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Études sur les origines du théâtre antique/02

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ÉTUDES SUR LES ORIGINES
DU
THÉÂTRE ANTIQUE,
POUR SERVIR D'INTRODUCTION
À L’HISTOIRE DES ORIGINES DU THÉÂTRE MODERNE.

SECONDE PARTIE.[1]

Drame aristocratique en Grèce.

Si le peuple en Grèce ne put se passer de danseurs, de chanteurs ambulans, de mimes de toutes sortes, pour subvenir aux rares et insuffisantes représentations du drame religieux et national, à plus forte raison les citoyens riches, et surtout les princes des états monarchiques, éprouvèrent-ils le besoin d’ouvrir leurs demeures à des spectacles à la fois moins solennels, plus variés et plus fréquens que ceux dont les fêtes publiques procuraient le plaisir à la foule. Je donne à ces divertissemens privilégiés le nom de drame aristocratique.

Il y a surtout deux sortes de circonstances où la vie opulente met à contribution le génie dramatique : ce sont les jours de deuil et les jours de joie, et, plus particulièrement, les banquets et les funérailles. Je suivrai le développement du drame aristocratique dans ces deux voies qui semblent si opposées et qui, cependant, se touchent et finissent par se confondre. Je rechercherai dans quelle mesure l’élément aristocratique a contribué à la naissance et aux progrès de l’art théâtral en Grèce, et aussi combien et de quelle manière les fantaisies des grands ont influé sur sa corruption et sa décadence.

i.
Funérailles.
TEMPS HOMÉRIQUES.

Durant la première période de l’histoire grecque, c’est-à-dire, sous les rois de l’époque héroïque ou demi-fabuleuse, la plupart des jeux mentionnés par les historiens, ou plutôt par les poètes, sont des jeux funèbres. Homère signale les joutes qui eurent lieu aux obsèques d’Œdipe et à celles d’Amaryncée, il décrit avec les plus grands détails les jeux qui honorèrent celles de Patrocle et d’Achille. Les plus anciens de ces jeux consistaient en exercices corporels : la course, le pugilat, le tir de l’arc, le jet du javelot ou du disque. La plupart des grands jeux de la Grèce furent institués comme anniversaires de certaines grandes funérailles héroïques. Les jeux néméens rappelaient celles d’Archémore, fils d’Hypsipyle ; les jeux isthmiques, celles de Mélicerte ; Pindare mentionne comme origine des jeux olympiques les joutes annuelles qui avaient lieu autour de l’autel voisin du tombeau de Pélops. À Thèbes, on célébrait des jeux près de la tombe d’Amphitryon et près de celle d’Iolas[2]. Bientôt on joignit aux jeux corporels des concours de musique et de poésie. La mort de Linus fut pour les Thébains l’occasion d’une cérémonie annuelle où l’on faisait entendre un chant lugubre qui portait le nom de ce poète-musicien[3]. Homère introduit les neuf Muses autour du bûcher d’Achille et il fait chanter un chœur de poètes (ἀοιδοί) près des restes d’Hector. Vraie ou fausse, la tradition de la lutte poétique d’Homère et d’Hésiode aux funérailles d’Œlicus de Thessalie et à celles d’Amphidamas de Chalcis prouve l’antiquité de ces concours[4]. Il faut en dire autant du prix de poésie offert par Acaste, l’un des Argonautes, en mémoire de Pelias son père, et remporté, dit-on, par Sibylla[5] ; Hygin nous a laissé le catalogue de plusieurs de ces jeux funèbres et les noms de ceux qui y furent couronnés.

Un autre usage caractérisait les funérailles de cette première époque ; toutes étaient accompagnées de meurtres. On croyait les mânes altérés de sang et particulièrement avides de celui de leurs amis et de leurs ennemis. Fréret a rassemblé beaucoup de passages des auteurs anciens qui prouvent l’existence de cette idée superstitieuse[6], d’où s’est formée chez quelques nations modernes la croyance aux vampires. Par suite de cette opinion, les Grecs immolaient sur la tombe des héros les esclaves des deux sexes que ceux-ci avaient le plus aimés ; Polyxène, par exemple, sur le tombeau d’Achille. Homère fait égorger, par ordre du fils de Pélée, douze captifs troyens sur le tombeau de Patrocle. Énée, dans Virgile, réserve douze prisonniers pour être immolés aux mânes du jeune Pallas. Une autre idée fortifia et perpétua l’horrible usage des immolations humaines. On croyait que les objets brûlés aux funérailles d’un mort le suivaient dans l’autre vie. Comme on pensait que les princes avaient besoin de leurs esclaves pour les servir, de leurs femmes pour les aimer, et de leurs vêtemens pour les préserver du froid, on ne manquait pas de jeter dans les bûchers des héros et des rois leurs femmes, leurs esclaves et leurs vêtemens. Il fallait pour que toutes ces choses pussent servir aux morts, qu’elles fussent consumées par le feu. Périande, tyran de Corinthe, ayant eu besoin de consulter l’ombre de Mélisse, sa femme, celle-ci, évoquée dans le temple de Thesprotie, refusa de répondre, parce qu’elle était, disait-elle, transie de froid. Ce n’est pas qu’on eût négligé d’enterrer ses vêtemens avec elle ; mais ils ne pouvaient lui servir, parce qu’on ne les avait pas brûlés[7]. Par suite de ces croyances superstitieuses, les immolations étaient souvent volontaires. Chez les Thraces, les femmes ou les esclaves favorites du mort se poignardaient sur sa tombe[8], ou, suivant la coutume qui subsiste encore aux Indes[9], se jetaient vivantes dans son bûcher. Et, comme la polygamie était admise chez ces peuples, les femmes du mort se disputaient l’honneur de ce sacrifice, et le sort décidait entre elles.

Dans certaines contrées, et notamment dans les colonies de la Grande Grèce, on crut qu’au lieu d’égorger les captifs, il y aurait moins d’inhumanité à les forcer de combattre entre eux mortellement. De là, comme nous le verrons, les gladiateurs de l’Étrurie, qui passèrent à Rome. Le génie artistique de la Grèce fit un pas de plus : aux immolations forcées ou volontaires les Grecs substituèrent des combats fictifs ; ils se plurent à donner des représentations de batailles autour des tombeaux ; la pyrrhique fut, à proprement parler, la danse des bûchers funèbres[10].

Cependant, comme l’effusion du sang humain passait pour être particulièrement agréable aux mânes, la tragédie, quand elle fut née, parut propre à remplacer près de la tombe des héros les assassinats anniversaires et les libations sanglantes qui faisaient dans l’origine le principal ornement des jeux funèbres. C’est ainsi qu’on fonda un concours tragique près du monument de Thésée[11], et que, plus tard, nous verrons rassembler presque constamment des acteurs et ouvrir des luttes dramatiques, pour solenniser les obsèques des princes et des rois.

FUNÉRAILLES PENDANT LA PÉRIODE RÉPUBLICAINE.

Sous la période républicaine, une plus grande égalité dans la fortune des citoyens mit obstacle à la splendeur de ces dispendieuses funérailles. Toutefois la Grèce républicaine demeura fidèle au culte des tombeaux de l’âge précédent et continua d’observer les fêtes anniversaires fondées en l’honneur des tombes royales[12]. Quelques-unes même de ces fêtes n’étaient que la commémoration devenue populaire d’anciennes funérailles de l’époque fabuleuse. Telles étaient les Adonies ou obsèques d’Adonis, qu’on célébrait chaque année dans presque toutes les villes de la Grèce, et dont les rites étaient particulièrement dramatiques. On plaçait sur un lit, dans chaque quartier, une figure représentant le corps d’un jeune homme mort à la fleur de l’âge ; les femmes de la ville, vêtues de deuil, venaient l’enlever en pleurant, et en chantant un hymne funèbre accompagné du son plaintif des flûtes[13]. On portait ensuite en procession des vases remplis de terre, des arbustes, des fleurs, de la verdure et des fruits, symboles destinés à rappeler la jeunesse du héros et sa fin prématurée. On terminait la cérémonie en jetant ces fruits, ces arbustes, ces fleurs, et quelquefois les figures mêmes d’Adonis dans une fontaine ou dans la mer. À Thèbes, les jeux herculéens se célébraient chaque année en mémoire de la mort violente des huit fils d’Hercule[14].

Quelques-unes de ces obsèques mythologiques conservées dans les siècles suivans offraient des scènes d’une naïveté qui touchait au comique. Voici comment se passaient à Naxos les Ariadnées ou anniversaires funèbres d’Ariane. « Les femmes de l’île, dit Plutarque, accueillirent fort humainement Ariane… Quand cette princesse fut arrivée à terme, elles n’oublièrent rien pour la secourir ; et comme Ariane mourut sans pouvoir se délivrer, elles l’enterrèrent avec pompe. Thésée arriva pendant les obsèques… Il laissa aux habitans une grosse somme pour qu’on fit tous les ans à son amante un sacrifice funéraire, le dixième jour de septembre. Dans cette cérémonie, un jeune garçon, couché dans un lit, imitait, du geste et de la voix, les douleurs d’une femme qui accouche[15]. »

CHANTEURS ET PLEUREUSES AUX CONVOIS DES RICHES.

Plus simples qu’aux temps homériques, les funérailles de la période républicaine semblent toutefois calquées sur celles que décrit Homère et plus particulièrement sur celles d’Hector. Elles offrent la réunion des deux circonstances qui frappent le plus dans les obsèques du héros troyen, la présence des poètes ou chanteurs (ἀοιδοί) et les longs adieux des femmes. Pindare, racontant l’enterrement fictif que l’on fit pour sauver Jason enfant, ne manque pas de mentionner les feintes lamentations des femmes. Platon dit à propos des rites funéraires : « Ne devait-on pas faire pour les chœurs tragiques ce qui se pratique dans les funérailles ? On paie des musiciens étrangers qui accompagnent le corps jusqu’au bûcher, avec une harmonie carienne… Une robe longue convient mieux que des parures dorées à ces chants lugubres. » Le rapprochement que fait Platon entre les chants des funérailles et ceux des tragédies est plein de justesse. Il existait, en effet, plus d’un rapport entre la complainte tragique et la complainte mortuaire. Un même nom les désignait (θρῆνοι) ; toutes deux étaient accompagnées du son plaintif des flûtes ; de plus, les hymnes funèbres étaient chantés par des espèces d’acteurs gagés (θρηνωδοὶ), qui ne différaient des acteurs tragiques que par le costume. Quand le mort était riche et d’un rang distingué, des chants étaient composés exprès pour lui ; Pindare avait fait ainsi beaucoup d’odes funèbres ou thrènes, qui ne sont pas venues jusqu’à nous[16].

Quant aux adieux des femmes, outre les gémissemens qui pouvaient être réels et sincères, on ne manquait pas de s’assurer à prix d’argent la présence des pleureuses de profession, sorte de comédiennes funéraires qui simulaient la douleur. Les unes étaient chargées de pleurer le mort, les autres de faire des libations sur le tombeau ; les fonctions de ces femmes étaient serviles : « Les Lacédémoniens ayant défait les Messéniens, retinrent pour eux la moitié de toutes les productions du pays ; ils contraignirent de plus les femmes libres d’assister aux funérailles pour y pleurer des morts qui ne leur appartenaient par aucun lien[17].

Solon, ennemi, comme on sait, de tout spectacle, voulut faire cesser les représentations funèbres : « Il défendit aux femmes, dit Plutarque, de s’égratigner et de se meurtrir le visage aux enterremens, de se livrer à des lamentations simulées et de pousser des gémissemens et des cris à la suite des convois, lorsque les morts n’étaient pas leurs parens[18]. » Mais il échoua contre les comédies des funérailles, comme il avait échoué contre le spectacle de Thespis. Lycurgue avait aussi voulu abolir à Sparte l’usage du deuil et des lamentations feintes, et il n’y avait pas réussi.

FUNÉRAILLES PUBLIQUES.

La Grèce républicaine décerna des funérailles publiques à plusieurs grands citoyens, et voulut perpétuer la mémoire de cette distinction en instituant en leur faveur des anniversaires funèbres. Timoléon, Brasidas, Aratus, et beaucoup d’autres grands hommes reçurent cet honneur.

Les Grecs décrétèrent même, sur la motion d’Aristide, des funérailles annuelles pour les guerriers morts à la bataille de Platée. Voici, selon Plutarque, l’ordre de cette cérémonie qui se pratiquait encore de son temps : « Le 16 du mois mémactérion, dès le point du jour, la procession se mettait en marche, précédée d’un trompette qui sonnait la charge. Suivaient des chars remplis de couronnes et de branches de myrte. Derrière s’avançait un taureau noir escorté d’une troupe de jeunes gens qui portaient des parfums, des fioles d’huile et des cruches remplies de lait et de vin, libations ordinaires dans les funérailles. Tous ces éphèbes étaient de condition libre, car il n’était pas permis aux esclaves de se mêler à cette fête destinée à honorer des guerriers morts pour la liberté. La marche était fermée par l’archonte des Platéens. Ce magistrat à qui, pendant toute l’année, il était défendu de rien toucher où il entrât du fer, et qui ne pouvait se servir que de vêtemens blancs, se parait d’une robe de pourpre, ceignait une épée et portait entre ses mains une urne qu’il allait prendre au lieu où l’on gardait les actes publics ; il traversait ainsi la ville et se rendait à l’endroit où se trouvaient les tombes. Là il puisait avec son urne de l’eau dans une fontaine, lavait les petites colonnes qui s’élevaient sur les tombeaux et les frottait d’essences. Ensuite il immolait le taureau, faisait couler le sang dans une fosse ; et tandis qu’on plaçait les membres de la victime sur un bûcher, il invoquait Jupiter et Mercure infernal, et conviait à ce festin et à ces libations les ames des hommes vaillans qui étaient morts pour le salut de la Grèce. Après quoi, remplissant une coupe, il jetait le vin et le lait dans la fosse, en disant d’une voix forte : « Je présente cette coupe aux braves qui ont sacrifié leur vie pour la liberté des Grecs. » Touchant et noble drame où respire le génie antique.

SECONDE ÉPOQUE DES ROYAUTÉS GRECQUES. — TRAGÉDIES AUX OBSÈQUES ROYALES.

Avec la seconde époque des royautés grecques reparaissent de toutes parts les magnificences tumulaires, dont la tradition s’était conservée dans les états monarchiques, témoin le monument de Théron, dont on croit voir les ruines encore debout près d’Agrigente. La somptuosité des obsèques et du bûcher de Denys l’Ancien avait mérité d’être mentionnée et décrite par plusieurs écrivains de l’antiquité. Quarante ans plus tard, Alexandre fit construire à Babylone, pour les funérailles d’Héphestion, un bûcher monumental qui surpassait ce qu’on avait élevé de plus magnifique en ce genre. Il faut lire dans Diodore tout ce que l’architecte Strasicrate prodigua de bois précieux, d’or, d’ivoire, d’étoffes de pourpre, de statues, etc., pour l’ornement de cet édifice éphémère. Ce bûcher, haut de cent trente coudées, comptait six étages superposés. Des figures de Sirènes, creuses et placées au faîte, cachaient les musiciens chargés de louer le mort et d’entonner le chant funèbre. Les dépenses de ce monument, auxquelles pourvurent les contributions volontaires ou forcées des provinces voisines, montèrent à 12,000 talens, environ 72,000,000 de notre monnaie[19]. Alexandre institua, de plus, des sacrifices et des jeux anniversaires en l’honneur de son favori ; et, pour donner lui-même l’exemple, il immola dix mille victimes qui servirent à défrayer un magnifique banquet funèbre[20]. Il avait aussi l’intention d’ouvrir un concours gymnique et musical qui eût effacé tout ce qu’on avait vu jusque-là en ce genre[21]. À cet effet, il avait réuni plus de trois mille artistes qui se trouvèrent ainsi tout prêts, dit Arrien, pour figurer dans les jeux qui devaient bientôt décorer ses propres funérailles.

Le bûcher d’Héphestion, composé de plusieurs étages, devint le type, non-seulement des bûchers employés plus tard aux apothéoses des empereurs, mais de presque tous les monumens durables qu’on éleva aux morts illustres[22]. Ce fut sur ce modèle qu’Artémise, reine de Carie, fit bâtir dans la ville d’Halicarnasse, en l’honneur de Mausole, son époux, la célèbre sépulture qui prit rang parmi les merveilles du monde, et que Pline a si bien décrite. Lors de la dédicace de ce monument, Artémise proposa des prix d’une grande valeur aux écrivains qui composeraient le meilleur panégyrique de son mari. Elle ouvrit de plus un concours poétique qui ne fut pas stérile : on possédait, du temps d’Aulu-Gelle, une tragédie de Théodecte, intitulée Mausole, laquelle eut, au rapport d’Hygin, plus de succès que l’éloge en prose que le même auteur avait fait du roi de Carie[23].

Plutarque, racontant les obsèques de Démétrius, remarque qu’elles furent célébrées avec un appareil presque théâtral. « Dès qu’Antigonus fut averti que l’on rapportait les cendres de son père, il alla au-devant d’elles avec toute sa flotte, et les ayant rencontrées près des îles, il reçut l’urne d’or qui les contenait et la plaça sur sa galère royale. Toutes les villes où l’on abordait envoyaient des couronnes qu’on déposait sur l’urne, et députaient des hommes vêtus de longs habits de deuil pour assister au convoi funèbre. Quand la flotte approcha de Corinthe, on vit de loin sur la proue cette urne surmontée du diadème et couverte de la pourpre royale, entourée de jeunes gens armés qui lui servaient de gardes. Xénophante, le plus habile aulète de cette époque, était assis auprès et jouait des airs graves et religieux que le mouvement mesuré des rames accompagnait. La flotte avançait au bruit de cette harmonie lugubre, qui imitait les cadences de la flûte unie aux gémissemens et aux battemens de poitrine qu’on entend d’ordinaire aux funérailles… »

L’idée des représentations scéniques était tellement liée dans l’esprit des anciens aux idées de funérailles, qu’Hérode Atticus ayant causé la mort de sa femme Régille, qu’il aimait avec passion, ne se borna pas à lui rendre tous les honneurs funèbres alors en usage ; il ne regarda pas comme une expiation suffisante l’institution de sacrifices et de festins anniversaires ; il ne se contenta pas de faire tendre sa maison de noir et de s’y enfermer dans un isolement absolu et prolongé ; il crut devoir, pour apaiser les mânes de Régille, élever plusieurs monumens, et, entre autres, un théâtre couvert ou Odéon. Ce singulier monument funéraire avait un toit de bois de cèdre et était orné des plus riches sculptures[24].

Au reste, les voyageurs ont observé dans toutes les contrées du monde des usages à peu près semblables. Partout nous trouvons les chants et les cris plaintifs des femmes, partout l’immolation des prisonniers et des esclaves[25], partout des présens faits aux morts, et les armes et les vêtemens des chefs brûlés ou enfermés avec eux dans la tombe ; partout des jeux, des danses et de petits drames exécutés autour des tombeaux. Le capitaine Cook nous a donné la description des Haivas que les insulaires de l’Océan austral jouent sur la tombe de leurs guerriers. Nous voyons chez les sauvages de l’Amérique du Nord l’usage des anniversaires funèbres. On lit dans le père de Charlevoix que la grande fête des morts avait lieu tous les huit ans chez certaines peuplades, et tous les dix ans chez les Hurons. Cette pieuse solennité était accompagnée de festins funéraires et suivie de danses, de jeux et de combats simulés, à la fin desquels des prix étaient décernés aux vainqueurs, comme en Grèce[26]. Ainsi, partout une même idée introduisit des jeux, des scènes variées, des simulacres de combats, en un mot, le drame, c’est-à-dire l’image de la vie, près des tombeaux.

ii.
Banquets et fêtes aristocratiques.

Dans les occasions gaies, dans les noces, dans les heureux anniversaires, dans les repas, la vanité royale et aristocratique ne manqua pas, non plus, en Grèce, de recourir à la poésie ; et non-seulement elle fit appel à la muse épique et lyrique, mais elle mit encore à contribution le génie dramatique.

ÉPOQUE HOMÉRIQUE. — CHANTEURS.

Aux temps homériques, les chanteurs allaient, comme nos jongleurs du moyen-âge, célébrer les exploits des héros dans les fêtes, les assemblées publiques et les palais des rois, préférant toujours la chanson la plus nouvelle[27]. Chacun même des petits princes de la Grèce fédérale avait alors son chantre attitré, qui ne manquait pas aux jours de fête d’égayer le festin du pasteur des peuples. Ainsi faisait Phémius à Ithaque, ainsi Démodocus à la cour du roi des Phéaciens, ainsi le chanteur qu’Agamemnon avait laissé dans son palais près de Clytemnestre. C’est, dans l’Odyssée, une scène à la fois touchante et risible, que celle où le chantre divin, Phémius, au milieu du massacre des prétendans, embrasse les genoux d’Ulysse et demande la vie, affirmant que c’est malgré lui qu’en l’absence du héros il a chanté pour les usurpateurs de ses domaines.

DANSES HYPORCHÉMATIQUES. — CUBISTÉTÈRES.

La voix de ces anciens poètes, que l’on payait toujours des plus grands éloges et des mets les plus succulens, était soutenue des sons de la lyre. Le plus ordinairement les paroles de ces chansons servaient de texte et les airs servaient d’accompagnement à des danses figurées. L’orchestique, en effet, fut, dès la plus haute antiquité, une des parures des banquets splendides.

« Quand les amans de Pénélope, dit Homère, eurent satisfait la faim et la soif, ils ne songèrent plus qu’au chant et à la danse, qui sont le charme et la décoration des festins[28]. »

Et ailleurs

« Tandis que, dans les superbes demeures de Ménélas, une foule d’amis et de voisins s’abandonnaient à la joie des repas, un artiste divin chantait en s’accompagnant de la lyre. Alors deux cubistétères habiles s’avancèrent au son de la musique et firent leurs évolutions au milieu de l’assemblée[29]. »

Plusieurs fois ces deux derniers vers sont répétés dans les poèmes homériques, et toujours deux danseurs ou cubistétères sont désignés comme nécessaires. Cette dualité constante suffirait pour faire supposer que cette danse conviviale avait quelque chose de dramatique. On sait d’ailleurs qu’elle était imitative. Tantôt les cubistétères tournaient sur eux-mêmes, luttant de vitesse avec la roue du potier, à laquelle le poète les compare[30], tantôt ils se jetaient la tête en bas, comme les plongeurs. Le verbe κυβιστάω est employé avec le sens de plonger dans un remarquable passage de l’Iliade. Patrocle ayant blessé à mort Cébrion, écuyer d’Hector, le malheureux tombe du char de son maître, la tête dans la poussière :

« Comme il est agile, ce guerrier, s’écrie Patrocle avec un accent railleur, comme il plonge adroitement (κυβιστᾷ) ! Ah ! sans doute, s’il se trouvait au milieu d’une mer poissonneuse, il pêcherait des coquillages assez nombreux pour nourrir une foule de convives ; il s’élancerait de sa barque, même pendant la tempête. Comme il a plongé dans la poussière du haut de son char ! Il y a donc aussi chez les Troyens des cubistétères habiles ! »

Cette danse s’exécutait la tête en bas et les pieds en l’air. On imitait ainsi les mouvemens réguliers d’un homme qui nage, ou les pas renversés d’un homme qui danse[31]. Quelques archéologues ont pensé qu’il y avait de l’analogie entre les cubistétères de l’Ionie et les pierres cubiques, qui tenaient une si grande place dans le culte de la Cybèle phrygienne. Si l’on admet cette hypothèse, on est conduit à regarder la cubistique ou danse pyramidale, comme originairement hiératique et consacrée à Cybèle[32]. Quoi qu’il en soit, les passages d’Homère que nous avons cités prouvent que cette danse s’est très promptement introduite dans les fêtes aristocratiques. Elle ne tarda même pas à devenir populaire et à tomber dans le domaine des saltimbanques. Hérodote raconte comment à la cour de Clisthène, roi de Sicyone, l’Athénien Hippoclide perdit l’espoir d’une alliance royale, pour avoir osé donner le spectacle de cette saltation malséante. Dans l’époque suivante, on voit fréquemment des danseurs de profession venir faire la roue ou le plongeon pour amuser les convives. Je dois ajouter qu’on trouve souvent dans les anciennes peintures qui ornent les riches tombeaux égyptiens, des femmes qui font la roue et des hommes dans l’attitude des cubistétères.

Quelque bizarre que paraisse cette sorte de danse, elle ne laisse pas d’avoir des analogues dans la mimique actuelle. Les voyageurs qui ont visité les théâtres de l’Italie y ont été témoins de petites scènes de cubistique fort singulières. Dans une d’elles, par exemple, Arlequin, voulant fermer un billet, et n’ayant pas de cachet, jette sa lettre à terre, et, les mains en bas, les pieds en l’air, la cachette avec sa tête. C’étaient probablement des farces de ce genre que jouaient les anciens cubistétères.

Mais souvent aussi les danseurs exécutaient des tableaux plus dramatiques et plus gracieux. Homère s’est plu à retracer les danses voluptueuses des Phéaciens, amis de la lyre et des chœurs. Il nous montre ces insulaires, à l’issue d’un festin donné par le roi Alcinoüs, exécutant une danse hyporchématique, c’est-à-dire dont les pas et les attitudes exprimaient le sens des paroles chantées par le citharède. Pendant qu’un héraut se lève et va chercher la lyre de Démodocus, neuf chefs choisis par le peuple[33] aplanissent la lice où les jeunes hommes exercés à la danse vont, par leurs mouvemens et leurs gestes, représenter l’aventure que chantera le poète. L’habile chanteur choisit les Amours d’Arès et d’Aphrodite. En examinant avec attention les apprêts de danse qui précèdent ce chant, et les détails encore relatifs à la danse qui le suivent, on reste convaincu que, malgré sa forme épique, cet épisode est un véritable hyporchème, c’est-à-dire un poème destiné à être animé par le geste et traduit par la danse[34].

Après et quelquefois pendant ces jeux, et quand on avait fini de vider les keras ou grandes cornes de table[35], les convives qui ne prenaient pas part aux chœurs, se livraient à divers exercices, entre autres, au jeu de la sphère ou du ballon[36].

BANQUETS ET FÊTES PENDANT L’ÉPOQUE RÉPUBLICAINE. — CHANSONS DE TABLE. — ODES AGONISTIQUES. — SCOLIES.

Dans les fêtes de l’époque républicaine, la richesse continua de convoquer la musique, la danse et la poésie à ses festins. Couchés sur des lits, et non plus assis sur des siéges (θρόνοι), comme du temps d’Homère, les riches citoyens des républiques pouvaient jouir plus commodément de ces divers spectacles. Nous voyons sur les vases grecs une foule de peintures qui représentent de riches Grecs étendus sur leurs lits de table ou clinés et entourés d’aulètes ou de citharèdes. Quelquefois, ce sont les convives eux-mêmes qui chantent ou jouent de la lyre[37], tandis que leurs voisins se divertissent au cottabe[38] ou à d’autres jeux[39].

Dans les beaux temps de la Grèce, les chansons de table étaient empreintes de la gravité des mœurs nationales. On entonna d’abord des hymnes en l’honneur des dieux[40] et des héros. Les vainqueurs couronnés aux grands jeux de la Grèce ambitionnaient surtout d’entendre chanter leur victoire dans les repas qu’ils donnaient ou recevaient à leur retour dans leur patrie[41]. La plupart des odes de Pindare ont été composées pour des fêtes et des banquets agonistiques. Ces odes, dans le genre des dithyrambes, étaient de véritables chœurs mêlés de danses[42], exécutés tantôt sous de riches portiques, tantôt dans la salle même des festins, au son des flûtes éoliennes.

« Comme les banquets sont amis de la gaieté, dit Pindare, ainsi les couronnes de la victoire s’embellissent par l’harmonie des chants. Au milieu des coupes, nos voix prendront un essor plus libre. Qu’on verse à l’instant la douce liqueur qui doit préluder à nos hymnes ; qu’aux yeux des convives le pétulant fils de la vigne brille dans les magnifiques vases d’argent que Chromius a conquis par la vitesse de ses coursiers aux jeux sacrés de Sicyone… »

Les odes de Pindare et celles des autres poètes ses émules, n’étaient pas composées seulement pour décorer une seule fête. Indestructibles comme le marbre sur lequel on gravait le nom des vainqueurs, elles étaient destinées à perpétuer d’âge en âge la gloire de certaines familles et de certaines contrées :

« Courage, ô ma lyre, ma douce amie, dit Pindare, compose sur des accords lydiens un hymne qui fasse à jamais les délices des îles d’Œnone et de Chypre, où règne Teucer, fils de Télamon… »

Les odes agonistiques étaient dans leur nouveauté chantées et dansées par des artistes de profession. On montait une ode, comme une tragédie ou une comédie. Dans la suite, chacun savait par cœur ces chants glorieux. À la fin des repas, chaque convive prenait à son tour une branche de myrte et entonnait les nomes de Charondas[43], la Toison d’or de Simonide ou l’hymne d’Harmodius[44]. On appelait scolies ces chants de table. Quelquefois, surtout à la cour des rois, un poète couronné de fleurs chantait, comme Anacréon, le vin et l’amour dans des chansons souvent amœbées et qui formaient des espèces de petits drames.

Les poètes qui, comme Pindare, composaient des chants à la louange de certaines familles et de certaines villes, ne croyaient pas avilir leur muse en recevant un salaire en argent. Quant aux rhapsodes et aux stichodes que l’on faisait venir dans les festins, ils ne recevaient plus en paiement le dos d’un sanglier ou tout autre mets estimé, ainsi qu’au temps d’Homère ; l’usage s’était introduit, comme on le voit déjà dans Aristophane, de leur donner des vêtemens, usage qui passa dans les mœurs romaines, qui se conserva sous le Bas-Empire et pendant la durée du moyen-âge, et qui subsiste encore aujourd’hui dans tout l’Orient.

RÉCITATION DE TRAGÉDIES ET DE COMÉDIES.

Souvent quand on avait enlevé les secondes tables, on chantait des scènes entières d’Eschyle et d’Euripide. Ce talent que possédaient tous les Athéniens bien élevés fut une ressource utile pour quelques-uns d’entre eux faits prisonniers dans la malheureuse expédition de Sicile. « Plusieurs, dit Plutarque, de retour à Athènes, allèrent remercier Euripide, et lui dirent, les uns, qu’ils avaient recouvré la liberté pour avoir enseigné à leurs maîtres les morceaux de ses tragédies qu’ils savaient de mémoire ; les autres, qu’errans et sans ressources après la défaite, ils avaient trouvé le moyen de pourvoir à leur subsistance en chantant dans les campagnes des fragmens de ses pièces. »

Malgré la singulière opinion d’Euripide qui conseille dans sa Médée de bannir le chant et l’aulétique des festins et de les conserver pour le deuil et la tristesse ; et malgré le blâme mieux motivé de Platon, qui préférait les sages conversations au bruit des chanteuses et des joueuses de lyre, le goût de ces plaisirs dispendieux alla toujours en croissant :

« Pendant qu’on nous voit, dit Ménandre, conduire à l’autel une chétive brebis de la valeur de dix drachmes, quelle somme ne dépensons-nous pas, chaque jour, en joueuses de flûte, en danseuses, en parfums, en vins de Mendé et de Thasos !… Ne méritons-nous pas, quand nous sacrifions si mesquinement, que les dieux ne nous accordent en retour des biens que pour dix drachmes[45] ? »
DANSES PENDANT LES REPAS.

Les danses auxquelles se livraient dans les festins les esclaves et les courtisanes, offraient les tableaux les plus voluptueux et les postures les plus lascives. C’était l’Apocinus, le Baucismus, l’Igdis ; c’était l’Éclactisma, dans laquelle le pied de la danseuse devait atteindre jusqu’à son épaule[46] ; c’était, enfin, la Bibasis, danse dorienne, dans laquelle la danseuse devait frapper de son talon, et découvrir les attraits admirés dans la Vénus Callipyge[47]. On peut voir, sur les vases grecs et dans les peintures d’Herculanum, un grand nombre de figures qui représentent les danseuses admises dans les fêtes aristocratiques. Un voile transparent d’une couleur incertaine, entre le bleu et le blanc, relevé d’un côté, et flottant de l’autre, ou soutenu par la main droite, cachait à peine quelques-uns de leurs charmes. Quelquefois elles adoptaient le costume ou plutôt la demi-nudité des Bacchantes ; elles se montraient alors, comme dans quelques monumens antiques, à peine couvertes d’une peau de tigre, dansaient en agitant des crotales, ou en élevant au-dessus de leur tête un tambour garni de grelots.

Les festins donnés par les ministres du culte, et surtout par ceux de Bacchus, étalaient, comme les repas des particuliers, ce cortége de danseuses et de musiciennes. On lit dans Aristophane :

« Cours vite au festin muni d’une corbeille et d’une coupe. Le prêtre de Bacchus t’invite. Hâte-toi ; on n’attend plus que toi pour commencer. Tout est prêt : lits, tables, coussins, couvertures, couronnes, parfums, desserts ; les courtisanes sont arrivées ; galettes, gâteaux, pains de sésame, massepains, belles danseuses, tu y trouveras toutes les délices d’Harmodios[48]. »

Enfin, quand le luxe de l’Asie eut tout-à-fait envahi la Grèce, on vit de riches voluptueux appeler à leurs festins des danseuses nues[49], des chanteuses nues, des harpistes nues[50]. On entendit des épithalames entonnés par des chœurs de cent voix. On eut de jeunes esclaves habillées en Nymphes et en Néréides. Enfin on poussa le goût des effets dramatiques jusqu’à introduire dans les banquets des décorations et des machines presque scéniques. Voici par quel coup de théâtre se termina le repas des noces de Caranus, riche Macédonien : « Le repas allait finir et le jour commençait à baisser, lorsqu’on ouvrit une partie de la salle que fermaient des rideaux blancs. Dès qu’ils furent relevés, des lampes, que fit monter un mécanisme caché, jetèrent un éclat subit. Alors on vit des Amours, des Dianes, des Pans, des Mercures, et beaucoup d’autres figures de ce genre, qui portaient des candélabres d’argent[51]. Nous admirions la perfection de cet ouvrage, quand on servit des sangliers vraiment érymanthéens, couchés dans des plats carrés, à bordure d’or. On fit faire le tour des tables à ces pièces énormes, que perçait un javelot d’argent[52]. »

BALADINS. — FOUS DOMESTIQUES. — NAINS.

À ces délices les riches habitans de la Grèce joignaient quelquefois des passe-temps plus grossiers. Outre les danseurs et les musiciens, qu’on appelait d’un nom commun acroamates, on faisait venir, pour amuser les convives, des bouffons, des faiseurs de tours, des joueuses de cerceaux, des gens qui dansaient sur les mains, des singes savans. Quelques gens riches se plaisaient à entretenir dans leurs maisons des fous, à l’exemple des Perses[53]. Les Sybarites mêmes avaient la passion ridicule des nains, avant que les lieutenans d’Alexandre l’eussent prise à Suse et à Ecbatane.

C’était, en effet, une mode particulière à l’Orient que celle des bouffons domestiques[54], des faiseurs de tours, des chanteuses et des danseuses de toute espèce. On voit sur les peintures anciennes qui décorent les tombeaux de l’Heptanomide, de riches Égyptiens accompagnés de nains contrefaits[55]. Dans ces cryptes décorées sous les rois de la xvie dynastie (2050 ans avant notre ère), et où sont peints autour du défunt tous les usages de la vie civile, on trouve un grand nombre de figures de danseuses, de faiseurs de tours et de musiciennes[56]. Ces divertissemens subsistent encore aujourd’hui en Égypte, en Perse, aux Indes, chez toutes les nations soit boudhistes, soit mahométanes. Toutes les relations de voyages sont pleines de fêtes et de repas animés par les danses lascives des almées et des bayadères[57]. Jean Albert de Mandelslo raconte que le Grand Mogol avait cédé pour habitation une aile de son palais, appelée la porte du roi Acbar, aux femmes chargées de le divertir lui et sa famille[58]. Le même voyageur nous apprend que, souvent retiré dans ses maisons de plaisance, l’empereur faisait danser ces femmes nues devant lui. Et ce ne sont pas là des plaisirs réservés à l’empereur ; il n’y a pas de raja, ni même de riche particulier dans l’Inde, qui n’appelle à ses repas d’apparat une ou plusieurs troupes de courtisanes. Anquetil du Perron[59], et tout récemment Victor Jacquemont[60], donnent une idée très avantageuse de ces danses voluptueuses qui charment la sensualité orientale.

DRAMES PENDANT LES REPAS.

Si l’on doutait qu’en Grèce les danseurs et les danseuses aient exécuté pendant les repas de véritables drames, il suffirait, pour se convaincre de la réalité de ces sortes de spectacles, de lire le récit suivant qui termine le Banquet de Xénophon :

« On plaça d’abord un siége au milieu de la salle ; puis le Syracusain (c’était le chef de troupe chargé du prologue) s’avança et dit : Vous allez voir Ariane entrer dans sa chambre nuptiale. Bientôt viendra Bacchus, qui a fait un peu la débauche chez les dieux ; il s’approchera d’elle, et ils prendront ensemble de doux ébats.

« En effet, Ariane, parée comme une jeune épouse, entre dans la salle et se place sur le siége. Incontinent un air de flûte annonce, sur un rhythme bachique, l’arrivée du dieu. Alors on admira l’habileté du maître d’orchestre. Aux premiers sons qu’Ariane entendit, chacun put voir à sa contenance le plaisir qu’elle éprouvait. Néanmoins elle n’alla point au-devant de son époux, et ne se leva même pas ; mais il était évident qu’elle se contenait à peine. Dès que Bacchus l’aperçut, il mit dans sa danse l’expression de l’amour le plus passionné ; il s’assit sur ses genoux, la prit dans ses bras et l’embrassa. Elle, tout en rougissant, lui rendait amoureusement ses caresses. Les convives, à cette vue, applaudissaient et ne pouvaient retenir leurs cris. Mais, quand Bacchus et Ariane se furent levés, c’est alors qu’il fallait voir les gestes de ces amans transportés. Les spectateurs, en contemplant ce Bacchus si beau et cette Ariane si belle, qui ne s’en tenaient pas au simple badinage, mais qui joignaient amoureusement leurs lèvres et s’embrassaient à bon escient, éprouvaient l’émotion la plus vive ; il leur semblait entendre Bacchus demander à Ariane si elle l’aimait, et Ariane assurer Bacchus qu’il était aimé ; si bien que tous auraient juré que ce jeune garçon et cette jeune fille s’aimaient d’un amour réel, car ils ne ressemblaient pas à des acteurs à qui l’on a enseigné leurs gestes, mais bien plutôt à de vrais amans impatiens de satisfaire des désirs long-temps contenus. Enfin, à les voir se tenir étroitement enlacés comme deux époux allant à la couche nuptiale, ceux des convives qui n’étaient pas mariés se promirent de l’être bientôt, et ceux qui l’étaient montèrent à cheval pour aller rejoindre leurs épouses et répéter la scène dont ils venaient d’être témoins… Ainsi se termina le banquet de Callias[61]. »

BANQUETS PENDANT LA SECONDE ÉPOQUE DES ROYAUTÉS GRECQUES.

Mais ce fut surtout dans les palais des rois grecs de la seconde époque, chez Alexandre, tyran de Phères, en Sicile à la cour des Hiérons, en Égypte à celle des Ptolémées, en Macédoine dans le palais d’Archélaüs, de Philippe et des successeurs d’Alexandre, en Syrie chez les Attales, que l’on trouve le plus complet développement du drame aristocratique.

Le palais de Denys de Syracuse était rempli de chanteurs et de bouffons, qu’on appelait dionysocolaces, c’est-à-dire, parasites de Denys, ou de Bacchus, titre que portaient, dans ce dernier sens, tous les artisans dionysiaques. La troupe d’acteurs et de rhapsodes qu’entretenait ce prince était presque uniquement occupée à déclamer ses vers, non-seulement en Sicile, mais encore à Athènes et à Olympie.

Dans les dernières années de la vie d’Alexandre, les banquets de ce monarque n’étaient pas seulement des orgies animées par des musiciens et des comédiens de tous genres ; c’étaient de véritables mascarades : « Souvent, dit Ephippe, Alexandre se mettait à table habillé en dieu ; il prenait tantôt la robe de pourpre d’Ammon, sa chaussure tailladée et ses cornes, comme s’il eût été ce dieu même ; tantôt il s’habillait en Diane et montait ainsi vêtu, sur son char, ayant une robe persane et laissant voir sur son épaule l’arc et le javelot de la déesse. Il lui arrivait encore de s’habiller en Mercure. Mais son vêtement de tous les jours était une chlamyde de pourpre et une tunique chamarrée de blanc ; sa coiffure était un bandeau surmonté d’un diadème. Dans les réunions d’amis, il portait un pétase ailé et des talonnières comme Mercure, et tenait un caducée à la main. Souvent aussi on le voyait couvert de la peau de lion et armé de la massue d’Hercule[62].

Alexandre à son retour des Indes épousa Statira[63], fille aînée de Darius, et Parysatis, fille puînée d’Ochus[64], et donna en mariage à Héphestion, son favori, Drypatis, autre fille de Darius. Il fit épouser les autres princesses ou filles de grands seigneurs perses à quatre-vingts des principaux officiers de son armée. Ces noces donnèrent lieu à une des fêtes les plus follement splendides de toutes celles dont la mémoire nous est parvenue. Voici quelques détails que nous a transmis l’historien Charès.

« Alexandre fit préparer quatre-vingt-douze lits pour lui et ses compagnons dans un hécatoncliné, ou salle à cent lits ; chaque cliné était orné comme le demandait un jour de noces et avait coûté vingt mines d’argent. Les pieds de celui du roi étaient d’or. Il admit à ce banquet tous les étrangers qui lui étaient unis par un lien particulier d’hospitalité et les fit coucher en face de lui et des autres mariés. Il donna place dans une enceinte découverte aux chefs de l’armée de terre et de mer, aux députés des villes et aux simples voyageurs. La salle du festin était magnifiquement décorée et garnie de draperies précieuses posées sur une tenture de pourpre à fond d’or. Le pavillon qui couvrait cette salle était soutenu par des colonnes de vingt coudées, revêtues de lames d’or et d’argent et enrichies de pierres précieuses. Les parois intérieures étaient tendues de tapisseries brochées d’or qui représentaient des animaux, et dont le bas était garni de baguettes d’or et d’argent. L’enceinte découverte avait quatre stades de tour. On fit ces repas de noces au son des trompettes, comme lorsque Alexandre offrait un sacrifice, pour que toute l’armée en fût instruite. Ces fêtes durèrent cinq jours. On y fut servi par un grand nombre de barbares, de Grecs et d’Indiens. Il y eut une foule de faiseurs de tours très habiles, tels que Scymnus de Tarente, Philistide de Syracuse et Héraclite de Mitylène. Après eux se montra le rhapsode Alexis de Tarente. Il y eut de plus des citharistes qui jouèrent sans accompagnement de voix, entre autres, Cratinus de Méthymne, Aristonyme d’Athènes, Athénodore de Théos. Au contraire, Héraclite de Tarente et Aristocrate de Thèbes chantèrent en s’accompagnant de la cithare. Denys d’Héraclée et Hyperbolus de Cyzique chantèrent au son des flûtes : après eux parurent des aulètes qui commencèrent par l’air en usage aux jeux pythiens ; ensuite on entendit successivement, et soutenus par des chœurs, Timothée, Phrynicus, Caphésias, Diophante et Évius de Chalcis. Depuis ce jour, les artistes dionysiaques, appelés Dionysocolaces, reçurent le nom d’Alexandrocolaces, comme si Alexandre, par les nombreux présens qu’il leur fit, était devenu leur dieu. Ce changement de nom plut à Alexandre. On représenta aussi des tragédies dans cette fête : les acteurs furent Thessalus, Athénodore et Aristocrite. Les comédies furent jouées par Lycon, Phormion et Ariston. Enfin, Phasimèle se fit entendre sur la harpe. Les couronnes que les députés des villes et quelques particuliers offrirent en cette occasion à Alexandre furent évaluées à quinze mille talens[65]. »

Toutes les fêtes qu’Alexandre donna en Asie offrent un singulier caractère d’extravagance mythologique. Je citerai pour exemple son retour triomphal des Indes à travers la Carmanie[66] : « Il marcha pendant sept jours, dit Plutarque, menant une espèce de mascarade et comme une bacchanale continuelle. Il était traîné par huit chevaux dans un char magnifique, sur lequel on avait dressé un échafaud en forme de théâtre carré. Là, avec ses courtisans et ses familiers, il tenait table nuit et jour. Le chariot était suivi d’un grand nombre d’autres chars, les uns en forme de tentes, couverts de tapis de pourpre et d’étoffes de diverses couleurs, les autres en forme de berceaux et ombragés de rameaux verts qu’on renouvelait incessamment. Ces chars portaient ses principaux officiers, qui, couronnés de fleurs, passaient leur temps à boire. Dans tout ce cortége vous n’auriez vu ni un bouclier, ni un casque, ni un javelot. La route n’était couverte que de soldats qui, avec de grands flacons, des tasses et des coupes, puisaient sans cesse du vin dans des cratères et dans des urnes et buvaient les uns aux autres, soit en marchant, soit en s’asseyant à des tables dressées le long du chemin. La campagne retentissait au loin du bruit des flûtes et des chalumeaux. Partout résonnaient les chants et les danses des femmes qui imitaient le délire des Bacchantes. Cette marche si déréglée et si dissolue se termina par des jeux où l’on déploya toute la licence des bacchanales. On eût dit que Bacchus était là en personne et qu’il présidait à ces orgies[67]. »

Le goût de ces pompes désordonnées passa aux successeurs d’Alexandre. L’histoire des rois qui se partagèrent l’empire du vainqueur de l’Asie, est pleine de fêtes modelées la plupart sur cette marche triomphale, et toutes, comme elle, plus ou moins mêlées d’orgies dionysiaques. Un écrivain cité par Athénée nous a laissé une ample description d’une pompe demi-religieuse et demi-royale que Ptolémée Philadelphe déploya dans Alexandrie pour solenniser son avénement à la couronne et honorer la mémoire de son prédécesseur, Ptolémée Soter.

Callixène, qui nous a conservé le détail de cette immense théorie dont nous trouverons le pendant chrétien dans la procession instituée à Aix par le bon roi René, décrit d’abord avec la plus minutieuse exactitude la vaste tente, σκηνὴ, où fut donné le festin royal. Je supprime l’énumération des colonnes, des tapis, des tentures, des statues, des tableaux, des richesses de toutes sortes, dont ce lieu fut orné. Je me borne à transcrire le passage suivant qui trahit le goût singulier de cette époque et qui se rapporte plus directement à mon sujet.

« On avait pratiqué dans les parties supérieures de ce riche pavillon des loges hautes de huit coudées. Il y en avait six de chaque côté dans la longueur de la salle, quatre dans la largeur. On avait placé dans ces loges, en face les unes des autres, des tables garnies de mets pour des acteurs tragiques, comiques et satyriques, vêtus des habits de leurs personnages et ayant devant eux des coupes d’or. Au milieu de ces loges on avait réservé comme un sanctuaire pour y placer des trépieds d’or semblables à ceux de Delphes. »

Callixène passe ensuite au récit de la pompe :

« Le cortège, dit-il, traversa le stade situé près de la ville. La première troupe était celle de l’Étoile du matin car ce fut au lever de cet astre qu’on se mit en marche. Ensuite s’avança la division qui portait le nom des père et mère du roi et de la reine. Après elle suivaient en différens corps les confréries de tous les dieux et de toutes les déesses, ornées et pourvues chacune des objets relatifs à l’histoire de chaque divinité. La dernière troupe était celle de l’Étoile du soir, car la saison se trouvait telle que la pompe ne se termina qu’à la fin du jour. »

L’auteur donne ensuite la description détaillée de chacun des corps dont se composait cette vaste procession. — Je ne citerai, en l’abrégeant, que ce qui a rapport à la phalange de Bacchus :

« La division dionysiaque était précédée de Silènes qui écartaient la foule, les uns couverts d’une robe de pourpre, les autres d’une robe à palmes. Venaient ensuite des Satyres au nombre de vingt, rangés des deux côtés du stade et portant des lampes qu’entouraient des feuilles de lierre d’or. Après eux s’avançaient des Victoires ayant des ailes d’or. Elles portaient des thuriboles de six coudées, ornées de feuilles de lierre et de colonnettes d’or. Ces Victoires étaient vêtues de tuniques sur lesquelles plusieurs figures d’animaux étaient brodées sur un fond d’or… Deux Silènes suivaient en chlamyde de couleur pourpre et en chaussure blanche, l’un portant un pétase et un petit caducée d’or, l’autre une trompette. Entre eux deux marchait un homme grand de plus de quatre coudées, ayant le costume et le masque tragique, et tenant une corne d’Amalthée toute d’or : on l’appelait Eniautos (l’an). Derrière ce personnage venait une femme de belle taille, couverte d’or et tenant d’une main une couronne de perséa, de l’autre une palme ; on l’appelait Pentétéris, la cinquième année[68]. Après elle s’avançaient les quatre Saisons, portant chacune les fruits qui leur sont propres… Ensuite venait le poète Philiscus, prêtre de Bacchus, et tous les artisans dionysiaques… À quelque distance roulait un char à quatre roues, long de quatorze coudées sur huit de large, traîné par cent quatre-vingts hommes. Sur ce char était posée la statue de Bacchus, haute de dix coudées. Cette figure, qui versait du vin avec une coupe d’or, était vêtue d’une tunique talaire de pourpre et d’une robe de dessus transparente et de couleur jaune. Cette statue était, de plus, entourée d’un manteau pourpre, broché d’or. Devant elle était placée une cuve de Laconie faite d’or, qui contenait quinze métrètes, une table à trois pieds qui soutenait une cassolette d’or et deux flacons de même métal plein de cassia et de safran. On avait tressé au-dessus un élégant berceau de pampre, de lierre et de divers autres feuillages, d’où pendaient des couronnes, des guirlandes, des thyrses, des tambourins, des bandelettes, des masques satyriques, comiques et tragiques. Derrière ce char venaient les prêtres, les prêtresses, les nouveaux initiés, toute la confrérie de Bacchus et les femmes qui portaient le van mystique. Un peu après, on voyait les Bacchantes appelées Macètes ou Mimallones, Bassares ou Lydiennes, ayant les cheveux en désordre et couronnées de serpens, de branches d’if, de pampre et de lierre. Un autre char à quatre roues, large de huit coudées, s’avançait ensuite traîné par soixante hommes et portant assise une statue représentant Nysa[69], haute de huit coudées, vêtue d’une tunique jaune brochée d’or et d’un manteau macédonien. Cette figure se levait artificiellement[70], sans que personne y touchât. Elle versait du lait avec une coupe et se rasseyait ensuite[71]. »

Je m’arrête : ce fragment suffit et au-delà, pour donner une idée de cette représentation gigantesque. J’ai cru devoir insister quelques instans sur la pompe de Ptolémée, parce que cette espèce d’inauguration royale, à laquelle se mêlait la célébration des Dionysies pentétériques, devint le type invariable de toutes les entrées et réceptions de rois, de toutes les déifications et apothéoses[72], de tous les triomphes décernés aux empereurs et aux princes même chrétiens, qui conservèrent une grande partie de cet extravagant cérémonial.

Outre ces fêtes qu’on peut appeler mythologiques, quelques-uns des successeurs d’Alexandre donnèrent à grands frais des fêtes que la bassesse de leurs inclinations fit tomber dans la classe des bouffonneries et des farces comiques. Ainsi Antiochus, roi de Syrie, que Polybe, au lieu d’Épiphane (illustre), a surnommé si justement Épimane (insensé), jaloux des éloges donnés aux jeux que Paul-Émile avait fait célébrer en Macédoine, résolut de surpasser la magnificence du général romain. À cet effet, il convoqua à Daphné les Grecs de toutes les villes. Les fêtes qu’il donna durèrent trente jours, et il dépensa en cette occasion une partie de son trésor, fruit de ses exactions et du pillage d’un grand nombre de temples. Et cependant, malgré l’or, l’argent, les tapis, les parfums, les animaux rares, les statues, les peintures, les richesses de tous genres qu’il prodigua sans mesure, il ne sut faire de cette pompe et de ces jeux qu’une bouffonnerie immense. Il faut lire dans Athénée[73] comment, monté sur un méchant cheval, il se montrait sur tous les points du cortége, faisant avancer les uns, retenant les autres. Il fit dresser pour les repas dont il accompagna ces jeux jusqu’à quinze cents lits. Lui-même dirigeait tout le service. Il se tenait à la porte de la salle, introduisant ceux-ci, plaçant ceux-là. Il précédait les officiers qui apportaient les plats, changeant son rôle de roi contre celui de maître d’hôtel. Il parcourait la salle, s’asseyait ici, se couchait là. Quelquefois il quittait brusquement les mets ou la coupe qu’il avait à la main, se levait d’un bond, visitait toutes les tables et recevait debout les santés qu’on lui portait. Il poussa même l’oubli de son rang jusqu’à se mêler aux jeux des baladins chargés d’égayer les convives. Un jour, entre autres, que le banquet s’était prolongé et qu’une partie des personnes invitées se retiraient, les bateleurs apportèrent le roi enveloppé dans un drap et le posèrent à terre comme un des leurs. Alors la symphonie se fit entendre, et Antiochus, comme éveillé peu à peu par le bruit des instrumens, se mit à s’agiter, à sauter, à folâtrer au milieu des acteurs, si bien que tous ceux qui furent témoins de ce honteux spectacle, se retirèrent confus et en rougissant[74].

Un autre roi de Syrie, Antiochus de Cyzique, ne montra pas dans le choix de ses plaisirs des inclinations plus royales. Non-seulement il avait une passion désordonnée pour les mimes et les bouffons, mais il étudiait leur métier avec une application extrême. Ce qu’il y eut de plus singulier, ce fut son amour extravagant pour les marionnettes. Le passe-temps favori de ce prince était de faire mouvoir lui-même des figures d’animaux, hautes de cinq coudées et recouvertes d’or et d’argent[75]. Et pendant qu’il s’amusait ainsi puérilement à faire manœuvrer ces poupées, son royaume était dépourvu de toutes les machines de guerre qui font la gloire et la sûreté d’un état.

ROI DU FESTIN.

Il se jouait dans presque tous les grands repas grecs une sorte de petit drame que je dois au moins signaler. On élisait un président ou roi du festin, auquel tous les convives étaient tenus d’obéir. La coupe qu’il ordonnait de boire était la coupe de nécessité[76]. Ce roi du festin reçut dans l’époque républicaine le titre de symposiarque. Dans les pique-niques et dans les repas par tribu, tels que les Apaturies, on l’appelait éranarque. Quelquefois les convives accusaient le roi du festin d’excès de pouvoir et de tyrannie. Il n’était même pas sans exemple qu’on se déclarât en pure démocratie. Plutarque a consacré un chapitre entier de ses Questions de table à la recherche des qualités que cette magistrature exigeait. Souvent les invités conféraient par acclamation cette dignité au maître du logis, d’autres fois celui-ci décorait de ce titre le convive le plus illustre ; mais le plus ordinairement le sort faisait le roi du festin, comme on le voit par un mot attribué à Agésilas. Les insignes de cette royauté joyeuse étaient une couronne de fleurs.

CRONIES. — PÉLORIES. — ESCLAVES SERVIS PAR LEURS MAITRES.

C’était aussi des espèces de drames domestiques que les fêtes grecques où les esclaves jouaient pour un temps plus ou moins court le rôle d’hommes libres et quelquefois celui de maîtres. On lit dans un fragment des Annales du poète L. Accius :

« C’est un usage général en Grèce, et particulièrement à Athènes, de célébrer en l’honneur de Saturne des fêtes nommées Cronies. Soit aux champs, soit à la ville, ce jour se passe en joyeux festins. Chacun, comme nous le faisons à Rome, traite avec bonté ses esclaves. C’est d’Athènes qu’est venu l’usage de ces banquets où les serviteurs sont assis à la même table que leurs maîtres[77]. »

Cette coutume était également reçue en Crète. Le jour des Hermées, ou fêtes de Mercure, les maîtres y servaient les esclaves à table. À Trézène il y avait une fête semblable. Les esclaves, pendant un des jours qu’elle durait, s’attablaient et jouaient aux osselets avec leurs maîtres[78]. Enfin, en Thessalie, on célébrait une fête du même genre sous le nom de Pélories, en mémoire d’un tremblement de terre qui avait assaini la vallée de Tempé, heureuse révolution dont un esclave, nommé Pélore, apporta la nouvelle aux Pélasges. Pendant ces fêtes on mettait les prisonniers en liberté, on faisait des sacrifices à Jupiter et l’on dressait des tables où les esclaves étaient traités et servis en hommes libres[79].

L’idée de cette comédie domestique paraît venir de Perse. Bérose, dans le premier livre des Babyloniques, et Ctésias dans le livre second des Persiques, mentionnent une fête appelée Sacée, où l’on voyait la même interversion dans les rôles de maître et d’esclave. Cette fête durait cinq jours en Perse. Un esclave, dans chaque maison, était revêtu d’une robe royale et exerçait l’autorité souveraine[80]. Dion Chirysostôme nous apprend que cette mascarade se jouait jusque dans le palais du roi. On choisissait un prisonnier condamné à mort, on le faisait asseoir sur le trône du monarque, on le revêtait des insignes royaux, on le laissait faire bonne chère et même user à discrétion des concubines du prince ; aucune de ses volontés ne devait rencontrer d’obstacles ; puis, le sixième jour venu, on le dépouillait de son costume d’emprunt, on le battait de verges et on le mettait en croix[81], dénouement bien tragique pour une comédie commencée d’une manière si joyeuse.

REPAS D’HÉCATE.

Un autre petit drame convivial se jouait encore à Athènes, non pas seulement une fois chaque année, comme les Cronies, mais à toutes les néoménies ou lunes nouvelles : c’était les Hécatésies ou fêtes d’Hécate. Des statues et des autels de cette déesse étaient placés, comme on sait, dans tous les carrefours et devant les portes des principales maisons. À chaque nouvelle lune, les gens riches offraient un repas à la déesse et déposaient sur ces autels des pains et des mets fort simples, tels que des anchois, des mendoles et des surmulets[82]. Les pauvres remplissaient le rôle de la déesse et venaient la nuit vider les plats[83]. Hécate passait pour avoir accepté l’offrande. Comme les chiens errans faisaient assez souvent concurrence aux pauvres et se chargeaient irrévérencieusement du rôle de la déesse, on regarda ces animaux comme des victimes particulièrement agréables à Hécate[84].

QUELLES PIÈCES ON JOUAIT À LA COUR DES ROIS GRECS.

Nous venons de voir les acteurs satyriques, comiques, tragiques, les comédiens de toutes sortes, mimes, danseurs, lysiodes, simodes, ithyphalles, en un mot, toute la bande des artisans dionysiaques admis dans les fêtes et dans les banquets des cours. Nous avons vu la tragédie décrépite et expirante, voiturée sur un chariot à la pompe de Ptolémée, comme autrefois la tragédie naissante promenée sur les chariots de Thespis. Il nous reste à présent à chercher quel rôle la poésie jouait dans ces fêtes, à voir si la décadence de la tragédie et de la comédie fut dès-lors aussi complète qu’on l’a dit, et si, à l’ombre des demeures royales et dans les maisons des citoyens opulens, il ne se forma pas quelque autre genre de drame capable de produire aussi des chefs-d’œuvre.

THEÂTRE PUBLIC DANS LES ÉTATS MONARCHIQUES.

Comme les concours tragiques et comiques étaient devenus à Athènes une partie essentielle et nécessaire du culte de Bacchus, les rois grecs de la seconde époque se montrèrent jaloux de procurer à leurs peuples ces spectacles qui étaient tout à la fois un plaisir de l’imagination et un acte religieux.

Les représentations scéniques étaient presque aussi anciennes en Sicile qu’à Athènes. Vers la 77me olympiade, Épicharne perfectionna à Syracuse la comédie sous Hiéron[85]. Denys, quoique jaloux des écrivains ses confrères[86], appela pourtant des poètes tragiques en Sicile. Antiphon composa, sous son règne, des pièces pour le théâtre de Catane, de Tauromine et même de Syracuse[87].

En Macédoine, Euripide et Agathon furent appelés par Archélaüs, qui put ainsi faire jouer à Pella des tragédies nouvelles, et rivaliser en ce genre avec Athènes[88]. Nous connaissons plusieurs circonstances du séjour de ces deux poètes à la cour de Macédoine. Nous savons que l’un et l’autre y finirent leurs jours ; qu’Euripide était souvent admis à la table royale et s’y enivrait même quelquefois. Nous savons qu’Archélaüs donna un jour à Euripide une coupe d’or et l’invita à écrire une tragédie de Chrysippe. Un peu après, Philippe disputait aux principales villes de la Grèce leurs meilleurs acteurs tragiques, Théodore, Aristodème, Satyrus, Néoptolème. Ce fut même au moment où il franchissait la porte d’un théâtre que ce prince fut assassiné. Son fils Alexandre eut pour comédiens habituels Néophron, Lycon, Athénodore, et surtout Thessalus.

En Égypte, Ptolémée Lagus invita Ménandre à venir à sa cour et envoya au-devant de lui des vaisseaux pour l’y conduire. À la fin de la période alexandrine, le poète comique Aristonyme quitta la cour de Ptolémée Philopator pour celle d’Eumène, roi de Pergame, peut-être pour éviter le sort de Sotade, mis à mort en punition de quelques sarcasmes contre Ptolémée[89]. Les rois de Pergame se montrèrent les protecteurs si zélés du théâtre et des comédiens, que plusieurs des nombreux artisans dionysiaques qui habitaient l’Asie, s’appelèrent Attalistes, du nom de ces princes[90].

En Judée même, où la croyance religieuse des habitans repoussait tout emploi des arts d’imitation, Hérode fit bâtir deux magnifiques théâtres, l’un à Césarée, l’autre à Jérusalem. Enfin, une piquante anecdote, rapportée par Amarantus, nous apprend que Juba, roi de Mauritanie, ne recueillait pas seulement en historien les fastes du théâtre, mais qu’il avait dans son royaume un théâtre et des acteurs, entre autres, Leonteus, qu’il railla pour la manière dont il jouait le rôle d’Hypsipyle.

Et qu’on ne croie pas que les rois appelassent dans leurs états tous ces poètes et tous ces acteurs uniquement pour avoir des pièces jouées à huis-clos dans leurs palais. Ils se donnaient, à la vérité, ce passe-temps, comme nous le verrons bientôt ; mais leur but principal, en attirant auprès d’eux, à grands frais, des poètes et des comédiens, était d’offrir à leurs sujets des tragédies et des comédies jouées sur de vastes théâtres, comme à Athènes. Malheureusement, malgré tous les soins que prirent les rois grecs, les théâtres de Phères[91], de Pella, de Syracuse, d’Alexandrie, de Pergame, d’Halicarnasse, demeurèrent toujours bien loin de l’éclat dont avait brillé celui d’Athènes.

Cette infériorité s’explique aisément. Les royaumes grecs, à part la Sicile, ne prirent le goût de la tragédie et de la comédie qu’à l’époque où les causes qui avaient porté si haut ces deux arts à Athènes, n’y existaient plus. Le règne des comédiens avait succédé à celui des poètes. Ce n’étaient plus des poètes qui concouraient aux fêtes solennelles avec des tragédies ou des comédies nouvelles, mais des acteurs qui briguaient des couronnes avec des pièces remises à la scène. C’est en ce sens qu’il faut entendre ce que les historiens rapportent des concours scéniques ouverts par Philippe, Alexandre, les Ptolémées, les Attales, Antigonus. Ce sont, la plupart du temps, des concours entre acteurs, presque jamais entre poètes. Il y eut bien encore quelques luttes de cette dernière sorte, surtout à Athènes[92] et en Sicile ; mais elles étaient rares, et privées de la belle institution des choréges, elles ne produisirent que d’assez médiocres résultats.

En effet, la choragie scénique, qui, depuis l’abolition du gouvernement démocratique, disparut peu à peu de la constitution d’Athènes, ne pouvait, à plus forte raison, s’implanter dans des constitutions monarchiques. Les rois se seraient bien gardés d’admettre dans leurs états une magistrature élective et populaire telle que celle des choréges. D’une autre part, les frais de la choragie, dépourvus des compensations qui les allégeaient dans les états démocratiques, eussent été dans une monarchie un impôt trop onéreux et trop arbitraire. Les rois donc se chargèrent à la fois des fonctions de l’archonte d’Athènes qui recrutait et payait les comédiens, et de celles des choréges qui recrutaient et défrayaient les chœurs. Il en résulta que le théâtre entier fut entre leurs mains, et que le bon ou mauvais goût des princes dut seul et constamment prévaloir.

Alexandre, cependant, qui, comme son père, aima passionnément les combats scéniques, et qui en donna souvent le plaisir aux peuples chez lesquels il séjourna, et surtout à son armée, emprunta à la république d’Athènes quelque chose de sa choragie, qu’il accommoda aux proportions gigantesques de l’espèce de démocratie armée et conquérante dont il était le chef. À l’exemple des tribus d’Athènes qui choisissaient chacune un riche citoyen pour chorége, Alexandre désigna des rois pour les mêmes fonctions. On lit dans Plutarque : « À son retour d’Égypte en Phénicie, Alexandre fit des sacrifices et des processions en l’honneur des dieux. Il célébra des jeux dans lesquels des chœurs disputèrent le prix de la musique et de la danse. Il y eut même un concours tragique. Ces fêtes furent remarquables non-seulement par leur magnificence, mais encore par le rang de ceux qui en firent les frais ; car ce furent les rois mêmes des villes de Cypre qui remplirent les fonctions dont sont chargés à Athènes les citoyens élus par chaque tribu et qu’on nomme choréges. On remarqua entre ces princes une merveilleuse émulation. Deux surtout se distinguèrent, Nicocréon, roi de Salamine, et Pasicrate, roi de Soles, auxquels il était échu d’équiper les acteurs les plus renommés. Le premier dut fournir aux frais de Thessalus, le second à ceux d’Athénodore[93]. »

Remarquons que du temps d’Alexandre, tandis que la comédie perdait de plus en plus à Athènes son initiative politique et son droit d’invectives personnelles, elle prenait ce double caractère dans certaines pièces données par ce prince à son armée. Il est curieux de lire dans Athénée les détails d’une comédie toute politique qu’Alexandre fit jouer devant ses troupes sur les bords de l’Hydaspe pour fêter les Dionysiaques. Dans cette pièce, intitulée Agen, Harpalus, qui avait déserté son poste et qui s’était réfugié en Grèce dans le dessein de faire soulever ce pays, était bafoué à la face de l’armée. La comédie d’Aristophane semblait être passée d’Athènes dans le camp d’Alexandre.

THÉÂTRES PRIVÉS À LA COUR DES ROIS GRECS. — TRAGÉDIES ET COMÉDIES DANS LES BANQUETS ROYAUX.

Non-seulement les rois grecs ouvraient, comme nous venons de le voir, des concours scéniques en diverses occasions solennelles et publiques, notamment aux Dionysies, mais ils attiraient les comédiens auprès d’eux pour leurs plaisirs privés.

Nous avons vu, dans les repas donnés par les riches citoyens d’Athènes, chaque convive prendre tour à tour la branche de myrthe et chanter quelques tirades d’Eschyle ou d’Euripide. Vers le siècle d’Alexandre, des acteurs de profession remplirent cet office à la table des riches, et surtout dans les festins royaux. Le grand tragédien Néoptolème, qui assistait au banquet qui précéda l’assassinat de Philippe de Macédoine, récita, sur l’invitation de ce prince, quelques fragmens de tragédies. Alexandre, à son dernier festin entra en lice avec des acteurs tragiques et déclama un épisode entier de la tragédie d’Andromède. Denys l’Ancien lisait à sa table des poèmes et des tragédies de sa composition, et les envoyait ensuite au concours soit à Olympie, soit à Athènes. Aristote avait probablement en vue ces récitations, lorsqu’il remarquait dans sa Poétique que la tragédie peut, aussi bien que l’épopée, se passer de la mise en scène et plaire, lors même qu’elle n’est que récitée ou lue.

L’usage d’exécuter pendant les repas les pièces des grands maîtres se répandit jusque dans les cours barbares. Artabase ou Artavasde, ou Ortoadiste[94], roi d’Arménie, qui avait composé, dit-on, des tragédies, des harangues et des histoires en grec, faisait représenter les pièces d’Euripide dans son palais. L’histoire nous a conservé, à propos de ces représentations conviviales, une anecdote bien faite pour nous frapper. Lorsque Crassus entreprit son imprudente expédition contre les Parthes, Artabase était en guerre avec eux ; mais s’étant réconcilié avec Hyrodès ou Orodès, leur roi, et ayant marié sa sœur au fils de ce prince, il l’invita à venir en Arménie. Là, les deux monarques se donnèrent de grands festins, souvent accompagnés de représentations en langue grecque, car Orodès n’était pas plus étranger que son hôte à la langue et à la littérature helléniques. Or, Crassus étant tombé dans les embûches que lui avait tendues Suréna, général des Parthes, et ayant perdu son armée et la vie, Suréna fit porter en Arménie la tête et la main de Crassus, par un de ses lieutenans, nommé Sillacès, et par le soldat qui avait tué le général romain. Cette funèbre ambassade se présenta à la porte de la salle où dînait Orodès, au moment où un célèbre acteur tragique, Jason de Tralles, récitait la scène de Penthée et d’Agavé, dans les Bacchantes d’Euripide, à la grande admiration de l’assemblée. Tout à coup Sillacès est introduit ; il adore le monarque et fait rouler au milieu de la salle la tête de Crassus. À cette vue, les Parthes battent des mains et poussent des cris de victoire. Les officiers du roi font asseoir Sillacès au banquet. Alors Jason, remettant à un des choreutes les habits de Penthée et prenant à leur place ceux d’Agavé, saisit la tête de Crassus, et, avec la fureur d’une véritable bacchante, chanta, plein d’enthousiasme, les vers où Agavé, descendant des montagnes et portant au bout d’un thyrse la tête de son fils, qu’elle prend pour celle d’un jeune lion, s’écrie :

« Nous rapportons de la montagne une proie glorieuse… c’est un lionceau que nous venons de terrasser… »

Cette application charma tous les convives ; l’acteur continua la scène ; mais quand il fut arrivé au passage où le chœur demande : « Quelle main l’a frappé la première ? » et qu’Agavé répondit. « C’est à moi, c’est à moi que l’honneur en est dû, » le soldat qui avait tué Crassus se leva plein de colère, interrompit l’acteur, et s’efforça d’arracher la tête de ses mains, en s’écriant que ce n’était pas cet homme, mais lui qui avait tué le général romain. Le roi s’amusa beaucoup de cette querelle. À l’issue du repas, il fit compter au soldat la somme qu’on était dans l’usage de donner à celui qui tuait un chef ennemi, et il envoya un talent à Jason. Plutarque, qui nous a transmis cette singulière anecdote, remarque que l’expédition de Crassus se termina comme une tragédie romaine, par un exode, c’est-à-dire, par une petite pièce destinée à remplacer les émotions tragiques par la gaieté[95].

Cependant les récitations de tragédies et de comédies au milieu des repas offraient plusieurs genres d’inconvéniens. D’une part, les tragédies, trop dispendieuses pour les particuliers, et peu en rapport avec la gaieté conviviale, avaient été, la plupart, composées pour les théâtres des états démocratiques, et renfermaient une foule de maximes et d’invectives propres à blesser les oreilles royales. D’une autre part, l’ancienne comédie avait, comme on sait, tourné constamment son aiguillon contre les puissans et les riches[96]. De plus, de continuelles allusions aux circonstances du moment rendaient, au bout de peu d’années, ces pièces fort obscures. On se rabattit donc sur les poètes de la comédie nouvelle qui, dégagés de toute préoccupation politique, ne faisaient entrer dans leurs ouvrages rien ou presque rien qui pût choquer les classes élevées. Aussi les comédies de Ménandre, ce peintre élégant des vices populaires, devinrent-elles le passe-temps favori des riches et l’ornement de toutes les fêtes. Les convives, dit Plutarque, se seraient plus aisément passés de vin que de Ménandre. On louait fort cher, pour réciter ces pièces, des acteurs souvent incapables de les bien rendre. Cet inconvénient, joint à la longueur des poèmes et à l’appareil incommode qu’exigeait leur représentation, même abrégée et imparfaite, finit par faire généralement préférer un genre de pièces moins solennel, et inventé tout exprès dans l’origine pour les réunions privées ; je veux parler des mimes que les simodes, les lysiodes, les magodes, et tous les artisans dionysiaques jouaient à la fois sur l’orchestre des théâtres et dans l’intérieur des maisons, sans socques, sans cothurnes, et la plupart du temps, sans masque.

MIMES ARISTOCRATIQUES.

Dès la 75e olympiade, on voit commencer en Sicile, à la cour d’Hiéron, ce genre de poésie vraiment aristocratique. Presque au même moment qu’Eschyle fondait la tragédie à Athènes et qu’Épicharme perfectionnait la comédie sur le théâtre public de Syracuse, Sophron dans l’intérieur du palais essayait cet autre genre de drame, dont il fut, avec Xénarque, le créateur et le modèle. Condamnés par leur destination même à n’obtenir qu’une publicité restreinte, les mimes de Sophron ne paraissent pas avoir été connus à Athènes avant que Dion les y eût portés. On sait qu’ils charmèrent particulièrement Platon, qui les lisait sans cesse. Les biographes de ce philosophe racontent même qu’on les trouva sous son chevet après sa mort[97]. Il est probable que l’auteur du Banquet imita dans ses dialogues quelque chose du ton et de la forme de ces petits drames. Aristote cite à deux reprises les mimes de Sophron ; une première fois, dans son ouvrage sur les Poètes, et ensuite dans sa Poétique : « Nous n’avons pas, dit-il, d’autre nom générique pour désigner les mimes de Sophron et de Xénarque, non plus que les dialogues socratiques, et en général, toute imitation écrite en vers trimètres, élégiaques, ou autres. »

Un mot de Suidas, probablement mal copié, a fait douter, malgré le passage qui précède, que les mimes de Sophron fussent écrits en vers. Le fait est même resté problématique, quoique plusieurs fragmens de cet auteur[98] nous aient été conservés par Démétrius de Phalère, Athénée et quelques autres[99]. Calliaque a prétendu concilier les deux opinions en avançant que les mimes de Sophron étaient, comme les satires de Ménippe, mêlés de prose et de vers[100].

Les mimes de Cercidas de Mégalopodis n’ont pas fait naître les mêmes doutes. Stobée appelle nettement cet écrivain auteur de mimiambes[101]. L’attachement que cet orateur-poète avait voué à Philippe, et qui lui attira les invectives de Démosthène[102], peut faire supposer qu’il avait composé ses mimes pour la cour de Macédoine.

Nous possédons d’admirables échantillons de la poésie mimique. Il nous reste trois pièces probablement composées pour les palais et destinées aux fêtes des rois grecs. Ces trois morceaux sont de Théocrite. Deux de ces mimes doivent avoir été représentés devant Ptolémée Philadelphe à Alexandrie, et le troisième dans le palais d’Hiéron II à Syracuse. Ces trois drames, qui se trouvent mêlés avec les idylles, ou petits poèmes, du même auteur, sont la Magicienne, l’Amour de Cynisca et les Syracusaines[103].

La Magicienne est ce monologue si passionné dont Racine disait qu’il n’avait rien vu de plus vif ni de plus beau dans toute l’antiquité. Simèthe abandonnée de son amant pratique, au milieu de la nuit, des conjurations qui doivent ramener Daphnis dans sa couche ou lui donner la mort. Dans cette admirable cantate, il n’y a qu’un acteur ; mais tout, d’ailleurs, est dramatique. Pas de préambule en récit, pas d’épilogue ; rien d’épique : c’est la tragédie réduite aux dimensions d’un monologue et d’un théâtre privé. L’ancien argument qui précède cette pièce nous apprend qu’elle est imitée d’un mime de Sophron.

Le dialogue intitulé l’Amour de Cynisca, est un petit drame à deux acteurs, qui paraît avoir été composé pour une des fêtes de Ptolémée Philadelphe. Cette pièce n’a, comme la précédente, ni préambule ni épilogue. Le sujet n’offre absolument rien de pastoral ; le comique s’y mêle à la passion. Un amant jaloux, quitté par une maîtresse coquette, se résout à s’expatrier ; son ami l’engage à prendre du service dans l’armée de Ptolémée, dont il vante la libéralité et les vertus.

La troisième pièce, les Syracusaines ou la Fête d’Adonis, beaucoup plus étendue que les deux autres, est encore plus évidemment un mime. L’ancien argument nous avertit que dans ce poème l’auteur ne parle pas une seule fois en son nom, et qu’ainsi cette pièce est du genre dramatique. Cette même didascalie nous apprend que les Syracusaines sont imitées d’un mime de Sophron, intitulé : Les femmes spectatrices aux jeux isthmiques[104]. Cette pièce, gai tableau des ridicules de province, aussi malin, mais bien moins chargé que la Comtesse d’Escarbagnas, s’ouvre par une jolie scène de caquetage et de médisance féminine entre Gorgo et Praxinoé, deux Syracusaines nouvellement arrivées dans la capitale de l’Égypte. Gorgo vient chercher sa compagne pour aller au palais voir la fête d’Adonis, à laquelle doit présider la reine Arsinoé. Au bavardage dorique des deux amies succèdent les détails de la toilette de Praxinoé et les apprêts comiques du départ, la clôture du logis, la réclusion du chien, les recommandations à l’enfant et à la nourrice. Enfin, voici nos deux provinciales, accompagnées chacune d’une esclave, au milieu des rues d’Alexandrie, vantant la sagesse des nouveaux réglemens de Ptolémée. Cependant la foule des curieux augmente ; les chars se croisent. Aux environs du palais les chevaux de la garde caracolent et ajoutent au désordre. Une vieille Égyptienne qui se retire de la bagarre, excite malignement les deux provinciales à s’y jeter. Nos Syracusaines parviennent jusqu’à la porte du palais : la foule est immense ; elles sont pressées, presque étouffées ; enfin elles ont franchi le seuil, grâce à la protection d’un robuste étranger. Entrées dans l’intérieur, divine Pallas ! quelle est l’admiration des deux Doriennes ! Leur babil incessant irrite un voisin peu courtois ; mais trêve de querelles : l’orchestre prélude ; une chanteuse argienne entonne l’hymne d’Adonis, en y mêlant les louanges de Bérénice et de la reine Arsinoé. Par malheur, au milieu de ces délices, Gorgo se rappelle que son mari n’a pas dîné ; et quand il a faim, malheur à qui l’aborde ! Ce n’est plus un homme. Vite, il faut quitter la fête et regagner tristement le logis.

Ce mime, ou, comme nous dirions, ce proverbe, écrit en vers pétillans d’esprit, est un des tableaux les plus vifs, les plus frais et les plus spirituels que nous ait légués la muse grecque.

Il nous reste encore un fragment d’une trentaine de vers qui paraît avoir appartenu à un de ces petits drames de l’époque alexandrine : il est intitulé Lityerse ou Daphnis. Athénée en nomme l’auteur Sosithée[105]. Ce fragment, publié pour la première fois par Casaubon[106], a donné lieu à de nombreuses controverses[107]. J’ai déjà cité la dissertation de M. Eichstædt, De dramate Græcorum comico-satyrico. Dans cet opuscule réfuté par Hermann, M. Eichstædt soutient que le Lityerse appartient à un nouveau genre de drame satyrique, qui n’employait pas les Satyres et ne parodiait plus sous leurs traits les dieux et les héros, mais se moquait des vices et des ridicules qu’on rencontre dans la vie commune. À ce compte, le drame comico-satyrique de M. Eichstædt n’aurait été, à proprement parler, qu’une des nombreuses variétés du genre mime.

En résumé, les mimes nés, comme nous l’avons vu, du goût prosaïque et libertin des cours d’Alexandrie, de Pergame et de Syracuse, quittèrent les hautes régions de la comédie idéale, pour descendre à une imitation plus crue, plus naïve et moins poétique des ridicules de l’espèce humaine. Au rebours de la comédie démocratique, qui avait naguère diverti le peuple aux dépens des hommes puissans[108], les mimes récréaient les riches et les puissans aux dépens des vices et des ridicules des classes populaires. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, ces légères esquisses des mœurs vulgaires ne restaient pas enfermées dans les palais. Après avoir amusé les oreilles royales et aristocratiques, les mimes redescendaient sur les places et les théâtres publics pour amuser la populace, qui, quand elle est avilie, se complaît, comme on peut le remarquer tous les jours sur nos théâtres des boulevards, au spectacle ignoble de sa propre turpitude.


Charles Magnin
  1. Voyez la livraison du 15 mars.
  2. Pindar., Olymp., ix, v. 148, seqq.
  3. Herodot., lib. ii, cap. LXXIX. — Pausan., Bœotic., cap. XXIX, pag. 766.
  4. Plutarch., Sympos., lib. v, quæst. 1.
  5. id., ibid., quæst. 2. — Pausan., Lacon., cap. XVIII, pag. 257 ; Eliac., cap. XX, pag. 505.
  6. Mém. de l’Acad. des Inscript., tom. XXIII, pag. 182, seq.
  7. Herodot., lib. v, cap. XCII, § 6.
  8. Pomp. Mela, De situ orb., ii, 2. — Montfaucon (Antiq. expliq., tom. v, première partie, pag. 16, pl. XI) a publié un bas-relief qui représente une scène de ce genre.
  9. On voit, dans le Premier livre de l’Histoire de la Navigation aux Indes, par G.-M.-A.-W. L., pag. 51, Amst., 1598, in-fol., une figure accompagnée de l’explication suivante : « Comment les femmes, selon les lois de l’Inde orientale et d’aucunes îles, se laissent brûler vives avec le corps de leur mari, s’y accommodant avec le son de divers instrumens de musique et en dansant, venant accompagnées de leurs plus proches parens, qui à ce les incitent, leur promettant qu’elles iront en l’autre monde tenir compagnie à leur mari en tout plaisir et allégresse, portant avec elles leurs principaux joyaux pour en user dans l’autre vie. »
  10. Aristote cité par le scholiaste de Pindare, Pyth., II, v. 127.
  11. Plutarch., Thes., cap. XXXV, et Cim., cap. VIII. — C’est en cette occasion que Sophocle, encore fort jeune, entra pour la première fois dans la lice et remporta le prix sur Eschyle.
  12. Pindare mentionne, entre autres, les hommages poétiques que recevaient annuellement les tombes des rois de Cyrène. Voy. Pyth., V, v. 127, seqq.
  13. Les Phéniciens appelaient gingras ou gingria une flûte qui rendait un son plaintif et qu’ils employaient dans les funérailles, surtout dans celles d’Adonis. Voy. Poll., lib. iv, § 76, et Athen., lib. iv, pag. 174, F. — C’est des funérailles que l’usage des flûtes passa dans les tragédies.
  14. Pindar., Isthm., IV, v. 104, seqq.
  15. Plutarch., Thes., cap. XX. — Cook raconte qu’il vit jouer à Uliétéa une pièce appelée l’Enfant vient, dont le sujet était une femme en travail. Troisième voyage, tom. III, pag. 402, trad., in-4o.
  16. Horat., lib. iv, Od. 2, v. 21-24 — On appelait ialemos le chant des obsèques. Voy. Athen., lib. xiv, pag. 619, B.
  17. Ælian., Var. hist., lib. vi, cap. i.
  18. Plutarch., Solon, cap. XXI. — Un passage de Démosthène (In Macart., pag. 1037, E) nous apprend que Solon restreignit la défense dont il s’agit aux femmes âgées de moins de soixante ans. Comme les devoirs funèbres entraînaient une souillure qui ne permettait pas de participer aux cérémonies religieuses, et que les femmes grecques étaient, jusqu’à l’âge de soixante ans, chargées en grande partie du culte, Solon, suivant M. du Theil (Mém. de l’Acad. des Inscript., tom. XXXIX, pag. 217, 218), voulut qu’elles s’abstinssent, quand il n’y avait pas nécessité, des fonctions funéraires incompatibles avec les cérémonies religieuses.
  19. Arrien n’évalue ces dépenses qu’à 10,000 talens. Voy. Arrian., lib. vii, cap. XIV.
  20. Tous les peuples de l’antiquité ont connu l’usage des banquets funèbres. Nous le trouvons même chez les Juifs. Baruch (cap. VII, v. 26 et 31) parle de dons et de repas offerts aux morts. « Mettez votre pain et votre vin sur le tombeau du juste, » dit Tobie (cap. IV, v. 18).
  21. Il faut entendre par concours musical (ἀγὼν μουσικός) un concours qui réunissait tous les genres de poésies, épique, lyrique et dramatique. Alexandre ouvrit des concours de ce genre dans toutes ses fêtes, gaies ou lugubres ; il appela, entre autres, des artistes de toutes sortes aux jeux dont il honora les obsèques du sophiste indien Calanus. Voy. Athen., lib. X, pag. 437, A.
  22. Bartoli, Veterum sepulchra, seu mausolea Romanorum et Etruscorum, in-fol. — Les plus anciens tombeaux furent construits en pierres et en briques. Voyez la description du tombeau d’Alyates, roi de Lydie, dans Hérodote, lib. I, cap. XCIII.
  23. Aul. Gell., lib. X, cap. XVIII.
  24. Il subsiste encore à Athènes quelques débris de ce monument, qu’on a pris à tort pour les ruines du théâtre de Bacchus. Voyez W. M. Leake, The topography of Athens, pag. 60, seq.
  25. Voyez dans Bowdich (Voyage au pays d’Aschantie, pag. 394-405) l’horrible boucherie qui accompagne d’ordinaire les obsèques royales dans cette contrée.
  26. Les femmes pleuraient et chantaient tour à tour. De temps en temps elles jetaient un grand cri qui s’appelait le cri des ames. Voyez le P. de Charlevoix, Journal d’un voyage en Amérique, lettre XXVI, pag. 114.
  27. Homer., Odyss., I, v. 350-352.
  28. id., ibid., I, v. 150-152
  29. id., ibid., IV, v. 15-19.
  30. Homer., Iliad., XVIII, v. 599-601.
  31. On peut voir dans le cabinet des antiques de la Bibliothèque royale, trois figurines de bronze dans cette attitude bizarre. Voyez aussi Caylus, Recueil d’antiquités, tom. III, pag. 273 et suiv., pl. LXXIV, fig. 2.
  32. Panofka, Kunstblatt, 1825, pag. 160. — Mus. Bartold., pag. 85. — M. Lenormant, Étude de la religion phrygienne de Cybèle, dans les Nouvelles Annales de l’institut archéologique, section française ; 1er cahier.
  33. Il semble que ce soit là l’origine de l’institution des choréges.
  34. Homer., Odyss., VIII, v. 266-371. On regarde généralement ce morceau comme interpolé, et on le croit même de la plus ancienne époque de la poésie grecque. J’admets ces deux opinions, et je pense, de plus, que c’est un hyporchème, ou chant fait pour être dansé.
  35. Pindar., ap. Athen., lib. XI, pag. 476, B.
  36. Homer., Odyss., VIII, v. 372, seqq. — Des voyageurs ont trouvé le jeu de ballon, qu’ils appellent sphœra mundi, en usage chez plusieurs peuples sauvages, entre autres à Banda, une des îles de la mer des Indes. Voyez Le second livre de la Navigation des Indes orientales, journal ou comptoir du voyage de J. Corn. Necq et Wibrant de Warwicq, Amst., 1600, in-fol., pag. 13.
  37. C’était l’usage, en Grèce, de faire passer la lyre aux convives à la fin du repas. Thémistocle ayant été forcé d’avouer qu’il ne savait pas s’en servir, fut regardé comme ignorant (indoctior). Cicer., ap. Quintil., lib. I, cap. XI. — Cf. Plutarch., Cim., cap. IX.
  38. Non-seulement les Grecs jouaient au cottabe pendant leurs repas, mais les gens riches avaient dans leurs maisons une salle nommée sottabeion, disposée pour jouer à ce jeu.
  39. Pollux donne une très longue liste des jeux usités pendant les repas. Voy. lib. IX, cap. VII, § 94, seqq.
  40. Les sacrifices étaient ordinairement suivis de repas où l’on chantait les louanges des dieux (Pindar., Pyth., V, v. 98, seqq.). Quelquefois on invitait les dieux eux-mêmes, ou plutôt leurs images, à ces fêtes qui s’appelaient Théoxénies. Voy. Schol. in Pindar. Olymp., VII, v. 156, et Olymp., IX, v. 146. — Plutarch., De serâ Num. vindic.Athen., lib. IX, pag. 372, A.
  41. Pindar., Isthm., V, v. 67-70. — Les lauréats des jeux étaient accueillis le jour même et sur le lieu de leur victoire par des chants, des danses et des festins qui se prolongeaient pendant la nuit (Pindar., Nem., VI, v. 61, seqq.). D’autres fêtes plus splendides encore les attendaient à leur retour dans leurs foyers.
  42. Pindare le dit expressément dans une foule de passages : « Hâte-toi, nymphe, de mesurer tes pas aux doux accens de ma lyre. » Pindar., Isthm., VII, v. 27, seqq.Cf., Pyth., I, init.Isthm., VIII, init.Nem., III, init.
  43. Athen., lib. XIV, pag. 619, B.
  44. Aristoph., Nub., v. 1356, Schol., ibid. (1359) et Acharn., v. 980 et 1093, Schol., ibid. — Hesychius attribue ce chant à Callistrate.
  45. Menandr., Fram., pag. 107, seq., ed. Meinek.
  46. Schol. in Aristoph. Vesp. v. 1485.
  47. Poll. liv. IV, § 102
  48. Le Scholiaste explique, τὰ φιλταθ’ Ἁρμοδίου, par la chanson d’Harmodius. Nous avons déjà parlé de ce chant.
  49. On peut voir, dans les peintures égyptiennes, des danseuses vêtues d’une simple tunique transparente, et d’autres danseuses tout-à-fait nues. Voyez Rosellini, Monum. civ., pl. CXVIII, fig. 3.
  50. Athen., lib. IV, pag. 129, A. — Bœttiger prétend (De quatuor rei scen. ætatibus, pag. 17) que toutes les fois qu’il est question chez les anciens de femmes nues, il faut entendre qu’elles se sont dépouillées seulement de leur robe de dessus. Cette opinion ne me semble nullement prouvée, et sans vouloir affirmer que la nudité fût toujours complète, je crois qu’elle était, dans beaucoup de cas, plus étendue que ne le pensait M. Bœttiger.
  51. Le Musée du Louvre et la Bibliothèque royale possèdent de très beaux candélabres antiques. La tige de plusieurs représente une branche d’arbre qui rappelle les torches primitives.
  52. Athen., lib. IV, pag. 130, A.
  53. Le roi de Perse, dès le temps de Démarate, avait un fou à sa table. Voyez Plutarch., Lacon. apophth., pag. 220, C.
  54. Érasme, dans l’Éloge de la Folie, fait remonter plaisamment l’institution des fous de cour jusqu’à Vulcain, qu’il représente comme le bouffon de l’Olympe. — Philippe Cradélius a cru pouvoir soutenir plus sérieusement que, dès le temps de David, le roi Achis avait des fous à sa cour. Voyez Rois, lib. I, cap. XXI, v. 15. — Dans le Ramayana, Sita a près d’elle un bouffon qui lui décrit les qualités de ses amans.
  55. On remarque deux figures de nains sur un dessin recueilli, par Champollion le jeune, dans le tombeau de Rôteï, à Beni-Hassan.
  56. Rosellini, Monum. civ., pl. XCV-CII. — Les Juifs prirent en Égypte l’usage de la musique et de la danse pendant les repas. Voyez Ecclésiaste, cap. II, v. 8 ; Ecclésiastique, cap. XXXII, v. 7 et 8 ; S. Luc, cap. XV, v. 25.
  57. Notre mot bayadère est la transcription du mot portugais bailadeira, qui, au xvie siècle, signifiait une danseuse dans l’acception la plus générale.
  58. J. Ab. De Mandelslo, Voyage en Perse, mis en ordre par Olearius, tom. I, pag. 117.
  59. Anquetil du Perron, Zend-Avesta, tom. I, Introduction, pag. CCCXLIV.
  60. Correspondance de Victor Jacquemont, tom. I, pag. 192.
  61. Xenoph. Sympos., cap. IX. — Cf. Bœttiger, De Ariadne et Bacchi saltatione mimicâ, in Fr. Aug. Bornemanni edit. Xenoph. Conv., pag. 223, seqq.
  62. Éphippe dans son livre sur la mort d’Alexandre et d’Hephestion, cité par Athen., lib. II, pag. 537,E, F.
  63. Plutarch., Alex., cap. LXX. — Arrien (lib. VII, cap. IV) nomme Barsine cette seconde femme.
  64. Arrian., loc. cit. — Ainsi Alexandre avait trois femmes, Statira ou Barsine, Parysatis et Roxane ; mais il n’innovait pas en cela. La polygamie était permise aux rois de Macédoine.
  65. Environ 90,000,000 de notre monnaie. Voyez Charès, Hist. d’Alexandre, livre x, cité par Athen., lib. XII, pag. 538, C, seqq.Cf. Ælian., Var. hist., lib. VIII, cap. VII.
  66. Arrien, le plus judicieux historien d’Alexandre, nie cette pompe triomphale (Anabas., lib. VI, cap. 28). Il est certain qu’en songeant aux désastres qu’Alexandre avait éprouvés avant de traverser la Carmanie, on sent la nécessité de placer cette pompe, si elle est réelle, dans un autre temps et un autre lieu.
  67. Plutarch., Alex., cap. LXVII.
  68. La présence de ce personnage allégorique dans la pompe de Ptolémée prouve qu’il y avait coïncidence entre cette cérémonie et la célébration des Dionysies quinquennales.
  69. Ville où Bacchus était particulièrement honoré.
  70. Cette circonstance est remarquable pour l’histoire de la statuaire à ressorts.
  71. Athen., lib. V, pag. 497, seqq.
  72. Il faut distinguer la déification de l’apothéose. Non-seulement l’hellénisme admettait l’apothéose des héros morts ; mais, à partir d’Alexandre, les princes aspirèrent à être déifiés de leur vivant. Un démagogue vendu à Démétrius Poliorcète fit décréter que toutes les fois que ce prince viendrait à Athènes, il serait reçu avec les cérémonies en usage aux fêtes de Cérès et de Bacchus. On changea le nom du mois munychion en celui de démétrion, et l’on poussa même la flatterie jusqu’à donner aux dionysies le nom de demétriades. Voy. Plutarch., Demetr., cap. X-XII.
  73. Athen., lib. V, pag. 995, D.
  74. id., ibid., pag. 194, C, seqq., et lib. X, pag. 439, B, seqq. ex Polybio.
  75. Diod. ; Excerpta de virtut. vit., tom. II, pag. 606, 607.
  76. Plaut., Rud., act. ii, sc. III, v. 33.- Je suis l’explication de Turnebe, adoptée par Mme Dacier.
  77. Accius cité par Macrobe, Saturn., lib. I, cap. VII, pag. 233, ed. Bipont.
  78. Carystius cité par Athen., lib. XIV, pag. 639, B, C.
  79. Baton de Sinope cité par Athen., ibid., E.
  80. Athen., lib. XIV, pag. 639, C.
  81. Dion Chrysost., Orat. IV, De regno, tom. I, pag. 161, 162, ed. Reiske.
  82. Athen., lib. VII, pag. 515, B, C, et 325, C. — id., lib. VIII, pag. 358, F. — Le surmulet (τρίγλη, en latin mullus) est un assez petit poisson. Les Romains en faisaient un très grand cas quand il pesait plusieurs livres. Voy. Juven., Sat. IV, v. 15.
  83. Aristoph., Plut., v. 594, Schol., ibid.
  84. Eustath., Odyss., tom.  III, pag. 1467. — Je n’ignore pas que les mythologues assignent plusieurs autres causes plus sérieuses à la coutume fort répandue d’immoler des chiens à Hécate. — Il ne faut pas confondre ces sacrifices habituels avec les cynophonties, ou massacre des chiens, qui avait lieu tous les ans à Argos aux jours caniculaires. Voy. Athen., lib. III, pag. 99, E, F.
  85. Marm. Oxon., ep. 56, pag. 29. Cf. Suid., voc. Ἐπίχαρμος, et Anonym., περὶ Κωμφδίας, pag. IX, l. 18, ed. Dindorf. — Cette double autorité infirme celle des Marbres, et permet de placer le séjour d’Épicharme en Sicile vers la 73e olympiade, par conséquent avant Hiéron.
  86. Denys écrivit, suivant Lucien (Advers. indoct., cap. 15), plusieurs de ses tragédies sur les tablettes mêmes qui avaient appartenu à Eschyle. Malheureusement il n’avait pu acheter le génie du poète en même temps que les débris de son mobilier.
  87. L’auteur inexact de la vie des dix rhéteurs a confondu le poète Antiphon avec son homonyme, l’orateur d’Athènes. — Pseudo-Plutarch., vit. dec. Rhet., Antiph., pag. 833, C.
  88. Euripide fit, entre autres, représenter à Pella une tragédie intitulée Archélaus, dont le roi son hôte n’était pas le héros, comme on pourrait le croire, et dont il nous reste quelques fragmens.
  89. Athen., lib. XIV, pag. 621, A.
  90. Edm. Chishull, Antiq. Asiatic., pag. 146.
  91. Alexandre, tyran de Phères, ne fut pas insensible aux plaisirs scéniques. Voy. Ælian. : Var. hist., XIV, 40. — Plutarch., De fortun. Alex., pag. 334, A, et Vit. Pelop., cap. XXIX.
  92. Denys remporta le prix de la tragédie à Athènes, et mourut au milieu de la joie et des fêtes qui suivirent sa victoire. Voy. Diodor., lib. XV, § 74, tom. II, pag. 60.
  93. Plutarch., Alex., cap. XXIX. — Antoine, qui eut la manie de parodier en tout Alexandre, voulut aussi avoir des rois pour choréges dans les fêtes splendides qu’il donna dans l’île de Samos (Plutarch., Anton., cap. LVII.). Ce fut, d’ailleurs, de tout temps l’usage des Romains de faire payer les frais des jeux aux rois et aux cités vaincus. L. Scipion agit ainsi après la guerre contre Antiochus. Voy. Tit. Liv., lib. XXXIX cap. XXII.
  94. Justin., Hist., lib. XLII, cap. ii § 6.
  95. Plutarch., Crass., cap. XXXIII. — Polyœn., lib. VII. cap. xLi. — Pseudo-Appian., De belle Parth., tom. III, pag. 68, seqq. ed. Schweigh.
  96. « Le peuple, dit Xénophon (Athen. respubl., cap. II, § 18), ne souffre pas qu’on le joue au théâtre. » Cela est vrai des individus ; et en effet, comme le dit le même auteur, la comédie ancienne n’attaquait pas les gens du peuple et les derniers citoyens. Mais le peuple pris en masse, le Demos, personnage tout-puissant à Athènes, dut être joué par les poètes comiques, et le fut, comme on sait, par Aristophane dans les Chevaliers, et par le grand peintre Parrhasius dans une très célèbre peinture comique. Voy. Plin., Hist. nat., lib. I, cap. XXXV, et Caylus, Mém. de l’Acad. des Inscript., tom. XXV, pag. 165.
  97. Diog. Laert., Plat., lib. III, § 18. — Olympiod., Platon. vit., ad calc.Quintil., lib. I, cap. XI.
  98. Otfr. Müller regarde ces fragmens comme étant plutôt une prose cadencée que de véritables vers (Die Dorier, tom. II, pag. 360). Cette prose symétrique est peut-être l’origine du vers politique. Voy. Schol. in Greg. Naz. ap. Montfauc. Bibl. Coisl., pag. 120, et Jac. Tollius, Iter Italic., pag. 96.
  99. Les fragmens de Sophron ont été en grande partie réunis dans le Classical journal, 1811, 2e cahier, pag. 381 et suiv.
  100. Calliach., De ludis scenic., pag. 40.
  101. Stobæus, Floril., tit. LVIII, no 10.
  102. Demosth., De coron., pag. 521, B. — Harpocr., voc. Κερκίδας.
  103. Il ne faut point opposer à cette conjecture le mètre de ces pièces, qui n’est pas celui de la scène. On sait par Lydus (De magistr. reipubl. Rom., lib. I, § 41) que Rhinthon écrivit quelques-unes de ses comédies en vers hexamètres, si toutefois Lydus, comme Clément d’Alexandrie, n’a pas employé les mots ἑξάμετρον ἐπος pour désigner les trimètres.
  104. Cf. Valcken., Adnot. in Theocr. Adoniaz.Theocr. Reliq. edent. Ern. Fred. Wuestemann, pag. 31, 199, 217.
  105. Un poète de ce nom appartient à la pléiade tragique des Alexandrins.
  106. Dans les Lectiones Theocritiæ, sous le nom de Hortibonus.
  107. Particulièrement entre deux savans italiens, Franc. Patrizzi et Jac. Atazzoni. Voy. Lorenz. Crasso, Istoria dei poeti Greci.
  108. Sans doute Aristophane n’épargne aucune classe, et il a devancé les mimes dans la peinture des mœurs triviales ; mais le côté prosaïque et vulgaire n’est jamais chez lui que l’accessoire destiné à faire ressortir l’éclat de ses hautes et courageuses agressions. C’est ainsi que dans les Femmes savantes la simplicité comique du bonhomme Chrysale ne sert qu’à mettre mieux en saillie les élégans ridicules du très puissant hôtel de Rambouillet.