Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 013
FABLE XIII.
LES DEUX RÊVEURS ET LE MÉDECIN.
Agités, tourmentés par de sinistres songes,
Deux amis musulmans allèrent un matin
Consulter en secret un fameux médecin.
Les rêves, disoient-ils, ne sont que des mensonges ;
Je n’y crois pas, assuroit chacun d’eux :
Mais vivre sans repos, c’est vivre malheureux.
Parlez-nous franchement, vérité toute nue.
Sans relâche, dit l’un, je vois sitôt minuit
Un scélérat qui me poursuit ;
Il m’atteint, il me vole, et souvent il me tue.
D’un bon sommeil ne puis-je espérer la douceur ?
De grâce ! rendez-moi ma santé, ma fraîcheur.
Pour moi, dit l’autre en Afrique, en Asie,
Je suis toutes les nuits élu roi, couronné ;
L’instant d’après, me voilà détrôné,
Puis mis à mort, au moins emprisonné :
Ce songe m’importune, il abrège ma vie.
D’où viennent ces égaremens ?
Ah ! calmez mon esprit, mes sens,
Et rendez-moi le repos, je vous prie.
Ce n’est pas là mon fait, repartit le docteur :
L’ambition et l’avarice
Ne sont point maux du corps, ce sont vices du cœur,
Si j’étois charlatan, j’accepterais l’office
De vous traiter, sans vous guérir ;
Mais de vous seuls dépend la fin d’un tel supplice ;
Bientôt d’un bon sommeil tous deux pourrez jouir.
Masouf, dit-il, apostrophant l’avare,
Allez chez l’indigent verser votre trésor ;
Le bien qu’on fait vaut mieux que l’or :
Plus de terreurs alors, plus de rêve bizarre.
Pour vous, ambitieux, quittez désirs, projets ;
N’étant plus roi, vous dormirez en paix.
Je ne cesse de dire à ceux que je conseille,
Qui, tourmentés la nuit, se plaignent de leur sort :
Si l’homme étoit plus sage quand il veille,
Il seroit moins fou quand il dort.