Études historiques et politiques sur l’Allemagne/4

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ÉTUDES HISTORIQUES
ET POLITIQUES
SUR L’ALLEMAGNE.[1]

L’ALLEMAGNE APRÈS LA RÉVOLUTION DE JUILLET. —
RÉVOLUTIONS DE BRUNSWICK, DE SAXE, ETC. —
LA FÊTE DE HAMBACH.

La violente secousse imprimée à l’Allemagne par la révolution française de 1830 remit un moment en question tout le système de la confédération germanique, et fit voir que l’ordre apparent établi par le triomphe du principe monarchique n’avait été qu’une paix provisoire, ou plutôt une suspension d’armes pendant laquelle les vaincus n’avaient cessé de se préparer à prendre leur revanche. Les dix années qui suivirent le coup d’état de Carlsbad n’affaiblirent pas le parti de l’opposition ; elles lui donnèrent même plus d’unité et par conséquent plus de force, parce qu’en diminuant progressivement l’influence du teutonisme de 1813, elles firent prédominer le libéralisme proprement dit, et ramenèrent par là l’influence tant redoutée et tant combattue des idées françaises. Les mesures prises contre la presse contribuèrent beaucoup à ce résultat, et, comme il arrive souvent, ne firent que déplacer le siége du mal qu’on avait prétendu guérir. On parvint bien à empêcher les Allemands de s’occuper de leurs propres affaires, mais alors tout leur intérêt se porta sur celles de leurs voisins, et leurs regards se tournèrent de nouveau vers la France, comme vers le champ de bataille où devaient se décider les destinées de l’Europe. Les libéraux d’Allemagne s’associèrent de cœur à la lutte des libéraux français contre la restauration, et s’habituèrent peu à peu à laisser de côté la cause de l’unité nationale pour celle de la liberté universelle. Wolfgang Menzel signale cette nouvelle direction des idées dans un passage où perce la mauvaise humeur qu’elle dut inspirer aux patriotes de la vieille roche : « Le parti libéral, dit-il, ne se prépare guère à l’avenir qu’en étudiant les journaux français. Il n’y a point de trait où l’on voie mieux la persistance de l’ancienne prépondérance de la France, interrompue seulement pendant une couple d’années par les guerres de l’indépendance. La capacité morale et intellectuelle de nous occuper de nous-mêmes n’était pas revenue, et nous restâmes après comme avant dans le cercle magique de l’influence française. Nous nous inquiétâmes bien moins des questions allemandes restées sans solution, comme celles qui concernaient les constitutions, la liberté de la presse, celle du commerce, la libre navigation du Rhin, etc., que des mouvemens des autres pays ; et il est vrai que nous n’avions chez nous que des changemens de ministères sans importance et d’ennuyeux discours de députés. Nous vivions, pensions et sentions dans les journaux étrangers, et nous étions là chez nous bien plus que dans notre patrie[2]. » Par suite de cette sympathie, il se forma en Allemagne des partis analogues à ceux qui étaient en scène de l’autre côté du Rhin. Nos révolutionnaires décidés eurent leurs représentans dans une partie de la jeunesse des universités, qui, en dépit de toutes les prohibitions, continuait à s’organiser en sociétés secrètes, et dont les opinions étaient un mélange confus d’idées républicaines modernes et de tendances vers l’ancien teutonisme. D’un autre côté, la classe moyenne allemande s’imprégna des principes adoptés par la classe moyenne française, et prit comme celle-ci pour point de mire un système représentatif fondé sur la prépondérance de la bourgeoisie. Les avocats, les professeurs, les négocians, virent avec une admiration jalouse l’importance politique que la tribune et la presse donnaient à leurs confrères de France, et ils appelèrent de tous leurs vœux le moment où eux aussi pourraient élever leurs constitutions au niveau de la charte française et se poser en égaux, sinon en maîtres, vis-à-vis des gouvernemens et de l’aristocratie. Quant au peuple, quoiqu’il ne lût pas les journaux étrangers et qu’il s’occupât peu de théories politiques, les partisans des innovations pouvaient cependant compter sur son appui en plusieurs lieux où des souffrances réelles entretenaient chez lui le mécontentement et l’irritation. Dans quelques pays, la mauvaise administration, l’incurie poussée à l’extrême, le maintien de tout un attirail de vieux abus, imposaient aux sujets des charges hors de proportion avec leurs ressources, et rendaient leur condition très pénible. À ces griefs s’ajoutait parfois la conduite de princes extravagans ou scandaleux qui concluaient apparemment des théories ultra-monarchiques de la diète, que la plénitude de la souveraineté consistait à ne respecter aucun droit ni aucune convenance. Tous ces élémens de perturbation n’attendaient qu’un moment favorable pour se produire au dehors, et nous les verrons figurer ensemble ou séparément dans les mouvemens dont la révolution de juillet donna le signal. Ce fut le peuple qui commença. Le mois de septembre 1830 vit éclater des insurrections sur plusieurs points de l’Allemagne. Quelques-unes furent réprimées : trois eurent pour résultat des révolutions sur le modèle de celle de juillet, c’est-à-dire le changement de la personne du souverain et celui de la constitution du pays.

La première eut lieu dans le duché de Brunswick. Ce petit état, après avoir fait partie du royaume de Westphalie, avait été rendu en 1813 à son souverain légitime, lequel fut tué en Belgique pendant la guerre de 1815. Son fils mineur resta sous la tutelle du roi d’Angleterre, qui rétablit l’ancienne constitution d’états territoriaux, et administra, du reste, avec sagesse et modération, par l’intermédiaire du ministre Schmidt Phiseldeck. En 1823, le jeune duc Charles, ayant accompli sa dix-neuvième année, prit en main le gouvernement, et l’on vit se succéder chaque jour les actes les plus arbitraires et les scènes les plus scandaleuses. Il lança des écrits injurieux contre le roi d’Angleterre qu’il accusait d’avoir conservé la tutelle au-delà du terme légal, ne voulut pas reconnaître ce qui s’était fait pendant sa minorité, renversa la constitution, dilapida les biens de l’état pour grossir son trésor privé, mit au-dessus des lois et des tribunaux quelques misérables dont il avait fait les instrumens de son despotisme, et persécuta avec acharnement des hommes respectables qui refusaient de plier devant ses caprices[3]. Des plaintes furent portées à la diète par le roi d’Angleterre qui demandait réparation des injures que lui avait adressées son pupille, et par les états du duché qui réclamaient contre la suppression illégale de la constitution. La plainte des états ne fut pas accueillie ; mais le duc fut condamné à rétracter ses calomnies contre son tuteur, ce qu’il fit dans les termes les plus dérisoires et les plus insultans, et en déclarant qu’il n’accorderait rien de plus. Après quoi, pour se débarrasser de l’ennui que lui donnait cette affaire, il laissa l’administration de son état à ses favoris, et s’en alla à Paris dépenser au sein des plaisirs l’argent qu’il avait retiré de ses exactions.

Il s’y trouvait au moment de la révolution de 1830, qui le força à revenir dans sa capitale où il se montra plus despote et plus hautain que jamais. Des réclamations lui ayant été adressées pour l’allégement des charges publiques et pour la convocation des états, il les repoussa avec une dureté superbe, déclarant qu’il saurait mieux défendre sa couronne que Charles X, et il fit aussitôt braquer des canons sur une des places de la ville ; mais ces démonstrations, au lieu d’effrayer le peuple, l’irritèrent et l’exaspérèrent. Le 6 septembre au soir, comme le duc sortait du spectacle, sa voiture fut assaillie à coups de pierres, et il ne dut son salut qu’à la vitesse de ses chevaux. Le lendemain, l’insurrection devenant de plus en plus menaçante, et les soldats paraissant peu disposés à faire couler le sang de leurs concitoyens, il s’enfuit en toute hâte, pendant que la multitude saccageait son château et le livrait aux flammes. Les bourgeois s’armèrent pour rétablir la tranquillité, et y parvinrent sans beaucoup de peine. Le prince Guillaume, frère cadet du duc, prit le gouvernement à sa place, aux grands applaudissemens du peuple : il renvoya le ministère existant, reconnut les états, promit une nouvelle constitution[4], et tout rentra dans l’ordre. La diète, après de mûres délibérations[5], se déclara convaincue de la complète inaptitude du duc Charles au gouvernement, et donna son assentiment à ce qui s’était fait. Le prince détrôné essaya de rentrer dans ses états en promettant au peuple les institutions les plus démocratiques, mais personne ne donna dans ce piége grossier, et il abandonna l’Allemagne pour traîner à Paris ou à Londres une existence obscure et sans dignité.

La révolution de Hesse avait aussi été préparée par une série d’actes extravagans et tyranniques. Le landgrave de Hesse-Cassel, devenu électeur en 1803, avait été dépossédé par Napoléon pour avoir gardé la neutralité pendant la guerre de 1806, et ses états avaient été incorporés au royaume de Westphalie. Restauré en 1813, à la grande joie des Hessois qui étaient restés très dévoués à leur vieille dynastie, il voulut tout remettre exactement dans l’état où il l’avait laissé[6]. Les promotions faites sous Jérôme Bonaparte furent déclarées nulles ; les conseillers redevinrent commis, et les capitaines sous-lieutenans ; l’armée reprit la poudre et les grandes queues ; les corvées abolies furent rétablies ; en un mot, les sept années pendant lesquelles le prince avait été absent furent considérées comme non avenues. À cette manie rétrograde l’électeur joignait une insatiable avidité. Il reprit les biens de l’état aliénés sous le précédent gouvernement, en refusant aux acquéreurs toute espèce d’indemnité, fit acquitter par le pays les énormes dettes de son fils, réduisit à un taux minime les traitemens de tous les fonctionnaires, et offrit aux états une nouvelle constitution à prix d’argent. Les états, ayant repoussé ce honteux marché, ne furent plus convoqués, et le pays resta livré à l’arbitraire le plus complet. Tous ces procédés excitèrent, comme on peut le croire, un mécontentement général ; mais une censure rigoureuse et une police sévère l’empêchaient de s’exprimer, et quiconque se plaignait était mis en prison.

Le vieil électeur étant mort en 1820 fut remplacé par son fils Guillaume II, qui supprima la poudre et les queues des soldats, mais, qui, à cela près, conserva soigneusement les traditions paternelles. Les états ne furent pas convoqués, la censure ne se relâcha en rien de sa rigueur, et la police continua à exercer la patience des Hessois par mille vexations quotidiennes. Le nouvel électeur vivait depuis long-temps avec une maîtresse de bas étage qu’il avait faite comtesse de Reichenbach et qui le gouvernait entièrement, pendant que sa femme, sœur du roi de Prusse, poussée à bout par d’indignes procédés, avait quitté le pays et s’était retirée à Bonn. Ces scandales, et les nombreux abus qui s’y liaient, entretenaient une certaine fermentation parmi le peuple, tandis que le prince, effrayé par les rapports exagérés de ses espions, devenait de jour en jour plus méfiant et plus tyrannique. Un pays ainsi gouverné ne pouvait manquer d’être séduit à son tour par les exemples donnés en France et en Belgique. On s’insurgea à Cassel le 6 septembre, et à Hanau le 24 : on demanda la convocation des états, la réforme des abus et le renvoi de la comtesse de Reichenbach, à l’influence de laquelle on attribuait à tort ou à raison la plupart des actes dont on avait eu à se plaindre. L’électeur, n’étant pas en mesure de résister avec avantage, promit tout ce qu’on voulut, convoqua les états, qui s’assemblèrent le 16 octobre et rédigèrent une nouvelle constitution qu’il accepta d’assez bonne grace. Cette importante concession et le retour de l’électrice commençaient à calmer les esprits, lorsqu’on apprit que la comtesse de Reichenbach, qu’on croyait éloignée pour toujours, venait d’arriver à Wilhelmshoche[7]. Cette nouvelle ayant fait renaître dans Cassel une agitation menaçante, la favorite effrayée s’enfuit, suivie de près par l’électeur qui ne pouvait se résoudre à se séparer d’elle. Peu de temps après, le prince déclara qu’il ne reviendrait pas dans sa capitale, tant que l’esprit des habitans n’aurait pas changé, et il finit plus tard par remettre le gouvernement à son fils.

La Saxe fut le théâtre de la troisième révolution. Celle-ci eut des causes plus politiques que personnelles au souverain, vieillard respectable et inoffensif, auquel on ne pouvait reprocher que de la faiblesse et de l’incurie. Les Saxons, peuple lettré et industrieux, se plaignaient depuis long-temps qu’on n’eût rien changé aux anciennes institutions, lesquelles mettaient tout le pouvoir entre les mains de la cour et de l’aristocratie, et laissaient subsister une foule des vieux abus du XVIIIe siècle. Une autre cause de mécontentement était la dévotion du roi dont la religion n’était pas celle de la nation[8], et les faveurs, assez insignifiantes du reste, qu’il accordait à la très faible minorité catholique de ses sujets. Au mois de juin 1830, les autorités de Dresde et de Leipzig avaient eu la maladresse, pour faire leur cour au prince, de défendre certaines manifestations trop éclatantes, lors de la fête du jubilé de la confession d’Augsbourg ; il en était résulté quelques troubles, promptement réprimés, mais qui recommencèrent avec bien plus de violence lorsqu’on eut reçu la commotion électrique des deux révolutions de France et de Belgique. Une insurrection éclata à Leipzig le 2 septembre, et à Dresde quelques jours plus tard. Après quelques collisions sans résultat décisif entre les insurgés et les troupes, la bourgeoisie se forma en garde nationale ; mais elle ne rétablit l’ordre qu’en se mettant à la tête du mouvement populaire pour le diriger et le contenir. Le vieux roi Antoine prit alors le parti d’abandonner le pouvoir à son neveu le prince Frédéric, qui fut déclaré co-régent du royaume. Un ministre haï du peuple fut remplacé par un homme qui possédait sa faveur : le co-régent promit en outre une nouvelle loi municipale, la diminution des impôts et le changement de la constitution. Ces concessions calmèrent les esprits, la tranquillité se rétablit peu à peu, et l’on attendit avec confiance les améliorations promises, qui en effet furent réalisée plus tard.

Le Hanovre eut aussi son insurrection, mais seulement quelques mois après : celle-ci fut assez aisément réprimée, et pourtant elle obtint du souverain le changement des institutions. Là aussi, l’exécution de l’art. 13 de l’acte fédéral s’était borné au rétablissement des anciens états féodaux, et on se plaignait vivement de la prépondérance exclusive de la noblesse et des fonctionnaires publics, du maintien d’une foule de lois et d’usages oppressifs, des charges qui pesaient sur le peuple et de la misère qui en était la suite. Au mois de janvier 1831, la ville d’Osterode se souleva, et cet exemple fut bientôt suivi par celle de Gœttingue, où de jeunes professeurs, des étudians et quelques bourgeois se mirent à la tête du mouvement. Ces troubles s’apaisèrent à l’approche des troupes royales, et les villes révoltées se soumirent sans résistance ; quelques-uns des chefs de l’insurrection furent arrêtés, d’autres s’enfuirent en France. Le gouvernement usa sagement et généreusement de sa victoire : il déclara dans une circulaire à toutes les autorités du royaume que les espérances, les vœux et les plaintes du pays lui avaient été cachés jusqu’alors, mais qu’il avait l’intention d’y faire droit dans un bref délai. La première satisfaction donnée à l’opinion fut la destitution du comte de Munster, premier ministre, qui était fort impopulaire : le duc de Cambridge, frère du roi, fut nommé vice-roi, et l’on s’occupa immédiatement du redressement des abus et de la réforme de la constitution.

Ces soulèvemens, et plusieurs autres que nous ne mentionnerons pas parce qu’ils n’eurent point de résultats positifs, tirèrent la diète du sommeil où elle semblait plongée, et l’excitèrent à prendre des mesures pour arrêter le mouvement. Elle adopta, le 21 octobre 1830, une résolution aux termes de laquelle tous les gouvernemens allemands s’engageaient à se secourir mutuellement, de telle sorte que, si un état, ayant besoin du secours de la confédération, demandait à un état voisin l’assistance de ses troupes, celui-ci devait l’accorder sans délai, vu l’urgence des circonstances. On recommanda en outre aux censeurs de surveiller de près les journaux politiques, et de ne laisser annoncer les nouvelles relatives aux mouvemens séditieux qui éclateraient qu’avec une grande réserve et après s’être assurés des sources où elles auraient été puisées. Du reste, la diète exprimait l’espoir que les gouvernemens remédieraient paternellement aux griefs légitimes là où ils existeraient et se produiraient par des voies légales ; qu’enfin ils rempliraient les obligations que les lois fédérales leur imposaient, et feraient disparaître de cette manière tout prétexte à des résistances coupables. L’effet de cette résolution, appuyée par la levée de tous les contingens militaires de la confédération fut décisif sur les mouvemens populaires, qui ne se renouvelèrent plus ou furent facilement comprimés. Toutefois la fermentation, excitée par les victoires du principe démocratique, fut loin de s’apaiser : elle trouva même un nouvel aliment dans les insurrections qui eurent lieu en Italie, et surtout dans le combat héroïque de la Pologne contre son puissant oppresseur. Seulement, au lieu de soulever les masses, elle se produisit dans les débats des assemblées représentatives, et plus énergiquement encore dans la presse.

L’année 1831 fut remarquable par les efforts tentés dans quelques pays constitutionnels pour délivrer la presse du régime établi par les décrets de la diète. Ainsi la seconde chambre, en Bavière, déclara contraire à la constitution un édit de censure rendu par le gouvernement, et renversa le ministre qui l’avait contresigné[9]. Dans le pays de Bade, le grand-duc Léopold, appelé récemment au trône, se montra porté en faveur des idées libérales, et supprima la censure, aux grands applaudissemens de ses chambres. Ailleurs on se relâcha beaucoup, dans la pratique, quant aux rigueurs prescrites par la diète, et l’on ne se sentit pas de force à arrêter le mouvement qui emportait la presse bien au-delà des limites dans lesquelles la législation fédérale avait voulu la renfermer. Ni la diète ni les gouvernemens n’étaient en position de faire un grand déploiement d’énergie, dans un moment où l’on était menacé d’une guerre universelle, et où l’on pouvait s’attendre à chaque instant à voir une armée française entrer en Allemagne, tandis que d’un autre côté la guerre de Pologne tenait en échec la Prusse et l’Autriche, et que cette dernière puissance avait de plus à combattre en Italie une révolution naissante. Il y eut donc comme un interrègne des lois de censure, pendant lequel on vit se produire un parti révolutionnaire qui essaya de réchauffer le vieux teutonisme en le mariant à des théories ultra-démocratiques. Les oppositions constitutionnelles, avec leurs petits projets de réforme par les voies légales, furent promptement dépassées par les journalistes, qui prêchaient à peu près ouvertement la république allemande une et indivisible, et qui adressaient à la multitude les appels les plus passionnés et les plus audacieux. Ces excès de la presse eurent surtout lieu dans les pays limitrophes de la France, particulièrement dans la Bavière rhénane où la Tribune allemande de Wirth et le Messager de l’ouest de Siebenpfeiffer s’attaquaient hardiment à la constitution même de la confédération, et la représentaient comme une ligue des princes contre les peuples, aussi funeste à l’unité de l’Allemagne qu’à sa liberté.

Il s’écoula quelque temps avant que les princes sortissent de l’espèce de stupeur où les avait jetés l’explosion de tant de volcans à la fois ; mais quand le parti de la paix triompha décidément en France, quand la chute de Varsovie eut fait évanouir les dernières espérances de la malheureuse Pologne, les chefs de la confédération reprirent courage et s’efforcèrent de regagner le terrain qu’ils avaient perdu en Allemagne. Le 27 octobre 1831, la diète déclara qu’elle repousserait toutes les adresses individuelles ou collectives touchant les intérêts généraux, « attendu qu’elle les regardait comme une tentative dangereuse pour l’ordre public, la tranquillité et l’autorité des gouvernemens, tendant à exercer sur les affaires communes de l’Allemagne une influence illégale et tout-à-fait incompatible avec la position des sujets vis-à-vis leurs souverains et de ceux vis-à-vis la confédération. » Le 10 novembre de la même année, elle rappela à tous les gouvernemens l’obligation qu’ils avaient contractée de surveiller avec soin les feuilles publiques, les brochures et les écrits périodiques, et les engagea à employer les mesures les plus convenables pour que les journaux paraissant dans leurs états fussent censurés suivant l’esprit des résolutions fédérales. Le 2 mars 1832, elle supprima plusieurs journaux, notamment ceux de Wirth et de Siebenpfeiffer. Le parti exalté essaya de se défendre, se flattant en vain qu’il entraînerait les masses. Il s’organisa dans la Bavière rhénane une association pour la liberté de la presse, qui recueillait des contributions volontaires pour le soutien des feuilles proscrites. On refusa d’obéir aux décrets de la diète, comme étant contraires à la constitution bavaroise ; les journaux prohibés continuèrent à paraître, et s’exprimèrent, comme de raison, avec plus de violence que jamais ; l’un d’eux parla même en termes menaçans des milliers de bras dont il pouvait disposer. Les autorités locales se montrèrent impuissantes à empêcher la propagation des journaux proscrits, et un tribunal en acquitta même les rédacteurs, qui lui avaient été déférés. Ce fut alors que ceux-ci, enhardis par leur triomphe, préparèrent une grande manifestation populaire pour le 27 mai, jour de la fête de la constitution bavaroise, et que Wirth invita tous les amis du peuple en Allemagne à se réunir en cette occasion. Une immense multitude venue de tous les pays voisins se rassembla en effet au pied des ruines du vieux château de Hambach, situé sur une hauteur qui domine la magnifique vallée du Rhin. On déploya l’étendard à trois couleurs du saint empire, près duquel s’élevaient une foule de symboles populaires de toute espèce, et entre autres le drapeau de la Pologne. Les chefs du parti démagogique tinrent de violens discours contre les rois et les princes, et parlèrent plus ou moins éloquemment de la liberté, de l’égalité, et surtout de l’unité de l’Allemagne, ce thème éternel du vieux et du nouveau teutonisme[10]. Les libéraux modérés, parmi lesquels se trouvaient quelques membres des chambres badoises et bavaroises, protestèrent en se retirant contre ces emportemens de langage ; mais une grande partie des assistans y répondit par des acclamations enthousiastes, et porta en triomphe les orateurs les plus populaires. À la suite de cette fête, une assez grande agitation se manifesta dans la Bavière rhénane ; des arbres de la liberté furent plantés dans quelques villes, et il y eut des rixes entre les soldats et le peuple. Toutefois, même dans cette province, la plus démocratique peut-être de l’Allemagne, le parti républicain ne formait qu’une faible minorité ; ses idées effrayaient la plus grande partie de la classe moyenne et n’étaient pas comprises des masses : aussi ne fut-il pas difficile au gouvernement bavarois d’en avoir raison. Peu de temps après la fête de Hambach, le maréchal de Wrède arriva avec quelques régimens. Les associations pour la liberté de la presse furent défendues ; leurs principaux membres et les hommes les plus compromis furent arrêtés ou prirent la fuite ; les journaux proscrits à Francfort cessèrent de paraître, et tout rentra dans l’ordre accoutumé. Des mesures semblables furent prises à Munich, à Wurzbourg et ailleurs, contre les chefs du parti démagogique, et de nouveaux décrets de la diète vinrent bientôt achever la défaite de ce parti, et rendre partout au pouvoir monarchique son ancien ascendant.

L’assemblée fédérale s’occupait depuis long-temps de préparer des mesures propres à assurer la tranquillité intérieure de l’Allemagne. La fête de Hambach en hâta la promulgation ; elle fournit aussi une occasion favorable pour leur donner un caractère de réaction très énergique[11], et pour envelopper dans une même proscription les agitateurs révolutionnaires et les amis de la liberté constitutionnelle. Le 28 juin 1832, la diète publia ses résolutions, qu’on a comparées aux ordonnances de juillet de Charles X, et dont nous donnerons en substance les principales dispositions. Chaque souverain allemand, comme membre de la confédération, non-seulement a le droit de rejeter les demandes des chambres qui seraient en contradiction avec les principes de l’acte final de Vienne, où il est dit que tous les pouvoirs de l’état résident dans la personne du prince, mais encore le but de la confédération lui fait un devoir de les repousser (art. 1). Comme suivant l’esprit du même acte final, les assemblées d’états ne peuvent refuser à un souverain les moyens nécessaires pour remplir ses devoirs fédéraux et constitutionnels, le cas où ces assemblées voudraient, directement ou indirectement, faire dépendre de l’accomplissement de désirs ou de propositions quelconques leur consentement aux impôts nécessaires à l’administration, serait classé parmi les cas pour lesquels l’acte final admet l’intervention de l’autorité fédérale (art. 2). La législation intérieure des états confédérés ne peut porter préjudice au but de la confédération, non plus qu’entraver l’accomplissement des obligations fédérales, et notamment le paiement des contributions en argent qui fait partie de ces obligations (art. 3). Pour assurer les droits de la confédération et ceux de l’assemblée qui la représente contre des usurpations de toute espèce, la diète instituera une commission nommée d’abord pour six ans, laquelle devra prendre connaissance des délibérations des assemblées d’états, appeler l’attention de ces assemblées sur les propositions et résolutions qui seraient en contradiction avec les devoirs fédéraux ou avec les droits de souveraineté garantis par l’acte fédéral, et en donner connaissance à la diète, qui, si elle trouve que l’affaire doive être prise en considération, en traitera avec les gouvernemens intéressés (art. 4). Tous les gouvernemens s’engagent les uns envers les autres, comme ils y sont tenus par leurs rapports fédéraux, à prendre et à maintenir les mesures convenables pour prévenir ou réprimer toute attaque contre la confédération dans les assemblées d’états (art. 5). La confédération germanique a seule et exclusivement le droit d’interpréter, de manière à produire des effets légaux, les dispositions de l’acte fédéral ou de l’acte final sur lesquelles il s’élèverait des doutes : elle exerce ce droit par l’intermédiaire de la diète, son organe constitutionnel (art. 6).

Ces résolutions qui mettaient en tutelle et en surveillance toutes les assemblées représentatives, furent complétées par les décrets du 5 juillet relatifs à la presse et aux associations. Aucun écrit politique en langue allemande, imprimé dans un état situé hors de la confédération, ne put plus être admis et débité dans un état allemand sans l’autorisation préalable du gouvernement. On décida en outre que toutes les associations ayant directement ou indirectement un but politique seraient défendues, que les réunions et fêtes populaires ne pourraient avoir lieu qu’avec l’agrément préalable de l’autorité compétente, et que, dans celles même qui seraient permises, les discours politiques seraient interdits sous les peines les plus sévères, ainsi que le port de cocardes ou autres insignes différens de ceux du pays auquel on appartiendrait, les plantations de drapeaux, l’érection d’arbres de la liberté, etc. Les gouvernemens s’engageaient de nouveau à mettre sous la surveillance de la police les habitans ou étrangers suspects, à se communiquer mutuellement leurs découvertes relatives à des associations ou menées dangereuses, et à se prêter, à la première réquisition, l’assistance militaire la plus prompte ; enfin les résolutions de 1819, relatives aux universités, furent renouvelées, avec quelques dispositions supplémentaires. Pour assurer l’effet de ces mesures, il fallait achever de réduire les journaux au silence ; c’est ce que fit la diète le 26 juillet en abrogeant la loi sur la presse du grand-duché de Bade, et en supprimant encore quelques feuilles politiques qui avaient échappé jusqu’alors à la proscription.

Cette législation non-seulement rendait à la diète sa dictature quelque temps interrompue, mais encore lui conférait de nouveaux pouvoirs, plus étendus que ceux qu’elle avait possédés antérieurement. Non contente de briser les armes du parti révolutionnaire, elle réduisait en outre le parti constitutionnel à l’impuissance. Tous les deux s’efforcèrent de résister, chacun à sa manière et suivant les procédés qui lui étaient propres, l’un par les moyens violens, l’autre par les voies légales : tous les deux échouèrent également contre la force supérieure que l’union des princes donnait à l’autorité fédérale, et aussi contre l’indifférence ou le découragement des populations. Les complots du parti révolutionnaire eurent pour principal résultat l’échauffourée de Francfort, entreprise étrange où figurèrent surtout des étudians, qui, malgré la vigilance de la police, n’avaient pas cessé de former entre eux des sociétés secrètes, et qui, sous le nom d’Arminiens ou de Germains[12], continuaient à conspirer pour l’unité de l’Allemagne. Le 3 avril 1833, à neuf heures du soir, une troupe d’environ neuf cents hommes armés parcourut les rues de Francfort en criant vive la liberté ! et vint attaquer un corps-de-garde dont elle s’empara. Mais un bataillon de troupes de ligne, qu’on tenait prêt par suite d’avis secrets, marcha aussitôt sur les insurgés et les mit en fuite après une courte résistance. Plusieurs furent pris ; d’autres s’échappèrent et trouvèrent un asile en France ou en Suisse. Les conjurés eurent-ils la folle pensée qu’en se rendant maîtres de la résidence de la diète, des diplomates qui la composent et de ses papiers, ils arrêteraient le grand rouage de la confédération germanique et la mettraient dans l’impossibilité d’agir ? Voulurent-ils exercer une vengeance sur l’assemblée fédérale, faute de pouvoir atteindre jusqu’à ceux dont elle était l’instrument docile ? Cherchèrent-ils à s’emparer de Francfort à cause des intelligences qu’ils avaient dans les pays voisins, et leur tentative se liait-elle à d’autres complots qui devaient éclater en même temps sur plusieurs points ? C’est ce qu’il est difficile de décider, et l’on peut croire que ces divers motifs entraient tous pour quelque chose dans leur détermination. Quoi qu’il en soit, l’avortement complet de cette entreprise rendit visible à tous les yeux la faiblesse du parti révolutionnaire en Allemagne, lui enleva cette considération qui naît de la frayeur qu’on inspire, et lui ravit, pour quelques années au moins, tout espoir d’exercer une action directe. Nous n’avons pas besoin d’ajouter qu’une pareille tentative augmenta la force des gouvernemens, justifia aux yeux du grand nombre les mesures qu’ils avaient prises, et leur fournit un prétexte plausible pour redoubler de surveillance et de sévérité.

Le parti constitutionnel avait eu grand soin, dès le commencement, de séparer sa cause de celle des révolutionnaires, et il avait protesté dans l’occasion contre leurs tendances et leurs desseins ; mais l’esprit qui s’était manifesté dans les assemblées représentatives depuis la révolution de juillet paraissait à la diète plus dangereux encore que les opinions violentes du parti exalté. En effet, des réclamations très vives en faveur de la liberté de la presse s’y étaient fait entendre ; on y avait attaqué le régime établi en Allemagne depuis 1819 au nom de l’indépendance des états particuliers et des stipulations positives du pacte fondamental ; on y avait soutenu que les décrets de l’autorité fédérale ne pouvaient pas prévaloir contre les dispositions formelles des constitutions ; on s’était même efforcé de faire pénétrer jusqu’au sein de la diète l’influence parlementaire, en demandant compte aux gouvernemens des votes émis par leurs agens dans le conseil suprême de la confédération. De semblables prétentions remettaient en question l’omnipotence de l’assemblée fédérale et tout le système sur lequel reposait la prépondérance des deux grandes puissances absolutistes. La diète y répondit par les décrets du 28 juin 1832 lesquels, comme nous l’avons vu, plaçaient les assemblées d’états sous sa surveillance immédiate. Il y eut des résistances, ou plutôt des protestations dans la plupart des pays constitutionnels ; mais que pouvaient ces démonstrations contre les pouvoirs nouveaux dont les gouvernemens venaient d’être armés ? La presse était enchaînée, les associations politiques étaient prohibées, ce qui laissait la tribune sans échos et sans point d’appui au dehors. Là où il y avait deux chambres, le pouvoir était sûr d’être soutenu par la chambre aristocratique ; il avait toujours son veto constitutionnel, son droit d’exclusion[13], son droit de dissolution, et ses nombreux moyens d’agir sur les électeurs. Si les députés faisaient des réductions au budget, on trouvait dans les articles de Francfort plus d’un prétexte légal pour ne pas tenir compte de ces réductions ; s’ils allaient jusqu’au refus de l’impôt, ils provoquaient l’intervention des baïonnettes fédérales. Tout cela rendait la lutte trop inégale pour qu’elle pût se prolonger beaucoup, et surtout avoir des résultats sérieux. Néanmoins elle fut assez vive, spécialement en Wurtemberg, dans le pays de Bade et dans les deux Hesses. Les orateurs de l’opposition firent d’éloquens discours ; des motions et des adresses contre les résolutions fédérales furent votées par des majorités considérables ; un ministre même fut mis en accusation[14]. Les gouvernemens, de leur côté, repoussèrent ces adresses, en empêchèrent l’impression, prononcèrent la dissolution des chambres récalcitrantes[15], travaillèrent les élections, et finirent par obtenir des majorités sinon dociles, au moins résignées.

On voit, par ce que nous venons de dire, que les décrets de Francfort atteignirent complètement leur but : le système monarchique reprit son ascendant, un moment ébranlé par la commotion de 1830 ; les résistances constitutionnelles réduites à l’impuissance allèrent s’affaiblissant de jour en jour ; enfin l’Allemagne, désabusée une seconde fois de ses espérances de régénération politique, rentra dans ses habitudes de soumission et d’obéissance, et reprit le cours à peine interrompu de ses travaux intellectuels et scientifiques. Du reste, toutes les précautions furent prises pour la retenir confinée dans cette sphère, la seule où toute liberté lui fût laissée ; car la diète et ceux qui la dirigeaient ne négligèrent rien pour assurer leur victoire, et pour rendre à peu près inexpugnables les positions dont ils s’étaient emparés. De nouvelles mesures furent ajoutées à celles qui existaient déjà ; elles furent préparées par un congrès ministériel réuni à Vienne en 1834, et dont les conférences eurent pour résultat des décrets fédéraux promulgués à la fin de cette même année. Le premier, en date du 30 octobre, établit un tribunal arbitral pour juger des différends qui pourraient s’élever entre un gouvernement et ses chambres, « soit sur l’interprétation de la constitution, soit sur les limites de la coopération accordée aux états, quant à l’exercice de certains droits du souverain, » notamment si la querelle amène « le refus des moyens nécessaires pour gouverner conformément aux obligations fédérales et à la constitution du pays. » On ne doit avoir recours à ce tribunal que quand tous les moyens constitutionnels et légaux d’en venir à un arrangement ont été épuisés. Il est composé de trente-quatre membres nommés tous les trois ans par les dix-sept voix de l’assemblée ordinaire de la diète. Quand il y a lieu de prendre une décision arbitrale, le gouvernement que l’affaire concerne l’annonce à la diète, et six juges sont choisis, trois par le gouvernement en question, trois par les états. Ces juges en choisissent un septième auquel sont envoyées les pièces du procès, et qui nomme deux rapporteurs. Le tribunal rend à la majorité une décision qui a la force d’une sentence austrégale, et l’ordonnance d’exécution établie par les lois de la confédération lui est applicable. Il est à peine besoin de faire remarquer que cette institution est uniquement au profit des princes, qu’elle annule par le fait les droits des chambres en matière d’impôt. En outre l’établissement d’une telle institution est de la part des princes constitutionnels une abdication d’une partie de leur indépendance, puisqu’ils consentent à être jugés en certains car par les délégués des grandes puissances, sans qu’il puisse y avoir lieu de réciprocité, celles-ci n’ayant pas de chambre avec lesquelles elles puissent se trouver en litige. Le décret réserve, en termes voilés, mais positifs, l’intervention fédérale pour le cas où une assemblée, en querelle avec son souverain, déclinerait la juridiction du tribunal arbitral ; or, cette intervention ne peut être qu’une contrainte plus ou moins directe, dont la seule possibilité rend complètement illusoires toutes les garanties écrites dans les constitutions particulières.

Nous nous bornerons à mentionner sommairement les plus importantes des résolutions de la diète postérieures à cette époque. L’une, du 13 novembre 1834, trace de nouvelles règles de discipline pour les universités, décerne des peines sévères contre les associations d’étudians et ceux qui en feraient partie, et enlève aux autorités académiques leur ancienne juridiction en matière de police. Celle du 15 janvier 1835 défend aux ouvriers allemands de voyager dans les pays où sont tolérées les réunions et associations de nature à troubler la tranquillité de ces pays ou celle de quelque autre état de l’Europe. Une décision du 18 avril 1836 porte que les comptes-rendus des débats des chambres ne pourront être publiés que sur la rédaction des feuilles officielles et d’après les documens et actes destinés à la publicité. Enfin, le 18 août de la même année, il est décrété que toutes les tentatives contre l’existence, l’intégrité ou la sûreté de la confédération, seront poursuivies et punies dans chacun des états confédérés comme si elles étaient dirigées contre lui-même. Les divers états s’engagent à se livrer réciproquement les criminels politiques qui ne seraient pas leurs sujets. L’esprit et le but de toutes ces dispositions sont assez évidens pour nous dispenser de tout commentaire ; nous croyons d’ailleurs en avoir assez dit pour qu’on puisse se rendre compte de la constitution actuelle de la confédération germanique, de ses rapports avec les constitutions particulières des divers états, et de la manière dont le problème de l’unité de l’Allemagne a été résolu aux dépens de sa liberté. Cette unité, fort contestable sans doute, si l’on ne regarde que les peuples, n’en est pas moins très réelle quant aux gouvernemens ; mais il est difficile de la croire durable, parce qu’elle n’est qu’un produit artificiel, qu’elle ne se maintient que par une compression plus ou moins violente d’une partie des forces vives de la nation, et qu’elle repose uniquement sur une alliance entre des intérêts que des circonstances accidentelles ont mis d’accord, comme d’autres circonstances peuvent les mettre en hostilité.


E. de Cazalès.

  1. Voyez les livraisons des 15 décembre 1839, 15 juin et 15 octobre 1840.
  2. W. Menzel, Histoire des Allemands, Stuttgardt, 1837.
  3. Voici un trait parmi bien d’autres. M. de Cramm, qui avait rédigé une pétition des états à la diète germanique, étant malade, le duc fit de vifs reproches à un médecin qui lui avait donné des soins, et récompensa un chirurgien qui avait refusé ses services à Mme de Cramm au moment de son accouchement. Pour plus de détails, on peut consulter l’ouvrage de Koch : Der Aufstand in Braunschweig am 6 und 7 september.
  4. Cette constitution fut donnée le 12 octobre 1832.
  5. La résolution de la diète est du 2 décembre 1830.
  6. Cependant, malgré sa haine pour Napoléon, il conserva le titre d’électeur, qu’il possédait par la grace du conquérant, et qui n’avait plus de sens depuis qu’il n’y avait plus d’empereur à élire.
  7. Résidence d’été, à une lieue de Cassel.
  8. La branche royale, ci-devant électorale, de la maison de Saxe est catholique depuis Frédéric-Auguste II, qui ne put devenir roi de Pologne qu’en abjurant le protestantisme.
  9. L’édit subsista pourtant, grace à l’appui de la première chambre.
  10. Il était venu de l’Alsace un assez grand nombre de Français, notamment des députations de la garde nationale et de la société des Amis du peuple de Strasbourg. Wirth crut devoir dire à cette occasion qu’il n’attendait rien des Français, que la liberté offerte par eux serait à trop haut prix, s’il fallait la payer d’un pouce du territoire allemand ; que la France ne voulait que satisfaire aux dépens de l’Allemagne sa soif de conquêtes, etc. On peut croire que les patriotes du Bas-Rhin, qui étaient venus pour fraterniser, furent quelque peu désappointés de ce langage. Ils auraient dû pourtant y être préparés, car la Tribune allemande ne s’était fait faute, dans l’occasion, de redemander l’Alsace et la Lorraine, injustement enlevées à l’empire germanique.
  11. C’est ce qu’indique un mot attribué au prince de Metternich : « La fête de Hambach sera la fête des honnêtes gens. »
  12. Les deux principales sociétés de cette époque s’appelaient Arminia et Germania.
  13. La plupart des constitutions donnent aux gouvernemens le droit d’exclure de la chambre élective les fonctionnaires publics, soit directement, soit indirectement, en leur refusant le congé nécessaire pour prendre part aux travaux législatifs. Il faut savoir que, dans les états de l’Allemagne constitutionnelle, ce sont presque toujours des fonctionnaires qui sont chefs de l’opposition ; ainsi les professeurs de Rotteck et Welcker dans le pays de Bade, Jordan en Hesse, etc. C’est que la condition des serviteurs de l’état (Staatsdiener) est tout autre en Allemagne qu’en France. La députation n’y est pas considérée comme un moyen de parvenir, et elle ne peut pas l’être, parce que les lois ne permettent guère d’intervertir par des tours de faveur l’ordre de la hiérarchie administrative et judiciaire. En outre, la position des fonctionnaires publics est entourée d’une foule de garanties qui les mettent à l’abri d’une destitution arbitraire. De là vient leur indépendance à l’égard du pouvoir, et l’importance du droit qu’a le gouvernement de les exclure.
  14. Cela eut lieu dans la Hesse-Électorale. Le ministre Hasenpflug fut mis en accusation, et acquitté à la majorité d’une voix par le tribunal auquel la constitution du pays défère le jugement des fonctionnaires publics.
  15. Dans la Hesse-Électorale et dans le grand-duché de Hesse-Darmstadt, il y eut deux dissolutions coup sur coup.