Étude sur la convention de Genève pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864 et 1868)/02/07

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Art. 7. Un drapeau distinctif et uniforme sera adopté pour les hôpitaux, les ambulances et les évacuations. Il devra être, en toute circonstance, accompagné du drapeau national.

Un brassard sera également admis pour le personnel neutralisé, mais la délivrance en sera laissée à l’autorité militaire.

Le drapeau et le brassard porteront croix rouge sur fond blanc.

§ 1. Il est d’usage, dans les armées modernes, d’avoir un drapeau d’une couleur particulière, que l’on arbore sur les ambulances et les hôpitaux, autant pour avertir l’ennemi de leur présence que pour les signaler à l’attention de ceux qui s’y rendent. Mais ce drapeau varie d’une armée à l’autre, et l’on a toujours des méprises à redouter. Tant que l’ennemi n’a pas appris à en connaître la signification, la protection dont il couvre les blessés est fort précaire.

De même, au milieu de la variété infinie des uniformes, il n’est pas toujours aisé de distinguer le personnel sanitaire du reste de l’armée[1], les médecins des officiers combattants, et lors même qu’on voudrait les épargner on ne le pourrait pas.

On aurait donc dû, déjà avant la Convention, s’accorder pour l’usage de signes distinctifs uniformes et partout universellement connus. Le docteur Baudens, dans son livre sur la guerre de Crimée, recommande fortement cette précaution, en s’appuyant sur des faits qui la justifient. Cinquante ans plus tôt il eût pourtant été prudent de ne pas donner ce conseil, car, si l’on en croit un historien, dans les guerres de la République française « les marques distinctives que portaient les ambulances, destinées à faire mieux apercevoir aux blessés les divisions de service sur le champ de bataille, furent bientôt connues des batteries ennemies, qui dirigeaient une partie de leurs coups contre ce nouveau genre d’audace. Il fallut dès lors renoncer aux signes trop visibles du parcours des ambulances volantes, qui revenaient souvent veuves de ceux qu’elles avaient conduits à la portée des projectiles[2]. » Ainsi l’on peut, à l’aide de ces indices, suivre la marche du progrès humanitaire pendant le dix-neuvième siècle, puisqu’une mesure charitable, dangereuse au début, était désirable vers 1856, et qu’elle est devenue nécessaire depuis qu’en 1864 les souverains se sont engagés réciproquement et formellement à respecter tout le service sanitaire. Pour que cette dernière prescription soit observée, il faut bien que l’on puisse discerner sans peine les personnes et les choses qu’elle concerne. De là l’adoption d’un brassard et d’un drapeau internationaux, comme signes de neutralité.

§ 2. Ce drapeau et ce brassard, dit l’article 7, portent croix rouge sur fond blanc. Cet emblème a été emprunté au drapeau suisse, qui porte croix blanche sur fond rouge ; c’est le même dessin, avec une simple interversion de couleurs. La croix est une croix alézée, c’est-à-dire n’atteignant pas les bords du champ[3] ; c’est de plus une croix à branches égales et formée de cinq carrés égaux.

En empruntant à la Suisse ses armoiries, on a établi un lien visible et durable entre la Convention et le pays qui fut son berceau. D’ailleurs, indépendamment de cette considération, le symbole de la charité est celui qui répond le mieux aux sentiments dont les promoteurs de la Convention étaient animés et à l’esprit de ce traité. Il est pourtant douteux que tout le monde ait rattaché au drapeau international le souvenir de la croix sanglante du Calvaire, entourée d’un linceul d’innocence. Que cela soit vrai pour les nations chrétiennes, nous l’admettons sans peine, mais que, dans les États non chrétiens on l’interprète de même, ce n’est guère présumable. Ce n’est certainement pas le sens qu’y a vu la Turquie, par exemple, lorsqu’elle a consenti à arborer la croix sur ses hôpitaux, guidée en cela par une conscience éclairée plutôt que par sa foi religieuse.

Le drapeau et le brassard que l’on a choisis se recommandent encore par leur simplicité, qui permet de les confectionner aisément, et, en quelque sorte, de les improviser au moment du besoin, puis par leur apparence qui les rend visibles de loin et facilement reconnaissables.

§ 3. Le drapeau flottera sur les hôpitaux, les ambulances et les convois de blessés, neutralisés par les articles 1 et 6 de la Convention. Précisément parce que ce drapeau sera le même pour toutes les armées, il devra toujours être accompagné du drapeau national[4], afin que l’on sache à qui il appartient. Sans cela il serait trop facile de se fourvoyer, et de tomber entre les mains de l’ennemi lorsqu’on croirait rejoindre les siens.

Les particuliers qui auront recueilli des blessés pourront-ils aussi s’en servir, afin de sauvegarder leurs habitations ? Nous le pensons. Le drapeau en effet est destiné à révéler la présence des blessés et à faire respecter leurs asiles ; or, du moment que, par l’article 5, les maisons transformées en ambulances privées sont mises au bénéfice de la neutralité et assimilées par là aux établissements hospitaliers, il faut bien que l’on ait la possibilité de les faire reconnaître par le même signe extérieur. Pour elles toutefois l’emploi simultané d’un drapeau national ne sera pas nécessaire.

Quant au brassard, il sera porté par ceux que neutralise l’article 2, c’est-à-dire par le personnel des hôpitaux et des ambulances, comprenant les services de santé, d’administration, de transport des blessés, ainsi que les aumôniers. On devrait y ajouter, comme nous l’avons fait observer, les soldats du poste de police.

Dans la Conférence de Genève, en 1863, il avait été décidé que les infirmiers volontaires, agents des sociétés de secours, le porteraient aussi[5] ; néanmoins cette résolution antérieure à la Convention de 1864, n’empêcha pas celle-ci d’introduire l’usage du même brassard pour le personnel officiel. Au lieu de prévoir qu’il en résulterait des confusions fâcheuses[6], on jugea apparemment que lorsque les sociétés prêteraient leur concours, il n’y aurait que de l’avantage à ce qu’elles fussent déjà pourvues, par elles-mêmes, du signe de reconnaissance qui leur serait nécessaire. Toutefois il y a quelque chose d’assez insolite dans cet emprunt fait à des associations privées par les gouvernements, d’un insigne qui se trouvera commun aux armées et aux sociétés. Il est vrai qu’à la guerre les deux institutions agissant de concert et sous une autorité unique, l’inconvénient disparaît, mais toujours est-il qu’en temps de paix, lors même que cette solidarité n’existe plus, les sociétés ont le droit de porter la livrée du service sanitaire officiel. On ne peut voir dans cette tolérance légale qu’un témoignage de la sympathie avec laquelle les souverains ont accueilli ces sociétés auxiliaires, et de la protection dont ils sont disposés à les couvrir.

§ 4. C’est pour éviter le port abusif du brassard, par des individus qui ne rentreraient pas dans la catégorie des ayant droit, et qui pourraient fort bien être des espions, que sa délivrance constitue un monopole de l’autorité militaire[7]. L’intérêt de celle-ci est un sûr garant qu’elle ne le remettra qu’à des gens bien intentionnés, auxquels elle aura confié elle-même la mission de secourir les blessés. Le général en chef exercera ce droit, soit par lui-même, soit par délégation en le transmettant, selon sa convenance, à des officiers de divers grades[8].

Cette précaution n’est cependant pas suffisante, comme l’a prouvé la guerre de 1860, pendant laquelle des abus nombreux eurent lieu en Allemagne[9] où chacun, au mépris de la Convention, s’attribuait le droit de porter le brassard, pour peu qu’il se consacrât au soin des blessés. Il en résulta des confusions et des embarras multipliés. Aussi la Conférence de Paris, en 1867, se préoccupa-t-elle de trouver un expédient propre à empêcher l’usage illégal du brassard. Il lui parut que ce but serait atteint si l’on créait un moyen de contrôle[10] ; si, par exemple, l’on imprimait sur les brassards délivrés une marque particulière et d’une imitation difficile, telle que le sceau de l’administration, ou bien si tout porteur de brassard était muni d’un papier officiel attestant sa qualité et son droit[11]. La Conférence demanda aussi, à l’instar de ce qu’avait déjà fait le comité international en 1864, une déclaration formelle, rappelant que les abus seraient punis avec toute la rigueur des lois militaires[12]. C’est bien là en effet, semble-t-il, tout ce que l’on pourrait faire. Cette opinion a encore été émise par le docteur Vix, que ses expériences de la guerre de 1866 ont conduit à proposer une addition à l’article 7 ainsi conçue : « Il est interdit à ceux qui n’ont aucun droit à la neutralité, de porter en campagne un insigne de même couleur ou de semblable apparence. Les commandants en chef sont tenus de sévir contre l’abus de ces signes distinctifs. Une attestation écrite et délivrée par l’autorité compétente, peut être exigée de toute personne prétendant à la neutralité, à côté de l’insigne qui, ne sert qu’à constater extérieurement sa position[13]. »

Néanmoins le vœu des sociétés n’a pas été exaucé. Si la Conférence de 1868 n’en a pas plus tenu compte que celle de 1864, ce n’est point qu’elle y ait été contraire, mais seulement parce qu’elle n’a pas cru nécessaire ou convenable d’en faire l’objet d’un article additionnel. Si l’on eût parlé ici de sanction pénale, il eût fallu aussi la rappeler à propos de chacun des articles, et elle eût perdu ainsi toute la force qu’on aurait voulu lui donner en l’appliquant spécialement à l’article 7. Quant à l’idée d’un contrôle, elle a été fort goûtée, mais on a jugé, que c’était une affaire de régime intérieur et non de droit international. Quoique, dans une certaine mesure, chacun soit intéressé à ce que des abus ne se produisent pas chez son ennemi, il est encore plus vrai que chaque belligérant doit y veiller avant tout chez lui et pour lui-même ; dès lors c’est à lui qu’il appartient de choisir le moyen de contrôle qui lui convient le mieux.

On ne s’est pas préoccupé de l’abus du drapeau, parce que pour lui la fraude est beaucoup moins facile à pratiquer, et qu’il est toujours aisé de vérifier, s’il abrite réellement des blessés. La mauvaise foi de celui qui le planterait indûment sur sa maison serait bien vite dévoilée, et un châtiment sévère suivrait de près cette découverte. Loin d’entraver l’emploi du drapeau, toutes les fois qu’il est légitime, il faut plutôt l’encourager, parce qu’il aide à retrouver les blessés, que l’on ne recherche plus maintenant que pour leur faire du bien.

§ 5. La Convention ne s’occupe que des armées en campagne, parce que c’est pour elles seulement que le droit de la guerre trouve son application. C’est donc en ce sens que doit être entendu l’article 7. Quoique ses dispositions soient susceptibles d’être observées même en temps de paix, les signataires de la Convention n’ont voulu et n’ont dû s’engager à faire usage du brassard et du drapeau qu’en temps de guerre. Mais s’ils ne sont pas obligés à agir de même en temps de paix, ils en ont conservé néanmoins la faculté, et, quittant le terrain du droit pour celui de la simple convenance, il y a de l’intérêt à se demander quel est le meilleur parti à prendre à cet égard.

Nous avons vu qu’aux yeux du législateur la supériorité de signes internationaux sur ceux dont on se servait naguère, consiste en ceci que tous les combattants en connaîtront parfaitement la signification. Dès lors il est tout à fait conforme à ses intentions d’en instruire les troupes le plus possible[14]. Il faut qu’elles aient le temps de se familiariser à loisir, non-seulement avec leur apparence, ce qui ne nécessite pas un long apprentissage, mais encore et surtout avec la pensée qu’ils expriment et les devoirs qu’ils rappellent. Cette pensée, ces devoirs, inscrits dans les règlements militaires, seront bien plus présents à l’esprit des soldats si la vue du drapeau et du brassard vient sans cesse les leur remettre en mémoire, que si l’on ne fait apparaître ceux-ci qu’à l’heure pour laquelle on les a institués. Il y aurait donc un grand avantage à ce que le brassard fit partie intégrante de l’uniforme du personnel sanitaire, ainsi que cela se pratique en Suisse, et à ce que le drapeau fût arboré en permanence sur les hôpitaux et les infirmeries militaires[15]. Le matériel sanitaire pourrait aussi, comme en Prusse, être marqué de la croix rouge sur fond blanc[16]. Cette idée, qui n’est pas nouvelle, a rencontré une assez vive opposition, sans que nous puissions nous l’expliquer, car elle n’a été combattue par aucun argument de quelque valeur. Quant à nous, qui ne voyons pas d’inconvénient à sa réalisation, nous ne saurions trop l’appuyer.

  1. 1867, II, 118.
  2. Gama, ouvrage cité, 310.
  3. 1864, 25.
  4. 1864, 25.
  5. Confér. de Genève, 1863, 117.
  6. Erfahrungen… u. s. w. 15. (Opinion du docteur Böhm).
  7. 1864, 25.
  8. 1867, I, 245. — Hülfsverein im Grossh. Hessen : Bericht, 1866, 53.
  9. 1867, II, 101 et 128. — Hülfsverein im Grossherz. Hessen : Bericht, 1866, 51, 53. — Erfahrungen… u. s. w., p. 99. (Opinion du baron de Schenck.)
  10. 1867, I, 244.
  11. Erfahrungen… u. s. w. 99.
  12. 1867, II, 127 ; — 1864, 26.
  13. Erfahrungen… u. s. w. 113.
  14. 1867, I, 269.
  15. 1867, I, 269.
  16. 1867, I 256.