1806, conformément à une délibération de la Commission des dunes du 1er brumaire an xiv (23 octobre 1805), un arrêté dont voici les dispositions essentielles :

« Considérant que, quoique les plantes dites Elimus arenarius, appelées gourbets dans le pays et autres qui croissent spontanément sur les dunes, soient insuffisantes pour arrêter complètement le cours des sables, cependant leur multiplication en retarde les progrès,

» que les habitants se permettent de les couper, même de les arracher complètement, ce qui rend les sables à leur mobilité naturelle… »

Il est fait défense « à qui que ce soit de laisser errer ou faire pacager les bestiaux dans toute l’étendue des dunes, lèdes et sables, depuis la pointe du Verdon jusqu’à sa limite vers le sud du territoire de Soulac et à la distance de 150m du pied des dunes, du côté des terres…, de taire brûler sur les lieux, de couper et arracher les gourbets et autres plantes, etc. »

Dans sa séance du 17 fructidor an xiv (4 sept, 1806), la Commission demande la même mesure pour les dunes en général, par la délibération suivante :

« Vu le procès-verbal de visite des ateliers des semis de Hourtins et du Verdon fait du 26 vendémiaire dernier et jours suivants,… duquel il résulte que les habitants des environs de l’atelier d’Hourtins ne cessent de contrarier par des voies de fait, injurier, menacer les employés, que malgré des exemples récents de sévérité, ils continuent à faire pacager les bestiaux dans les semis,… que plusieurs habitants ont porté la malveillance au point d’arracher les jeunes pins à mesure qu’ils sortent de terre, » la Commission demande que l’on effectue le bornage des ateliers et que les dispositions de l’ordonnance de 1669 soient appliquées à ces parties ainsi délimitées, que l’on autorise les gardes et ouvriers à tuer les bestiaux errants, que l’on fasse défense aux pâtres d’avoir des fusils, etc.…

Le vœu de la Commission reçut satisfaction et dans la suite plusieurs arrêtés préfectoraux, s’appuyant sur l’ordonnance du 13 août 1669 et sur la loi du 29 septembre 1791, interdirent la coupe des bois, épines et broussailles, ainsi que le pâturage.

Constatons enfin que par un curieux retour des choses d’ici-bas, les communes, qui jadis étaient les premières à réclamer l’intervention de l’État dans les dunes et à déclarer celles-ci sa propriété, sont aujourd’hui les plus acharnées à revendiquer ces mêmes dunes boisées comme leur appartenant, et pour un peu traiteraient l’État de voleur.

Dépenses. — Il serait extrêmement intéressant de faire le décompte exact de toutes les dépenses entraînées par la fixation des dunes depuis le commencement jusqu’à la fin, de comparer ensuite ce décompte aux prévisions de Brémontier et du gouvernement de 1801, ainsi qu’aux revenus fournis par les bois nés de ces dépenses. Mais ce travail, en admettant qu’il soit rigoureusement possible, serait extrêmement long et difficile, et nécessiterait des recherches que nous n’avons ni le temps, ni la possibilité matérielle de faire. Force nous est donc de nous contenter de quelques renseignements partiels sur les prix des matériaux et des travaux, et sur la série des entreprises qui ont exécuté l’ensemencement des dunes du Médoc.

Le prix de la graine de pin maritime était de 5 sous la livre en 1797 (Brémontier). En 1804, elle coulait 23fr le boisseau (25 litres ou 15 kg.) à la Teste et de 36 à 40fr à Hourtin, Le transport de la Teste à Hourtin a coûté 46fr pour 6 boisseaux 90 kg.). En 1817, elle se payait 0fr33 le kilogramme et la graine de genêt 0fr80, à peu près moitié des prix actuels.

En 1860, les devis portaient les prix suivants pour l’achat et ensemble d’un kilog. de semence : graine de pin, o’^jo; graine de genft, o^’ôo; graine d’ajonc, l’^so; graine degourbet, offjo.

D’après un rapport de l’ingénieur ordinaire Tannay du 30 fructidor an xm (7 septembre 1806), l’atelier qui exécutait alors les semis à la pelle au Verdon se composait de 6 enCanIs, gagnant chacun o’f 75 par jour, commandés par un chef d’atelier gagnant i^^so et sous la direc- tion d’un conducteur qui touchait loo’^ par mois (^’^33 par jour), A cette époque, la journée d’une femme se payait environ o’^So. En 1828, à Hourtin, le semis à la pelle revenait à 14’’ l’hectare.

En 1860, la journée d’un homme est de a^’oo; celle d’une femme de r’^oo; celle d’un jeune garçon de o^’ 75; celle d’une voiture bouvière, conducteur compris, de 6f’’4o; et celle de deux chevaux ou mulets avec leur guide de 5*’95.


Voici le devis pour la fixation d’un hectare de dunes en 181 7 (en- treprise Vives à Hourtin) :

c__i I as Kg de Efralaes de pin marUiroc à o f. ij l’un — d 8,as 1 15 Kff — de gtntt ^ o 80 - ,a,oo

il coupage 1,00 \ PW^ l liage 1,00 J I transport 3 noo" j cordes fagatsF eteodag’e, i journée et dc- \ mie de femme à o fr. So


7 ff • *S


\ pour iioofagou: 7 fr. 45 X ",00= 89,40

Total 109,65

Bénéfices et avancede fonda, i/io" 10,95

Prii lolal du semia avec couverture sur 1 bectare de dune 110,60


El voici le devis pour le même Uavail en 1860 (entreprise Barrau et Gorry à Carcans, rédigé par M. Chambreleni, ingénieur ordi- naîre) ;

/ 20 Kg de graine de pin ±0,30,

I emploi compris 6,0a

Eosemeneenient 1 6 Kg — de g^endi à 0,60 . , . 3,60

d’un hectare de dune 1 3 Kg — d’ajonc à 1,50. . . . 3,00

en pin, genêt, ajonc ( 4 Kg — degourbet à 0,10 . . 0,80

et gourbet / Total ’3i4o

I 3^10 pour faui frais et bénéfice j,oi

1 Total 15,41 — 13,40 Report



t5,+o



Coupe de looo fagots du i>oids





de 15 kgs à 1,50 le cent, ci. .


.5,00




Ramassage el lia^e des brous-





sailles à 0,40 le cent, ci ... .


4,00



Fixation d’un hectare


Transport à dos de cheval à une




de duDS avec une


distance moyen ne de 1(100




couverture eatière



56,53



de brouasallles


Elendaf^c et sablage des looo





fagots à :,3()le cent, ci . . .


tï,oo




Total


«7.52





"3.13 00,65 —




Total. ......


100, fis


Prix total des semis av


c couverture d’un hectare de dune


. . -


>i6,os


Dans la même entreprise, ce prix varie d’ailleurs de 53 fr. 20 à 14S fr. 00 suivant que l’on fait «ae de mi- couverture (500 fagots de broussailles à l’hectare) ou une couverture entière (1000 fagots) et que ces broussailles sont prises plus ou moins loin (isgo"" ou 4000"’ de dis- tance moyenne).

Le prix d’ensemencement d’un hectare de dune a forcément variiï d’année en année selon le cours de la main d’œuvre et des matériaux, selon l’abondance et la proximité de la broussaille, selon les variations de procédé!!, et les autres conditions du travail. Sa moyenne totale pour les travaux à l’entreprise a été d’environ i^of’’2j. Les moyennes ci-dessDus sont tirées des statistiques dress^-cs par les s;rvic^s des Ponts Cl Chaussées et des Forêts pour la Gironde :

1819: u8,79 — 1810:

1818:167.46 — 1819:185,67 — 1831 :

1835:113.89 — 1839:137,57 — 1B40:

18+4:130,31 — 1845:135,14 — 1846;

1S54: iag,5l — 1S60: 133,16 — iSfii:

Les dépenses d’ensemencement àcs dunes du Mcdoc ont été à peu prés les suivantes (Travaux des Ponts et Chaussées seulement).

Ateliers du Verdon, de Soulac et de l’Hôpital de Grayan :


— 333 3t>3fr. 43


i32.ao - 1813: 133,83

307,89 — 1834: 147,19

115,09 — ’842 ■■ iia,io

13’, 77 — 1847 : 109,98


deraniài8T5: s [411^ 56’’ 66« — de 1817 à 1832: 7" 46 85 -


141453,91 111840,53


Toiam 1137 03 51 —


=53 3"=, 43


Ateliers du Flamand fl d’Hourtin :



de l’an II à 1815 : soi^a ^i» jcc» _ de 1817 à 1833: .157 62 6q — de 1834 ài8û3:44’T 6’ ’S —


83783,93 88407,69 531485,76

Report : 955 979 fr. 80

Ateliers du Beautemps et de Grayan :

de 1834 à 1848 : 152ha 93a 37ca — 19 777,18 — 19 777 fr. 18

Ateliers de Carcans (et Hourtin partie) :

de 1848 à 1863 : 3243ha 48a 25ca — 526 609,90 — 526 609 fr. 90

Totaux généraux : 10 710ha 11a 47ca pour 1 502 366 fr. 88

Pour avoir la somme totale des frais d’ensemencement, il faudrait ajouter à ce dernier total généra! toutes les dépenses que l’administration des Forêts a faites en travaux de regarnis et de boisements de petites dunes et de lèdes, concurremment ou non avec le service des Ponts et Chaussées. Enfin, pour obtenir le décompte exact de toutes les dépenses engagées pour la fixation des dunes dont nous parlions tout à l’heure, on devrait encore ajouter les sommes afférentes aux traitements des divers préposés, agents et commissaires, à la construction et à l’entretien des maisons des gardes et aux nombreuses améliorations qu’exécutait l’administration des Forêts une fois qu’elle avait pris possession des semis faits par les Ponts et Chaussées.

Voici la liste à peu près complète des entreprises données par le service des Ponts et Chaussées pour la fixation des dunes :

Atelier du Verdon :

1814, entreprise Bitouneau, coupe et transport de broussailles pour couverture.

1815, entreprise Bourgès, coupe et transport de broussailles pour couverture.

1817-1821, entreprise Bourgès, Fixation de 100 hectares de dunes au Verdon. Adjudication du 6 juin 1817.Prix par hectare : estimation de l’ingénieur 133fr81, adjudication 130fr (rabais de 3fr81 par hectare), Dépense total : 48 753fr67.

Atelier d’Hourtin :

1814, entreprise Barrère, coupe et transport de broussailles ; adjudication du 23 Juillet 1814, 5fr75 par cent de fagots de 10 kg.

1815, entreprise Barrère, même travail : adjudon du 18 mai 1815, 6fr50 par cent de fagots de 10 kg.

1817-1821, entreprise Vives, Fixation de 300ha de dunes et de 115ha en continuation. Adjudication du 15 octobre 1817. Marché prorogé en 1820 pour 13984 fr. sur 115ha. Dépense totale : 40 352 fr. 04.

1821-1825, entreprise Meynieu, fixation de 360ha de dunes. Devis pour un hectare: 140 fr. 14 ; pour 360ha : 50 450 fr. 40 ; somme à valoir pour imprévu : 2 549 fr. 60 ; total : 53 000 fr. 00, Adjudication du 4 août 1821, rabais de 10 fr. 14 par hectare. L’entrepreneur, non au courant des travaux, résilie son marché en 1824, après avoir fixé 122ha seulement et dépensé 16 133 fr. 87.

1832-1835, entreprise Barrère jeune, fixation de 588ha (Sargentou, Jean Petit, Hournau, les Genêts, dunes littorales). Devis : 53 721 fr. 56 pour les semis, 3 200 fr. pour la construction de la maison des Genêts destinée aux gardes et aux ingénieurs, total 55 921 fr. 56, plus 4 078 fr. 44 pour imprévu. Adjudication du 32 juin 1832, prix d’adjudication : 49 770 fr. 19.

1855-1861 ; entreprise Dehillote-Ramondin, Fixation de 561ha 45a 73ca et de 115ha 37a 77ca en continuation (les Places, les Bahines, Gréchas, Crohot des Poulains, Salot, Place vieille). Devis 67 556 fr. 93, plus 4 443 fr. 07 à valoir pour imprévu, total 72 000 fr. Adjudication du 14 avril 1855. Rabais de 1 %. Décret d’occupation du terrain du 19 nov. 1855. Prix d’adjudon : 66 881 fr. 37. Suppléments accordés : 16 461 fr. 04 par décision Minelle du 13 mars 1857 et 858 fr. par don du 14 août 1860. Dépense totale : 84 200 fr. 41.

1857-1860 ; entreprise Dehillote-Ramondin. Fixation de 146ha 06a, au sud des dunes précédentes. Mêmes conditions que ci-dessus. Prix : 19 000 fr. Décret d’occupation du 26 déc. 1857.

1857-1860 ; entreprise Dehillote-Ramondin. Fixation de 568ha 51a 98ca (Les Phares), 88 180 fr. 80, plus 6 819 fr. 20 à valoir. Adjudon du 12 déc. 1857.

1859-1863 ; entreprise Gorry jeune. Fixation de 432ha 03a (Bahines, Crohot des Poulains, Gréchas, Place vieille). Devis : 57 313 fr. 11 plus 4 686 fr. 89 à valoir. Adjudication du 30 juin 1860 ; prix d’adjudon : 42 503 fr. 88, plus 3 166 fr., à valoir. Supplément de 465 fr. 69 en 1862.

Atelier de l’Hôpital de Grayan :

1818, 67ha 65a. — Devis : 130 fr. 79 l’hectare ; total : 8 847 fr. 94. Bourgès soumissionne au prix du devis.

1834-1837 ; contenance 84ha (?) environ, Gamarde Bernard. Prix : 10949 fr. 45.

Atelier du Flamand :

1835, entreprise Barreyre jeune. Fixation de 300ha (communes de Gaillan et de Vendays), Devis : 158 fr. 93 à l’hectare (à l’hectare : 15 kg. de graine de pin, 8 kg. de graine de genêt et 1 500 fagots à une distance de 3000m), soit pour 300ha : 47 679 fr., plus 12 321 fr. pour imprévu. Adjudon du 5 juin 1835, rabais 12 %. Prix d’adjudon 42 957 fr. 22.

1835, entreprise Barreyre aîné. Fixation de 300ha (Lirangeon). Devis : 124 fr. 24 à l’hectare, soit 37 329 fr., plus 7 671 fr. pour imprévu. Adjudication du 23 juillet 1835, Rabais 14 %. Prix d’adjudon 32 502 fr. 94.

1839, soumission Barreyre jeune. Fixation de 66ha 66a 67ca (Gorgélian, la Viney, Bumet). Prix 10 000 fr., (150 fr. l’hectare). Travaux reçus en 1847.

1839-1849, entreprise Barreyre aîné et Peyruse gendre. Fixation de 935ha (La Perge, Mourey, la Bresquette, les Aubes). Devis 113 621 fr. 35. Adjudication du 22 juin 1839, Prix : 102 485 fr. 43. Mise en régie de l’entrepreneur en 1845.

1843-1847, entreprise Dehillote-Ramondin. Fixation de 592ha 50a (Lirangeon, les Grands Monts, les Places, Place vieille). Devis 152 fr. l’hectare. Adjudon du 8 juin 1844. Rabais de 14,50 %. Prix : 74 397 fr. 68. En 1847 on accorde un supplément de 7 000 fr., pris sur la somme à valoir pour imprévu. Dépense totale : 81 397 fr. 68.

Atelier du Grand Beautemps :

1847. Entreprise Gorry Thomas. Fixation de 33ha 96a 88ca (Beautemps). Devis : 4 500 fr., y compris cordons de défense et poteaux bornes. Soumission du 9 octobre 1847. Rabais de 11 %. Prix : 4 199 fr. 73.

1848. Même soumissionnaire et même rabais, 34ha 96a 49ca (les Frayres). Devis : 4 959 fr. 12 + 240 fr. 88 = 5 200 fr. 00 (136 fr. 20 l’hectare). — Prix de la soumission : 4 628 fr. (121 fr. 22 l’hectare).

Atelier de Carcans :

1848-1859. Entreprise Dehillote-Ramondin. Fixation de 1053ha 58a 50ca (Malignac, la Gemme, Gartiou, Bombannes, Coben, Baynasse). Devis: 262 384 fr. 37, plus 25 475 fr. 56 pour imprévu (170 fr. 90 l’hectare fixé en pin, genêt et gourbet). Adjudon du 29 juillet 1848. Rabais 2 fr. 66 % — Prix 255 404 fr. 95. — Supplément de 4 416 fr. 93 accordé sur la somme à valoir pour imprévu par décision Minelle du 10 juillet 1855. Dépense totale: 259 821 fr. 87 comprenant : fixation et semis 241 821 fr. 57, ouvrages de défense 17 185 fr. 54, poteaux et piquets 814 fr. 76. Décret d’occupation du 14 décembre 1S48.

1860-1863. Entreprise Gorry jeune et Barrère. Fixation de 800ha 88a 22ca (dunes d’Hourtin et de Carcans, au sud des Phares). Devis : 120 765 fr. 68, plus 9 234 fr. 32 à valoir, Adjudon du 24 nov. 1860, Prix 109 313 fr. 72 (plus 5 686 fr. 28 à valoir). Décret d’occupation du 10 avril 1861.

1861-1863. Entreprise Barrau et Gorry puîné. Fixation de 1389ha 01a 53ca (dunes de Malignac, la Gemme, Bombannes, Coben, La Parten, Barin de Haut, la Sippe). Devis : 157 474 fr. 31, plus 7 525 fr. 69 à valoir ; total : 165 000 fr. Adjudon du 8 juin 1861, Prix du devis. Décret d’occupation du 10 avril 1861.

C’est donc en 1863 que prennent fin les gros travaux de fixation des dunes du Médoc. Les ensemencements que fera ensuite le service forestier ne seront que des regarnis ou des travaux de détail.




Constitution des Forêts actuelles


Travaux et gestion de l'Administration forestière. — Un règlement du 28 septembre 1818, pris en suite de l’ordonnance de 1817, prescrivait qu’en principe le service des Ponts et Chaussées remettrait les dunes ensemencées à celui des Forêts, lorsque les semis auraient atteint l’âge de 7 ans. En fait, on s’est souvent et beaucoup écarté de cette règle, et bien des jeunes peuplements ont été remis aux agents forestiers à un âge plus avancé que celui indiqué. Les raisons de ces irrégularités étaient celles-ci : les Ponts et Chaussées n’abandonnaient que d*assez grandes surfaces à la fois, et dans certains cas ils conservaient les semis plus longtemps, afin de pouvoir en ex- traire à leur gré des broussailles pour des travaux ultérieurs.

Ainsi, 1238ha du territoire de Soulac, ensemencés de 1802 à 1821, ne furent remis que le 22 juin 1833 ; 142ha 80a 65ca, des dunes de Vensac, fixés de 1819 à 1831, ne le furent qu’en 1848, ainsi que 182ha 54a 35ca ensemencés de 1820 à 1834 sur celles de Grayan. Par contre, au Flamand, l’Administration des Forêts prit possession dès le 31 mars 1837 de 1855ha fixés de 1807 à 1833, et en 1848 de 501ha 72a 27ca ensemencés de 1832 à 1840.

Notons aussi que les ingénieurs craignaient que les agents forestiers ne compromissent la fixation des dunes en pratiquant dans les semis des éclaircies et élagages justifiés par l’intérêt cultural des peuplements, mais jugés par les ingénieurs prématurés et dangereux pour l’immobilisation des sables. Ces craintes étaient exagérées, et c’est avec raison que les forestiers ont pu reprocher aux Ponts et Chaussées d’avoir entravé la croissance et le développement de bien des peuplements en les ayant gardés longtemps à l’état de fourrés et gaulis épais, sans nettoiement ni éclaircie.

Lorsque l’Administration des Ponts et Chaussées faisait à celle des Forêts la remise des semis, elle se réservait généralement la faculté d’y prendre sans indemnité les broussailles nécessaires pour d’autres ateliers déterminés, et, ayant l’achèvement de ces ateliers, les agents forestiers ne pouvaient faire aucune coupe de bois et de branchages dans les dunes à eux remises, sans l’agrément du service des Ponts et Chaussées.

Une fois en libre possession des terrains qu’on lui livrait, l’Administration forestière y exécutait toutes les améliorations qu’elle jugeait utiles : boisement de lèdes, fixation de dunes blanches non comprises dans les ensemencements des Ponts et Chaussées, regarnis dans leurs semis, essais d’introduction de diverses essences feuillues et résineuses, fossés assainissement, éclaircies, nettoiements et élagages des peuplements, construction de maisons de gardes, etc. Citons comme exemples :

De nombreux regarnis et fixations de dunes blanches effectués de 1840 à 1860 dans la forêt du Flamand (dunes du Crohot long, des Dormants, etc).

En 1841, les travaux suivants mis en adjudication dans la m^me forêt : ensemencement de 20ha en pins maritime et sylvestre aux grand et petit Boënon, 1 421 fr. — de 40ha en pin maritime aux cantons des Noyers, lède de Calais et des Genêts, 813 fr. — de 10ha en chêne blanc au Junca, 1 624 fr. — de 15ha en chêne liège à Jean Petit, 532 fr. 87 — de 5ha en châtaignier aux Dormants, 1 573 fr. 25.

En 1863, semis à la pelle dans 300 hectares de lèdes d’Hourtin et de Carcans, 2 025 fr. en régie (6 kg de graines de pin à 0 fr. 50 le kg et 2 journées 1/2 à 1 fr. 50 l’une, soit 6 fr. 75 de frais par hectare).

Les éclaircies se pratiquaient dès que le service forestier «avait la libre gestion des peuplements créés sur les dunes. Elles étaient proportionnées, comme consistance et comme nombre, à l’état et à l’âge des bois. Pendant longtemps on les exécuta en régie avec des ouvriers payés à la journée ; au bout d’un certain nombre d’années, les surfaces à éclaircir augmentant d’étendue, on confia ces opérations à l’entreprise.

Pendant qu’elle exécutait ces travaux d’amélioration et qu’elle procédait ainsi à l’ éducation des futures pineraies des dunes, l’Administration forestière commençait l’exploitation des produits réalisables et tâchait de tirer le meilleur parti des bois que les exigences culturales disaient abattre.

En 1839 parut, à la date des 31 janvier - 4 mai, une ordonnance royale concernant l’aménagement et l’exploitation des pins maritimes des dunes de Gascogne. Elle autorisait la mise en adjudication de la résine à extraire de 7 540 hectares de dunes boisées déjà soumises au régime forestier et des autres parties de dunes qui seraient ultérieurement remises par les Ponts et Chaussées, au moyen de baux à ferme dont l’Administration forestière fixerait la durée et les conditions. Elle prescrivait aussi de faire des éclaircies pour favoriser l’accroissement des bois et hâter leur mise en rapport.

Par application de cette ordonnance, de 1840 à 1877, l’extraction de la résine fut successivement affermée par baux de 5 ans dans les cantons des forêts assez âgés pour cette exploitation. On pratiqua et le gemmage à mort et le gemmage à vie. À cette époque, l’on commença à payer les résiniers en leur donnant la moitié de la valeur de leur récolte, usage qui se continue de nos jours. Avant 1840, on leur donnait tant du mille d’arbres travaillés. Vers 1840 également, on cessa de cuire la gemme en forêt, dans des chaudières installées sur des fourneaux de maçonnerie, ce qui ne donnait que de la colophane sans essence, et de faire la térébenthine au soleil. Les usines à alambics s’installèrent et fabriquèrent avec les procédés perfectionnés modernes. (V. Notice sur le pin maritime, Lorentz, Annales forestières, 1842).

Durant la période de 1840 à 1877, le prix courant de la barrique de résine (de 235 titres en moyenne), prise en forêt, subit des variations considérables. En 1843, lors des premiers gemmages dans les dunes du Flamand, ce prix était de 30 fr. Il se maintint à peu, près tel jusqu’à l’époque de la guerre de Sécession d’Amérique (1861-1865). Pendant la durée de cette guerre, les arrivages des résines américaines cessèrent à peu près totalement. Les résines françaises, débarrassées alors de cette concurrence, firent prime, et le prix de la barrique atteignit 200 fr. en Médoc. Ce fut pendant quelque temps la fortune du pays; malheureusement les résiniers et les propriétaires de forêts gaspillèrent pour la plupart l’argent qu’ils gagnaient en aussi grande quantité. C’est alors qu’on voyait des ouvriers résiniers ayant touché leur salaire en écus de 5 fr. et se rendant à leur village, se faire accompagner d’un homme qu’ils chargeaient de porter leur argent et dont ils payaient la journée pour cela ! Après la guerre, les importations d’Amérique reprirent. Le prix de la barrique de gemme redescendit brusquement à 50 fr., puis 44, puis 30, et même 35 fr.

Quant aux bois abattus par éclaircies.ils furent le plus souvent vendus en adjudication publique à Soulac, à Vendays, à Lesparre, à Hourtin et à Carcans. Ils ne trouvaient du reste acquéreurs qu’à des prix assez bas, eu raison surtout de la difficulté de leur vidange.

Enfin, l’on ne négligeait pas les produits accessoires, comme la chasse. L’année même de la remise des semis de Soulac, le 21 novembre 1833, l’Administration forestière affermait le droit de chasse dans 1200 hectares de ces jeunes bois, pour 6 ans, moyennant le prix de 360 fr.

Notons aussi qu’une verrerie avait été installée dans le communal de Vendays, près de St-Nicolas, vers 1855. On y faisait surtout des bouteilles en verre clair très appréciées. À proximité et en abondance se trouvaient le sable et le bois, néanmoins cette entreprise s’anéantit de bonne heure.

Telle était la situation des dunes, les Ponts et Chaussées continuant la grande œuvre de Brémontier et avançant de jour en jour dans la fixation des sables mobiles et dévastateurs, l’Administration des Eaux et Forêts prenant ensuite la gestion des bois ainsi créés et procédant à leur mise en valeur, lorsqu’en 1863 intervînt le décret des 29 avril- 16 mai réorganisant les attributions de ces deux administrations et ordonnant qu’à partir du 1er juillet 1862, le service des Ponts et Chaussées cesserait de s’occuper de la fixation des dunes, qui serait désormais entièrement confiée au service forestier. La mesure était rationnelle et excellente. La majeure partie des travaux, en effet, consistait en ensemencements ; les ouvrages d’art (palissades et clayonnages) en formaient une part bien moindre. Ces travaux se trouvaient donc être plutôt de la compétence des forestiers que de celle des ingénieurs. Si ceux-ci, occupés d’ordinaire à des œuvres d’un ordre scientifique tout différent, en avaient d’abord été chargés, c’est que Brémontier, qui avait fait entreprendre la fixation des dunes, était un des leurs.

De plus, la nouvelle attribution des services supprimait bien des tiraillements et de petites difficultés qu’avaient occasionnés auparavant la dualité de catégorie des agents opérateurs et la dualité d’origine des crédits alloués. Ainsi, en 1812, le Conservateur des Forêts, M. Guyet-Laprade, à qui revenait (en l’absence du Préfet) la présidence de la Commission des Dunes lorsque les délibérations de celle-ci portaient sur les travaux de semis ou plantations (article 4 de l’arrêté du 3e jour complémentaire an ix), M. Guyet-Laprade se plaint que l’Ingénieur en chef conserve la présidence de la Commission, non seulement quand celle-ci délibère sur les ouvrages d’art, mais encore lorsqu’elle s’occupe des ensemencements. Il se plaint aussi que le service des Ponts et Chaussées tende à accaparer toute la direction des travaux au détriment de la part qui en revient au service forestier. Et il faut que le Directeur général des Eaux et Forêts et le Ministre, saisis de l’affaire, rappellent la Commission et l’Ingénieur en chef à la stricte observation des règlements en vigueur, faisant droit ainsi aux réclamations du Conservateur.

Lorsque l’Administration forestière fut exclusivement chargée de continuer cette œuvre magistrale, les gros travaux de fixation, nous l’avons dit, étaient terminés ou à peu près en Médoc. L’entreprise Barrau et Gorry pour 1389ha dans Carcans était en cours d’exécution et les agents forestiers n’eurent qu’à surveiller ses dernières opérations et recevoir tout l’atelier.

Cependant à cette époque la région des dunes du Médoc n’était pas boisée absolument partout. Les Ponts et Chaussées et aussi, dans une certaine mesure, le service forestier, avaient fixé tous les sables mobiles ayant quelque importance ou constituant une menace pour les terrains habités ou cultivés, en commençant par les plus mouvants et les plus dangereux. Ils avaient laissé de côté une partie du littoral médocain où les apports de sable venant de la mer étaient très faibles et n’avaient jamais donné naissance à des dunes considérables et envahissantes. Cette portion de la côte est celle comprise entre la pointe de la Négade (ou plus exactement les dunes de la Leudon, aujourd’hui l’Amélie) et le lieu dit de St-Nicolas, près du Junca, portion qui dépend des territoires des communes de Soulac, Grayan, Vensac et Vendays. Elle ne présentait alors, comme aujourd’hui, qu’une rangée de petites dunes, dont la hauteur ne dépassait pas 10 mètres et situées tout au bord du rivage. A l’est, sur une largeur variant de 1 kilomètre à 3 km 500, s’étendaient de vastes lèdes sablonneuses plus ou moins enherbées ou garnies de broussailles, au delà desquelles, tout contre les terres ou les marais, se dressaient de hautes dunes tantôt isolées (piqueys), tantôt disposées en chaîne étroite. Ces hautes dunes seules avaient été fixées par les Ponts et Chaussées (dunes de Martignan, Labiau, Barreyre, Moulineyre, etc.), mais toute la région comprise entre elles et le rivage de la mer se trouvait donc nue ou à peu près.

Malgré la très faible quantité de sables apportés sur cette partie de la côte par la mer depuis la formation de ces grandes dunes et piqueys dont nous venons de parler (formation expliquée au chapitre III), ces sables commençaient, vers 1860, à s’étendre dans les lèdes littorales (Lillan, le Gurp, la Canillouse, Montalivet). Ils en détruisaient les maigres pâturages, et même ils envahissaient quelques-uns des ensemencements faits par les Ponts et Chaussées. L’Administration des Forêts se préoccupa de cette situation. Mais les communes n’étaient pas disposées à laisser l’État mettre la main sur leurs terrains pour les fixer. Elles voyaient bien que cette prise de possession, quoique précaire, deviendrait en fait immuable, en raison de l’impossibilité où elles seraient pour fort longtemps de rembourser à l’État ses dépenses. Aussi pour Vendays un accord amiable intervint. Le 28 mai 1865, les agents forestiers et la municipalité délimitèrent contradictoirement une zone littorale comprenant les petites dunes blanches formées le long du rivage maritime. Cette zone devint propriété définitive de l’État qui s’occupa aussitôt d’achever son ensemencement (terminé en 1876 pour les parties boisées en pins). À l’abri de cette zone de défense, la végétation se propagea dans les vastes lèdes communales. Peu à peu même elles se sont boisées, soit naturellement, soit au moyen de semis entrepris par la commune, et constituent aujourd’hui la forêt communale de Vendays.

La délimitation de la zone littorale de Vendays fut la dernière prise de terrains par l’État en Médoc. Les communes de Vensac et Grayan hésitèrent à faire comme leur voisine, elles prétendirent même se charger de la fixation de leurs sables du littoral et l’Administration n’insista pas, reconnaissant le peu d’urgence de la question. Aujourd’hui encore les choses sont au même point et, sauf quelques semis particuliers ou communaux, la côte de l’Amélie à Montalivet présente toujours de petites dunes et d’immenses lèdes mal garnies d’herbes, de bruyères et d’ajoncs, au milieu desquelles errent les troupeaux de moutons.

Dune littorale. — À côté des grands ensemencements exécutés par le service des Ponts et Chaussées, à côté des travaux divers et des exploitations effectués par l’Administration des Forêts, il était un autre genre d’ouvrage purement de défense, dont il convient de parler maintenant. Pour avoir été tardivement mis à exécution (vers 1851), il n’en a pas moins pris beaucoup d’importance dans la suite et jusqu’à nos jours. C’est de la dune littorale qu’il s’agit. Nous n’avons pas la prétention d’en faire ici la monographie, nous dirons seulement en peu de mots ce qu’est cette dune et comment elle a été constituée en Médoc. Nous engageons le lecteur, désireux d’avoir plus de détails sur ce sujet intéressant et tout spécial et sur les travaux considérables qu’il comporte, à lire les savantes notices suivantes ; La dune littorale (Revue des Eaux et Forêts, année 1875) et Les dunes de la Coubre (imprim. nat. 1878) par M. de Vasselot de Régné, aujourd’hui Conservateur des Forêts ; Les Landes et les dunes de Gascogne (Revue des Eaux et Forêts, 1879 et 1880) par M. Goursaud, inspecteur des Forêts ; la Dune littorale (Revue des Eaux et Forêts, 1886) par M. C. Grandjean, inspecteur-adjoint des Forêts.

On appelle dune littorale une dune artificielle élevée tout au bord de la mer pour recevoir les sables vomis par elle et en défendre les dunes boisées sises à l’est.

À qui revient l’idée de cette sorte de barrage opposé à l’envahissante poussière siliceuse ? Personne, croyons-nous, ne la peut revendiquer tout entière ; comme toujours en ces sortes de choses l’idée ne se constitue et ne prend corps définitivement qu’après avoir été travaillée et mûrie par plusieurs successivement. Le baron de Villers et après lui Brémontier paraissent l’avoir entrevue confusément. Le premier parle de « commencer l’ouvrage du côté de la mer » et d’« arrêter les sables par de légers cléonages ou fascinages », en attendant que les végétaux issus des graines semées leur opposent un « rempart » suffisant. (Prospectus). Le second, moins vague, dit dans son mémoire : « Le premier objet dont il paraît qu’on doive s’occuper pour la fixation absolue et la fertilisation des sables, c’est de les empêcher de s’échapper de la plage et de prévenir les dégâts qu’ils pourraient faire. » Et il propose un ou deux cordons de fascines de 4 ou 5 pieds de hauteur, ou bien un fossé large de 13 pieds et profond de 6. Mais ces défenses littorales que les deux ingénieurs indiquaient ne devaient, dans leur pensée, être que temporaires, leur entretien ne s’imposait pas au delà du temps nécessaire aux semis pour lever et former suivant eux en grandissant un obstacle insurmontable aux sables. En fait, nous l’avons dit, on enfreignit souvent les recommandations de de Villers et de Brémontier, qui voulaient que les travaux allassent de l’ouest à l’est en s’appuyant sur une dune artificiellement élevée auprès de la laisse des vives-eaux ; mais toujours l’on abritait les ateliers par des lignes de défenses (clayonnages ou palissades) à l’ouest, au nord-ouest et au sud-ouest, si les apports sableux étaient à craindre de ces côtés. Ces défenses fonctionnaient comme des dunes littorales. Lorsque les travaux d’ensemencement s’exécutèrent sur les parties des sables les plus rapprochées de la mer, on employa les mêmes moyens de protection et, réalisant partiellement l’idée des deux promoteurs de ces travaux, on établit les palissades ou clayonnages le long de la côte tout prés de la laisse des hautes mers. Mais ce n’était toujours que comme protection des semis les plus voisins et non comme dune littorale pour la défense de l’ensemble, qu’on éleva ces palissades et clayonnages.

Cependant la dune littorale est nécessaire, indispensable partout où les apports sableux de la mer se continuent avec un peu d’abondance. Il est évident que si elle n’existait pas, les végétaux installés sur les terrains contigus à la plage seraient au bout de peu de temps ensevelis et complètement étouffés sous les sables rejetés par les courants marins, et cela d’autant plus rapidement que ces végétaux, directement exposés à la violence des vents de mer, périraient vite ou ne végéteraient qu’à l’étal de touffes ou de buissons incapables d’arrêter des sables. Il est évident aussi que le vent pousserait toujours de plus en plus loin ces nouveaux sables mouvants tout comme ceux précédemment fixés, et qu’ainsi l’œuvre de Brémontier serait compromise et destinée même à une perte certaine. Sur les parties des côtes où ces apports sableux sont nuls ou insignifiants, et telles sont en Médoc les côtes de Grayan, Vensac et Montalivet, la dune littorale était inutile et ne fut pas établie ou conservée. Mais, dans ce qui va suivre, nous n’avons en vue que les portions du rivage maritime, et ce sont les plus considérables, sur lesquelles les vagues rejettent sans cesse, bien qu’en quantités variables, des matériaux que les vents reprennent ensuite après dessication.

Divers systèmes plus ou moins différenciés ont été et sont encore proposés pour la constitution de la dune littorale. On peut les ranger sous deux conceptions principales que divise en définitive le but qu’on se propose. L’une, dérivant de cette idée que l’on doit arrêter absolument les nouveaux sables au pied de la défense littorale et empêcher le moindre grain de quartz de la franchir, comprend une dune très rapprochée de la mer, à pente raide et nue du côté de celle-ci et à pente douce et gourbettée du côté des terres. Selon la bizarre image employée par un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, les partisans de cette idée, comparaient la forme des dunes boisées à celle d’un chien assis et regardant vers l’est (?) et soutenaient qu’avec cette forme les sables ayant marché en avant, il fallait donner la forme inverse à la dune littorale, c’est-à-dire retourner le chien vers l’océan. Ils espéraient qu’avec cette disposition la dune ferait muraille contre laquelle les apports sableux de la mer viendraient buter sans la pouvoir franchir. Cela paraît avoir été l’idée de Brémontier, qui écrit dans son Mémoire de l’an v (§. 48) : « Les nouveaux sables (…) formeront une nouvelle dune (…) qui protégera le terrain et les plantations qui se trouveront après elle, non seulement contre les vents, mais encore contre les efforts de la mer, qu’elle tendra à retenir dans son lit et dont cite diminuera les progrès sur nos eûtes. Cet effet paraît naturel : la dune fixée sera sapée par sa base, les sables éboulés retomberont alternativement sur la plage et seront reportés au dehors. Cette lutte continuelle, cette opposition renaissante doit produire un ralentissement d’autant plus sensible dans les irruptions des eaux, que… » M. Laval, ingénieur en chef, successeur de Brémontier (vers 1845) soutient la même opinion. Ce système est nettement préconisé par un autre successeur du fameux ingénieur, M. Chambrelent, qui écrivait en 1887 dans sa brochure Les Landes de Gascogne (page 93) : « On finit (…) par arriver à une hauteur telle que le sable ne peut plus monter au delà de la palissade. Cette hauteur est généralement de 8 à 10 mètres ; en ce moment la dune littorale a atteint la hauteur qu’elle doit avoir, les sables ne peuvent plus la franchir avec un talus aussi incliné, et s’arrêtent définitivement devant cette barrière.

» Tant que les vents du large soufflent, ces sables restent sur la plage, arrêtés au pied de la dune nouvelle ; mais dès que les vents opposés se lèvent, ils sont rejetés à la mer qui les prend et les renvoie sans qu’ils puissent désormais marcher vers les terres. »

Tout cela est pure utopie. En effet, après un laps de temps de durée variable, le vent d’ouest aura accumulé les sables en si grande quantité contre la dune qu’ils finiront par la dépasser, ou bien on devra donner à cette dune des hauteurs bien supérieures à 10m et tellement extraordinaires que tout le système en sera renversé. Les vents d’est, bien moins fréquents et intenses que ceux du large, seront sans action sur les nouveaux sables qui s’en trouveront d’ailleurs abrités par la dune même. De plus, les vents d’ouest et la mer creuseront et saperont infailliblement la dune, et d’autant plus qu’elle sera plus élevée et plus dénudée, les nouveaux sables passeront par ses brèches ; si bien qu’en admettant la possibilité de cette dune, il faudrait des travaux énormes et dispendieux pour la maintenir et réparer ses continuelles avaries. Ce système, que l’on peut appeler le système des ingénieurs, n’est donc qu’un rêve irréalisable, et tous ceux qui ont étudié un peu la côte et les dunes de Gascogne l’apprécient ainsi.

C’est du reste, en général, folie pour l’homme que de vouloir contrecarrer la Nature et taire plier ses forces irrésistibles. Comment songer à empêcher l’océan de vomir les sables qu’il arrache à ses pro- fondeurs, comment empêcher le vent de les soulever? Mais si l’homme ne peut maîtriser la puissance de la nature, il a la faculté de la diriger et de la faire servir à ses besoins. De même qu’on ne refoule pas un fleuve, mais qu’on le canalise, en y utilisant son propre courant ; de même qu’on ne suspend point les torrents sur les flancs des montagnes, mais qu’on emploie leurs propres apports à constituer des atterrissements qui annihileront ensuite leur force d’érosion ; ainsi pour les sables de la mer, ne doit-on pas tenter de les repousser, mais bien les accueillir en les rendant inoffensifs. C’est là le principe du type de dune littorale opposé à celui que nous avons décrit tout à l’heure. Dans ce second système, on a une dune dont le talus ouest est en pente douce et planté de gourbet clair, et dont le talus est, laissé nu, a l’inclinaison de la terre croulante. Les sables poussés par le vent remontent doucement ce talus ouest, entre les touffes de gourbet, franchissent le sommet de la dune et retombent au delà dans les lèdes littorales. Ils n’y causent pas de dommage, car, s'y épanchant par petites quantités, ils exhaussent le sol assez lentement pour que la végétation herbacée ou arbustive, installée sur ce terrain et protégée du vent de mer par la dune, s’exhausse en même temps (cette végétation se compose du carex, du saule rampant, et surtout du gourbet qui a besoin d’un arrosage périodique de sable). Le talus ouest est préservé de l’action érosive du vent par sa faible déclivité et par le gourbet dont l’espacement permet cependant l’ascension des sables nouveaux. La pente douce a un autre avantage : lorsque les hautes mers atteignent la base du talus, elles y glissent sans l’affouiller. Aussi par ce moyen pourra-t-on arrêter peut-être les empiétements de la mer sur le littoral gascon. Le but est donc ici de rendre l’arrivée des nouveaux sables inoffensive pour la végétation installée au delà.

Ce système, qui est celui de la majorité des agents forestiers et qui s!t trouve appliqué partout aujourd’hui, est, à notre avis, le seul pratique. On n’en peut discuter que les détails, c’est-à-dire les proportions à donner à la dune et les procédés de construction et d’entretien. Une dune haute abrite mieux les plantes qui croissent derrière elle, mais aussi elle offre plus de prise au vent, et pour être solide il lui faut une base large, son volume augmentant par le fait elle devient plus coûteuse d’entretien. Plus la pente ouest est douce, moins le vent a de prise, mais aussi il faut que la base de la dune soit très large pour une hauteur moyenne, ce qui la rend également volumineuse et coûteuse, et de plus les sables nouveaux la franchissent difficilement et la déforment en s’y accumulant en trucs. Avec une pente raide, le volume de la dune peut être très réduit, mais alors le vent la dégrade facilement et les sables ne la franchissent pas. Enfin une dune basse n’exerce pas une protection efficace sur les végétaux qu’elle doit abriter. Il faut donc tout concilier, et nous croyons qu’à cet effet une hauteur de 10m et une pente de 20 %, qui donnent une base de 50m au talus ouest, sont de bonnes moyennes. Du reste, dans la détermination du profil d’une dune littorale, il y a toujours à con- sidérer certains facteurs variables avec les localités, tels que : violence du vent, quantité des apports sableux, forme du rivage, direction moyenne du flot, etc. Nous croyons aussi qu’il y a avantage à ce que le talus ouest de la dune présente non pas une pente absolument rectiligne du sommet à la base, mais un profil légèrement concave, de façon que la pente, assez douce au bas et se reliant insensiblement avec celle de la plage, s’accentue un peu plus vers l’arête du sommet. Le talus prend du reste de lui-même cette forme, qui est celle d’un arc de parabole (y² = 2px, solide d’égale résistance).

L’abri que la dune littorale offre contre le vent de mer aux végétaux croissant à l’est ne s’étend que sur une zone large de dix ou douze fois environ la hauteur de la dune au-dessus du terrain à protéger (soit 100 mètres en moyenne). Au delà le vent frappe avec autant de


La dune littorale au kilomètre 42.

violence. Mais cet abri, bien que peu considérable, est précieux et nécessaire, parce qu’il permet à diverses plantes (herbes, arbustes et

pins) de croître sur les sables des lèdes contigu&s à la dune littorale, de maintenir leur immobilité et de fixer aussi les nouveaux sables qui franchissent la dune sous l’impulsion du vent.

Quant à l’obstacle qu’elle pourrait mettre, même avec une pente douce, aux empiétements de la mer, cet obstacle ne peut exister que si la côte est fixe et ne subit pas d’affaissement, ce qui n’est pas le cas des côtes de Gascogne.

Pour le Médoc, les premières défenses littorales furent élevées en 1851 et 1852 sur la côte de Carcans. Comme nous l’avons dit précédemment, leur but n’était encore que de protéger les semis les plus voisins plutôt que de constituer une dune littorale générale. Elles furent placées si prés de ta ligne des hautes eaux que la première maline qui suivit leur établissement les renversa et emporta le tiers des planches des palissades. Pour éviter le retour de pareil accident, on reporta les palissades un peu plus loin de la mer, mais le système ne fut pas changé. Ces dunes littorales étaient peu élevées, mais sans pentes ni formes régulières, dessinant par leurs arêtes ondulées une série de lignes brisées sans coordination entre elles. On se contentait de les garnir de gourbet sans autre entretien. On ne tarda pas à s’apercevoir, du reste, qu’il n’en pouvait être longtemps ainsi.

Le vent faisait des brèches dans ces défenses, arrachait le gourbet, enlevait le sable, déchaussait les planches et les cordons, ou bien ailleurs les ensevelissait sous des accumulations de sables; parfois aussi la mer y rongeait le pied des dunes et provoquait des éboulements. On réparait alors les dégradations produites, mais pendant ce temps-là d’autres se produisaient à côté.

A partir de la remise intégrale du service des dunes à l’Administration des Forêts, en 1862, les agents chargés du service comprirent que les choses ne pouvaient subsister ainsi et qu’aux palissades partielles établies .sans vue d’ensemble, il fallait substituer une dune protectrice uniforme longeant tout le littoral, dans le double but d’arrêter provisoirement le sable et d’abriter la zone de protection. C’est donc de cette époque que date la dune littorale proprement dite (Rapport de M. l’Inspecteur des Forêts Poucin du 28 mars 1878). Aussi peut-on dire que cette dune littorale est l’œuvre propre du Corps forestier auquel elle fait honneur.

Après l’essai de 1851 à Carcans fait par les Ponts et Chaussées, les agents des Forêts établirent, en 1864 et 1865, trois kilomètres de dune littorale sur la côte du Flamand (Kil. 26 à 29); en 1866 et 1867, 19 kilomètres sur les côtes du Flamand et d’Hourtin (Kil. 22 à 26, 29 à 44), enfin, en 1868, 4 kilomètres à Soulac.

» La dune littorale fut formée dans la Gironde à l’aide de divers procédés essayés tour à tour : clayonnages composés de cordons tressés sur piquets, palissades en madriers jointifs ou en planches laissant entre elles un léger intervalle et que l’on exhaussait au fur et à mesure que le sable amoncelé au pied tendait à les couronner» cordons simples établis en avant de la palissade pour donner du pied à la dune en formation. » (Rapport précité). Cependant les cordons simples paraissent n’avoir été importés dans le cantonnement de Lesparre que vers 1872 par M. Vaney, Garde Général. Notons aussi que, l’exhaussement des planches se disait au moyen de divers appareils : levier et chaîne, bascule à pince, etc., et à l’aide d’une chèvre inventée en 1864, par M. le Conservateur de Monteil, alors Garde Général à Lesparre.

Après divers essais comparatifs, c’est le procédé des palissades en planches espacées de 0m02 qu’on adopta généralement. Ces palissades étaient établies à des distances de la laisse des hautes mers variant entre 25 et 50m, trop près assurément. On gourbettait la dune, mais c’était là tout le travail d’entretien avec l’exhaussement des palissades ou piquets de cordons tressés. Car on exhaussait toujours ces palissades dès qu’elles étaient sur le point de se couronner, quelque fût la hauteur de la portion <le dune considérée. Si bien qu’avec cet exhaussement continuel même sur les trucs et avec les brèches que £ai3aient le vent et la mer, la ligne de faîte de la dune, très irrégulière, présentait en plan vertical une série de hauts et de bas sans cohésion et en plan horizontal une ligne fort sinueuse. Aussi cette dune littorale, à laquelle on n’attachait encore qu’une importance très secondaire, offrait-elle beaucoup de prise au vent et était-elle très dégradée ; de plus, les pentes de son talus ouest étaient devenues très raides, très irrégulières ; en un mot, elle ne remplissait que très imparfaitement le rôle qui lui était dévolu.

Il est d’ailleurs juste de dire que les divers agents qui avaient eu à s’en occuper, ne savaient pas très bien encore quel but ils devaient poursuivre. On hésitait toujours entre les deux conceptions de dune littorale dont nous avons parlé, et la prédominance des idées et des procédés du Corps des Ponts et Chaussées avait été si grande qu’on se hasardait difficilement à les répudier. Vers 1878, les agents chargés des dunes du Médoc, reconnaissant enfin les défectuosités des errements antérieurs et s’en affranchissant complètement, adoptèrent résolument le type de dune littorale à pente douce vers l’ouest, comprirent que la régularité et l’uniformité étaient des conditions essentielles pour l’efficacité de cette dune et la facilité et l’économie de son entretien, et dirigèrent dès lors les travaux dans ce sens. On recula les portions de dune trop proches de la mer, on traça une ligne de faîte régulière et à peu près rectiligne en hauteur et en plan, on écrêta les trucs dépassant soit cette ligne soit la pente normale du talus ouest qu’on prit de 19 à 25 %) on combla les excavations et on renforça la dune là où elle était déprimée. Finalement l'on obtint le parapet régulier et uniforme que la côte du Flamand, d’Hourtin et de Carcans présente aujourd’hui. Ces travaux de régularisation ont coûté assez cher (environ 22 000 fr. par an pour le cantonnement de Lesparre), mais ils étaient nécessaires. L’État a fait là un sacrifice momentané, une avance de fonds, pour ainsi dire, qui sera bien compensée par les économies de l’avenir et l’utilité réelle de la nouvelle dune. Cette transformation s’imposait sur les côtes du Flamand, d’Hourtin et de Carcans, parce que les apports sableux n’ont pas cessé d’être abondants dans ces parages. Il n’en était pas ainsi sur les côtes de Soulac et de Montalivet, où la mer jusqu’à ces dernières années ne rejetait presque plus de sable. Aussi n’y a-t-on pas fait les mêmes travaux de régularisation, car ils étaient inutiles. On y a laissé la dune littorale irrégulière des débuts, se contentant d’en maintenir le gourbet à l’état serré, ce qui a suffi pour la conserver jusqu’ici.

Aliénations. — On a vu quel beau domaine forestier l’État s’était constitué dans les dunes en sauvant le pays de leur envahissement. Il ne devait pas malheureusement le conserver longtemps dans son intégrité. À peine l’avait-il établi que le gouvernement décidait de l’aliéner (Lois des 28 juillet 1860 et 13 mai 1863) sous le prétexte qu’il s’agissait de « bois dont la conservation était inutile au point de vue général, et qui pouvaient être utilement vendus, soit pour être livrés à la culture, soit pour faciliter le développement des établissements industriels ou des centres de population qui les avoisinaient. » Raisons spécieuses d’autant moins applicables aux forêts des dunes que celles-ci, l’État venait de les créer à grands frais dans l’intérêt général ! Et il les vendait comme inutiles au même point de vue ! Il est vrai que ces aliénations ayant coïncidé avec la grande hausse du prix des résines, l’État vendit cher et fil une bonne affaire. Mais ce n’était là qu’une coïncidence exceptionnelle et ces aliénations ne sont pas moins à déplorer en principe, tant au point de vue financier qu’au point de vue forestier. Elles ne pouvaient avoir de motifs rationnels que dans des cas spéciaux et pour des surfaces extrêmement restreintes, comme sur les emplacements des stations balnéaires de Soulac et d’Arcachon.

C’est en effet Soulac qui vit les premières aliénations domaniales en Médoc. Une ordonnance royale de 1839 avait concédé 2 hectares dans la forêt de Soulac, lieu-dit des Olives, au sieur Tronche de Lesparre pour l’installation d’un hôtel et d’un établissement de bains. Cette concession fut transformée en vente le 7 mai 1849, Bientôt après, une décision du Ministre des Finances, en date du 30 septembre 1854, distrayait du régime forestier 16ha 58a 84ca de terrains boisés, qui furent ensuite vendus par l’administration des Domaines en plusieurs adjudications, de 1857 à 1864, pour la somme totale de 307 026 fr. Ces terrains entouraient l’ancienne concession Tronche, le noyau de la ville actuelle de Soulac. À peu près en même temps, de 1863 à 1865, on mettait en vente la majeure partie de la forêt de Soulac, dont M. Lahens acquérait 563ha 75a au prix de 687 312 fr. en même temps que divers particuliers en achetaient 9ha 70a pour 75 681 fr., et la forêt du Flamand (moins la zone littorale), dont M. Léon achetait 3 805ha pour 2 111 111 fr. 41, et les dunes isolées de Grayan et de Vensac, 3 305ha 26a qui trouvaient preneurs pour la somme totale de 224 975 fr.

L’intention du gouvernement avait été d’abord d’aliéner toutes les dunes. Les forêts d’Hourtin et de Carcans eussent subi le sort des précédentes. Heureusement, les pouvoirs publics revinrent sur leur détermination première et les aliénations furent arrêtées.

L’État ne conservait plus dès lors après 1865, en Médoc, que la moitié environ de son domaine primitif, savoir : à Soulac, un massif s’étendant assez irrégulièrement le long de la côte, de la Pointe de Grave à l’Amélie ; au Flamand, les dunes isolées des Frayres et du Beautemps, qui n’avaient pas trouvé acquéreur lors des aliénations, et une zone de protection au bord de la mer, depuis Montalivet jusqu’à la forêt d’Hourtin ; enfin, cette dernière forêt et celle de Carcans formant un massif considérable entre l’océan et l’étang.

Ce domaine s’est maintenu tel jusqu’à nos jours, sauf de petites modifications de détail. En 1874, l’Administration fit procéder aux études ayant pour objet son aménagement, que nous étudierons dans la IIe partie de ce travail. Elle organisait aussi le personnel affecté à sa surveillance et à sa gestion, et construisait ou agrandissait les maisons de gardes.

À ce propos, disons qu’avant 1840, ce personnel se composait de gardes placés à Soulac et au Flamand et d’un garde à cheval résidant à Lesparre, qui dépendaient du chef de cantonnement de la Teste ; celui-ci relevait de l’Inspection de Bordeaux. Après 1840, les travaux de fixation ayant augmenté notablement la surface soumise au régime forestier, on établit un cantonnement à Lesparre, dont le titulaire, un garde général, commandait à une brigade de 3 ou 4 préposés à Soulac et à une brigade plus nombreuse dont le centre était au Flamand. Après les aliénations de 1863, le personnel de Soulac fut réduit à 2 préposés et la brigade du Flamand fut remplacée par celles de St-Nicolas (Flamand), de Grandmont (Hourtin) et de Bombannes (Carcans). Cette dernière passa du reste au cantonnement de Lacanau.

Transformation du pays. — En même temps que les propriétaires des forêts des dunes élevaient leurs bois, en organisaient la gestion et s’efforçaient d’en assurer la mise en valeur, le pays avoisinant profilait de l’heureuse transformation des sables de la côte et se modifiait lui aussi à son avantage. Les cultivateurs qui, au commencement du siècle, délaissaient leurs champs devant les progrès incessants des dunes, avaient repris courage et se remettaient activement au travail. L’existence des nouvelles forêts attirait de nombreux ouvriers, résiniers et bûcherons, et provoquait le développement du commerce et des industries du bois ; de nouvelles scieries, de nouvelles distilleries de résine se montaient. Le réseau des routes s’augmentait en même temps. En 1857, on ouvrait à Soulac le chemin des Olives ; vers 1860, celui de Vendays à Montalivet (Intérêt commun no 94) ; en 1864, on termina le chemin d’intérêt commun no 111 de Gaillan à St-Isidore et au Pin-sec ; vers la même époque les chemins de Soulac à Grayan, Vendays, Hourtin et Carcans; plus tard, en 1880, on construisit le chemin vicinal n° 2 de Cartignac à Grandmont. Beaucoup de ces routes furent établies avec subvention de l’État, et la cession gratuite du terrain fut en outre accordée pour celles qui traversent des forêts domaniales. Enfin, en 1857, on avait entrepris l’abaissement du niveau des étangs et marais, et l’assèchement des terrains voisins. Dès lors les dunes, auxquelles on n’avait pu accéder auparavant qu’en traversant les étangs en bateau ou bien en suivant à cheval de mauvais et longs sentiers à peine tracés au milieu des marécages, les dunes devenaient enfin abordables et cessaient d’être isolées du reste du pays. Et tout et tous y gagnaient : la gestion des forêts, leur surveillance et leur exploitation, qui devenaient dès lors plus faciles ; leurs habitants, gardes et surtout résiniers et résinières qui perdaient les habitudes quelque peu sauvages que favorisait leur solitude pour prendre des mœurs plus policées.

Enfin, l’établissement en 1881 avec subvention de l’État des chemins de fer économiques, ligne de Lesparre à St-Symphorien et ligne de Lacanau à Bordeaux, vint compléter le réseau des voies de communication principales de la région et ouvrir de nouveaux et avantageux débouchés à ses produits forestiers.

Travaux de défense de la Pointe de Grave. — Nous venons de suivre les phases de ce merveilleux changement par lequel des forêts fécondes et bienfaisantes ont remplacé les sables arides et dévastateurs du littoral médocain. Notre étude ne serait pas complète, si nous passions sous silence des travaux spéciaux exécutés sur deux points fort intéressants de l’extrémité de ce littoral : la Pointe de Grave et Soulac.

Nous avons précédemment exposé à quelles attaques les côtes de ’ la Pointe du Bas-Médoc étaient en butte de la part de l’océan. Les progrès incessants de ce dernier forcèrent l’attention des pouvoirs publics et en 1839 des travaux de défense furent entrepris. M. Élisée Reclus, dans sa Géographie universelle, raconte trop éloquemment cette lutte de l’homme et de l’élément neptunien pour que nous ne lui empruntions pas sa narration.

» Tandis que la mer, dit-il, rongeait l’extrémité de la presqu’île, elle cherchait en même temps à en percer la base. Là où se trouve la partie la plus étroite de l’isthme qui réunit les dunes de Grave au Médoc, les flots étaient occupés à creuser une large échancrure connue sous le nom d’anse des Huttes. De 1825 à 1854, la plage re-

culait de 350 mètres. Au moment des basses mers, l’isthme des Huttes, qui se développe entre l’Océan et les marais salants du Verdon, avait encore 400 mètres de largeur, mais à l’heure du flot cette largeur était réduite à 290 mètres, et quand la tempête fouettait les vagues, celles-ci lançaient leur écume jusqu’au sommet des dunes de l’isthme étroit. Encore 25 années d’une marche aussi rapide, et l’Atlantique rompait enfin la frêle digue de sable que lui oppose le continent ; il s’épanchait dans les marais et transformait en île tout le massif de Grave. La Gironde se réunissait à la mer par une deuxième embouchure. Il fallait au plus tôt prévenir la ruine de toutes les propriétés situées sur la presqu’île ; enfin, chose plus importante encore, il fallait laisser aux navires l’abri précaire que leur offre la rade du Verdon, déjà trop exposée à la violence des vents d’ouest.

» Pour protéger la plage de l’anse, on construisit 13 jetées parallèles, longues de 160 à 180 mètres ; ces épis, composés d’argile compacte, revêtus de pierres solidement agencées, et défendus contre l’assaut des vagues par des fascines et des pieux, résistaient à la fois par leur élasticité et la cohésion de toutes leur parties. Cependant tous les épis n’étaient pas de force à tenir contre la mer pendant les jours d’orage. Une jetée céda, puis une autre ; la construction d’une digue parallèle au rivage de l’anse des Huttes fut décidée.

» Pendant le cours des travaux, les orages et les vagues de marée assiégèrent souvent la digue et la rompirent en plusieurs endroits, mais les ouvriers, luttant avec succès contre les flots, purent fermer les brèches et consolider les parties de la muraille qui s’étaient affaissées. En mars 1847, après cinq années d’un combat sans cesse renouvelé entre la nature et l’homme, la digue longue de 1 100 mètres, était enfin achevée, et semblait interdire désormais aux brisants l’approche des dunes. Déjà les ingénieurs se félicitaient de leur œuvre et croyaient avoir dompté l’Océan, lorsque peu de semaines après l’achèvement complet des travaux, une terrible tempête du S. O. déchaîna toutes les eaux du golfe contre la côte du Médoc ; les derniers épis de l’anse furent balayés comme des fétus, et la plus grande partie de l’énorme digue fut rompue, emportée, anéantie par les flots exaspérés. Pour fermer le passage à la mer, on eut à peine le temps de construire, au fond de la concavité du rivage des Huttes, une espèce de pyramide formée d’énormes blocs en béton pesant chacun plusieurs milliers de kilogrammes. Le musoir aux degrés gigantesques résista solidement aux flots qui l’assaillaient, mais l’océan menaçait de le tourner pour continuer au delà son œuvre d’érosion. La plage de l’anse des Huttes avait reculé de 25 mètres, et, bizarres témoins des envahissements de la mer, deux puits qu’on avait creusés et maçonnés dans le sable des dunes, étaient déchaussés jusqu’à la base et se dressaient comme des tours au bord des flots. Enfin il fut résolu qu’au lieu de construire un simple perré, on élèverait contre les flots un véritable brise-mer, prenant son origine à l’extrémité méridionale de la baie, pour aller rejoindre au N. les inébranlables écueils de Saint-Nicolas. En avant de ce rempart, on lança des cubes de bétons du poids de plusieurs tonnes pour former une espèce de talus en pente douce, dont ta longueur est égale à dix fois la hauteur du brise-lames. En outre les clayonnages, menacés par le travail incessant des tarêts, furent peu à peu remplacés par de puissantes digues maçonnées. L’Océan n’a point encore franchi la barrière qu’on lui a posée, et l’on peut espérer désormais qu’il la respectera…

» À la pointe de Grave, la lutte n’a guère été moins vive entre la mer et la volonté de l'homme. Sur la partie du rivage maritime qui s’étend à 2 kil. au S. du cap, quatorze épis, semblables à ceux de l’anse des Huttes, s’avancent dans la mer. À la pointe même l’épi est remplacé par une jetée de 120 mètres de long, composée de blocs artificiels et naturels qu’on a précipités dans les flots du haut des wagons de transport. L’extrémité sous-marine de la jetée se continue au loin sous les eaux par des enlacements de rochers. Telle est cependant la violence des lames que ces rochers, pesant en moyenne 2 tonnes, sont très souvent déplacés par la rencontre du jusant et du flot de marée et sont entraînés en dérive par la direction du large… Irritée de l’obstacle infranchissable que lui oppose le puissant brise-lames de la pointe, la mer s’est acharnée sur la langue de sable qui s’étend en arrière de la jetée. Prenant le rivage à revers, les vagues ont agrandi sans relâche la petite anse du Fort, tournée du côté du fleuve, et de 1844 à 1854, lorsque déjà la plage maritime était à peu prés fixée, celle qui fait face à la Gironde reculade plus de 500 mètres, c’est-à-dire de 50 mètres par an. Encore quelques années et la péninsule amincie était complètement percée, le phare et les autres édifices étaient emportés, et la jetée séparée du continent… Il fallait donc à tout prix fermer le passage à la mer en construisant, à l’anse du Fort, un brise-lames semblable à celui qu’on avait déjà construit à l’anse des Huttes. C’est là ce qu’on a (ait depuis et ce qui permet enfin de faire succéder la période de simple surveillance à la période de lutte qui avait duré déjà vingt années entre l’homme et l’Océan. Les travaux, heureusement complétés, donnent enfin un démenti à la superstition générale qui attribuait aux flots une force irrésistible. »

De 1839 au 31 décembre 1875, il a été dépensé 10 514 625 fr. en travaux de défense à la Pointe de Grave, à Soulac et à l’embouchure du fleuve.

Résurrection de Soulac, déblaiement de l’église. — Nous avons vu que Soulac, le vieux Soulac, envahi par les sables, avait été abandonné par ses derniers habitants vers le milieu du xviiie siècle et qu’en 1744 l’église, à peu près totalement ensevelie, avait été sauvée de la démolition et rendue au roi à cause de son clocher qui, émergeant seul au-dessus de la dune, était un signal précieux pour les navigateurs. Depuis cette époque la solitude et le silence s’étaient faits absolus autour de ce débris du passé sur ces collines mouvantes, tombeau d’une cité jadis prospère. À peine avaient-ils été interrompus momentanément par les travailleurs de Brémontier. Puis ils avaient repris, régnant non plus sur un désert de sable, mais alors sur une vaste forêt naissante.

Cependant, près de cent ans après la perte de Soulac, deux médocains, MM. Magne, médecin à Talais, et Trouche, hôtelier à Lesparre, appuyés par M. Bonnore, sous-préfet de l’arrondissement, pensèrent que cet endroit des dunes, avec sa belle plage maritime, sa forêt de pins et les nombreux souvenirs qui y étaient attachés, serait un agréable lieu de séjour ou de rendez-vous pour les médocains amateurs de bains, de chasse ou d’excursions. En 1839, M. Trouche demanda et obtint la concession de 2 hectares de terrain dans la forêt de Soulac, au lieu dit des Olives, à peu près là où fut bâti ensuite l’hôtel Fontêtes. Il y établit des baraquements en planches formant hôtel. Son entreprise réussissant, les baraques en planches furent remplacées par des bâtiments en briques, puis l’État consentit à transformer la concession en vente le 7 mai 1849. Les aliénations de 1857 à 1864, qui portèrent sur le quadrilatère actuellement limité, au nord par les dunes de l’État, à l’est par les rues de Pointe de Grave et de l’Amélie, au sud par le bois domanial du Gartiou, à l’ouest par la dune littorale de l’État ou le boulevard de la plage (16ha 58a 84ca) et qui furent faites pour faciliter la formation d’une station balnéaire, aidèrent aussi au succès, purement local d’ailleurs, de l’entreprise Trouche. Quelques particuliers se bâtirent pour la belle saison des chalets, de petits pied-à-terre autour de l’hôtel Trouche ; quelques artisans vinrent aussi s’y fixer à demeure ; ainsi naquit l’agglomération qu’on nomma d’abord les bains des Olives.

Un événement considérable vint encore ajouter un attrait aux bains des Olives et contribuer à leur développement. Ce fut l’exhumation de la vieille église, exhumation entreprise en 1859.

Il a été expliqué comment les sables, dans leur marche continuelle, après avoir entièrement recouvert l’église, en avaient laissé reparaître l’extrémité, et que le clocher, en forme de tour carrée, servait de balise pour la navigation. Aussi veilla-t-on toujours à sa conservation. Dans les premiers temps on le peignait en blanc, ainsi que la façade ouest de l’église dans sa partie supérieure, afin de les rendre plus visibles du large. En 1859 l’administration des Ponts et Chaussées installa sur le haut du clocher un signal en bois d’aspect fort original, qui augmentait la visibilité de la balise. Malheureusement pour le cachet étrange qu’il donnait à l’édifice, ce signal vient d’être enlevé en 1894.

L’administration des Forêts était plus intéressée encore que celle


Façade principale de l'Église de Soulac avant le déblaiement
(d'après une lithographie d'avant 1858).

des Travaux publics à la conservation de la tour de la basilique, car

dès 1833 elle y avait installé un de ses gardes préposé à la surveillance des semis des dunes de Soulac. Cette tour était en effet un logement tout trouvé, bien que peu confortable, et dispensait l’Administration de bâtir sur ce point une maison de garde.

Nous extrayons d’un rapport du Garde Général des Forêts à Lesparre, en date du 22 mars 1859, les renseignements suivants sur l’église et le clocher de cette époque : « La vieille église de Soulac est enfouie depuis plusieurs siècles sous les sables des dunes jusqu’à la hauteur des voûtes du corps de cet édifice. Ces voûtes, rompues sur plusieurs points, ont donné passage au sable qui a presque entièrement rempli l’intérieur. Au-dessus du sol s’élèvent seuls l’abside et le clocher. Les murs de ce dernier sont en assez bon état de conservation. Il sert de logement au garde du triage no 2 du cantonnement de Lesparre et de balise pour la navigation. Il vient d’être établi au sommet de ce clocher par les soins de l’Administration des Ponts et Chaussées un mât de 13 mètres de hauteur en exécution d’une décision de S. Ex. le Ministre des Travaux publics en date du 10 juin dernier. Pour cette opération la rampe en fer dont l’Admon des Forêts avait entouré la terrasse a été remplacée par une élévation des murs d’un mètre environ, 4 forts poteaux enchâssés dans ce mur supportent un égal nombre de pièces de bois disposées selon les arêtes d’une pyramide quadrangulaire du sommet de laquelle sort le mât qui repose sur deux poutres placées en croix sur la terrasse.

» Pour approprier le clocher au logement du garde, il a été construit au niveau des voûtes une cuisine et au-dessus deux chambres superposées auxquelles conduit un escalier extérieur protégé par un appentis en bois. Cet appentis, l’escalier et les planchers sont en assez mauvais état et devront être refaits avant longtemps.

» Quant à l’abside, ce qu’il reste des murs et de la voûte est dans un état complet de dégradation…

» On y remarque partout (dans les ruines) un grand nombre de lézardes et l’absence de beaucoup de pierres dont les unes ont été arrachées par main d’homme, les autres se sont écroulées sous le poids des sables qui les recouvraient anciennement et que les vents d’ouest ont ensuite poussés vers les terres. »

La Commission des monuments historiques appréciait l’intérêt archéologique et artistique que présentait la basilique de Soulac et elle avait songé à la déblayer ; mais les difficultés de l’entreprise et le peu de confiance qu’inspirait la solidité de l’édifice lui avaient fait renoncer à cette idée. On lit dans un rapport présenté, en 1847, au Préfet de la Gironde par cette commission et rédigé d’après les notes prises sur les lieux par M. Rabanis en 1842 et M. Durassié, architecte agrégé, en 1846 : > Eglise de Soulac.

> Malgré son état de ruine, malgré les sables des dunes sous les*

> quelles elle avait autrefois totalement disparu et dont les mouve-

> ments en ont rendu au jour seulement quelques parties, cette église

> est encore, non seulement par son effet pittoresque, mais aussi par

> Tampleur de son style, une des plus remarquables de la fin de la

> période romane.

> Des différences de niveau et des caractères architectoniques bien

> tranchés accusent deux époques différentes, l’une pour le corps du

> bâtiment qui est roman, Tautre {four Tabside qui est du xiv*

> siècle.

> Corps de Téglise 32"^ de long sur 18" de large divisé en trois nefe;

> celle du centre de 7" de largCj les deux autres de 4"5o, non com-

> pris l’épaisseur des piliers.

> Voûtes divisées dans le sens de la longueur en 5 travées par 4

> rangs de piliers à section carrée ou rectangulaire.

> L’abside de même largeur que la nef centrale 7" ; profonde de 1 1",

> terminée à l’est par 3 pans coupés; à deux travées; flanquée au

> nord d’une pièce de même époque ; voûtée comme l’abside à nervures

> ogivales. Au sud de l’abside, dépendance dans laquelle se trouve

> logée la tour de l’escalier.

> Sur la face ouest, on remarque le sommet des nervures de la porte » d’entrée, laquelle est ogivale du xiv* siècle, bien que les autres par-

> ties soient romanes.

» Sur l’angle nord-ouest, chocher servant d’habitation à un garde

> forestier et utilisé aussi comme balise pour la navigation. Cette

> dernière circonstance détermina l’acquisition de cette église par le

> roi en 1744, moyennant la somme de loooo^»^.

» La différence d’élévation entre l’abside et le reste du bâtiment est

> une circonstance assez remarquable. L’abside s’élève de plus de 9"

> au-dessus du corps de l’église.

> Souvent la Commission s’est occupée de rechercher s’il ne conr

> viendrait pas d’entreprendre le déblayement de ce monument. Mais

> elle a fini par s’arrêter devant les difficultés, les dangers même

> qu’il y aurait de mettre à découvert des parties enfouies depuis des

> siècles dans le sable. Tout ce qu’il y a à faire, c’est de respecter ces

> précieux débris et de ne pas en hâter la ruine complète. > Beaucoup partageaient l’avis de la Commission. Ils pensaient que

les sables étaient très salés, que le sel avait dû ronger les pierres et les mortiers, que dès leur mise à l’air les maçonneries se couvriraient de salpêtre et ne tarderaient pas à se déliter, achevant la ruine de tout le monument.

Heureusement pour ce dernier, l’idée du déblaiement avait trouvé un partisan convaincu et enthousiaste qui était loin de partager les craintes pessimistes du public. C’était le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux. Il avait foi en la c résurrection de la belle église de y N. D. de la Fin des Terres», comme il disait, et s’y employa active- ment. A force de démarches, il oblinl que le Ministre autorisât à titre d’essai un commencement de déblaiement et allouât en miîme temps un crédit de 5000 francs pour la conslniction d’une maison fo- restière destinée à remplacer le logement du clocher. C’est en octobre 1859 que furent commencés les travaux. En décembre, on avait ouvert une tranchée, de 4 à 5 mètres de largeur à sa partie inférieure, dans la dune qui obstruait le côté ouest de l’église, 00 avait découvert la porte de cette façade et extrait à rinlérieur le sable qui encombrait les 3 premières travées. Les parties de l’édifice ainsi remises au jour se montrèreut en bon état de conser\’ation, démentant les craintes que cette exhumation avait fait concevoir à plusieurs pour la solidité du monument.

La réussite de ces premiers travaux détermina eu [S60 l’Etat à res- tituer la basilique au culte. Dès cette année, le aoavTil, le cardinal Donnet vint lui-même célébrer la première messe dans le vieux sanc- tuaire ressuscité.

Oti autorisa, après abatage des bois, le déblaiement tout autour de rédifice. Le D’ Kérédan suivit passionnément ces travaux et les relata dans son ouvrage Soalac el sa plage (1861). « \x déblai de Notre

> Dame de la Fin des Terres, dît-il, a coûté de longues fatigues et de 1 longues sueurs. Sables dans l’intérieur de l’édifice jusqu’au sommet ï des haulcs murailles, sables par-dessus les voùti-s, sables partout.

> Des pins avaient puisé leur nourriture dans les crevasses de l’édi- ï fice; l’un d’eux envoyait des prolongements dans l’escalier de la

> tour et semblait suivre amoureusement son circuit. Au commence-

> racnt des travaux, nous avons pénétré dans l’église par les croi-

> secs

> Maintenant que le déblai est presque terminé, le visiteur qui fran- » chit le seuil de la porteogivale duxiV siècle s’arrête frappé de sur-

> prise et d’admiration Trois belles nefs en plein cintre, effon-

1 drécs en partie par les sables ; les vestiges d’une voûle et d’une 1 abside gothique, minées par le même ennemi ; des socles, deschapi-

> teaux, des moulures d’un iravailachcvé et parfaitement conservées; » au fond du chœur l’autel de Pey-Berland ; de chaque côté, quatre » piliers soutenant cinq arceaux ; tel est le spectacle aussi saisissant 1 qu’inattendu qui s’oflfre au regard. Mais à mesure que le visiteur

> s’avance dans l’église, la tristesse s’craparc de lui Des masses

» de pierres se sont détachées des nefs Au lieu de la voûte en

» plein-cînlre, il aperçoit la voûte bleue du firmament.

» Le dallage formé par les sables et sur lequel on marche à cette

> heure n’est plus qu’à deux mètres du dallage véritable. A chaque » travée on découvre des ossements, des pierres sculptées, des figures »dc bois peintes, etc. Un squelette entier a été trouvé devant le » maitrc-autel. Il y a quelques jours, de belles moulures se sont déta- » chées du choeur. >

Le dégagement de l’édifice se poursuivit d'année en année, mais assez lentement, en même temps qu’on y e£effectuait les travaux de restauration indispensables et qu’on plaçait au-dessus des voûtes une couverture en ardoises. Mais le déblaiement n’a pas atteint le sol primitif de l’église, le dallage du xie siècle. On en est encore aujourd’hui à 3m20, au niveau du sol du xiiie siècle. Sous le plancher actuel, une nappe d’eau abondante a empêché de descendre davantage. Le désensablement coûta plus de 160 000 fr. fournis uniquement par des souscriptions particulières, sauf 10 000 fr. qui furent alloués par le département.

Le 20 février 1872, l’Administration des Forêts remit à celle des Domaines l’église érigée en paroisse par décret du 7 août 1867 et près de 2 hectares de terrain environnant pour être aliénés. Après bien des difficultés, la commune vient d’en faire l’acquisition. Un arrêté ministériel du 20 juillet 1891 a classé l’église parmi les monuments historiques.

La restauration de cette vieille basilique contribua au développement de la petite ville dont les bains des Olives étaient l’embryon. L’établissement du Chemin de fer du Médoc, en 1875, y aida aussi énormément. Enfin, des notables du pays s’y employaient de leur côté, et lorsque M. Lahens consentit à vendre des emplacements pour bâtir dans sa forêt qui enveloppait les Olives, l’extension de cette petite station balnéaire devint rapide.

Tous les ans, de proche en proche, des arbres ont été abattus, de coquettes villas ont été bâties, la forêt a reculé. Là où, il y a seulement trente ans, les vents agitaient la verte frondaison des pins sombres et monotones, une jolie ville s’épanouit en gais chalets ; elle a repris le rang de chef-lieu de la commune et s’intitule Soulac-sur-mer. C’est la résurrection de l’ancien Soulac qu’a si longtemps dominé la vieille basilique rajeunie, peut-être la résurrection de l’antique Noviomagus !


Nous voici au terme de notre voyage à travers les âges sur le littoral médocain. Nous avons vu tour à tour ce pays, couvert d’abord d’épaisses forêts, s’ouvrir à la civilisation romaine, se défricher, creuser des ports fréquentés et bâtir des villes florissantes sur ses rives accessibles et riches ; puis subir les ravages des invasions barbares et ceux plus terribles encore des éléments qui commencent à l’attaquer. Les barbares, eux, disparaissent vite et le pays répare ses ruines sous l’influence bienfaisante des moines et sous la protection, rude souvent, des seigneurs. Mais sa prospérité n’est que relative, son plus terrible ennemi, l’Océan, n’a pas désarmé. Chaque année marque un progrès nouveau de sa part ; la vague et le sable avancent sans relâche ; les pauvres cultivateurs n’arrivent pas à gagner sur le fleuve ce qu’ils perdent du côté de la mer. Peu à peu le pays succombe dans cette lutte inégale ; l’océan lui arrache de vastes surfaces et un linceul de sable recouvre des territoires plus vastes encore. Enfin des bienfaiteurs de l’humanité trouvent le moyen d’arrêter cette nouvelle invasion. Brémontier s’empare de l’idée et entreprend l’œuvre colossale de la fixation des dunes. Il réussit à souhait. Le désert de sable, le linceul devient lui-même une source de vie et la prospérité s’installe à nouveau sur les ruines. N’est-ce pas la justification de la sentence du vieil Héraclite : « Πάντα ῥέει, tout change, » et du vers plus consolant d’Horace : « Multa renascentur quæ jam cecidere » ?


Un autre objet s’offre maintenant à nos études, le littoral actuel avec sa configuration et ses richesses forestières.