Œuvres complètes (Beaumarchais)/Lettres/Lettre 03

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Œuvres complètes, Texte établi par Édouard Fournier, Laplace (p. 640-641).
LETTRE III.
À NOSSEIGNEURS LES MARÉCHAUX DE FRANCE.
Du For-l’Évêque, à l’instant de ma détention
(26 février 1773).

J’ai l’honneur de vous prévenir que je viens d’être arrêté par ordre du roi, et conduit au For-l’Évêque. J’ignore à quel mal ce nouveau mal peut remédier, et si, en ôtant à l’accusateur la liberté de la poursuite, on espère que l’accusé en paraîtra moins coupable. Mais, messeigneurs, ma détention me semble au moins décider une question qui a suspendu la justice que j’ai droit d’attendre du tribunal. M. le duc de Chaulnes est dans une citadelle ; je suis traîné dans une prison. Aucun des deux contendants n’a d’avantage aujourd’hui sur l’autre, et tous deux ont un égal intérêt à solliciter l’information qui doit amener leur jugement. Le roi, maître en tout temps de la liberté de ses sujets, ne l’est pas de leur honneur ; et l’autorité qui nous enlève au pouvoir de solliciter votre justice ne peut nous enlever le droit de l’espérer et de l’attendre du tribunal saisi de notre affaire.

Si la conduite prudente et modérée que j’ai tenue en cette occasion difficile a pu me mériter d’être écouté de vous dans mes justes plaintes, le malheur qu’elle entraîne aujourd’hui me donne plus de droit encore à votre justice. L’information que je vous supplie d’ordonner promptement est le seul moyen d’instruire la religion du roi sur cet horrible événement ; et moins j’ai mérité mon infortune, plus la vérité mise au grand jour doit la faire cesser promptement. Ma cause intéresse également votre bon cœur et votre équité ; et c’est au double titre d’homme d’honneur offensé et de citoyen persécuté que j’ai recours avec confiance à votre protection.

Je suis, avec le plus profond respect,

Votre, etc.