Étude sur la convention de Genève pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864 et 1868)/02/03

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Art. 3. Les personnes désignées dans l’article précédent pourront, même après l’occupation par l’ennemi, continuer à remplir leurs fonctions dans l’hôpital ou l’ambulance qu’elles desservent, ou se retirer pour rejoindre le corps auquel elles appartiennent.

Dans ces circonstances, lorsque ces personnes ces- seront leurs fonctions, elles seront remises aux avant-postes ennemis par les soins de l’armée occupante.

Art. 1er. (Additionnel.) Le personnel désigné dans l’article 2 de la Convention continuera, après l’occupation par l’ennemi, à donner, dans la mesure des besoins, ses soins aux malades et aux blessés de l’ambulance ou de l’hôpital qu’il dessert.

Lorsqu’il demandera à se retirer, le commandant des troupes occupantes fixera le moment de ce départ, qu’il ne pourra toutefois différer que pour une courte durée en cas de nécessités militaires.

Art. 2. (Additionnel.) Des dispositions devront, être prises par les puissances belligérantes pour assurer au personnel neutralisé, tombé entre les mains de l’armée ennemie, la jouissance intégrale de son traitement.

§ 1. L’article 3 de la Convention complète l’article 2 et en forme en quelque sorte le corollaire. Il développe les effets de la neutralité, expliquant ce qu’il adviendra du personnel sanitaire lorsque, après avoir été protégé et respecté au moment de la lutte ou de l’occupation, il se trouvera en dedans des lignes ennemies[1]. Il s’agit toujours de ne pas interrompre le fonctionnement du service de santé et de permettre tout particulièrement après un combat, sur le champ de bataille où les secours sont presque toujours insuffisants, le concours simultané des ambulances des deux partis[2]. Est-ce là une utopie, comme quelques-uns l’ont prétendu[3], ou cet idéal est-il réalisable, comme des juges fort compétents l’ont affirmé ? C’est ce qu’une guerre future, si l’on ne parvient pas à l’éviter, pourra seule nous apprendre. En attendant, les Comités de secours allemands, réunis à Würzbourg en 1867, ont demandé l’insertion dans la Convention d’une phrase stipulant expressément que « le personnel du corps sanitaire et les voitures d’ambulance pour transporter les blessés, continueront à fonctionner sur le champ de bataille, même après que celui-ci aura été occupé par l’armée victorieuse[4]. » La Conférence de Paris a appuyé elle-même cette requête, mais la Conférence de Genève n’y a pas fait droit, Aucune proposition dans ce sens ne lui a été soumise, en sorte qu’elle n’a pas eu besoin de l’écarter, mais nous doutons fort qu’elle l’eût accueillie favorablement ; elle eût. plutôt partagé le sentiment de ceux qui pensaient qu’un texte pareil rencontrerait dans la pratique des difficultés insurmontables[5] et que, sur ce point spécial, il valait mieux ne pas pousser trop loin la réglementation. Il n’est cependant pas hors de propos de remarquer qu’après un engagement, c’est toujours du côté de celui qui reste maître du théâtre du combat que se trouve le plus grand nombre de blessés, amis ou ennemis, et que, comme la Convention l’oblige à les soigner avec une égale sollicitude (art. 6), le vainqueur est le premier intéressé à ce que le vaincu lui prête son concours dans ce pressant besoin. Le duc de Wellington le sentit bien lorsque, commandant en chef l’armée anglo-portugaise en 1809, au moment de la retraite d’Oporto, il eut sur les bras tous les blessés de l’armée française ; aussi fit-il demander à celle-ci des chirurgiens auxquels il accorda des sauf-conduits pour leur venue et leur retour. Le docteur Landa a rappelé que, déjà en 1187, le sultan Saladin, après s’être emparé de Jérusalem, avait permis aux chevaliers de l’Hôpital d’y venir soigner les chrétiens blessés[6].

Le docteur Löffler a tiré aussi des conclusions favorables à cette idée, de la manière dont les choses se sont passées à la bataille de Königgrätz[7]. Il a rappelé d’abord une lutte opiniâtre de cinq heures entre deux armées placées en face l’une de l’autre, sur deux fronts de bataille très-étendus, sans beaucoup de changements de positions. En arrière de chacun de ces fronts, les ambulances autrichiennes et prussiennes en pleine activité, et les places de pansement ainsi que les dépôts provisoires se remplissent bientôt d’hommes mutilés et grièvement blessés. Puis les attaques de flanc du 2e corps d’armée prussien et de l’armée de l’Elbe ébranlent les lignes autrichiennes, le choc impétueux du centre prussien achève la défaite. L’armée autrichienne fait sa retraite au delà de l’Elbe emmenant ses ambulances, mais laissant privés de tout secours ses places de pansement et ses dépôts provisoires, sans compter des milliers de blessés incapables d’arriver même à ces points et disséminés sur le champ de bataille. Les troupes prussiennes victorieuses arrivent jusqu’à eux, mais les dépassent aussitôt marchant sur les traces de l’ennemi, les ambulances prussiennes restant retenues sur leurs points primitifs d’établissement, par la tâche énorme qui leur incombe déjà. Après des marches forcées, entravées par des obstacles de tout genre, les hôpitaux de campagne de la deuxième armée arrivent enfin sur le champ de bataille, mais eux-mêmes à leur tour, retenus par l’énorme quantité des victimes du carnage de la journée, ne peuvent s’avancer jusqu’aux points qu’occupaient les lignes autrichiennes.

Et cependant jamais armée en campagne n’a été plus richement pourvue de moyens de secours pour les blessés, en vue d’une grande bataille, que ne l’était l’armée prussienne à son entrée en Bohême en 1866. On peut donc affirmer que jamais, dans un cas aussi grave, les ambulances de l’armée victorieuse ne réussiront à assister à temps les blessés restés en arrière des lignes primitivement occupées par l’armée en retraite. Il faut donc que la Convention de Genève ait pour résultat que les ambulances de l’armée battue ne quittent plus avec elle le champ de bataille, mais tiennent ferme en place au milieu de la déroute générale, jusqu’à ce que le vainqueur soit en état de les relever de leur tâche et de les renvoyer à leur armée.

Nous en sommes, nous aussi, très-convaincu, mais il nous semble que la Convention y a suffisamment pourvu, soit en neutralisant le personnel sanitaire, soit en exigeant qu’il reste à son poste (art. 1er addit.), soit enfin en empêchant l’ennemi de s’emparer du matériel de l’ambulance (art. 4).

§ 2. L’article 3 accorde au personnel sanitaire la faculté de continuer à remplir ses fonctions dans l’hôpital ou dans l’ambulance qu’il dessert, ou de se retirer pour rejoindre le corps auquel il appartient. Il ne peut donc être fait prisonnier, et c’est là, surtout en ce qui concerne les secoureurs volontaires dont les services auront été agréés, un point capital, car beaucoup de gens qui, par charité, braveraient la mort sans sourciller, reculeraient certainement devant la perspective d’une captivité plus ou moins prolongée.

On s’est demandé, cependant, si c’était faire assez pour les blessés que de laisser au corps sanitaire la faculté de rester ou de s’en aller. Quelque assurance qu’aient des médecins, et à plus forte raison des employés subalternes, qu’ils ne seront pas maltraités par l’ennemi, ils préféreront toujours ne pas tomber entre ses mains et, si on les laisse complètement libres dans leur choix, il est fort possible qu’ils inclinent prématurément pour la retraite, se fiant à l’humanité de l’adversaire pour pourvoir aux besoins de leurs compatriotes. Dans cette hypothèse le but de l’article ne serait pas atteint.

C’est ce que l’on a vu, par exemple en Bohême, en 1866[8]. Les médecins autrichiens faits prisonniers au combat de Gitschin se refusèrent à séjourner auprès des nombreux blessés de leur armée qui étaient restés sur le terrain, prétendant qu’en vertu de la Convention on ne pouvait les retenir, et qu’ils avaient le droit d’être immédiatement renvoyés à leur corps. Aussi a-t-on témoigné le désir qu’il fût imposé dorénavant, au personnel neutralisé, l’obligation de ne se retirer que lorsque ses soins seraient superflus[9]. Ce vœu a été exaucé en 1868, et l’article 1er additionnel a modifié dans ce sens la Convention, déclarant que le personnel en question continuera (et non pourra continuer) à fonctionner au même lieu. Cette disposition n’a fait que généraliser, et transformer en un devoir réciproque, une prescription inscrite déjà dans les règlements militaires de plusieurs nations[10], notamment de l’Italie, de la Prusse et du Wurtemberg. Le docteur Langenbeck a affirmé et prouvé, par plusieurs exemples, que, même avant que l’on songeât à neutraliser le personnel sanitaire, les peuples du Nord n’admettaient pas qu’un médecin laissât ses blessés sans secours sur le champ de bataille[11].

§ 3. La Convention, en reconnaissant la neutralité du personnel sanitaire, a laissé dans l’indécision un point assez délicat, que le deuxième article additionnel a pour but d’éclaircir.

À proprement parler, les individus auxquels s’étend cette faveur ne sont pas véritablement neutres, dans le sens légal du mot, car alors ils ne devraient rien avoir à démêler avec l’autorité militaire et l’ennemi n’aurait pas à s’occuper d’eux, tandis que la Convention règle leurs, rapports, et leur impose des devoirs réciproques. D’autre part, ils ne sont pas prisonniers, puisque c’est en cela précisément que consiste leur privilège. Ils constituent donc une catégorie à part, une classe de personnes d’une espèce nouvelle, tenant le milieu entre les neutres et les prisonniers, et que l’on a préféré désigner sous le même nom que les neutres dont ils se rapprochent, plutôt que d’inventer une expression mieux appropriée qui faisait défaut. Quoi qu’il en soit, le personnel sanitaire ne saurait être traité ni comme neutre ni comme prisonnier[12], et il eût été sage de poser à cet égard les limites de son droit, afin de mettre obstacle, soit à des prétentions excessives de sa part, soit aux privations que l’ennemi trouverait son compte à lui laisser endurer. Cette dernière éventualité est tout particulièrement à éviter, car le médecin ou le fonctionnaire, obligé de continuer son service dans des conditions plus dures qu’à l’ordinaire, a d’autant plus besoin de soutenir ses forces par un entretien convenable, et s’il advenait que cette nécessité fût méconnue par celui de qui il dépend temporairement, il ne pourrait que faire appel à sa pitié en l’absence d’un engagement international. Ce cas s’est présenté, par exemple, après le combat de Jicin (29 juin 1866) sans aucune mauvaise intention, du reste, de la part des vainqueurs, mais par le fait seul d’une fausse position. Des médecins autrichiens, restés auprès de leurs blessés, se trouvèrent sans ressources pour subvenir à leur propre existence[13].

Le législateur de 1868 y a donc pourvu, en prescrivant que le personnel sanitaire, tombé entre les mains de l’ennemi, aurait la jouissance intégrale de son traitement[14]. Il va de soi que ce traitement sera fourni par l’ennemi, sauf règlement de compte et remboursement à la fin de la campagne[15], si l’un ou l’autre des belligérants le demande. Il est bien entendu aussi que le traitement comprend, outre la solde proprement dite, toutes les prestations accessoires sans lesquelles parfois elle serait insuffisante[16], notamment les subsistances qu’un individu isolé ne peut se procurer lui-même, et pour lesquelles on ne peut non plus attendre le jour de paye[17].

Le deuxième article additionnel n’est cependant pas tellement clair que des doutes ne puissent s’élever sur son interprétation. En assurant à chacun la jouissance de son traitement, a-t-on voulu parler du traitement dont chacun jouissait dans sa propre armée[18] ? Cette supposition est plausible, mais rien ne prouve qu’elle soit la traduction fidèle de la pensée du législateur. La raison, d’ailleurs, à défaut d’indices certains, ne confirme pas cette interprétation. Un commandant en chef consentira difficilement à rétribuer plus largement, à grade égal, un neutre dont l’entretien lui incombe, que son propre ressortissant. D’autre part, on n’en trouverait point non plus qui fût disposé à rembourser à l’ennemi l’entretien de ses ressortissants, dont il a été privé, sur un pied plus élevé que s’il les avait conservés auprès de lui. Or, suivant le taux des traitements chez l’un et chez l’autre des belligérants, on viendrait constamment se heurter à l’un ou à l’autre de ces écueils, si l’on posait en principe que le tarif en vigueur dans l’armée occupante ou que celui de son ennemie servira de norme dans ces conjonctures. Le seul système pratique consiste à adopter le tarif de celle des deux armées où les traitements sont le plus faibles et à attribuer à chacun, sur cette base, le traitement afférent à son grade.

§ 4. Jusques à quand les personnes désignées dans l’article 2 séjournent-elles chez l’ennemi[19] ? La Convention ne le précise pas et leur laisse la faculté de rester ou de se retirer quand bon leur semble. Elle admet implicitement que l’on peut compter sur leur dévouement et sur leur désir de se rendre utiles, pour guider leur choix conformément à l’intérêt des blessés. Mais l’article 1er additionnel est plus catégorique, et il devait l’être du moment qu’il imposait au personnel sanitaire l’obligation de rester à son poste. Après avoir posé ce dernier principe, il était nécessaire de faire une réserve pour le cas où le personnel hospitalier excéderait les besoins du service[20], car il est évident qu’on ne songeait pas à l’y astreindre sans nécessité. Il ne continuera donc, que dans la mesure des besoins, à donner ses soins aux blessés et aux malades de sa nation, mais ce sera toujours lui-même qui sera juge de cette mesure et de l’opportunité de sa retraite.

Quand nous disons que le personnel neutralisé appréciera lui-même la situation[21], ce n’est pas que nous estimions que ce droit appartienne à chacun des individus qui le composent. La subordination hiérarchique subsistera dans chaque groupe sanitaire, même chez l’ennemi, et, là comme ailleurs, ce sera toujours la volonté des supérieurs qui prévaudra. Plus on s’éloignera du jour de la bataille, moins les besoins seront nombreux, et ainsi le chef d’hôpital graduera proportionnellement, à son gré, la diminution du personnel placé sous ses ordres, en le renvoyant peu à peu auprès de son armée.

§ 5. Le retour ne s’effectuera pas cependant, sans que le commandant des troupes occupantes en ait été instruit et l’ait ratifié. On conçoit très-bien, en effet, qu’à un moment donné, il puisse considérer ce renvoi comme nuisible au succès de ses opérations, si, par exemple, les gens qui veulent se retirer sont initiés à quelques préparatifs que l’ennemi doit ignorer à tout prix. Comme les intérêts stratégiques doivent primer les mesures humanitaires et, à plus forte raison, celles de simple convenance, il a bien fallu admettre que, quoique un général ne puisse pas mettre obstacle au départ du personnel sanitaire tombé entre ses mains, toute fois, en cas de nécessités militaires, il aura le droit de le différer, mais pour une courte durée seulement[22] c’est-à-dire tant que dureront ces nécessités, qui sont passagères par essence, et ne se prolongent guère au delà de quelques jours.

Cette concession n’infirme point le principe du libre arbitre des personnes neutralisées, et ce serait se faire une très-fausse idée des intentions du législateur que de voir dans ces mots : le commandant des troupes occupantes fixera le moment du départ, la preuve que médecins et infirmiers sont à la merci de leur ennemi[23]. Le deuxième alinéa de l’article 1er additionnel est, au contraire, dans son ensemble, éminemment favorable aux neutres, puisqu’il limite la durée de la retenue, tandis qu’à défaut de cette phrase, le commandant ennemi pourrait à la rigueur éluder ce que l’article 3 aurait de gênant, en se retranchant derrière des convenances ou des instructions dont il n’aurait de compte à rendre à personne. Le droit naturel et primordial pour tout belligérant de régner en maître absolu sur le territoire, ainsi que sur les ennemis qui sont dans sa dépendance, n’aurait reçu aucune atteinte et continuerait à exister dans toute son intégrité.

§ 6. Enfin le mode de repatriement des neutres est soigneusement indiqué dans l’article 3[24]

Le deuxième paragraphe de cet article pare à un danger qui n’est pas aussi imaginaire que l’on s’est plu parfois à le représenter[25]. C’est celui de l’espionnage.

« L’espionnage, dit le docteur Landa, a perdu toute son ancienne importance : l’on possède assez de renseignements topographiques et statistiques pour connaître le pays ennemi et ses ressources ; la rapidité des moyens de communication et la grandeur des armées ôtent toute valeur aux nouvelles de détail ; que pourrait d’ailleurs reconnaître un misérable espion au milieu d’armées colossales dont les chefs eux-mêmes ont de la peine à se rendre compte de l’ensemble des opérations ? Ainsi les généraux n’ont plus besoin de perdre leur temps et leur dignité, à entendre raconter les contes bleus que leur vendaient chèrement autrefois quelques malheureux ou quelques fripons[26]. »

La confiance de l’honorable écrivain que nous venons de citer n’est pas, hélas ! partagée par tout le monde. Laissant de côté, si l’on veut, les espions proprement dits, il est permis de penser qu’un médecin, revenant de chez l’ennemi à un moment donné, pourrait rapporter à ses chefs des informations très-précieuses à recueillir[27].

Au lieu donc de délivrer un sauf-conduit à ceux qui se retirent, et de les laisser circuler librement dans les lieux occupés par l’ennemi avant de retourner chez eux, on leur donnera une escorte qui les remettra directement aux avant-postes de leur armée. Il nous semble que cette garantie, jointe à celle dont nous avons déjà parlé et qui réserve au commandant en chef le droit de fixer le moment, du départ, est de nature à rassurer les plus timorés.

La Conférence de Würzbourg avait demandé quelque chose de plus. Sur sa proposition, la Conférence de Paris inscrivit vainement au nombre de ses vœux un paragraphe ainsi conçu : « Si le personnel sanitaire et administratif manquait aux devoirs que sa neutralité lui impose, il serait soumis aux lois de la guerre[28] » On craignait, disait-on, que ce personnel ne péchât par ignorance de ses devoirs ; il fallait l’éclairer. Mais la phrase que nous venons de citer ne prescrit aucun devoir et n’est qu’une disposition comminatoire destinée à prévenir des infractions, en rappelant les conséquences qu’elles entraînent. Sans utilité réelle, elle aurait pu blesser la susceptibilité du corps médical, auquel on doit supposer assez de loyauté pour observer fidèlement les règles du droit des gens, sans y être contraint par des menaces, et nous comprenons très-bien qu’on l’ait abandonnée.

§ 7. M. le docteur Michaëlis ayant prétendu que la Convention est inexécutable, M. le docteur de Corval a combattu son opinion en donnant des détails très-circonstanciés sur un épisode, invoqué par le docteur Michaëlis à l’appui de sa thèse, et qui a trait en partie aux dispositions de l’article 3. La question en elle-même est trop intéressante pour que nous hésitions à relater ici, à notre tour, les faits qui ont donné lieu à cette polémique, et sur l’exactitude desquels, du reste, tout le monde est d’accord[29].

Le matin du 24 juillet 1866, la compagnie sanitaire badoise, dont faisait partie M. de Corval lui-même, reçut l’ordre de transporter à Tauberbischofsheim les blessés de Hundheim. On détacha dans ce but une partie de la compagnie ; le détachement arriva vers midi à Tauberbischofsheim, déposa ses blessés à l’hôpital civil, puis se mit en route pour rejoindre sa division. À peine avait-il quitté la ville, que les Prussiens, placés sur les hauteurs, ouvrirent contre lui un feu d’artillerie, et bientôt il marcha au milieu d’une véritable grêle d’obus qui tombaient sur la route. Heureusement un très-petit nombre seulement des projectiles éclatait, en sorte que le détachement arriva à Werbach avec une perte de deux hommes, quatre chevaux et un char seulement. À l’entrée du village il vit le drapeau blanc avec la croix rouge, qui flottait sur une maison dans laquelle il rencontra les médecins d’infanterie déjà occupés à soigner des blessés.

Les médecins du détachement y restèrent avec quinze porteurs de brancards et soldats du service sanitaire : ils rassemblèrent tous les blessés de la division badoise et de l’ennemi, et l’on put procéder aux opérations et aux pansements, malgré les balles qui passaient par les fenêtres. Peu à peu les bataillons badois se replièrent, et lorsque les soldats prussiens envahirent Werbach, ils voulurent pénétrer aussi dans la maison où se trouvaient les blessés, prétendant que l’on avait tiré sur eux de cette maison. Leur erreur fut aussitôt démontrée, et un capitaine oldenbourgeois mit l’édifice sous la protection d’un poste.

Jusqu’au soir les médecins purent vaquer à leurs occupations auprès des blessés. Vers huit heures, arriva un officier prussien, lequel prévint le docteur Beck, chef de la compagnie sanitaire, qu’il avait l’ordre de faire transporter aux avant-postes badois les médecins et tout le personnel qui n’était plus nécessaire dans cette localité. Comme le docteur Beck désirait procéder encore en personne à quelques mesures pour l’amélioration de la situation et des pansements des blessés, il en résulta un retard dans le départ, en sorte que l’officier prussien s’impatienta et déclara qu’il fallait se mettre en route, la marche étant assez longue et lui-même ayant encore d’autres affaires. M. de Corval, avec un autre médecin et sept soldats du détachement, furent laissés à Werbach par le docteur Beck, qui partit avec le reste du personnel et les voitures, escorté par un petit détachement prussien.

Les obus reçus en route s’expliquent assez par la circonstance rapportée, le soir même du 24 juillet, par l’officier prussien qui commandait la batterie : que la forte poussière soulevée sur la route, au passage des voitures, avait fait supposer qu’il s’agissait d’une colonne de munitions et de son escorte, en même temps qu’elle empêchait de voir les drapeaux ; cette erreur était d’autant plus facile que la distance était de deux mille cinq cents pas, et que le convoi sanitaire badois n’avait, comme drapeaux, que deux fanions, l’un sur la première, l’autre sur la dernière voiture. D’autre part, il est évident que le commandant prussien avait raison de supposer que, pour environ cinquante blessés déjà pourvus des premiers soins, deux médecins et sept soldats infirmiers étaient suffisants. (Les autres blessés badois de ce combat avaient été remis aux compagnies sanitaires disposées plus loin en arrière, et de là conduits à Würzbourg.)

Après le départ du docteur Beck, le docteur de Corval fit faire, par le peu de monde qui lui était resté, des recherches sur le lieu du combat. Cette opération s’exécuta dans le plus grand calme, et, bien loin qu’elle ait été troublée par les Prussiens, officiers et soldats la secondèrent si amicalement, que ce fait a produit la meilleure impression sur le docteur de Corval. « Dès ce moment, dit-il, je devins un partisan décidé de la Convention de Genève, ou plutôt des principes sinon du texte de ses dispositions, tandis que précédemment je l’avais envisagée avec quelque défiance. »

Le 25 au matin, quatorze blessés non transportables furent remis aux soins d’un médecin civil, et les autres furent transportés à Tauberbischofsheim sur des chars obtenus grâce au concours des officiers prussiens. Le 25 au soir, relevé par un personnel volontaire arrivé de Carlsruhe, le détachement demanda et obtint la permission de rejoindre sa division, et se décida, ne sachant pas exactement où elle se trouvait, à se rendre d’abord à Carlsruhe, pour y prendre des ordres. Le 26 au matin, il se mit en route, traversant plusieurs villages occupés par les Prussiens, et parvint à Boxberg sans avoir été l’objet d’aucune agression.

Le 27 au soir, une section de l’hôpital de campagne arriva encore à Tauberbischofsheim avec toutes ses voitures attelées, et cet hôpital ne fut l’objet d’aucune contestation de la part des Prussiens, bien que ce fût plusieurs jours avant la conclusion de l’armistice, et que, d’après les dispositions de la Convention de Genève, le matériel des hôpitaux de campagne ne fût pas compris alors dans le bénéfice de la neutralité.

« Les Prussiens, ajoute M. de Corval, n’ont point paru regarder comme dangereux notre séjour en dedans de leurs lignes, parce qu’ils savaient fort bien que nous avions tout autre chose à faire qu’à compter leurs troupes et à épier leurs positions. »

  1. 1867, I, 264.
  2. 1868, 16, — 1867, II, 59-64.
  3. 1867, II, 62, 63.
  4. 1867, II, 59.
  5. Michaëlis, ouvrage cité.
  6. Landa : El dcrecho de la guerra, 125.
  7. Löffler, ouvrage cité.
  8. Naundorff, ouvrage cite, 484.
  9. 1867, I, 249.
  10. 1868, 16.
  11. Naundorff, ouvrage cité, 485.
  12. 1867, I, 249.
  13. Löffler, ouvrage cité, 73.
  14. 1867, I, 265, — II, 59.
  15. 1864, 24.
  16. 1867, I, 250.
  17. Michaëlis, ouvrage cité.
  18. 1868, 17.
  19. 1867, I, 235 et 265.
  20. 1864, 15.
  21. 1864, 16.
  22. Michaëlis, ouvrage cité ; — von Corval, ouvrage cité.
  23. 1867, II, 59 ; — 1868, 22.
  24. 1867, I, 265.
  25. 1864,41.
  26. Landa, ouvrage cité, 98.
  27. Michaëlis, ouvrage cité.
  28. 1867, II, 61 et suiv.
  29. Von Corval, ouvrage cité.