Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 020

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 22-23).

FABLE XX.

L’ÂNON ET LA BREBIS.


Grande nouvelle, ami, s’écrioit un ânon
Trottant, courant vers le peuple mouton,
Écoutez, je vous en conjure ?
Vous saurez que du roi c’est la conversion :
Oh ! la nouvelle est bonne et sûre,
J’ai vu lettre-patente et le sceau du lion :
On l’affiche et publie aux forêts du canton,
Et nous pourrons brouter en repos la verdure.
Ce généreux monarque attendri sur nos maux,
Défend à loups, renards d’attaquer les troupeaux,
Chassera, punira l’animal réfractaire.
Mais l’exemple d’un maître étant très-nécessaire
Pour appuyer son ordre ou sa leçon,
Celui-ci désormais sans luxe, sans façon,
De racines, de fruits fera son ordinaire.
La brebis la plus franche, et la plus débonnaire,

Lui dit, du roi ce changement
Surprenant
Prouve conversion sincère.
Il s’en portera mieux, mais c’est tant pis pour nous ;
Nous serons encor plus les victimes des loups :
Cette défense enfin ne me plaît guère.
Des courtisans gloutons aiguisant l’appétit,
 Nous ne verrons sur notre terre
Qu’hypocrites ; mon cher, c’est l’effet qui s’en suit :
Ils jeûneront le jour, nous mangeront la nuit.
Sur ces rusés fripons il faut encor nous taire.