Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 057

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 64-65).

FABLE LVII.

LES AMIS DISPUTEURS.


Deux amis depuis seize années
Avoient uni leurs destinées,
Ils partageoient bourse, table et maison,
Ils avoient de l’esprit, des mœurs et le cœur bon.
Mais tous deux entêtés se disputoient sans cesse
Sur leurs goûts, sur le jeu, sur leur opinion.
N’importe le sujet de l’altercation,
Son retour trop fréquent altère la tendresse,
Et si vous en doutiez, lecteur, adressez-vous
À ceux qui sont soumis aux lois du mariage ;
Vous saurez de plus d’un époux
Que c’est l’écueil d’un bon ménage.
Las de disputer, à la fin,
L’un de ces deux amis partit un beau matin
Pour aller, disoit-il, habiter sa chaumière,
Espérant y jouir d’un plus heureux destin,
Et voulant vivre en solitaire.
Aux champs tout l’ennuya ; ses bons fruits et ses fleurs
N’avoient pour lui ni parfum, ni couleurs ;
Les blonds épis et la fraîche verdure,
Le doux bruit des ruisseaux et le concert des bois,

Tout l’attristoit dans la nature ;
Chagrin et malheureux au bout de quelques mois.
Regrettant chaque jour son ami, son vieux gite,
Il n’y peut plus tenir et repart au plus vite.
Tandis qu’il se pressoit, s’essouffloit à marcher
Pour revoir cet ami, lui, venoit le chercher.
En cheminant, tous deux se rencontrèrent :
Pleurant, riant, cent fois ils s’embrassèrent.
Ah ! dit le campagnard, sans toi rien n’a d’appas !
Disputons, fâchons-nous ; mais ne nous quittons pas.