Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 002

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 4-5).

FABLE II.

LA CHATTE VOYAGEUSE.


Jeune chatte blanche et jolie,
Dédaignoit douceurs, complimens
De tout chat qui vouloit lui tenir compagnie ;
Toujours sa griffe en l’air repoussoit les amans,
Et les forçoit bientôt à quitter la partie ;
Même dans ces débats chastes et vertueux,
Plus d’un minet perdit les yeux.
La foule des galans enfin me désespère,
Dit-elle un matin à son père ;
J’ai fait vœu de virginité,
Et pour mieux l’accomplir, vœu de pélerinage ;
Accordez-moi la liberté
De commencer mon grand voyage :
Je prîrai pour votre santé,
Et vous me reverrez heureuse autant que sage.
Le vieux matou veut arrêter ses pas :
Partout, lui disoit-il, vous trouverez des chats
Qui, comme ici, viendront vous rendre hommage ;
Vous n’y pensez pas : à votre âge,
Voyager seule et loin, caprice extravagant !
Leste et vive, elle échappe à sa juste colère,
Et la voilà sur la gouttière.
Après avoir rapidement
Franchi montagne, bois et plaine,
Sur le plus vert gazon, voulant reprendre haleine,
Elle s’endort profondément ;
Et que voit-elle en s’éveillant ?
Le mieux fourré des chats, un Angora charmant.

Elle veut mettre entr’eux une forte barrière,
En disant le sujet de sa course légère.
Le fin matois dans sa barbe sourit ;
En causant, en trottant connoissance se fit,
Et pour amadouer la gentille étrangère,
Il joua le dévot, mais de telle manière
Que sur le bon apôtre œil doux elle jeta.
Ce Rominagrobis, plus rusé que les autres,
Et las de marmotter de longues patenôtres,
Dit à la belle, et souvent répéta :
Femelle qui veut être utile sur la terre,
Doit être bonne épouse ainsi que tendre mère,
Et d’un ton imposant maint exemple il cita.
Sans grimace, sans peur la dévote écouta ;
Au bout de quelques jours elle fut moins austère,
Puis oublia ses yeux, puis fit courte prière ;
Plus de griffes alors mais bien désir de plaire
Et l’éloquent prédicateur
Obtint sans peine, pour salaire,
De notre pélerine et la patte et le cœur.
Plus d’une fille a fait la délicate,
Même le vœu de renoncer à tout,
Qui suivroit, dès ce jour, l’exemple de ma chatte,
S’il paroissoit tendre amant de son goût.