Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 090

La bibliothèque libre.
Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 101-102).

FABLE XC.

LES TROUPEAUX ET LE BERGER.


Vers le soir un pasteur rassembla ses troupeaux
Et les conduisit dans la plaine.
Les bœufs se lamentoient sur leurs nombreux travaux
Sur la fatigue, sur les maux
Que leur causoit l’engeance humaine ;
La bonne vache à son tour gémissoit
Sur un enfant qu’un cruel ravissoit.
Et des chevaux, frappant du pied la terre,
Contre leur maître murmuroient
Du long chemin qu’ils parcouroient :
Tant de pas, disoient-ils, pourquoi ? pour satisfaire
Un caprice, un léger désir !
Encore si c’étoit pour quelque grande affaire !
Mais pour se promener, amuser son loisir,
Crever les gens, le beau plaisir ?
Point de grain, la verdure est tout notre salaire.
Enfin les brebis se plaignoient
Des élégans dîners du maître,
Qui chaque jour leurs petits enlevoient
Quand à peine ils venoient de naître ;
Tous de l’homme envioient le sort.

Ô mes enfans ! vous avez tort,
Dit le berger : sachez mieux vous connoître.
Comme parens ou comme amis,
Les animaux de votre espèce
Par vous sont toujours accueillis ;
Partageant avec eux abondance ou détresse,
Ensemble vous pensez, vous causez franchement,
Et vivez amicalement.
Pour le cours d’un ruisseau, pour un morceau de terre,
Vous n’avez ni procès ni guerre.
Notre sort est bien différent !
Ah ! plus que vous encor nous sommes misérables !
Car vos plus doux plaisirs viennent de vos semblables,
Et c’est de nos pareils que vient notre tourment.