Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 140

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 153-154).

FABLE CXL.

LE MAITRE D’ÉCOLE ET SON VOISIN.


Certain Maître d’école aimoit fort la musique,
Quoiqu’il fût pour cet art sans dispositions.
Avant, après ses utiles leçons
D’écriture et d’arithmétique,
À sa fenêtre en prenant le grand air
Sur une clarinette il jouoit le même air
Depuis six mois, toujours écorchant les oreilles,
En croyant faire des merveilles.
Un jour son plus proche voisin,
De son métier faiseur de serinette,
Vient le trouver dès le matin
Une serinette à la main.
Je ne vous offre point, dit-il, d’en faire emplette,
Vous la donner est mon dessein.
Mais renoncez à votre clarinette
Et renvoyez celui qui vole votre argent.
Vous jouez un seul air, encor faux, sans mesure,
Et vous en joûrez sept avec mon instrument.
Nous y gagnons tous deux, car, d’honneur, je le jure,
De travailler vous m’empêchez souvent ;
Des tons aigres et faux, c’est pour moi la torture.
Notre écrivain doux, patient,
Ne trouva point la vérité trop dure ;
Il sourit du cadeau, du conseil profita,
Et plusieurs fois bonnement répéta,
Chose très rare en pareille aventure :
J’ai pris mon goût pour du talent,

Et l’erreur de telle nature.
Dans bien des arts, dit-on, est commune à présent.
— Mais du tort que souvent j’ai fait à votre ouvrage,
Il faut, ajouta-t-il, que je vous dédommage.
D’écrire longue épître évitez vous le soin :
On peut trouver chez moi des lettres toutes faites
Comme chez vous des serinettes,
Venez en choisir au besoin.
Vous en verrez de toutes les espèces,
Pour des amis, et des parens,
Et qui plus est pour des amans :
On n’a plus qu’à signer et mettre les adresses.
Tout connoisseur en dit du bien,
Je les vends cher, vous les aurez pour rien.