Évangile d’une grand’mère/82

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 217-221).

LXXXII

PARABOLE DE L’ENFANT PRODIGUE.



Notre-Seigneur dit encore :

« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Mon père, donnez-moi la portion de bien que je dois avoir. » Le père lui donna ce qui devait lui revenir.

« Et peu de jours après, ce plus jeune fils rassembla tout ce qu’il avait, partit pour un pays éloigné et il y dissipa tout son bien dans une vie d’excès et de plaisir. Après qu’il eut tout perdu, il y eut une grande famine dans ce pays. »

Armand. Qu’est-ce que cela veut dire, famine ?

Grand’mère. On appelle famine quand tout le monde souffre de la faim, parce qu’il n’y a presque rien à manger, les blés et les fruits n’ayant pas pu mûrir ou n’ayant pas poussé.

« Il y eut donc une grande famine et il commença à souffrir de la faim. Il s’en alla et se mit domestique au service d’un homme du pays. Et celui-ci l’envoya dans les champs pour garder les pourceaux.

« Et il aurait bien voulu partager avec eux les épluchures qu’on leur donnait, mais personne ne lui en donnait à lui.

Petit-Louis. Pourquoi cela ?

Grand’mère. Parce qu’on les gardait pour les cochons.

« Le jeune homme, réfléchissant au passé et à l’état misérable où il était réduit par sa faute, se dit : « Combien de serviteurs dans la maison de mon père ont du pain en abondance, et moi ici je meurs de faim. Je me lèverai et j’irai vers mon père ; et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous. Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. Faites de moi comme de l’un de vos serviteurs. »

« Et se levant, il partit pour aller vers son père. Et il était encore loin que déjà son père l’aperçut, et touché de compassion, il accourut, se jeta à son cou et l’embrassa.

« Et le fils lui dit : « Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous. Je ne suis pas digne d’être appelé votre fils. »

« Et le père, sans lui répondre et l’embrassant avec tendresse, dit à ses serviteurs :

« Apportez vite sa robe première, et mettez-la-lui, et mettez-lui un anneau d’or au doigt et de riches chaussures aux pieds. Amenez le veau gras et tuez-le. Faisons un festin et réjouissons-nous, car mon fils que voilà était mort, et il revit ; il était perdu, et il est retrouvé. »

Jacques. Le fils a dû être bien content ? Mais, Grand’mère, je crois que si je me sauvais et si je dépensais mon argent, papa ne ferait pas comme ça ?

Grand’mère. Peut-être que non, parce que ton papa, tout bon qu’il est, ne l’est pas autant que le bon Dieu. Et Notre-Seigneur, dans cette parabole, veut parler du bon Dieu et du pécheur. D’abord, voilà ce fils très-heureux chez son père, qui veut et qui croit être plus heureux loin de lui ; comme nous autres, qui sommes heureux en vivant sagement sous la loi de Dieu et qui pensons être plus heureux en nous éloignant de lui, c’est-à-dire en abandonnant les prières, les offices, les pratiques et les habitudes sages et vertueuses. Le bon Dieu notre père nous accorde les biens de la terre, la santé, l’intelligence, la fortune, etc. Nous nous laissons aller aux plaisirs du monde et alors nous nous éloignons de Dieu, nous perdons notre piété, nos bons sentiments, notre santé même, notre fortune et notre bonheur, en faisant mille folies ; et quand nous sommes malheureux, repoussés par le monde, que nous souffrons de la misère, c’est-à-dire des peines du cœur et de l’amour-propre, nous nous souvenons de notre ancien bonheur, de la paix du cœur dont nous jouissions quand nous étions innocents et vertueux ; et nous formons le courageux projet de quitter ce pays, étranger pour tout bon chrétien, et de revenir à Dieu notre père.

Nous commençons par regretter l’heureux temps de l’innocence, nous nous humilions en nous avouant coupables, nous quittons ce pays maudit qu’on appelle le monde, avec ses habitants qui sont les péchés et les vices ; nous allons vers notre père, nous confessons nos fautes, nous les reconnaissons ; nous nous trouvons indignes de pardon. Notre père, au lieu de nous repousser, accourt au-devant de nous, c’est-à-dire aide à notre repentir, il nous inspire des sentiments humbles et affectueux ; il nous rend notre place parmi les bons chrétiens, les serviteurs et les enfants fidèles ; il fait tuer le veau gras, c’est-à-dire qu’il nous invite à sa Sainte Table, et nous donne la Sainte Communion, sa propre chair et son propre sang ; et tout le passé mauvais est effacé.

Cette parabole s’appelle l’Enfant prodigue, et c’est peut-être celle qui exprime le mieux la grande bonté, la grande miséricorde du bon Dieu. Si jamais l’un de vous (ce qu’à Dieu ne plaise) devient enfant prodigue, qu’il ne perde pas courage, qu’il se souvienne que Dieu est infiniment bon ; que tout en reconnaissant ses fautes, il faut s’en humilier, mais sans se décourager ; qu’il aille en demander pardon en les confessant sincèrement et humblement. Le bon Dieu lui ouvrira son cœur et ses bras et lui rendra le calme et le bonheur.

« Pendant ce temps le fils aîné du bon père de famille était aux champs ; et comme il revenait, il entendit le bruit des réjouissances et de la musique. Et appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que c’était.

« Le serviteur lui dit : « Votre frère est revenu et votre père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé son fils. »

« Et le fils aîné se fâcha et ne voulut pas entrer ; le père l’ayant appris, sortit pour l’en prier. Mais lui, répondant à son père, dit : « Voilà que je vous sers depuis tant d’années ; je n’ai jamais manqué à aucun de vos commandements ; et jamais vous ne m’avez donné un chevreau pour me réjouir en le mangeant avec mes amis. Mais lorsque mon frère, qui s’en est allé, qui a mangé tout son bien avec de mauvais sujets, est revenu, vous avez tué pour lui le veau gras ! »

« Le père lui dit : « Mon fils, n’es-tu pas toujours avec moi, et tout ce que j’ai n’est-il pas à toi ? Mais il fallait nous réjouir, parce que ton frère était mort, et il revit ; il était perdu, et il est retrouvé. »

Jacques. Grand’mère, à la place du père, j’aurais chassé ce méchant frère jaloux qui se fâche parce qu’on fait manger un veau gras à son frère qui revient tout malheureux, tout honteux et repentant.

Grand’mère, souriant. Le bon père de la parabole, qui représente Dieu, est plus indulgent que tu ne le serais, mon enfant. Il réprime le mauvais sentiment de son fils, mais avec bonté ; il commence par sortir de la salle du festin pour le prier d’entrer ; il l’écoute avec patience ; il lui explique l’accueil qu’il a fait à son frère repentant. Là encore, Notre-Seigneur a voulu démontrer sa patience, sa bonté à notre égard ; avec quel amour il nous traite, il nous supporte, il nous attend. Et quand nous voulons bien revenir à lui, et recevoir ses bienfaits, il nous en récompense comme si nous ne l’avions jamais offensé.

Camille. Oh oui ! Notre-Seigneur est un bien bon père et son service rend la vie bien douce, car, avec lui, tout est bon, même les peines les plus cruelles !

Louis. Comment les peines peuvent-elles être agréables ?

Camille. Parce qu’on les accepte pour l’amour de Dieu et qu’on sait que chaque peine aura sa récompense.

La grand’mère embrasse Camille et continue :