Évangile d’une grand’mère/96

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Librairie de L. Hachette et Cie (p. 259-262).

XCVI

PARABOLE DES MINES D’ARGENT.



« Un homme d’une grande naissance s’en alla dans un pays lointain pour prendre possession d’un royaume et revenir ensuite. Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines ou marcs d’argent, et leur dit : « faites-les valoir « jusqu’à ce que je revienne. »

Armand. Combien ça fait, dix mines d’argent ?

Grand’mère. Une mine d’argent vaut à peu près quatre-vingt-treize francs ; ainsi, dix mines valaient neuf cent trente francs.

Armand. Ce n’est pas beaucoup pour un Roi !

Grand’mère. Dans ce temps-là, mille francs équivalaient à vingt mille francs de notre temps à nous, parce que tout était bien meilleur marché ; d’ailleurs, ce Roi ne devait rien à ses serviteurs ; il leur donne cet argent pour éprouver leur habileté à le bien employer, le plus avantageusement possible.

« Les gens de son pays, qui étaient mauvais et qui le haïssaient, envoyèrent des députés chargés de lui dire : « Nous ne voulons pas que ce Roi règne sur nous. » Mais lui étant revenu prendre possession de son Royaume, fit appeler les serviteurs auxquels il avait donné de l’argent, pour connaître le profit que chacun en avait tiré. Le premier vint, et dit : « Seigneur, votre mine a produit dix autres mines. » Il lui dit : « Bien, bon serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de chose, tu seras Gouverneur de dix villes. »

« Un autre vint et dit : « Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. » Il dit à celui-ci : « Tu seras établi Maître de cinq villes. »

« Un autre vint et dit : « Seigneur, voilà votre mine, que j’ai gardée soigneusement enveloppée dans un linge. J’ai eu peur de vous, parce que vous êtes un homme sévère ; vous enlevez ce que vous n’avez pas posé, et vous moissonnez ce que vous n’avez pas semé. »

« Le Maître lui dit : « Je te juge par tes paroles, méchant serviteur. Tu sais que je suis un homme sévère, qui enlève ce que je n’ai pas posé, et qui moissonne ce que je n’ai pas semé. Pourquoi donc n’as-tu pas mis mon argent à la banque où il aurait pu rapporter ? »

« Et il dit à ceux qui étaient présents :

« Ôtez-lui la mine d’argent et donnez-la à celui qui en a dix. »

« Ils lui dirent :

« Seigneur, il a déjà dix mines. »

« Mais lui reprit :

« Je vous le dis, on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; et celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il a. Et quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les ici, et tuez-les devant moi. »

Henri. Ah ! mon Dieu ! Comme il était sévère, ce Roi. Je ne voudrais pas être son sujet !

Valentine. Mais que veut dire cette parabole ? J’ai beau chercher, je ne comprends pas.

Grand’mère. Le Roi, c’est le bon Dieu. Ses serviteurs sont les hommes. Les mines qu’il donne sont les différentes grâces qu’il distribue aux hommes : esprit, intelligence, force, courage, adresse, bonté, patience, charité, et autres vertus, car il y en a une infinité.

Les ennemis qui ne veulent pas de lui pour leur Roi sont les Juifs, qui refusent de reconnaître Notre-Seigneur et qui le lui font savoir. Les bons serviteurs qui ont fait profiter et augmenter l’argent que leur maître leur avait confié sont les bons, les justes, qui ont acquis de grands mérites avec les grâces que le bon Dieu leur avait accordées, les uns plus, les autres moins, selon qu’ils avaient reçu plus ou moins d’intelligence ou de capacité.

Les villes que donne le Roi aux bons serviteurs représentent la récompense que nous accordera le bon Dieu selon les services que nous lui aurons rendus, ou le bien que nous aurons fait. Le mauvais serviteur, qui a enfoui sa mine au lieu de chercher à l’augmenter, représente ceux qui perdent les bonnes qualités et les grâces que leur avait accordées le bon Dieu et dont ils n’ont fait aucun usage.

Les méchants révoltés qui refusent de reconnaître leur Roi, sont les Juifs et les mauvais chrétiens qui repoussent et renient leur Dieu et qui ne veulent pas se repentir. Les grâces qui leur étaient destinées et dont ils n’ont pas voulu profiter sont données aux fidèles et intelligents serviteurs, lesquels ont fait voir qu’ils savaient apprécier et augmenter les trésors confiés à eux par leur maître, le bon Dieu.

Notre-Seigneur ayant dit ces choses, continua à marcher vers Jérusalem, et guérit encore un aveugle, qui le suivit comme avait fait l’autre.