Étude sur le mouvement communaliste à Paris, en 1871/2/01

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Neuchatel Impr. G. Guillaume (p. 137-173).


DEUXIÈME PARTIE

Séparateur
LE COMITÉ CENTRAL ET LA COMMUNE.



CHAPITRE I.

Le Comité central à l’Hôtel-de-Ville.


Le mandat du Comité est légitime. — Origine et organisation du Comité. — Ses membres sont inconnus. — Ses premiers actes après le 18 mars. — Mort de MM. Lecomte et Clément Thomas. — Conduite des maires et des députés de Paris. — Le Comité n’a pu marcher sur Versailles. — Lullier et le Mont Valérien. — Attitude hostile de la presse parisienne. — Son manifeste. — Déclaration de la Corderie. — Affaire de la rue de la Paix. — Les maires à Versailles. — Récit d’un officier supérieur. — Proclamation mensongère de l’amiral Saisset. — La réaction au 2e  arrondissement. — Les troupes de l’Ordre licenciées. — La crise est dénouée. — Les élections communales. — Proclamation du scrutin.

Enfin le peuple était de nouveau à l’Hôtel-de-Ville, mais, pour la première fois depuis 1789, c’était bien lui qui allait tenir en mains les destinées de la Révolution.

Jusqu’alors, les divers gouvernements révolutionnaires qui s’étaient succédé, et qui, tous, avaient siégé à l’Hôtel-de-Ville, avaient sans doute parlé au nom du peuple, mais leur mandat n’était qu’une usurpation, fruit d’une véritable escalade du pouvoir, et par conséquent toujours contestable.

Cette fois, les nouveaux arrivants avaient bien réellement mandat, et ce mandat, ils le tenaient de plus de deux cents bataillons de la garde nationale, c’est à dire de presque tout Paris armé.

Qu’on se rappelle en effet dans quelles conditions s’étaient emparés du pouvoir les gens du 4 septembre et celles dans lesquelles le Comité central de la garde nationale venait de franchir le perron du palais populaire, et qu’on juge de la valeur d’origine des uns et des autres.

Nous affirmons qu’à moins de remonter au droit divin, nul autre droit depuis 1789, y compris 1830 et 1848, ne fut aussi légitime que celui au nom duquel le Comité central succéda au gouvernement de M. Thiers (reliquat du 4 septembre) qui venait de quitter Paris.

Et tout d’abord, qu’était-ce que ce Comité central de la garde nationale ?

Pour éviter l’inutile et fastidieuse répétition de détails reproduits déjà, nous ne pouvons qu’engager le lecteur à recourir au travail de MM. Lanjalley et Corriez, déjà cité dans la préface de notre étude[1]. — Nous nous contenterons d’analyser succinctement son origine, sa composition et le but en vue duquel il avait été formé.

L’origine du Comité était toute récente : elle datait du 24 février.

Connue d’abord sous le nom de Fédération de la garde nationale, cette association avait été fondée uniquement en vue de resserrer, dans la garde nationale, les liens formés sous le siège, et d’en solidariser tous les membres, afin de constituer une force qui put au besoin défendre la République des attaques que celle-ci allait sans doute avoir à subir de la part de tous les partis monarchiques coalisés.

Mais pour éviter qu’on pût accuser cette organisation de n’exprimer que la volonté « de quelques meneurs » (style consacré), on lui avait donné pour base le suffrage universel et pour correctif la révocabilité permanente.

Toutes les compagnies de la garde nationale parisienne avaient été invitées à envoyer chacune un de leurs membres, sans distinction de grade, à l’assemblée générale des délégués.

Chaque bataillon y envoya un officier, élu seulement par les officiers de ce bataillon.

Enfin tous les commandants en firent partie de droit.

L’assemblée générale des délégués se composa donc d’un représentant par chaque compagnie et de deux officiers — dont le commandant — par chaque bataillon.

Cette représentation de la totalité des bataillons une fois organisée, chaque bataillon forma à son tour sa représentation autonome, sous le titre de cercle de bataillon, au moyen des délégués de compagnie à l’assemblée générale, de deux autres délégués nommés ad hoc par les compagnies, sans distinction de grade, puis de l’officier et du chef de bataillon envoyés à l’assemblée générale.

Enfin le Conseil de Légion, représentation de tous les bataillons d’un même arrondissement, fut composé de trois délégués par cercle de bataillon et de tous les chefs de bataillon de la légion.

Le commandant supérieur de chaque bataillon se trouvait ainsi faire partie de droit et du cercle de bataillon et du Conseil de légion et aussi de l’assemblée générale des bataillons fédéralisés.

Toutes les précautions avaient été prises, on le voit, pour que l’assemblée générale exprimât bien l’opinion des bataillons par l’organe des délégués, d’ailleurs soumis à une révocation permanente, rendue d’une facile pratique, au moyen des cercles de bataillon et des conseils de légion.

Le Comité central, sorte de commission exécutive des décisions prises par l’assemblée générale de la fédération, fut composé de trois délégués par légion, élus sans distinction de grade par le Conseil, et d’un chef de bataillon par arrondissement, élu par tous ses collègues de la légion. — Il comptait ainsi soixante élus sans distinction de grade et vingt chefs de bataillon.

Ce fut le 13 mars seulement que l’organisation de la fédération fut acceptée définitivement au Wauxhall, en présence des délégués de 215 bataillons adhérents, ainsi que le constatèrent les pouvoirs réguliers que les délégués durent exhiber avant d’être admis à voter.

Ces statuts votés et acceptés furent immédiatement communiqués à tous les journaux qui les publièrent généralement dès le lendemain.

Telle était cette organisation fédérative de la garde nationale de Paris, qu’on ne craignit pas malgré cela de qualifier de société secrète, feignant d’oublier, outre le nombre de ses adhérents, le publicité donnée aux séances des assemblées générales, dont les résolutions et jusqu’aux statuts avaient été communiqués à la presse !

Mais, les travailleurs étant en majorité dans les bataillons, il se trouva que la plupart des élections au Comité central portèrent sur des noms presque tous inconnus à ceux qui, jusqu’alors, considéraient la direction des affaires politiques comme étant de leur domaine exclusif.

Ce ne fut pas le moindre crime du Comité central aux yeux de la bourgeoisie républicaine, et cette dernière ne le lui pardonna jamais.

Et de fait, eu égard aux traditions en usage, il était assez étrange en effet, de voir, le 19 mars, les destinées de la République et de la nouvelle révolution qui venait de s’accomplir, aux mains de quatre-vingts citoyens dont quelques-uns seulement étaient connus dans les divers groupes qui s’étaient trouvés mêlés aux mouvements politiques antérieurs.

De tous les signataires des premières proclamations du Comité central, installé à l’Hôtel-de-Ville, les citoyens Assi, Varlin, Ranvier et Lullier, étaient les seuls dont on connut réellement les tendances, et dont la participation aux événements accomplis notamment depuis le 4 septembre fût avérée.

Le citoyen Assi était connu pour sa participation à la grève du Creuzot et l’importance plus apparente que réelle du rôle qu’il y avait joué.

Le citoyen Varlin était depuis longtemps un des membres les plus influents, les plus intelligents et les plus dévoués de l’Internationale.

Le citoyen Ranvier, travailleur bien connu des réunions publiques, dans lesquelles sa parole honnête et convaincue lui avait valu une influence légitime, était de plus connu comme ayant été une des victimes les plus persécutées par les gens du 4 septembre, à propos de sa participation à la journée du 31 octobre.

Enfin le citoyen Lullier s’était fait remarquer par l’énergie de ses attaques contre divers souteneurs de l’empire, et si ses actes avaient parfois dénoté un certain manque d’équilibre et de jugement, au moins n’avait-on aucune raison alors de suspecter sa bonne foi et la loyauté de ses convictions républicaines.

Quant aux autres membres du Comité, signataires des proclamations, connus sans doute du milieu électoral qui les avait investis de leur mandat, leur signature venait seulement de révéler leur existence aux groupes les plus avancés du parti socialiste dont ils étaient complètement ignorés.

Cette absence de notoriété était, il en faut convenir, un obstacle peu facile à surmonter chez un peuple qui ne connaît encore que de nom seulement le gouvernement impersonnel et qui de longtemps encore, nous le craignons, préférera se laisser gouverner par des individualités, plutôt que de se guider lui-même au moyen de l’idée.

Grâce à l’intelligence de certains des membres du Comité central, cette difficulté fut vite comprise, et dès le premier jour de son installation à l’Hôtel-de-Ville, deux proclamations furent affichées dans Paris.

Dans la première, adressée au peuple, le Comité annonçait que les électeurs allaient être immédiatement convoqués pour procéder aux élections communales. Le Comité, dans la seconde proclamation, adressée à la garde nationale, déclarait à celle-ci qu’il ne prétendait pas prendre la place de ceux que le souffle populaire venait de renverser, et qu’il aspirait, pour seule récompense, à voir la République consolidée par l’immédiate élection d’un pouvoir communal.

En même temps et pour prévenir toutes les calomnies à l’aide desquelles le gouvernement, réfugié à Versailles, ne manquerait pas de dénaturer le mouvement communaliste aux yeux des départements, le Comité publia, dans l’Officiel du 20 mars, une adresse dans laquelle il leur expliquait que le coup d’État tenté par le gouvernement le 18 mars, l’avait seul contraint, lui Comité, à prendre momentanément eu mains la direction du mouvement que venait de provoquer le coup d’État avorté, et, après avoir relevé, non sans grandeur, l’injustice des protestations élevées contre l’obscurité de ses membres, le Comité terminait par cette déclaration précise :

Arrivés au but, nous disons au peuple : Voici le mandat que tu nous as confié. Là où notre intérêt personnel commencerait, notre devoir finit ; fais ta volonté… Obscurs il y a quelques jours, nous allons rentrer obscurs dans tes rangs et montrer aux gouvernements que l’on peut descendre, la tête haute, les marches de ton Hôtel-de-Ville, avec la certitude de trouver au bas l’étreinte de ta loyale et robuste main.

Il résultait clairement de cette adresse que Paris n’entendait rien imposer aux départements, et qu’il ne se reconnaissait d’autres droits que d’inviter ceux-ci à suivre son exemple et à former avec lui un faisceau unitaire et cette fois réellement indivisible.

Malgré ces déclarations si précises, il fut facile de prévoir tout d’abord que le mouvement, à cause même de son caractère d’impersonnalité et par conséquent vraiment démocratique, serait difficilement accepté par l’ensemble de la population parisienne.

Deux exécutions sommaires avaient été faites par le peuple dans la soirée du 18. Le général Lecomte qui, le matin, avait excité, à diverses reprises, ses soldats à tirer sur la garde nationale de Montmartre ; l’ex-général en chef de la garde nationale durant le siège, M. Clément Thomas, tristement célèbre par ses ordres du jour, dans lesquels il s’ingéniait à déshonorer les Parisiens devant les assiégeants, et connu depuis vingt ans pour son horreur du peuple, qu’il traitait de canaille, avaient tous deux été faits prisonniers dans la journée et fusillés à Montmartre, après quelques heures de captivité.

Profitant de ces exécutions que rend, sinon excusables, du moins fort explicables, la colère des masses exaspérées, qu’on est d’ailleurs habitué à massacrer avec une bien autre désinvolture, la presse réactionnaire et même une partie de celle qui se dit républicaine, imputèrent calomnieusement ces faits au Comité central, qu’ils affectèrent de représenter comme un groupe d’assassins.

Ces journaux étaient cependant en mesure de savoir que le Comité central était complètement étranger à la mort de ces deux hommes.

Deux pièces datées des 18 et 19 mars, signées de noms très connus, certifiaient que, ni le Comité central, ni le Conseil de légion du 18e arrondissement, n’étaient pour rien dans cette malheureuse affaire et qu’elle était le fait de l’effervescence populaire[2].

Le Comité central déclara, de son côté, qu’il avait eu seulement le soir du 18, connaissance et de l’arrestation et de la mort de MM. Lecomte et Clément Thomas, ajoutant de plus qu’une enquête était ordonnée sur ces faits dont il entendait décliner toute responsabilité[3].

Mais comme il importait, en vue de ce qui pourrait survenir, de pouvoir poursuivre comme assassins les directeurs du mouvement du 18 mars, on n’en persista pas moins, notamment devant l’assemblée de Versailles, à affirmer qu’ils étaient les auteurs des exécutions. Et il ne se trouva pas une voix parmi les députés de la Seine alors présents, pour s’élever contre cette infâme manœuvre !

D’un autre côté, l’attitude des municipalités ne laissait pas que d’augmenter les anxiétés de la population. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que le Comité central, installé à l’Hôtel-de-Ville par la force des choses et la lâcheté d’un gouvernement qui n’avait su ni vaincre ni accepter sa défaite, voulant que Paris pût au plus vite procéder à son organisation communale, le concours des municipalités élues le 7 novembre 1870 lui était indispensable pour mener à bien son entreprise.

Si ce concours faisait défaut, le Comité central s’en faisant fort, pouvait convertir son autorité de circonstance en une dictature d’autant plus à craindre alors, que ceux qui la composeraient étant presque tous inconnus, nul ne pourrait prévoir quelles destinées seraient réservées à Paris et à la République.

Le 18, à trois heures de l’après-midi, bien avant même que le Comité central fût à l’Hôtel-de-Ville, les membres des municipalités avaient eu une réunion an 2e  arrondissement. Une députation avait alors été envoyée à M. Thiers, qu’elle ne put voir ; à M. Picard, ministre de l’intérieur, qui refusa de prendre aucune décision ; en troisième lieu, à M. d’Aurelles de Paladines, alors commandante en chef — nommé d’office — de la garde nationale, qui répondit qu’il avait bien prédit le résultat de cette journée aux avocats qui l’avaient voulue, et ajouta que le sort de ta République et de la France était désormais aux mains des municipalités parisiennes.

Enfin, cette députation s’en était allée trouver M. Jules Favre, qui, avec la superbe qu’on lui connaît, avait répondu que le gouvernement allait faire appel à la garde nationale, se mettre à sa tête et maîtriser l’insurrection. Cet intègre et vertueux républicain, devenu ministre de M. Thiers, avait même ajouté qu’il ne « pactiserait pas avec l’émeute ! »

Forts de l’aveu du général d’Aurelles de Paladines, affirmant que le gouvernement avait voulu la journée, et du parti pris par M. J. Favre de se refuser à toute concession, les maires et adjoints de Paris qui tous se prétendaient républicains et avaient été élus comme tels, n’avaient plus qu’un devoir à accomplir, afin de sauver la République et de garantir les droits de Paris dont on leur avait confié la garde :

Apporter leur concours à la constitution de la Commune, en facilitant les opérations électorales auxquelles étaient conviés les citoyens.

Malheureusement, il n’en fut point ainsi.

Le 19 mars, une délégation des Municipalités s’était présentée à l’Hôtel-de-Ville pour apprendre du Comité central quelle allait être la conduite de celui-ci à l’égard des magistrats municipaux élus les 5 et 7 novembre.

Après une discussion de plusieurs heures, trois délégués du Comité central proposèrent l’arrangement suivant[4] :

Le Comité central, afin de garantir les droits qu’il revendiquait au nom de la garde nationale, conserverait le commandement militaire ; l’administration municipale serait conservée par les maires et adjoints élus en novembre, et trois de leurs délégués prendraient possession de l’Hôtel-de-Ville pour administrer Paris jusqu’à la constitution de la Commune, dont les élections étaient fixées au 22.

Cet arrangement, empreint d’un désir de conciliation qui fait honneur au Comité central, n’était cependant pas sans danger, et, sur les observations qui lui furent faites, dit-on, par les Comités d’arrondissement consultés à la hâte, le Comité central dut renoncer à y donner suite, ce que ses adversaires ne manquèrent pas d’imputer à sa mauvaise foi.

Les objections soulevées contre ce projet de transactions avaient une véritable valeur.

La grande majorité des maires et adjoints de Paris n’avait-elle pas, en effet, courbé constamment la tête depuis son élection jusqu’à ce jour, sous le gouvernement du 4 septembre ? N’avait-elle pas subi, sans souffler mot, l’insolente et incapable direction de M. Jules Ferry, maire central imposé en dépit des promesses faites, dans la nuit du 31 octobre, d’une élection immédiate d’un Conseil municipal ? N’était-elle pas complice, par cette aveugle soumission, de la honteuse capitulation de Paris ? Plus encore, du coup d’État projeté, que l’attitude de la garde nationale venait de faire échouer ?

Est-ce que les maires[5], à l’exception seulement de MM. Bonvalet (3e  arrondissement) et Mottu (11e), n’étaient pas notoirement connus comme les partisans quand même du gouvernement de M. Thiers ?

Et c’est à ces hommes qu’on aurait confié, même pour quelques jours, l’administration, presque le gouvernement de Paris ?

Est-ce qu’à leur tour les députés de Paris ne prétendraient pas, eux aussi, diriger le mouvement politique ? Et à quel titre refuserait-on alors à MM. Tirard, Arnaud (de l’Ariége) et Clemenceau comme députés, ce qu’on leur venait d’accorder en tant que maires ?

Et que fût-il resté en ce cas au Comité central ? L’honneur de garder ces Messieurs ?

C’eût été vraiment une abdication trop naïve et autant eût valu alors laisser s’accomplir la reprise des canons le 18.

Quelles garanties, d’ailleurs, offraient MM. les maires de ne point faire tourner la transaction au bénéfice du gouvernement de Versailles ?

Leur parole ?

Les lettres échangées depuis entre MM. Vautrain (4e arrondissement) et Degouve-Denunques (ex-adjoint au 10e), et dans lesquelles ces Messieurs, après s’être mutuellement reproché d’avoir été prêts à transiger avec l’émeute, s’en justifièrent l’un et l’autre en affirmant qu’ils n’avaient paru y consentir qu’afin que Versailles eût le temps de concentrer de suffisantes forces pour écraser les émeutiers ; ces lettres, disons-nous, en révèlent long sur la foi qu’on pouvait ajouter à de tels engagements[6].

S’il est vrai donc, comme on nous l’a affirmé, que ce furent les Comités d’arrondissement qui s’opposèrent à la transaction consentie d’abord par le Comité central, notre avis est qu’en cette circonstance ils avaient assez de motifs de suspicion à l’égard des Municipalités pour avoir le droit de le faire.

Et quelle était d’ailleurs la nécessité d’un tel arrangement ?

Le meilleur moyen d’empêcher le Comité central de manquer aux promesses contenues dans ses deux premières proclamations, n’était-il pas de le prendre au mot et de se hâter de procéder aux élections communales ? — Or, les maires avaient en main les moyens matériels d’y procéder sans délai.

Grâce aux élections du 8 février et aussi à l’organisation des Comités d’arrondissement, avec lesquels les maires pouvaient s’entendre pour la distribution des cartes et le dépouillement du scrutin, l’exécution pouvait être aussi rapide et aussi sûre que possible.

Mais, nous venons de le voir, la majorité des Municipalités avait surtout en vue de temporiser pour permettre au gouvernement de rentrer en vainqueur dans Paris.

Prétextant donc du refus opposé au Comité central par les Comités d’arrondissement, MM. les maires déclarèrent qu’ils se refusaient à reconnaître le Comité central et à se prêter aux opérations électorales fixées au 22.

Et afin de rendre les élections impossibles, un grand nombre d’entre eux ne craignirent pas de s’arroger le droit de soustraire — nous dirions volontiers de voler — les listes et les fiches électorales appartenant aux mairies !

Puis, fidèles imitateurs du gouvernement, quelques-uns d’eux — M. Vautrain du 4e arrondissement, par exemple — quittèrent leur administration après avoir désorganisé les services et sans même rendre de comptes de leur gestion[7].

Ni les Municipalités, ni les députés de Paris, ne surent comprendre en ces graves circonstances qu’en se renfermant dans une prétendue dignité dont leur étroit amour-propre était le principal fonds, ils appelaient sur la cité d’effroyables malheurs qui pouvaient entraîner la perte même de la République.

Rien dans l’histoire ne pourra justifier ces hommes du lâche abandon dans lequel ils ont laissé cette vaillante et généreuse population de Paris qui, après tant de misères et de privations subies, durant sept longs mois de siège, s’offrait encore en holocauste pour le salut de la République et l’affranchissement des travailleurs.

En vain, ils tenteront de se réfugier, ces prétendus républicains et ces prétendus socialistes, derrière les méfiances que leur inspiraient des hommes à peine connus et dont ils ignoraient les tendances.

L’histoire leur répondra que c’était en raison même de ces méfiances qu’il fallait faciliter à ces inconnus le moyen de restituer l’autorité qui venait de leur échoir presque malgré eux, et qu’ils offraient de déposer immédiatement entre les mains de qui il appartenait seulement alors : la population de Paris, convoquée dans ses Comices électoraux.

Leur inqualifiable défaillance eut pour premier résultat d’empêcher le Comité central de compléter et de garantir la victoire pacifique du 18 mars, en portant rapidement sur Versailles de suffisantes forces pour s’opposer à l’installation du gouvernement qui s’y était enfui.

Car, sans sortir du cadre purement local que venait de se tracer le mouvement de Paris, et sans prétendre même s’ingérer dans les relations du gouvernement avec le reste de la France, la sécurité de Paris s’opposait du moins à ce que ce gouvernement pût concentrer à ses portes des forces capables de menacer la ville, de lui couper ses communications, et le Comité central avait le droit incontestable d’y pourvoir.

Malgré l’affirmation contenue dans la circulaire aux départements[8], dans laquelle on relatait que 40,000 hommes de troupe étaient massés à Versailles et prêts à marcher sur Paris, sous les ordres du général Vinoy — ancien complice de Bonaparte — il est certain qu’il ne se trouvait alors dans cette ville que des troupes démoralisées, sans commandement sérieux, et qu’il eût été facile au Comité central d’imposer an gouvernement de s’éloigner à une distance suffisante pour que Paris n’en pût être inquiété.

Mais en présence des incertitudes créés dans l’opinion parisienne, par la défection des maires et des députés, le Comité central ne se crut point assez fort pour répondre aux vœux des bataillons les plus dévoués qui voulaient pousser jusqu’à Versailles, et il se contenta de prendre possession des forts d’Ivry, de Bicêtre, de Montrouge, de Vanves et d’Issy que les Prussiens venaient d’évacuer par suite de l’acceptation des préliminaires de paix.

À cette occasion, le Comité central commit une faute impardonnable, dont la responsabilité lui incombe tout entière et qui ne contribua que trop aux revers militaires dont la révolution communaliste ne tarda pas à être frappée.

De tous les forts à l’ouest de Paris, le plus redoutable pour la cité est le Mont-Valérien, à cause de sa situation plus élevée et du vaste rayonnement de ses feux. Il était donc de première importance qu’on s’assurât de sa possession pour se garantir de toute attaque de Versailles et aussi pour protéger l’offensive qu’on pouvait prendre sur cette direction, qu’il commande absolument.

Dans le désarroi qui suivit la fuite du gouvernement, il eût suffi certainement qu’on envoyât deux ou trois bataillons pour s’en emparer. — La garnison, composée alors de 80 hommes seulement et commandée par un chef laissé sans ordres, se fût sans nul doute facilement rendue.

Le Comité central, sur la proposition que lui en fit le citoyen Lullier, qui déjà peut-être méditait les projets de trahison qu’il vient d’avouer devant les Conseils de guerre, le Comité central, disons-nous, se contenta d’y envoyer ce citoyen, en parlementaire, auprès du commandant du fort pour le sommer de se rendre. D’après le rapport imputé depuis au citoyen Lullier par le Comité central, le commandant aurait refusé de se rendre, mais en promettant sur l’honneur qu’il conserverait une attitude neutre !

Promesse illusoire, dont il fut facile de relever le susdit officier, que le gouvernement de Versailles appela immédiatement à d’autres fonctions, en même temps qu’il lui donnait un successeur qui s’empressa de renforcer la garnison et les moyens de défense du Mont-Valérien.

Le Comité central, en s’en rapportant à un tel engagement, commit, nous le répétons, une impardonnable faute que la Commune devait peu après expier cruellement.

La situation du Comité central, rendue déjà si difficile par le refus des maires de concourir aux élections communales, s’accrut encore des embarras que vint lui créer la presse parisienne presque tout entière.

Se targuant de l’attitude hostile des municipalités, 33 journaux de toutes nuances[9] firent placarder le 21 mars et sur papier blanc, afin de lui donner un caractère quasi-officiel, la proclamation suivante :

Déclaration de la Presse
Aux Electeurs de Paris.

Attendu que la convocation des électeurs est un acte de la souveraineté nationale ;

Que l’exercice de cette souveraineté n’appartient qu’aux pouvoirs émanés du suffrage universel ;

Que, par suite, le Comité qui s’est installé à l’Hôtel-de-Ville n’a ni droit ni qualité pour faire cette convocation ;

Les représentants des journaux soussignés considèrent la convocation affichée pour le 22 mars comme nulle et non avenue et engagent les électeurs à n’en pas tenir compte.

Cet acte, essentiellement provocateur à la guerre civile, avait été inspiré à la presse par la proclamation ci-après, émanant des maires et des députés qui semblaient prendre plaisir à augmenter les complications du moment :

Les maires et adjoints de Paris et les représentants de la Seine font savoir à leurs concitoyens que l’assemblée nationale, dans la séance d’hier, a voté l’urgence d’un projet de loi relatif aux élections du Conseil municipal de la ville de Paris.

La garde nationale, ne prenant conseil que de son patriotisme, tiendra à honneur d’écarter toute cause de conflit, en attendant les décisions qui seront prises par l’assemblée nationale.

Vive la France ! Vive la République !

Paris, 21 mars 1871.
(Suivaient les signatures.)

La déclaration de la presse, si courte qu’elle fût, renfermait presque autant de sophismes que de mots.

Outre qu’en attribuant aux seuls pouvoirs émanés du suffrage universel le droit de consulter ce même suffrage, elle dépouillait l’électeur, par cela même, de son inaliénable souveraineté, elle confondait de plus le droit de convocation à des élections purement communales, avec celui relatif aux élections générales et qui n’appartient en effet qu’à la totalité de la nation.

Quant au défaut de droit et de qualité qu’on opposait au Comité central, cette opposition n’avait pas même le mérite de la sincérité, car depuis quatre-vingts ans, nul plus que ce Comité n’avait droit et qualité pour convoquer les électeurs à se réunir dans leurs comices. Ce reproche était assez étrange venant de la part de gens qui s’étaient inclinés, en 1830, devant la volonté de MM. La Fayette, Laffitte et consorts qui leur avaient imposé Louis-Philippe ; en 1848, devant MM. Lamartine, Ledru-Rollin et autres ; enfin, tout récemment encore, devant le gouvernement de MM. Jules Favre, Trochu et de leurs comparses du 4 septembre.

Il eut été vraiment plus honnête, laissant de côté des questions de principes, qu’on sophistiquait à plaisir, de déclarer simplement que le Comité central étant de par son origine même, appelé à régulariser une révolution populaire, dans toute la vérité de l’expression cette fois, on était décidé à lui refuser l’assentiment qu’on avait donné à ses devanciers qui, eux du moins, avaient toujours offert aux conservateurs la garantie de leurs privilèges sociaux.

L’adresse des maires et des députés était de son côté une véritable niaiserie, puisqu’elle ne tendait à rien moins qu’à subordonner le droit qu’avait Paris de se constituer en Commune, au consentement facultatif de la nation, tant bien que mal représentée par l’Assemblée de Versailles. Cette assemblée venait de donner vraiment une suffisante preuve du respect qu’elle professait pour ce droit, dans le projet de loi municipale auquel faisaient allusion les maires et les députés de la Seine.

Ce projet de loi, préparé et présenté par M. Érnest Picard, ministre de l’intérieur, plaçait le Conseil municipal de Paris, réduit au simple rôle de comptable de la ville, entre les mains et sous la surveillance du préfet de la Seine et du préfet de police, qui en étaient les présidents de droit[10]. Il ne manquait à ce projet de loi, aussi insensé qu’insultant pour Paris, que d’exiger que tout candidat à ce glorieux conseil fit partie de la police à un titre quelconque.

Telle était la récompense promise par MM. les maires et les députés aux citoyens de Paris, en retour de la patience à laquelle ils étaient conviés !

Et cette adresse portait les noms de gens que Paris avait acclamés le 8 février comme les plus énergiques défenseurs de la République et des principes démocratiques ! (MM. Louis Blanc, Schœlcher, Peyrat, Ed. Adam, Floguet, Martin Bernard, Langlois, Lockroy, Farcy, H. Brisson, Greppo et Edgar Quine.)[11].

Ces manœuvres et les tiraillements qui en résultaient, forcèrent le Comité central à ajourner d’abord au 23, puis enfin et comme dernier délai, au 20 mars les élections premièrement fixées au 22.

Cependant et dès le 19 mars, les diverses associations républicaines de Paris s’étaient réunies pour aviser, elles aussi, sur la conduite qu’elles devaient tenir en présence des événements. À l’exception des groupes exclusivement composés de travailleurs, ces associations politiques modelèrent généralement leur tenue d’après celle des maires et des députés.

D’inutiles efforts furent employés notamment pour entraîner dans le mouvement la société des Défenseurs de la République, créée après le 31 octobre, et qui, par son organisation, se rapprochait le plus du principe fédératif dont le 18 mars avait arboré le drapeau.

En vain, avec quelques amis, nous nous attachâmes à démontrer au comité central de cette association que, partageant les principes politiques professas par l’Hôtel-de-Ville, il fallait se rallier au comité de la garde nationale, qui, après tout, représentait la République contre Versailles, dont les sentiments monarchiques étaient suffisamment avérés.

Nous nous heurtâmes à ce préjugé que, les membres du Comité central « n’étant pas connus, » il n’y avait pas lieu de se déclarer en leur faveur.

Il en fut autrement du comité des 20 arrondissements, connu sous le nom de Comité de la Corderie, qui, réuni en séance le 21 mars, après avoir entendu les loyales explications du citoyen Malon[12] sur les craintes qu’il manifestait de voir de nouvelles journées de Juin ensanglanter Paris, prit la résolution suivante :

La réunion des délégués des 20 arrondissements décide qu’elle accorde son plein concours au Comité fédéral de la garde nationale, siégeant à l’Hôtel-de-Ville ;

Qu’elle l’engage à persister dans la résolution de procéder le plus tôt possible aux élections de l’administration communale ;

Elle donne mandat à ses délégués de tout faire pour que ce but soit poursuivi d’ensemble par le Comité central, la députation parisienne et les Municipalités.

Sont, nommés délégués, les citoyens : Lefrançais, Theisz, Ch. Beslay, Régère, Pierre Denis, Th. Ferré, Dumont, Vaillant, Camélinal et Eugène Gérardin[13].

L’assemblée chargea de plus ses délégués de demander la mise en liberté immédiate du général Chanzy, — qui venait d’être arrêté passant par Paris pour se rendre à Versailles — sous la seule réserve qu’il donnerait sa parole d’honnenr de ne pas prendre de commandement contre Paris[14].

La relaxation du général aux conditions susdites eut lieu quelques jours après. — Le général Chanzy déclara à ce propos en pleine tribune à Versailles qu’il n’avait eu qu’à se louer de l’attitude pleine de convenance des gardes nationaux en cette circonstance.

Deux jours plus tard, le 23, et pour répondre aux insinuations perfides du Gaulois et d’autres journaux de police, qui affirmaient que le Comité central (Hait répudié même par les socialistes les plus connus, le comité de la Corderie publiait l’appel suivant :

Aux électeurs de Paris
Le Comité central des vingt arrondissements.
Citoyens,

Provoquée par les partis monarchiques coalisés, la garde nationale de Paris a dû repousser ces provocations et accomplir une nouvelle Révolution, que les députés et magistrats municipaux n’ont su ni prévenir ni empêcher.

Maître de la situation depuis quatre jours, le peuple de Paris a répondu victorieusement aux calomnies dont il est l’objet depuis si longtemps, et l’ordre n’a jusqu’ici été troublé que par ceux qui se contentent d’inscrire ce mot sur leur drapeau[15].

Désireux surtout de donner à la France les gages les plus sérieux, le Comité de la Fédération de la garde nationale, siégeant à l’Hôtel-de-Ville, s’est empressé de déclarer qu’il entendait remettre immédiatement le pouvoir administratif entre les mains d’une Municipalité librement élue.

En témoignage de sa sincérité, le Comité vous appelle pour aujourd’hui au scrutin.

Dans ces circonstances, les habiles, profitant d’une déclaration regrettable, signée par les députés et tes Municipalités de Paris — déclaration aussitôt appuyée par les journaux réactionnaires, — vous invitent à déserter l’urne électorale, espérant bien que tout retard apporté dans les élections communales amènera forcément un conflit entre les citoyens de la grande cité.

Citoyens,

Il importe au salut de la Patrie et de la République de déjouer de pareilles manœuvres.

En conséquence, le Comité central des vingt arrondissements, composé d’hommes déjà connus d’un grand nombre d’entre vous vous adjure de vous rendre au scrutin, et, dût-il durer deux jours pour permettre à chacun d’accomplir ce devoir sacré en toute certitude, de donner par là la seule solution qui convienne au mouvement accompli le 18 mars : la constitution d’une représentation municipale ramenant dans Paris la sécurité que n’a pu lui procurer aucun des gouvernements autoritaires qui l’ont opprimé jusqu’ici.

Aux urnes ! citoyens, Aux urnes ! — afin que le fusil soit aussitôt remplacé par l’outil, et qu’ainsi soient assurés pour tous le travail, l’ordre et la liberté.

Au nom du Comité central des vingt arrondissements
et par délégation :
Ch. Beslay, Briosne, Baux, H. Bocquet, Bedouch, A. Brouillé, Chalvet, Camélinat, Ch. Dumont, P. Denis, Th. Ferré, Hamet, Ambroise Lyas, Lefrançais, Constant Martin, Eugène Pottier, Ch. Rochat, Régnier, Thélidon, Theisz, Vaillant, Jules Vallès.
(Extrait du Cri du Peuple du’24 mars.)

Mais la réaction avait déjà commencé son œuvre.

Dès le mardi 21, un certain capitaine A. Bonn du 253e bataillon de la garde nationale, invitait, par une affiche placardée aux alentours de la place Vendôme et du boulevard des Capucines, les bons citoyens, amis de l’ordre, à se grouper autour de lui pour « opposer une digue à la Révolution, » tandis que de son côté, un sieur Nivoley, capitaine au 17e bataillon de la garde mobile de la Seine, invitait ses camarades à se réunir à lui auprès de l’amiral Saisset pour « défendre la société menacée. »

Cet appel ne groupa, le premier jour qu’un nombre insignifiant de personnes, et surtout de curieux qui se contentèrent d’une simple promenade.

Mais un nouveau rendez-vous fut pris pour le lendemain 22. Une colonne d’environ trois mille personnes se forma aux abords du Nouvel-Opéra et du Grand-Hôtel.

À sa tête se faisaient remarquer MM. de Heckeeren, fils du sénateur sous l’empire ; de Coëtlogon, ex-préfet impérial, et Henri de Pêne, écrivain figariste, tous trois membres de la société des Gourdins réunis, fondée dans la dernière année de l’empire, et sous les inspirations du Figaro.

Cette colonne s’avança rue de la Paix, prétendant s’emparer de l’État-major de la garde nationale. Les cris qui sortaient de ses rangs — Vive l’ordre ! À bas le Comité ! — ne laissant aucun doute sur ses intentions, les gardes fédérés s’opposèrent à ce qu’elle pénétrât sur la place Vendôme. — Les manifestants tirent quelques coups de revolver sur les fédérés. Les citoyens Wahlin et François du — 215e bataillon, 7e compagnie, sont tués ; huit autres sont blessés[16]. Devant cette agression, les fédérés ripostent par une décharge, et plusieurs amis de l’ordre sont frappés à leur tour.

On cite entre autres le vicomte de Molinet qui fut tué et M. Henri de Pêne assez grièvement blessé.

Des revolvers, des cannes à épée laissés sur la place par les assaillants mis en fuite, témoignèrent des intentions pacifiques de ceux-ci. Si l’on en eût pu douter un seul instant, les circulaires adressées le matin même de cette manifestation sont de nature à ne laisser aucune hésitation à ce sujet[17].

La plupart des journaux reconnurent que ce conflit regrettable résultait d’incidents fortuits. L’assemblée nationale n’en persista pas moins à traiter de plus belle le Comité central et la garde nationale parisienne de ramassis de brigands et d’assassins.

Tout est permis, et même glorifié, contre le peuple ; mais si celui-ci, usant de sa force et à bout de patience, vient à se défendre et terrasse ses adversaires, une clameur générale s’élève contre sa rébellion et ce qu’on est convenu d’appeler « ses excès. » Ainsi le veut le respect dû à l’autorité gouvernementale, toujours indemne !

Effrayées pourtant des conséquences possibles de leur inertie, les Municipalités, d’accord avec les députés, résolurent d’aller à Versailles pour tenter une conciliation avec l’assemblée et le pouvoir exécutif.

Nous ne pouvons rien faire de mieux, pour démontrer que s’ils avaient fait preuve de quelque énergie dans cette démarche, ces Messieurs eussent pu en tirer d’heureux résultats, que de reproduire ici les impressions que causa cette tentative à l’auteur de l’histoire de la Guerre des communeux de Paris, qu’on affirme occuper un grade fort élevé dans l’armée et qui parle de visu.

« La fin de la séance du 23 » — dit cet officier supérieur « — fut troublée par le dépôt d’une proposition de M. Arnaud, de l’Ariége[18], tendant à obtenir que les maires de Paris pussent venir exposer leurs doléances à la barre de l’assemblée. Le président et la questure eurent la faiblesse d’admettre dans une tribune publique les maires vêtus de noir, cravatés de blanc, portant en sautoir l’écharpe tricolore, et s’offrant majestueusement en spectacle aux députés, fort émus de cette entrée en scène. Des cris de : Vive la République ! s’étant échangés entre cette escouade de maires et les bancs de la gauche, il s’ensuivit un tumulte qui pouvait dégénérer en vrai désordre, et l’imprudent M. Grévy ne trouva rien de mieux à faire que de lever brusquement la séance.

» C’était une grande imprudence, en effet, que d’avoir autorisé l’introduction, même dans une tribune de la Chambre, d’une bande de Messieurs revêtus d’insignes municipaux. Dés que le public, d’une assemblée perd son caractère impersonnel et anonyme de public, il devient aussitôt partie, intégrante de cette assemblée ; il y prend place et y conquiert des droits. — Un peu plus d’audace de la part des membres de la gauche, et nous avions une journée pareille à celle du 15 mai 1848[19]. »

La proposition de M. Arnaud, de l’Ariége, avait pour but d’obtenir que l’assemblée autorisât les maires de Paris à prendre telles mesures qu’ils jugeraient convenables et à fixer au 3 avril les élections du Conseil municipal.

Il va sans dire que la proposition n’eut point de suite, retirée qu’elle fut par son auteur avant même toute discussion.

Mais que pensent maintenant de leur triste conduite en cette circonstance MM. les maires et les députés de Paris, et combien ils s’en doivent savoir gré, en présence de l’aveu significatif et des agréables persifflages de M. l’officier supérieur de l’armée de Versailles ?

Et dire que jusqu’à la fin de la lutte, même après l’écrasement horrible et sans pitié des milliers de citoyens qui avaient placé en eux leur confiance, l’altitude de ces hommes resta la même, à la honte et au mépris de l’idée républicaine qu’ils avaient accepté de représenter et de défendre !

Malgré son apparent dédain du Comité central, le pouvoir exécutif et l’assemblée comprirent cependant qu’il était important d’attirer à eux l’élément bourgeois resté en expectative, malgré les efforts de MM. Tirard, Dubail, Vacherot, Héligon, Murat (André) et Clémenceau, qui brûlaient du désir de mitrailler les « gens de l’Hôtel-de-Ville, » et avaient fait de la mairie du 2e  arrondissement (quartier de la Bourse et de la Banque) le siège de la résistance au Comité.

L’amiral Saisset reçut donc carte blanche pour tenter de grouper autour de lui la petite bourgeoisie parisienne, en l’alléchant par de mensongères promesses, et le jeudi 23, il lança une proclamation ainsi conçue :

Chers concitoyens,

Je m’empresse de porter à votre connaissance que, d’accord avec les députés de la Seine et les maires élus de Paris, nous avons obtenu du gouvernement et de l’assemblée nationale :

1o  La reconnaissance complète de vos franchises municipales ;

2o  L’élection de tous les officiers de la garde nationale, y compris le général en chef ;

3o  Des modifications à la loi sur les échéances ;

4o  Un projet de loi sur les loyers, favorable aux locataires, jusques et y compris les loyers de 1,200 francs.

En attendant que vous me confirmiez ma nomination, ou que vous m’avez remplacé, je resterai il mon poste d’honneur, pour veiller à l’exécution des lois de conciliation que nous avons réussi à obtenir, et contribuer ainsi à l’affermissement de la République.

Paris, le 23 mars 1871.

Le vice-amiral commandant en chef provisoire,
Saisset.

Or, cette proclamation était mensongère d’un bout à l’autre. — Ni les députés, ni les maires de Paris n’avaient rien obtenu, et l’amiral le savait mieux que personne, lui, qui, la veille, s’était écrié, en pleine assemblée, qu’il « fallait faire appel à la province et marcher sur Paris[20] ! » pendant qu’à cette même séance, M. Jules Favre — incarnation du faux — avait demandé « pardon à Dieu et aux hommes d’avoir obtenu des Prussiens qu’ils laissassent des armes à la garde nationale de Paris ! »

Ils savaient bien cependant qu’il mentait, le signataire de cette proclamation, MM. Langlois et Schœleher, ces deux prétendues austérités républicaines, qui n’avaient point eu honte d’accepter de jouer le rôle de comparses dans cette abominable comédie d’une fausse conciliation !

Ils savaient bien pourtant, eux, ces purs, ces loyaux, que l’assemblée n’avait encore pas même commencé la discussion du projet de loi sur les échéances, présenté par leur collègue, l’infortuné Millière.

Ils savaient bien aussi la teneur du projet de loi présenté par M. Picard, et ce qu’il offrait de garanties concernant les franchises municipales de Paris.

Devant une manœuvre à la fois aussi misérable et aussi puérile, les adversaires même du Comité central haussèrent les épaules de mépris et la fameuse proclamation demeura nulle et sans effet.

M. le vice-amiral et ses complices en furent pour leurs frais et l’infamie dont les couvrit l’emploi d’un tel procédé.

Les quelques gardes nationaux qui s’étaient rendus à l’appel qu’on leur avait fait pour « rétablir l’ordre dans Paris » durent être renvoyés dans leurs foyers le 25 mars.

La trahison méditée à l’égard des Parisiens n’avait pu s’effectuer.

Les maires et les députés se décidèrent enfin, de leur côté, à faire un pas en avant vers le Comité central. Des pourparlers s’ouvrirent au sujet des élections qui, malgré toute opposition, furent décidément acceptées et maintenues pour le 26.

Il était impossible, en effet, de différer plus longtemps les élections communales qui, seules, pouvaient mettre un terme aux dangers de guerre civile qui se représentaient chaque jour dans Paris.

Les municipalités désertées par la plupart des élus des 5 et 7 novembre avaient été successivement occupées par les adhérents à la Fédération.

Seules, les mairies du 1er  et du 2e  arrondissement résistaient encore, gardées qu’elles étaient par quelques bataillons non fédérés, et dirigées par MM. Adam et Tirard, décidés à s’opposer, même par les armes, aux élections communales.

Le bruit courait que la mairie de la Banque (2e  arrondissement) avait été transformée en un véritable arsenal. Des mitrailleuses en assez grand nombre y avaient été amenées et tout y était préparé pour la lutte que que M. Tirard et ses amis étaient impatients d’engager.

Tout le périmètre de cet arrondissement était soigneusement gardé et on ne pouvait le franchir qu’avec de grandes difficultés.

Le 23 mars, une petite affiche blanche, placardée à profusion dans Paris, et signée Tirard, Dubail et Héligon, apprenait à la garde nationale qu’elle toucherait sa solde seulement à la mairie du 2e  arrondissement, où se trouvaient les fonds destinés à ce service et à la disposition exclusive des « maires issus du suffrage universel. » — Enfin, le 21 mars, le sieur Queyauvillers, ex-chemisier de l’empereur et connu comme bonapartiste, était nommé, sur la proposition de M. Chéron, adjoint au maire du 2e , chef de la légion de cet arrondissement.

Ces Messieurs, on le voit, avaient tout organisé pour amener la guerre civile dans Paris. Mais toutes |ces menées avortèrent aussi misérablement que le but en était exécrable.

L’amiral Saisset ayant congédié « ses troupes[21], » les deux municipalités résistantes durent enfin céder, et le 25 au soir, les bataillons qui les gardaient fraternisèrent avec les bataillons fédérés, envoyés de l’Hôtel-de-Ville pour occuper, militairement s’il le fallait, les mairies du Louvre et de la Banque.

Cette journée avait donc été pleine d’anxiété, car ennemis et amis du Comité central, tous comprenaient qu’elle allait être décisive, et que d’heure en heure le sang pouvait couler dans les rues de Paris.

Dans l’après-midi — vers 5 heures — on apprit enfin qu’un certain nombre de députés et les maires s’étaient mis d’accord avec l’Hôtel-de-Ville, et que les élections communales restaient définitivement fixées au lendemain 20, au lieu d’être ajournées au 30, comme les maires l’exigeaient d’abord. On respira. Les prévisions de luttes intérieures étaient dissipées !

Voici en quels termes la population parisienne apprit l’heureuse nouvelle :

Comité Central.

Le Comité central fédéral de la garde nationale, auquel se sont rallies les députés de Paris, les maires et adjoints élus, réintégrés dans leurs arrondissements, convaincus que le seul moyen d’éviter la guerre civile, l’effusion du sang à Paris, et, en même temps, d’affermir la République, est de procéder à des élections immédiates, convoquent pour demain dimanche, tous les citoyens dans les collèges électoraux.

Les habitants de Paris comprendront que, dans les circonstances actuelles, le patriotisme les oblige à venir tous au vote, afin que les élections aient le caractère sérieux qui, seul, peut assurer la paix dans la cité.

Le scrutin sera ouvert à huit heures et fermé à minuit.

                Vive la République !

Les maires et adjoints de Paris ;
Les représentants de la Seine présents à Paris ;
Le Comité central de la garde nationale.

Cette proclamation indiquait que les députés et les maires s’étaient ralliés au Comité central.

Dans leurs préoccupations mesquines de préséance et de prétendue dignité officielle, Messieurs les maires et les députés, au risque de tout compromettre et de raviver les rancunes qui venaient de s’apaiser ; au risque d’écarter du scrutin ceux qui ne demandaient pas mieux que d’avoir un prétexte de n’y pas aller et d’affaiblir ainsi l’influence morale du futur corps communal, ces messieurs, disons-nous, commirent l’insigne et dernière faute de dénoncer toute la haine qu’ils portaient au Comité central, en faisant suivre la proclamation de celui-ci d’une seconde, dans laquelle ils rectifièrent ainsi le texte de la convention intervenue :

République Française.
Liberté, Égalité, Fraternité.
Seul texte authentique de la convention signée par les maires et adjoints ; les représentants de la Seine présents à la séance, et MM. Ranvier et G. Arnold, délégués du Comité central de la garde nationale :

Les députés de Paris, les maires et les adjoints élus et réintégrés dans leurs arrondissements, et les membres du Comité central fédéral de la garde nationale, convaincus que pour éviter la guerre civile, l’effusion du sang à Paris, et pour affermir la République, il faut procéder à des élections immédiates, convoquent les électeurs demain dimanche dans leurs collèges électoraux.

Le scrutin sera ouvert à huit heures du matin et fermé à minuit.

Les habitants de Paris comprendront que, dans les circonstances actuelles, ils doivent tous prendre part au vote, afin que ce vote ail le caractère sérieux qui seul peut assurer la paix dans la cité.

Les maires et adjoints de Paris ;
Les représentants de la Seine présents à Paris ;
Le Comité central de la garde nationale.

Ainsi qu’il résulte de la comparaison des deux textes, le Comité central avait constaté dans sa proclamation que les maires et les députés s’étaient ralliés au mouvement. Cette expression avait choqué ceux-ci ; de là leur colère in extremis contre l’Hôtel-de-Ville, colère qu’ils traduisirent par un acte puéril dans la forme, mais au fond rempli de danger, si le public, plus intelligent qu’eux, n’eût passé outre en haussant les épaules.

Et c’est pour une pareille attitude, dont la faiblesse et le manque de dignité réelle furent les caractères constants, durant la semaine qui venait de s’écouler, que MM. Langlois, Tirard, Schœlcher, Quinet et tutti quanti, ne craignirent pas de demander à l’assemblée de Versailles, par l’entremise de Louis Blanc, un satisfecit en faveur de MM. les maires et adjoints de Paris !

Cette ambitieuse, proposition fut renvoyée i la Commission d’initiative parlementaire, qui, à la séance du 27 mars, fit adopter par l’assemblée cette conclusion : Il n’y a pas lieu de prendre en considération la proposition de M. Louis Blanc.

La platitude des maires et des députés républicains reçut ainsi sa récompense.

Combien autrement élevées étaient en ce moment les préoccupations des « gens de l’Hôtel-de-Ville » !

Dans une adresse que contenait l’Officiel du 25 on rappelait aux citoyens que Paris, après avoir constitué sa Commune, « laissant au gouvernement central l’administration générale, la direction politique du pays », mais désormais seul arbitre de ses destinées, « pourra enfin décider lui-même quelles sont les mesures qui permettront au plus tôt, sans froissements et sans secousses, d’amener la reprise des affaires et du travail. »

Plus loin, on rappelait encore aux Parisiens cette grande vérité, trop méconnue par tous, que « la République ne vit ni de fantaisies administratives coûteuses, ni de spéculations ruineuses, mais de liberté, d’économie, de travail et d’ordre » et « qu’aucune question concernant les intérêts de la cité ne peut être abandonnée aux caprices d’un pouvoir qui n’obéit le plus souvent qu’à l’esprit de parti », mais que toutes devaient être réglées par les représentants de la Commune, « soutenus par leurs concitoyens, toujours appelés, toujours entendus. »

C’était bien là le programme dés socialistes, qui, depuis le 4 septembre notamment, poursuivaient de tous leurs efforts la constitution de la Commune. Déduire l’action du pouvoir communal à un simple rôle d’exécution des contrats librement débattus devant lui par les parties intéressées, et ne rien laisser à la fantaisie ni au caprice du législateur, c’était entrer de plein pied dans la pratique de li démocratie véritable. C’était instituer et consolider définitivement la République ; c’était enfin et sérieusement cette fois, couronner l’édifice politique et social dont nos pères ont jeté les fondements en 1789-93.

Que de telles règles fussent observées par la Commune, elle devenait invincible. Mais, et au risque de déplaire à nos amis, nous ne craindrons pas de le dire ici, c’est bien plutôt parce qu’elle n’a pas été fidèle à ce programme qu’à cause des forces militaires supérieures qu’elle a eues à combattre, que la Commune doit seulement attribuer sa chute.

Ainsi, durant ses huit jours de pouvoir, le Comité central, à force de sang-froid, d’énergie et d’une habileté d’autant plus surprenante que ses membres étaient jusqu’alors restés étrangers aux intrigues politiques de nos mouvements précédents ; le Comité, disons-nous, avait su mener à bien l’œuvre qu’il avait entreprise, de restituer à Paris le pouvoir de gouverner lui-même ses propres affaires, pouvoir qu’avaient tenté de lui arracher ceux-là même qui n’avaient fondé leur fortune politique qu’en le revendiquant durant quinze années sous l’empire.

Les délégués du peuple, dans leur honnêteté, avaient été plus forts que tous les faiseurs politiques, dont les intrigues étaient venues échouer devant l’inébranlable fermeté de ceux qu’ils appelaient dédaigneusement des c inconnus sans mandat » !

Pourquoi faut-il que ces « inconnus » n’aient pas su conserver ce même désintéressement et cette même abnégation après l’installation de la Commune ? Que de malheurs eussent alors été évités !

Nous sommes personnellement bien désintéressé dans l’appréciation que nous faisons ici de la remarquable conduite politique du Comité central, du 18 au 20 mars.

Nous en devons faire l’aveu, nous sommes de ceux qui, jusqu’au 20 mars, c’est-à-dire 48 heures après la révolution accomplie, ne regardèrent qu’avec une surprise l’avènement du Comité central. Nous pensions et nous pensons encore à cette heure, qu’il eût été préférable que l’institution de la Fédération de la garde nationale pût se fortifier, et surtout que ses délégués eussent le temps de se faire apprécier, afin qu’on en pût éliminer ceux dont la vie privée et les tendances politiques eussent laissé à désirer. Il eût été utile aussi, selon nous et d’autres amis, qu’à l’aide de cette nouvelle institution, les délégués se fussent perfectionnés dans une science qui fait généralement défaut au parti populaire : la science administrative.

Mais dès le 20 mars, nous fûmes de ceux qui, tout en regrettant l’éclosion prématurée, et par cela même « voulue par les avocats au pouvoirs », d’un mouvement aussi considérable que celui du 18 mars, se rallièrent au Comité central à cause de celle considération, qu’en définitive la réaction monarchique était à Versailles, sans qu’il fût permis d’en douter, tandis qu’au contraire, en se déclarant pour l’Hôtel-de-Ville, les républicains consolidaient d’autant la République.

Ce sera, nous ne saurions trop le répéter, la honte éternelle des députés et des maires républicains de ne l’avoir pas compris.

Ces hommes ne manquèrent pas seulement de cœur et de courage en cette circonstance ; ils prouvèrent au monde entier qu’ils n’avaient aucun sens politique, et méritèrent justement ainsi le mépris dont ils jouissent à l’assemblée de Versailles ; mépris dont celle-ci ne se cache point, chaque fois qu’elle en trouve l’occasion, et nous pensons qu’elle a raison.

Le dimanche 26 mars, les élections communales se firent dans le plus grand ordre. Le temps était magnifique, et Paris avait vraiment l’air d’être en fête. C’était au moins un temps de repos, et tous en profitaient.

Sans s’immiscer en rien dans les moyens d’exécution, le Comité central avait donné son sentiment sur les préoccupations qui devaient guider l’électeur en cette circonstance, et ses conseils étaient empreints d’une véritable sagesse[22].

De son côté, l’ancien comité de la Corderie publiait une sorte de programme communal et déclarait accepter les candidats proposés par les Conseils de légion[23].

Sur la proposition de ce Comité, le Comité central avait fixé au huitième des électeurs inscrits le chiffre de voix à obtenir pour que l’élection pût être validée.

Près de 230,000 électeurs prirent part au scrutin, de huit heures du matin à minuit, et, grâce au zèle des citoyens composant les bureaux de sections, les journaux purent, le lendemain 27, à midi, proclamer les noms des élus[24].

Les résultats du scrutin furent généralement favorables aux travailleurs dont tous tes candidats obtinrent une grande majorité, à l’exception des 1er , 2e , 9e et 16e arrondissements, dans lesquels triomphèrent les noms de candidats absolument bourgeois.

Le 28 mars, vers trois heures de l’après-midi, au milieu d’une immense assistance, le scrutin par arrondissement fut proclamé et les chiffres officiellement connus[25].

La Commune était constituée !

Nous pensons ne pouvoir mieux terminer ce chapitre qu’en citant l’extrait suivant du livre de M. Catulle Mendès, un écrivain anti-communaliste, et qui ne craignit pas d’insulter les vaincus sur leurs cadavres encore chauds[26] :

« J’étais sur la place de l’Hôtel-de-Ville à l’heure où ont été proclamés les noms des membres de la Commune, et j’écris ces lignes tout ému encore.

» Combien d’hommes étaient là ? Cent mille peut-être. D’où venus ? De tous les points de la cité. Les rues voisines regorgeaient d’hommes armés, et les baïonnettes aiguës, étincelant au soleil, faisaient ressembler la place à un champ d’éclairs.

» Au milieu de la façade de l’Hôtel, s’élève une estrade que domine un buste de la République, coiffé du bonnet phrygien ; on a voilé de drapeaux le Henri IV de bronze. Aux fenêtres, des grappes vivantes. Des femmes sur le toit, des enfants accrochés aux sculptures de l’édifice, ou à cheval, dans les médaillons, sur la nuque des bustes.

» Un à un, les bataillons s’étaient rangés sur la place, en bon ordre, musique en tête.

» Ces musiques jouaient la Marseillaise, reprise en chœur par cinquante mille voix résolues ; ce tonnerre vocal secouait toutes les âmes, et la grande chanson, démodée par nos défaites, avait retrouvé un instant son antique énergie.

» Tout à coup, le canon. La chanson redouble, formidable ; une immense houle d’étendards, de baïonnettes et de képis, va, vient, ondule, se resserre devant l’estrade. Le canon tonne toujours, mais on ne l’entend que dans les intervalles du chant. Puis tous les bruits se fondent dans une acclamation unique, voix universelle de l’innombrable multitude, et tous ers hommes n’ont qu’un cœur comme ils n’ont qu’une voix.

 
 

» Ah ! peuple de Paris ! quel volcan de passions généreuses brûle donc en toi pour que parfois, à ton approche, les cœurs même de ceux qui te condamnent se sentent dévorés et purifiés par tes flammes ! »


  1. Histoire de la Révolution du 18 mars.
  2. Voir aux pièces justificatives, VI.
  3. À l’appui de cette dénégation, nous relevons le fait suivant, dans le cours du procès fait à Versailles aux prétendus meurtriers : l’un des accusés, Aldentoff, ayant déclaré qu’il avait été cassé de son grade par la Commune, pour avoir voulu sauver MM. Lecomte et Clément Thomas, le président du Conseil, lieutenant-colonel Aubert, déclare que c’est au contraire parce que la Commune trouvait gênant d’avoir parmi les officiers de la garde nationale des gens qui avaient participé au meurtre, et le commissaire rapporteur s’empresse d’ajouter : « C’est à ce point que Bergeret, membre du Comité central alors, s’est écrié : « Cette affaire nous fait perdre plus de cent mille hommes. »
  4. Les citoyens Vaiiin, Jourde et E. Moreau.
  5. MM. Adam [1er  arrond.] — Tirard [2e  arrond.] — Vautrain [{4e ] — Vacherot [5e] — Hérisson [6e] — Arnaud, de l’Ariége [7e] — Carnot [8e] — Desmarets [9e] — Dubail [10e] — Grivot [12e] — Pernolet [13e] — Asseline [14e] — Corbon [15e] — Henri Martin [16e — François Favre [17e] et Clemenceau [18e]. De plus, les 19e et 20e arrond. étaient administrés par des Commissions nommées d’office par le gouvernement.
  6. Nous trouvons à cet égard l’aveu suivant dans un livre nouvellement paru sur le 18 mars et la résistance des maires, auquel la situation de son auteur, M. Frédéric Damé, secrétaire de M. Tirard — le chef de la résistance — donne une signification sans réplique : « Les maires ont tenu huit jours le Comité central en échec et ces huit jours, le gouvernement a pu les employer à organiser son armée !en agissant comme ils l’ont fait, les maires de paris ont agi en bons citoyens. »
  7. Voir aux pièces justificatives, VII.
  8. Voir aux pièces justificatives, VIII.
  9. Les Débats, Le Constitutionnel, L’Électeur libre. Le petit Moniteur, La Vérité, Le Figaro, Le Gaulois, La petite Presse, Le petit Journal, Paris-Journal, Le petit National, La Presse, La Liberté, Le Pays, Le National, L’Univers, La Cloche, Le Français, La Gazette de France, L’Union, Le Bien public, L’Opinion nationale, L’Avenir libéral, Le Journal des Villes et des Campagnes, Le Journal de Paris, Le Moniteur universel, La France Nouvelle, Le Monde, Le Temps, Le Soir, L’Ami de la France, Le Messager de Paris et le Peuple Français.
  10. Nous doutons fort que M. Picard, qui n’a dû sa fortune politique qu’à sa spécialité de défenseur des franchises municipales parisiennes, sous l’empire, eût recueilli beaucoup de suffrages dans sa circonscription si, en 1857, il eût présenté ce projet à ses électeurs comme l’idéal du but que poursuivaient ces derniers en l’honorant alors de leurs votes.
  11. À l’honneur des citoyens Lockroy et Floguet, nous devons dire cependant qu’ils donnèrent quelques jours après leur démission de députés.
  12. Adjoint au 17e arrond. et député de la Seine, démissionnaire.
  13. N’a rien de commun avec le citoyen Ch. Gérardin du 17e arrond. qui acquit plus tard une certaine notoriété au sujet de l’affaire Rossel.

    Eugène Gérardin lut élu membre de la Commune par le 4e arrond.

  14. Voir le Cri du Peuple du 23 mars 1871.
  15. Le jour même où cette adresse était rédigée, avait eu lieu la manifestation des Amis de l’ordre (ex-société des Gourdins) à la place Vendôme.
  16. Leurs noms figurent à l’Officiel du 25 mars.
  17. Voir aux pièces justificatives, IX.
  18. À la fois maire du 7e arrondissement et député de la Seine.
  19. Guerre des communeux de Paris, par un officier supérieur de l’armée de Versailles, pages 112 et 113.
  20. Le loyal marin n’eut pas honte pourtant de dire le lendemain à M. Léo Meillet, qui lui reprochait l’infamie de ses paroles, qu’il ne les avait prononcées que par ironie, ajoutant qu’il se f… de tous les gouvernements — ce que nous croyons sans peine, d’ailleurs, de lui, et de bien d’autres encore qui sont tout disposés à émarger volontiers à tous les budgets.
  21. Un pou moins de 1, 000 hommes !
  22. Voir aux pièces justificatives, X.
  23. Voir aux pièces justificatives, XI.
  24. Il est à remarquer que le Conseil municipal actuel de Paris, nommé sous la pression de l’état de siège, et dont personne n’oserait attaquer la valeur légale, n’a été élu que par un ensemble de moins de 140,000 votants ! — Le conseiller qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages est M. Lockroy, — 11e arrond. — élu par 3,152 voix. Celui qui en a eu le moins est M. Rigault, du 17e. qui a été élu par 150 voix. — Le membre de la Commune qui avait obtenu le plus petit nombre de suffrages aux secondes élections, était le citoyen Longuet, élu dans le 16e arrond. par 1,058 voix.
  25. Voir le tableau général des élections, pièces justificatives, XII.
  26. Les 73 jours de la Commune, par Catulle Mondès — livre publié le 30 mai 1871 ! (pages 60-61).