Œuvres complètes (Beaumarchais)/Mémoires/Mémoire à consulter 1

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Œuvres complètes, Texte établi par Édouard Fournier, Laplace (p. 224-237).


MÉMOIRE À CONSULTER
POUR
P.-A. CARON DE BEAUMARCHAIS

Pendant que le public s’entretient d’un procès dont le fond et les détails excitent sa curiosité ; pendant que des gazetiers, vendus aux intérêts de différents partis, le défigurent de toutes les manières ; pendant que les méchants accumulent sur moi les plus absurdes calomnies, et ne disputent que sur le choix des atrocités ; enfin pendant que les honnêtes gens consternés gémissent sur la foule de maux dont un seul homme peut être à la fois assailli ; laissons jaser l’oisiveté, dédaignons les libelles, plaignons les méchants, rendons grâces aux gens honnêtes, et présentons ce mémoire à mes juges, comme un hommage public de mon respect pour leurs lumières, et de ma confiance en leur intégrité.

Si c’est un malheur d’être engagé dans un procès dont le plus grand bien possible est qu’il n’en résulte aucun mal ; au moins est-ce un avantage de justifier ses actions devant un tribunal jaloux de l’estime de la nation qui a les yeux ouverts sur son jugement, devant des magistrats trop généreux pour prendre parti contre un citoyen parce que son adversaire est leur confrère, et trop éclairés sur leur véritable dignité pour confondre une querelle particulière dont ils sont juges, avec ces grands démêlés où le corps entier de la magistrature aurait ses droits à soutenir ou son honneur à venger.

La question qui occupe aujourd’hui les chambres assemblées est de savoir si la nécessité de répandre l’or autour d’un juge pour en obtenir une audience indispensable, et qu’on n’a pu se procurer autrement, est un genre de corruption punissable, ou seulement un malheur digne de compassion.

Forcé d’employer ma faible plume, au défaut de toute autre, dans une affaire où la terreur écarte loin de moi tous les défenseurs, où il faut des injonctions réitérées des magistrats pour qu’on me signe au palais la plus juste requête ; détruisons toute idée de corruption par le simple exposé des faits, et ne craignons point qu’on m’accuse de tomber dans le défaut trop commun de les altérer devant la justice. Ils sont déjà connus des magistrats par le vu des charges et informations ; je ne fais ici que les rétablir dans l’ordre chronologique que des dépositions partielles et la forme des interrogatoires leur ont nécessairement ôté.

Uniquement destiné à soulager l’attention de mes juges, ce mémoire sera l’historique exact et pur de tout ce qui tient à la question agitée. Je n’y dirai rien qui ne soit constant au procès. Les faits qui me sont personnels y seront affirmés positivement. Ce que j’ai su par le témoignage d’autrui portera l’empreinte de la circonspection ; et si ce mémoire n’a pas toute la méthode qui caractérise les ouvrages de nos orateurs du barreau, au moins il réunira le double avantage de ne contenir que des faits véritables, et de fixer l’opinion flottante du public sur le fond d’une affaire dont le secret de la procédure empêchera qu’il soit jamais bien instruit par une autre voie.

faits préliminaires

Le 1er avril 1770, j’ai réglé définitivement avec M. Pâris Duverney un compte appuyé sur des titres, et sur une liaison de douze ans d’intérêts, de confiance et d’amitié.

Par le résultat de ce compte, fait double entre nous, M. Duverney resta mon débiteur, et mourut quatre mois après, sans s’être acquitté envers moi.

Son légataire universel prit des lettres de rescision contre l’acte du 1er avril, en poursuivit l’entérinement aux requêtes de l’hôtel, et fut débouté de sa demande par deux sentences consécutives.

Il en appela au parlement ; et, profitant du moment qu’une lettre de cachet me tenait sous la clef, à réfléchir sur le danger des liaisons disproportionnées, il poursuivit sans relâche le jugement de son appel. Il faisait plaider, il sollicitait, il gagnait les esprits ; et moi j’étais en prison.

Enfin, le 1er avril 1773, sur les conclusions de M. l’avocat général de Vaucresson, la cour mit l’affaire en délibéré, au rapport de M. Goëzman.

Ô M. Duverney, lorsque vous signâtes cet arrêté de compte par lequel vous vous reconnaissiez mon débiteur, le 1er avril 1770, vous étiez bien loin de prévoir que trois ans après, à pareil jour, sur le refus d’acquitter votre engagement par un légataire à qui vous laissiez plus d’un million, M. Goëzman de Colmar serait nommé rapporteur ; que je perdrais en quatre jours mon procès et cinquante mille écus ; et que ce magistrat me dénoncerait ensuite au parlement comme ayant calomnié sa personne, après avoir tenté de corrompre sa justice !

faits positifs

Peu de jours avant le prononcé du délibéré, j’avais enfin obtenu du ministre la permission de solliciter mon procès, sous les conditions expresses et rigoureuses de ne sortir qu’accompagné du sieur Santerre, nommé à cet effet ; de n’aller nulle autre part que chez mes juges, et de rentrer prendre mes repas et coucher en prison : ce qui gênait excessivement mes démarches, et raccourcissait beaucoup le peu de temps accordé pour mes sollicitations.

Dans ce court intervalle je m’étais présenté au moins dix fois chez M. Goëzman sans pouvoir le rejoindre : le hasard seulement me l’avait fait rencontrer une fois chez un autre conseiller de grand’chambre, mais à une heure tellement incommode, que ces magistrats, pressés de sortir, ne m’accordaient qu’une légère attention. Je n’en fus pas très-affecté, M. Goëzman ne faisant alors que nombre avec mes juges. Cette relation intime d’un rapporteur à son client, qui rend l’un aussi attentif que l’autre est disert ; cet intérêt pressant qui fait tout expliquer, tout entendre et tout approfondir, n’existaient pas encore entre nous.

Mais le 1er avril, aussitôt qu’il fut chargé du rapport de mon procès, il devint un homme essentiel pour moi ; je n’eus plus de repos que je ne l’eusse entretenu. Je me présentai chez lui trois fois dans cette après-midi, et toujours la formule écrite : Beaumarchais supplie Monsieur de vouloir bien lui accorder la faveur d’une audience, et de laisser ses ordres à son portier pour l’heure et le jour. Ce fut vainement : la portière (car c’en était une), fatiguée de moi, m’assura le lendemain matin, à ma quatrième visite, que Monsieur ne voulait voir personne, et qu’il était inutile que je me présentasse davantage. J’y revins l’après-midi ; même réponse.

Si l’on réfléchit que, du 1er au 5 avril, jour auquel M. Goëzman devait rapporter l’affaire, il n’y avait que quatre jours pleins, et que, de ces quatre jours si précieux, j’en avais déjà usé un et demi en démarches perdues ; si l’on sait qu’un ami de M. Goëzman avait été deux fois chez lui sans succès pour m’obtenir l’audience, on concevra toute mon inquiétude.

J’appuie sur ces légers détails, parce qu’on me reproche au palais, aujourd’hui, de n’avoir pas écrit alors à M. Goëzman pour le voir. Eh ! grands dieux, écrire ! une lettre ne pouvait-elle pas rester un jour entier sans réponse, et me faire perdre encore vingt-quatre heures, à moi qui comptais les minutes ? Et mes cinq courses en aussi peu de temps ne valaient-elles pas bien une lettre ? Et ce que j’écrivais chez la portière, n’était-ce donc pas écrire ? Et croyez-vous qu’on ignorât mon empressement, lorsqu’à l’une de ces courses nous vîmes, de mon carrosse, M. Goëzman ouvrir le rideau de son cabinet au premier, qui donne sur le quai, et regarder à travers les vitres le malheureux qui restait à sa porte ? Ce fait, ainsi que les autres, est attesté par le sieur Santerre, qui m’accompagnait, et dont le témoignage ne saurait être suspect : et il faut le dire et le répéter, car il n’y a pas ici de petites circonstances.

Comme on ne peut tordre mes intentions, et donner à mes sacrifices d’argent la tournure de la corruption, qu’en argumentant de ma négligence à rechercher M. Goëzman, et qu’on le fait réellement aujourd’hui, il m’est de la plus grande importance que la multiplicité, la vivacité, l’obstination même de mes démarches pour le voir, soient aussi constatées que leur inutilité. Nous compterons à la fin combien de fois j’ai assiégé sa porte pendant les quatre jours pleins qu’il a été mon rapporteur. Cette façon d’argumenter à mon tour me lavera peut-être une bonne fois du reproche de négligence. On cessera d’en extraire celui de corruption ; d’où l’on conclut que, croyant ma cause mauvaise, je l’étayais par toutes sortes de manœuvres. Avec cet enchaînement d’inductions vicieuses, on arrive aux horreurs, aux diffamations, et à toutes les indignités qui ont suivi la perte de mon procès. Telle est la marche de l’animosité : nous y reviendrons.

Ne sachant plus à quel parti m’arrêter, j’entrai en revenant chez une de mes sœurs pour y prendre conseil, et calmer un peu mes sens. Alors le sieur Dairolles, logé dans la maison de ma sœur, se ressouvint qu’un nommé le Jay, libraire, avait des habitudes intimes chez M. Goëzman, et pourrait peut-être me procurer les audiences que je désirais. Il fit venir le sieur le Jay, l’entretint, en reçut l’assurance que, moyennant un sacrifice d’argent, l’audience me serait promptement accordée. Étonné qu’il s’ouvrît une pareille voie, et curieux de savoir quelle espèce de relation pouvait exister entre ce libraire et M. Goëzman, j’appris du sieur Dairolles que le libraire débitait les ouvrages de ce magistrat, que madame Goëzman venait assez souvent chez lui pour recevoir la rétribution d’auteur : ce qui avait mis assez de liaison entre elle et la dame le Jay. « Mais le vrai motif qui engage le sieur le Jay à répondre des audiences, ajouta-t-il, est que madame Goëzman l’a plusieurs fois assuré que s’il se présentait un client généreux, dont la cause fût juste, et qui ne demandât que des choses honnêtes, elle ne croirait pas offenser sa délicatesse en recevant un présent. » Cela me fut dit chez ma sœur, devant plusieurs de mes parents et amis.

La demande étant portée à deux cents louis, je me récriai sur la somme, autant que sur la dure nécessité de payer des audiences. Quand on m’a jugé aux requêtes de l’hôtel, disais-je, où j’ai gagné ce procès en première instance, loin qu’il m’en ait coûté pour voir mon rapporteur, je n’ai pas même su quel était son secrétaire ; et M. Dufour, magistrat aussi accessible que juge éclairé, a poussé la patience et l’honnêteté jusqu’à souffrir mes importunités verbales et par écrit pendant six semaines au moins. Pourquoi faut-il aujourd’hui payer ? etc., etc., etc.

Je résistais, je bataillais ; mais l’importance de voir M. Goëzman était telle, et le temps pressait si fort, que mes amis inquiets me conseillaient tous de ne pas hésiter : « Quand vous aurez perdu cinquante mille écus, me disaient-ils, faute d’avoir instruit votre rapporteur, quelle différence mettront dans votre aisance deux cents louis de plus ou de moins ? Si l’on vous en demandait cinq cents, il n’y aurait pas plus à balancer. » Pour trancher la question, l’un d’eux obligeamment courut chez lui, et remit à ma sœur cent louis que je n’avais pas.

Plus économe de ma bourse, ma sœur voulut essayer d’arracher cette audience pour cinquante louis : et, de son chef, elle remit un rouleau seul au sieur le Jay, lui disant qu’elle n’avait pas encore pu changer en or les deux mille quatre cents livres apportées par son frère, et qu’elle le priait en grâce de voir si ces cinquante louis ne suffiraient pas pour m’ouvrir cette fatale porte. Mais bientôt le sieur Dairolles vint chercher le second rouleau. « Quand on fait un sacrifice, madame, lui dit-il, il faut le faire honnête ; autrement il perd son mérite, et monsieur votre frère désapprouverait beaucoup, s’il le savait, qu’on eût perdu seulement quatre heures pour épargner un peu d’argent. » Alors ma sœur, ne pouvant plus reculer, abandonna tristement les autres cinquante louis ; et ces messieurs retournèrent chez madame Goëzman.

Mais, dira-t-on, comment, dans une affaire aussi majeure, étiez-vous si indolent, si passif, que toutes les démarches se fissent entre vos parents et amis, sans vous ? et comment disposait-on ainsi de votre argent et d’un temps si précieux, sans que votre acquiescement y parût même nécessaire ? Eh ! messieurs, vous oubliez la foule de maux dont j’étais accablé ; vous oubliez que j’étais en prison ; vous oubliez que, forcé d’y attendre le matin qu’on vînt me chercher pour sortir, d’y revenir prendre mes repas et d’y rentrer le soir de bonne heure, je ne pouvais suivre exactement des opérations aussi mêlées. Voilà pourquoi le zèle de mes amis y suppléait ; voilà pourquoi je n’ai su beaucoup de ces détails qu’après coup ; voilà pourquoi je n’ai jamais encore vu le sieur le Jay, au moment où j’écris ce mémoire, etc., etc. Renouons le fil de ma narration, que cet éclaircissement a coupé.

Quelques heures après, le sieur Dairolles assura ma sœur que madame Goëzman, après avoir serré les cent louis dans son armoire, avait enfin promis l’audience pour le soir même. Et voici l’instruction qu’il me donna quand il me vit : « Présentez-vous ce soir à la porte de M. Goëzman ; on vous dira encore qu’il est sorti ; insistez beaucoup ; demandez le laquais de madame ; remettez-lui cette lettre, qui n’est qu’une sommation polie à la dame de vous procurer l’audience, suivant la convention faite entre elle et le Jay ; et soyez certain d’être introduit. »

Docile à la leçon, je fus le soir chez M. Goëzman, accompagné de Me  Falconnet, avocat, et du sieur Santerre. Tout ce qu’on nous avait prédit arriva : la porte nous fut obstinément refusée ; je fis demander le laquais de madame, à qui je proposai de rendre ma lettre à sa maîtresse ; il me répondit niaisement qu’il ne le pouvait alors, parce que monsieur était dans le cabinet de madame avec elle. « C’est une raison de plus, lui dis-je en souriant de sa naïveté, de porter la lettre à l’instant. Je vous promets qu’on ne vous en saura pas mauvais gré. » Le laquais revint bientôt, et nous dit que nous pouvions monter dans le cabinet de monsieur ; qu’il allait s’y rendre lui-même par l’escalier intérieur qui descend chez madame. En effet, M. Goëzman ne tarda pas à nous y venir trouver. Qu’on me passe un détail minutieux ; on sentira bientôt comment ils deviennent tous importants. Il était neuf heures du soir lorsqu’on nous fit monter au cabinet ; nous trouvâmes le couvert mis dans l’antichambre, et la table servie ; d’où nous conclûmes que l’audience retardait le souper.

La voilà donc ouverte à la fin cette porte, et c’est au moment indiqué par le Jay ; l’agent n’écrit qu’un mot, j’en suis le porteur ; la dame le reçoit, et le juge paraît. Cette audience, si longtemps courue, si vainement sollicitée, on la donne à neuf heures, à l’instant incommode où l’on va se mettre à table. Sans insulter personne, on pouvait, je crois, aller jusqu’à soupçonner que les cent louis avaient mis tout le monde d’accord sur l’audience, et qu’elle était le fruit de la lettre que madame venait de recevoir en présence de monsieur. Aujourd’hui que l’on plaide, il se trouve que personne ne savait rien de rien, et que l’audience, au milieu de tant d’obstacles, se trouve octroyée par hasard en ce moment unique. J’en demande bien pardon ; il était, sans doute, excusable de s’y tromper.

L’audience de M. Goëzman s’entama par la discussion de quelques pièces au procès. J’avoue que je fus étonné de la futilité de ses objections, et du ton avec lequel il les faisait : je le fus même au point que je pris la liberté de lui dire que je ne le croyais pas assez instruit de l’affaire pour être en état de la rapporter sous deux jours. Il me répondit qu’il la connaissait assez dès à présent pour la juger, qu’elle était toute simple, et qu’il espérait en rendre un compte exact à la cour le lundi suivant. En l’écoutant, je crus apercevoir sur son visage les traces d’un rire équivoque, dont je fus très-alarmé. De retour, je fis part de mes observations à mes amis.

Le sieur Dairolles les fit parvenir à madame Goëzman, en sollicitant une seconde audience. La réponse fut que, si M. Goëzman ne m’avait fait que des objections frivoles, c’est qu’apparemment il n’en avait point d’autres à faire contre mon droit : et qu’à l’égard du rire qui m’avait alarmé, c’était le caractère de sa physionomie ; qu’au reste, si je voulais lui envoyer mes réponses aux objections de son mari, elle se chargeait volontiers de les lui remettre : ce que je fis, en accompagnant le paquet d’une lettre polie pour la dame.

Nous étions au dimanche 4 avril, il ne restait plus qu’un jour pour solliciter : mon affaire devait être rapportée le lendemain. Je priai le sieur Dairolles de savoir au vrai si je ne devais plus espérer d’être entendu, trouvant qu’on m’avait vendu bien cher l’unique faveur d’une courte audience.

On négocia de nouveau ; mais les difficultés qu’on nous opposa firent deviner à tout le monde qu’il n’y avait qu’un seul moyen de les résoudre : autres débats, humeur de ma part, représentations de celle de mes amis. L’avis qui prévalut fut que l’on saurait positivement de madame Goëzman si la seconde audience tenait à un second sacrifice ; et qu’alors, au défaut de cent autres louis qui me manquaient, on lui laisserait une montre à répétition enrichie de diamants. Elle fut aussitôt remise à le Jay par le sieur Dairolles.

Enfin, je reçus la promesse la plus positive d’une audience pour le soir même, mais le sieur Dairolles, en m’apprenant que la dame avait été encore plus flattée de ce bijou que des cent louis qu’elle avait reçus, ajouta qu’elle exigeait en outre quinze louis pour le secrétaire de son mari, à qui elle se chargeait de les remettre. Cela est d’autant plus singulier, monsieur, lui dis-je, que vous savez qu’un de vos amis eut hier toutes les peines du monde à faire accepter à ce secrétaire une somme de dix louis qu’il lui présentait d’office. Cet homme modeste s’obstinait à la refuser, disant qu’il était absolument inutile à mon affaire, qui se traitait dans le cabinet du rapporteur, et sans lui. « Que voulez-vous, me dit le sieur Dairolles ? Toutes ces observations ont été faites à madame Goëzman ; elle n’en a pas moins insisté sur la remise de quinze louis : elle doit ignorer, dit-elle, ce que le secrétaire a reçu d’ailleurs ; enfin, ces quinze louis sont indispensables. »

Ils furent remis, de mauvaise grâce à la vérité, puis portés à madame Goëzman ; puis l’audience assurée de nouveau pour sept heures. Mais ce fut encore vainement que je me présentai : n’ayant pas cette fois de passe-port auprès de madame, il fallut revenir sans avoir vu monsieur.

Le lecteur, qui se fatigue à la fin de lire autant de promesses vaines, autant de démarches inutiles, jugera combien je devais être outré moi-même de recevoir les unes et de faire les autres.

Je revins chez moi, la rage dans le cœur. Nouvelle course des intermédiaires. Pour cette fois, il ne faut pas omettre la curieuse réponse qu’on me rapporta. « Ce n’est point la faute de la dame si vous n’avez pas été reçu. Vous pouvez vous présenter demain encore chez son mari. Mais elle est si honnête, qu’en cas que vous ne puissiez avoir d’audience avant le jugement, elle vous fait assurer que tout ce qu’elle a reçu vous sera fidèlement remis. »

J’augurai mal de cette nouvelle annonce. Pourquoi la dame s’engageait-elle alors à rendre l’argent ? Je ne l’avais pas exigé. Quelle raison la faisait tergiverser sur une audience tant de fois promise ? Je fis à ce sujet les plus funestes réflexions. Mais quoique le ton et les procédés parussent absolument changés, je n’en résolus pas moins de tenter un dernier effort pour voir mon rapporteur le lendemain matin, seul instant dont je pusse profiter avant le jugement du procès.

Pendant que je déplorais mon sort, un homme d’une probité reconnue, ayant été témoin et quelquefois confident des affaires particulières entre M. Duverney et moi, s’intéressait à ma cause, dont il connaissait la justice. Ce motif lui fit trouver moyen de s’introduire chez M. Goëzman, en faisant dire à ce rapporteur qu’il avait des éclaircissements importants à lui donner sur l’affaire de la succession Duverney, et se gardant bien, surtout, d’articuler qu’il penchât pour moi. Il fut aussi surpris que je l’avais été des objections de M. Goëzman : comme elles sont entrées dans son rapport à la cour, qu’il lui lut en partie, je vais les rappeler en note ; elles serviront à montrer dans quel esprit M. Goëzman traitait une affaire aussi grave ; elles motiveront mes efforts pour en obtenir des audiences, et justifieront les sacrifices que j’ai faits pour y parvenir[1].

Mon ami eut beaucoup de peine à se faire écouter dans ses réponses, mais il ne quitta point M. Goëzman qu’il n’en eût au moins arraché la promesse positive de m’ouvrir sa porte et de m’entendre le lendemain matin ; il obtint de plus la permission de me communiquer ses objections, et s’engagea pour moi que je les résoudrais à la satisfaction du rapporteur.

Si jamais audience a paru certaine, ce fut sans doute cette dernière, que le rapporteur promettait d’un côté, pendant que sa femme en recevait le prix de l’autre. Cependant, malgré les assurances du mari et de la femme, nous ne fûmes pas plus heureux le lundi matin que les autres jours : mon ami m’accompagnait, le sieur Santerre était en tiers ; ils furent aussi outrés que moi de me voir durement refuser la porte, quoiqu’on ne dissimulât pas que madame et monsieur étaient au logis. J’avoue que ce dernier trait mit à bout ma patience. Nous éclatâmes en murmures ; et pendant que mon ami, épuisant toutes les ressources, allait chercher le secrétaire au palais pour essayer de nous faire introduire, je priai la portière de me permettre au moins d’écrire dans sa loge les réponses que j’avais espéré faire verbalement à son maître. Nous y restâmes une heure et demie, le sieur Santerre et moi. Mon ami revint avec un nouvel introducteur ; mais les ordres étaient positifs, nous ne pûmes passer le seuil de la porte ; ce ne fut qu’à force d’instances, et même en donnant six francs à un laquais, que nous parvînmes à faire remettre à M. Goëzman mes réponses, et l’extrait d’un acte important pour la recherche duquel un notaire avait passé la nuit.

Le même jour je perdis ma cause ; et M. Goëzman, en sortant du conseil, dit tout haut à mon avocat, devant plusieurs personnes, qu’on avait opiné du bonnet d’après son avis. Le fait est cependant que plusieurs conseillers sont restés d’un sentiment contraire au sien.

Quelle cruauté ! N’est-ce pas tourner le poignard dans le cœur d’un homme, après l’y avoir enfoncé ? Moins le propos était fondé, plus il montrait de partialité dans le juge, et… Laissons les réflexions ; elles aigrissent mon chagrin et retardent mon ouvrage.

Il est temps de tenir parole ; opposons la récapitulation de mes courses chez M. Goëzman au reproche de n’en avoir pas fait assez pour le voir, pendant les quatre jours pleins qu’il a été mon rapporteur, d’où l’on induit que j’ai pu avoir intention de le corrompre.

1er  avril. Le jour qu’il a été nommé rapporteur, dans l’après-midi et soirée, trois courses inutiles… 3
2 avril. Vendredi matin, une course inutile… 1
Vendredi après-midi, course inutile… 1
Vendredi au soir, course inutile… 1
3 avril. Samedi matin, course inutile… 1
Samedi au soir, audience promise par madame Goëzman, et obtenue, course utile 1
4 avril. Dimanche au soir, audience promise par madame Goëzman, et non obtenue, course inutile… 1
5 avril. Lundi matin, jour du rapport, audience promise d’un côté par M. Goëzman, payée de l’autre à madame, et non obtenue, course inutile… 1
Total des courses en quatre jours pleins… 10
Si l’on ajoute les deux qu’un ami de M. Goëzman a faites en même temps pour moi sur le même objet… 2
Et mes dix courses avant sa nomination… 10
Total des courses pour avoir audience… 22

Une seule audience obtenue.

En me lavant ainsi du reproche de négligence, je pense avoir beaucoup ébranlé le système de corruption : achevons de l’anéantir par un autre calcul et quelques réflexions fort simples.

Il m’en a coûté cent louis pour obtenir une audience de M. Goëzman. Qu’on suive cet argent à la trace, et qu’on juge si, de la distance où je suis resté du rapporteur, il était possible que j’eusse formé le projet insensé de le corrompre.

En cédant à la nécessité de sacrifier cent louis, je ne les avais pas (une personne) ; un ami me les a offerts (deux) ; ma sœur les a reçus de ses mains (trois) ; elle les a confiés au sieur Dairolles (quatre), qui les a remis au sieur le Jay (cinq), pour être donnés à madame Goëzman, qui les a gardés (six) ; enfin M. Goëzman, que je n’ai vu qu’à ce prix, et qui a tout ignoré (sept).

Voilà donc, de M. Goëzman à moi, une chaîne de sept personnes, dont il prétend que je tiens le premier chaînon comme corrupteur, et lui le dernier comme incorruptible. D’accord. Mais s’il est juge incorruptible, comment prouvera-t-il que je suis un client corrupteur ? À travers tant de personnes on se trompe aisément sur l’intention d’un homme :

d’ailleurs, un juge corrompu n’a plus besoin d’instructions ; et l’éloignement où se tient de lui son corrupteur est le premier égard qu’il lui doit, et le plus sûr moyen d’écarter tout soupçon de leur intelligence. Or, il est prouvé qu’après avoir payé j’ai montré encore plus d’empressement de voir M. Goëzman qu’avant de donner les cent louis : donc je n’ai pas cru avoir gagné son suffrage en payant ; donc ce n’était pas son suffrage qu’on avait marchandé pour moi ; donc je ne voulais que des audiences ; donc je ne suis pas un corrupteur ; donc il a calomnié mon intention ; donc le procès est mal intenté contre moi ; donc… Ce qu’il fallait démontrer.

J’avais perdu ma cause ; le mal était consommé. Le soir même du jugement, le sieur Dairolles rendit à ma sœur les deux rouleaux de louis, et la montre enrichie de diamants. « À l’égard des quinze louis, dit-il, comme ils avaient été exigés par madame Goëzman pour être remis au secrétaire de son mari, elle s’est crue à bon droit dispensée de les rendre au sieur le Jay. »

La conduite de ce secrétaire étant une énigme pour moi, je voulus l’eclaircir. Étonné qu’après avoir refusé modestement dix louis il en retint vingt-cinq, je priai l’ami qui lui avait fait accepter ces dix louis d’aller lui demander si quelqu’un lui avait depuis remis quinze autres louis. Non-seulement le secrétaire nia qu’on les lui eût offerts, et il les aurait, dit-il, certainement refusés ; mais il offrit à mon ami de lui rendre les dix louis qu’il en avait reçus, en l’assurant de nouveau qu’il n’avait fait aucun travail à ce malheureux procès, qui me coûtait trop d’argent pour qu’on augmentât encore mes pertes par des sacrifices volontaires.

Mon ami, sûr de mes intentions, le pria de les garder moins comme un honoraire dû à ses peines, que comme un léger hommage rendu à son honnêteté.

Alors, piqué du moyen malhonnête qu’on employait pour retenir mes quinze louis, croyant même que le sieur le Jay, que je ne connaissais point du tout, avait voulu les garder, je lui fis dire par le sieur Dairolles que je voulais savoir ce qu’étaient devenus ces quinze louis.

Le libraire affirma pendant plusieurs jours les avoir en vain demandés à madame Goëzman, qui lui répondait constamment être convenue avec lui que dans tous les cas ces quinze louis seraient perdus pour moi. Il ajouta qu’il ne pouvait souffrir qu’on le soupçonnât de les avoir gardés ; que la dame se fait celer, et que je pouvais lui en écrire directement.

Le 21 avril, c’est-à-dire dix-sept jours après le jugement du procès, j’écrivis la lettre suivante à madame Goëzman :

« Je n’ai point l’honneur, Madame, d’être personnellement connu de vous ; et je me garderais de vous importuner, si, après la perte de mon procès, lorsque vous avez bien voulu me faire remettre mes deux rouleaux de louis, et la répétition enrichie de diamants qui y était jointe, on m’avait aussi rendu de votre part quinze louis d’or, que l’ami commun qui a négocié vous a laissés de subrogation.

« J’ai été si horriblement traité dans le rapport de monsieur votre époux, et mes défenses ont été tellement foulées aux pieds par celui qui devait, selon vous, y avoir un légitime égard, qu’il n’est pas juste qu’on ajoute aux pertes immenses que ce rapport me coûte celle de quinze louis d’or, qui n’ont pas dû s’égarer dans vos mains. Si l’injustice doit se payer, ce n’est pas par celui qui en souffre aussi cruellement. J’espère que vous voudrez bien avoir égard à ma demande, et que vous ajouterez à la justice de me rendre ces quinze louis celle de me croire, avec la respectueuse considération qui vous est due,

« Madame, votre, etc.

« Ce 21 avril 1773. »

Je n’en reçus point de réponse ; mais le lendemain ma sœur vint m’apprendre que le sieur le Jay était dans sa maison, égaré comme un insensé ; madame Goëzman, disait-il, l’avait envoyé chercher, pour se plaindre amèrement de ce que je lui demandais une somme de cent louis et une montre enrichie de diamants, qu’elle m’avait fait rendre. Il ajoutait que cette dame, outrée de colère, l’avait menacé de le perdre, ainsi que moi, en employant le crédit de M. le duc d’…

Ma sœur me dit que tous ces propos se tenaient chez elle, devant son médecin ; qu’elle avait inutilement essayé de remettre la tête de ce pauvre le Jay, à qui l’on ne pouvait faire comprendre qu’il ne s’agissait que de quinze louis égarés entre lui et cette dame, et non de ce qui m’avait été rendu ; que cet homme était si troublé, qu’il assurait avoir lu en propres termes dans ma lettre, que la dame lui avait montrée, la demande des cent louis et du bijou ; qu’enfin il menaçait de nier la part qu’il avait eue à cette affaire, si elle prenait une mauvaise tournure.

Heureusement j’avais gardé copie de ma lettre ; je l’envoyai par ma sœur au sieur le Jay, qui fut, à ce qu’il dit, sur-le-champ chez madame Goëzman, lui faire à son tour ses reproches. Je ne sais s’il tint parole, mais enfin les quinze louis ne revinrent point. J’ai depuis écrit deux lettres au libraire à ce sujet, qui sont restées sans réponse. Elles ont été jointes au procès.

J’appris alors dans le public que M. Goëzman, muni d’une déclaration du sieur le Jay[2], dans laquelle j’étais violemment inculpé, avait été chez M. le duc de la Vrillière et chez M. de Sartine, se plaindre hautement que je calomniais sa personne, après avoir tenté de corrompre sa justice. Je n’en croyais pas un mot : tant de précautions extra-judiciaires, avant qu’il y eût aucune procédure entamée, me paraissaient au-dessous même du moins instruit des criminalistes. Je ne pouvais me figurer qu’un conseiller au parlement, sur des objets relatifs à un procès jugé au parlement, invoquât une autre autorité que celle du parlement pour avoir raison de qui que ce fût ; en tout cas, je me promis bien qu’il ne me serait pas reproché, si je pouvais l’éviter, d’avoir provoqué, par mes discours ou mes écrits, un combat aussi indécent entre M. Goëzman et moi. Résolu que j’étais de me renfermer dans des défenses juridiques, si on allait jusqu’à m’attaquer en forme, j’eus l’honneur d’adresser la lettre suivante à l’un des hommes en place qui jouit au plus juste titre de l’estime et de la confiance universelles.


« Monsieur,

« Sur les plaintes qu’on prétend que M. Goëzman, conseiller au parlement, fait de moi, disant que j’ai tenté de corrompre sa justice, en séduisant madame Goëzman par des propositions d’argent qu’elle a rejetées, je déclare que l’exposé fait ainsi est faux, de quelque part qu’il vienne. Je déclare que je n’ai point tenté de corrompre la justice de M. Goëzman pour gagner un procès que j’ai toujours cru qu’on ne pouvait me faire perdre sans erreur ou sans injustice.

« À l’égard de l’argent proposé par moi, et rejeté, dit-on, par madame Goëzman : si c’est un bruit public, M. Goëzman ne sait pas si je l’accrédite ou non ; et je pense qu’un homme dont l’état est de juger les autres sur des formes établies ne devrait pas m’inculper aussi légèrement, moins encore armer l’autorité contre moi. S’il croit avoir à se plaindre, c’est devant un tribunal qu’il doit m’attaquer. Je ne redoute la lumière sur aucune de mes actions. Je déclare que je respecte tous les juges établis par le roi. Mais aujourd’hui M. Goëzman n’est point mon juge. Il se rend, dit-on, partie contre moi : sur cette affaire, il rentre dans la classe des citoyens, et j’espère que le ministère voudra bien rester neutre entre nous deux. Je n’attaquerai personne ; mais je déclare que je me défendrai ouvertement sur quelque point qu’on me provoque, sans sortir de la modération, de la modestie et des égards dont je fais profession envers tout le monde.

« Je suis, Monsieur, avec le plus profond respect, etc.

« Paris, ce 5 juin. »


Bientôt il courut un autre bruit, que M. Goëzman avait été chez M. le chancelier et chez M. le premier président, armé de cette terrible déclaration de le Jay, porter de nouvelles plaintes contre moi ; enfin, j’appris qu’il m’avait dénoncé au parlement, comme calomniateur et corrupteur de juge. Cette attaque étant plus méthodique que la première, j’eus moins de peine à me la persuader. Mais je n’en restai pas moins tranquille sur l’événement ; j’engageai même le sieur Marin, auteur de la Gazette de France et ami de M. Goëzman, de représenter à ce magistrat combien un pareil acte d’hostilité tournerait désagréablement pour lui. « Je crains peu ses menaces, lui dis-je ; il m’a fait tout le mal qui était en sa puissance. Vous pouvez l’assurer que je n’userai point en lâche ennemi de l’avantage des circonstances, pour lui causer un désagrément public ; mais qu’il ait la bonté de me laisser tranquille. » L’ami de M. Goëzman m’assura qu’il lui en avait écrit et parlé déjà plusieurs fois, en lui faisant sentir toutes les conséquences de ses démarches, et qu’il lui en parlerait encore. Sa négociation fut infructueuse.

Peu de jours après, M. le premier président m’envoya chercher pour savoir la vérité des bruits qui couraient. Je m’en tins au refus le plus respectueux de rien déclarer, à moins qu’on ne m’y forçât juridiquement… « Que mes ennemis m’attaquent s’ils l’osent, alors je parlerai ; l’on ne parviendra pas à me faire craindre qu’un corps aussi respectable que le parlement devienne injuste et partial, pour servir la haine de quelques particuliers. Quant à la déclaration de le Jay, elle tournera bientôt contre ceux qui l’ont fabriquée. Je n’ai jamais vu le sieur le Jay, mais on dit que c’est un honnête homme, qui n’a contre lui que le défaut des âmes faibles, de se laisser effrayer facilement, et de céder sans résistance à l’impulsion d’autrui : la fausse déclaration qu’on lui a extorquée dans un cabinet, il ne la soutiendra jamais dans un greffe ; et la vérité lui sortira par tous les pores à la première interrogation juridique qui lui sera faite. Ainsi, sans inquiétude à cet égard, et plein de confiance en l’équité de mes juges, je perdrais difficilement ma tranquillité. »

J’appris alors que M. le procureur général était chargé d’informer : je me hâtai d’aller lui présenter le nom et la demeure de tous ceux qui avaient eu part à cette affaire. Ils ont été entendus, et je ne crains pas qu’aucun d’eux démente la plus légère circonstance de cette longue narration.

À peine les témoins sont-ils assignés, que le Jay commence à trembler sur les conséquences de sa fausse déclaration. Dans le trouble de sa conscience, il va consulter M. Gerbier, expose les faits tels qu’ils se sont passés, en reçoit le conseil de revenir à la vérité dans sa déposition, vient faire la même confession à M. le premier président ; il la fait à quiconque a la patience de l’écouter. M. Goëzman en entend parler. On envoie chercher le libraire et sa femme, on commence par leur soutirer la minute de la fausse déclaration, parce qu’elle est de la main de ce magistrat ; on leur reproche ensuite aigrement leur inconstance. La dame le Jay, plus courageuse que son mari, proteste qu’aucun respect humain ne les empêchera plus de dire la vérité. Grands débats entre eux : enfin on en revient à négocier ; on veut engager le libraire à passer en Hollande, avec promesse de le défrayer de tout, et d’arranger l’affaire pendant son absence. La dame le Jay refuse, et soutient son mari dans sa résolution. Instruit des démarches de la maison Goëzman, et craignant que le Jay ne se laisse encore entraîner, je vais chez M. le premier président lui rendre compte de ce qui se passe. « Vous êtes instruit maintenant, lui dis-je, monseigneur : le Jay vous a tout avoué. J’étais bien sûr que cet homme, qui n’a menti que par faiblesse et par séduction, ne tarderait pas à rendre hommage à la vérité. Mais ce que vous ignorez, c’est qu’on veut le suborner encore, et lui faire quitter la France. De peur qu’on ne dise que c’est moi qui l’ai fait sauver, je me hâte d’en donner avis aux premiers magistrats. » En effet, je fus chez M. le procureur général et chez M. de Combault, commissaire-rapporteur, articuler les mêmes faits, en les priant de vouloir bien s’en souvenir en temps et lieu. Je cite avec assurance, et ne crains pas aujourd’hui d’invoquer des témoignages aussi respectables.

Bientôt le sieur le Jay, assigné comme témoin, dépose au greffe cette vérité redoutable à ses suborneurs, et contraire en tout à la déclaration qu’ils lui avaient extorquée. Sa femme et son commis, entendus, déposent, ainsi que lui, que la minute de la déclaration a été écrite de la main de M. Goëzman ; que le commis de le Jay en a tiré plusieurs copies ; que le maître n’a fait que la signer ; mais que depuis peu de jours on leur a retiré adroitement l’original. Madame Goëzman, entendue à son tour, dit fort peu de chose, et voudrait écarter par un air d’ignorance l’idée qu’elle ait eu la moindre part à l’affaire. Je suis le seul qu’on n’assigne point comme témoin, ce qui fait déjà présumer que je suis dénoncé comme coupable. En effet, j’étais dénoncé. L’information achevée et les témoins entendus, M. Doé de Combault fait son rapport aux chambres assemblées. Il intervient un arrêt qui décrète le sieur le Jay de prise de corps, le sieur Dairolles et moi d’ajournement personnel, et madame Goëzman seulement d’assignée pour être ouïe. Je ne me plains point d’une différence qui ne peut venir sans doute que d’un égard pour son sexe. Cependant le bruit courait que son mari, la traitant moins bien que le parlement, avait obtenu une lettre de cachet contre elle, l’avait fait enlever et mettre au couvent. Mais la vérité est que M. Goëzman ne fit pas usage de la lettre de cachet, et que madame Goëzman n’a été au couvent que depuis ; ce qui réalise aujourd’hui le propos qu’on tenait alors : « Si M. Goëzman, disait-on, fait renfermer sa femme, il la sait donc coupable ? et s’il la croit coupable, comment cherche-t-il à la justifier aux dépens d’autrui ? Si c’est le parlement qui poursuit, et si madame Goëzman n’est renfermée qu’en vertu du soupçon répandu sur elle jusqu’au jugement du procès, le soupçon s’étend également sur la femme et sur le mari. Par quel hasard, dans une affaire aussi peu éclaircie, voit-on Beaumarchais décrété d’ajournement personnel, le Jay de prise de corps, madame Goëzman renfermée, et M. Goëzman sur les fleurs de lis ? »

Ces contradictions apparentes excitaient de plus en plus l’attention du public sur l’événement de ce procès. Le sieur le Jay, retenu au secret pendant plus de huit jours, a été interrogé plusieurs fois ; le sieur Dairolles ensuite ; enfin moi le dernier, qui ai tâché de tracer dans mon interrogatoire l’historique exact de tous les faits, tels qu’on les a lus dans ce mémoire : et certes j’oserais bien assurer que, de toutes les dépositions des différents témoins, il n’y en a pas une seule qui ne s’accorde exactement avec cet interrogatoire.

Depuis ce temps, un arrêt a rendu la liberté provisoire à le Jay ; un autre a réglé l’affaire à l’extraordinaire : et tel est l’état des choses à l’instant où j’écris.

Avant de passer aux réflexions que cet exposé peut faire naître à tout le monde, il faut placer ici deux épisodes intimement liés au fond du procès, et que nous n’avons détachés du reste des faits qu’afin que rien ne nuisît à l’attention particulière qu’ils méritent. Le premier lève un coin du voile obscur qui masque encore l’auteur de cette noire intrigue ; le second le déchire tout à fait.

épisode du sieur d’arnaud de baculard

Tandis que tous ceux que le malheur engage dans cette affaire gémissaient de la nécessité de repousser la calomnie par des défenses légitimes, qui croira qu’un homme absolument étranger au procès ait été assez ennemi de son repos pour venir imprudemment se jeter dans la mêlée, y jouer d’abord le rôle de conciliateur, puis prendre parti contre les accusés, par une lettre signée de sa main ; flotter ensuite dans une incertitude pusillanime ; rétracter cet imprudent écrit, que des contradictions choquantes avaient déjà fait suspecter ; et se donner par tant d’inconséquences en spectacle au public, empressé à juger les acteurs de cette étrange scène ? Un tel homme existe pourtant, et c’est le sieur d’Arnaud de Baculard. Puisqu’il lui a plu de prendre part à la querelle, il faut développer sa conduite aux yeux de la cour ; elle n’est pas sans importance au procès.

Vers l’époque où les premiers travaux de la procédure s’entamaient, le hasard me fit rencontrer dans la rue de Condé, où je demeure, le sieur d’Arnaud. Je prévins toute question de sa part, en lui disant : « Monsieur, vous êtes ami du sieur le Jay ; il a donné à M. Goëzman une fausse déclaration ; s’il persiste à en soutenir les termes, un moment arrivera, et c’est celui de la confrontation, où toutes les personnes avec qui il a correspondu lui reprocheront son mensonge ; il se verra froissé entre son faux témoignage et la vérité qui fondra sur lui de toute part ; elle sortira de sa bouche alors, mais il ne sera plus temps : l’iniquité, la calomnie, la mauvaise foi lui seront imputées ; et la plus juste punition sera le prix de sa lâche complaisance. Je vous conseille donc, monsieur, par l’intérêt que vous prenez à lui, de le voir, et de l’engager à dire la vérité : c’est le seul parti qui lui reste dans l’embarras où il s’est plongé lui-même ; les magistrats ne font point le procès à la faiblesse, c’est la mauvaise foi seule qu’on poursuit. » Le sieur d’Arnaud m’écoutait d’un air sombre, et ne rompit le silence que pour me reprocher aigrement l’indiscrétion avec laquelle j’avais, dit-il, engagé cette affaire au palais, l’acharnement que je mettais à sa poursuite, et qui me rendait l’auteur de tous les chagrins prêts à fondre sur la tête de ce pauvre le Jay.

Je conclus de cette sortie du sieur d’Arnaud, qu’il n’était pas instruit de mon affaire, et je lui appris que ce n’était pas moi, mais M. Goëzman qui avait intenté le procès et le poursuivait ; que jusqu’alors je n’avais voulu rien faire, rien dire, ni rien écrire à ce sujet ; je l’engageai de nouveau à déterminer son ami à revenir à la simple vérité dans sa déposition.

Le sieur d’Arnaud excusa sa vivacité sur son ignorance, blâma la faiblesse de le Jay, condamna la conduite de M. Goëzman, s’étendit un peu sur la méchanceté des hommes, et m’assura qu’il allait faire part de mes observations au sieur le Jay. Qu’est-il arrivé ? Que le sieur d’Arnaud a visité M. Goëzman ; que M. Goëzman a visité le sieur d’Arnaud ; et qu’enfin ce dernier a écrit une lettre apologétique au magistrat, dans laquelle, après un éloge de ses vertus, il ajoute qu’il se croit obligé, pour l’honneur de la vérité, de lui apprendre d’office qu’un soir, étant chez le sieur le Jay, ce dernier lui fit voir une montre enrichie de diamants, très-belle, avec cent louis, qu’il allait rendre, lui dit-il, à un ami de M. de Beaumarchais, qui les lui avait remis pour les présenter à madame, qui les avait rejetés avec indignation. Le sieur d’Arnaud ajoute qu’il ne doute point que le sieur le Jay ne les ait rendus sur-le-champ, etc., etc.

M. Goëzman a déposé au greffe de la cour cette lettre du sieur d’Arnaud, avec la déclaration du sieur le Jay. Quelles pièces et quelles précautions pour un magistrat ! nimia præcautio dolus. Soufflons sur ce nouveau fantôme, et détruisons ce frêle appui du système de la corruption. Quand les visites réciproques ne prouveraient pas que ce témoignage est une pièce mendiée ; quand le désaveu qu’a fait depuis au greffe le sieur le Jay de sa fausse déclaration ne démontrerait pas que madame Goëzman n’a jamais rejeté avec indignation les cent louis et la montre ; quand le refus opiniâtre que cette dame a fait de rendre les quinze louis qu’elle avait exigés, et qu’elle a encore entre les mains, ne fournirait pas la preuve la plus complète qu’elle a reçu tout le reste avec plaisir ; et quand le sieur d’Arnaud ne serait pas depuis convenu lui-même que c’était uniquement pour l’obliger qu’il avait écrit à M. Goëzman ; un court examen de sa lettre, et de la comparaison de ces mots… un soir… qu’il allait rendre, etc., avec ce qui s’est passé le 5 avril, jour auquel les effets m’ont été remis, suffirait pour anéantir le témoignage qu’elle contient. Épargnons cette discussion au lecteur : la rétractation du sieur d’Arnaud la rend inutile. Je voulais me justifier de son accusation, et non le poursuivre. Je l’ai fait, et me borne à le plaindre, si d’autres motifs qu’une complaisance aveugle ont affecté son cœur et dirigé sa plume.

autre épisode très-important touchant le sieur marin, auteur de la gazette de france

Le sieur Dairolles était assigné pour déposer : la veille de sa déposition, vers une heure après midi, je passai chez ma sœur, que je trouvai avec son mari, son médecin, le sieur Deschamps, négociant de Toulouse, et plusieurs autres personnes. À l’instant arrive le sieur Marin, auteur de la Gazette de France, et ami de M. Goëzman. Il nous dit que ce magistrat l’avait accompagné jusqu’à la porte pour chercher le sieur Dairolles, et l’engager à ne faire le lendemain qu’une déposition très-courte, et qui ne compromît madame Goëzman ni personne ; qu’il nous engageait tous à nous conduire sur ce plan dans nos dépositions ; et que lui Marin se faisait fort d’arranger l’affaire sous peu de jours ; qu’il avait des moyens sûrs pour y réussir ; mais qu’il fallait bien se garder, surtout, de parler de ces misérables quinze louis, qui ne faisaient qu’embrouiller l’affaire, et me donner un air de mesquinerie qui me faisait tort dans le monde. — « Au contraire, monsieur, lui-dis-je avec chaleur, il en faut beaucoup parler : ce n’est pas que ces quinze louis m’intéressent en eux-mêmes ; mais ils sont la clef de toute l’affaire, et le seul moyen d’en résoudre tous les problèmes. Car madame Goëzman, qui nie aujourd’hui d’avoir jamais reçu le prix qu’elle a mis elle-même aux audiences de son mari, reste absolument sans réponse, quand on lui demande comment ces misérables quinze louis sont encore entre ses mains, s’il est vrai qu’elle ait rejeté tout le reste hautement et avec indignation ? Il en faut beaucoup parler, parce que M. Goëzman les a volontairement oubliés dans la déclaration qu’il a minutée de sa main et que le Jay n’a fait que copier et signer. Mais permettez que je ne prenne point le change à cet égard. On conclurait de ce silence général que le Jay n’a point remis les quinze louis à madame Goëzman ; qu’il l’a calomniée, en disant qu’elle les avait exigés et retenus ; qu’il a bien pu garder ainsi tout le reste ; et l’on perdrait un malheureux pour sauver les seuls auteurs de l’exaction et de l’odieux procès qui en résulte. — Eh ! que vous importe, répondit le sieur Marin, que ce fripon de le Jay soit sacrifié ? Ce n’est pas un grand malheur, si vous êtes tous hors d’une affaire qui intéresse aujourd’hui les ministres, et où il n’y a que des coups à gagner. » Chacun s’éleva fortement contre cette barbarie de sacrifier le Jay, et l’on se sépara. En nous quittant, le sieur Marin pria instamment le sieur Lépine de lui envoyer Dairolles à quelque heure qu’il rentrât, pour qu’il pût lui parler avant d’aller au palais.

Le sieur Marin et M. Goëzman passèrent l’après-midi du même jour à chercher le sieur Dairolles dans toutes les maisons où l’on espérait le rencontrer : ce fut en vain. L’auteur de la Gazette de France, inquiet, renvoie, le lundi à sept heures du matin, dire au sieur Dairolles qu’il est de la dernière importance qu’il vienne lui parler avant d’aller au palais. Le sieur Dairolles se rend au greffe, et ne va chez l’auteur de la Gazette qu’en sortant de déposer. Je m’y rencontre avec lui : la mémoire fraîche encore de tout ce qu’il venait de dicter, le sieur Dairolles nous le rend dans le plus grand détail. Le sieur Marin blâma fort une déposition aussi étendue, « Je vous ai cherché, dit-il, partout hier avec Goëzman[3], pour vous empêcher de faire cette sottise-là.

« Depuis, je vous ai fait dire de me venir parler ce matin : il suffisait de quatre mots au greffe, et j’arrangeais l’affaire en deux jours, comme je l’ai dit hier à M. de Beaumarchais chez madame sa sœur. Mais il est encore temps ; vous en serez quitte pour aller faire une autre déposition plus courte et sans détail : on biffera la première, il n’en sera plus question, et l’affaire s’éteindra toute seule. »

Je fis sentir à mon tour au sieur Dairolles la conséquence d’une pareille conduite : « Si vous allez faire une seconde déposition, ne croyez pas qu’on annule la première ; on les opposera l’une à l’autre, et toutes les deux à vous, qui tomberez précisément dans le cas de le Jay, d’être contraire à vous-même : voilà mon avis. » Le sieur Marin nous apprit ensuite qu’il allait dîner chez M. le premier président avec monsieur et madame Goëzman, laquelle devait, en sortant de table, aller faire sa déposition au greffe.

Le même jour, vers les six heures du soir, je retrouvai le sieur Marin sur le Pont-Neuf. « J’ai dîné avec notre monde, me dit-il ; et, pendant que la femme est allée au greffe, je suis convenu avec Goëzman que j’engagerais Dairolles à l’aller voir ce soir. Il sera fort bien reçu ; et lorsque Dairolles lui aura conté les choses comme elles se sont passées, son intention est d’avoir une lettre de cachet pour enfermer sa femme, et tout sera fini. J’ai vu Dairolles en sortant de chez le premier président, et j’en ai tiré promesse qu’il irait ce soir chez Goëzman ; mais j’ai peur qu’il ne nous manque encore. Joignez-vous à moi pour l’y engager. — Pourquoi donc faut-il que ce soit Dairolles, lui dis-je ? S’il était possible de supposer que M. Goëzman ignorât ce qui se passe chez lui, et s’il faut croire pieusement qu’il ait besoin de nouvelles instructions à cet égard pour faire enfermer sa femme, que n’envoie-t-il chercher le Jay, à qui il a fait faire une fausse déclaration, et qui vient de se rétracter ? Que ne demandait-il à M. le premier président cette vérité, que tout Paris sait que le Jay lui a confessée depuis peu ? Que ne s’adresse-t-il à vous-même, qui savez aussi bien que nous à quoi vous en tenir sur le fond de l’affaire ? Au reste, je vais voir M. Dairolles et sonder ses intentions. »

Je me rendis à l’instant chez ma sœur, que je trouvai en conversation animée avec une autre de mes sœurs. « Le sieur Marin, me dirent-elles, a parlé de nouveau à Dairolles cette après-midi ; ils ont été longtemps ensemble : le dernier est venu tout échauffé nous dire : « Comment trouvez-vous donc Marin, qui veut absolument que j’aille changer ma déposition ? Et, sur ma résistance opiniâtre : Vous direz, m’a-t-il ajouté, que c’est toute cette famille Beaumarchais qui vous a suggéré la première[4]. Quel bien espérez-vous de tous ces gens-là ? Abandonnez leurs intérêts, ne songez qu’aux vôtres. Par votre déposition de ce matin, vous perdez quatre ans de travaux accumulés pour obtenir les bonnes grâces de M. le duc d’…, au moment peut-être où vous étiez près d’en recueillir le fruit. Allez, mon cher compatriote, allez-vous-en parler à Goëzman ce soir, et surtout promettez-le-moi. » Voilà, m’ajoutèrent mes sœurs, ce que Dairolles vient de nous apprendre : il a, dans son premier mouvement, raconté les mêmes choses à un de ses amis. Nous lui avons fait connaître le piége dans lequel on veut l’attirer. Il n’ira pas ce soir chez M. Goëzman, quoiqu’il y soit attendu. — Et moi, leur dis-je, je vais à l’instant instruire M. le premier président de cette nouvelle intrigue. » En effet, ce magistrat respectable eut la bonté, la patience d’écouter tout le détail qu’on vient de lire, et finit par me dire : « Comptez que le parlement ne fera d’injustice à personne, et qu’en temps et lieu je me souviendrai de tout ce que vous m’avez dit. »

On avait déjà répandu au palais que le sieur Dairolles, au désespoir de sa déposition du même jour, qui lui avait été suggérée, était dans l’intention de se rétracter de tout ce qu’il avait dit. Frappé du rapport de ce bruit avec les insinuations du sieur Marin, il courut le lendemain au greffe, assurer que non-seulement il démentait le fait calomnieux de sa rétractation, mais qu’il demandait la permission de confirmer ce qu’il avait dit la veille, et même d’y ajouter quelque chose.

De mon côté, je fus chez le sieur Marin, le prier de vouloir bien ne plus correspondre avec le sieur Dairolles, au sujet de mes affaires ; ce qu’il me promit.

Voilà les faits rendus dans la plus scrupuleuse exactitude. Raisonnons maintenant sur la question qu’ils ont fait naître au parlement.

réflexions

Y a-t-il, dans tout ce qu’on vient de lire, la moindre trace du crime de corruption de juge ? Y voit-on que j’aie voulu gagner le suffrage de mon rapporteur par des voies malhonnêtes ? Qui osera m’en prêter la coupable intention, lorsque tous les faits parlent en ma faveur, lorsque toutes les dépositions appuient ma dénégation formelle, et lorsque l’instruction du procès ne fournit aucune preuve du contraire ?

Mille raisons éloignaient de moi la pensée de manquer de respect au parlement, en offensant un de ses membres.

1o J’avais, avec tous les jurisconsultes, si bonne opinion de ma cause, que j’aurais cru faire tort aux lumières de mes juges en doutant un moment de son succès.

2o Je n’ignorais pas qu’un juge intègre ne se laisse point corrompre par de l’argent ; et que c’edt le supposer corrompu d’avance et vendu à l’iniquité, que de lui en proposer.

3o J’avais déjà gagné sur délibéré cette cause en première instance aux requêtes de l’hôtel ; et certes, on ne supposera pas que ce fût par corruption. Y avait-il donc quelque chose en mon second rapporteur qui dût me le faire soupçonner plus corruptible et moins délicat que le premier ? Je ne connaissais pas M. Goëzman ; et lorsqu’il me dénonce comme son corrupteur, n’est-ce pas lui seul qui fait à sa personne un outrage auquel je n’ai pas songé ? Quel juge honnête a jamais pensé de lui qu’un client le soupçonnât d’être corruptible ? Si quelqu’un eût dit à Caton : Un tel homme espère acheter votre voix aux prochains comices, n’eût-il pas à l’instant répondu : Vous mentez, cela est impossible ?

4o Quoi ! l’on irait jusqu’à supposer que l’on a mis pour moi le suffrage de M. Goëzman au misérable prix de cinquante louis ! En calomniant le plaideur, on verse à pleines mains l’avilissement sur le juge. Si j’avais eu la coupable intention de corrompre mon rapporteur dans une affaire dont la perte me coûte au moins cinquante mille écus, loin de fatiguer mes amis de mes résistances, loin de marchander le prix des audiences dont je ne pouvais me passer, n’aurais-je pas tout simplement dit à quelqu’un : Allez assurer M. Goëzman qu’il y a cinq cents louis, mille louis à son commandement, déposés chez tel notaire, s’il me fait gagner ma cause ? Personne n’ignore que de telles négociations s’entament toujours par une proposition vigoureuse et sonnante. Le corrupteur ne veut qu’une chose, n’emploie qu’un instant, ne dit qu’un mot, est jeté par la fenêtre, ou conclut son traité : voilà sa marche.

Mais quel rapport tout cela peut-il avoir avec ce qui m’arrive, et que voit-on ici ? Un plaideur désolé de ne pouvoir approcher de son rapporteur, joignant ses efforts aux soins ardents de ses amis, et s’agitant inutilement pour arriver à l’inaccessible cabinet. On y voit des audiences courues, sollicitées ; leur prix débattu ; cent louis partagés en deux fois ; une seule audience obtenue, une autre inutilement espérée ; dix louis versés d’un côté, quinze louis exigés de l’autre ; un bijou consommant tous ces sacrifices ; beaucoup de courses inutiles, point d’accès chez le juge ; et le procès perdu. On voit que des demandes successives ont entraîné des sacrifices successifs ; que, plus le besoin est devenu pressant, moins on a pu se rendre économe de sa bourse ; et qu’enfin on n’a fait que céder à la nécessité de payer ce qu’il était indispensable d’obtenir. Il y a bien loin de cette marche à celle d’un corrupteur de juge.

Mais, dira-t-on, c’est payer bien cher une audience que d’en donner cent louis. Certainement c’est bien cher ; et mes débats et les tentatives de ma sœur promeut assez que nous l’avons pensé comme vous ; mais réfléchissez que cinquante louis n’ont pas suffi pour m’obtenir la première audience, et qu’un bijou de mille écus, surmonté de quinze louis, n’a pu me procurer la seconde ; et vous conviendrez que ce qui vous semble aujourd’hui trop acheté ne le parut pas encore assez alors. Quel homme, engagé dans les sables d’Afrique, ne payerait pas un verre d’eau cent mille ducats dans un pressant besoin ?

« Mais, en faisant successivement tous ces sacrifices, il est très-probable que vos demandes d’audience n’ont été qu’un prétexte avec lequel vous avez masqué l’intention de corrompre votre juge. »

Il est très-probable !… Au reste, qu’on ne croie pas que j’invente ici des objections oiseuses pour m’amuser à les résoudre : elles m’ont toutes été faites à l’interrogatoire.

Il est très-probable ! Heureusement, il ne s’agit pas ici de me décider coupable sur des probabilités, mais seulement de juger sur des preuves si je le suis ou non. Que dirait de moi M. Goëzman, si, repoussant sur lui le bloc dont il veut m’écraser, je m’égarais aussi dans les conjectures, en disant : Lorsque madame Goëzman vendait l’audience de son mari, il est très-probable qu’il était de moitié dans le traité ; l’impossibilité d’entrer chez lui avant la délivrance des deniers, et le parfait accord du moment indiqué par l’agent de madame pour l’audience avec celui où monsieur l’accorda, donnent beaucoup de poids à ma conjecture. Si j’ajoutais : Celui qui reçoit de la main droite étant à bon droit soupçonné de n’avoir pas la main gauche plus pure, il est très-probable qu’après qu’on a eu touché mes cent quinze louis de le Jay, l’enchère s’est trouvée couverte par un autre : d’où sans doute est venue l’impossibilité d’obtenir une seconde audience, malgré les promesses du mari et de la femme ; d’où est partie l’offre tardive de rendre l’argent à celui qui avait le moins donné, parce qu’en pareille affaire on ne peut tout garder sans qu’un des deux payants ne jette les hauts cris. Si, rapprochant sous un même point de vue la frivolité des objections que M. Goëzman a faites tant à moi qu’à mon ami sur mon affaire ; l’odieux soupçon qu’il a répandu, que j’avais pu abuser d’une date et d’une signature en blanc, pour y apposer un arrêté de compte ; sa remarque insidieuse que les sommes de mon acte étaient en chiffres sur le verso (tandis qu’elles sont, avant, dix fois écrites en toutes lettres sur le recto) ; le désir qu’il a montré, en sortant du jugement, de faire croire qu’il avait seul décidé la perte de mon procès, lorsqu’il dit tout haut qu’on avait opiné du bonnet d’après son avis ; la précaution de se faire faire une déclaration par le Jay avant la procédure ; la lettre du sieur d’Arnaud, la mission du sieur Marin, etc., etc. ; si, dis-je, embrassant tous ces faits, j’en concluais qu’il est très-probable… Ne m’arrêteriez-vous pas tout court, en me disant qu’en une affaire aussi grave il n’est pas permis de donner des vraisemblances pour des vérités ; que le parlement est juge des faits, et non des intentions ; que ce n’est pas à moi à diriger ses idées, ni les conséquences qu’il doit tirer ; et qu’enfin il est calomnieux d’avancer ce qu’on ne peut légalement prouver ? Faites-moi donc au moins la justice que vous exigeriez de moi ; et ne supposez pas que j’aie eu l’intention de corrompre mon juge, lorsque tout concourt a porter jusqu’à l’évidence que je n’ai fait que céder à la dure nécessité de payer des audiences indispensables[5].

« Mais donner de l’argent à la femme de son rapporteur pour arriver jusqu’à lui est une espèce de corruption détournée, très-digne aussi des regards sévères de la justice. »

Eh ! monsieur, un homme qui ne peut se reconnaître en un dédale obscur qu’en semant l’or de tout côté sur son chemin n’est-il pas assez malheureux d’y être engagé, sans qu’il ait encore le chagrin d’en essuyer le reproche ? Eh quoi ! toujours de la corruption ? Une victime est-elle donc si nécessaire ici, qu’il faille la désigner à quelque prix que ce soit ?

Si le suisse de mon juge m’a barré dix fois sa porte, pressé que je suis d’entrer, m’accuserez-vous d’être un corrupteur pour avoir amadoué le cerbère avec deux gros écus ?

Arrivé dans l’intérieur, si deux louis d’or glissés dans la main du valet de chambre me font pénétrer au cabinet de son maître, aurai-je donc commis un crime de lèse-équité magistrale en les lui abandonnant ?

Forcez la progression jusqu’au secrétaire ; allez même jusqu’à quelqu’un plus intimement attaché à mon juge : ne conviendrez-vous pas que la somme ne fait plus rien à la chose, parce que les sacrifices sont toujours en raison de l’état de celui qui nous sert ?

Sans doute il est malheureux pour un plaideur d’être obligé de parcourir, l’or à la main, le cercle entier de tant de vexations subalternes avant que d’arriver au juge qui en occupe le centre, et le plus souvent les ignore. Mais qu’on puisse être inculpé pour avoir cédé à la plus tyrannique nécessité, c’est, je crois, ce qu’on peut hardiment nier avec tous les casuistes et jurisconsultes de l’univers.

Observez encore que l’on tomberait dans une contradiction puérile en attaquant un plaideur en corruption, pour avoir été forcé d’acheter de la femme de son juge des audiences à prix d’or, lorsqu’il est reçu, reconnu, avoué, qu’on doit en offrir à tous les secrétaires des rapporteurs, dont le revenu serait trop borné sans la générosité des clients.

En vain me direz-vous que le travail des secrétaires est au moins un prétexte aux largesses des plaideurs : et voilà précisément d’où naît l’abus. Les deux contendants n’étant pas plus exempts de payer l’un que l’autre ce travail au secrétaire, il n’en est que plus exposé à la tentation de subordonner la besogne au prix qu’il en reçoit. Alors il faut convenir que les dix, vingt-cinq, quarante ou cinquante louis qu’on lui ferait accepter, deviendraient un genre de corruption bien plus dangereux autour d’un rapporteur, que celui d’intéresser sa femme. Il frapperait également sur l’homme et sur la chose, sur le juge et sur son travail. Car, enfin, sa femme peut au plus lui recommander l’affaire ; mais celui qui en fait l’extrait est souvent le maître de la lui présenter à son gré, de faire valoir ou d’atténuer les moyens, selon qu’il veut favoriser ou nuire. L’équité d’un juge peut bien le tenir en garde contre la séduction de sa femme : les choses qu’elle recommande étant étrangères à son état, en demandant elle avertit de se méfier d’elle, et son projet doit échouer par les moyens mêmes qu’elle prend pour le faire réussir ; au lieu que tout paraît se réunir pour attirer un juge très-occupé dans le piége que lui tendrait un secrétaire infidèle, et vendu à l’une des parties.

Nous ne voyons pourtant pas de nos jours qu’on accuse personne de vouloir corrompre les rapporteurs, quoique chaque plaideur soit toujours disposé, près des secrétaires, à couvrir l’enchère de son concurrent.

C’est donc sur la main qui reçoit que la justice doit avoir l’œil ouvert, et non sur la main qui donne. La faute de celle-ci n’est qu’un accident éphémère et peu dangereux, au lieu que l’avidité toujours subsistante de celle-là peut multiplier le mal à l’infini.

Je me fais d’autant moins de scrupule d’indiquer ici l’abus qui peut résulter de laisser aux plaideurs à payer le travail des secrétaires, que j’ai prouvé, par le témoignage honorable rendu à l’un d’eux en ce mémoire, avec quel plaisir je rends justice à des hommes très-honnêtes, aussi studieux qu’éclairés. Abstractivement parlant, un reproche général peut être bien fondé contre telle manière d’exister d’un corps, sans qu’on entende en faire d’application personnelle à aucun de ses membres actuels.

Maintenant, qu’un gazetier joigne à la plus insidieuse annonce sa ridicule réflexion, qu’un plaideur est très-punissable de chercher à corrompre son juge, et le juge répréhensible de se prêter à ses menées ; on perd patience à redresser de pareilles bévues : aussi n’est-ce pas pour le gazetier qu’on répond qu’il fallait dire précisément le contraire.

L’action répréhensible d’offrir de l’or peut au moins s’excuser dans un plaideur emporté par un violent intérêt. Comme il ne plaide que pour gagner sa cause, et qu’on lui crie de toute part : Payez, payez, ne vous lassez pas ! peut-il savoir au juste à quel point, à quelle personne il doit s’arrêter ? Qui posera la barrière, et lui montrera la borne finale ? Et si la nécessité le force à passer les limites, quel homme assez pur osera lui jeter la première pierre ?

Mais le juge, organe de la loi silencieuse, le juge, impassible et froid comme elle pour les intérêts sur lesquels il doit prononcer, fera-t-il, sans crime, de la balance de Thémis un vil trébuchet de Plutus ? L’intention du plaideur qui donne est au moins sujette à discussion, et peut s’interpréter de mille manières ; mais le juge qui reçoit est sans excuse aux yeux de la loi. Si le premier doit acheter mille choses en plaidant, le second n’a rien à vendre en jugeant : il est donc le vrai coupable, le seul punissable ; l’autre est tout au plus répréhensible.

Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Où la corruption n’existe point, il n’y a point de coupable à démêler, point de corrupteur à punir. En vain irait-on chercher dans Papon, dans Néron, ou tel autre compilateur d’ordonnances, quelque ancien arrêt du treize ou quatorzième siècle, pour l’appliquer à la question présente ; aucun ne peut certainement lui convenir. Les temps sont changés, les mœurs sont différentes, et l’espèce ne saurait être aujourd’hui la même sur rien. Tout se faisait alors plus simplement : les plaideurs n’avaient point d’avocats, les juges point de secrétaires ; tel jugement, dont les frais épuisent une bourse de louis, ne coûtait alors qu’un cornet d’épices ; et telle autre chose était un crime aux yeux de l’équité, qui s’est tournée depuis en usage aux yeux de la justice.

Et quand toutes ces raisons n’existeraient pas, aucun arrêt n’a certainement prévu le cas où je me trouve ; aucune loi n’a défendu de payer des audiences indispensables, quand on ne peut les obtenir autrement. S’il est peu généreux de les vendre, il y a bien loin du malheur de les acheter aux délits sur lesquels la loi prononce des peines ; et si elle n’en a point prononcé, fera-t-on une jurisprudence rétroactive, exprès pour appliquer une punition à tel fait dont l’usage et le silence de la loi semblaient autoriser l’abus, nuisible aux seuls plaideurs ?

Si l’on parvenait même à rencontrer quelque ancienne ordonnance à peu près applicable à la question présente, faudrait-il donc en tordre le sens, en étendre les dispositions, pour la faire cadrer à cet événement ? Il est une maxime de jurisprudence criminelle dont on ne peut s’écarter : c’est qu’en toute loi pénale les cas de rigueur ne reçoivent jamais d’extension, à cause du danger extrême des conséquences.

Mais, indépendamment d’un danger applicable à tous les cas, les juges ont certainement prévu celui qui résulterait en particulier d’un arrêt, lequel, au lieu de décharger de l’accusation un plaideur qui n’a fait que céder, en payant, à la plus tyrannique nécessité, sévirait contre lui dans un prononcé foudroyant. Serait-ce comme corrupteur ? nous avons prouvé qu’il ne l’est ni n’a voulu l’être. Comme payeur d’audience ? dans le fait et dans le droit il n’y a pas de sa part l’ombre d’un délit.

On sent que le désir de mettre un frein, par un exemple, à la corruption, pourrait seul dicter un pareil arrêt ; mais les magistrats sont bien convaincus que cet arrêt prouverait mieux leur sévérité qu’il n’honorerait leur prévoyance : ils savent qu’en en faisant porter la rigueur sur la partie déjà souffrante, et qu’en se trompant ainsi sur le choix de la victime, au lieu de couper le mal dans sa racine, on courrait le danger de l’accroître à l’infini.

Osons le dire avec liberté : si jamais il existait un juge avide et prévaricateur, chargé de l’examen d’un procès, ne deviendrait-il pas le maître à l’instant d’abuser d’un pareil arrêt, comme d’une permission enregistrée, pour dépouiller impunément les plaideurs ? L’arrêt à la main : Donne-moi cent louis, pourrait-il dire à son client, si tu veux avoir audience ; mais, quand tu l’auras payée, soit que je te l’accorde ou non, lis cet arrêt, et tremble de parler !

Caron de Beaumarchais
M. Doé de Combault, rapporteur.
Me  Malbeste, avocat.

  1. M. Goëzman lui dit entre autres choses que M. Duverney confiait facilement de ses blancs-seings ; que lui-même en avait vu et tenu entre ses mains ; que je pouvais avoir abusé d’un de ces blancs-seings pour y adapter un arrêté de compte. Mon ami, surpris d’une pareille allégation, lui répondit que l’exactitude de M. Duverney avait été trop connue pour qu’on pût le taxer d’une pareille négligence sur sa signature ; mais que, quand cette allégation aurait même quelque vraisemblance, ce ne pouvait jamais être relativement à une signature et une date fixe de la main de M. Duverney, apposées au bas du folio verso d’une grande feuille de papier à la Tellière ; et qu’en tout état de cause, un pareil soupçon, étant ce qu’on pouvait avancer de plus odieux contre quelqu’un, ne devait jamais être articulé sans preuve.

    M. Goëzman lui dit ensuite que l’arrêté de compte entre M. Duverney et moi ne pouvait pas être regardé comme un acte sérieux puisque toutes les sommes y étaient écrites en chiffres : en effet, il lui montrait plusieurs sommes en chiffres sur la page verso de cet arrêté de compte. Mon ami, étonné que j’eusse commis une pareille faute dans une pièce aussi importante, était prêt à passer condamnation, lorsque, quittant M. Goëzman, avec lequel il se promenait dans son cabinet, il vint subitement retourner l’arrêté de compte et en examiner la première page, dans laquelle il ne lui fut pas difficile de prouver à M. Goëzman, que les sommes écrites en chiffres sur le verso n’étaient que relatées de pareilles sommes écrites plusieurs fois en toutes lettres antécédemment de l’autre part.

    M. Goëzman lui objecta encore que la déclaration de 1733 exigeait que l’écriture d’un pareil acte fût approuvée de la main de celui qui n’avait fait que le dater et le signer. Mon ami, qui ne connaissait point les termes de cette déclaration, ne put lui répondre que l’acte et les deux contractants étaient précisément dans le cas de l’exception portée par cette loi.

    Il y eut encore d’autres objections aussi frivoles.

  2. Cette déclaration porte en substance que le sieur le Jay, cédant aux sollicitations d’un de mes amis, a reçu cent louis et une montre enrichie de diamants ; qu’il a eu la faiblesse de les offrir à madame Goëzman pour corrompre la justice de son mari ; mais qu’elle a tout rejeté hautement et avec indignation ; que depuis la perte du procès il a tout remis à mon ami, etc… Cette déclaration, qu’on a su depuis minutée par la main de M. Goëzman, ne parle pas des quinze louis exigés de surplus, et qui sont encore entre les mains de madame Goëzman. Et moi je prie le lecteur de ne les pas perdre de vue. J’ai quelque notion que ces quinze louis influeront beaucoup sur le jugement du procès.
  3. Je prie que l’on pardonne la liberté de ce langage à l’obligation où je suis de citer juste.
  4. Il est bon de remarquer ici qu’en parlant au sieur Dairolles en particulier, l’auteur de la Gazette ne se contente plus de dire qu’il faut changer sa première déposition ; il veut que Dairolles la tourne contre moi en déposant qu’elle lui a été suggérée par toute la famille. Ce trait a totalement dessillé mes yeux sur la conduite du sieur Marin dans toute cette affaire.
  5. Si par hasard on doutait que M. Goëzman eût fait à mon ami l’étrange objection que j’avais pu abuser d’un blanc-seing de M. Duverney, qu’on lise l’interpellation suivante : elle est tirée de mon interrogatoire.

    Interpellé de nous dire si l’on ne lui a pas rendu, de la part de madame Goëzman, qu’il perdrait son procès, parce que son mari le soupçonnait d’avoir rempli un blanc-seing de M. Duverney ;

    A répondu que personne ne lui a rendu un propos aussi absurde qu’il est outrageant ; que la mission de M Goëzman n’ayant pas été de se rendre vérificateur d’écritures, mais seulement d’examiner si un acte fait double et librement entre deux majeurs pouvait s’annuler autrement que par lettres de rescision ou inscription de faux, seuls moyens que la loi autorise ; un si odieux soupçon, supportable au plus dans une instruction criminelle, aurait indiqué la plus grande partialité de la part du juge en une cause civile.