Études historiques et littéraires sur le wallon/1

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Bah ! exclamera certainement le Christophe Colomb qui découvrira ce mirifique opuscule : Études historiques et littéraires sur le Wallon !!! Moi qui ne savais pas que le wallon avait une histoire et encore moins une littérature ! Voici cependant un ouvrage qui examine l’une et l’autre…

Et pourquoi pas ?

Une littérature complète, nous le savons, a ses littérateurs, ses orateurs, ses poètes, ses savants : de ces écrivains, nous n’en avons plus et nous n’en avons jamais eu beaucoup. Il n’en faut pas conclure toutefois que le wallon soit une langue morte, et que notre travail en soit l’épitaphe ou l’oraison funèbre.

Croyez-nous : il jouit d’une santé exhubérante. Mathieu Laensberg n’en fait-il pas usage pour rendre ses oracles solennels, que suivent à la lettre les potentats et les éléments, et quelques heureux, qu’illumine l’étoile dont parle Boileau, ne coulent-ils pas leurs pensées intimes, bachiques et politiques dans le moule de ce doux et rude, de cet élégant et inculte idiome ?

N’est-ce pas une langue pour de vrai, celle dans laquelle le curé de campagne commente, chaque dimanche, quelques courtes phrases de la langue des Immortels, et dans laquelle il prophétise et lance ses plus véhémentes apostrophes ? Quelques lecteurs caustiques diront même, en nous lisant, qu’ils ont du wallon sous les yeux ; mais ce serait pure calomnie. Nous avons nos certificats et nos prix de collége, où l’on parle le français.

Quoi qu’il en soit, cette dissertation démontrera surabondamment que depuis deux mille ans, ni plus ni moins, le wallon est le seul idiome dont se sont servis nos ancêtres, et qu’ils n’en connaissaient point d’autres, pas même le Flamand, qu’on a cependant voulu nous imposer, en dépit de l’histoire et de la raison.

Nous n’avançons rien de nouveau, nous le savons pertinemment, et nous n’en rougissons pas, parce que en faisant cette pudibonde confession, nous ne sommes que le traducteur d’un proverbe qui courait les rues du temps de Salomon. Aussi, avouons-nous ingénuement que nous avons faict nostre trame de la fillace d’autruy, tout comme notre historien Melart. Nous ne sommes parvenu à tisser cette élucubration qu’avec le secours de livres vielz, nouveaulx et antiques, mots charmants d’Etienne Dolet, et que chérit le savant Bibliophile. Que l’on prenne donc bien garde de nous critiquer : nous pouvons dire avec Montaigne : « Que je prens de plaisir à voir donner des nazardes à Seneque et à Plutarque sur mon nez ! » — Toutefois, nous ne redoutons nullement notre pèlerinage à la vallée de Josaphat : nous n’y serons pas complètement dépouillé.

Puisque nous sommes en aveu, ajoutons que notre intention n’a pas été d’approfondir la matière, mais de mettre sur la voie de recherches ou de combinaisons plus heureuses. Nous ne nous sommes jamais frotté de polyglottes, et par conséquent nous sommes un pauvre homme en fait d’étymologies miraculeuses et de philologie transcendante : nous ne prétendons pas prouver qu’alfana vient d’equus. On ne doit donc point ici compter sur une savante analyse philosophique du langage liégeois, si riche et si varié. Nous n’avons pu qu’effleurer ses origines.

Enfin, nous prévenons d’avance le lecteur, qui s’en apercevra bientôt du reste, que ces recherches nous ont fort ennuyé, d’abord, par les contradictions que l’on rencontre dans les historiens, ensuite, par la discussion grammaticale, genre d’études fort peu attrayant. Nous ne demandons qu’une chose : c’est qu’on soit indulgent, et qu’on essaie de comprendre ce que parfois nous avons essayé de faire entendre.

On remarquera que dans cette dissertation nous avons toujours suivi le dialecte de Liège : la raison, c’est qu’il est pour notre wallon ce qu’Athènes était pour le grec, Rome pour le latin et ce qu’est Paris pour le français. La comparaison n’est peut-être pas modeste, mais elle est juste : Liège, en effet, n’est-elle pas le centre de la famille wallonne ?

Un mot encore. Nous supplions le lecteur de nous pardonner les erreurs ou les conjectures qu’un peu plus de recherches ou de soins nous auraient fait facilement éviter. Nous avouerons humblement que l’origine de cette dissertation est entachée d’un grand vice : c’est qu’elle était destinée au feuilleton, et l’on sait ce que sont les œuvres qui doivent passer par cette méchante filière. Ce travail, fait à la légère, n’avait qu’un but, celui de provoquer des discussions ou la publication d’ouvrages wallons. Cette intention est louable : qu’elle soit notre excuse. Elle sera, nous n’en doutons point, reçue avec bienveillance. Le public ne peut pas faire moins que l’illustre professeur de Berlin, M. Jacob Grimm, qui a daigné sourire à nos recherches en voulant bien s’en déclarer le parrain.