Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 077

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 87-88).

FABLE LXXVII.

LE SERPENT ET LES FOURMIS.


Préservons-nous de l’esprit de vengeance,
Dans tous les temps il cause de grands maux.
Au serpent de ma fable il ôte la prudence,
À l’homme trop souvent il coûte le repos.
Tout auprès d’une fourmilière,
Un serpent s’étoit endormi,
Petit insecte à la tête légère,
Une jeune et leste fourmi,
Sur lui trottant, courant, sans craindre sa colère,
Le chatouille, le pique, et le réveille enfin :
L’animal furieux se relève soudain,
Et jure par le Styx de punir cette offense.
Il ne sait plus ramper : pressé par la vengeance
Il siffle, il s’étend et s’élance
Sur les fourmis qu’il méprisoit pourtant.
On ne pouvoit prévoir un pareil accident :
Elles se ďemandoient la raison de sa rage.
D’abord la peur vint les saisir,
Et leur causa quelque dommage :
Mais les sages criant : il faut vaincre ou périr,
On eut bientôt repris courage :
La république entière entoure le serpent,
Sur son corps à l’assaut on monte bravement ;
Le voilà donc couvert de la queue à la tête,

Et ce nouvel Atlas sous le monde fourmi
Ne se défend plus qu’à demi.
Chaque Amazone alors se fait honneur et fête
D’emporter le plus grand morceau
Ou de sa chair ou de sa peau ;
De celle-ci, dit-on, on fit même un drapeau
Pour conserver dans leur histoire
Le souvenir de tant de gloire,
Surtout pour effrayer tout ennemi nouveau.
Cette bataille, en un mot, fut gagnée,
Et le fut si bel et si bien,
Qu’avant la fin de la journée
Du méchant il ne resta rien.