Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 167

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Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 179-180).

FABLE CLXVII.

L’AGNEAU ET SA MÈRE.


Que les humains sont doux et bons,
Disoit un jeune agneau causant avec sa mère !
Car c’est l’homme à qui nous devons
Tous les biens dont nous jouissons,
Ombrage, serpolet, bruyère,
Et l’herbe fine des gazons.
Il écarte, il détruit les joncs
Qui troublent le ruisseau dont l’eau nous désaltère ;
Il apprit à ses chiens à nous garder des loups ;
Dès l’aurore il veille sur nous,
Et sous le toit de sa chaumière,
Vers le déclin du jour, lorsque nous revenons,
Pour reposer ses chers moutons,
Il étend avec soin la plus fraîche fougère :
Puis, quand l’été brûlant viendra nous tourmenter,
Sa bienfaisante main daignera nous ôter
La toison qui nous pèse et qui nous embarrasse.
— Pauvre innocent, lui répond la brebis !

Dans ma jeunesse, je chéris
Ainsi que toi l’humaine race :
Mais j’ai connu le monde en vieillissant,
Et l’homme que j’aimois, je le crains maintenant.
De lui, comme des loups, redoutons la présence ;
Apprends que le cruel m’enleva trois petits ;
Il me les arracha dès leur plus tendre enfance,
Sans être touché de mes cris.
Qu’on lui doit rarement de la reconnoissance !
Notre toison se file, et sert à le vêtir :
Voilà pourquoi sa main nous en dégage.
Il double le profit qui doit en revenir ;
En mettant ses troupeaux dans un gras pâturage,
Si leur lait suffisoit encor à le nourrir !…
Mais je tremble toujours que le boucher ne vienne.
Je t’instruis de ton sort, mon fils, en gémissant :
Oui, de la dent des loups, si l’homme nous défend,
C’est qu’il nous garde pour la sienne.