Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 125

La bibliothèque libre.
Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 139-140).

FABLE CXXV.

LA CHÈVRE ET L’ÂNE.


Un âne entend des cris, l’autre jour, en paissant :
Cet animal est doux et bon de sa nature ;
La couleur dont Buffon a tracé sa peinture
Doit le faire estimer, le rendre intéressant
Pour nous et la race future.
Revenons aux cris qu’il entend,
D’une chèvre ils partoient pleurant son cher enfant.
Ce n’étoit plus la légère Amalthée[1]
Allant de-cà, de-là, toujours en bondissant,
Et dès le matin ravageant
Ou la feuille ou la fleur par l’aurore humectée :
De ses amours un loup lui ravissoit le fruit.
La douleur tient du caractère :

La sienne, vive, brusque, autant qu’elle est sincère,
Après avoir fait très-grand bruit,
Se calme un peu ; l’âne s’approche, et dit :
À ton malheur je prends part, mon amie.
Hélas ! il est encore heureux
Que ce barbare loup ait respecté ta vie ;
J’en ai déjà remercié les cieux.
Ce compliment ranime sa colère.
— Eh quoi ! ne sais-tu pas qu’il n’épargne une mère
Que pour manger plus grand nombre d’enfans ?
Belle grâce ! et veux-tu que j’en sois attendrie ?
Ô le pauvre ignorant avec sa bonhomie !
Il croit tout pour le mieux, ne connoît point les gens.
Apprends qu’une faveur de la part des méchans
Cache nouvelle perfidie.

  1. Nom de la chèvre qui nourrit Jupiter.