Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 107
FABLE CVII.
JUPITER ET LE MALADE.
Un homme avoit atteint tout au plus quarante ans ;
Mais il avoit si fort abusé de ses sens
Qu’il se trouvoit aussi vieux qu’à soixante.
Son esprit devint dur, sa santé chancelante ;
Jupiter, qui long-temps le combla de faveurs,
Reprit ses dons : il n’eut plus en partage
Que les infirmités, compagnes du vieil âge ;
Tout l’accable à la fois, maux d’estomac, vapeurs,
L’insomnie et l’ennui pire que les douleurs.
Las de ce genre de souffrance,
Il préfère la fièvre, il l’invoque, et soudain
Son brasier dévorant s’allume dans son sein.
Le malade l’endure avec impatience :
Il murmure, il gémit dès le second accès,
Reproche au ciel d’avoir exaucé sa prière :
Reprenez, lui dit-il, vos dangereux bienfaits !
Ayez pitié de ma misère !
Délivrez-moi d’un mal affreux
Qui tour à tour me glace et me dévore :
La crainte de la mort me rend trop malheureux.
Puisqu’il faut expier tous mes excès honteux,
Envoyez-moi la goutte ! On vit long-temps encore
Avec elle, dit-on ; — et dès le même instant
Sur ses pieds, sur ses reins la cruelle s’étend.
De son choix indiscret bientôt il se repent ;
Il se lamente, il pleure, il jure,
Son lit de fin duvet lui semble un lit de fer.
Il croit soulager sa torture,
En vomissant et la plainte et l’injure.
Contre son sort et contre Jupiter.
Ce dieu lui répond, sans colère :
Jadis tu fus ingrat, te voilà téméraire.
Vil mortel ! tu ne sais ni vivre ni mourir.
Ne m’importune plus de plaintes, de prière ;
Qui mérite ses maux doit savoir les souffrir.