Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 032

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 36-37).

FABLE XXXII.

LE SINGE À LA COUR DU ROI.


En imitant tout ce qu’il voyoit faire,
Un singe avoit acquis grand nombre de talens ;
Il savoit tours de force et tours de gibecière,
Faisoit mille sauts différents,
Même écrivoit à sa manière.
Élevé dès l’enfance en très-bonne maison,
Mais se lassant de l’esclavage,
Ayant brisé sa chaîne, il quitta sa prison,
Regagna les forêts, puis un antre sauvage
Où résidoit un vieux lion,
Souverain absolu de ce vaste canton.
Il paroît à sa cour, y plaît par son adresse,
Par son esprit, sa gaîté, sa souplesse ;

Enfin les grades importans
Deviennent bientôt son partage ;
Car c’est partout un avantage
De savoir amuser les gens.
Pénétré de reconnoissance,
Le singe composoit l’éloge de son roi.
De ses loisirs, hélas ! c’étoit le doux emploi.
Aux chapitres : Bon cœur, justice, bienfaisance,
Quand de sa majesté nouveau bien lui venoit,
Il ajoutoit, il ajoutoit :
Mais chez les grands de chaque empire,
Qui peut amuser aujourd’hui,
Bientôt, dit-on, inspirera l’ennui.
Heureux qui sait cela seulement par ouï-dire !
De cabrioles dégoûté,
Le roi ne vit plus que grimaces
Dans ce favori si vanté
Pour son esprit et pour ses grâces.
Le vieux despote enfin tour à tour le privoit
D’un titre, d’un honneur, d’un poste de finance ;
Des chapitres cités : Justice, bienfaisance,
De cet éloge écrit avec tant d’éloquence,
Le singe en même temps retranchoit, retranchoit,
Un ours peu courtisan qui le regardoit faire,
Et, pendant sa faveur, l’engageoit à se taire,
Lui dit : Mon cher, on a grand tort
De célébrer un maître, et si vîte et si fort,
Retenez donc ma maxime chérie :
Servons-le bien pendant sa vie,
Ne le louons qu’après sa mort.