Évangile d’une grand’mère/59

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 167-170).

LIX

LA CANANÉENNE.



Notre-Seigneur partit ensuite et alla du côté de Tyr et de Sidon.

Armand. Qu’est-ce que Tyr et Sidon ?

Grand’mère. C’étaient deux villes de la Phénicie, très-riches, très-commerçantes, Tyr surtout, et situées toutes deux au bord de la mer.

Notre-Seigneur alla donc de ce côté, mais pas dans la ville ; il entra dans une maison isolée où il fut bientôt découvert et entouré par le peuple ; car une femme cananéenne

Armand. Qu’est-ce que c’est, une femme cananéenne ?

Grand’mère. On appelait Cananéens les gens qui habitaient ce pays ; ils étaient idolâtres, c’est-à-dire qu’ils croyaient à plusieurs dieux et qu’ils adoraient des bêtes, des arbres, des légumes, des pierres, selon que l’idée leur en venait.

Henriette. Qu’ils étaient bêtes ces gens-là ! Comment ! ils auraient adoré une grenouille ?

Grand’mère. Une grenouille, un poisson, un oiseau, un loup, un bœuf, n’importe quoi, pourvu que de cet animal ils eussent pu attendre du bien ou craindre du mal ; ainsi un loup peut faire beaucoup de mal en dévorant les bestiaux utiles, et même des hommes. Un oiseau comme la chouette peut, au contraire, faire du bien en mangeant les souris, les mulots, lesquels dévorent le grain et les bonnes semences : cela suffisait pour en faire des dieux.

La femme cananéenne, qui venait de Tyr, et qui avait entendu parler des miracles de Jésus, se mit donc à crier en le voyant : « Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi ! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon ! » Mais Jésus ne lui répondit pas un mot.

La Cananéenne continuant de crier, les disciples s’approchèrent de lui et le priaient, disant : « Accordez-lui ce qu’elle demande, afin qu’elle s’en aille, car elle nous fatigue de ses cris. »

Jésus leur répondit :

« Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. »

Marie-Thérèse. Qu’est-ce que cela veut dire ? À quelles brebis est-il envoyé ?

Grand’mère. Au peuple juif, à celui qui avait été nommé peuple de Dieu. Il avait été choisi pour que de ses Rois sortît la sainte Vierge, la Mère du Messie qui devait sauver le monde. C’est donc ce peuple Juif que Notre-Seigneur voulait instruire et convertir avant les autres peuples ; et c’est pourquoi Notre-Seigneur résiste aux cris de la Cananéenne. Ensuite il voulait faire voir combien il est utile et nécessaire de persévérer dans la prière, de ne pas se décourager quand on n’est pas exaucé, mais d’importuner pour ainsi dire Notre-Seigneur de ses cris, de ses supplications, jusqu’à ce que nous ayons obtenu ce que nous demandons.

La Cananéenne s’avança pourtant et l’adora, disant : « Seigneur, secourez-moi.

— Il n’est pas bon, répondit Jésus, de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. »

Valentine. Mais la pauvre femme ne demandait pas de pain, ni le pain d’aucun enfant, ni pour le donner aux chiens.

Grand’mère. Notre-Seigneur voulait éprouver son humilité, en lui faisant sentir qu’il regardait les Juifs comme ses enfants, puisqu’ils étaient le peuple de Dieu ; il compare au pain les miracles qu’il fait en leur faveur. Enfin, il considère les nations idolâtres et la Cananéenne comme une race de chiens, indignes d’avoir sa part de ce pain.

Jeanne. C’est singulier ! Notre-Seigneur, qui est si bon, est tout de même bien sévère pour cette pauvre femme.

Grand’mère. Notre-Seigneur Dieu, étant la bonté même, ne peut pas avoir été trop sévère ; c’est comme si tu disais qu’il est sévère et injuste en laissant quelqu’un devenir malade, ou pauvre, ou bossu. Il le fait pour augmenter les mérites de celui qui souffre et pour le récompenser d’autant mieux de sa persévérance et de sa résignation, comme tu vas le voir pour la Cananéenne.

Elle répondit humblement à Jésus : « Il est vrai, Seigneur, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »

Alors, Jésus, la regardant avec bonté, lui dit :

« Ô femme ! ta foi est grande ! Qu’il soit fait comme tu le désires ! »

Et à l’heure même sa fille fut guérie. La Cananéenne, étant retournée dans sa maison, trouva sa fille tranquillement couchée sur son lit et délivrée du démon.

Jésus quitta le pays de Tyr, et vint par Sidon jusqu’à la mer de Galilée.