Œuvres complètes (Beaumarchais)/Memoires/Texte entier 2

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes (Beaumarchais)/Memoires
Œuvres complètes, Texte établi par Édouard Fournier, Laplace (p. 501-638).


PÉTITION

DE

PIERRE-AUGUSTIN CARON BEAUMARCHAIS

À LA CONVENTION NATIONALE

Londres, ce 16 décembre 1791,

l’an 1er  de la république.

Citoyen président,

peuple, épouvanté par tous les genres de terreurs, m’aurait massacré sans pitié, car il n’eût pas douté qu’on ne vous eût fourni les preuves de cette déclaration atroce, puisque vous aviez prononcé sur-le-champ contre moi le décret d’accusation ; heureusement vous ne l’avez pas fait alors,

Qui me sauva de cet affreux péril, qu’un mensonge avait enfanté ? Un autre mensonge innocent, à l’instant proféré par un membre de l’assemblée, aussi mal instruit que le législaleur Chabot, ci Je sais ce que c’est, vous dit-il : c’est un traité conclu avec le ministère ; il y a trois mois que ces fusils nous sont lien s. n

Le fait de cette livraison était tout aussi faux que l’autre, et je me dis en l’apprenant : « Grand Dieu ! si toutes nos affaires sont traitées avec ce désordre, avec cette légèreté, où es-tu donc, ô pauvre France ? La vie du plus pur citoyen lui peut être arrachée par la fureur, la malveillance, ou seulement la précipitation. Mais si la vie d’un homme et le malheur d’une famille se perdent dans l’immensité des maux qui nous accablent, quel pays libre, ou même assujetti, peut rester la demeure d’un être raisonnable, quand des crimes pareils s’y commettent impunément ? » Voilà ce que je dis alors ; pourtant je restai dans Paris.

Sauvé d’un aussi grand danger, je n’aurais pas même relevé la faute du législateur, si plusieurs menteurs littéraires (ce n’est point littéraires, c’est journaliers que je veux dire) n’eussent pas à l’instant, comme ils font aujourd’hui, dénaturé le fait, en envenimant bien la délation du législateur Chabot, et taisant au peuple abusé le correctif qu’un autre y avait mis, quoiqu’il se fût trompé lui-même.

Déjà l’on avait placardé sur tous les murs de mon jardin que non-seulement j’avais les soixante mille fusils cachés, mais que c’était moi seul qui faisais forger les poignards avec lesquels on devait assassiner le peuple. Sauvez-vous ! disaient mes amis : vous y périrez à la fin. Moi qui ne me sauve jamais tant qu’il me reste une défense, je fis afficher dans Paris ma réponse au législateur Chabot, beaucoup moins grave, en apparence, que le fait ne le comportait ; mais je parlais au peuple, et l’on

Quand le législateur Chabot, dans l’assemblée nationale, et devant beaucoup de ses membres qui depuis ont passé dans cette convention, me dé avait fait parmi nous un tel abus du style injuriel, qu’il en avait perdu sa force. Je crus donc que la vérité, que la raison, assaisonnée d’un peu de douce moquerie, était ce qui convenait le mieux pour bien classer mon dénonciateur. Le peuple lut et rit, et fut désabusé ; et moi je fus sauvé encore cette fois-là.

Mais ceux qui avaient mis le législateur Chabot en œuvre ne rirent point de mon dilemme ; ils me gardèrent toutes les horreurs dont ils se rassasient encore, et celle-ci n’est pas une des moins piquantes pour eux.

Posons maintenant la question.

Ai-je été traître à ma patrie ? ai-je cherché à la piller comme les gens qui la fournissent… ou la font fournir, c’est tout un ? C’est ce que je m’apprête à bien éclaircir devant vous, ô citoyens législateurs ! car je ne vous fais pas l’injure de supposer qu’après m’avoir décrété sans m’entendre, c’est-à-dire qu’après avoir mis ma personne en danger, ma famille dans les pleurs, mon crédit en déroute, et mis mes biens en saisie, sur quatre phrases indigestes d’un dénonciateur trompé, vous repousserez mes défenses, dont cette pétition est la première pièce. Elles sont les défenses d’un très-bon citoyen, qui ne le prouverait pas moins à la face de l’univers, quand vous ne l’écouteriez pas ; ce que je ne présume point, car la justice est d’intérêt commun. Et, croyez-moi, législateurs, dans l’état où sont nos affaires, il n’en est pas un parmi vous dont la tête, aujourd’hui garantie, ne puisse un jour courir l’horrible chance que la scélératesse a posée sur la mienne. Jugez-moi sans faveur, c’est tout ce que je demande.

Le citoyen Lecointre, excellent patriote, et point méchant homme, dit-on, mais sans doute un peu trop facile à échauffer sur les objets qui blessent l’intérêt du peuple, trompé lui-même étrangement, vient de tromper la Convention par une si triste dénonciation, que, dans la partie qui me touche, il n’est pas une seule phrase qui ne soit une fausseté.

Après avoir parlé de certain marché de fusils, qui s’était fait, dit-il, sur le pied de huit francs, avec de certains acheteurs qui, n’ayant point payé leurs traites, furent évincés très-justement, le citoyen Lecointre, sans même vous apprendre si ces huit francs étaient en assignats, argent de France, ou florins de Hollande, la première chose cependant qu’un homme exact eût dû vous dire, arrive brusquement à moi :

« Beaumarchais, vous dit-il, s’empara de ce marché (jamais, Lecointre, jamais je ne m’en suis emparé). Il acheta ces fusils à raison de six livres (jamais) ; fit partir deux vaisseaux du port de la Haye, chargés de ces fusils (jamais). Mais ils furent arrêtés dans le port de Tervère par ordre de Provins et compagnie, premier acheteur (jamais), et qui n’a pas voulu céder son marché à Beaumarchais (jamais). Celui-ci a reconnu son droit (jamais). Et cependant il a feint que ses deux vaisseaux avaient été arrêtés par ordre du gouvernement hollandais (jamais) ; et, en conséquence, a réclamé une indemnité de cinq cent mille francs (jamais, au grand jamais) ; indemnité qu’il a obtenue (jamais, jamais, jamais : pas un mot de vrai à tout cela).

« Lecointre lit ensuite la teneur du marché passé entre Beaumarchais et les ministres Lejard et Chambonas : il conclut à l’annihilation du marché, et au décret d’accusation contre Beaumarchais.

« Après une légère discussion (grand Dieu ! légère ! et il s’agit de la vie d’un bon citoyen ! ), l’annihilation du marché et le décret d’accusation sont prononcés. »

Ô citoyens législateurs ! je viens de copier mot à mot le Moniteur du jeudi 29 novembre (car je n’ai de public, sur ces faits, que ce Moniteur que je cite, et une sottise de Gorsas qui trouvera sa place ailleurs). Je le copie à Londres, où des avis certains de l’infamie qui se tramait m’ont fait accourir de la Haye pour en apprendre les détails, que l’on n’osait m’envoyer en Hollande, où l’on dit que la liberté des personnes dont on veut payer la capture n’est pas si sûre qu’en Angleterre.

Je viens de lire à Londres tout le tissu d’horreurs qu’on m’y a fait passer de France. Mais cet objet est réservé pour le mémoire dont je m’occupe, et qui vous est destiné, législateurs si cruellement abusés par l’un de vous qui l’a été lui-même, et qui regrettera bien, quand il aura lu mes défenses, de s’être fait le crédule instrument de la méchanceté d’une horde que mon devoir est de bien démasquer.

Aujourd’hui je ne dois répondre qu’au paragraphe du Moniteur.

Prenant l’article phrase à phrase, je déclare : 1o que je ne me suis emparé du marché de personne, relativement aux fusils de Hollande ; que je résistais par prudence aux prières qui m’étaient faites de procurer ce bien à mon pays, et que la certitude acquise que ces soixante mille fusils pouvaient bientôt passer dans les mains de nos ennemis, seule éveilla mon inquiétude et mon patriotisme ; que cette inquiétude me fit arrher, sans les acheter, tous ces fusils, en couvrant les nouveaux marchés entamés, soumettant aux plus fortes peines le vendeur, si l’on en écartait un seul pour le service d’aucune puissance avant d’avoir reçu mes dernières paroles ; ce qui arrêta ces marchés jusqu’à ce que j’eusse conféré sur le plus ou moins de besoin que ces armes pouvaient nous faire, avec le ministre de Graves, à qui je rendrai hautement la justice qui lui est due : car depuis la révolution, tout entier à la chose publique, je n’épouse aucune faction.

2o Je déclare que je n’ai point acheté ces armes à raison de six livres le fusil. La seule vue du traité, très-civique, par lequel je suis resté maître de disposer des armes en faveur de la France, vous montrera, ô citoyens, ou l’erreur ou l’horreur de cette funeste imputation.

3o Je déclare que je n’ai point fait partir deux vaisseaux du port de la Haye : 1o parce qu’il n’y a point de port à la Haye, ce qui n’est de leur part qu’une ignorance géographique ; 2o parce que ces fusils ont passé directement des citadelles de Malines et Namur dans les magasins du vendeur, qui depuis sont les miens, à Tervère en Zélande, par charrois, et sur des bélandres, et non sur des vaisseaux à moi. Cette annonce est aussi ridicule que si l’on disait, législateurs, que j’ai fait venir ces fusils de Versailles à Paris sur des vaisseaux de la rivière de Somme, en passant par Bordeaux. La Zélande est plus près de Bruxelles que de la Haye, où il n’y a point de port, comme tout le monde sait, excepté ces messieurs.

4o Je déclare que jamais ces fusils n’ont été ni pu être arrêtés dans des vaisseaux à moi (où ils n’ont jamais été), ni dans mes magasins, où ils ont toujours demeuré, par un nommé Provins, ni par aucun autre homme qui prétendît avoir droit sur ces armes : car personne n’a droit sur aucune marchandise (comme M. Lecointre le sait) que celui qui, l’achetant, la paye ; et c’est ce que j’ai fait moi seul, exclusivement à tous autres.

5o Je déclare que jamais ni un nommé Provins, ni aucun autre acheteur de ces armes, sans les payer antérieurement à mon traité (car ils sont au moins cinq ou six) ; je déclare, dis-je, qu’aucun n’a été dans le cas de me céder le droit qu’il n’avait pas sur aucune demande que je lui en aie faite.

Il est aussi trop ridicule de me faire acheter, à moi, haut négociant français, des armes d’un étranger, à qui je les ai bien payées, pour me faire jouer ensuite, à la Convention nationale, le stupide rôle du solliciteur des prétendus droits d’un failli.

Je déclare à mes juges, et je le prouverai, qu’après avoir loyalement traité avec le seul et vrai propriétaire de l’acquisition des fusils, aux conditions civiques et honorables que je mettrai sous vos yeux, citoyens ; qu’après les avoir bien payés, il n’est resté d’autres difficultés, sur l’extradition de ces armes du port de Tervère pour le Havre, que celles : 1o que le gouvernement de Hollande, vivement sollicité par celui de Bruxelles, m’a suscitées, non par haine pour ma personne, mais dans l’espoir de nuire à notre France, au service de laquelle ils présumaient que ces armes étaient consacrées.

2o Je vous déclare, et je le prouverai encore, que des difficultés bien plus insurmontables, provenant de Paris, du fond de ces intrigues que l’on appelle en France les vilenies bureaucratiennes, n’ont cessé d’arrêter cette importante cargaison d’armes, depuis le 3 avril jusqu’au 16 décembre où j’écris, dans mes magasins en Zélande, par toutes les voies odieuses que j’expliquerai fort au long ; et que, plus malveillants que la Hollande et que l’Autriche, ils ont forgé tous les obstacles qui ont arrêté vos fusils. Car, de quelque patriotisme qu’un citoyen soit animé pour l’intérêt de notre France, sachez, législateurs, que la grande, l’unique et l’irréfragable maxime est dans ces bureaux-là : Nul ne fournira rien, hors nous et nos amis.

Si je ne prouve point toutes ces vérités au gré du lecteur étonné, je consens de bon cœur à perdre les fusils ; et j’en fais présent à la France, quoiqu’un tel don me conduise à la ruine.

Je déclare que je n’ai jamais feint que deux vaisseaux à moi eussent été arrêtés par ordre du gouvernement hollandais ; que je n’ai jamais réclamé en conséquence une indemnité de cinq cent mille francs ; que je n’ai jamais obtenu une telle indemnité : de sorte qu’ici la mauvaise foi passe toutes les bornes permises.

Je déclare au contraire que, loin d’avoir d’argent à la nation, ce sont les hauts seigneurs du département de la guerre qui, depuis le 5 avril dernier, ont à moi deux cent cinquante mille livres très-réelles, desquelles sans pudeur, malgré vingt paroles données, ils ne m’ont pas permis d’user pour vous faire arriver de Hollande tous ces fusils retenus à Tervère.

Car lorsque le ministre de Graves, à qui je ne reproche rien, me fit remettre pour cinq cent mille francs d’assignats, mais nullement pour une indemnité, lesquels, réduits en bons florins de banque, ne me rendirent pas trois cent mille livres ; moi, je lui déposai, en sûreté de cette somme, pour sept cent cinquante mille francs de vos propres contrats, que je vous ai payés en beaux louis d’or, sur lesquels nulle part il n’y avait rien à perdre, et que vous avez garantis de la nation à la nation.

Or, mes deux cent cinquante mille francs réels, et au delà de ce qu’il fallait pour couvrir leurs cinq cent mille francs d’une valeur aussi précaire, ils les ont encore dans leurs mains. Qu’on m’apprenne donc pourquoi les scellés sont chez moi. La garantie de nos propriétés n’est-elle plus qu’un jeu barbare pour les piller plus sûrement ? Fusils livrés ou non, soit par ma faute ou par la leur, suis-je donc votre débiteur pour saisir ainsi tous mes biens ? ou plutôt n’est-ce donc pas vous qui êtes le mien dans cette affaire ?

Et quand on vous fait faire l’énorme faute de renoncer à de fort bons fusils, qui sont pour vous la chose la plus nécessaire ; si l’on croit vous faire punir le citoyen qui vous les destina, quand les Anglais défendent qu’on vous porte aucunes munitions de guerre, on vous trompe, citoyens : c’est vous-mêmes que vous punissez. Car, en sacrifiant toutes les pertes que me causent neuf mois de retard, des courses, des dépenses occasionnées par leur brigandage, ne vaudrait-il pas mieux pour moi, si je cesse un instant d’être un bon citoyen pour me tenir dans mon état de négociant, d’avoir soixante mille fusils que toute l’Europe, et même certaine partie de l’archipel américain, qu’on vient encore de vous aliéner, me payeraient en bon or, que de me surcharger d’assignats, lesquels ne pourraient que tomber sous peu dans le plus affreux discrédit, si l’on continuait à dilapider autour de vous près de deux cents millions par mois, comme vous l'avez avoué vous-mêmes ? Mais ce ne sont point ces dépenses mêmes qui les discréditeront le plus : ce sont les fautes impardonnable, si ce n’est pis, des gens qui nous gouvernent : mon grand mémoire vous l’expliquera bien 11.

Au reste, citoyens, quand ils vous font rejeter ces fusils, dans l’espoir insensé de m’obliger à les leur livrer à vil prix pour vous les revendre bien cher, ce n’est point à dessein d’en priver ma patrie, à qui je les ai destinés, que je viens de montrer l’avantage commercial qu’il y aurait à préférer les payements en or des étrangers à ceux que vous ne faites qu’avec des assignats : car je vous déclare hautement que je n’en disposerai pour aucune puissance qu’après que mon pays m’aura bien entendu sur les indignes obstacles qui les ont empêchés de passer dans ses ports, depuis le temps que je les ai payés.

Quoi qu’il puisse arriver, ils vous appartiendront : car, si je ne prouve point que c’est par le fait même de mes accusateurs que vous ne les avez pas reçus, je consens à les perdre, et à votre profit ; j’en signerai l’engagement. Et si je prouve bien que l’on vous a trompés dans les rapports qu'on vous a faits, vous êtes trop équitables pour ne pas me faire justice : ainsi, dans tous les cas, les fusils sont à vous. Je poursuis mon raisonnement.

Quoi qu’il en soit, ayant entre vos mains, à moi, deux cent cinquante mille francs réels au delà du seul argent que j’aie reçu de vous, n’êtes-vous pas bien à couvert ? Tous les sophismes des méchants ne peuvent prévaloir contre ces vérités.

Ils ont eu la sottise de vous faire dire par Lecointre qu’ils m’avaient accordé cinq cent mille francs d’indemnité, quand, loin que j’aie un liard à eux, ils ont à moi plus de dix mille louis ! Ce mensonge grossier n’est-il donc pas trop ridicule ? Et à moins qu’on ait espèré de me faire tuer avant tout éclaircissement, les trouvez-vous assez stupides ?


Et c’est, b citoyens, sur de pareilles allégations que nous me décrétez, que votre scellé est chez moi, que ma famille est dans les larmes, pendant que moi j’étais dehors, et tout entier à vos affaires, -iii- l’article de vos fusils, et j’en aurai de bons garants ! Et vous l’avez prononcé, ce décret affligeant, sans avoir même soupçonné qu’il était prudent de m’entendre ! Suis-je donc à vos yeux la lie des citoyens ? Me croyez-vous un de ces pauvres ^ou^

/oyez le long dis s du citoyen Cambon, dans I" U

du . décembre, qui porte .1 !G8 millions la seule dépense de trois ■ : ni -■■ il ,11 . I^s trois mois qui préci daii rit que la terreur fit émigrer, pour vous emparer aussi de mes biens ? Non : cette injustice envers moi révolte tous les gens sensés. Si c’est tout mon bien qu’il leur faut, pourquoi jouer à mon égard la fable du Loup et de l’Agneau ? Rappelons-nous ce mot de lùokrk a un bomine qui lui proposait pour deux cents louis un manifeste sur la Silésie qu’il prenait : Quand on commande à cent mille hommes, lui dit Frédéric, on ne donnerait pas un farding d’un prétexte. Ce mot sanctionne toutes les usurpations. Ils sont les plus forts avec moi : qu’ils prennent ma fortune, et me laissent mourir en paix.

Mais je pense pourtant qu’il en est de pareils décrets comme de ces arrêts du conseil des parties qu’on obtenait sans preuves et sur requête, et sauf l’opposition de celui que l’arrêt grevait. Sans cela, il faudrait s snfuir en criant avec disespeu pauvre France ! é pauvre France !

Dans cette occasion-ci, l’on ne sait véritablement ce qu’on doit le plus admirer, de l’ignorance crasse où les vils machinistes qui font i voir Lecointre sont de la vérité des faits, ou de la rare audace avec laquelle ils lui font débiter leurs mensonges.

vous, Lecointre, qui par zèle avez si ardemment 

demandé en Hollande quelques notions (criailles sur tous les achats qui s’y font ! que ne m’avez-vous dit un mot ? C’est moi qui vous les eusse données, ces notions si utiles dont vous êtes curieux. Je vous aurais appris confidemment ce que je vais vous confier en face de toute la France : attendez mon mémoire : il ne languira pas. Mais, avant de vous bien montrer quels sont les traîtres à la patrie, de ceux qui m’accusent ou de moi, sur l’affaire de ces fusils, je dois mourir ou me laver d’une autre grave accusation de correspondance coupable avec Louis XVI, dont le Moniteur ne dit mot, mais dont les gazettes hollandaises m’ont instruit avant mon départ ’.

Je vous déclare, 6 citoyens, que le fait de ces lettres est absolument faux : qu'il n’a été imaginé que pour jeter sur moi, pendant qu’on dénonçait les armes, une telle défaveur, qu’on pût croire sans examen qu’un aussi grand conspirateur qu’on suppose que je le suis, s’il trahissait la France sur un point, était bien capable sans doute de la desservir dans un autre. Voilà tout le secret de cette nouvelle horreur.

Je demande que mes prétendues lettres soient déposées sur le bureau, jinrnfirs de la main de l’honnête homme qui les présente. Car il faut, citoyens, qu’un des deux y pà-issc. Ce mensonge est I. Voyez dans la Gazette de laCour, a la [Iaye,du i" décembre, la dé .iMh.iii des fusils, par Dubois-Crancé, aux jacobins ; puis, dans cette annonce de même date : On a été aussi occupé, hiei , matin, à ttre le scellé partoul ami- la maison de Beaumarchais, , , parmi les grands conjurés, et a écrit plusieurs ,, lettres 1 Louis XVI. . une lâcheté dont je ne connais point d’exemple. Certes ce n’est faire ni un bien ni un mal que d’écrire à un roi héréditaire ou constitutionnel, même en temps de révolution ; l’objet seul de la lettre, ou la façon de le traiter, pourrait former la matière d’un délit, s’il se trouvait contraire aux intérêts du peuple.

Mais cette discussion même est ici superflue, car je n’ai point écrit à Louis XVI.

Quoi qu’il en soit, législateurs, je vous supplie de distinguer l’accusation portée contre moi devant vous pour mes prétendues lettres écrites à Louis XVI (si cette accusation existe), de l’affaire des fusils de Hollande, dans laquelle j’entends bien me rendre accusateur : car il est temps que toutes ces scélératesses finissent.

Elles sont telles, et le décret qu’elles ont amené sur ma tête semble si improbable aux bons esprits anglais, que l’opinion qu’ils en ont prise est que tout cela n’est qu’un jeu entre les jacobins et moi pour avoir un prétexte de demeurer en Angleterre, et d’y troubler la paix dont cet heureux peuple jouit : tant il leur paraît impossible que l’homme qui s’est bien montré depuis qu’on songe à constituer la France ; qui, à travers tant de dangers, est le seul homme aisé qui ait eu le courage de rester à Paris et d’y faire du bien, quand tous les autres s’enfuyaient, éprouve sérieusement des vexations aussi multipliées ! Ils ont raison, tous ces penseurs anglais : mais c’est qu’ils ne réfléchissent pas que ce n’est point notre nation qui commet toutes ces horreurs ; que le peuple lui-même ne connaît pas un mot de ce qu’on lui fait faire ; que, dans les temps qu’on nomme révolutionnaires, cinq ou six méchants réunis font plus de mal à toute une nation que dix mille honnêtes gens ne peuvent lui faire de bien ; et que, dans les faits qui me touchent, j’ai toujours demeuré vainqueur dès que j’ai pu me faire entendre. Essayons-le encore une fois.

Je vous demande comme une grâce, ô citoyens législateurs, la justice de me permettre de choisir parmi vous mon sévère examinateur : cela n'est point indifférent à mon succès dans cette cause. Accordez-moi le citoyen Lecointre, mon propre dénonciateur. Nul n’a plus d’intérêt que lui à me reconnaître coupable, si effectivement je le suis ; mais il est, dit-on, honnête homme, et c’est un grand plaisir pour moi de ramener ce citoyen à convenir qu’on l’a trompé. Vous le condamnerez ensuite à mieux y voir une autre fois, pour peine de s’être laissé si cruellement abuser.

Et quant à moi, à qui, sans le savoir, il fait tant d’injure aujourd’hui, je le condamne, pour toute vengeance, à devenir mon avocat, sitôt que lui et d’autres citoyens m’auront entendu dans mes dires.

Bien est-il vrai que je ne puis les garantir de voir M. Gorsas écrire que je les ai tous achetés.

Lorsque je les fis condamner en 1789, lui, Bergasse, Kornman et toute leur honteuse clique, comme d’infâmes calomniateurs dans l’affaire de la dame Kornman (car ce fier substantif était bien dans l’arrêt), il s’écria, dans sa feuille si bien écrite, que j’avais acheté le parlement de Paris. Il en est si certain, qu’il ne saurait s’en taire ; il le dit encore aujourd’hui. Mais il y avait là des hommes qu’on n’achète point : un Lepelletier de Saint-Fargeau, qui présidait la chambre, magistrat pur, et dont vous faites tous le plus grand cas : un Dambray, avocat général, homme aussi vertueux qu’éloquent, et beaucoup d’autres que je citerais, si je pouvais me rappeler leur nom.

Ce Gorsas dit encore aujourd’hui que j’ai acheté le mois d’août dernier, le terrible comité de surveillance de la mairie, pour en obtenir, nous dit-il, une attestation honorable, et pour qu’on me tirât sans doute de l’Abbaye, où l’on ne m’avait mis que pour être égorgé avec les autres prisonniers.

Je ne vous en dénoncerai pas moins cette infamie, à vous, Manuel', qui vîntes, au nom de la commune, dont vous étiez le procureur syndic, me tirer de prison dans les horreurs du 2 septembre, six heures avant que toutes les voies fussent fermées pour en sortir. C’est à cet acte généreux que je dois d’être encore au monde. Une erreur de votre part, sur mes contributions civiques, avait élevé un débat public entre nous, qui me laissait attendre, au plus, une justice rigoureuse ; mais vous avez mis de la grâce à la justice qui m’était faite, en venant me tirer vous-même de ce séjour d’horreur, où je devais bientôt périr, en m’y disant avec noblesse que c’était pour me faire oublier le débat que nous avions eu. Ce trait de vous m’a pénétré ; je me plais à le publier : vous pouviez avoir à vous plaindre, vous fûtes juste et généreux; et ce Gorsas, qu’heureusement pour moi je n’ai jamais envisagé, me déchire, et nous dit que je vous ai achetés, vous, la commune de Paris et son comité, que l'on nommait de surveillance, et qui bien franchement n’était alors que de désordre !

J’ai donc acheté aussi, dans cette affaire des fusils, les trois comités si sévères, diplomatique, militaire et des douze réunis, lorsqu’en juillet dernier, consultés par les deux ministres Lajard et Chambonas, sur la conduite qu’ils devaient tenir avec moi, ces trois comités répondirent, après un très-mûr examen : « On ne saurait traiter trop honorablement M. de Beaumarchais, qui donne en cette affaire les plus grandes preuves de civisme et de pur désintéressement. » Et je vous dirai, citoyens, je ferai plus, j’en donnerai la preuve, qu’excepté les ministres de Graves et Dumouriez, que j’en excepte aussi (car il a fait ce qu’il a pu pour nous procurer ces fusils), aucuns autres depuis qui soient restés en place, sinon Lajard et Chambonas, n’ont fait dans cette affaire leur devoir de Français, et j’ose dire de citoyens. Les preuves ne nous manqueront pas ; mais M. Gorsas le feuilliste vous tranchera cette question. De Graves, dira-t-il, Dumouriez, Lajard et Chambonas, il est clair que Beaumarchais les a tous achetés comptant.

J’ai sans doute acheté depuis deux comités plus sévères que les premiers, militaire et des armes réunis, lorsqu’en septembre dernier, outré de ce qui m’arrivait chez le pouvoir exécutif, je présentai une pétition pressante à l’Assemblée nationale, lui demandant en grâce de faire examiner très-sévèrement ma conduite dans l’affaire de ces fusils ; offrant et ma tête et mes biens, si ma conduite était seulement équivoque. J’en ai donc acheté tous les membres, quand, renvoyé par l’assemblée à ces comités réunis, pour être jugé sévèrement, après m’avoir bien entendu, pièces sur le bureau, pendant près de quatre heures, ils déclarèrent, et le signèrent tous, que non-seulement j’étais très-pur dans cette interminable affaire, pour laquelle j'avais fait des efforts d’un patriotisme incroyable, mais que je méritais la reconnaissance de la nation. Cette attestation-là m’a dû coûter un peu d’argent.

toyens suspectés se sont sauvés hors de la France, et je ne puis les blâmer : car qui veut braver le péril d’être tué sans être jugé ?

Quant à moi, citoyens, à qui une vie si troublée est devenue enfin à charge ; moi qui, en vertu de la liberté que j’ai acquise par la révolution, me suis vu près vingt fois d’être incendié, lanterné, massacré ; qui ai subi en quatre années quatorze accusations plus absurdes qu’atroces, plus atroces qu’absurdes ; qui me suis vu traîner dans vos prisons deux fois, pour y être égorgé sans aucun jugement ; qui ai reçu dans ma maison la visite de quarante mille hommes du peuple souverain, et qui n’ai commis d’autre crime que d’avoir un joli jardin ; moi, décrété d’accusation par vous pour deux faits différents regardés comme trahitoires ; dans la maison duquel tous vos scellés sont apposés pour la troisième fois de l’année, sans qu’on ait pu dire pourquoi, et qu’on va chercher à faire arrêter en Hollande pour m’égorger peut-être sur la route de France, pendant que je me trouve en sûreté à Londres : je vous propose, ô citoyens, de me rendre

Me voilà bientôt à la fin ; il ne me reste plus vention nationale, et c’est à quoi je me prépare, ,

à l’instant librement à Paris, et prisonnier sur ma

parole tant que je plaiderai mes causes ; ou bien 

recevoir la ville pour prison, ou ma maison, si Malgré qu’ils aient saisi mes biens, je puis encore cela convient mieux. former cette puissante corruption : deux comités sévères de l’Assemblée nationale, composés de cinq autres, min 1rs en différents temps ; puis la commune, la mairie, leur comité de surveillance, achetés ; puis quatre ou cinq ministres en avril, en juillet dernier, acht tés : puis le parlement de Paris, en 1789, acheté, lequel ne m’aimait pas du (oui : ce qui le rendait cher et pesant pour nia bourse ; n’importe, acheté, acheté ; puis enfin presque tous les corps de la magistrature française, qui "et jugé sévèrement tous les incidents de ma vie, el onl tous condamné mes lâches adversaires comme vils calomniateurs (car ce substantif est partout), ache- /ts.’sitoui cela ne m’a pas ruiné, quel magnifique acheteur je suis ! Le lord Clive u’, ferail Mais ma monnaie, à moi, pour achett r autant de i celle avec laquelle je prétends acht i< r aussi Lecointre et toute la Convention, sera de bien prouver, les pièces sur table, comme je l’ai déjà l’ait vingt fois dans vingt tribunaux différents, que je suis un homme juste, bon père, bon mari, bon ami, bon parent, très bon i rinçai-, excellent citoyen, et loyal négociant, fort désintéressé. Lecointre, et vous, législateurs, telle est ma i inaie corruptrice ; pour parvenir à vous l’offrir à tous, voici ce que je vous propose.

Tous les gens suspectés de non-civisn t de traîtrise, ou même qui craignent de l’être, frappés d’une juste terreur sur la manière donl beau p é innocents ont été sacrifiés : car la loi veut qu’on répute innocent l’homme qu’un jugement légal après avoir entendu lui ou les défenseurs qu’il choisit, n’aura pas déclaré coupable ; tous ces ci-

Cette précaution prise, et ma vie assurée, je pars à l’instant pour Paris. J’ai même quelque espoir d’y être encore utile à ma patrie.

Caron de Beaumarchais.

Mes preuves suivront de près.

BEAUMARCHAIS

À

LECOINTRE

SON DÉNONCIATEUR

PREMIÈRE ÉPOQUE

des neuf mois les plus pénibles de ma vie.

Le vieux Lamothe-Houdart, sortant un soir de l’Opéra, soutenu par un domestique, marcha sans le vouloir sur le pied d’un jeune homme, qui lui asséna un soufflet. Lamothe-Houdart lui dit avec modération, devant les spectateurs surpris : Ah ! monsieur, que vous allez être fâché quand vous saurez que je suis aveugle ! Notre jeune homme, au désespoir de sa brutale étourderie, se jeta aux pieds du vieillard, lui demanda pardon en présence de tout le monde, et le reconduisit chez lui. Depuis lors il lui voua la plus respectueuse amitié.

Or maintenant, Lecointre, écoutez-moi. Pendant que j’étais en Hollande à servir la patrie sans que je vous aie blessé, vous m’avez fait un outrage public aussi sensible au moins que celui de Lamothe-Houdart. Je veux imiter sa conduite ; et, sans m’irriter contre vous d’une si grande légèreté, que je suppose involontaire, je vais me contenter de vous montrer, et à toute la France, combien je suis irréprochable, et quel vieillard vous avez outragé. La Convention nationale, après nous avoir entendus, jugera qui des deux a mieux fait son devoir : moi, de bien justifier un citoyen calomnié ; vous, de lui offrir les regrets d’un accusateur imprudent.

Je vous préviens d’une autre chose. Depuis quatre ans je vois avec chagrin faire un si grand abus de phrases déclamatoires, les substituer partout, dans les plus grandes causes, aux preuves nettes, à la saine logique, qui éclairent seule les juges et satisfont les bons esprits, que je renonce exprès à tous les ornements du style, à toute espèce de parure, qui ne servent qu’à éblouir, et trop souvent à nous tromper. Simple, clair et précis, voilà ce que je désire être. Je détruirai par les seuls faits les mensonges de certaines gens dont ma conduite un peu trop fière a déjoué la cupidité.

Le fond de cette affaire étant de haut commerce, d’une part, et d’administration, de l’autre : si j’y ai mêlé de la mienne un grand fonds de patriotisme, et si tous les gens qui m’accusent ont fait céder le leur à de sordides intérêts, c’est ce que les faits montreront.

Et ne commençons point, comme on fait trop souvent, par juger quatorze ministres, dans les mains de qui j’ai passé si douloureusement depuis le mois de mars dernier ; moi qui avais juré de n’en jamais voir aucun ! Gardons-nous bien de les juger sur ce que les uns furent choisis par le roi, et les autres par l’assemblée. Cette manière est très-fautive. C’est sur ce qu’ils ont fait que nous les jugerons, comme nous voulons qu’on nous juge. Ces deux pouvoirs alors composaient la constitution. Forcé d’avoir affaire à tous ceux qu’on nommait aux places à mesure qu’ils s’y présentaient, j’ai pu juger, non à leurs opinions, qu’aucun ne m’a communiquées, mais seulement à leur conduite, lesquels, dans l’affaire des fusils, ont servi la chose publique, ou n’ont travaillé qu’à lui nuire. Je leur ferai justice à tous.

Ces quatorze ministres simultanés ou successifs sont MM. de Graves, Lacoste, Dumouriez, Servan, Clavière, Lajard, Chambonas, d’Abancourt, Bubouchage, Sainte-Croix ; puis Servan et Clavière, une seconde fois ; puis Lebrun : ah ! Lebrun ! et Pache le dernier.

Quand tous auraient été très-équitables, on peut juger combien une lanterne magique à personnages si rapides eût été fatigante à suivre, obligé que j’étais de les instruire, à mesure qu’ils passaient, des objets entamés, puis laissés en arrière : ce que très-peu même écoutaient. Jugez lorsque la malveillance, sans vouloir même nous entendre, les a fait tourner contre moi ! Alors il s’est formé un choc d’idées insupportable ; un débat éternel, sans connaissances et sans principes ; des bêtises contradictoires, funestes à la chose publique ; des injustices accumulées, bien au delà de ce qu’un homme peut supporter ou qu’un citoyen doit souffrir dans un pays de liberté ; l’impatience et l’indignation me surmontant à tout moment, et la plus importante affaire abîmée par ceux mêmes qui devaient le plus la soutenir. Voilà le tableau dégoûtant que je dois mettre au plus grand jour. Fermons les yeux sur le dégoût, et dévorons la médecine.

Depuis longtemps retiré des affaires, et voulant mettre un intervalle entre le travail et la mort, je les repoussais toutes, importantes ou légères : car, par un long usage, toutes aboutissaient encore à mon désœuvré cabinet. Au commencement de mars dernier, un étranger m’écrit, et me demande un rendez-vous, au nom de mon patriotisme, pour une affaire, me disait-il, très-importante pour la France ; il insista, se présenta chez moi, et me dit :

Je suis propriétaire de soixante mille fusils, et je puis, avant six mois, vous en procurer deux cent mille, Je sais que ce pays en a très-grand besoin. — Expliquez-moi, lui dis-je, comment un particulier comme vous peut être possesseur d’une telle quantité d’armes. — Monsieur, dit-il, dans les derniers orages du Brabant, attaché au parti de l’empereur, j’ai eu mes biens incendiés et fait des pertes considérables ; l’empereur Léopold, après la réunion, pour me dédommager, m’a concédé l’octroi et le droit exclusif d’acheter toutes les armes des Brabançons, et soumis à la seule condition de les sortir toutes du pays, où elles portaient de l’ombrage. J’ai commencé par recueillir tout ce qui en était sorti des arsenaux de Malines et Namur, vendues par l’empereur à un négociant hollandais, qui, les ayant déjà vendues à d’autres, sans qu’elles lui eussent été payées, a consenti, pour sa partie, à ce que cession m’en fût faite ; et moi je ne les ai acquises que pour en faire une grande affaire, ayant l’octroi de tout le reste qui existe en Brabant.

Pour pouvoir acquérir celles-là, n’étant point assez avancé, j’ai pensé que je devais vendre une partie de celles que j’ai, pour établir une navette. Mais des brigands français, qui m’en ont acheté de trente-cinq à quarante mille, m’ont trompé : ils m’ont donné leurs traites, et ne les ont point acquittées. Après bien des tourments, je suis rentré en possession du tout ; et l’on m’a conseillé de m’adresser à vous, en vous offrant les deux cent mille au moins que j’ai, ou que j’aurai bientôt, si vous voulez prendre le tout, en me mettant à même de les payer successivement ; sous la seule condition que vous ne direz point que ces armes sont pour la France, ce qui ferait ôter sur-le-champ l’octroi que j’ai pour les acheter, et, dans les bruits de guerre qui courent entre la France et l’empereur, me ferait disgracier et même courir des risques personnels, dans un temps où l’on sait qu’il ne tient qu’à moi d’en céder, à bon prix, une forte partie aux émigrés français, qui en demandent.

Je résistai, je refusai. En s’en allant il dit qu’il m’en ferait presser par des gens très-considérables, parce qu’on lui avait dit que j’étais le seul homme qui pût traiter l’affaire en grand, et qui fût assez patriote pour la faire marcher rondement.

Trois jours après je reçus une petite lettre amicale du ministre Narbonne, que je n’avais point vu depuis qu’il était à la guerre, par laquelle il me priait de passer chez lui, ayant, me disait-il, quelque chose à me communiquer.

M’imaginant qu’il s’agissait de ces deux cent mille fusils je refusai tout net d’aller à l’hôtel de la Guerre, quoique je n’aie pas eu depuis l’occasion de savoir s’il s’agissait ou non de ces fusils.

M. de Narbonne fut remercié ; M. de Graves lui succéda. Les vives sollicitations de mon Flamand recommencèrent. Un homme de mes amis, qui connaissait ce Bruxellois, m’assurant qu’il était un honnête homme, m’invita d’autant plus à ne pas l’éconduire, que si cette forte cargaison d’armes glissait à mon refus aux ennemis de la patrie, et que l’on vînt à le savoir, on me ferait passer pour un très-mauvais citoyen. Cette réflexion m’ébranla. Il m’amena le Brabançon, à qui je dis :

Avant de prendre aucun parti, puis-je obtenir de vous deux choses avec franchise : la preuve, au gré d’un homme de loi, que les armes sont bien à vous ; et l’engagement solennel, sous les peines pécuniaires les plus considérables, qu’aucune de ces armes ne sera jamais détournée au profit de nos ennemis, quelque prix que l’on vous en offre : — Oui, monsieur, dit-il à l’instant, si vous vous engagez à me les prendre toutes pour la France.

Je dois la justice à cet homme, qui est un libraire de Bruxelles, avec qui, dans l’immense affaire du Voltaire, mon imprimeur de Kehl avait eu des relations, qu’il me donna sans hésiter la preuve que je lui demandais et l’assurance que j’exigeais.

Eh bien ! lui dis-je, renoncez donc à toutes les propositions qu’émigrés ou ennemis peuvent faire ; et moi, en attendant que j’en puisse conférer avec M. de Graves, je les arrête sans les acheter, vous promettant un dédommagement si quelque obstacle empêche de conclure. Combien voulez-vous de vos armes ?

Si vous les prenez toutes en bloc, dit-il, et telles que je les ai achetées, vous chargeant de payer les réparations, tous les frais de magasinage, de fret, de droits, de tous voyages, etc., vous les aurez pour cinq florins. — Je ne veux pas, lui dis-je, acheter vos fusils en bloc, parce que je ne puis les vendre ou les placer en bloc moi-même. Il nous faut, au contraire, un choix de bonnes armes. — En ce cas, me dit-il, vous les payerez donc plus cher, car il faut que celles que je vends me payent celles qui me resteront, avec mon bénéfice sur toutes : car j’ai beaucoup perdu, monsieur.

— Je ne veux les payer ni plus cher ni moins cher, lui dis-je : en affaires, autant que je puis, j’amalgame toujours avec mon intérêt l’intérêt de ceux que j’emploie. Voici quelle pourra être ma proposition : Si j’achète, je couvrirai noblement et très-net toutes les dépenses déjà faites, les primes dues ou bien payées, ce qu’il faut même pour désintéresser les personnes qui vous font offre ; s’il y a quelque chose d’entamé, tous les frais à venir éventuels ou fixés, de quelque nature qu’ils soient, ou publics ou secrets, pour marcher à la réussite. Puis, divisant les bénéfices en trois parties, deux seront partagées entre nous par égale portion : l’une payera vos soins dans l’étranger ; et l’autre, mes travaux en France ; la troisième part tiendra lieu des avances, des risques, de l’argent gaspillé, des justes récompenses que je devrai donner à tous ceux qui concourront au plus grand succès d’une affaire qui me touche beaucoup plus par son utilité patriotique que par le bénéfice qu’elle peut procurer, et dont je n’ai aucun besoin.

Alors je lui montrai le projet d’acte, qu’il accepta dans son entier, et qui depuis fut notarié, sans qu’on y changeât un seul mot.

Lisez-le donc, Lecointre, avant d’entrer dans les détails qui concernent M. de Graves, et que sa lecture détruise toutes ces lâches imputations que j’aie jamais voulu disposer de ces armes, ni moi ni mon vendeur, pour les ennemis de l’État ; et, lorsque vous l’aurez bien lu, nous traiterons en nobles négociants la question de savoir si j’ai pillé ou voulu piller mon pays.

Maintenant, Lecointre, si vous l’avez bien étudié, n’êtes-vous pas un peu surpris d’y voir qu’au lieu d’avoir payé ces fusils-là six francs (comme vous l’avez affirmé sans le savoir et sur la foi d’autrui), je m’oblige au contraire de payer à mon vendeur, ou en son acquit, tous les fusils aux prix d’acquisition, et de l’acquitter de toutes choses ; de lui payer en outre tous les frais de transport et tous les autres frais : tous les frais de réparations, magasinage, caissons et autres, etc., de quelque nature qu’ils soient, sauf à trouver après, comme je pourrai, sur la partie triée vendue, le bénéfice légitime à faire sur le bloc acheté, dont une partie inconnue peut rester et être perdue ?

N’y a-t-il pas aussi quelque légère contradiction entre votre rapport si dénonciateur, et ces mots-là de mon traité d’acquisition des armes : « M. de Beaumarchais, qui se charge de ne vendre et céder lesdites armes qu’au gouvernement français, et pour le service de la nation dans le maintien de sa liberté, aura seul le droit de conclure, etc. ? » De sorte que, si j’avais été assez malavisé pour vouloir vendre ces armes à d’autres qu’aux Français, en relevant chez le notaire cet acte si patriotique, et surtout si obligatoire, on aurait pu se croire en droit de me donner pour traître à la patrie, et de me faire subir en conséquence tous les tourments que j’ai soufferts pour avoir été, malgré tous (comme on ne le verra que trop), presque le seul bon patriote de l’affaire de ces fusils.

Et dans un autre article, Lecointre, n’êtes-vous pas encore un peu fâché contre vous-même quand vous voyez ces mots (c’est le sieur la Hogue, mon vendeur, que j’y fais parler) : « Et il s’interdit, sous la peine de perdre son intérêt entier dans les bénéfices de l’affaire, de vendre et livrer un seul fusil ou autres armes pour le service d’aucune autre puissance que pour celui de la nation française, à laquelle M. de Beaumarchais entend consacrer la totalité de ces fournitures ? »

Consolez-vous, Lecointre, des chagrins que vous me causez, car ils vous ont trompé comme dans une forêt.

Et sur la qualité des armes ! « M. de la Hogue se soumet, et prend, envers M. de Beaumarchais, l’engagement de n’acquérir que des armes de bonne qualité, et propres au service militaire, sous peine… » Oh ! la plus forte, etc.

Pouvais-je faire mieux, ne pouvant aller, moi Français patriote, en Brabant, me faire hacher, que de soumettre mon vendeur à la perte totale des choses mal choisies ?

Croyez donc, Lecointre, que le zèle le plus pur peut nous causer souvent bien des regrets, surtout dans des fonctions aussi augustes que les vôtres, quand on ne se met point en garde contre les suggestions des fripons ! Le bon jeune homme du vieux Lamothe-Houdart fut, comme vous, désespéré du soufflet qu’il avait donné à ce vieillard si peu coupable ; et le vieillard lui pardonna.

Maintenant que l’acquisition me paraît assez éclaircie, passons à mon traité avec le ministre de Graves.

Le contrat qui formait l’achat n’était encore que minuté, quand je fus voir M. de Graves : car, si notre nation n’avait pas besoin d’armes, il était inutile que je me donnasse des soins pour lui en procurer autant, et surtout que je prisse un engagement positif avant d’avoir reçu la parole du ministre ; et comme il était clair qu’un si grand parti de fusils ne pouvait convenir qu’à la France ou à ses mortels ennemis, il fallait bien que le ministre me dît très-positivement : J’en veuxJe n’en veux pas, avant de notarier l’acte de mon acquisition ; et qu’il me le dît par écrit, afin qu’en cas de son refus, rompant à l’instant le marché dont je ne voulais que pour nous, et nullement pour le revendre à d’autres, ce qui (pour le dire en passant) est bien plus patriote que négociant cupide ; afin, dis-je, qu’au cas du refus du ministre, je pusse un jour prouver aux malveillants (et l’on voit s’il m’en a manqué) que j’avais fait l’acte d’un zèle pur ; et non, comme on l’a clabaudé cent fois, que « je n’avais acquis ces armes que pour en enrichir nos ennemis à nos dépens, et trahir ainsi mon pays en ayant l’air de vouloir le servir. » C’est ici que les preuves de mon patriotisme abonderont jusqu’à satiété.

M. de Graves (il faut le dire) reçut mon offre en bon citoyen qu’il était. Ah ! dit-il, vous me demandez s’il nous fait faute de ces armes ? Tenez, monsieur, lisez ; voilà pour vingt et un millions de soumissions de fusils, sans que, depuis un an, nous ayons pu en obtenir un seul, soit par la faute des événements, soit par la brouillonnerie ou la mauvaise foi de tous ceux qui traitent avec nous ; et quant à vous, si vous m’en promettez, je compte beaucoup sur les vôtres. Mais seront-ils bons, vos fusils ? — Je ne les ai pas vus, lui dis-je ; j’ai exigé du vendeur, sous des conditions rigoureuses, qu’ils pussent faire un bon service. Ce ne sont point des armes de vos derniers modèles, puisqu’elles ont servi dans les troubles des Pays-Bas : aussi ne vous coûteront-elles pas ce que vous payez pour les neuves. — Combien vous coûtent-elles" ? dit-il. — Je vous jure que je l’ignore, parce qu’étant achetées en bloc, et vous les livrant au triage, il faudra leur donner un prix, non pas en masse, mais à la pièce ; et cela n’est pas facile à faire. Je les ai seulement arrhées. On en demandait cinq florins, si je prenais tout le marché en bloc, me chargeant des frais ultérieurs. Mais moi, je ne veux point de bloc ; je voudrais, au contraire, faire entrer l’intérêt du vendeur dans le nôtre, et qu’il trouvât son plus grand gain dans sa meilleure fourniture. Mais, si j’entends faire un triage, il veut les vendre bien plus cher.

Voilà les modèles, à peu près tels qu’il me les a présentés : soixante mille sont prêts ; en trois ou quatre mois après cette livraison, les deux cent mille arriveront. Et ce n’est point ici une affaire de maquignonnage, c’est un traité de haut commerce que je veux vous faire adopter ; vous prévenant, monsieur, que si je dois passer par vos bureaux, je me retire dans l’instant. D’abord vous les payeriez trop cher, car il faudrait des paragoinfes, et ce serait un tripotage à n’en pouvoir jamais sortir. — Eh bien ! me dit M. de Graves, il ne s’agit plus que du prix. J’en donnerai vingt-deux livres en assignats.

— Monsieur, lui répondis-je, ne me parlez point d’assignats, nous ne pourrions pas nous entendre. S’il s’agissait d’une marchandise de France, l’assignat y ayant un cours forcé comme monnaie, nous saurions ce que nous ferions ; mais cette monnaie n’a pas de cours en Hollande pour des fusils, ce sont des florins qu’il y faut. On ne saurait même établir un cours de vos assignats aux florins, puisque, ne devant me payer ces fusils que dans deux ou trois mois après leur livraison, ni vous ni moi ne pouvons deviner ce que les assignats, qui perdent aujourd’hui trente-cinq pour cent contre nos écus, lesquels supportent encore la défaveur du change contre florins ; on ne sait, dis-je, ce que les assignats pourront perdre contre florins le jour que vous me payerez les fusils.

Vous ne voudriez pas non plus, si dans trois mois les assignats perdaient quatre-vingt-dix pour cent, me payer quarante mille louis avec quarante mille francs de valeur effective. — Non, sans doute, me dit-il. — Eh bien ! monsieur, laissons les assignats, traitons en florins, je vous prie ; et comme je sais bien que vous n’aurez en fin de compte que des assignats à m’offrir, qu’il soit bien spécifié que je ne suis tenu de les recevoir en payement qu’au cours contre florins du jour où vous me payerez les armes.

Oh ! mais je n’entends rien, me dit M. de Graves en riant, à tous ces comptes de change et de florins. — Je vous l’apprendrais bien, lui dis-je ; mais vous ne devez pas m’en croire, moi qui puis être soupçonné d’avoir un intérêt très-différent du vôtre. Connaissez-vous quelque banquier en qui vous ayez confiance ? priez-le de passer chez vous, je poserai la question devant lui.

Le ministre manda M. Perregaux, qui vint. J’établis devant lui la question des florins telle que je viens de la décrire, en lui disant qu’il ne s’agissait point encore du plus ou moins d’argent à donner pour le prix des fusils, mais seulement de la meilleure manière de faire à telle époque fixe un payement exact, à quelque prix que nous nous accordions. Je voudrais bien, lui dis-je, faire entendre au ministre que, quelque soit alors gain ou perte des assignats, cela ne doit point me toucher ; que c’est ce qu’on peut appeler la part au diable de l’affaire : car du vendeur ni de l’acheteur personne ne profitant de cette perte là, l’affaire seule doit en porter le poids. Il est bien clair que moi je dois payer chez l’étranger au plus fort change, en bons florins de banque, dont la valeur est reconnue partout ; au lieu que l’assignat que le ministre m’offre n’a chez les étrangers qu’une valeur fictive, soumise à la variation de tous les vents fougueux des événements politiques. M. Perregaux convint que j’avais parfaitement raison de m’assurer le change, et nous conseilla fort de terminer, à quelque prix que nous convinssions pour les armes.

Lui relire, le ministre me dit qu’il ne pouvait prendre sur lui .le changer ainsi les usages ; mais qu il en conférerait avec le comité militaire de l’Assembléi nationale. — - En ce cas-là, monsieur, faisons le thème en deux façons : je vous propose un prix m i en florins, payable au roui’- en a .m, -i vous l’aimez mieux, prenez sur vous tous les risques, les frais futurs qu’on doit payer encore, avec ceux qui’ j’acquitte aujourd’hui. Donnez le gain qu’il tant a mon vendeur, et qu’il eii.’.-’. el donnez-moi, à moi, une honorable commission : je vous en laisse absolument le maître 1 . Il alla consulter !<■ comité militaire. (Et voilà donc déjà des comités consultés Sur ces arme-. Aucune circonstance de cette grande affaire n’ira ld consultations.) Puis il m’envoya chercher pour me dire qu.’ h comitéétait d’avis qu’il ajoutât plutôt quelque chose au prix des fusils, que .1.’ rester charg .1.’ l’éventualité des dépenses a faire, ni même de payer eu florins ; qu’enfin il ne pouvait traiter qu’en assignats. — Eh bien ! monsieur, lui dis-je, a la !.. .nue heure, in assignats ; mai- fixons au moins leur valeur pour toujours, au cours qu’ils ont aujourd’hui : nous ne pouvons qu’ainsi savoir ce que nous ferons ; sans cela vous me feriez jouer, en vous les vendant, ces fusils, à la grossi aventure, el Dieu -ait à quelle valeur un pareil risque de payement, une telle éventualité devrait faire monter ces arme- ! et joignez-) encore la différence d’avoir acheté forcément -.axante mille fusils en bloc, et .le ]r- revendre au ’. iage, -ans savoir ee qu’un rejettera. Il m’est impossible, monsieur, de courir à la fois tant de hasards, de pertes, -i le prix que m. u- en donnez ne couvre tous ces risques, qu’on ne sait comment évaluer. .le vous ai proposé les risques à votre charge, i i d< me contenter d’une commission, les gains dé mon vendeur compris ; vous ne voulez entendre qu’à votre façon de compter. Cherchons encore une autre forme.

Vous avez augmenté avant-hier les marchés de vos fusils neufs de vingt-quatre.liv.,où ils étaient arrêtés en écus, à vingt-six liv. argent, r qu’on n’j perdil poinl. Mettons une’ juste proportion entre les fusils neufs et les miens, quoiqu’il y en ait, m’a-t-on dit, une partie de la belle fabrique de Culembourg, toul neuf-, qui valenl autant que vos meilleures armes.

Le ministre se consulta avec le comitésans doute, me lit revenir plusieurs fois, et puis me proposa enfin tnnlr liv. fixes en assignats, à tous mes risques. Je fis mon calcul en florins, et je vis qu’au cours de ce jour cela mettait chaque fusil au prix de 11 ii i f florins huit sous, -i ce prix-là eût été lixe en quelque temps que l’on payât, prévoyanl bien que tous Irais acquittés, toutes éventualités prévues, pourraient, à le pays, ta in- monter l’acquisition de ces fusils, rendus eu France, de six florins à six florins et demi : mon homme alors avail son bénéfice, et moi de quoi rouvrir les refards ei le - risques ; enfin, c était un marché net. i. Je remis un mémoir.

donw rai i M. Lecointrc

secret au ministre pour les comitils : je le Mais on voulait que je prisse en payement les assignats pour toute leur valeur identique, quelque perte qu’ils essuyassent à l’époque où l’on me payerait : alors il n’y avait pas moyen de courir un tel risque et de jouer un si gros jeu. Je me retirai donc, en disant au ministre que je reprenais ma parole, et mettrais par écrit tout cet historique entre aous, et que je le prierais de vouloir le signer, afin qu’il fût prouvé dans tous les temps que ce n’était point par faute de patriotisme de ma part si notre France était privée, et nos ennemis possesseurs, de cette immense partie d’armes.

— J’en suis d’autant plus désolé, lui dis-je, que ce marché manqué nous cause non-seulemeut une privation positive, mais aussi une relative : car ces fusils, monsieur, ne pouvant n’être pas vendus si vous ne les avez pas, et mon traité d’achat rompu, comme je vais le rompre, il faut que mon vendeur en traite avec nos ennemis, car il n’achète que pour vendre. En ce cas, c’est pour nous soixante mille armes de moins ; pour eux, soixante mille de plus : différence en perte pour nous, cent vingt mille fusils de soldats, sans ceux qu’on me fait espérer ; cela vaut bien la peine qu’on y regarde.

Je revins avec l’historique, que le ministre alors ne voulut point signer, en me disant que si je redoutais le peuple sur le seul soupçon de n’avoir pas mis autant de zèle que j’aurais pu à nous faire avoir ces fusils, à plus forte raison pouvait-on lui chercher querelle pour avoir laissé échapper un parti d’armes regardé comme un objet si important ; mais il eut l’honnêteté de me demander s’il n’y avait à ce traité d’autre obstacle que celui-là.

Monsieur, lui dis-je , si je le terminais, je me verrais forcé d’emprunter environ cinq cent mille francs en assignats, pour en tirer bien moins de cent mille écus en florins, dont j’ai encore besoin ici ; et comme c’est sur des contrats des trente têtes genevoises que je puis fonder cet emprunt, le seul enregistrement de la double expropriation (car je ne les veux qu’engager) me coûterait trente mille francs : opération qui, sous l’ancien régime, n’aurait coûté au plus que six cents livres.

D’ailleurs, si les bruits de guerre qui courent venaient à se réaliser, la condition purement commerciale d’un cautionnement exigé par le vendeur pouvant devenir une condition politique et fâcheuse, il en résulterait que je ne pourrais plus peut-être user du bénéfice du transit sous lequel ces fusils sont passés du Brahant en Hollande. Me trouvant alors obligé de les en faire sortir par la voie sourde du commerce, ils deviendraient soumis à un florin et demi de droits de sortie par fusil, comme marchandise du pays. Alors, au lieu de retrouver du bénéfice dans l’affaire, toutes choses d’ailleurs égales, il pourrait y avoir de la perte. Le miuistre me répondit :

Quant au prêt de cinq cent mille francs, donnez-nous vos coiilrafs. dit-il, ri r i - • 1 1 - uni- |r- aanccrons : le gouvernement t^ veut pas tirailler avec vous sur des li-ais. — Même il j mil la grâce d’ajouter : Si c’était pour moi que je traitasse, je vous trouverai- très-1 pour vous avancer sans dépôl : mais je traite pour la nation ; el comme je l’engage envers vous, il me faut <r> sûretés physiques. Et quant aux bruits de guerre, tous les fusils seront entrés bien avant qu’ils se réalisent ; ri puisque c’est M. de la Hogue qui va en Hollande pour terminer l’affaire des fusils, qu’il y mette du zèle et de l’activité. Il demande la décoration militaire comme récompense de ses ser ices passés : s’il conduit bien cette affaire majeure, à son retour il l’obtiendra ; et finissons au prix que je vins dis. à trente francs > n assignats. 11 ne peut arriver, d’aujourd’hui à deux ou trois mois, d’assez grands changements pour que leur prix varie beaucoup ; d’ailleurs, som >< m -..-mu* que nous né sommes pas injustes, et qnr nOUS tteiiii* grand !•< Soin d’armes. Qu’avais-jr à reprocher au ministredi Graves ? Un peu trop de timidité a travers toutes sortes de grâces. Je me rendis : j’espérais comme lui que les soixante mille fusils seraient en France avant le terme de deux mois, et qu’en allant très-vite on pouvait, prévenir 1rs risques, les balancer, même les atténuer.

Or, puisque je cédais à des convenanci qui n’étaient pas les miennes, 1rs gens sensés voient très-bien que je ne pouvais m’en tirer, diminuer, atténuer mes risques, qu’en allant vite comme au feu ; que c’était mon seulintèrèt. Et ceci me sert de réponse à tous 1rs étourneaux qui, n’entendant rien, jugeant tout, crient dans les bureaux, dans les places, que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour ■ mpècher les armes d’arriver. <> monsieur Lecointre ! monsieur lecointre ! sur quels affreux mémoires avez-vous travaillé ?

Nous limes le traité, M. de (iraves et moi ; mais à l’instant de le signer il me prévint qu’il ne le pouvait plus, parce qu’on lui offrait pour vingt-huit francs assignats ces mêmes soixante mille lu -ils dont il me donnait trente francs. —Monsieur, je m’aperçois, lui dis-je, que vos bureaux sont bien instruits, et ceci n’est qu’un leurre pour faire manquer le traité ; mais il est un moyen aisé de vous en éclaircir. Au lieu de rompre cr traité pour en conclure un autre qui ne produirait rien, puisque, depuis nos derniers mots, les fusils sont à moi irrévocablement par cet acte devant notaire, passez les deux marchés, celui des bureaux et le mien ; mais soumettez les deux offrants à cinquante mille francs de dédit s’ils n’en tiennent pas les conditions. Vous sentez bien qu’il faut que l’un des deux y manque, car ces fusils ne peuvent être fournis par les deux vendeurs à la fois : vous gagnerez alors l’un de nos deux dédits, ou bien plutôt vous allez voir ces honnêtes gens fuir à votre offre, comme des feuilles sèches devant les aquilons d’hiver.

Le ministre sourit, accepta ma proposition. Je refais l’acte, et j’y insère le dédit de cinquante mille francs que je venais de proposer. Ce que j’avais prévu arriva. Le jour même, au premier mot de ce dédit, mes honnêtes gens courent encore ; on ne les a jamais revus, et nous passâmes le traité.

Mais je vais faire ici une observation assez majeure, et qui fixe à toujours l’opinion qu’on doit prendre de la franchise et de la loyauté avec lesquelles ce traité-là fut fait. Pesez bien cette circonstance, Lecointre, mon examinateur ! elle vous donnera la clef de ma conduite en cette affaire. Quoique je ne reçusse du ministre que cinq cent mille francs d’assignats : croyant avoir chez moi en un paquet pour six cent mille francs de contrats, je dis au ministre, en signant, qu’au lieu de déposer cinq cent mille livres, je lui en déposerais six cent mille, ne voulant point faire de rompu, et m’étant très-égal, puisque tous ces contrats me devaient revenir, qu’il y en eût chez lui pour cinq ou pour six cent mille francs. Notre acte fut signé ; mais lorsque je voulus apporter mes contrats pour toucher les cinq cent mille francs, il se trouva qu’au lieu d’un paquet de six cent mille livres je n’en avais qu’un chez moi de sept cent cinquante mille. Pour ne rien morceler, et par la raison que j’ai dite qu’il m’était tort égal que la sûreté que je donnais pour cinq cent mille francs d’assignats fût de cinq cent ou de six cent mille francs ; ma confiance était telle en l’honnêteté du ministre, que, ne me trouvant qu’un paquet de sept cent cinquante mille francs de contras-, je les lui portai tous sans hésiter, pour sûreté de ses cinq cent mille francs. M. de Graves eut alors la loyauté de me dire : « Comme tous ces contrats ne sont ni exigés ni stipulés dans le traité de nos fusils, si vous aviez besoin de quelques nouveaux fonds pour accélérer cette affaire, vous êtes sûr de les trouver ici. » — J’espère bien, lui dis-je, n’en avoir pas besoin. Je ne l’en remerciai pas moins ; mais il est clair que ni lui ni moi n’avons jamais compté que cette remise libre, de confiance et non exigée, de deux cent cinquante mille francs de ma part au delà de la somme qu’on m’avançait pût m’être contestée si je la demandais, surtout pour employer à l’affaire des fusils. Nous verrons en son temps avec quelle injustice d’autres ministres, dont il ne s’agit point encore, se sont fait un horrible jeu de ruiner l’affaire des fusils, en me refusant mon propre argent que je voulais y employer.

Le ministre (Dumouriez) des affaires étrangères chargea M.  de la Hogue de dépêches très-importantes, et il partit le lendemain. J’avais bien pressé son départ, craignant que les bureaux (qui, je le voyais trop, étaient instruits de ce traité, par l’offre qu’ils avaient fait faire, et que j’avais trouvé moyen de réduire à sa vraie valeur) ne me jouassent le mauvais tour, si je perdais un seul courrier, de faire devancer le mien, et de me brasser quelque intrigue pour embarrasser notre marché.

Mais j’avais eu beau le presser ; et, quoiqu’il courût jour et nuit, ayant en portefeuille de sept à huit cent mille francs en lettres de change ; à son arrivée à Bruxelles, tombant chez un de mes amis, à peine avait-il pu lui dire l’objet pressant de son voyage, qu’un homme de qualité du parti ennemi entre chez cet ami, et lui demande — il ne connaissait point nn certain M. de lu Hogut. qui i ■ nait chez lui de Paris; s’il n’était pas encort arrivé. Mon ami joua l’étonné, dit qu’il n’en avait point d’avis. C’est un homme qui nous < ^i sus/net, dit l’orateur un peu bavard:il passera fort mal son /> mps i< i.

Sitôt qu’il fut sorti, M. de la Hogue convint départir sur-le-champ pour Rotterdam, emmenant avec lui mon ami de Bruxelles, qui m’écrivit ce détail inquiétant de Malines, le’.i avril. (Ainsi voilà déjà les ennemis au fait.) Mais, quelque diligence que ti sent mes amis, ils trouvèrent à Rotterdam le gouvernement hollandais aussi bien instruit que nous-mêmes de notre traite de Paris, ainsi que celui du Brabant. On me l’écrivit sur-le-champ. Bravo ! me dis-je alors, honnêtes bureaux de Paris ; ah ! j’avais trop raison quand j’insistais à ce que vous ne fussiez pus instruits. Je répondis a mes ami— : Pressez-vous, allez comme au feu, car voilà l’intrigue à nos trousses.

Qu’arriva-t-il ? C’est que la guerre, au lieu d’être éloignée, comme M. de Graves le pensait, de trois ou quatre mois du traité des fusils, lut déclarée le 20 avril, c’est-à-dire dix-sept jours après la signature de ce traite. Là les obstacles commencèrent. Qu’arriva-t-il encore ? C’est que le gouvernement île Bruxelles, sachant qu’un patriote aussi zélé que : moi était le maître de ces fusils, engagea le gouvernement hollandais à semer d’entraves, — il pouvait, leur expropriation ou leur extradition : et vous allez voira l’instant comment les Hollandais y ont bravement procédé.

Qu’arriva-t-il encore ? C’est que mon pauvre vendeur bruxellois perdit l’octroi à lui donné par l’empereur pour tout le reste des fusils brabançons ; qu’on lui en reprit même une partie de sept ou huit mille qu’il avait déjà rassemblés, et qu’il m’écrivit douloureusement que tout le bénéfice qu’il avait compté faire sur les deux cent mille fusils (pour cela seul qu’il avait traité avec moi, c'est-à-dire pour le service de la France) se réduisait à ce qui pourrait résulter des soixante mille dont j'étais possesseur. Alors je vis combien il regrettait d’avoir consenti au triage des armes que j'avais exigé de lui, au lieu de me les vendre en bloc. Je le consolai de mon mieux, en le grondant, et lui disant que c’était un motif de plus pour presser de toute manière l’arrivée des fusils en France, puisque chaque jour de retard augmentait le danger de la pere sur les assignats, sans celle des intérêts d’argent accumulés sur de si fortes sommes. Quel intérêt pouvais-je avoir à ralentir l’opération ? Il m’est, je crois, permis de faire cette question à mon dénonciateur. Qu’il y réponde, s’il le peut !

C’est ici que vont commencer des scènes d’obstacles en Hollande, lesquelles ont amené des scènes d’horreur dans Paris, que je vais sortir des ténèbres pour en effrayer les Français ! Mais résumons d’abord ce que j’ai dit.

Ai-je prouvé, au gré de mes lecteurs, que loin d’avoir acheté des armes pour les vendre à nos ennemis et tâcher d’en priver la France, au contraire, dès le principe j’ai fait un traité rigoureux qui les lui assurait sans partage, sous les plus fortes peines pour mon vendeur s’il en détournait une seule, quoique beaucoup pussent ne pas servir ?

Ai-je bien démontré que, loin d’avoir cherché à donner à la France des fusils de mauvaise qualité, forcé de les choisir dans la seule masse où je pouvais les prendre, j’ai, au contraire, par mes traités d’achat et de revente, soumis ces armes à un triage, lequel a dû, comme l’on voit, les renchérir de la part d’un vendeur qui, les ayant achetées en masse, voulait avec raison les revendre de même ? Tel est l’esprit de ce marché, que des ignorants n’ont pas même la justesse de calculer.

Enfin ai-je bien démontré que le ministre de Graves, qui, timide à l’excès sur sa responsabilité, avait tant consulté le comité militaire de l’Assemblée législative avant de conclure avec moi, après avoir porté la veille de vingt-quatre à vingt-six livres en écus le prix des armes neuves qu’il avait commandées en France ou en Allemagne, ce qui en montait le payement à quarante-deux livres' assignats au moins ; que ce ministre, dis-je, n’a pu ni dû m’offrir, sous peine d’être injuste, moins de huit florins (dix-sept francs) de mes fusils, à moi, quand je lui ai prouvé d’abord que la France n’avait acquis encore aucune bonne arme à si bas prix, puisque les cent cinquante mille fusils commandés en Angleterre nous coûtaient (dans le pays) trente schellings en or, ou, avec la défaveur du change, de soixante à soixante-douze livres en assignats la pièce ; que les fusils de hasard du même pays nous revenaient alors à vingt schellings en or, ou, en assignats, de quarante deux à quarante-huit livres la pièce (maintenant nous les payons vingt-six schellings, ou de soixante à soixante-quatre livres en assignats la pièce) ; quand je lui ai prouvé ensuite qu’avec le danger d’un triage, toujours soumis aux fantaisies d’un examinateur plus ou moins bénévole (danger de perte incalculable pour quiconque achète en bloc), il pouvait arriver telle circonstance (laquelle est trop tôt arrivée pour justifier ma prévoyance), où, forcé de tirer ces armes de Hollande par la sourde voie du commerce, un droit nouveau d’un florin et demi mettrait les deux vendeurs en perte ; et quand il était bien à craindre, si tout cela n’arrivait point, que la seule chute des assignats, pendant que les changes hausseraient contre nous, ne fit de ce marché, pour nous, qu’un jeu très-ruineux, à la grosse, pour avoir cédé au ministre ?

Eh bien ! tout cela est arrivé. M’entcndez-vous, monsieur Lecointre ? Oui , tout cela est arrivé. N’obstruez pas votre intellect pour servir de vils scélérats ! et si vous m’entendez enfin, oublions, vous et moi, que vous m’avez dénoncé, injurié, outragé. Répondez à ceci en vrai négociant, si vous l’êtes :

i" Sur un marché de soixante mille fusils, achetés forcément en bloc ; forcément, vous m’entendez bien (car, si je ne les eusse pas pris tous, la France n’en nu mit pas un seid) ; sur ce marché, si dangereux en bloc, en commençant par m’interdire la liberté de choisir mes acheteurs, concurrence qui eût établi l’espoir d’un plus grand bénéfice (mais mon civisme l’interdisait), ai-je mal servi mon pays ?

° En m’obligeant, par mes traités, de trier à la pièce ce qui était acquis en musse, lequel triage laisse au hasard une grande latitude de pertes, ai-je mal servi mon pays ?

° En me soumettant à ne toucher le prix de la partie qu’on choisirait qu’en valeurs non fixées, à époque incertaine, de façon à courir, par cette étrange complaisance , le hasard dangereux de recevoir un jour, pour des florins donnés au plus haut change, des assignats qu’un seul revers, ou du désordre dans Paris, pouvait faire choir, au temps où je les toucherais, de quatre-vingt-dix pour cent chez l’étranger (ils perdent aujourd’hui cinquante-deux en Angleterre), ai-je mal servi mon pays ? ° En ajoutant à tous ces risques celui de courir telle chance que, ne pouvant plus profiter du bénéfice d’un transit, il fallût faire, comme je l’ai dit, sortir ces armes de Hollande par la voie sourde du commerce, et payer dans ce cas un florin et demi de droits par fusil bon ou mauvais, comme marchandise du pays, quoiqu’elle y fût venue d’ailleurs, ai-je mal servi mon pays ? Et pourriez-vous déterminer, vous, Lecointre, à qui je m’adresse, et que l’on dit être un homme juste, à quel prix ces fusils devaient être vendus la pièce, pour être sur de n’y pas perdre ? Voilà ce que vous deviez étudier et savoir, avant de dénoncer et d’outrager un très-bon citoyen qui a bien servi son pays ! Et quand sur tant d’incertitudes un ministre, un comité et un négociant patriote ont pris le parti modéré de mettre, entre les fusils neufs d’Allemagne ou de France et ceux-ci, la différence du prix de vingt-six francs à dix-sept livres, quoiqu’il y ait dans cette masse une forte partie d’armes toutes neuves, de la fabrique de Culembourg, que vous n’auriez pas aujourd’hui pour six couronnes ou trente-six francs la pièce, payés en beaux écus comptés, avons-nous spolié la France ?

Après surtout que vous avez payé, comme je l’ai dit, tous les neufs qu’on a pu avoir des armuriers de l’Angleterre, il y a un an, à trente schellings en or la pièce, ou soixante-douze livres assignats ; et que d’autres vieux, pris depuis dans le fond de la Tour de Londres, ont été sans difficulté payés par vous d’abord vingt schellings en bel or, ou quarante-huit liv. assignats ; et aujourd’hui les mêmes, vingt-six schellings ou soixante-deux livres assignats ; ne peut-on pas vous appliquer l’adage ancien : Dat veniam corvis ?

Et lorsque les Constantini, Masson, les Sann..., et autres protégés de nos citoyens les ministres, vous en font passer par le bec d’absolument hors de service et à des prix... (mais n’anticipons rien ; tout trouvera sa place... répétons pour eux, seulement : Dat veniam corvis) ; mes fusils bien triés au prix de dix-sept francs ou trente livres assignats, et qui sont les moins chers que vous ayez acquis, rendent-ils à vos yeux le ministre coupable, le comité complice, et le vendeur concussionnaire ? Je vous donne du temps, Lecointre, pour y rêver.

Eh bien ! encore une fois, tous les hasards en perte, prévus, je les ai essuyés ; et il y a de plus neuf grands mois que mes tristes fonds sont dehors, et que je souffre le martyre !

Vous ne m’avez donc pas dénoncé, monsieur Lecointre, sur aucun dessein supposé d’avoir acheté des armes pour en priver la France et les livrer à l’ennemi ? Vous seriez un homme trop injuste si vous osiez l’articuler : le contraire est si bien prouvé !

Vous ne m’avez sans doute pas dénoncé non plus sur aucun plan imaginé de vouloir fournir à la France des armes équivoques (comme les amis que j’ai nommés) : les précautions que j’ai prises pour bien assurer le contraire rendraient la dénonciation atroce ; et vous êtes un honnête homme.

Certes, vous ne m’avez pas dénoncé en m’accusant non plus d’avoir vendu trop cher ou voulu trop gagner sur ces armes, quand je les vendis, malgré moi, pour huit florins, à tant de risques et de hasards de pertes ! Vous eussiez fait grand tort à vos lumières : car, lorsque vous m’avez dénoncé, vous saviez tout aussi bien que moi ce que je viens d’apprendre aux autres.

Cependant je suis dénoncé, quoique je sois pur jusqu’ici ; peut-être ma conduite ultérieure a-t-elle donné prise à dénonciation : c’est ce qu’il faut examiner entre nous deux, monsieur Lecointre. Cependant je sais dénoncé ! quoique tous les hasards prévus, je les aie tous éprouvés, grâce à la perfidie des gens qui devaient le plus me soutenir dans cette honorable entreprise.

Voyons si mon patriotisme et mon zèle ardent en ont été glacés ! Suivez-moi donc, Lecointre, et bien sévèrement , car c’est vous que je veux convaincre.

Si tout ceci n’est pas fort éloquent, au moins cela est-il rigoureusement nécessaire pour faire voir à nos concitoyens les dangers qu d rats nous feraient courir tous les jours, si quelque homme bien courageux ne les dénonçai ! à sou tour à l’opinion publique. C’est ce que je ais faire, moi, dans la seconde partie de ce mémoire. DEUXIÈME EPOQUE

J’ai commencé ce mémoire en disant que je ne jugerais point les ministres à qui j’ai eu affaire eu homme de parti, qui blâme tout, sans examen, dans les gens qui diffèrent d’opinion aveclui, et couvre d’un manteau bénin les taule, de tous ceux qu il croit de son avis. C’est parles laits que l’on doit les juger, comme je désire qu’on me juge. Eux et moi nous allons passer sous les yeux de la Com ention nationale, el même de la France entière. Et ce n’est pas le temps de rien dissimuler. Qui trahit son ]iai/s doit payer de sa têt< une action atissi déloyale ’.

Mais lorsque j’examine l’énorme quantité de travaux, de souffrances dont je dois rendre compte, la sueur froide me monte au Iront. Sans avoir écouté mon dénonciateur, vous avez applaudi, citoyens des tribunes, au décret insultant qui me conduisait à la mort, si mes lâches ennemis n’avaient manqué leur coup sur moi ; atrocité dont vous frémirez tous. On est si chaud | r ai i useï ! aura-t-on seulement la patience de me lire ? Et cependant, amis, ennemis, tous le doivenl : les uns pour s’applaudir de l’estime qu’ils m’ont vouée ; les autres pour y trouver de quoi confondre un traître, et me condamner si j’ai tort, si tous les faits ne me justifient (joint.

Douze jours à peine étaient passes depuis le dépari de la Hogue pour la Hollande, qu’effrayé des difficultés qu’on lui opposait en Zélande sur une première requête présentée, il m’expédie un courrier jour et nuit, par la dépêche duquel j’apprends qu’avant même la déclaration de guerre entre la France et la maison d’Autriche, l’amirauté de Middelbourg (mes fusils étaient en ’/eluiule entendait exiger de moi un cautionnement de trois fois la valeur île ma cargaison d’armes, pour la laisser embarquera !■ i re, el s’assurer, nous disait-on, que ces fusils iraient en Amérique, et ne serviraient poml pour les armées de France. Et c’était la réponse que l’amirauté avait faite à notre premièrerequéte pour obtenir l’extradition ! Mais qu’est-ce donc que la Hollande avail à voir à des caisses de marchandises qui ne passaient chez elle que sous la forme du transit, et quiavaient payé les droits ? Certes, ils n’avaient aucune i,, pection politique dessus, pour quelque endroit du monde que je les de ti nasse, moi, citoyen français} et la Hollande étant une puissance amie, cette exigence, ridicule si elle n’eût pas été odieuse, ne pouvait être et n’était en effet (comme la suite l’a prouvé) qu’une mauvaise difficulté suscitée pour servir l’Autriche, laquelle n’avait pas plus de droits que la Hollande sur ces armes : car

L’acquéreur hollandais, qui les tenait de l’empereur, les lui avait payées comptant. On avait exigé de lui une caution de cinquante mille florins d’Allemagne, que les fusils iraient en Amérique. Il avait fourni la caution ; et s’il ne prouvait pas, par des connaissements ou acquits déchargés, que les armes y avaient touché, la peine était au bout : il perdait cinquante mille florins. Là finissait le droit de l’empereur.

Cet acquéreur avait vendu les armes, en retenant son bénéfice, à des acquéreurs étrangers, qui, sans les lui avoir payées, les avaient revendues, avec leur bénéfice, à mon libraire de Bruxelles, lequel aussi, sans les avoir payées, me les avait vendues sous espoir d’un bon bénéfice ; et moi qui n’en voulais que pour armer nos citoyens d’Amérique ou d’ailleurs, au gré de nos besoins pressants, en subvenant moi seul à toutes ces primes de concession, et payant le premier acquéreur, qui seul avait délié sa bourse, j’étais aux droits de tout le monde, surtout à ceux du Hollandais. C’était lui seul aussi que je devais couvrir du cautionnement fourni par lui. Seul il avait le droit de l’exiger de moi, comme engagement commercial du marché qu’il avait rempli. Mais la Hollande et moins encore l’Autriche, dont tous les droits étaient éteints, n’avaient aucun droit sur ces armes : celle-ci néanmoins avait son influence : et celle-là, sa complaisance. Voilà, monsieur Lecointre, la question bien posée. Et c’est maintenant là-dessus que vont rouler tous les débats, et non sur les prétendus droits ni d’un Provins ni d’aucun autre, comme vous l’avez dit dans votre dénonciation, où il n’y a pas un mot qui ne soit une erreur de fait. Quant à celles de raisonnement, je ne dois mettre ici nulle pédagogie.

Ce malheureux Provins, qui n’a jamais payé ses traites, n’a mis et n’a pu mettre aucune entrave à l’extradition de nos armes ; on se serait trop moqué de lui ! aussi s’en est-il bien gardé. Mais je vous apprendrai ce qu’on lui a fait faire à Paris (et non en Hollande), pour nuire à l’arrivée des fusils dans nos ports : et vous serez un peu honteux de votre bonne et pieuse crédulité !

Lisez d’abord, pour vous en assurer, la première requête donnée à cette amirauté de Middelbourg par la Hogue, agissant pour nous deux, afin qu’ils fussent encore un peu plus dans leur tort : vous y verrez s’il est question de tous les honnêtes gens dont vous avez parlé !

Le 20 avril, au reçu du courrier qui m’annonçait les intentions perfides que la Hollande avait de nous nuire, je me hâtai d’écrire au ministre des affaires étrangères, Dumouriez, la lettre suivante, en forme de mémoire :

À monsieur Dumouriez, ministre des affaires étrangères.

■Paris, ce 12 avril 1792.

• Monsieur,

« Un courrier qui m’arrive de la Haye me force d’avoir recours à vous. Voici le fait :

« J’ai acheté en Hollande de cinquante à soixante mille fusils et pistolets. Je les ai bien payés : mon vendeur me les livre à Tervère en Zélande, où deux navires sont prêts à les recevoir ; mais, à l’instant de partir, l’amirauté’moi une caution de trois fois la voleur île ces armes, pour s’assurer, dit-elle, qu’elles sont par moi destinées pour l’Amérique et non pour l’Europe.

« Cette difficulté, faite à un négociant français par une nation amie de la France, a forcé mon correspondant de me dépêcher un exprès. Personne ne sachant mieux que vous, monsieur,</ » <’partie de ces fus, in est destinée pour nos îles du golfe, puisque j’en ai instruit l’administration française comme d’une chose qui pouvait lui être agréable, ces armes y tenant lieu de celles qu’on leur expédierait de France, et le reste étant destiné pour le continent d’Amérique qui arme contre les sauvages, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien écrire à votre chargé d’affaires auprès des États-Généraux de faire ces ser nue difficulté qui me relient deux navires à la planche, et des fonds considérables en suspens. (i La nation hollandaise n’est pas avec nous dans les termes où la justice que je demande sur celle mienne propriété puisse l’aire quelque difficulté, r-i vous avez la bonté de la lui demander pour un négociant français dont la loyauté est connue. Vous obligerez celui qui est avec respect, « Monsieur,

h Votre, etc.

u Signé Caron de Beaumarchais. >

Dumouriez mit à sa réponse toute la grâce de l’ancienne et franche amitié ; la voici : « Paris, ce 21 avril 1792.

« Je suis bien invisible, au moins autant que vous êtes sourd, mon cher Beaumarchais. Cependant j’aime à vous entendre, surtout quand vous avez des choses intéressantes à me dire. Soyez donc demain à dix heures chez moi, puisque des deux c’est moi qui ai le malheur d’être le ministre. Je vous embrasse.

Signé Dumouriez. »

J’y fus le lendemain matin. La chose bien expliquée, il me demanda un mémoire officiel I. pour qu’il en conférât avec les autres ministres. J’en li— un. j’en fis deux, enfin j’en fis cinq différents dans le cours de cette journée, nul n’étant, selon ces mesieurs, dans la forme qu’il fallait. Cela me semblait bien étrange.

Le lendemain matin, le 23 avril, j’envoyai au ministre Dumouriez le cinquième mémoire fait la veille. Le voici :

Paris, ce 23 avril 1792.

« Monsieur,

« J’ai l’honneur de vous adresser, non plus comme à un homme bienveillant, mais comme au minisire de la nation et du roi au département des affaires étrangères, le cinquième mémoire dont j’ai changé la forme depuis hier matin, pour vous prier, monsieur, de vouloir bien faire cesser en Hollande la vexation de m’y retenir, au port de Tervère, soixante mille fusils que j’y ai achetés, et dont l’amirauté arrête le départ, sous le prétexte honteux d’une caution inusitée de trois fois la valeur des armes, uniquement pour servir d’assurance, dit-on, que je vais les expédier pour l’Amérique.

« Je suis bien désolé de vous importuner encore ; mais sous quelque forme, monsieur, que vous demandiez cette justice pour un négociant français que l’on vexe, il est à désirer que cette forme soit si pressante que vous puissiez vous flatter de lever l’embargo : sans cela, moi particulier, qui suis bien loin d’avoir la force nécessaire pour vaincre des obstacles de cette nature, je ne pourrai plus livrer ces armes au ministre de la guerre dans le temps pn so il par mon traiti avi c lui.

« Daignez réfléchir aussi, monsieur, que non seulement la nation en serait privée dans un temps où elles sont devenues si nécessaires, mais que je m verrais obligt dt me justifier hautement de l’accusation de mauvaise volonté qu’on ne manquerait pas d’élever contre moi sur cette non-livraison d’armes, qui ne viendrait pas de mon fait, mais de la malveillance d’une nation étrangère, dont le ministre seul de celle à qui j’ai l’honneur d’appartenir a le droit et l’autorité de demander raison pour moi.

« Ce n’est donc point une grâce personnelle que je sollicite, monsieur, mais une justice importante à la France, sous le double aspect du droit des gens blessé, et de l’urgence du besoin de ces armes qui sont à elle, et qu’on retient injustement à Tervère.

Je suis avec respect,

i Monsieur,

<. Votre, etc.

« Signé CARON de Beaumarchais. »

Rien ne se terminait. J’allais deux fois par jour aux affaires étrangères, et il y a une lieue de chez moi : d’autres objets entraînaient le ministre. Des mots arrachés en courant ne me satisfaisaient sur rien, ci mon courrier se désolait du temps que je lui faisais perdre. D’autres lettres de Hollande arrivaient, bien pressantes ; le ministre me prie de lui remémorer l’affaire. Le ai, en lui envoyant un nouveau mémoire très-instant, je lui écris ce mot :

n 6 niai 1702. Pour vous seul.

h Trois choses importantes à observer (la malveillance de nos ennemis intérieur— se Halle qui vous ne réussirez pas à lever l’embargo di — arm elle espère vous en faire un tort auprès de la nation française :

n 1" Le mal en Hollande venant des marauderii deParis, dont nous avons la preuve, il importe que l’objet de mes instances ne suit pas connu, s’il se peut, dans 1rs bureaux dt la guerre:on le saurait bientôt à la Haye;

<i 2° Il importe que mon courrier parle si vite [après la résolution prise qu’on n’ait pas le temps d’en donner avis par la poste:lt s burt au 1 n’y manqut raii ni pas;

n 3° Vous sentirez la justice et la justesse du con tenu de mon méinnire, en 1 1 1 1 ■ ■ ( 1 1 i —. 1 1 1 1 que si un obstacle national, qu’aucun particulier ne peul lever, empêche que je ne vous livre les fusils au Havre, je vousles livrerai à Tervère:alors toutes les précautions qui assurent leur arrivée deviendront personnelles au gouvernement français; je me charge seulement de lever les obstacles desagents subalternes avec des poignées dt ducats. i’Murt, 1111111111..le vous ai trouvé triste hier, et j’en suis affligé. Du courage, mon ancien ami ! Usez de moi pour le bien public. Rien ne me coûtera pour sauver la patrie. Les divisions sont détestables : le fond des choses est excellent. ci Signé Beaumarchais. »

Point de réponse. Trois jours après, 9 mai, j’insiste, et j’envoie un nouveau mémoire à MM. de Graves, Lacoste, Dumouriez, sous le litre de Question importante ci secrète à délibérer et fixa entrt MM. 1rs trois ministres de la gueire, de la marim et des affaires étrangères. (Remis aux trois ministres le 9 niai 1792.) Il esl dans les trois archives j< vous le montrerai, Lecointre ; il ne doit pas être imprimé.

Point de réponse, et mon courrier ne parlait pas. Je crus m’apercevoir qu’on arrêtait, je ne sais comment, l’active bienveillance.de M. Dumouriez pour le succès de cette affaire. La colère me surmonte ; je lui écris quatre jours après, le 13 mai, la lettre suivante, un peu sévère, pour être lue au comité. Brinnniirchtns à M. Dumouriez.

Ce 13 mai 1792.

Monsieur,

Daignez vous rappeler combien vous el moi, et tant d’autres, avons souvent gémi de voir miséralliement a Versailles les anciens ministres du roi, se Ha lia ut d’avoir loui gagné quand ils avaient perdu huit j ■— : II est trop tôt, Il est trop tard, ei.ni leur moi sur presque loni. donnant à conserver leur plaie le-, cinq sixièmes du temps qu’ils devaient au bien des affaires. Hélas ! la maladie qu’on nomme temps perdu me semble de nouveau atteindre nos ministres. C’était pure incurie de la part des anciens ; c’est sûrement surcharge de la vôtre : mais le mal n’existe pas moins.

« Depuis trois mois, monsieur, sur une affaire regardée comme excessivement majeure, je me vois accroché à tous les genres d’indécision qui rendent nuls les agents les plus vifs. Pour cette interminable affaire, j’use le troisième ministre qui se soit chargé de la guerre.

« Monsieur, nous manquons de fusils ; de toutes parts on en demande à cor et à cri.

« Soixante mille, acquis par moi, sont au pouvoir du ministre : tant d’or, tant d’or déplacé de chez moi, deux vaisseaux en panne en Hollande, et qui y sont depuis trois mois ; quatre ou cinq hommes en voyage ; une foule de mémoires par moi présentés coup sur coup ; un très-court rendez-vous, inutilement demandé, pour y prouver combien les obstacles sont misérables ; un courrier qui mange son sang depuis vingt jours dans mes foyers, du chagrin d’un séjour forcé, et moi qui sens brûler le mien, faute d’obtenir une réponse sans laquelle il ne peut repartir ; d’autre part, les menaces que je reçois de tous côtés, d’accusation de trahison : comme si, par méchanceté, je retenais en Hollande des armes que je bride de faire entrer en France ; tant de frais, de contradictions, altèrent à la fois et ma fortune et ma santé. « Si c’était un client qui vous demandât une grâce, je vous dirais : Envoyez-le promener ! mais c’est un citoyen zélé qui voit périr une affaire importante, faute, depuis dix jours, d’obtenir un quart d’heure pour la couler à fond avec les trois ministres de la guerre, de la marine et de nos affaires étrangères ; c’est un grand négociant qui fait d’immenses sacrifices pour aplanir tous les obstacles commerciaux, sans recex oir aucun appui sur les obstacles politiques, qui nepeuvent être levés que par le concours des ministres !

Mais, quelle que soit pourtant votre résolution, ne faut-il pas, messieurs, que je la sache, pour travailler en conséquence ? et, soit que vous vous décidiez pour ou contre la réussite, des choses lu si capitales peuvent-elles rester en suspens ? Dans un temps comme celui-ci, plus on tarde à prendre un parti, plus les embarras s’accumulent. Il faut pourtant que je me justifie aux yeux de la nation entière sur mes efforts infructueux, si je ne veux pas voir bientôt mettre le feu à ma maison. Notre peuple entend-il raison quand des brigands lui échauffent la tète ? et voilà ce qui me menace.

« Au nom de ma sûreté [de la vôtre peut-être), assignez-moi, monsieur, le rendez-vous que je demande : dix minutes bien employées peuvent empêcher bien des malheurs ! Elles peuvent surtout mettre tous nos ministres en état de satisfaire à des demandes d’armes qu’il ne tient qu’à eux, oui, qu’à eux, de faire venir en quatre joui’s au Havre.

« Signe Caron de Beaumarchais. »

M. de Graves était remercié ; M. Servan avait sa place. D’une part, il fallait instruire ce nouveau ministre ; de l’autre, la malveillance intérieure commençait à souffler dans le comité des ministres. J’écris, le 14,à M. Servan la lettrequi suit. Je priai instamment M. Gau de la lui remettre, et je saisis cette occasion d’attester qu’en toute cette affaire je n’ai eu qu’à me louer de la loyale franchise et des soins obligeants de M. Gau. 11 n’y est plus, et nul intérêt ne m’engage à le distinguer de ce que je uomme les bureaux.

A M. Servan, ministre de la guerre. « Monsieur,

" l.e fardeau très-pesant du ministère de la guerre, dont votre patriotisme a chargé votre tète, vous expose souvent à des importunités fatigantes. Je voudrais bien ne pas accroître le nombre de ceux qui vous tourmentent ; mais l’urgence d’une décision de votre part sur la retenue de soixante mille fusils qui vous appartiennent en Zélande, et que les Hollandais empêchent de sortir du port, où deux vaisseaux attendent depuis trois mois, nie force de vous demander l’honneur et la faveurd’une audience de dix minutes : il n’en faut pas une de plus pour couler cette affaire à fond. Mais l’état où la malveillance commence à la représenter exige une grande attention de votre part.

<■ Depuis vingt jours, monsieur, un courrier venu de la Haye, et qui se désole à Paria, faute d’un mot qu’il puisse emporter et partir, augmente encore mes embarras. Depuis dix jours je sollicite en vain d’être entendu par vous et deux autres ministres : car moi seul peux vous faire connaître le danger d’un plus long silence sur la décision d’une affaire que les ennemis de l’État dénaturent, et veulent tourner contre moi et contre le ministre actuel. Je vous demande donc, avec l’instaure d’un citoyen inquiet, une audience courte et prochaine. Peut-être puis-je tout aplanir ; mais cerle~ je iule puis, monsieur, sans vous avoir communique mes vues. Daignez me faire passer votre mot par M. Gau, que j’ai prié de vous remettre ma supplique. Agréez le dévouement très-respectueux de <i Beaumarchais. »

Point de réponse. Je renvoie le 17 un double de ma lettre ; j’obtiens enfin un rendez-vous pour le 18 au soir : mais je n’y gagnai rien. M. Servan me dit (oui nel que, cettt affaire n’étant point de son bail, il n’écrirait pas un seul mol qui pût y apporter le moindre changement ; qu’au surplus il en parlerait à M. Dumouriez, et me ferait dire la réponse.

Point de réponse. Je retourne plusieurs fois à l’hôtel de la Guerre : toujours porte fermée. J’apprends enfin, le 22 mai, que les ministres sont assemblés chez le ministre de l’intérieur. J’y cours, je demande à entrer. Je me plains amèrement de l’espèce de dédain avec lequel on me repousse depuis un mois, sans que je puisse apprendre de personne ce que je dois répondre en Hollande sur les difficultés que font les Hollandais de laisser partir les fusils. Il s’élève un débat entre M. Clavière et moi ; mais poussé si loin de sa part à l’occasion du cautionnement, que, me sentant hors de mesure, je pris le parti de sortir.

Ne me possédant plus après quarante jours perdus, mon courrier encore sur les bras, j’écris le 30 mai suivant à M. Servan, et j’en envoie copie à M. Dumouriez.

(Je vous supplie au nom de l’équité, Lecointre, de la lire avec attention. J’étais au désespoir, et mon chagrin s’y exhalait sans fard ; je vous dirai après l’effet qu’elle produisit.)

Li Un à M. Servan.

« Ce 30 mai 1792.

ci Monsieur,

« S’il me restait un jour de plus pour garder le silem e avec sûreté, je ne vous importunerais pas sur l’affaire des soixante mille fusils arrê i en Hollande, dont je n’ai pas encore réussi à i saisir h véritabh esprit. On vous a bien trompé, monsieur, si l’on vous a fait croire qu’i II

; < sans risque, parce qu’elle m’était personne 

lU !

v Elle m’est tellement étrangère, que si j’y liens, monsieur, c’est par les sacrifices que je lui ai faits, et par l’amour de mon pays, qui m’a seul porté à les faire : elle est absolument nationale, et me le parait à tel point, que, sans mon zèle ardenl pour la cause que oousservons chacun à notre manière, j’aurais déjà 1 1 ndu et s armes à l’t U an..<< i bénéfice immense, qu’aucun négociant ne méprise. Mai— j’ai mis mon patriotisme à braver les dégoûts dont u n ne cesse d’abreuver la soif que j’ai montrée d’aider mon pays de ces armes, lequel en manqui ni. Voilà tOUl ce i|iii me cnueenie. i C’esl aujourd’hui le 30 ma i. dernier joui— du airemenl pour livrer

au Havre, à la France, les soixante mille fusils ai lietés pour elle, que j’ai payés avec de l’or, dont l’échange contrt assignats rend l’affaire mauvaise sous l’aspect qui lient au commerce. i.ire, depuis trois mois el demi, deux navires sont.1 la planche pour transporter ces fusils quand les ob tai les seront levés. ci Depuis encore j’ai proposé {et c’est à rais. i>i,. i t, fait de dépenser jusqu’à ci nt ncs pour tenter de Lever ces obstacles, sans user du moyen politique d’un cautionnement réel que la guerre rend nécessaire, el dont, avec toute ma logique, je n’ai pu encore établir aux yeux de notre ministère l’indispensable utilité sans risqut s.

c. J’ai <1 a’comblé h s sacrifia s, et nt, ts / in. Forcé de me justifier sur l’horreur qui m’est imputé i l’obs l’ai l’air, dit-on, de combatti

trahir mou pays, en livrant à nos ennemis des à la Franci

montrer sous peu de. jo j’ai fait, ce que j’ai dit, tout l’argent que j’ai avancé pour nous en rendre possesseurs, sans av

l’aidi. h< as ! si facii i’itt e. ce Outragé par la malveillani M. Clavier

  • , rebuté par l’inaction des autres M— Dunfin

par la répug nance que

vous m’avez montrée d’entrer pour rien dans une affaire entamée et conclue par votre prédi [voilà le mot), comme s’il était question d’un brigandage ou d’un patricotage, je dois, i poir île réussite auprès de vous et du ministre des affaires étrangères, justifier hautement, monsieur, mes intentions et mes actions. Alors la nation jugera qui a des torts à son égard l’instant est enfin tu, ii é, /■ h fais).

• • Noti, /I n’est pas croyabl qu’une afft importante soit traitée par un min tén avec cet abandon, cette légèreté ! J’en ai reparle depuis vous à votre collègue Dumoariez, qui m’a paru enfin pénétré du danger < ! < laisser publier une justification sur 1 1 1 i : ang> < mpêchemi nt : à qui j’ai fail toucher au doigt l’extrêmi faciliti de sort » d’un si puéril embarras, pour des ministres un teu instruits.

m Mais, quelle que soit sa bonne volonté, il ne le peut, monsieur, que d’accord avec vous ; et c’est bien avec vous qui j’ai traiti de cette affaire, PI [SQUE C’EST VOUS QUI ÊTES MINISTRE DE LA l.i s grcki s seul ■

p, m, , it être il truiti s par vous, si i ous ne h s trom ■ z pus justes ; mais les affaires de l’état doivent-elles souffrir UN MOMENT DU CHANGEMENT Ii’aL’iX’N ministre, à moins qui l’on neprouve qu’il y a intrigue < n I si m ? A l’éclaircissement de celle-ci, je puis SOUFFRIR DES PERTES EN QUALITÉ DE négociant J MAIS J’AURAI CENT PIEDS DE HAUTEUR, COMME CITOYEN Il COMME PATRIOTE.

« Pour éviter un mal qu’il est si aisé d’empêcher, je vous supplie de m’accorder un rendez-vous en tiers avec M. Dumouriez. Ce que la malveillance peut faire patauger six mois, la bonne intelligence peut le solder en six minutes.

« Les clameurs pour avoir des armes vont partout jusqu’à la fureur. Jugez, monsieur, où elle se portera quand on saura quel misérable obstacle nous a privés de soixante mille armes qu'on pouvait avoir sous dix jours ! Tous mes amis, par inquiétude pour moi, exigent que je rejette à qui il doit aller le bloc dont on veut m’accabler : mais c’est le bien que je veux faire ; et, le jour que j’aurai parlé, il sera devenu impossible.

« Je vous demande donc, au nom de la patrie, du vrai besoin de mon pays, du danger de cette inaction, de vaincre toutes vos répugnance, en m’assignant un rendez-vous d’accord avec M. Dumouriez.

« Agréez les assurances de la très-respectueuse estime qui vous est due :

« Signé Caron de Beaumarchais. »

Je suis trois jours sans avoir de réponse. Le 2 juin je reçois cette lettre de M. Servan (écriture de bureau) :

« Paris, le 2 juin 1792, l’an iv de la Liberté.

« Vous sentez, monsieur, que votre affaire ayant été mûrement examinée au conseil du roi, comme je vous en ai prévenu (prévenu ?… de quoi ? qu’elle le serait apparemment), il m’est impossible dy rien changer. Vous demandez à m’entretenir avec M. Dumouriez sur le même objet : je me trouverai volontiers au rendez-vous que voudra bien vous accorder ce ministre.

« Le ministre de la guerre, signé Servan. »

Que voulait dire M. Servan ? prétendait-il me faire entendre par ces mots, le conseil du roi, que c’était le roi en personne qui s’opposait à ce qu’on fît rien pour accélérer ces fusils ? Un nouveau genre d’inquiétude me saisit. Dans le désordre de ma tête, je renvoie mon courrier en Hollande, en écrivant à mon ami que la malveillance est au comble, et qu’il faut que ce soit lui-même qui me donne un conseil pour tâcher de faire arriver nos fusils, en consultant l’ambassadeur, soit en faisant des ventes simulées à des négociants hollandais, soit en les faisant aller à Saint-Domingue, d’où j’en ferais ensuite l’usage qu’un meilleur temps me prescrirait. Ma lettre se ressentait de ma fâcheuse situation : mon ami en fut effrayé.

Je m’efforçais de me tranquilliser, lorsque, le 4 juin, François Chabot, pour comble de malheur, poussé par je ne sais qui, s’avise de me dénoncer à l’Assemblée nationale comme ayant fait venir du Bradant dans mes caves cinquante mille fusils, dont la municipalité, dit-il, avait parfaite connaissance. L’Enfer est donc déchaîné, dis-je, contre ces malheureux fusils ! Y a-t-il jamais eu sottise ou traîtrise pareille ? Et je puis être massacré !

Sur-le-champ je reprends la plume, et j’écris à M. Servan la lettre dont voici la copie :

« Paris, lundi soir, 4 mai 1792.
« Monsieur,

« J’ai l’honneur de vous prévenir que je viens d’être enfin dénoncé aujourd’hui à l’Assemblée nationale comme ayant fait venir du Brabant à Paris cinquante mille fusils que je retiens, dit-on, cachés dans un lieu très-suspect.

« Vous pensez bien, monsieur, que cette accusation, qui me fait membre du comité autrichien, intéresse beaucoup le roi, que l’on en suppose le chef, et qu’il ne vous convient pas plus qu’à moi de laisser fermenter des soupçons de cette nature.

« Après les efforts de tout genre que j’ai faits, tant auprès de vous que des autres ministres, pour procurer ces armes à mon pays ; après leur inutilité, et j’ajoute, avec peine, après l’inconcevable indifférence dont tant d’efforts patriotiques ont été repoussés par le ministre actuel, je devrais au roi et à moi de me justifier hautement, si mon patriotisme ne m’arrêtait encore, par la certitude que j’ai que, du moment où je m’expliquerai publiquement, la porte de la France est fermée à ces armes.

« Cette seule considération prévaut encore sur celle de ma sécurité avancée, et des mouvements populaires que l’on remarque autour de ma maison. Mais, monsieur, cet état ne peut subsister vingt-quatre heures ; et c’est de vous, comme ministre, que j’attends la réponse qu’il me convient de faire à cette inculpation (de Chabot). Je vous demande encore une fois, monsieur, un rendez-vous dans la journée avec M. Dumouriez, s’il est encore ministre. Vous êtes trop éclairé pour ne pas pressentir les conséquences d’un retard.

« Mon domestique a l’ordre d’attendre celui par écrit que vous voudrez bien lui remettre pour moi. Il y a quelque vertu, monsieur, dans la conduite que je tiens, malgré l’effroi de ma famille entière : mais le bien public avant tout !

« Je suis avec respect,

« Monsieur,
« Votre, etc.
« Signé Caron de Beaumarchais. »


En copiant ceci, j’ai besoin de me modérer : la colère m’emporte encore, et je sue à grosses gouttes, le 6 janvier, dans un pays très-froid.

Le lendemain enfin, M. Servan répond pour la première fois de sa main.

« Mardi, 5 juin.

« J’ignore, monsieur, à quelle heure M. Dumouriez sera libre pour vous voir : mais je vous répète que dès que vous serez chez lui, et qu’il me fera avertir, je m’empresserai de m’y rendre, ce matin, jusqu’à trois heures ; après midi, depuis sept heures jusqu’à neuf heures.

« Je serais très-fâché qu’il vous mésarrivât pour des fusils que des ordres impérieux retiennent à Terweren.

« Le ministre de la guerre,
« Signé Joseph Servan. »

Ce n’était donc pas, ô Lecointre, ni un brocanteur en faillite ni ma mauvaise volonté qui retenaient ces armes à Terweren. Ni ce Provins que vous préconisez, ni aucuns autres particuliers, ne pouvaient pas représenter dans l’esprit de M. Servan, ces ordres impérieux qui arrêtaient nos armes. Eh ! sur quels diaboliques mémoires m’avez-vous donc stigmatisé ?

Voilà, dis-je en lisant le billet de M. Servan, le premier mot un peu supportable que je reçois sur cette étrange affaire, depuis que ce ministre est en place. Je vois trop qu’il cédait à des impulsions étrangères.

Puisqu’il consent à conférer avec moi et son collègue Dumouriez, sans un certain autre ministre, je commence à penser qu’il entendra raison.

Mais cette conférence tant demandée le 4, je ne pus l’obtenir que le 8, à neuf heures du soir, et chez M. Servan : quatre journées de perdues. J’y repris l’affaire ab ovo ; peut-être, en la traitant avec chagrin, avec chaleur pour mon pays, eus-je ce qu’on pourrait nommer l’éloquence de la chose ou celle du moment : ce qu’il y a de certain, c’est que les ministres, touchés de toutes les peines qu’on m’avait fait souffrir, convinrent l’un et l’autre, lui, Dumoumiez, qu’il écrirait à MM. Hoguer et Grand, banquiers d’Amsterdam, de me cautionner à tort ou à droit auprès des états de Hollande, jusqu’à la somme, non pas de trois fois la valeur de la cargaison, qu’ils voulaient, mais d’une fois cette valeur ; ce qui n’était pas moins injuste, mais était pourtant nécessaire.

Pendant qu’il en prenait la note, je lui dis : Une fois ou trois fois la valeur, c’est tout un ; puisqu’en fin de compte, en rapportant l’acquit à caution déchargé, cela ne coûtera qu’une commission de banque, et nos fusils vont arriver.

M. Servan convint de me faire remettre cent cinquante mille livres sur les deux cent cinquante mille que son département avait à moi, au delà de cinq cent mille francs d’assignats qui m’avaient été avancés.

Car un certain ministre ne disait pas encore que sept cent cinquante mille livres de contrats de l’État, portant neuf pour cent d’intérêt, sont un dépôt qui ne saurait représenter pour cinq cent mille francs d’assignats qui ne portent nul intérêt, et perdent cinquante pour cent chez l’étranger. Mais nous y reviendrons ; la chose en vaut la peine.

Pendant que M. Servan prenait aussi sa note, je lui dis : Avec ce secours-là, monsieur, s’il faut trois ou quatre mille louis pour lever tous les autres obstacles en Hollande, je les sacrifie de bon cœur. Et nous nous séparâmes tous fort contents les uns des autres.

Mais le 12 juin, c’est-à-dire quatre jours après, n’ayant de nouvelles de personne, j’écrivis (bien fâché) la lettre suivante à M. Servan le ministre :


12 juin 1792.
Monsieur,

« Le jour de la dernière conférence que vous et M. Dumouriez m’avez accordée pour le complément des moyens propres à retirer nos soixante mille fusils de Hollande, j’eus l’honneur de vous répéter que l’argent nécessaire pour gagner tout ce qui enveloppe le haut sénat de ce pays pouvait se porter de trois mille à quatre mille louis, et que cette somme m’était indispensable.

« Disposé au grand sacrifice de cette avance, je vous ai prié de nouveau de me faire remettre de quoi me faire cent mille livres en florins de Hollande sur les deux cent cinquante mille francs que vous avez à moi, et qui n’ont été déposés, au lieu de six cent mille livres portées dans notre marché, au delà de l’avance que M. de Graves m’a faite, que parce que nous convînmes à l’amiable que, si j’avais besoin de quelques fonds (ce que je ne prévoyais pas), ils me seraient remis, et sans difficulté. Vous m’avez dit, monsieur, que vous vous consulteriez (sur la forme), et me feriez parvenir promptement votre réponse : vous convient-il que j’aille la recevoir, ou voulez-vous me la faire passer ? Le succès des plus grandes affaires, quoi qu’on fasse, en tout pays, tient à ces misérables moyens ; et, malgré la contradiction, vous voyez que, pendant qu’on décrète ici des peines contre ceux qui s’y laissent corrompre, on décrète six millions à M. Dumouriez pour en faire corrompre ailleurs !

« Ne me laissez pas, je vous prie, quand vous avez des fonds à moi, faire d’immenses sacrifices pour me les procurer d’ailleurs ; mais, quelle que soit votre décision à cet égard, je vous demande surtout de ne me la point faire attendre. Il faut que tout marche à la fois, les démarches de notre ministre à la Haye auprès de ce gouvernement, le cautionnement, les gratifications à tous ceux qui influent : c’est là la marche des affaires, et celle-ci a beaucoup trop langui !

« Je suis avec respect,

« Monsieur,
« Votre, etc.
« Signé Caron de Beaumarchais. »


J’employais, comme vous voyez, Lecointre, tous les styles. Si c’était pour trahir l’État, je dois avoir le cou coupé ; mais je vois déjà mes lecteurs s’écrier : Ce n’est pas le ton d’un traître ! Ô mes lecteurs, ayez quelque patience : vous ne la perdrez que trop tôt, quand vous saurez tout ce que j’ai souffert ! car alors ce n’est pas pour moi que vous tremblerez, c’est pour vous !

Le même jour, 12 juin, je reçus ce billet poli de la main de M. Servan :


« Joseph Servan prie M. de Beaumarchais de vouloir bien s’aboucher avec M. Pache, qui tient pour le moment la place de M. Gau ; il le mettra au fait de cette affaire avant que M. de Beaumarchais le voie.

« 12 juin. »

Enfin, me dis-je, grâces au ciel, me voilà au bout de mes peines ! M. Dumouriez certainement aura écrit à MM. Hoguer et Grand : je vais toucher cinquante mille écus, dont j’enverrai cent mille francs à la Hogue pour parer à tous les obstacles ; et les fusils vont arriver, et M. Chabot les verra, et le peuple me bénira, après m’avoir bien injurié ! J’étais joyeux comme un enfant.

J’écris le soir même en Hollande, pour y consoler mes amis et leur faire partager ma joie.

Le lendemain matin, 13 juin, je vais à l’hôtel de la Guerre parler à M. Pache, et tenir de lui l’ordonnance, comme M. Gau les délivrait. Je passe dans son cabinet, je crois le mettre au fait de toutes les résolutions prises ; l’homme m’écoute froidement, et me dit :

« Je ne suis point M. Pache, je tiens sa place par intérim ; mais votre affaire ne peut se terminer : M. Servan a quitté le ministère ce matin ; je ne sais où sont vos papiers : je m’informerai de cela. »

Frappé comme d’un coup de foudre, je monte dans les bureaux de l’artillerie ; tout le monde me dit que M. Servan a emporté tous ses papiers, et qu’on ne trouve pas les miens.

Je passe aux affaires étrangères ; je n’y trouve point notre ministre Dumouriez, qui avait pris la Guerre par intérim. Je reviens chez moi lui écrire ; je pense alors qu’il me suffit de lever un extrait de l’acte de mon dépôt de sept cent cinquante mille francs chez le notaire du département de la Guerre, pour bien prouver à M. Dumouriez qu’il est vrai que ce département a deux cent cinquante mille livres à moi, sur lesquelles il sait bien que M. Servan est convenu devant lui de me remettre cinquante mille écus.

Le 14 juin, M. Dumouriez, accablé sous la multitude d’affaires, me fait répondre par M. de Laumur, son aide de camp, qu’il va me faire remettre les cinquante mille écus convenus avec M. Servan ; qu’il s’en souvient très-bien ; que j’y passe le surlendemain. Dieu soit béni ! me dis-je encore : ce contre-temps n’est qu’un retard.

Joyeux, j’y vais le 16 juin à midi ; c’était là l’heure où Dumouriez donnait ses audiences à l’hôtel de la Guerre : il était sorti ; je l’attends. Au lieu de lui, on vient dire à tout le monde, au grand salon, que M. Dumouriez vient de quitter la Guerre, et qu’on ignore celui qui le remplace. L’effet que cela fit sur moi, c’est que je fus atteint d’un sourire de dédain et de profond mépris sur la bien triste originalité de tous ces contre-temps qui m’arrivaient. Je veux monter dans les bureaux ; ils étaient tout ouverts, et personne dedans. Je m’écriai involontairement, dans un état que je ne saurais rendre : Ô pauvre France ! ô pauvre France ! et je me retirai chez moi le cœur serré à m’étouffer.

Pour m’achever, le 23 juin je reçus une lettre de la Hogue, qui m’apprenait que MM. Hoguer et Grand avaient refusé de cautionner, sous prétexte que le ministre qui avait envoyé l’ordre à M. de Maulde, notre ambassadeur à la Haye, de faire cautionner par eux, ne leur en avait point écrit. (Ô désordres affreux des bureaux ! car ces choses-là sont de pures formules.) Mais tout ceci n’était qu’un vain prétexte. Ces messieurs, qui ont tant gagné d’argent à servir notre France, servaient alors, contre elle, la Hollande et l’Autriche. Tout était donc au diable ; et c’était à recommencer quand il y aurait d’autres ministres. Je me mangeais les bras de désespoir.

Mais au milieu de mon chagrin soyons juste, et rendons grâces à l’intention de Dumouriez, qui, en sortant du ministère, instruisit M. Lajard, son successeur pour la Guerre, des contre-temps qui m’étaient arrivés : ce qui le disposa sans doute à bien écouter l’historique et le compte que je lui rendis, pièces probantes sur la table, des entraves de toute espèce que l’enfer avait semblé mettre à l’arrivée de ces fusils. « Cela est d’autant plus fâcheux, dit tristement M. Lajard, que nos besoins sont excessifs, et que nous ne savons comment faire. Il faudra, me dit-il, aller voir M. Chambonas (qui avait les affaires étrangères), pour voir à remédier au refus plus que malhonnête des deux banquiers Hoguer et Grand. En attendant, je vais m’instruire de l’état juste où est l’affaire des cinquante mille écus à vous, qui vous sont échappés tant de fois. » Le ton doux de M. Lajard me sembla de très-bon augure.

Il fit venir M. Vauchel, chef de bureau de l’artillerie, qui lui dit qu’en effet il avait été convenu entre les deux ministres de me remettre cette somme sur les fonds qu’on avait à moi.

M. Lajard eut l’honnêteté de répondre le lendemain, 19 juin, à la demande que je lui en faisais par écrit pour la bonne règle, et de m’envoyer la lettre suivante, avec un mandat à la trésorerie nationale pour me payer les cent cinquante mille livres :

« 19 juin 1792, l’an IV de la liberté.

À M. Beaumarchais.

« Vous me demandez, monsieur, que, pour vous mettre en état de faire sortir de la Zélande les soixante mille fusils de soldat que vous vous y êtes procurés en vertu du traité que vous avez fait avec le gouvernement, je vous fasse délivrer une nouvelle avance de cent cinquante mille livres, pour, avec cinq cent mille francs que vous avez déjà touchés, faire six cent cinquante mille livres à compte du prix de cette fourniture. Je vois d’autant moins d’inconvénient à vous donner cette facilité, que, comme vous le faites observer, vous avez déposé des valeurs supérieures à cette avance. Vous trouverez en conséquence ci-joint l’ordre pour recevoir ces cent cinquante mille livres à la trésorerie nationale.

« Le ministre de la guerre, sig. A. Lajard. »

J’envoie mon caissier recevoir cette somme, qui s’était fait terriblement attendre ! Un chétif et bizarre accroc en retarda encore le payement.

Un commis du bureau de la guerre, dit-on à mon caissier, était venu prévenir que l’on n’oubliât point que l’usage, pour les fournisseurs, était d’avoir une patente avant de recevoir leurs fonds. » Monsieur, dit mon caissier, M. de Beaumarchais n’est point un fournisseur ; c’est un citoyen qui oblige, et certes bien à ses dépens. Il représente un Brabançon qui n’a point de patente en France ; il a reçu déjà cinq cent mille francs sans qu’on ait rien exigé. — Monsieur, lui répond-on, nous avons ordre de ne pas le payer sans cela. »

Sur le compte qui m’en fut rendu, je dis : « Ce sont là les derniers soupirs de la malveillance expirante. Ne perdons pas dix jours à batailler sur un argent si contesté et devenu si nécessaire ; ils veulent me faire marchand de fournitures, lorsque j’ai cru rendre un très-grand service ! Combien faut-il pour cette patente ? — On me demanda quinze cents livres. — Si les messieurs de ce bureau, lui dis-je, se sont tous butés là pour me bien dégoûter d’aller jamais sur leurs brisées, disons notre mea culpa et portez les quinze cents livres. »

Cela nous dévora deux jours. Je suis bien sûr que la malignité en riait : enfin on leur porta ma patente d’arquebusier. Mais, à l’instant que l’on allait payer, vint un autre commis régaler mon caissier d’une opposition inconnue. On referme la caisse ; il s’en revint chez moi, me rapportant la lettre du ministre. Pour le mandat de me payer, on l’avait très-bien retenu. Il s’en revint chez moi, me demandant, bien effaré, si je connaissais un Provins, qui avait mis opposition sur tout ce qui pouvait m’être dû à la Guerre, en sorte qu’on n’avait point payé. « Je le connais, lui dis-je, assez pour ne vouloir point le connaître. »

C’est donc ici le cas de s’expliquer sur ce Provins, dont vous avez, Lecointre, fait un si noble bruit dans votre dénonciation : quelle que soit la nausée que me cause cet émétique, il faut s’en soulager et ne laisser rien en arrière. Quand on se sent piquer la nuit par un insecte, encore faut-il bien le noyer, si l’on veut prendre du repos.

Quelques jours après mon traité signé avec M. de Graves, un sieur Romainvilliers, commandant de légion de la garde nationale, jadis exempt des gardes du corps, de tout temps obéré, joueur et faiseur d’affaires, vint un matin me dire d’un pauvre homme qu’on avait bien trompé, à qui un sieur la Haye, qui, disait-on, m’avait vendu des armes pour le gouvernement français, devait quatre-vingt mille francs pour caissons et réparations de partie de ces mêmes armes ; et qu’il venait me supplier, quel que fût le marché que j’eusse fait avec ce la Haye, de trouver bon qu’il mît opposition entre mes mains. C’est, dit-il, un nommé Provins, bon ouvrier, et même brocanteur, qui a beaucoup d’enfants, et qu’une pareille perte conduirait à sa ruine entière.

— Monsieur, lui dis-je, il ne faut point de prière pour cela ; je ne puis refuser une opposition qu’on m’apporte. M. de la Hogue ne m’a rien dit de cette créance un peu forte : je lui en ferai des reproches : car je n’ai point fait un marché sec, où rien n’aurait pu me guider, n’ayant point vu ces armes-là. Mais je l’ai bien intéressé à faire une affaire honorable ; et si de grands malheurs ne fondent pas sur l’entreprise, votre homme sera loin de perdre ce qu’on lui doit. Mais quel intérêt prenez-vous à ce créancier de la Haye ? — Je ne vous cacherai pas, dit-il, qu’étant moi-même assez dérangé de fortune, je l’avais protégé aux bureaux de la guerre, pour lui faire avoir un marché pour une partie de ces armes, du temps de M. Duportail. Les assignats alors perdaient très-peu de chose. Il avait fait son compte pour vingt livres, même moins ; mais, n’ayant pas trouvé ses fonds, les assignats sont tombés tout à coup, et son marché n’a pu se soutenir, parce qu’enfin il a donné trop d’intérêt dans cette affaire, et que ses bailleurs de fonds ont fait une lourde faillite. J’avais moi-même intérêt dedans avec quelques-uns de ces messieurs. Ah ! c’est un grand malheur pour lui de n’avoir pas pensé à vous ! — Ne le regrettez pas, monsieur, lui dis-je : quelque Français qui me l’eût proposée, je ne l’eusse pas acceptée : je connais trop leurs tripotages ! J’ai même cru l’affaire nette, et je suis très-fâché de lui trouver des embarras de cette nature. Au reste, je vous remercie de l’égard qui vous fait me prévenir sur cette opposition ; je la reçois, et vous donne ma parole d’en écrire à M. la Haye. S’il leur faut un conciliateur, je le serai avec plaisir.

L’opposition me vint ; je la reçus. J’écrivis à la Haye, qui pour réponse me dit qu'il ne devait rien à cet homme ; et que quant aux objets dont il réclamait le salaire, je n’avais qu’à écrire à M. de la Hogue : qu’il m’enverrait par sa réponse les quittances de ces objets, que l’on avait payés pour moi à l’acquit de la masse entière. Alors je me tins sur mes gardes.

Enfin, lorsque j’ai vu qu’outre l’opposition en mes mains, on avait fait mettre à cet homme une opposition sur moi à l’hôtel de la Guerre (sur moi, qui ne l’avais vu ni connu dans aucune espèce d’affaire), j’ai reconnu la sourde intrigue qui me faisait expier le tort d’être sorti de mon repos pour troubler leur maquignonnage. Alors avec un homme de loi je vis ce marchand brocanteur, supposant que quelque homme avide d’accumuler des frais à ses dépens lui avait fait faire cette faute. Mais comme ce Provins n’est qu’un brise-raison, nous n’en pûmes rien obtenir. Il fut assigné sur-le-champ, a épuisé tous les délais, a été condamné partout ; mais sous les auspices du désordre il a si bien filé le temps, de condamnation en condamnation, qu’il a usé plus de cinq mois. Sur opposition frauduleuse, il m’a empêché de toucher mes propres cinquante mille écus. J’ai proposé au département de la guerre de retenir tout ce que demandait cet homme, et de me délivrer le reste jusqu’à dernière condamnation. Le sévère M. Vauchel n’a pas alors voulu y consentir, et moi j’ai commencé à voir plus clair dans cette affaire ; et, laissant là les cinquante mille écus jusqu’après les trente délais par lesquels, grâce au ciel, le plus dénué scélérat peut arrêter pendant six mois une affaire nationale en vertu des nouvelles lois, j’ai rendu cet homme garant de toutes mes pertes successives, et j’ai fait un emprunt onéreux. Mais qu’importe à un insolvable de subir des condamnations ? son déshonneur est son acquittement.

Mon avoué vous portera, Lecointre, les cinq ou six condamnations que cet homme a déjà subies ; il en est maintenant, au tribunal du premier arrondissement, sur son appel du jugement définitif du tribunal présidé par l’intègre d’Ormesson, lequel l’a condamné trois fois. Tel est Provins et compagnie.

Quittons ces plates intrigues ; vous en verrez bien d’autres d’un genre un peu plus relevé ! Mais tout a semblé bon pour nuire à cette affaire par le motif que vous savez : Nul ne fournira rien, hors nous et nos amis.


TROISIÈME ÉPOQUE

Je me suis engagé, Lecointre, à vous bien éclairer sur tous les points de ma conduite : j’ai promis de tirer ma justification publique de la série entière des choses dites, écrites et faites par moi chaque journée des pénibles neuf mois dont je rends compte à la nation ; en sorte qu’on pût voir dans mes actions, mes conférences, mes lettres et mes déclarations, un rapport si exact, qu’elles frappassent les bons esprits par leur accord, leur suite et leur identité.

Le dénonciateur trompé, qui s’exaspère à la tribune, peut s’exempter de suivre une méthode aussi sévère. Soutenu par l’idée qu’on a de son patriotisme, il peut s’égarer dans le vague, et tout dire sans rien prouver. Ses auditeurs, s’en rapportant à lui, suivent peu ses raisonnements, ne relèvent point ses erreurs, ne combattent point ses injures ; et l’on finit souvent par prononcer, ou de pure confiance en son zèle, ou de lassitude d’entendre accuser sans contradicteur.

Mais l’homme qui se défend ne peut sortir un moment de sa thèse : il faut qu’il ait six fois raison avant qu’on le lui accorde une, car il a contre lui la prévention involontaire qui pèse sur un accusé, la répugnance que tout juge a de revenir sur lui-même après avoir émis son opinion, et contre un décret prononcé. C’est pour vous armer contre moi que je vous fais toutes ces remarques. Suivez-moi bien sévèrement, et surtout ne me passez rien. Mon espoir est de ramener, à force de preuves évidentes, l’équité de la Convention sur un décret lancé contre un homme innocent, un citoyen irréprochable. Et, de plus, j’ai juré de faire mon avocat de vous mon dénonciateur ! Veillez donc bien sur ce que je vais dire : c’est votre affaire, et non la mienne. Je continue mon exposé.


Nos ennemis du dehors de la France, après avoir suivi M. de la Hogue dans le dessein de nuire à l’affaire des fusils, en lui jouant un mauvais tour ; après avoir usé tout leur crédit à nous faire dégoûter de ces armes en Hollande ; voyant qu’ils ne pouvaient ni me lasser ni me surprendre, ont pensé que ce qui leur restait de mieux à faire était de traiter à l’amiable, de m’en offrir un prix fort attrayant.

Par toutes sortes d’agents, et sous toutes les formes, ils ont tenté de stimuler ma cupidité mercantile. La Hogue me l’avait écrit dix fois, pour me prouver que nous étions bien pourchassés par les vendeurs et les acheteurs. Au moins ceux du dehors se montraient-ils conséquents à leurs intérêts. Mais les obstacles de nos gens, de nos bureaux, de nos ministres !… cela me mettait en fureur. C’est ce que j’écrivais à la Hogue en réponse.

Le 29 juin, je suis fort étonné de le voir arriver chez moi. Vous devez croire, me dit-il, que c’est l’affaire des fusils qui m’amène. Certes, il en sera bien question ; mais elle ne marche ici qu’en seconde ligne. Je suis courrier extraordinaire, et chargé par M. de Maulde, notre ambassadeur à la Haye, de dépêches si importantes, qu’il n’a voulu les confier qu’à ma foi, qu’à ma probité.

À force de recherches, il a eu des notions certaines qu’il y avait dans Amsterdam une fabrique d’assignats. Il a pu tout faire arrêter, avec l’espoir d’avoir les ustensiles et les hommes, et peut-être, en les surprenant, de trouver dans leur nid d’autres pièces fort importantes ; mais, le dirai-je à notre honte ? pendant que les ambassadeurs nagent dans l’abondance à la Haye, qu’ils ont tous les plus grands moyens pour faire de la politique, j’ai vu M. de Maulde ne pas avoir de quoi fournir aux frais de ces arrestations ; et les faussaires lui échappaient, si je ne lui eusse pas prêté six mille florins en votre nom !

L’épisode de ces dépêches, dont mon ami fut le porteur, répandrait un beau jour sur l’affaire des fusils, honorerait notre civisme, et ferait connaître l’esprit qui animait tous ceux qui s’en mêlèrent ; mais cela jetterait quelque langueur sur mon narré ; j’aime mieux me priver de l’avantage que j’en pourrais tirer. Je le réserve pour un autre moment[1].

Je racontai à M. de la Hogue les mille et une angoisses que j’avais éprouvées, sans avoir avancé d’un pas l’extradition de nos fusils.

— Ah ! me dit-il, je viens, avec bien du regret, vous répéter que c’est partout de même ; qu’il faut tâcher de vous tirer de cette épouvantable affaire. La malveillance est telle en Hollande, comme ici, que votre fortune y passera, devant que vous obteniez l’extradition des armes de Tervére. La France vous dessert, et la Hollande sert l’Autriche : comment voulez-vous, seul, sortir de ce filet ? Je vous apporte la grande requête que j’ai faite pour vous en réponse à une note du ministre de l’empereur, et fait remettre par M. de Maulde au greffier des états de Hollande, et la ridicule réponse qu’on nous a faite au nom de ces états : quand les ministres l’auront lue, ils connaîtront les vrais obstacles qui retiennent la cargaison.

— Mon ami, ils ne lisent rien, ne répondent à rien, ne font rien que d’intriguer dans leur parti, qui n’est point la chose publique. C’est un désordre ici qui fait frémir ! et l’on veut, à travers cela, marcher à une constitution ? Je jure qu’ils ne le veulent pas. Mais qu’est-ce que les états de Hollande ont répondu à la requête ? — Des choses vagues, insignifiantes, fausses. Et tout est bon, pourvu qu’on gagne du temps contre vous. J’apporte leur réponse.

Si vous aviez voulu céder ces armes au plus haut prix, là-bas, vos embarras seraient finis. Votre argent vous serait rentré avec un bénéfice immense ; et le plus grand de tous, c’est qu’on les enlevait en bloc, comme vous les avez achetées, sans triage et sans embarras. M. de Maulde est bien instruit des offres que l’on nous a faites, car rien n’échappe en ce pays à ses vigilantes recherches.

Je sais, lui dis-je, ce qu’il a écrit là-dessus, et le peu qu’on a répondu. J’ai trouvé le moyen ici d’avoir des notices exactes : cela n’est pas à bon marché ; mais, comme c’est pour le bien de l’affaire, il faut que l’affaire porte tout, Car ce n’est plus une entreprise de commerce, c’est une affaire d’honneur et de patriotisme : je vais plus loin, d’obstination. Ils ont juré que les fusils n’arriveraient pas, moi j’ai juré qu’autre puissance que la nation ne les aurait. Mon premier motif est le besoin que nous en avons.

Or voici de nouveaux ministres, nous allons voir comment ils procéderont ; mais, quelque mal qu’ils puissent faire contre l’arrivée des fusils, je les défie de faire pis que ceux qui leur cèdent la place ! Sur ma simple demande, M. Chambonas nous fit dire que, le soir même, M. Lajard et lui nous recevraient chez eux. J’y allai, bien déterminé à montrer à ces deux ministres toute la fermeté qui m’avait attiré la disgrâce de M. Clavière.

J’avais le portefeuille de mes correspondances : j’instruisis fort au long les ministres ; ils nous donnèrent audience complète, et telle qu’aucun prédécesseur ne m’en avait jamais donné. — Enfin, monsieur, me dirent-ils, résumez-vous. Que voulez-vous et que demandez-vous ?

— Je ne demande plus, messieurs, leur dis-je, qu’on m’aide à faire arriver ces fusils, je sens trop qu’on ne le veut pas. Je demande seulement qu’on me dise qu’on n’en a pas besoin ; qu’ils sont trop épineux, trop chers, ou trop embarrassés ; enfin tout ce qu’on voudra ; mais qu’on le dise par écrit, afin que cet écrit fasse ma justification. Je n’ai cessé de le demander aux ministres vos prédécesseurs : non que je voie sans douleur la France privée de ces armes ; mais je sais trop que le fond de ceci est qu’on veut m’abreuver de tant de dégoûts à la fois, que, dépité, je vende les armes en Hollande, afin de crier dans Paris que mon patriotisme était une chimère, et que j’ai créé les obstacles qui ont enfin porté ces armes chez nos ennemis.

Quand vous m’aurez rendu, messieurs, et mes paroles et mes fusils, j’irai à l’Assemblée nationale, j’éléverai l’écrit que vous m’aurez donné, je prendrai l’assemblée à témoin de tout ce que j’ai fait pour nous procurer ce secours ; et si elle dit, comme les autres, ou que la nation n’en veut pas, ou qu’elle n’en a pas besoin, je prendrai conseil de moi-même pour savoir ce que j’en dois faire.

— Nous savons bien ce que vous en ferez, dit en riant un des ministres : vous les vendrez à beaux deniers comptants. M. de Maulde nous écrit qu’on vous en fait des offres magnifiques. — S’il écrit tout, messieurs, il doit vous dire aussi avec quel dédain j’ai refusé ces offres. — Aussi, me dit M. Chambonas, le mande-t-il très-positivement.

— Oui, monsieur, on les fait depuis plus de deux mois. Je n’avais point cherché à m’en faire un mérite ; mais, puisque M. de Maulde l’écrit, elles sont telles, ces offres, que tout autre que moi les aurait dix fois acceptées ; mon argent me serait rentré avec un très-fort bénéfice : mais je suis Français avant tout. Et cependant je ne puis soutenir l’état fâcheux où l’on me tient, qui détruit mon repos, et ma fortune, et ma santé, quand je puis d’un seul mot voir tout cela bien rétabli !

M. Lajard me répondit : Nous ne pouvons, de notre fait, rompre un traité d’armes si nécessaires, au moment où nous en manquons, sans consulter auparavant les trois comités réunis, diplomatique, militaire et des douze ; nous les consulterons, et nous vous donnerons réponse.

Le lendemain, M. Chambonas nous dit qu’il avait entamé l’affaire avec des membres des comités ; que, par les difficultés survenues en Hollande, on regardait assez le traité de M. de Graves comme rompu de fait ; mais qu’on était loin de me dire

qu’on ne voulait plus de ces armes, et moins encore de le signer, dans l’extrême besoin que l’on avait de mes fusils. — Monsieur, monsieur, répondis-je au ministre, ou vous voulez des armes, ou vous n’en voulez point. Je ne saurais prendre un parti sur les offres que l’on me fait qu’après une décision précise : cette décision, quelle qu’elle soit, je l’attends de votre honnêteté ; mais il me la faut par écrit.

— C’est qu’on craint, dit M. Lajard (en me regardant dans les yeux), que vous ne vouliez en user pour nous monter le prix des armes au taux, avantageux pour vous, des offres qu’on vous fait là-bas.

— Monsieur, lui dis-je avec chaleur, si l’on m’aide de bonne foi à lever l’injuste embargo que les Hollandais nous ont mis (en fournissant le cautionnement que mon vendeur exige avec justice), je donne ma parole d’honneur que dans ce cas nul acheteur n’aura les armes que la France, à qui je les ai destinées, quelque prix qu’on m’en offre ailleurs. Je donne ma parole d’honneur que je n’augmenterai point le prix de mon premier marché, quoique je pusse en avoir à l’instant plus de douze florins en or, au lieu de huit que je tiendrai de vous en assignats. Voulez-vous ma déclaration, pour la montrer aux trois comités réunis ? Je ne demande autre justice que de me trouver délivré de la fâcheuse incertitude qui m’a tant tourmenté depuis trois mois sur l’éventualité du prix des assignats à époque incertaine ; au point que j’ai souvent pensé, en suivant la conduite impolitique, impatriote, injuste des ministres passés, que l’on voulait traîner les choses jusqu’au moment où, l’assignat tombant à une perte excessive, on me ferait offre réelle, en exigeant de moi la livraison subite : et j’en ai vu assez pour m’attendre à ce beau procès. Et tout cela pour n’avoir pas pu gagner sur la timidité de M. de Graves la justice de traiter en florins avec moi, parce que ce n’était point l’usage dans les fiers bureaux de la guerre : mais ils ont cent moyens de se dédommager, quand moi je n’en veux pas un seul.

— Mais qui nous assurera, me dit l’un des ministres, que, fatigué par les obstacles qui retiennent ces armes en Zélande, vous ne les vendrez pas à d’autres, quoique nous ayons vos paroles ? car enfin vous êtes négociant, et ne faites de grandes affaires que pour gagner beaucoup d’argent ?

— J’entends votre objection, monsieur ; elle pourrait être un peu plus obligeante : quoi qu’il en soit, je vais vous délivrer de toute inquiétude à cet égard. Pour vous bien assurer qu’aucune autre offre ne pourra me séduire, faites recevoir à l’instant mon expropriation et la livraison à Tervére, par qui vous jugerez à propos : la chose étant devenue vôtre, vous aurez seuls le droit d’en disposer. Puis-je aller plus loin avec vous ? daignez me l’indiquer, messieurs. Pour purger mon patriotisme des soupçons dont on l’a couvert, il n’est rien, rien à quoi je ne me soumette.

À l’air étonné des ministres, je vis qu’ils étaient prévenus. — Quoi ! monsieur Beaumarchais, vous parlez sérieusement ? Quoi ! si nous vous prenions au mot, vous auriez le courage de ne pas reculer ? — Le courage, messieurs ! c’est de ma pleine volonté que j’en fais l’offre et la déclaration. — Eh bien ! me dit M. Lajard, mettez-nous cela par écrit : nous consulterons sérieusement les trois comités réunis.

Le lendemain 9 juillet, les ministres reçurent de moi le net résumé que voici :

BEAUMARCHAIS.
À MM. LAJARD ET CHAMBONAS, MINISTRES DE LA GUERRE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.


« 9 juillet 1792..
« MESSIEURS,

« Vous le savez, il faut en toute affaire simplifier pour éclaircir. Permettez-moi de rappeler les principes que j’ai posés dans la conférence d’hier, eT que vous parûtes adopter. — Comme négociant, ai-je dit, je n’aurais nul besoin que le gouvernement français se substituât à moi dans l’affaire des fusils de Hollande, si je rompais mon traité avec lui (à Dieu ne plaise !). Et vous avez, messieurs, la preuve dans vos mains que la meilleure et la plus courte façon pour moi de terminer l’affaire à mon grand avantage est certes bien en mon pouvoir, si je veux me borner aux vues commerciales, puisqu’on ne cesse de m’offrir (avec promesse et même avec menace) de me rembourser sur-le-champ, en ducats cordonnés et sous le bénéfice qu’il me conviendra d’imposer, les soixante mille fusils que j’ai achetés en Hollande : votre ambassadeur vous l’écrit.

« Ce n’est donc point comme négociant, ce n’est point comme spéculateur que j’ai traité cette question avec MM. Lajard et Chambonas, mais en patriote français qui veut le bien de son pays avant tout, et le préfère à son propre avantage. Faites-moi la justice de vous en souvenir.

« Je vous ai propose, messieurs, de vous substituer à moi, en recevant la livraison de toutes mes armes à Tervére, la subite déclaration de la guerre ayant apporté un obstacle invincible pour moi à les livrer en France, et le ministère français ayant des moyens qui me manquent de faire lever l’injuste embargo hollandais, et d’amener ces fusils à Dunkerque. Je vous ai fait sentir, messieurs, que votre premier avantage était, en ceci, d’empêcher nos ennemis de s’en emparer par la force, comme on m’en menace aujourd’hui, les Hollandais ne pouvant hasarder de laisser faire contre un gouvernement ce qu’ils protégeront peut-être contre un simple particulier.

« En vous expliquant bien ceci, messieurs, je n’ai fait que renouveler ce que j’ai dit vingt fois aux ministres vos prédécesseurs.

« Ne pouvant amener au Havre une cargaison d’armes que l’on me retient en Zélande contre justice et droit des gens, je vous pose ainsi la question :

« Quand le ministère m’a pressé d’acheter ces fusils pour le service de la France, les sacrifices d’argent ne m’ont pas arrêté : depuis trois mois je tiens ces armes en magasin, mais je ne les tiens qu’en Zélande : et vous savez que le gouvernement d’Autriche engage celui de Hollande à les empêcher d’en sortir, sans aucun prétexte plausible, uniquement parce qu’ils sont les plus forts et peuvent être impunément injustes à l’égard d’un particulier. Ces fusils sont donc à Tervère. Ils y sont pour votre service, et voici mon dilemme unique :

« La France a-t-elle besoin des armes ? et surtout vous importe-t-il qu’elles ne passent point dans les mains de nos ennemis, qui les demandent à tout prix, ce qui doublerait le dommage ? Recevez-en la livraison à Tervère, en place du Havre, où je ne puis plus vous la faire. C’est le seul changement que je propose à mon traité, car je ne vous dis point : Messieurs, rompez le traité de ces armes entre M. de Graves et moi ; au contraire, je vous propose d’accélérer sa conclusion, pour vous assurer qu’il l’aura, en faisant faire la réception des armes dans ce port, où elles sont encore. Alors vous agirez de couronne à couronne ; et l’on aura bientôt raison, parce qu’on vous respectera, quand on n’a nul égard pour moi.

« Ne voulez-vous pas à l’instant vous mettre en possession des fusils ? moyen qui peut seul empêcher peut-être qu’on ne s’en empare par la force, si je m’obstine à ne pas les leur vendre : alors (et je le dis avec un grand regret) déclarez-moi, messieurs que vous vous ne voulez plus de armes, et que vous renoncez de les avoir à vous par ma livraison à Tervère, m’autorisant à m’en défaire à moins de perte et de risque possible.

« Obligé de céder à l’empire des circonstances, je porterai sur le bureau de l’Assemblée nationale tous mes marchés et correspondances, enfin les détails bien prouvés de mes efforts patriotiques pour procurer ces armes à la France. Alors, bien affligé, mais dégagé de prendre une peine inutile pour servir mon pays en ce point quand je n’y suis aidé par aucun des pouvoirs, et quand depuis trois mois mes capitaux sont loin de moi, engagés, arrêtés avec des pertes incalculables, j’écrirai en Hollande : Laissez aller ces malheureux fusils aux conditions qu’on vous en offre, plutôt que de les voir enlever par la force, et de n’avoir après tout pour espoir que l’aperçu d’un éternel procès dont je ne sortirais jamais, contre mon vendeur et l’État, pour pour cause de violence, d’une part, et de non-livraison, l’autre.

« Ne croyez pas, messieurs, qu’un transport fictif envers vous pût me tirer de l’embarras où je me trouve ! au contraire, il me ferait perdre le seul temps qui me reste pour retirer mes capitaux, engagés si longtemps pour le service de la patrie. Il m’enlèverait tout pouvoir d’échanger contre des ducats ces armes dont vos ennemis ont bien autant besoin que vous, et qu’ils ne cessent de demander, en s’offensant de mes refus constants.

« Quel serait notre sort, messieurs, si, par un traité simulé, vous plaidiez ma cause en Hollande, au lieu d’y débattre la vôtre, et ne réussissiez pas à conduire les armes à Dunkerque dans un temps utile pour vous ? Il vous resterait l’avantage d’avoir au moins empêché l’ennemi de s’en servir contre vous-mêmes, pendant toute la guerre actuelle : et moi, privé de tous mes fonds, je n’obtiendrais pour récompense d’avoir bien servi mon pays, que le désespoir de me voir une horrible quantité d’armes que je ne vendrais à personne, personne n’en ayant plus besoin ! je serais ruiné, abîmé ; sans doute vous ne le voulez pas.

« On m’objecte, messieurs, que votre responsabilité s’expose, si vous annulez le traité de M. de Graves avec moi ! Oui, messieurs, elle est exposée si vous annulez ce marché pour laisser vendre aux ennemis les fusils achetés pour vous ; mais non pas si vous l’échangez contre un traité définitif qui vous assure que l’ennemi ne s’emparera point des armes, puisque, étant reconnues propriété nationale, les Hollandais ne peuvent plus, à moins de déclarer la guerre, souffrir ouvertement chez eux que l’on viole leur territoire pour vous faire une insulte dont ils deviendraient les complices ! Voilà la question bien posée sur ce qui tient, messieurs, à la responsabilité des ministres dans cette affaire.

« Quant à la conférence d’hier, en voici le court résumé. Je vous ai proposé, messieurs, de vous faire la livraison des armes réellement, et non fictivement, à Tervère, en place du Havre, sur les motifs que vous venez de lire ; ou que vous déclariez, en annulant le traité de M. de Graves, que vous ne vous ne voulez plus des armes pour la France, et me rendez l’entière liberté de faire recouvrer mes fonds où, quand et comme je pourrai, sauf les justes indemnités ! Je vous supplie, messieurs, de m’accorder la faveur d’une prompte réponse, car je cours d’imminents dangers, que mon ardent patriotisme est bien loin d’avoir mérités ! vous-mêmes avez eu la bonté de me le dire hier matin.

« Recevez, messieurs, les respects d’un bon citoyen affligé.

Signé Caron de Beaumarchais. »

Je fus trois jours sans avoir de nouvelles. Je priai M. de la Hogue de passer aux affaires étrangères. Il ne rapporta pour réponse qu’il avait rendez-vous le soir même aux trois comités réunis, diplomatique, militaire et des douze. Eh bien ! nous allons voir, lui dis-je, si les ministres sont de bonne foi : car enfin les trois comités ont, comme moi, les yeux ouverts sur eux. La Hogue fut aux comités ; il y plaida (au grand étonnement de tous) la nature des obstacles français et hollandais qui arrêtaient ces fusils à Tervère. Le fond de son discours, tiré de ma lettre aux ministres, de ma requête aux états de Hollande, de leur pitoyable réponse, qui étaient là sur le bureau, et jetaient sur toute l’affaire un jour lumineux et pressant ; son discours, sa conclusion, furent : qu’il y avait un avantage immense pour toi (comme négociant) que l’on me rendît maître de disposer de mes fusils ; que sous huit jours alors je remettrais les cinq cent mille francs d’assignats comme je les avais reçus, parce que je recevrais dans quatre jours, au prix de plus de douze florins, les ducats bien comptés de la masse entière des fusils. Il ajouta qu’on lui avait offert, à lui, mille louis et plus, pour qu’il tentât de m’y déterminer. Mais il assura bien messieurs des comités que (comme patriote) je les laissais les maîtres de juger, non dans mon intérêt, mais dans celui de la nation, si ce parti convenait à la France.

Pouvait-il s’expliquer plus généreusement en mon nom ?

M. de la Hogue entendit la lecture de la lettre honorable de notre ministre à la Haye, que M. Chambonas avait eu l’équité d’envoyer aux trois comités. Oui, honorable à mon patriotisme ! et qui me valut de leur part les grands éloges dont j’ai parlé dans ma pétition de défense. Or, cette lettre, la voici ; je m’en suis fait donner une bonne expédition par les affaires étrangères, quand elles n’étaient pas si étranges à mon égard qu’elles le sont devenues depuis que M. Lebrun en fait son patrimoine :

M. de Maulde à M. Dumouriez, ministre des affaires étrangères.

« À la Haye, le 2 juin 1792, l’an IV de ia liberté.

« Monsieur,

« La présente vous sera remise par M. de la Hogue, associé de M. Beaumarchais pour l’acquisition des armes qui sont à Tervère. Les tentatives qu’il a faites jusqu’à présent, n’ayant pu en obtenir l’exportation, ont été infructueuses, malgré tout le zèle qu’il a pu y mettre. Mais je dois rendre justice à son patriotisme ainsi qu’à celui de M. Beaumarchais, en disant qu’ils ont refusé des offres infiniment avantageuses, et au moyen desquelles ils auraient recouvré, même avec un fort bénéfice, tous leurs capitaux, par la seule raison que c’étaient des ennemis de l’État qui leur faisaient ces propositions.

« Je m’empresse, monsieur, de leur rendre cette justice, ne doutant pas que vous la prendrez en d’autant plus grande considération, qu’en éprouvant un retard pour la rentrée de leurs fonds, ils ont, par leur refus constant, rendu à la nation un service essentiel, en empêchant au moins ces armes d’être dans les mains des ennemis.

« Le ministre plénipotentiaire de France à la Haye,

« Signé Emm. de Maulde. »

J’ai demandé aussi aux affaires étrangères expédition de la lettre que le ministre Chambonas avait écrite au président des comités, en leur envoyant mon mémoire ; et je la joins ici pour établir mon corps de preuve, à votre gré, Lecointre, et sans lacune ; la voici :

Le ministre des affaires étrangères aux trois comités réunis,

« Du 11 juillet 1792.

« Monsieur le président,

« Le moment où les trois comités, militaire, diplomatique et des douze, sont réunis pour aviser à tous les moyens d’augmenter les forces intérieures de l’empire, me paraît propre à leur soumettre une question aussi difficile qu’essentielle, et sur laquelle le ministère prononcerait avec plus de confiance, s’il connaissait l’avis des membres qui composent ces comités.

« En vous adressant, monsieur le président, le clair et court mémoire qui a été remis à M. Lajard et à moi par M. Beaumarchais, négociant et propriétaire des soixante mille fusils qui font l’objet de ce mémoire, et dont l’extradition est devenue très-difficile depuis la déclaration de guerre, je crois pouvoir me dispenser d’entrer dans tout autre détail que celui de vous assurer que tous les efforts patriotiques du négociant à ce sujet sont, depuis trois grands mois, absolument infructueux, et qu’il les a portés aussi loin qu’un particulier peut le faire par le sacrifice de ses propres intérêts. Il demande avec raison une prompte décision : la lecture du mémoire suffira ; et tous les éclaircissements que l’officier par qui j’ai l’honneur de vous l’envoyer est seul en état de donner, ne laisseront rien à désirer aux trois comités réunis sur cette importante affaire. Cet officier a traité lui-même cette affaire en Hollande, au nom de M. Beaumarchais, son ami, tant avec le vendeur, le gouvernement et l’amirauté, qu’avec notre ministre à la Haye, lequel a été spécialement chargé par mon prédécesseur de réclamer ces armes comme la propriété d’un négociant français, injustement retenue en Hollande ; grief dont il demandait à grands cris le redressement à la France. L’objet est capital, sous le double point de vue de faire entrer enfin ces armes en les réclamant comme une propriété devenue nationale, et d’empêcher surtout que nos ennemis ne parviennent à s’en emparer avec force, si elles restent plus longtemps celle d’un simple négociant, comme il en paraît menacé.

« Je crois qu’il y aurait du danger que cette question fût agitée dans le sein de l’Assemblée nationale, à cause de la publicité ; mais, si vous voulez bien, monsieur le président, me faire connaître l’avis des comités, je ferai repartir sur-le-champ M. de la Hogue, qui a été porteur des dépêches de notre ministre à la Haye, pour que ce dernier fasse à l’instant ce qui sera nécessaire pour faire cesser une injustice qui nous est si préjudiciable.

« Signé Chambonas. »

Il était impossible que des ministres, quels qu’ils fussent, se comportassent plus honorablement.

Le soir j’appris, par M. de la Hogue, qu’en général on convenait aux comités qu’il fallait accepter ce qu’on nommait mes offres généreuses, qui, de ma part, n’étaient que l’expression d’un vrai patriotisme, sûrement dans le cœur de tous. On dit à M. de la Hogue qu’on enverrait aux deux ministres l’avis des trois comités réunis. En l’écoutant, je fis un soupir de soulagement. Dieu soit béni ! dis-je : tous les hommes ne sont ni injustes ni atroces ! et la France aura les fusils.

Dans la crainte qu’on n’oubliât l’affaire, j’écrivis sur-le-champ cette lettre en forme de mémoire :

À messieurs des trois comités, diplomatique, militaire et des douze, en assemblée avec les deux ministres de la guerre et des affaires étrangères.

« 16 juillet 1792.
« Messieurs,

« Si, dans l’affaire des fusils détenus en Hollande, ma conduite vous a paru telle, que chacun de vous se fût honoré d’en tenir une semblable, en bons patriotes que vous êtes, je vous demande, pour toute récompense, de ne pas me laisser exposé à l’affreuse nécessité de céder aux demandes des ennemis de l’État !

« Je mourrais de chagrin, après ce que j’ai fait pour les priver de ces ressources, si votre décision me forçait à la honte de les laisser se mettre en possession des armes destinées à nos braves soldats.

« J’irai, pour les empêcher, au dernier terme de mon pouvoir : c’est à vous à faire le reste,

« Agréez, etc.

« Signé Beaumarchais. »

Le lendemain au soir, les ministres me dirent que mes offres étaient acceptées par les comités réunis, avec beaucoup de gratitude. Ils eurent même l’honnêteté, sur ma demande instante, de me communiquer l’avis particulier des trois comités réunis, dont je les suppliai de me faire donner copie, pour l’étudier et tâcher de m’y conformer, touché de voir qu’on commençait à m’entendre. La voici :

« 16 juillet 1792.


« L’avis de la commission des douze et des comités réunis.

« 1o  Pour conserver à la nation tous ses avantages et les moyens de retirer les fusils ; 2o  pour rendre toute justice au négociant, dont le marché doit être considéré comme rompu par force majeure, et qui cependant, pour conserver à la nation la possibilité d’avoir ces armes, n’use pas de ses droits, et refuse un fort bénéfice,

« A ÉTÉ :

« 1o  Qu’il ne faut pas acquérir, recevoir à Tervère, et réclamer ces armes, comme une propriété nationale, et qu’il est préférable d’agir fortement au nom de la nation, mais pour le négociant, et d’exiger le redressement du tort qui lui est fait par cette violation du droit des gens ; mettre à cette affaire la plus grande force et le plus grand éclat ;

« 2o  Reconnaître légalement, et faire attester en bonne forme par les ministres de la guerre et des affaires étrangères, que l’exécution du marché conclu avec M. de Graves, et la remise des armes au Havre ayant été empêchées par force majeure par la déclaration de guerre inopinée et la violation du droit des gens, ce marché doit être considéré comme résilié de fait ; mais que, puisqu’il est avantageux à la nation que le négociant, dont le patriotisme a préféré de rester dans une position dangereuse, et qui compromet sa fortune, ne profite pas de ses avantages, les fonds de ce négociant, qui restent engagés, et ne peinent rester tels qui d< son libre consentement, doivent lui être garantis, quel que soit l’événement, afin qu’il demeure indemne ;

« 3o  Que cet acte nouveau doit être conclu sur-le-champ, renfermer tous les moyens de dédommagement pour le négociant, quelles que puissent être les circonstances : car, sans cela, il serait forcé de livrer ces armes aux ennemis, et ne pourrait d’aucune manière être contraint à l’exécution du marché avec M. de Graves ;

« 4o  que de quelque manière que les fonds du négociant restent engagés, il a le droit d’exiger, contre la garantie suffisante des fonds, l’intérêt commercial ou industriel, depuis l’époque où par force majeure le marché s’est trouvé impossible à exécuter, 1 ( par conséquent nu. ;

« 5o  C’est un nouveau marché à conclure : il faut regarder le premier comme non avenu, remettre le cautionnement, et traiter le négociant comme possédant à Tervère des armes qu’il s’engage à ne livrer qu’à la nation : à condition que dans tous les temps elles seront reçues par la nation ; à condition que, si l’on fait la guerre à notre commerce en s’emparant de cette propriété sur le territoire hollandais, le dommage en sera supporté par la nation : ce qui est la seule garantie suffisante des frais engagés.

Telle est, ô citoyen Lecointre, la base sur laquelle porta le traité calomnié que les ministres consommèrent.

Il ne s’agit, me dirent-ils, que de bien donner à ces vues les formes d’un nouveau traité. Mais on désirerait savoir, dans la supposition qu’en vous expropriant aujourd’hui vous allez nous ôter la crainte de voir ces armes passer aux ennemis, si vous consentirez, par le même traité, de n’en être payé qu’au temps où l’on pourra les faire venir en France ; prenant pour le plus long délai la fin de cette guerre, la cessation de toute hostilité.

— Messieurs, leur dis-je, excusez-moi : ce que vous me proposez là est une autre éventualité pire que celle des assignats : car, si la guerre dure dix ans, je serai donc dix ans privé de mes fonds commerciaux. Je ne puis accepter cette offre ; aucun négociant ne le peut.

— Mais on vous allouera, dirent les ministres, aux termes de l’avis des trois comités réunis, pour la nullité de vos fonds, l’intérêt commercial ou industriel que vous exigerez, et qu’on sait bien vous être dû. C’est l’avis de tous ces messieurs, et c’est à vous à l’indiquer.

— Il n’y a point, messieurs, d’intérêt acceptable qui puisse dédommager un négociant de l’absence de ses fonds pour un temps indéterminé. Quel droit me reste à ces fusils, quand je vous les aurai livrés au seul endroit du monde où la chose est possible ? alors ils sont à vous ; et pourquoi préférer pour moi un intérêt industriel que je ne vous demande pas, à mon payement effectif, qui est juste et que je demande ?

— Ah ! c’est qu’on pense, me dit-on, que l’attrait d’avoir votre argent plus tôt vous engagera à continuer de faire autant d’efforts pour les tirer de là, que si ces armes, que nous réclamerons comme vôtres, étaient encore effectivement à vous.

— Messieurs, mes efforts ne sont rien, si vous n’y joignez pas les vôtres. Si c’est pour échauffer mon zèle (dont on ne peut pourtant douter, après mes sacrifices immenses) que vous voulez garder mes fonds, quand je me suis exproprié des armes, je ferai encore celui-là ; mais je n’indiquerai point l’intérêt commercial d’une aussi bizarre mesure, qui me répugne étrangement. Vous ou les comités, appréciez-le vous-mêmes. Je n’y mets qu’une condition. J’ai tellement été vexé, que si d’autres ministres, et tels que j’en connais, vous succédaient un jour et me déniaient justice, je me verrais à leur merci ; et je sais ce qu’en vaut l’épreuve : j’ai passé par une fort dure !

Je demande qu’en vous donnant, par ma livraison à Tervère, toute la sûreté d’une expropriation parfaite, qui remet les armes en vos mains et vous ôte l’inquiétude que jamais je les vende à d’autres, les fonds destinés au payement soient déposés chez mon notaire, afin que la sûreté soit réciproque des deux parts ; et que toutes les vilenies des oppositions, des patentes, surtout de me faire valeter des mois entiers pour obtenir mon dû, ne puissent plus m’atteindre. Je demande, de plus, que votre propriété remonte au temps de mon traité avec M. de Graves, puisque les intérêts, magasinage et frais de toute nature, sont depuis ce temps à ma perte. A ce prix je n’objecte plus.

Les comités furent consultés de nouveau. Le df’pôt des fonds parut juste, alors que je m’expropriais, et l’acte ainsi fut minuté dans les bureaux de ces ministres. J’en ai les minutes, chargées en marge des observations du ministre de la guerre et d’un chef de bureau, à l’encre el au crayon. Lecointre, je vous les remettrai ; elles sonl dans mon portefeuille. C’est avec ce portefeuille-là, qui renferme toutes mes preuves, que je veux vous corrompre et vous acheter, vous el la Convention, afin qu’un grand feuilliste, que vous connaissez tous, ait encore une fois raison !

L’on proposa M. de Maulde, en qualité de maréchal de camp instruit, pour faire la réception des armes à Tervère ; lui qui était chargé d’en acheter tant d’autres ! Je l’acceptai avec plaisir, quoique je ne le connusse que sur sa réputation d’habile homme.

Et quant à la question de l’intérèl commercialindustriel d< mes fonds, dont on me privait, elle avait été, me dit-on, bien débattue aux comités. Enfin, puisque vous refusez, par déférence à leur avis, de vousexpliquer là-dessus, l’on uousj repose, me dit un des ministres, un intérêt de quinze ; our crut ; répondez net : l’acceptez-vous ?

— Messieurs, leur dis-je, si c’est comme dédommagement du sacrifice d’argent que je fais à la France en vous laissanl — armes au premier prix que je 1rs ai vendues, quand j’en pourrais loucher un bien plus fort, jt ne l’accepte pas, parer qu’il n’y a nulle proportion entre le sacrifice el I’ dédommagement offert, el que je ne uni— poinl à prix loui ce que mon civisme exige. Si c’est comme intérêt commercial de mes fonds, que vous retenez malgré moi. sans •/"■./’devine pourquoi, vous m’obligerez beaucoup plus de me payer, messieurs, en recevant ma livraison, et de garder coti intérêt, qui n’est qu’une ruine pour moi. L’on ae faii rien qu’avec des capitaux : les intà’êts sonl bons pour les oisifs.

Pour n’être remboursé qu’à la tin de la guerre, je n’en puis acceptt r non plus, si vous ne me mettez a mriue, eu me l’émettant quelque— fonds, de suivre des objets majeurs que j’ai entames malgré moi. Ou plutôt permettez que mon pavement tienne lieu de l’intérêt que vous m’offrez comme un dédommagement : car aucun emprunt que j’aie fait pour cette malheureuse affaire ne m’a coûté, tous frais payés, un intérêt plus médioen que celui que vous proposez pour me garder mes tonds un temps illimité. Une semblable perle ne saurait s’apprécier : interrogez tout le commerce. M. Vauchel, de l’artillerie, qui nous servait comme de rapporteur, prit la parole, et dit que -i j’acceptais l’intérêt qu’on m’offrait, au lieu du capital que l’on roulait garder, on me payerait cent mille florins comptant en déduction du prix des armes, pourvu que j’acceptasse des mandats à plusieurs époques.

Après quelques débats je me rendis avec regret. Les blancs de l’acte furent remplis, et nous nous retirâmes pour qu’on en fît quatre expéditions semblables : une pour le département de la guerre, l’autre pour celui des affaires étrangères, la troisième pour le dépôt des trois comités réunis, et la quatrième pour moi.

Le lendemain au soir, nous nous rassemblâmes à l’hôtel de la guerre, les ministres, MM. Vauchel, de la Hogue et moi, pour terminer.

Tels furent, Lecointre, les détails de i i tl nation. Avàis-je beaucoup influé sur tout ce qu’on venait de faire, contrariant en tout nies vues, me laissant pour tout avantage l’honneur di fices que j’avais consommés ? Avec cette authenticité, si les ministres étaient coupables, il faut pourtant prononcer net que les trois comités n’étaient guère plus innoa nts.

Voila donc le traité conclu après de longues discussions. Vous allez voir, ô citoyens, de quels moyens on s’est servi pour en éluder toutes les clauses, el me plonger dans de pires embarras que ceux dont j’avais tant souffert.

Vprès lecture faite du traité, à l’instant qu’on allai) signer, M. Vauchel (un des plus puissants objecteurs que j’aie rencontrés de ma vi que si mon notaire, axant quelque besoin d’une aussi forte somme, s’avisait, lui, de l’emporter, il s’agissail de décider qui de la nation ou de moi eu supporterait le dommage.

Je seutis que cette objection pouvait nous faire user un mois eu vains débats, au grand dommage de l affaire. Je tranchai la difficulté en disanl à M. Vauchel que personne ne le supporterait, parce qu’au lieu de déposer les florins que nous n’avions (jus, ni même des assignats au cours du change pour florins, on prendrait, enprésence des ministres, de lionnes lettre— de i hange i r la somme, au plus fort comme dans les lois anglaises ; puis passées à mon ordre et déposées ainsi chez le notaire, traitt s, comme on le voit, dont il nepourrait abusi i ; et qu’à leur échéance on les renouvellerait, sous les mômes formalités, jusqu’au terme du payement, à quelque époque qu’il pût se prolonger ; qu’on réglerait alors les différences en plus, en moins. Je courais, comme ou le voit, au-devant de tous les obstacles.

Cela parut raisonnable à tout le monde. Enfin M. Vauchel, se voyant si pressé, se tourne vers les deux ministres : — Il faut bien dire à M. Beaumarchais le vrai motif de la difficulté. L département de la guerre n’est pas assez en fonds pour se dessaisir si longtemps d’une aus iforti sommeavant ’i’la payt r.

Par quel renversement d’idées, répondis-je comme un éclair, voulez-vous me soumettre, moi, a nous laisser mes fonds, au hasard de la malveillance el d’une longue nullité, quand le gouvernement français ne se croit pas assez riche pour l’oser ? Messieurs, ceci rompt court. Permelti / que je me reine.

Je m’en allais. Vauchel m’arrêta, disant que je prenais le change sur l’intention qui I a parler ; qu’on ne prétendait point l’arracher de moi par violence, puisqm ledépotdt la sommt était ’•les comités ; mai » qu’après avoir fait tant d’honorables sacrifices, une marque di confianci dans le gouvernement français ne devait pas m’en semhler un ; qu’on ne voulait point me tromper ; qu’on m’en saurai ! le plus grand gré ; q mieux m’y déterminer, au lieu de ccntmilli florins que j’allais toucher tout à l’heure, si, pour faire aller mes affaires, j’en voulais toucher deua cent mille, on me les donnerait, pourvu que je tisse que les ordonnances fussent à poste, aux dates donl on conviendrait, ce qui diminuerait d’autant cet intérêt commercial qui paraissait m contrarier. La tête me brûlait ! Je me promenais -ans rien dire dans le cabinet du ministre, où l’on entrait à tout moment : je cherchais vainement le mot de cette énigme. J’étais horriblement tronlile.

Était-ce un piège, une réalité ? Les deux ministres, à qui je dois la. justice de dire qu’ils étaient pour néant dans ces difficultés, tout aussi que moi, m’assurèrent qu’on en rendrait le meilleur compte à [’assemblée des comités, et que j’en recevrais l’honneur dû à un si bon citoyen. M. Vauchel, regardant la chose comme arrêtée, quoique personne n’eût rien dit, emporta les minutepour le.— faire refaire dans la journée du lendemain, après avoir ôté de l’acte le dépôt mis chez mon notoire, eu ajoutant, comme reçus pab moi, deux , ■, n 1 mille florins au lieu de et nt. Quant à moi, je me retirai dans une contusion d’idées insupportable. Je voulais éi rire aux ministres que je les suppliais de trouver bon qu’il n’y eût rien de fait, leur redemandant mes paroles. Mais ils s’étaient conduits si honorablement ! L’on pouvait tourner contre moi mon invincible répugnance, en me supposant l’intention di revenirsur l’acte, pour préférer l’argenl des i nnemis à l’avantage de la patrie.

Enfin, très-indécis, le lendemain au soir nous fûmes chez M. Lazard. M. Vauchel y lut le nouvel acte, cependant que chacun collalionnail un des quadruples. M, oi, comme un déterré, j’cin isagi ais M. Vauchel, pour voir si tout étail fini, porteur lit signer les ministres ; mon tour vint : j’hésitais ; on me pressa : je signai sans parler. M. Vauchel serra un de mes quadruples dans sa poche ; et, comme je demandais les ordonnances de mes fonds, M. Vaucliel, s’attablanl pour— les taire, se rrssoia int subitement qu’il avail dans l’opposition d’un sieur Pi ans la mainlevée de laquelle aucun ministre, disait-il, ne pouvait me remettre une ordonnance de fonds.

— Mais, monsieur, dis-je avec chaleur, vous m’avez fait reconnaître dans l’acte que je les ai reçus comptant. — Cela est bien égal, dit-il. Il n’y a qu’à mettre une addition à l’acte, qui dira qu’attendu cette opposition, vous ne toucherez rien qu’elle ne soit levée.

— Messieurs, leur dis-je, ce Provins a été condamné deux fois ; il est sans titre contre moi, je n’ai nulle affaire avec lui : ce n’est qu’un instrument qu’on fait agir à défaut d’autre, pour m’arrêter de toutes les façons. Il demande quatre-vingt mille francs à mon vendeur le Brabançon, qui m’écrit ne lui rien devoir. Eh ! quel rapport cela peut-il avoir avec une affaire si majeure, qui regarde l’État et moi ? Gardez, si vous voulez, cent mille francs ou cent cinquante mille ; mais ne détruisez point un objet capital pour vous, en nous faisant user les mille et un délais que la loi accorde à cet homme, pour que l’arrêt qui le condamne ait son entière exécution.

— Monsieur, me dit M. Vauchel, cela est impossible au ministre ; mais faites en sorte que l’opposant s’explique au tribunal sur le maximum de sa prétention fausse ou vraie sur votre vendeur ; prenez-en acte : alors on pourra faire ce que vous demandez. — Non, non, monsieur, lui dis-je ; déchirons plutôt les traités, et qu’il n’en soit jamais question ! Dans huit jours au plus tard vous aurez vos cinq cent mille livres, et vous me rendrez mes contrats. — On ne déchire point d’acte, me dit M. Vauchel, quand un ministre l’a signé. Ces délais de condamnation solutive sont une affaire de quinze jours ; voulez-vous annuler un acte qui nous a coûté tant de soins, pour le retard d’une quinzaine ?

Pendant ce temps il faisait froidement l’addition à l’acte signé par nous tous, par laquelle il était bien dit que je ne touchais point’Tarif nt. Vous verrez, citoyens, quel usage on a fait depuis de mes reçus dans cet acte maudit, sans parler de la on qui en annulait l’effet. Vous en frémirez avec moi.

On me fit signer malgré moi l’addition ; et je m’en revins en fureur délibérer (trop tard) sur ce qu’il fallait faire, emportant avec moi les minutes du premier acte, chargées de la main du ministre, où le dépôt chez mon notaire est spécifié comme chose arrêtée. Je vus les remettrai, Leco C’était le 18 juillet. Provins avait été déjà jugé et condamné : mon avi l lit en me disant comme Vauchel : C’est l’affaire de quinze jours ! citoyens, voyez vos belles lois ! six mois après l’opposition, au 1< » décembre suivant, tous les délais de l’ordonnance n’étaient pas encore expirés ; et quand ils l’ont enfin été, lorsque ce Provins s’est trouvé condamné envers moi en tous dommages et intérêts, aii se pourvoir par appel contre cet arrêt. Il y a neuf mois que cela dure, et Dieu seul sait quand cela finira.

Nous avons depuis e auchel le conseillait, toutes les manières possibles de faire déclarer à cet homme devant le juge, à l’au quoi, pour le plus fort, il portail ses fai mandes contre le Brabançon mon vendeur, pour profiter de sa déclaration, en laisser le montant à la trésorerie nationale jusqu’à sa condamnation ultérieure, et me faire délivrer le reste. Mai— <>n l’avait trop bien endoctriné ! cet homme est resté dans le vague d’une opposition sans motif. Voilà ce que mon dénonciateur appelle ma reconnaissance de son droit.

Était-ce reconnaître un droit que de chercher tous les moyens d’engager le gouvernement à me payer, malgré cette opposition illusoire ? et pouvais-je ne pas céder, lorsqu’on refusait de le faire, après les signatures données sur l’acte portant mon reçu de sommes que je n’ai point reçues ? Me restait-il d’autre ressource, dans l’état où l’on m’avait mis, que de constater tout au moins, en cette restriction, que l’opposition de cet homme, n’avait parlé qu’après’< s signatures qu’on ne voulait plus annuler, avait suspendu des payements qu’on soutiendrait peut-être aujourd’hui m’avoir faits, notre acte en portant mon reçu, si l’addition signée ne démontrait pas le contraire ? Que n’ai-je pu ravoir cet acte et le déchirer en mille pièces à l’instant où j’ouvris les yeux ! Tout est horrible en cette affaire.

Arrêtons-nous ! je sens que mon lecteur se lasse. Mon indignation qui renaît me rend moi-même hors d’état de continuer avec modération.

Qu’avais-je donc gagné, Lecointre, en sacrifiant mon intérêt de vendre à l’étranger à l’intérêt bien plus puissant de servir la patrie ? Rien, sinon d’avoir reconnu que les ministres royalistes ni les comités réunis n’avaient cherché à nuire à cette affaire nationale ; qu’un fort parti dans les bureaux d’alors et les ministres populaires avaient seuls mis tous les obstacles qui nous empêchaient d’avancer.

Mais moi, quel était mon état ? J’avais perdu ma vraie propriété, et fait à mon pays le sacrifice d’avantages que l’on m’offrait ailleurs, sans avoir même acquis la sûreté de mon payement, puisqu’on m’avait forcé la main sur le dépôt chez m<ui ous le vain dédommagement d’un intérêt dontji im voulais pas, donl je n’aipas touchéunsou, quoiqu’on ait fail assurera Lecointre que l’on m’avait payé pour l’intérêt échu la somme de soixante-cinq mille livres, tandis qu’<m a trouvé moyen d’arrêter, sans me rien payer, les intérêts, les capitaux, enfin jusqu’à mon propre argent, par d’indignes oppositions !

Mais ceci n’était rien auprès de tout ce qui suivit. Malgré l’horreur que j’en ressens, j’ai commencé, il faut finir. Vous allez voir, ô citoyens ! par les époques qui vont suivre, jusqu’où, dans un temps de désordre, la scélératesse en crédit a osé porter son audace pour tâcher de faire périr un citoyen irréprochable, et parvenir enfin à voler la nation sans qu’on pût s’en apercevoir, comme on le fait de tous côtés. Mais malheur à qui m’a forcé d’entrer dans ces affreux détails ! Ils ont tous espéré me faire égorger par le peuple trompé ; cinq fois l’affreux poignard a menacé ma vie ; s’ils le font aujourd’hui, c’est un crime perdu : leur infamie est imprimée.

QUATRIÈME ÉPOQUE

Malgré l’angoisse que j’éprouve, il faut poursuivre mon récit. Ô Lecointre, si vous n’êtes pas un instrument banal de toutes les vengeances secrètes ; ô Convention nationale, qui m’avez jugé sans m’entendre, mais sur l’équité de laquelle repose encore tout mon espoir ; ô Français, à qui je m’adresse, écoutez un bon citoyen qui dévoile une vérité que l’intérêt national, contre son intérêt, le forçait seul de retenir !

Vous le devez. Souvenez-vous de ce dilemme sans réplique, inséré dans ma pétition : Si je ne prouve pas à votre gré que les traîtres à la patrie sont ceux qui me font accuser, je vous fais présent des fusils ; si ma preuve vous paraît bonne, je m’en rapporte à vous sur la justice qui m’est due.

Dévorez donc, ô citoyens, l’ennui de cette discussion ! Ce n’est point pour vous amuser que j’écris, c’est pour vous convaincre ; et vous y avez, j’ose dire, un plus grand intérêt que moi. Irréduite, je puis perdre sur ces

fusils ; mais vous, quand vous renoncez, vous faites à la fois une grande perte et une plus grande injustice.

Écoutez-moi aussi, vous qui applaudissiez quand on lança sur moi ce Taux décret d’accusation, comme si l’on eût annoncé un triomphe pour la patrie, com —i un motil secret eùl lait saisir à tout le momie un prétexte pour m

Ornes concitoyens, cette cause, entre non— ;, se divise en deux parts. Je dois prouver que j’ai rai-je ne puis aller plus loin. Vous qu’un >sé trompa, vous devez revenir sur vous cl me faire bonne justice : car la France et l’Eu : ni le proi es sous les yeux, pèseront à leur >ur dans leur balance redoutable 1 accusateur, I iccusé et les juges

Vucune di — pièces que je vous ai fait lire ne saurait être récusablc ; toutes sonl authentiques, 11 1’< notai ii ï, > ■ qui U s judiciairt s el pii > ■ d> < ndanec, dont les originaux sont dans les buministn s. C’est l’ouvrage de chaque jour, haque jour amenai ! sa peine ; el plus je vais mon lits, plus j’espère vous attacher à 1 — nd intérèl qui touche à la chose publique. Prêtez-moi donc votre attention.

Le lendemain de ce contrat tant de fois brusquement changé, contrat qui m’était tout el ne mi donnait rien, mon notaire me dit : « Vous êtes abusé : cette addition après les signatures, qui vous soumet a des délais pour toucher voln propre argent, qu’on peut prolonger tant qu’on veut, ni le trait.— qui la précède, ne disent pas un mot du sacrifice que l’on vous a fait faire du dépôt de vos fonds chez moi, régit par trois comités ; dépôt qu’on a eu Fart de retrancher de l’acte, sans qu il reste la moindre trace d’un dévouement aussi parlait. — Je ne puis croire, lui dis-je, que l’on ait eu cette intention cruelle., « Je ne vois pas non plus dans ce traité, dit-il. sur quel motif vous aurez droit de sollii itei d’autres fonds s’ils vous devenaienl nécessaires, ni même de toucher vos di ux >> nt milh florins, —i deministres malveillants prenaient la place de ceuxci. Je vois que l’on vous a mené, de circonstance en circonstance, à signer un ai te onéreux, plus onéreux qu’on n’ose due. puisqu’on n’j met pas pour motifs les sacrifices qui l’ont dénaturé. » Je revins chez moi, confondu île la faute que j’avais faite. Je me suis vu trois foi-, dis-je, pris sur le temps par les changements successifs du premier commis rapporteur. Mais les ministres on ! étési honnêtes ! Refuseront-ils de reconnaître que je fus patriote el désintéressé en sacrifiant le. — sûretés aux besoins du département ? oublieront-ils qu’ils m’ont promis di m’en foin un très-grand honneur auprès des comités de l’Assemblée nationale ?

Je vais leur écrire à l’instant. Leur conduite me montrera s’ils sont entrés pour quelque chose dans les atteintes qu’on me porte, s’ils ont cru servir le parti qu’on nomme autrichien et nuire à l’arrivée des armes, en faisant retenir mes fonds, sans lesquels je ne puis marcher, et sans qu’il me reste une preuve du mérite que j’eus de leur laisser mes capitaux, à la prière qu’ils m’en firent ! Mon cœur était serré dans un étau. Je pris la plume, et j’écrivis la lettre timide qui suit :

À MM. Lajard et Chambonas, ministres de la guerre et des affaires étrangères.

« 20 juillet 1792.

« Messieurs,

« Le traité qui vient d’être passé entre vous et moi, sur les soixante mille fusils retenus si injustement en Hollande, vous a donné de nouvelles preuves de l’abnégation continuelle que je fais de mes intérêts pour le service de la patrie.

« Vous avez insisté, messieurs, sur ce que je fisse aux besoins actuels du département de la guerre le sacrifice du dépôt convenu entre nous, chez mon notaire, de toute la somime qui m’est due, en vertu de ce même traité, jusqu’à son entier payement.

« Messieurs, des armes achetées et payées par moi, au comptant, depuis quatre grands mois ; les frais extraordinaires occasionnés par l’odieuse retenue que les Hollandais font des armes ; les emprunts à titre onéreux que l’absence de mes capitaux m’a forcé de conclure pour alimenter mes affaires, me rendaient la sûreté de la rentrée de mes fonds absolument indispensable. La préférence à très-bas prix et à crédit que mon patriotisme donne à la France, sur les offres au comptant d’un prix presque double du vôtre, que nos ennemis n’ont cessé de me faire, et dont vous avez toutes preuves, me donnait, je pense, le droit d’exiger le dépôt arrêté entre nous de l’argent qui me reste dû, d’après le traité d’avant-hier, ainsi que M. de Graves crut devoir exiger de moi celui de mes contrats viagers, lorsqu’il me fit une première avance ; mais vous avez désiré, messieurs, que j’en fisse le sacrifice, en me promettant tous les deux que le département de la guerre viendrait à mon secours, si, avant l’époque du dernier payement arrêté, j’avais besoin de nouveaux fonds pour le soutien de mes affaires ; et je l’ai fait.

« En relisant froidement le traité, je n’y trouve aucune trace de mon désistement du dépôt, ni de vos promesses à son sujet. Comment les prouverai-je aux ministres qui peuvent un jour vous succéder, messieurs, si je n’ai pas de vous un titre qui, rappelant mon sacrifice, me recommande à leur justice ? Je vous prie donc, messieurs, de vouloir bien régler et fixer entre vous, et même avec le chef du bureau de l’artillerie, qui a servi de rapporteur en cette affaire, et aux observations duquel, sur les besoins actuels du département de la guerre, est dû mon désistement du dépôt convenu ; voulez-vous bien, dis-je, régler sous quelle forme il convient de me donner un titre qui me fasse obtenir, dans un cas de besoin, les secours pécuniaires que vous m’avez promis ?

« Je profite de cette occasion, messieurs, pour vous rendre de nouvelles grâces, ainsi qu’à tous les honorables membres des trois comités, diplomatique, militaire et des douze réunis, du témoignage très-flatteur que vous avez tous daigné rendre à mon civisme désintéressé, lequel pourtant n’est, selon moi, qu’un devoir justement rempli, comme vous le feriez vous-mêmes, si vous vous trouviez à mon poste.

« Agréez, je vous prie, messieurs, le dévouement respectueux d’un bon citoyen.

"Signé Cakon de Beaumarchais. »

J’avoue que je restai dans une anxiété fâcheuse jusqu’au moment où leur réponse me parvint. La voici telle que je la reçus le lendemain vers le midi:

A M. de Beaumarchais.

.1 Tans, le 20 juillel 1192.

« Pour vous ôter, monsieur, toute inquiétude relativement au changement que nous avons dem indi m nouveau traité des armes, eu exigeantde tous que le dépôt du capital des fusils en florins courants de Hollande’, qui devrait être fait par l gouvernement chez votre notaire (comme vous avez fait celui de vos sept cent cinquanti milh contrats viagers, lors de l’avance de cinq cent mille francs, chez le notaire du département de la guerre 1, n’eût pas lieu, et que, l’argent restât de confiance dans les mains du gouvernement, nous vous répétons avec plaisir, monsieur, que l’opinion unanime des comités et des ministres ayant été que le patriotisme et le grand désintéressement dont vous avez fait preuve, en refusant des ennemis de l’État de douze à treize florins comptant des fusils que vous nous cédez à ferme sur le pied de huit florins huit sous, et la modique indemnité à laquelle vous vous restreignez pour tant de sacrifices, méritent les plus grands éloges, et qu’on vous traite fort honorablement sur cette affaire. Nous vous assurons de nouveau, monsieur, qu’après que l’état de la quantité des armes dont vous vous expropriez, reçues, vérifiées, ficelées et cachetées par M. de Maulde, nous sera parvenu, signé de ce ministre plénipotentiaire, ainsi que le compte de vos frais, au remboursement desquels le traité oblige envers vous le département de la guerre; si vous avez besoin de nouveaux fonds pour l’arrangement de vos affaires, sur le reliquat qui vous sera dû, le département de la guerre ne refusera pas de vous les faire compter, ainsi que nous en sommes convenus, pour vous tenir lieu du dépôt, chez votre notaire, dont vous vous désistez.

u Recevez-en notre assurance, monsieur. Sigm Le ministre de la guerre, A. Lajard. « Le ministre des affaires étrangères « Scipion Chambonas. •

En lisant cette lettre, je me disais:Ils ont senti mon affliction, et n’ont pas cru devoir m’y laisser un moment de plus. Grâces leur soient rendues ! Alors sortit de ma poitrine un soupir de soulagement. Je n’ai pas tout perdu, me dis-je; si d’autres embarras arrêtaient encore cette affaire, au moins serai-je justifié par les grands efforts que j’ai faits : les éloges qui j’en reçois seront ma douce récompense. Mais je dois, dans mon cœur, des excuses à tout le monde : on m’a fait soupçonner tout le conseil de malveillance ; j’ai soupçonné les deux ministres de vouloir nuire à l’arrivée des armes, pour servir un parti contraire : et tout cela n’existe point ! Heureusement que je ne suis coupable que dans le secret de mon cœur ; je n’ai nul tort public à réparer : il suffit que je m’en repente, et que j’aille demain remercier les ministres.

La prudence humaine est bien fausse ! Loin que tout le conseil ni ces ministres m’eussent nui, ah ! c’est le seul moment où cette affaire intéressante a été vraiment protégée. Je me méfierai désormais de tous les bruits que l’on répand. Arrêter ces fusils est une trop grande félonie, pour accuser légèrement d’un tel crime envers la nation ! Ceci n’est, je le vois, qu’une vengeance des bureaux, affaire de cupidité ; une grande leçon qu’ils me donnent de ne jamais tenter de bien qui trouble leurs arrangements, et qui nuise à la marche ordinaire du pillage.

J’allai dîner à la campagne ; une indisposition m’y retint. Deux jours après, on m’y vint dire que les ministres s’étaient retirés ; qu’un M. d’Abancourt avait la guerre, et M. Dubouchage les affaires étrangères. — Ah ciel ! me dis-je, celui qui perd un seul instant peut en perdre un irréparable. Si j’eusse différé d’un jour, je n’obtenais aucune preuve des sacrifices que j’ai faits !

Ma position changeant avec les choses, au lieu d’envoyer des reproches au chef des bureaux d’artillerie, pour tous les changements qu’il avait exigés dans l’acte refait à trois fois, je crus devoir substituer des remerciments sur les soins qu’il s’était donnés pour finir : le reste pouvait nuire, et n’était bon à rien. Puis, le 25 juillet je lui adressai cette lettre :

À M. Vauchel.

« Ce 23 juillet 1792.

« J’ai l’honneur, monsieur, de vous envoyer, de la campagne où je suis, l’un des quadruples du dernier traité que j’ai conclu avec les ministres de la guerre et des affaires étrangères (c’était l’expédition pour comités réunis). J’y joins celle de la lettre que j’ai eu l’honneur de leur écrire après la signature, et qui se rapporte aux nouvelles sommes qu’en cas de besoin dans mes affaires j’aurai droit d’obtenir, pour me tenir lieu du dépôt total chez mon notaire, dont vous savez que je me suis désisté, sur vos remarques’judicieuses. Mais mon notaire m’a fait observer que mon traité porte quittance de deux cent et tant de mille florins, comme reçus par moi ; et que j’ai consenti à ne les pas toucher que je n’eusse fait ordonner la mainlevée d’une absurde opposition, mise sur moi entre les mains du ministre de la guerre. Les deux ministres n’étant plus en fonctions, faites-moi, je vous prie, monsieur, le plaisir de me mander, en réponse, quelle forme il faudra que j’emploie envers notre nouveau ministre pour toucher ces deux cent mille florins. M. Lajard, comme vous savez, ne m’ayant point expédié d’ordonnance pour ces sommes, il m’en faut peut-être une du nouveau ministre, qui atteste que je n’ai rien touché. Recevez les salutations de

« Beaumarchais. »

Je sondais le terrain, car je voulais tenter d’accumuler mes preuves. M. Vauchel me fit cette réponse honnête :

« J’ai reçu, monsieur

« Paris, le 27 juillet 1792.

« J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, à laquelle étaient jointes une expédition de votre nouveau traité, et une autre de votre lettre à M. Lajard, etc.

« Il est vrai que votre traité porte quittance de deux cent et tant de mille florins, comme reçus par vous ; mais rien ne prouve mieux que ce payement n’a pas été effectué, que le consentement que vous avez mis au bas, que tout payement vous fût suspendu jusqu’à la mainlevée de l’opposition.

« Quant à l’exécution de votre traité, elle ne me paraît pas devoir être douteuse, quoique les deux ministres qui l’ont signé ne soient plus en place. Néanmoins il convient que vous en donniez connaissance vous-même au nouveau ministre de la guerre, en le prévenant qu’une expédition en forme de votre transaction existe au bureau de l’artillerie, qui par conséquent sera en état de lui en rendre compte, et de l’informer qu’il ne pourra vous être expédié d’ordonnance de payements que quand vous produirez la mainlevée (ici l’objecteur se montrait). Vous aurez encore, monsieur, une autre formalité à remplir avant de recevoir : ce sera dd faire chez votre notaire une déclaration par laquelle vous affecterez vos biens présents et à venir pour sûreté et garantie de la somme que vous recevrez, par le prochain à-compte, au delà des sept cent cinquante mille livres de contrats que vous avez déposés, pour les cinq cent mille francs que vous avez déjà touchés.

« Le chef du quatrième bureau de la guerre,

« Signé Vauchel. »

Il avait raison en ce point : car le cinquième article de mon dernier traité portait que je d irais hypothèque sur mes biens pour l’argent que je recevrais, jusqu’à l’expropriation entre les mains de À !, de Maulde ; laquelle, faisant la livraison, libérait alors tous mes biens.

ï 1 était l’état de l’affaire quand ces deux ministres quittèrent. Le cai rcial justement exigé par le premier vendeur (puisqu’il l’avait donné lui-même), et que le ministère allait fournir, aux termes de l’article s. une fois envoyé en Hollande, rien au monde n’arrêtait plus la livraison des armes fi Tervére. Quelque chose qu’on lit sous main pour empêcher l’extradition, quand même on trouverait le moyen d’éluder toutes les conditions de l’acte, celle du cautionnement remplie, je pourrais accomplir le reste avec des emprunts onéreux. Je devais donc tromper la malveillance, en me tenant à bien solliciter le cautionnement de cinquante mille florins, et patienter surtout le reste : car le besoin de ces fusils devenait chaque jour plus pressant pour nos volontaires sans armes. Profitant de l’avis de la lettre de M. Vauchel, je fis deux détails de l’affaire : l’un destinée M. d’Abancourt, l’autre pour M. Bubouchage : détails dont je fais grâce ici auMonm mt ni doit être fourni tout à à l’heure, attendu qu’il importe que la réclamation des armes promptement par le ministre de France auprès des états de Hollande, aux termes de l’article 8 du traité du 18 juillet ;

Que l’instruction adressée à M. de Maulde soit très-promptement expédiée et remise à M. de la Hogue, qui n’attend que ces pièces et son passeport pour partir ; avant à Dunkerque, depuis le 24 juin, et aux frais du gouvernement, le bateau qui l’a amené, par lequel il doit reporter à M. de Maulde la réponse, attendue depuis plus d’un mois, des importantes dépêches dont il a été le courrier. J’attends en vain. Point de réponse de M. d’Abancourt

; point de réponse non plus de M. Dubouchage :

mais leur ministère fut si court, qu’il n’y a point de reproche à leur faire. Je vis pendant ce temps, jusqu’à l’en impatienter, Bonne-Carrére, chargé du haut travail des affaires étrangères, oir b— caution passe-port de la

Hogue, si le désordre affreux où l’on vivait empêchait qu’on ne s’occupât des dépêches de M. de Maulde sur les fabricateurs d’assignats faussaires, qu’il tenait en prison en Hollande, et qu’on voulait arracher de ses mains : ce qui était un grand déde ne voir que moi, Bonne-Carrére un matin quitta son cabinet pour descendre chez le ministre régler avec lui les sûretés que M. Durvey demandait pour fournir le cautionnement, lorsque, tirant sa porte, un mal si violent, si subit, le saisit devant moi, qu’il fallut bien tout oublier pour voler à son secours, et ne plus s’occuper que de cet accident, qui le retint dix jours au lit, au grand retard du cautionnement désiré.

En revenant chez moi, je me disais : C’est une vraie malédiction ! Les hommes, les événements, la nature même, tout est contre.

Cependant j’obtins, le 31 juillet, le passe-port de M. de la Hogue, avec une courte lettre adressée a M. de Maulde ; mais pas un vestige de cautionnement. L’on fut même plus de quatre heures à chercher vainement les dépêches de M.de Maulde, tant le désordre était affreux ; à retrouver, dans le bureau du sieur Lebrun, les titres de six mille florins avancés en mon nom à cet ambassadeur, lorsqu’il fit arrêter les faussaires de Hollande, pour me faire rendre au moins cet argent-là. devenu nécessaire au départ de M. de la Hogue, tout le reste étant arrêté.

Si cet argent m’eût été dû au département de la guerre, je ne fais aucun doute que le sévère M. Vauchel n’eût objecté, sur ma demande, l’opposition du sieur Provins !

J’avais dit à tout le monde que M. de la Hogue partait pour faire arriver les fusils. Le voyant rester à Paris, où il attendait avec moi cet éternel cautionnement, on commençait à murmurer que j’arrêtais M. de la Hogue, et ne voulais pas sûrement que ies nous vinssent pendant que l’ennemi pénétrait dans la France, et que de tous côtés nos soldats manquaient de fusils ! De fréquents avis m’arrivaient.

Je priai mon ami d’aller attendre, au Havre, que j’eusse vaincu les obstacles qu’un profond d mettait dans l’expédition des ministres, aliu eue, ■parti, les cris du peuple s’apaisa quitta tristement Paris, me suppliant de ne pas lâcher priser/ ;. utionnement, sans lequel I il perdait ses ; » ", ■, ■.

Enfin, le 7 août, premier jour où M. de Sainte-Croix -e montre aux affaires étrangères, je lui écris la lettre suivante, qu’il faut bien joindre ici pour montrer la série de toutes mes démarches, pendant qu’on m’accusait d’incivisme et de trahison: A 31. de Sdiitb —C des affaires étrangéres.

• Paris, le 7 août 1792.

« Monsieur,

« En vous adressant le mémorial instructif déjà remis à M. Dubouchage, sur l’état d’une affaire aussi que celle des armes de Hollande, j’ai l’honneur de vous assurer que, depuis quatre mois et demi, la plus légère circonstance qui se rapporte

ls m’a toujours coulé quinze jours de sollicitation,

et au moins vingt courses perdues : c’est une vraie malédiction. En voici le dernier exemple : « Le 18 juillet, les deux ministres de la guerre et des affaires étrangères, ont enfin signé l’acte par lequel ils obligent le gouvernement à fourni,’huit à l’heure un cautionnement de cinquante mille florins d’Allemagne à mon vendeur hollandais, qui s’y est engagé lui-même envers feu l’empereur Léopold, en assurance que ces fusils iraient en Amérique, et sons lequt l on nt / » "/ rien finir. Eh bien ! la misérable circonstance de savoir quelle sûreté on doit donner à M. Durvey, qui se charge du cautionnement nous acoïtir déjà dix neuf jours de retard et trente courses inutiles, sans que M. de la Hogue, qui doit en être le porteur, ait pu quitter la France pour une affaire où les heures perdues coûtent si cher à la patrie, qui demande à grands cris des armes ! De plus, je suis menacé tous les jours d’être dénoncé sur le retard de ce départ (seul moyen, prétend-on, de me faire dénoncer moi-même ceux qui en sont les vrais fauteurs). Ainsi froissé entre les embarras ou l’oubli d’un côté, et la malveillance de l’autre, foi fait sortir M. de la Hogue de Paris, afin qu’au moins on ne l’y trouvât (dus. Il attend dans le port du Havre ; et moi, je vous supplie, monsieur, de consacrer un seul quart d’heure à terminer la s&reti que M. Durvey vous demande. Ci —I par honneur que je vous importune, par amour seul de ma patrie, puisque l’affaire des fusils est devenue personnelle au gouvernement.

. Pendant que tout prétexte est bon pour trouver les ministres en faute, ne fournissons pas des motifs aussi importants que ceux-ci à la brûlante malveillance.

« Agissons, je vous en conjure. J’attends vos ordres avec une impatience qui fait bouillir mon sang comme celui de saint Janvier !

« Recevez les salutations respectueuses de

« Beaumarchais. »

Du 7 au 16 août je n’eus réponse de personne : nul ministre n’avait écrit ; mais en revanche le peuple avait parlé. À la terrible journée du 10 août, les habitants du faubourg Saint-Antoine criaient dans les rues, en marchant : Comment veut-on que nous nous défendions ? nous n’avons que des piques, et pas un seul fusil ! Des agitateurs leur disaient : C’est cet infâme Beaumarchais, cet ennemi de la patrie, qui en retient soixante mille en Hollande et ne veut pas les faire venir. D’autres, par écho, répondaient : Bah ! c’est bien pis ! il a ces armes dans ses caves, et c’est pour nous massacrer tous ! Et les femmes, en hurlant, criaient : Il faut mettre le feu chez lui !

Le samedi 11 août, on vient me dire le matin que des ennemis infernaux échauffaient la tête des femmes, sur le port Saint-Paul, contre moi : et que, si cela continuait, il se pourrait bien faire que le peuple des ports vînt piller ma maison.

Je ne puis l’empêcher, leur dis-je ; et c’est ce que mes ennemis demandent. Mais qu’on en sorte au moins ce portefeuille qui contient toute ma justification : si je péris, on le retrouvera.

Ô citoyens français ! ce portefeuille renfermait les pièces que je viens d’offrir à vos regards et toutes celles qui vont suivre.

Qu’ai-je besoin de répéter sur cet événement ce qu’on a imprimé le mois d’août dernier ? J’avais fait à ma fille, pour son instruction, l’affreux détail de ce qui m’arriva : je le lui envoyai au Havre, où elle était avec sa mère ; on a gardé ma lettre onze jours à la poste : elle a été ouverte en vertu de la loi qui regarde comme exécrable le premier qui les violera : elle a été copiée, imprimée, elle court le monde : en vain voudrais-je la changer ; elle existe, et l’on me dirait que j’ai voulu depuis la rendre meilleure qu’elle n’est.

Citoyens ! je la jette ici dans mes pièces justificatives[2]. Si d’autres vous ont ennuyés par leur fâcheuse sécheresse, celle-ci n’a pas ce défaut. Mon âme y était tout entière : c’est à ma fille que j’écrivais ; ma fille, en ce moment si malheureuse à mon sujet ! Cette lecture peut n’être pas inutile à l’histoire de la révolution.

Reprenons celle des fusils. M. de Sainte-Croix avait quitté le ministère, M. Lebrun avait sa place.

Au désespoir de l’inutilité de mes soins et de mes démarches, et voyant mes dangers s’accroître, j’écris à M. de la Hogue, au Havre, de partir à l’instant pour la Haye, sans le fatal cautionnement. On jugera de ma situation en lisant ma lettre à la Hogue.

Paris, le 16 août 1792

J’ai attendu, mon cher la Hogue, jusqu’à ce jour pour vous engager de partir. Hélas ! tout mon patriotisme et mes efforts accumulés ne peuvent rien sur les événements ni sur les hommes ! Malgré mes immenses sacrifices, et les éloges que les trois comités réunis en ont faits devant vous, je ne suis aidé par personne ; et la malheureuse France, qui périt faute d’armes, n’a en honneur que moi qui veuille sincèrement qu’elle ait celles de Hollande. J’ai écrit à M. de Sainte-Croix, à Bonne-Carrère, à Vauchel, à MM. d’Abancourt, Dubouchage : je n’ai réponse de personne sur ce maudit cautionnement, que M. Durvey veut bien faire moyennant bonne sûreté. Il semble, en vérité, que les affaires de la patrie n’intéressent plus personne ici ! À qui m’adresser aujourd’hui ? Les ministres se succèdent comme dans une lanterne magique. Depuis les grands événements, M. Lajard a, dit-on, été tué ; M. d’Abancourt, arrêté ; MM. Berthier, Vauchel et autres sont en prison ; je ne sais plus où prendre ni M. Dubouchage ni M. de Sainte-Croix ! M. Lebrun, nouveau ministre des affaires étrangères, est à peine installé ; Bonne-Carrère est arrêté, le scellé sur tous ses papiers. M. Servan, hélas ! qui revient à la guerre, n’est pas encore de retour de Soissons : et l’intérim en est tenu, devinez par qui ? par Clavière, qui en outre a les contributions. Et la plus importante affaire de la France, celle des soixante mille fusils, reste là ! J’en suis suffoqué de douleur.

« Enfin, mon cher ami, partez, faisons notre devoir de citoyens ; je suis la voix qui crie dans le désert : Français ! vous avez soixante mille fusils en Zélande, vous en manquez dans l’intérieur ! Seul je me tue pour vous les procurer. » Il semble que je parle chansons, lorsque je presse tout le monde ; ou plutôt les événements qui se pressent absorbent l’attention de tous. Partez, mon cher la Hogue, et remettez la lettre du ministre à notre ambassadeur : qu’il fasse, en attendant, la réception des armes. Le misérable cautionnement partira quand j’aurai pu le faire faire ! Mais que l’ambassadeur ne fasse nulle démarche politique auprès des Hollandais que le cautionnement ne soit arrivé à la Haye, afin que, les grands coups frappés, tout soit terminé dans un jour : on forgerait là-bas d’autres difficultés, s’il y avait de l’intervalle entre l’embargo levé et le départ des armes ; elles ne peuvent partir sans le cautionnement. Ah ! pauvre France ! comme les intérêts les plus chers touchent peu tous ceux qui s’en mêlent ! si cela continue, j’aurai perdu cinq florins par fusil, pour consacrer ces armes à la France. Les ministres, les comités, m’auront fait de vains compliments sur mon désintéressement civique ; et, misérables que nous sommes ! nous n’aurons pas tous ces fusils, pendant qu’on forge ici des piques, parce que personne, hélas ! ne fait réellement son devoir ; nous ne les aurons pas à temps, pendant que tant de corps se forment !

« Laissons toutes ces doléances ; partez, mon ami ; et si ma présence est utile au départ des armes, que M. de Maulde l’écrive. Je n’examine point les dangers que je puis courir, si cela est utile à mon pays. Oui, je ferai encore le sacrifice de me déplacer, quoique je sois vieux et malade ! Nos tribunaux sont suspendus, et je ne puis faire lever l’opposition de ce Provins pour toucher des fonds à la guerre. Vous ne me dites pas si vous avez reçu la lettre de crédit de vingt mille florins que je vous ai envoyée le surlendemain de votre départ de Paris.

« Bonjour, bonjour.

« Signé Beaumarchais. »

Je m’étais présenté (mais en vain) chez M. Lebrun, comme chez un ministre instruit, puisqu’en sa qualité de premier commis des affaires étrangères, toute l’affaire des fusils lui avait passé par les mains ! Nul ne la savait mieux que lui.

Je prends le parti le plus sûr, de solliciter par écrit. Je lui adresse un mot pressant.

« 16 août 1792.

« M. de Beaumarchais a l’honneur de saluer M. Lebrun. Il le prie de vouloir bien lui accorder la faveur d’une courte audience, pour conférer avec lui sur une affaire très-pressée et très-importante, que MM. Dumouriez, Chambonas, Dubouchage et Sainte-Croix ont dû terminer l’un après l’autre, et que le mal des événements laisse encore dans l’incertitude et la suspension, malgré le concours et l’avis des trois comités réunis, diplomatique, militaire et des douze. Il ne s’agit pas moins que des soixante mille fusils de Hollande. Il semble en ce pays qu’il y ait un aveuglement incurable sur ce qui se rapporte au bien de la patrie ! Eh ! N’est-il pas temps qu’il finisse ? Beaumarchais attendra les ordres de M. Lebrun. »

M. Lebrun me fait répondre :

« Les scellés apposés sur les papiers de M. de Sainte-Croix n’ayant été levés que d’hier, le ministre des affaires étrangères n’avait pas connaissance de la lettre de M. Beaumarchais (apparemment celle que j’avais écrite à M. de Sainte-Croix en lui envoyant mon mémoire). Il est fort étonné du retard de l’affaire des fusils ; il croyait M. la Hogue parti. Il désire en conférer avec M. Beaumarchais, et le prie de venir le voir demain vers le midi.

Ce 16 août 1792, l’an IVe de la liberté.

Dieu soit loué ! me dis-je. Un homme au fait de cette affaire me dit qu’il est étonné des obstacles (qui ont empêché M. la Hogue de partir) : ce ministre est un bon citoyen qui a connu toutes mes peines, et qui s’y montre fort sensible. Voilà comme il faut des ministres. Il finira l’objet du cautionnement, c’est l’affaire d’une heure entre lui et M. Durvey. Il va pousser mon la Hogue à la mer, et la France aura des fusils : Dieu soit loué ! Dieu soit béni !

Mais, quoique j’eusse été deux fois par jour chez ce ministre (et j’en demeure à près d’une lieue), je ne pus le rejoindre que le 18 après midi.

Il me reçut fort poliment, me répéta ce qu’il m’avait écrit, me dit qu’il allait au conseil régler l’affaire du cautionnement, et faire partir M. de la Hogue au plus tôt ; que je revinsse le lendemain, qu’il m’expédierait promptement.

Satisfait d’avoir rencontré un ministre aussi bienveillant, j’y retournai le lendemain à dix heures ; il était sorti, je m’en revins chez moi. Un courrier, arrivant du Havre, me remit un paquet très-pressant de la Hogue : c’était une réponse à ma lettre du 16 qu’on vient de lire, contenant l’extrait du procès-verbal de la commune du Havre, sur le visa de son passe-port, du 18 août 1792. Le voici :

« Le conseil général, prenant en considération la demande faite par le sieur J.-G. de la Hogue, décoré de la croix de Saint-Louis, chargé d’une commission extraordinaire de l’Assemblée nationale en Hollande, tendante à obtenir un visa sur son passe-port :

« A délibéré, ouï le procureur de la commune, qu’attendu que ledit passe-port est daté du 31 juillet dernier, il sera envoyé à l’Assemblée nationale pour prendre ses ordres sur le parti que doit tenir la municipalité vis-à-vis dudit sieur la Hogue, et que, jusqu’à ce, le paquet dont il est porteur pour M. de Maulde, ministre plénipotentiaire de France à la Haye, restera déposé au secrétariat de la municipalité.

Certifié conforme au registre, etc.

« Signé Taveau. »

Les méchants sont bien bons, me dis-je, de se donner tant de fatigue pour empêcher que les fusils n’arrivent ! que ne laissent-ils aller les événements seulement ? Je défierais au diable de faire marcher aucune affaire en cet affreux temps de désordre, et qu’on nomme de liberté !

Le courrier du Havre m’apprit qu’avant de m’apporter ma lettre il en avait remis une autre, dans l’Assemblée nationale, à M. Christinat, un député du Havre, de la part du maire de cette ville. Je sens à l’instant le danger, pour la chose, qu’elle soit discutée publiquement à l’Assemblée. Certes, pour moi, il y eût eu de l’avantage, cela faisait ma justification ; mais le bien public avant tout.

J’écris à M. Christinat que je ne connaissais nullement) :

« S’il en est temps encore, monsieur, demandez, je vous prie, de porter vos dépêches aux trois comités réunis. Eux seuls, discrètement, doivent connaître de l’affaire : elle est perdue si elle devient publique. » Je promets au courrier trois billets de cent sous, s’il fait vite ma commission. Il court : il était temps : M. Christinat allait lire.

Sur ma lettre, il demande à traiter cette affaire avec les comités : on décrète. Il me fait dire d’être tranquille, et voilà ma douleur passée. Je paye mon actif courrier, et lui dis de venir recevoir mon paquet quand il aura celui des comités. J’écris, je console la Hogue sur ce retard de peu de jours, que M. Lebrun m’a promis de réparer très-promptement ; je le supplie de regagner alors le temps perdu, en allant comme au feu tirer d’inquiétude M. de Maulde, qui l’attendait depuis près de deux mois.

Je retourne à trois heures chez M. Lebrun le ministre. Il rentrait. Je descends de voiture. Il s’arrête sur son perron, m’y dit trois mots fort secs, et, profitant de ma surprise, il me quitte assez brusquement.

Ces trois mots me frappèrent comme d’un coup de foudre. Je jugeai qu’il savait déjà l’affaire du courrier du Havre. Je revins chez moi fort ému lui écrire mon sentiment sur les trois mots qu’il m’avait dits, pour empêcher qu’ils n’eussent leur effet diabolique.

Je vous supplie, ô citoyens, de lire ma lettre à ce ministre avec toute l’attention que je demandais à lui-même : cette lettre est le pronostic de l’horrible persécution qui va commencer dans l’instant.

« Monsieur,

Lisez ceci, je vous en prie, avec toute l’attention dont vous êtes capable.

Quand vous m’avez dit ce matin que M. la Hogue était moins propre en ce moment qu’un autre à terminer l’affaire des fusils de Hollande, à cause de la publicité que tous les malveillants lui donnent, et que c’était l’avis de MM. les ministres : qu’en conséquence on allait faire remettre, au Havre, {M.|la Hogue}} en liberté d’en partir, non pour la Hollande, mais pour le dedans du royaume, j’ai bien jugé, monsieur, qu’il y avait encore quelque malentendu sur lequel vous aviez besoin de recevoir de explication nette, qui vous tirât de deux ou trois erreurs où vous paraissez être sur le fond d’une affaire qui ne peut plus nous être utile qu’autant qu’elle est bien éclaircie et menée très-habilement.

« Mais comme je suis le seul homme qui puisse la traiter avec méthode, exactitude et fruit, puisque depuis cinq mois elle est ma grande affaire comme négociant et comme patriote, j’ai préféré, monsieur, l’honneur de vous écrire à celui de répondre verbalement à ce que vous disiez parce que dans les temps difficiles un homme sage ne doit rien articuler ni proposer sur un objet aussi majeur, dont il ne reste au moins des traces par écrit, et des notes fidèles qui puissent servir à le justifier.

« J’ai préféré de vous écrire aussi, afin que vous puissiez aussi, monsieur, en conférer avec tous les ministres sur des renseignements bien clairs, et m’accorder ensuite le moment de la traiter à fond politiquement devant eux. Cela est d’une grande importance pour la patrie, et pour eux, et pour moi. J’insisterai donc là-dessus, si vous daignez me le permettre. Voici le précis de la chose :

« Premièrement, monsieur, M. de la Hogue n’est point en arrestation au Havre comme vous pairaissez le penser. Il y est, depuis trois semaines, chez MM. Le Couvreur et Curmer, mes correspondants de cette ville, où il attend mes derniers renseignements pour s’embarquer pour la Hollande. Car je lui ai écrit le 16 que, rien ne finissant à Paris dans le trouble où sont les affaires, je lui conseillais de partir, afin qu’il fît au moins la guerre à l’œil en attendant, et ne laissât point entamer de démarches fortes à notre ministre à la Haye jusqu’à ce que le cautionnement qu’il attend lui fût arrivé, pour que tout s’achevât ensemble. C’est parce que son passe-port est vieux, qu’on envoie un courrier pour le faire renouveler, et non pour prononcer sur son arrestation, laquelle n’existe pas.

« Secondement, monsieur, par quelle subversion d’idées empêcherait-on de partir le seul homme qui peut nous livrer les fusils ?

« Quel autre peut, monsieur, terminer cette affaire, que M. la Hogue en mon nom, à moins que ce ne soit moi-même, puisque ces fusils sont ma chose, et que M. la Hogue, mon ami, mon agent, mon chargé de pouvoir, ayant toutes mes instructions, tous mes fonds, mon crédit ; ayant seul commencé mes négociations, soit de l’achat, soit de la vente, peut seul, si ce n’est pas moi, sortir des magasins les fusils pour vous les remettre, en subvenant à tous les frais d’embarquement, de comptes, et à tous règlements où le traité m’oblige envers la France à l’occasion de ces fusils ? Car, si M. de la Hogue ne vous les livre pas, personne au monde ne peut vous les livrer là-bas, parce que nul n’y a droit à ma chose que mon agent ou moi, monsieur.

« Troisièmement, lorsqu’on dit dans le traité (art. 7) :

« Nous nommons M. de la Hogue pour aller terminer l’affaire, comme étant l’homme le plus capable, par son zèle et par son talent, de la bien achever ; c’est en mon mon, monsieur qu’on l’a nommé, puisque c’est en mon nom que l’on doit continuer à réclamer les armes. Je n’aurais pas souffert qu’on en nommât un autre ! Ce n’était que pour lui donner plus de sûreté dans sa route qu’on a imaginé de traiter sa mission comme office ministériel, afin qu’il pût passer sans trouble dans toutes les villes du royaume et sans se trouver arrêté. Il n’est ici que mon agent, sans lequel rien ne peut finir. Voilà son titre pour partir.

« Vous enverriez, messieurs, dix autres personnes à la Haye, qu’il faudrait toujours qu’il y fût : car ce n’est point pour recevoir les armes qu’il va en Zélande, à Tervère, mais pour en faire la livraison. M. de Maulde ici représente l’acheteur ; M. de la Hogue, le vendeur : donc rien ne peut se faire sans M. de la Hogue; lequel seul a la clef de toutes les difficultés à vaincre, et mon crédit pour les lever.

« Quand je ne serais pas résolu de rester ici à mon poste pour ne laisser sur moi aucune prise aux malveillants, quand j’irais moi-même en Hollande, encore me verrais-je obligé de mener avec moi mon ami M. de la Hogue : car lui seul connaît mon affaire, ayant passé déjà quatre mois à la Haye pour tâcher d’en venir à bout. Il est moi dans cette occasion ; et il faut que j’aille à Tervère, ou cet homme fort en ma place, car (je dois vous le répéter) personne que lui ou moi n’a le droit ni le pouvoir de remettre en vos mains ces armes. D’où vous voyez, monsieur, que toute la publicité que la sottide donne ici à cette affaire ne peut rien déranger au voyage de M. de la Hogue puisque depuis cinq mois il est public dans la Hollande qu’il y stipule mes intérêts pour l’achat, le payement et la sortie de ces fusils.

« En voilà bien assez, monsieur, pour sentir l’urgence qu’il y a que, les pièces en main, le ministère m’entende sur le voyage de mon ami, car, en le retenant en France, on s’ôte l’unique espoir d’avancer d’un pas en Zélande. Tout le pouvoir du monde ne peut rien changer à cela sans être d’accord avec moi. Voilà sur quoi porte l’erreur que moi seul je puis relever : ce que je fais en ce moment.

« Cette affaire, monsieur, a pris un tour si grave, que personne ne doit (à commencer par moi) rien faire dont il ne puisse rendre un compte sévère à la nation française qui est toute prête à nous interroger.

« Après avoir expliqué ce qu’un ~ l’on va en avant, en contrecarrant ces données, je suis forcé de monsieur, qu’ici ma respont : que j’en dépose te fardeau sur que j’ai ir). Depuis cinq mois, pour servir mon pays —île, je me ruine, sans mne m’, nti nd.’.1 ; ii été dix fois accus me justifie ? Je sais que ce n’est pas la faute des ministres qui entrent en place ; mais au moins, quand il est question d’une affaire aussi difficile, où mon patriotisme et ma fortune sont compromis, et dont j’ai seul la connaissance, ne doivent-ils rien ordonner sans être d’accord avec moi ; ■■■ SfnilS’le.’. DORT LES LML-RÈTS SONT BLESSES’.’ « J’attends vos ordres 1 1— mis avec respect. -ieur, » Votre, etc. Caron de Beaumarchais

je fus ce même dimanche au soir 19 août chez pour la tro lu jour. Je voulais lui laisser ma lettr utée avec qu’il la communiquât aux autres minisremit au lendemain. J’y vins à neuf heures du m :’■ me ret a soir. En arrivant chez moi, j’y trouve un qui écrivait chez mon porti on.) « Je suis chargé, me dit-il en . de vous faire des propositions sur l’arrivée de vos fus vous écrivais pour vous demander i En nous promenant il ajoute : < Connaissez-vous, monsieur. M. Consta ini ? — Je n’ai pas neur, monsieur. — Comme il est lié d’affi S 1 l’embargo mi il vous fait proposer par moi que. si vous voulez lui donner moitié de bénéfice dans votre il a D.N MOYEN jours. —Il faut qu’il soit donc bien puissant, voire . monsieur, je ne puis coûter, même sans trom] sition — : je ne sais plus, à la -, s’il y aura

faites-moi donc une offre oetti Q

’.— Eh bien, monsieur, dit-il, us florin pab fusil ; i. — Monsieur, il faut savoir quels frais. Si votre M. C ployait la voie du coi — droits alors seraient, pour la sortie. t demi par fusil ■ florin que vous demandez pour voilà les fusils augmi la pièce, bons ou mauvais, sans être sûr si tous seront acceptés au triage : l’affaire est loin, monsieur, de pouvoir porter ce fardeau. — Combien donc voulez-vous nous donner ? me dit-il. — Vingt sous par fusil, quel qu’il soit. Mais votre homme offrira caution, qui puisse me garantir que les qu’il emploiera pour tirer les fusils de Hollande ne les y cloueront pas. Je songerai quelle assurance je devrai exiger de lui. offre. » Il me dit : Je vais vous laisser sa proposition par écrit. Je m’appelle Lai ■’mon adresse, et faites-moi passer votre réponse dans le jour, ius avertis {en que cela h peu pour vous ! — Comment ci lui dis-je. Il me quitta sans me répondre, ais quel sens donner à ce propos bizarre. J’ouvris les offres du sieur Constantini, et, à mon grand étonnement, je lus l’écrit que je copie :

Conditions proposées à M. Beaumarchais dans l’affaire des fusils déposés à Tervère, en Zélande.

« M. Constantini, associé des maisons de Bruxelles, propose à M. Beaumarchais de partager les bénéfices de cette opération, par moitié en faveur de M. Beaumarchais, et moitié en faveur de M. Constantini et ses associés.

« M. Beaumarchais justifiera sur-le-champ de son contrat d’acquisition.

« M. Beaumarchais ayant fait les avances de l’achat des armes, dont on a lieu de croire qu’il a été remboursé en partie par le gouvernement français, M. Constantini, de son côté, s’engagera à faire effectuer l’expédition de Tervère à Dunkerque de la manière la plus prompte et la plus convenable.

Les frais seront supportés par l’opération. Comme un est persuadé que l’expédition de Tcr-’ •i’n’a été entravée jusqu’ici que imr l’influence de l’ancien ministère, un a la confiance de i’croire que M. Beaumarchais peut la faire cesser. — (in doit prévenir M. Beaumarchais que les mesures prises et effectuées pour l’arrivée de ces armes peuvent seules suspendre la résolution d’éclaircir la conduite de M Beaumarchais dans cette affaire, etc. (Le reste était d’arrangement.)

Ha ! ha ! monsieur Constantini ! nouvelle intrigue et des menaces ! Suivant ma constante méthode d’analyser tout ce que je reçois : Je vois ici, me dis-je, un Autrichien-Français qui prétend avoir les moyens de faire arriver les fusils. Cet Autrichien-Français a aussi le pouvoir, dit-il, d’arrêter, moyennant argent, l’éclairement qu’on est tout prêt à faire de ma conduite dans cette affaire !

Bravo, monsieur Constantini ! Ce n’est plus sourdement ni avec des sous-ordres que l’on procède contre moi ! Vous êtes l’associé, monsieur Constantini, d’un homme assez puissant pour pouvoir lever l’embargo de Tervère en trois jours s’il veut, et me faire trembler si je refuse d’entrer dans ce beau triumlatronat. La seule façon dont cet homme puissant sache lever l’obstacle de notre extradition est apparemment de donner à vous seul le cautionnement qu’il s’obstine à me refuser. J’entends, monsieur Constantini ! Votre associé est un nouveau ministre. Il reste à découvrir lequel. C’est à quoi, je vais travailler. En attendant, je vais répondre à M. Larcher, votre agent. À l’instant partit ma réponse.

À M. Larcher,

« Ce 20 août 1792.

« J’ai lu, monsieur, les conditions que vous me proposez pour me faire arriver à Dunkerque ou au Havre mes fusils, de la part d’une compagnie autrichienne.

« En outre de ce qui est écrit par vous, vous m’avez proposé verbalement de me faire entrer ces mêmes armes au prix d’un florin par fusil.

« À cela voici ma réponse :

« Je donnerai vingt sous de France à la personne, quelle qu’elle soit, par fusil qu’elle se chargera di me faire entrer à Dunkerque, pris dans mon magasin " Tt i i ère, « Sous la condition rigoureuse qu’elle donnera caution valable de me payer la valeur des fusils, si elle ne les Pa.il pas entrer, parer que ses moyens peuvent être tels, que l’ébruitement, les faisant saisir en Hollande, m’ôte tous les moyens de les ravoir jamais. <■ Et quant à la bonté qu’os a de me prévenir que les mesures prises et effectuées pour l’arrivée de ces armes peuvent seules suspendre la résolution d’éclaircir la conduit) di M. Beaumarchais dans cette affaire, ’Je reponds franchement, a la personne que vous appelez on, ce que je vais signer ici: Je méprise beaucoup les gens qui me menacent, et mets la malveillance nu pis. la seule chose contre laquelle je ne puisse être en garde ici, c’es/ / p ignard d’un assassin; et quant au compte que j’ai à rendre de ma conduite en cette affaire, le jour que je pourrai la traduire au grand jour sons nuire à l’entrée des fusils, ce sera ma gloire publique. < C’est u l’Assemblée nationale que j’en rendrai li compti u haute voix, pièces probantes sur le lin mu. Alors on pourra distinguer le rai citoyen patriote des vils intrigants qui l’assaillent. Signé C uion de Beaumarch us. Boulevard Saint-Antoine, d’où il m bougera pas. " Maintenant, dis-je, pour procéder avec ma méthode ordinaire, il tant que j’envoie à M. /.’brun l< ministre ma réponse à Constantini, el voir de son côté comment il procédera envers moi : je connaîtrai par la si.1/. Lebrun est leur homme. Le soir je fus chez M. Lebrun… Invisible, et moi i, fusi..1" prends du papier chez son suisse. et j’écris : .i L Ii 20 août 1 702, écrite chez votre suisse. — Hélas ! monsieur, c’est ainsi que depuis cinq mois, de remise en remise, les événements ont gâté l’affaire la plus importante à la trama’: Ne pouvant donc vous remettre, à mon troisième i oyage inutih iln : i mis, le mémoire instructif quej’ai l’ait hier in vous quittant, je vous prie de le lire avec d’autant plus d’attention, que l’horrible malveillance, qui se remue dans tous les sens, me force tout à l lu ure a une justification publique, si le ministi n s’obstvu à ne pas s’entendre avec moi ! ■ Vous en allez trouver la preuve dans la ré-I se que j’ai faite à un homme qui esl venu chez moi me faire des offres menaçantes i rbali mt nt •’ par i ci ii. ■ s’il vous esi possible de me donner rendez-vous aujourd’hui, vous préviendrez peut-être le mal d’une publicité fâcheuse, par laquelle on veut couper court à l’arrivée de nos fusils. C’est très-sérieusement que vous en êtes prié, monsieur, par votre dévoué serviteur,

« Beaumarchais.

À ma lettre étaient jointes sa grande lettre qu’on a lue sur l’affaire de M. la Hogue, et ma fière réponse au proposant Constantini.

Point de réponse.

Je vins deux fois par jour, le 19, le 20, le 21 et le 2-2. où je lui écrivis cet autre billet chez son suisse, après huit courses en quatre jours, qui, pour aller et venir, composaient près de deux lieues chacune ; et je disais dans le chemin : Si les ministres se croient heureux de leur invisibilité, les gens qui galopent après eux sont certes bien infortunés !

« 22 août 1792.

« Beaumarchais est venu dimanche, avant-hier, hier et aujourd’hui, pour saluer M. L brun, el lui rappeler que le caution ih mi nt assuré par M. Burvey I , et que lui Beau)

ignore ce qui concerne il. de la Hogue ; qu’il est comme les héros d’Homère, combattant dans l’obscurité, et-priant tous les dieux de lui rendre, la lumière, pour savoir ce qui reste à faire pour la portion de bien qu’il est chargé, depuis cinq mois, de procurer à la patrie, et que toul tend à reculer. « Il présente son respect à M. Lebrun. » Point ’ !■ réponsi .

Je cesse d’y aller. Ne pouvant deviner ce qu’après ma lettre si ferme les ministres avaient décidé sur le sort de M. de la Bogue, je dévorais mou sang dans une espèce de rage mue. Plus de nouvelles de ce Constantini, sinon une lettre d’injures à laquelle j’avais fait une réponse de pitié. Une lettre de M. Christinat, le député du Havre, m’avait appris que son courrier elait reparti pour ce port, et que l’affaire du départ de M. de la Hogu avait été jugée par 1 pouvoù exécutif, sans qu’il pût médire comment ; et je me disais en fureur : Ils ne s’en sont point occupés ; ils auront envoyé une lettre d’attenie, quelque réponse insignifiante : et c’est encore du temps perdu. Pardonnez-moi, lecteurs ! ils s’en étaient fort occupés ; en voici la preuve très-claire, qu’on ne supposai ! guère que je pusse acquérir jamais.

Le 22 août, je reçois ce mot désastreux de /«  Hogue :

« Vous avez, monsieur, sous le repli de la présente, une copie de la réponse du ministre de l’intérieur au sujet de mon passe-port. « Je ne puis que m’en rapporter à vous sur la conduite que vous croyez devoir tenir à cel égard ; en attendant je prends patience, et reste ici à poste fixe.

« Signé la Hogue. »

i au verso de sa lettre, et j’y lis enfin ce qui suit :

la / /// , du ministre de l’intèi h ur â la municipalité du Havre.

i i 19 août 1792.

L’Assemblée nationale, messii urs, me renvoie la lettre que vous écrivîtes hier àson président, en lui renvoyant le passe-port du sieur de la Hogue. Elle me charge de vous mander de laisser en pleine liberté ce particulier, et de lui donner un passe-port, s’il le désire... [devinez lequel, ô lecteurs ! ) un passe-port pour l’intérieur, mais de ne lui en point donner pour l’étranger. A l’égard du paquet pour M. de Maulde, l’Assemblée vols charge de me l’adresser.

Roland, ministre de l’intérieur.

Je fis le bond d’un lièvre atteint de plomb danla cervelle, en voyant [’ Lssi mblét nationale envoyer l’ordre affreux d’empêcher la ffot/uede partir. Puis, me remettant tout à coup, je dis avec un rire amer : Eh ! parbleu ! j’oubliais qui nos amis sont rcvenusen plaa : Ci »’• st point l’Asst mbh e, ci sont i ux. En voilà lepremier effet. Plus de fusils pour notre France !

Maintenant, mes lecteurs, rafraîchissez-vous bien le sang, eu démêlanl avec le pauvre diable le mot de cette nouvelle énigme ! Comment se peut-il, me disais-je, que L’Assemblée nationale, à qui l’on soustrait parpmdence la discussion publique de i e -j’ 1 ton, -lie reite affaire, pour ne pas augmenter la malveillance des Hollandais, s’ils apprenaient l’intérêt qu’elle y prend ; comment celle Assembléi a-t-elle pu ordonner au ministre de l’intérieur comme il l’écrit à I" municipalité du Havri d’interdire à M. de I" Hogui d’aller exécuter sa mission en Hollai de ? Tout cela n’est qu’une perfidie ! Heureusement pour ma recherche, qu’ayant reçu de il. Christinat une réponse très-polie à nie-deux lettres du 19, je m avisai de la relire ! j’j surpris avec joie le mot que je cherchais car. lorsqu’on s’acharne à trouver le mot d’une énig fût-ce un malheur qu’il nous apprend, on éprouve un certain plaisir à le dérober à l’auteur ; j’y vis, lecteurs, ce que vous allez voir aussi. « Il m’a élé impossible, monsieur, de pouvoir répondre hier a vos deux billets que m’a remis le courrier. olre second m’informait que vous saviez la réponse qui m’avait été faite au premier. [Cetti réponsi était l’ordn dt l’Assemblée d’aller en fera avec les comités.) Chargé par le comité de surveillance el la commission des douze de me retirer vers .1/. Roland pour avoir une réponse positive dt lui A LA LETTRE DE LA MUNICIPALITÉ DU HaVHE, écrite ii M. Ii- président de l’Assemblée... » Vous l’entendez, lecteurs : l’Assemblée n’envoie pas M. Christinat au pouvoir exécutif provisoire pour lui donner de sa part l’ordre d’écrire au Havre qu’on arrête M. la Hogue en France. Elle envoie M. Christinat aux comités pour délibérer là-dessus discrètement, comme je le désirais ; lesquels comités ne font pas autre chose que d’envoyer M. Christinat à M. Roland, pour avoir de lui une réponse des ministres, non à aucune demande de l’Assemblée nationale, mais à la lettre de la municipalité du Havre ; ce qui devient bien différent, l’Assemblée et les comités s’en rapportant à ces ministres : car M. Roland n’est ici (comme je l’ai toujours vu depuis) que la plume passive de MM. Clavière et Lebrun, seuls ministres que cela regardait. Or que font ces messieurs, qui, de retour en place depuis très-peu de jours, n’étaient instruits que par M. Lebrun, ci-devant premier commis, de ce qui s’est passé là-dessus pendant leur éclipse solaire ? Dans leur réponse à la municipalité ils se disent forcés, par un ordre de l’Assemblée, d’empêcher d’aller en Hollande le seul homme qu’elle avait grand intérêt d’y envoyer, et l’homme désigné par les comités réunis ! … Avec ce tour de passe-passe, ils cassent encore une fois le cou à l’arrivée de mes fusils ! et Constantini les aura.

La lettre de M. Christinat se termine fort simplement :

« Ayant reçu les paquets, dit-il (les paquets de M. Roland), il ne dépendait pas de moi de retarder le courrier. (Les paquets étaient donc fermés.) En les lui remettant vers les huit heures, je l’ai engagé à prendre une voiture, et de courir vous demander les vôtres. Je ne doute pas qu’il ne l’ait fait, et que vous n’ayez pressé son départ. Recevez l’assurance du dévouement sincère, etc.

« Signé J.-J. Christinat. »

La phrase de l’obligeant M. Christinat : Je ne doute pas que vous n’ayez pressé le départ du courrier, achèverait la preuve, si j’en avais besoin, qu’il était persuadé que le courrier portait au Havre une nouvelle qui m’était agréable. Donc lui, qui fut le seul intermédiaire de l’Assemblée aux comités, des deux comités aux ministres, et des ministres au courrier, ne savait pas que ces derniers empêchassent mon ami de suivre sa mission ! À plus forte raison l’Assemblée nationale l’ignorait-elle, elle que ces ministres accusent d’en avoir donné l’ordre funeste à l’intérêt public !

Citoyens, c’est par cette méthode que la part qu’ils ont eue aux horreurs qui vont suivre sera prouvée pour vous comme pour moi.

Ainsi M. Constantini me demandait avec menace cent trente mille livres (ou soixante mille florins) pour faire arriver mes fusils, comme étant le seul homme qui eût le grand moyen de les arracher de Tervère. Et les nouveaux ministres, en arrêtant la Hogue en France et refusant le cautionnement, favorisaient le plan du sieur Constantini ; ils me mettaient au désespoir, pour me mieux disposer à faire ce qu’on voulait ! Mais ce que je devinais là, il fallait en avoir la preuve avant de pouvoir en parler. Je l’ai obtenue en Hollande.

Je fis un grand mémoire pour l’Assemblée nationale, à qui je demandais des juges ; et l’on était à le copier, lorsqu’on vint m’arrêter b le 23 août, à cinq heures du matin, avec un grand scandale, et mettre le scellé chez moi ! L’un me traîna dans la mairie, où je restai debout dans un couloir obscur, depuis sept heures du matin jusqu’à quatre heures après midi, sans que personne m’y parlât, sinon les gens qui m’avaient arrêté. Ils vinrent me dire à huit heures : Restez là, nous nous en allons ; voilà un bon reçu que l’on nous a donné de vous.

Fort bien ! me dis-je, me voilà comme le pied-fourché sur la place : les conducteurs ont leur reçu, ils partent ; et moi j’attends, bien garrotté, le boucher qui m’achètera !

Après neuf heures d’attente sur mes jambes, on vint me prendre, et me conduire dans un bureau nomme de surveillance, présidé par M. Panis, qui se mit à m’interroger. Étonné qu en n za tvit rien, j’en fis la remarque ; il me dit que i que sommaire, et qu’on y mettrait plus de formes quand mes scellés seraient levés. Ce que j’y sus de plus certain, c’est qu’il y avait sur moi des clameurs au Palais-Royal, sur la traîtrise avec laquelle ■ d’amener en France soixante mille fusils QUE L’ON M’AVAIT PAYÉS d’AVANCE’, <t ifUe fnenis des dénonciateurs. Nommez-les, monsieur. prie : sinon, moi, je les nommerai. — Mai nu M. Colmar, membre de la municipalité ; un M. Larcher, et tant d’autres.— Larcher ? lui dis-je ; ah ! n’allez pas plus loin ! Envoyez s cIcti ii r un portel : u.lle qui j u fait mettre a i art, sous un scellé particulier : vous j verrez la nuire intrigue de ce Larcher, et d’un Constantini, avec tant d’autres, ainsi que vous le dites, mais qu’il n’est pas temps de nommer.

« —On lèvera demain vos scellés : nous verrons. dit M. Punis ; en attendant, allez coucher à l’Abbaye. » J’y fus, et je fus en chambrée avec les malheureux. .. qui bientôt furent égorgés !

Le lendemain 24, après midi, deux officiers municipaux vinrent me prendre à l’Abbaye pour assister à la levée de mes scellés et description de mes papiers. L’opération dura toute la nuit jusqu’au lendemain 25, à neuf heures du matin ; puis l’on me conduisit à la mairie, où mon couloir obscur me reçut une seconde fois, jusqu’à trois heures après midi, qu’on me fit entrer de nouveau dans le bureau de surveillance présidé par M. Panis.


« On nous a, dit-il, rendu compte de l’examen de vos papiers. Il n’y a là-dessus que des vous donner : mais vous avez parlé d’un portefeuille sur l’affaire de ces fusils que vous êtes accusé de retenir méchamment en Hollande, et ce portefeuille-là, ces deux messieurs l’ont déjà vu : ils nous ont même dit que nous en serions étonnés (c’étaient les deux municipaux qui avaient levé les scellés) . — Monsieur, je brûle de vous l’ouvrir ; et le voici. « Je prends, l’une après l’autre, toutes li - [u’on vient de lire. Je o’étais pasà la moitié. que M. Panis s’écria : - Messieurs, c’est put ’ Ne vous semble-t-il pas ainsi ?» Tout le bureau s’écria : ■ C’est pur ! Allons, monsieur, c’est bien assez : il 5 a quelque horreur là-dessous. Il faut donner à M. Beaumarchais une attestation honorable é son I à sa pureté, et lui faire des excuses des qu’on lui a causés, dont la faute est au temps qui court, » UnM. Berchères, secrétaire, dont les regards bienveillants me consolaient cl me touchaient, écrivait cette, attestation, lorsqu’un petit homme aux cheveux noirs, au nez busqué, à lamine effroyable, vint, parla bas au président . Vous le dirai-je, ô mes lecteurs ? c’était le grand, . en un mot, le clément Marat.

Il sort. M. Panis, en se frottant la tête avec quelque embarras, me dit : «J’en suis bien désolé, monsieur, mais je ne puis vous mettre en liberté’. Il y a une nouvelle dénonciation contre mois. — Dites-la-moi, monsieur, je 1 ! l’instant.

— Je ne le puis : il ne faudrait qu’un mol, un seul geste de vous à quelques-uns de vos amis qui vous attendent là dehors, pour détruire l’effet de la recherche qu’on va l’aire. — Monsieur le /t. ; «dent, qu’on rem ..-je me constitue prisonnier dans votre bureau jusqu’à la recheri lie finie : peut-être donnerai-je les moyens de la raccourcir. Dites-moi de quoi il s’agit. » Il prit l’avis de ces messieurs, et, apr exige ma parole d’honneur que je resterais au bureau et n’y parlerais à personne jusqu’à ce qu’ils revinssent tous, il me dit : «Vous avez envoyé cing ni’dh s ’li’ papiers suspects chez une présidente, rue Saint-Louis, au Marais, n° 15 ; l’ordre est donné de les aller chercher. — Messieurs, leur dis-je, écoutez ma réponse.

«Je donne aux pauvres avec plaisir tout ce qu’on trouvera dans les cinq malles que l’on indique, et ma tête répond de ce qu’on y verra de suspect, ou plutôt recevez ma déclaration qu’il n’y a aucune malle à moi dans la maison que vous citez. Seulement un ballot existe dans la maison d’un de mes amis, rue des Trois- Pavillons : ce sonl ’les titres de propriétés, que j’avais fait sauver sur l’avis d’un pillage qui devait se faire chez moi la nuit du 9 au 10 août, et dont j’ai donné connaissance par une lettre à M. Péthion. Pendant qu’on cherche les cinq malles, faites chercher aussi mon ballot, sur cet ordre que je donne au domestique de mon ami de le livrer ; vous l’examinerez aussi : une autre malle de papiers et de vieux régi été volée le jour même que ce ballot sortit de ma maison ; faites-la tambouriner, messieurs : je ne saurais aller plus loin. »

Tout cela fut exécuté. L’attestation me fut donnée il signée •/■ tous ces messieurs, sauf l’examen des malles et du ballot.

Ces messieurs s’en furent dîner, pour revenir à l’arrivée des malles ; et moi je restai prisonnier dans le bureau. avec un seul commis à qui la garde était confiée.

Comme ils allaient sortir, un homme très-échauffé, portant écharpe, entra, et dit qu’t7 avait dans sa main des preuves de mp. trahison, de l’a ffrt n.r ih ssi m aii j’i tais de livrer soixante mille fusils, qu’on m’avait bien’ pavés, aux ennemis tic la patrie.

!1 était comme un forcené sur ce qu’on i 

nait une attestation du contraire. Celait M.Colmar, l’affilié de mes Autrichiens, ’le plus mon dénonciateur. « Vous voyez bien, messieurs, leur dis-je froidement, que monsieur ne sait pan un moi de l’affaire dont il vous parle. V est l’écho de Larcher et de Constantini. » Il m’injuria, me disant qm mon ’"«  1 le veux bien, lui dis-je, pourvu que vous ne soyez pas mon juge ! >i

Ils sortirent. Je restai là, réfléchissant bien tristement sur la bizarrerie de mon sort. Mon ballot arriva, mais nulle nouvelle des cinq malles ! Que vous dirai-je enfin, Français qui me lisez ? Je restai

! sans que personne y ri i int. 

Le garçon de bureau, en allant se coucher, me dil qu’i7 ne pouvait me laisser seul dans le bureau In nuit. Il me remit debout dans mon obscur couloir : sans la pitié d’un domestique qui me jeta un matelas par terre, j’y semis mort de fatigue et d’horreur.

Au bout de trente-deux heures, personne n’étant revenu, des officiers municipaux, touchés de compassion, s’assemblèrent et me dirent : « M. Panis »ie revient point, ? eut-être est-il incommodé En visitant les malles chez cette présidente, où l’on en a trouvé huit ou neuf, on a vu que c’étaient les guenilles de religi uses a qui elle a donné retraite. Nous savons que vous êtes innocent de loiiles les choses qu’on vous impute. En attendant que le bureau revienne, nous allons, par pitié, vous envoyer coucher chez vous. Demain matin on visitera votre ballot , et vous aurez une attestation bien complète, u

Et moi je dis à mon domestique, qui pleurail : c Va me faire apprêter un bain ; il y a cinq nuits que je ne repose point. » IL court. On me renvoie, mais avec deux gendarmes qui devaient me garder la huit.

Le lendemain, je renvoyai l’un d’eux savoir si le but • m venail enfin de s’assembler pour me donner l’attestation promise. Il revint avec d’autn - gardes el l’ordre rigoureux de me conduire à l’Abbaye, nu secret, avec défense expresse de m’y laisser parler à personne du dehors, sans un ordre tar écrit de la municipalité. J’eus de la peine à retenir le désespoir de tout mon monde. Je le, consolai démon mieux ; et je fus conduit ni prison, où je me retrouvai aoe MM. d’Affry, Thierry, les Montmorin, Sombreuil et sa vertueuse fille, qui s’était enfermée avec son père dans ce cloaque, et qui, dit-on, lui , i sauvé la vie ; l’abbé dt Boisgelin, MM. Lally-Tollendal, Lenoir, trésorier des aumônes, vieillard de quatre-’* ingt-deux ans ; M. Gibé, ootaire ; ru lin, cent quatre-vingt-douze personnes encaquées dans dix-huit petites chambres !

I ae heure après mon arrivée, on vint me dire que l’on me demandait avec un ordre écrit de la municipalité. Je me rendis chez le concierge, où je trouvai… devinez qui, lecteur ? M. Larcher, l’associé de Constantini, et celui </< tant d’autres, que je ne nomme pas encore. Il venait me renouveler les douces propositions qu’il m’avait déjà faites chez moi, et même de leur vendre tous mes fusils de Hollande. ri sept florins huit sous la pièce : ce n’était qu’un florin de moins de ce que l’État h s payait : i tje prendrais en payement tes huit cent mille francs qi e je VEXAIS, dit-U, DE TOUCHER A LA TRÉSORERIE. A Cette condition, je sortirais de l’Abbaye et /munis mon attestation. Je prie mon lecteur, qui mesuitdepuïs que je fais ce mémoire, de se former l’idée de ma figure, car je ne puis la lui dépeindre. Après un moment de silence, je dis froidement à cet I îme : « ’Je ne fais point d’affaires en prison ; allez-vousen dire cela aux ministres qui vous envoient, et e qui savent aussi bien que moi que je n’ai pas touché un sou des huit cent mille francs donl >< vous parlez : sottise qu’on n’a répandue que ii pour me faire piller chez moi la triste nuit du • 10 août ! i>

Vous n’avez pas touché, dit-il en se levant, huit cent mille francs depuis quinze jours ? — Nox, dis-je en lui tournant le dos. Il prit la porte et court en-’ le ne I ai pas re u depuis.

Quand i es messieurs, disais je à son départ, viennent m’en offrir sept florins, c’est pour les revendre sans doute à I Étal onze ou douze, car ils ont tout pouvoir. J’entends maintenant leur affaire ; mais ils m’égorgi ront a ant de l’accomplir, ajoutai-je les dents serrées.

Revenu dans la chambre avec les autres prisonniers, je leur contai à tous ce qui venait de m’aniver, cl je is que moi seul en étais étonné. L Lin de ces ssieurs non, disait : <• Les ennemis oui pris Longwy. S’ils peuvent entrer dans Vi rdun, la terreur gagnera le peuple, et I’m profitera pour nous faire égorger i< i. —.]<■ n’j vois que trop d’apparence, » lui répondis je en gémissant. Le lendi main, on me lii passer en prison le billel que je vais copier.

BILLET.

Colmar, officier municipal, el relui qui a dit en • ■ i i /’i i si « ce avoir des pn uves contre vous, esl cause du nouvel ordre celui qui m’avait remis au ■ • " i ■ Le comité n’a pas voulu prendre sur lui de le décerner ; il a exigé une réquisition écrite du sieur Colmar. Je l’ai vue, Elle e i sans désignation de motifs. On non.— promet de s’occuper de délai. Votre portefeuille est scellé comme vous Vax i ; désiré. Écrivez avec force au comité, que je ne quitte pas.

Ce billel de mon neveu me fut remis par le concierge, à l’honneur duquel je dois dire qu’il adoucissait de son mieux le sort de tous les prisonniers. Je demande a mes compagnons d’infortune la liberté d’écrire, dans un coin et sur mes genoux, un fort mé ire au comité de surveillance dclamairie. M. Thie ? ry me prêta du papier ; M. d’Affry, son portefeuille pour me tenir lieu de bureau. Le jeune Montmorin, assis par terre, le soutenail pendant que j’écrivais. M. de Tollcndal disputait avec l’abbé dt Boisgelin ; M. Gibé me regardait écrire ; M. Lenoir, à genoux, priait avec ferveur ; et moi j’écrivais ma requête, plxis fière, hélas ! peut-être qui ci temps ne h comportait. Je ne lais celte réflexion qu’en faveur de Lccointre, qui vous a dit, ô citoyens, quej’écx ix ais ai i o bassi sse sur ci If’époux antable affaire ! La voici, ma bassesse.1 ceux qui me tenaient le couteau sur le sein :

A Mes

urs du comiti de

de la mairie.

sut 1’’il’m <

Messieurs,

Si je rassemble au fond de ma prison le peu de mots que j’ai pu recueillir sur l’objet trop publie de mon étrange airestation, je juge qu’un ardent désir de voir entrer en France les soixante mille fusils achetés par moi en Hollande, el cédés au gouvernement, vous fait ajouter foi aux viles accusations de quelques calomniateurs, aussi lâches qui mal instruits du très-grand intérêt qui j’ai à voit pi ocuri r ces si cours.

Mais, laissant là mes intérêts comme négociant et comme patriote, et d’après leurs imputations, permettez moi, messieurs, de vous faire observe] de nouveau que la conduite qu’on tient envers moi est diamétralement opposée, quelle nuit en tous sens u u bien qui 1 ous préti ndi z faire. Ce qu’il j a de plus pressé n’est-il pas’I éclaircir les faits, déposer des bases solides qui puissent régler votre conduite et vous faire juger la mienne ?

c. Au lieu de cela, messieurs, depuis cinq jours je traîne alternativement du corridor obscur de la iii.in fi à la prison infeeti di l’Abbaye, sans que l’on m’ait encore interrogé sévèrement sur des faits d’une telle importance, quoique je n’aie cessé de vous le demander, quoique j’aie apporté el laissé dansvotn bureau h portefeuille qui contient ma justification entière, fait ma gloire de citoyen, el peui seul vous montrer le succès après les travaux.

c Cependant ma maison, mes papiers ont été visités, ei la plu, sévère recherche n’a fourni à vos e lissaires que des attestations I cables pour moi ! Mes scellés onl été Ims : moi seul je suis sous le scellé d’une prison incommode et malsaine, par l’affluence trop excessive des prisonniers qu’on y envoie.

« Forcé, messieurs, de rendre à la nation le compte le plus rigoureux de ma conduite en cette affaire, qui ne devient fâcheuse que par les torts d’autrui, j’ai l’honneur de vous prévenir que si vous refusez la justice de m’entendre en mes défenses et mes moyens d’agir, je me verrai forcé, à mon très-grand regret, d’adresser un mémoire public à l’Assemblée nationale, où, détaillant les faits, tous appuyés de pièces inexpugnables et victorieuses, je ne serai que trop bien justifié ; mais la publicité même de mes défenses sera le coup de mort pour le succès de cette immense affaire. Et m’emprisonner au secret ne pourra garantir personne de mes réclamations pressantes, puisque mon mémoire est déjà dans les mains de quelques amis.

« Comment, messieurs, nous manquons d’armes ! Soixante mille fusils seraient depuis longtemps on France, si chacun eût fait son devoir. Moi seul je l’ai fait vainement ; et vous ne hâtez pas l’instant de connaître les vrais coupables ! Je vous ai répété, messieurs, que j’offrais ma tête en otage des soins que je me suis donnés, des sacrifices que j’ai faits pour amener ces grands secours : je vous ai dit que je mettais l’horrible malveillance au pis ; et parce que j’ai demandé le nom de mes vils délateurs et le bonheur de les confondre, au lieu de continuer mon interrogatoire à peine commencé, vous m’avez fait rester trente-deux heures complètes, sans voir revenir au bureau ceux qui devaient m'interroger ! Et, sans la douce compassion qui a pris quelque soin de moi, j’aurais passé deux jours et une nuit sans savoir où poser ma tête ! Et l’affaire des fusils est là sans aucun éclaircissement ! et le seul homme qui puisse vous éclairer, vous l’envoyez, messieurs, au secret dans une prison, quand l’ennemi est à vos portes ! Que feraient de plus, pour nous nuire, nos implacables ennemis ? un comité prussien ou autrichien ?


« Pardonnez la juste douleur d’un homme qui attribue ces torts plutôt à de grands embarras qu’à la mauvaise volonté. Mais c’est qu’on ne fait rien sans ordre, et que pendant ces cinq malheureux jours j’ai été effrayé du désordre qui règne dans l’administration de cette ville.

« Signé Caron de Beaumarchais. »

Le lendemain 29 août, sur les cinq heures du soir, nous philosophions tristement. M. d'Affry, ce vieillard vénérable, était sorti, la veille, de l’Abbaye. Un guichetier vient m’appeler : « Monsieur Beaumarchais, on vous demande ! — Qui me demande, mon ami ? — M. Manuel, avec quelques municipaux. » Il s’en va. Nous nous regardons. M. Thierry me dit : « N’est-il pas de vos ennemis ? — Hélas ! leur dis-je, nous ne nous sommes jamais vus : il est bien triste de commencer ainsi ; cela est d’un terrible augure ! Mon instant est-il arrivé ? » Chacun baisse les yeux, se tait : je passe chez le concierge, et je dis en entrant :

» uni de vous tous, messieurs, se nomme M. Manuel ?

— C’est moi, nie dit un d’eux eu s’avançant. 

— Monsieur, lui dis-je, nous avons eu, sans nous connaître, un démêlé public sur mes contributions. Non-seulement, monsieur, je les payais exactement, mais même celles de beaucoup d’autres qui n’en avaient pas le moyen. Il faut que mon affaire soit devenue bien grave pour que le procureur syndic de la commune de Paris, laissant les affaires publiques, vienne ici s’occuper de moi ? « — Monsieur, dit-il, loin de les laisser là, c’est pour m’en occuper que je suis dans ce lieu ; et le premier devoir d’un officier public n’est-il pas île venir arracher de prison un innocent qu’on persécute ? Votre dénonciateur Colmar est reconnu un gueux ; sa section lui a arraché l’écharpe, dont il est indigne : il est chassé de la commune, et je .’mis même en prison. On vous donne le droit de le silice en toute justice. C’est pour mus faire oublier notre débat publie, que j’ai demandi à lu communt de m’ absenter une heure pour venir vous tirer d’ici. Sortez a l’instant de ce lieu ! »

Je lui jetai mes bras au corps, sans pouvoir lui dire un seul mot : mes yeux seuls lui peignaient mon âme ; je crois qu’ils étaient énergiques, s’ils lui peignaient tout ce que je pensais ! Je suis d’acier contre les injustices ; et mon cœur s’amollit, mes yeux fondent en eau sur le moindre trait de bonté. Je n’oublierai jamais cet homme ni ce moment-là. Je sortis.

Deux officiers municipaux (les deux qui avaient levé mes scellés) m’emmenèrent dans un fiacre, de. vinez où, lecteur’ ?... Non : il faut vous le dire ; vous le chercheriez vainement !... Chez M. Lebrun, ministre des affaires étrangères, qui sortit de .son cabinet et me vit...

Arrêtons-nous encore une fois. Ma cinquième et dernière partie ne laissera rien, citoyens, ;i désirer sur ma justification promise, et, j’ose espérer, attendue.

CINQUIÈME ÉPOQUE

citoyens législateurs ! est-il donc vrai qu’en invoquant votre justice je doive dissimuler une partie des faits qui me disculpent ; m’amoindrir en plaidant ma cause, à peine d’offenser des hommes qui influent ? Il faut que quatre mois d’absence aient bien faussé mon jugement sur l’acception connue du grand mot liberté, puisque je suis si peu d’accord avec mes amis de Paris sur les points importants de la conduite que je dois tenir dans une affaire qui détruit mon existence de citoyen, et porte une atteinte mortelle a cette liberté, à cette égalité de droits que nos lois m’a* valent garanties !

J

Chacun m’écrit : Prenez bien garde à ce qui sort de votre plume ! Défendez-vous, et n’accusez personne ! n’offensez aucun amour-propre, pas même celui de ceux qui vous ont le plus outragé ! Vous n’êtes plus au cours des choses. Songez qu’on a voulu vous perdre, et qu’eussiez-vous • ml fois raison, vous ne pouvez rien obtenir si vous n’êtes très-circonspecl !

que vous avez le poignard sur la gorge, et que tous vos biens sont saisis ! Songez qu’à défaut d’autre crime, on veut vous faire passer pour émigré ! que vous ne dites pas un mot qui ne soit tourné contre vous ! que vous ne faites rien de bien qui n’irrite vos ennemis ! qu’ils sont puissants... et sans pudeur ! Songez que vous avez une fille que vous aimez ! Songez... Oui, j’ai une fille que j’aime. Mais, en la chérissant, je cesserais de l’estimer si je la supposais capable de supporter l’avilissement de son père, et de vouloir que je lui conservasse une fortune qu’on m’envie, et qui fait mon unique tort, au prix d’affaiblir mes défenses en taisant la moitié de ce qui les compose, etde compromettre mon honneur en ménageant des ennemis qui n’ont pas os< m’attaquer tant que je suis reste en France, quoiqu’ils eussent entre leurs munis, depuis six. mois, toutes les pièces sur lesquelles ils ont l’impudence de m’ accuser lorsque je suis absent !

Quoi ! d’injustes ministres ont abusé de mou zèle pour la patrie, et m’ont fait sortir de Fraie e avec port perfide... espérant si bien manœuvrer que je n’y rentrasse jamais ! ou que si j’y rentrais, ce fût chargé de chaînes et couvert de l’opprobre d’avoir desservi mon pays ; accusé de l’avoir trahi ! Et j’affaiblirais mes défenses ! Quoi donc ! d’un pays libre où ils ont du crédit, il envoyé chez un peuple étranger, qui se dit libre aussi, un courrier extraordinaire, pour m’en ramener garrotté, espérant pouvoirs la Haye ce qu’ils n’osent tenter à Londres, quand ils ont eu la lâche négligence d’y laisser échappe) des faussaires, des fabricateurs d’assignats, qu’un homme vigilant y tenait en prison, faute de lui répondre, ou (I v envoyer des courriers, pendant sept ou huit mois ! Moi je garderais le silence ! Quoi ! sur des crimes supposés ils ont voulu me rainer de Hollande pour être égorgé dans In route, ou par des gens payés par eux, i u pat notre peuple abusé, avanl d’arriver aux prisons, où l’on b-i mirait de m’amener pour y produire mes défenses ! VA je tairais, moi, citoyen, tous ces grands abus du pouvoir !

— Oui, mon cher ! il Le faut, ou vous êtes perdu. Mes amis, on a’esl poinl perdu quand on

! Être perdu, ce n’esl pas 

(] i tre tue : c’est de mourir déshonoré ! Pourtant, i ontenl - ! le ne les accuserai poinl sur cette affaire méi onnue, mais qu il de mettre au jour : carj : dois sauver mon hone e’ puis h - empêi lier de consommer la ruine de mon enfant, même d’assassiner son père ’.

Je ne les accuserai point. Jo dirai seulement les faits, les appuyant de piècesinexpugnables, comme je ne cesse de le faire. La Convention nationale, bien supérieure aux petits intérêts de ces individus d’un jour, car elle n’est qu’un grand écho de la volonté générale, qui est d’être juste envers tous ; la Convention discernera sans moi les coupables de l’innocent ! ceux qui ont trahi la nation, de celui qui l’a bien servie ! Alors elle proi lesquels d’eux ou de moi méritent le décret qu’ils ont fait prononcer sur un faux exposé ! Dans quelle affreuse liberté, pire qu’un réel esclavage, serions-nous tombés, mes amis, si l’homme irréprochable devait baisser les yeux devant des coupables puissants, parce qu’ils peuvent i ai < abler ? Quoi donc ! tous les abus des vieilles républiques, nous les éprouverions à la naissam e de la nôtre ! Périssent tous mes biens, périsse ma personne, plutôt que de ramper sous ce despotisme insolent ! Une nation n’est vraiment libre que lorsqu’on n’obéit qu’aux lois. citoyens législateurs ! ce mémoire lu par vous tous, j’irai me mettre en vos prisons ! Tu m’y consoleras, ma fille, comme la jeune et vertueuse Sombreuil, dosant laquelle mou aine se prosternait à l’Abbaye, aux approches du i si ptembre ! J’en suis resté, lecteurs, à la stupéfaction du ministre Lebrun, de me voir dans son beau salon, avec mon air de prisonnier, ma barbe de cinq jours, mes cheveux en désordre, en linge sale, en redingote, entre deux hommes en écharpe... Oui, monsieur, lui dis-je, c’est moi. Victime dévouée, je sors de l’Abbaye, où certains délateurs § connaissez m’ont fait mettre, en criant partout que c’est moi qui méchamment m’oppose à l’arnos fusils. Vous savez trop, monsieur, a qui ■ r •

Un municipal m’interrompt, dit au ministre : «Nous somm -ohm, !,.,, monsieur, parlamunicipalilé, vous demander, d’après les explications de M. Beaumarchais, dont on est satisfait, si vous voulez OU non faire partir à l’instant son courrier pour la Hollande, avec toul ce qu’il faul pour gui nous arrivent. — 11 ne faut, dis-je, aua termes du traité, qu’un cautionnement arrêté trente fois malgré trente promesse : il me faul un passeport, il me Tant gui Iqut s fonds. » Je ironais,i M. Lebrun les yeux un peu fuyards, la parole allongée, et la voix incertaine^ 11 dil à ces m issieurs que.., rien ne... retenait... : qu’en... <~" mont .1 il... n’en pouvait finir... : mais que si ulions... venir demain matin... . ce serait l’affaire... d’une heure.

Qui donc étonnait M. Lebrun ? Était-ce mou cmprisonnement, ou ma sortie inopinée ? Je ne le savais pas encore.

Nous nous retirâmes, avec parole pour le lendemain à neuf heures. Nous nous rendons au comité de surveillance de la mairie, où l’on me donne, avec beaucoup de grâce, une attestation de civisme dont je dus être satisfait. J’en avais eu déjà une première. Je convins avec ces messieurs que je la rapporterais, et que de deux on en ferait une seule, que je pourrais faire afficher.

Le lendemain, un des municipaux vient me prendre chez moi, me mène chez M. Lebrun à neuf heures. Il était sorti, nous dit-on. Nous revînmes à midi ; il n’était pas rentré. Nous revînmes à trois heures ; enfin il nous reçut. J’avais appris par mes intelligences qu’il avait écrit à M. de Maulde de 1 1 ntr Bfi n vite à Paris, mais il ne m’en avait rien dit. Peut-être pensent-ils, disais-je, qu’ils tireront de lui quelques notions propres à me nuire, et que c’est là l’objet de son voyage î

En m’expliquant avec M. Lebrun devant notre municipal, je dis avec un peu de ruse que dans mon mémoire à l’Assemblée nationale je la priais de mander M. de Maulde pour rendre témoignage de mes puissants efforts, aidés des siens, sur l’extradition des fusils. Il me répondit un peu vite : Épargnez-vous cette peine ! il sera ici dans deux jours.

« Quoi ! monsieur, lui dis-je, il revient ? Cette nouvelle me comble de joie. Il rendra bon compte de nous à l’Assemblée nationale, et ramènera mon la Hogue ! » Son air ministériel lui revint à ces mots ; et, coupant sur l’explication, il nous quitta, puis nous fit dire qu’on l’enlevait pour terminer un objet très-pressé.

Le municipal, étonné, me dit : « Je ne reviendrai plus ici perdre le temps en courses vaines ; on enverra qui l’on voudra. — Voilà, depuis cinq mois, lui dis-je, la vie que l’on me fait mener : je dévore tout sans me plaindre, parce que c’est une affaire qui intéresse la nation. »

Le soir même, 29 août, j’écrivis à M. Lebrun : « Au nom de la patrie en danger, de tout ce que je vois et entends, je supplie M. Lebrun de presser le moment où nous terminerons l’affaire des fusils de Hollande.

« Ma justification ? je la suspends. Ma sûreté ? je la dédaigne. Les calomnies ? je les méprise. Mais, au nom du salut public, ne perdons pas un moment de plus ! L’ennemi est à nos portes, et mon cœur saigne, non des horreurs que l’on m’a faites, mais de celles qui nous menacent.

« La nuit, le jour, mes travaux et mon temps, mes facultés, toutes mes forces, je les présente h la patrie : j’attends les ordres de M. Lebrun, et lui offre l’hommage d’un bon citoyen.

« Signé Beaumarchais. •>

Point de réponse. La nuit suivante, à deux heures du matin, mes gens vinrent tout effrayés médire que des hommes armés demandaient Pou 1 des grilles. « Ah ! laissez-les entrer, leur suis dévoué, je ne résiste à rien. » Nous n’en eûmes que la frayeur. C’étaient tous mes fusils de chasse que l’on venait me demander. « Messieurs, leur dis-je, quelle volupté trouvez-vous à choisir ces heures nocturnes pour vous rendre ainsi redoutables ? Quand il faut servir la nation, quelqu’un veut-il s’y refuser ? »

Je leur fis donner sept fusils précieux, à un et à deux coups, que j’avais ; ils m’assurèrent qu’on en aurait grand soin, qu’ils allaient sur-le-champ les déposer à la section. Le lendemain au soir j’y envoyai : l’on n’en avait aucune nouvelle. C’est peu de chose, me dis-je, que cette perte : c’est une centaine de louis. Mais eau : de Hollande ! ceux de Eol-J’écrivis à M. Lebrun, le soir même, cet autre --ant :

• Paris, ce 30 août 1792.

« monsieur- ! ô monsieur ! si l’incurable aveuglement jeté par le ciel sur les juifs n’a pas frappé Paris, cette nouvelle Jérusalem, comment ne peut-on rien finir sur les objets les plus intéressants pour le salut de la patrie ? Les jours composent des semaines, et les semaines font des mois, sans que nous avancions d’un pas ! Pour le seul passe-port de M. de la Hogue à renouveler au Havre pour la Hollande, treize jours se sont passés sans que j’aie encore pu ouvrir les yeux à aucun homme sur le mal qu’on fait à la France ! Un courrier est venu du Havre, et il est reparti en portant à M. de la Hogue l’ordre le plus étrange qui put se donner dans ce cas. Le voilà Finiu ? ! et l’on me demande pourquoi les soixante mille armes de Hollande ne nous arrivent pas ! et je suis forcé de répondre que si le diable s’en mêlait, il ne pourrait pas faire pis peu/ les empéch r d’an i • i .’

■ J’ai été prisonnier six jours à l’Abbaye et au secret pour ces misérables fusils ! Et je suis prisonnier chez moi, parce que j’y attends le rendez-vous que vous m’avez promis pour finir ! Je connais tous vos embarras ; mais, si nous n’y travaillons point, l’affaire n’a pas de jambes pour avancer toute seule.

« On est venu cette nuit chez moi à main armée m’arracher mes fusils de chasse, et je disais en soupirant : Hélas ! nous en avons soixante mille en Hollande ; personne ne cent rien faire pour m’aider, moi datif, n fes en arracha- : et l’on vient troubler mon repos .’

« Je suis un triste oiseau, car je n’ai qu’un ramage, qui est de dire depuis cinq mois à tous les ministres qui se succèdent : Monsieur, finissez donc l’affaire des armes qui sont en Hollande ! Un vertige s’est emparé de la tête de tout le monde, chacun dit un mot et s’en va, me laissant là sans nulle solution. pauvre France ! ô pauvre France !

« Pardonnez-moi mes doléances, et donnez-moi un rendez- vous, monsieur : car, par ma foi, je suis au désespoir.

ii Signé Beaumarchais. »

Point de réponse.

On voit avec quelle patience j’oubliais mes maux personnels, pour me livrer tout entier à ceux de la chose publique. Pourtant le lendemain de ma sortie de la prison j’avais été au comité de surveillance de la mairie chercher l’attestation promise.

Jugez de mon étonnement, lecteurs ! Tous les bureaux étaient fermés, les scellés sur toutes les portes et ces portes barrées de fer. « Qu’est-il arrivé ? dis-je aux gardes. --Hélas ! monsieur, tous ces messieurs sont enlevés de leurs fonctions. — Et cent cinquante prisonniers qui attendaient là-haut, dans des greniers, sur de la paille, qu’on leur apprit pourquoi ils étaient là ? — On les a conduits en prison, on en a bourré les cachots. — Ô Dieu ! me dis-je ; et plus personne de ceux qui les ont arrêtés ! Comment cela linira-t-il ? qui les retirera de là ? »

Je m’en revins chez moi le cœur serré, disant : Manuel ! ô Manuel ! quand vous me disiez : Sortez vite, j’étais loin de m’imaginer qu’un jour plus tard il ne serait plus temps ! Grâces, grâces vous soient rendues, mon très-généreux ennemi ! aucun ami ne m’a servi si bien.

Je réunis les deux attestations du comité de surveillance en une, puisque personne ne pouvait plus le faire, et je la fis promptement afficher. La voici :

ci Attestation donnée à P.-A. Caron Beaumarchais par le comité de surveillance et de salut public, servant de réponse à toutes les dénonciations calomnieuses, à toutes les listes de proscription, notamment à celle imprimée des électeurs de 1791, qui ont été au club de la Sainte-Chapelle, où il est un chammi nt inséré.

ci Ces vingt-huit et trente août mil sept cent quatre-vingt-douze, l’an IV de la liberté et le [° r de

Y ;j :ilili nous, administrateurs de police, membres 

iln comité de surveillance et de salut public, séant à la mairie, avons examiné avec la plus scrupuleuse attention tous les papiers du sieur Caron Beaumarchais. Il résulte de cet examen qu’il ne s’y est trouvé aucune pièce manuscrite ou imprimée qui puisse autoriser le plus léger soupçon contre lui, ou faire suspecter son civisme.

Nous attestons, en outre, que plus qou examinons l’affaire de l’arrestation dudit sieur Caron Beaumarchais, plus nous voyons qu’il ! n’est nullement coupable des faits à lui imputés, et n’est cas h i spect : pour quoi nous l’avons renvoyé en liberté.

Sous reconnaissons avec plaisir que la dénonciation faite contre lui, et qui a motivé l’apposition des scellés chez lui, et l’emprisonnemenl de sa personne à l’Abbaye, n’oioit point de fondement. ci Nous nous empressons de mettre sa justification dans tout son jour, et de lui procurer la satisfaction qu’il a droit d’attendre des mandataires du peuple.

" Nous croyons qu’il a droit de poursuivre son dénonciateur devant les tribunaux, et avons remis audit sieur Caron ses registres et papiers. " Fait à la mairie les jour et an susdits. Les administrateurs de police, membres du comité de surveillance et de salut public.

« Signé, Panis, Leclerc, Duchesne, Duffort, Martin, etc. "

Le dimanche 2 septembre, n’ayant aucune réponse du ministre Lebrun, j’apprends que la sortie de Paris est permise : fatigué de corps et d’esprit, je vais dîner à la campagne, à trois lieues de la ville, espérant de revenir le soir. À quatre heures l’on vient nous dire que la ville était refermée, qu’on sonnait le tocsin, battait la générale, et que le peuple se portait avec fureur vers les prisons, pour massacrer les prisonniers. C’est bien alors que je criai, dans ma gratitude exaltée : Manuel ! ô Manuel ! Mon cerveau martelait comme une forge ardente. Je crus que j’en deviendrais fou ! Mon ami m’invita d’accepter un gîte chez lui. Le lendemain, à six heures du soir, un commandant di 1 - gardes nationales des environs vient lui dire tout bas : << On sait que vous avez chi , • i M. de Beaumarchais : les tueurs l’ont manqué cette nuit dans Paris ; ils doivent venir la nuit prochaine ici, l’enlever de chez vous ; et peut-être m’obligera-t-on de m’y rendre avec toute ma troupe. J’enverrai dans une heure chercher votre réponse : dites-lui bien qu’on sait qu’il y a des fusils dons srs rans, il soixante milh en Hollande, qu’il ne i eut pas que nous ayons, quoiqi on i.i.s lui ait rien payés. Aussi c’est bien horrible à lui ! — Il n’y a pas, dit mon ami, un mot de vrai à Ions ces roules. Je vais lui parler au jardin. > Je le vois arriver à moi, la figure pâle et défaite. lime l’ail son triste récit : ci Mon pauvre : ami, dit-il, qu’allez-vous faire ? — D’abord, ce que je dois à l’ami qui me donne hospice : quitter votre maison pour qu’elle ne soit point pillée. Si l’on vient chercher la réponse, dites que l’on est venu me prendre, que je suis parti pour Paris. Adieu. Gardez mes gens et ma voiture, et moi je vais aller à ma mauvaise fortune. Ne disons pas un mot de plus ; ivi ’nez au salon, n’y parlez plus de moi. » Il m’ouvre une petite grille, et me voilà marchant dans les terres labourées, fuyant tous les chemins. Enfin, dans la nuit, par la pluie, ayant fait trois lieues de traverse, je trouvai un asile, chez de bonnes gens de campagne, a qui je ne déguisai rien et dont je fus accueilli avec une bospilalité si touchante et si douce, que j’en étais ému aux larmes. Par eux, à travers vingt détours et sans que l’on sût où j’étais, j’eus des nouvelles de Paris. Les massacres duraient encore, mais les Prussiens pénétraient en Champagne. J’oubliai mes dangers, et j’écrivis à M. Lebrun : h Do ma retraite, le i septembre 1792. Monsieur,

• Après avoir passé six jours en prison, soupçonné par le peuple de ne pas vouloir que les soixante mille fusils que fui arketes il pni/is pour lui depuis six mois en Hollande arrivent en France, n’est-il pas temps que je me justifie, en repoussant le tort sur tous ceux qui en sont coupables ? C’est ce que je fais en ce moment, par un grand mémoire destiné à l’Assemblée nationale, à qui je veux encore une fois faire choir les écailles des yeux. « En l’attendant, je vous adresse ma requête aux états de Hollande, du mois de juin, sur les fusils, sur leur déloyale conduite envers un négociant français. (Elle s’était égarée aux affaires étrangères, comme tout ce qu’on y renvoie.) J’ai écrit à M. la Hogue de revenu i I instant i Fans, puisqu lenfei qu : s’opposi ii ce qu’aucun bit u ne s, fasse pour ce uniheureux pays-ci, l’a encore empêché de s’embarquer pour la Hollande.

« Ah ! si les ministres savaient quel mal un seul quart d’heure d’inattention, de négligence, peut faire en ces temps malheureux, ils regretteraient bien le mois qu’ils viennent de nous faire perdre sur l’affaire de ces fusils !

« Et quant à moi, monsieur, après avoir reçu du comité de surveillance les plus fortes attestations sur mon civisme et sur ma pureté, d’après la lecture réfléchie des pièces accumulées dans mm) portefeuille su/ es armes, je me vois de nouveau poursuivi par la fureur du peuple et obligé de me cacher pour ne pas en être victime, tandis que ceux qui n’ont rien fait que nuire à ces opérations sont tranquilles chez eux, souriant de mes peines, et peut-être cherchant à les porter au comble ! Ce n’est pas vous, monsieur ; mais je les nommerai. « Vous m’avez demandé quels moyens je croyais meilleurs pour terminer cette interminable entreprise. Il n’y en a point d’autres, monsieur, que de suivre les errements tracés dans le traité fait avec MM. Lajard, Chambonas et les trois comités réunis ; di m point enchainert nFrqnce le vendeur qui doit vous les livrer, car cela est par trop étrange ! puis consulter M. de Maulde, conjointement avec M. la Hogue, sur les moyens de ruse que peut employer le commerce, puisque notre cabinet est trop faible pour prendre un parti firme contre les états de Hollande : enfin, de ne plus perdre des mois à essayer de me trouver en faute, quand les preuves crèvent les yeux sur mes travaux et sur mes sacrifices. On dirait, à voir la conduite que l’on tient en France envers moi, que la seule affaire importante soit de me ruiner, de me perdre, en se moquant que soixante mille armes arrivent ou n’arrivent point. Je vais demander des commissaires pour bien éplucher ma conduite et celle des autres par contre-coup. Il est temps, et bien temps, QUE CET HORRIBLE JEU FINISSE ! « Je vous conjure, au nom de la patrie, de songer au cautionnement, au misérable cautionnement, si minime en affaire si grave ! Si l’on ne m’a pas égorgé avant que M. de Maulde arrive, je me ferai un sévère devoir de venir, à tuas risques, au rendez-vous que vous m’aurez donné.

« Daignez lire ma requête aux états de Hollande, et devenez mon avocat contre les malveillants d’une affaire aussi capitale.

« Je suis avec respect,

« Monsieur,

« Votre, etc.

« Signé Beaumarchais. »

P. S. « Dans ce moment, où le pillage peut se porter sur ma maison, j’ai fait mettre en dépôt, chez un homme public, le portefeuille de cette affaire. Je puis périr, et ma maison : mes preuves ne PÉRIRONT POINT. »

Je ne sais si ce furent les grands mots que je répétais dans ma lettre, de mémoire à l’Assemblée nationale, où je repousserais les torts sur ceux qui s’en rendaient coupables, qui me valurent enfin, le 6 septembre, ce billet des bureaux, au nom de M. Lln’iiu :

a Paris, le 9 septembre 1792, l’an IV* de la liberté. o Le ministre des affaires étrangères a l’honneur de prier M. de Beaumarchais de venir, demain vendredi, le matin à neuf heures, à l’hôtel de ce département, pour I imini r l’affaire des fusils. Le ministre désire que le tout soit réglé avant dix heures du matin vous l’entendez, lecteurs ! il ne fallait qu’une heure), afin d’avoir le temps d’en prévenir M. de Maulde, qui a reçu ordre de ne point partir de la haye. C’est demain jour de courrier pour la Hollande. »

Par les détours qu’il fallait prendre pour arriver à moi sans que je fusse dépisté, ce billet ne m’y vint que le lendemain à neuf heures : c’était celle du rendez-vous que M. Lebrun me donnait ; ce qui le rendait impossible, étant à cinq lieues de Paris, ne pouvant m’y rendre qu’à pied, seul, à travers les plaines labourées, pour n’y arriver que la nuit.

Deux choses, comme on juge, me frappèrent dans ce billet. La première, qu’il se pouvait qu’on se fût bien douté qu’étant caché hors de Paris je ne viendrais pas en plein jour m’exposer à me faire tuer, et qu’alors on dirait que c’était bien ma faute si l’affaire n’était pas finie, ayant manqué le rendez-vous qu’on me donnait pour terminer.

La seconde est qu’on m’y disait que l’on avait contremandé le voyage de M. de Maulde, lequel avait été appelé sans que l’on m’en eût averti. Si mon lecteur n’a pas perdu de vue la petite ruse dont j’usai pour découvrir le véritable objet du retour de l’ambassadeur, il sera frappé comme moi de l’annonce qu’on me faisait du contre-ordre qu’il avait reçu.

Sur la joie que j’avais montrée à la nouvelle de son retour, on paraissait avoir conclu que ce retour pourrait me faire beaucoup plus de bien que de mal ; et ou l’avait contremandé.

Je répondis sur-le-champ à M. Lebrun : d De ma retraite, à une lieue de Paris If étais à cinq, • ’ ;epterabre 1792.

Monsieur,

« De la retraite qui me renferme, je reponds à votre lettre comme je peux et quand je peux : elle i fail vingt détours pour arriver à moi ; je ne la reçois qu’aujourd’hui vendredi, à neul heures du matin. Il est donc impossible que je me rende chez vous avant dix heures. Mais, quand je le pourrai-, c’esl ce que je me carderais bien de faire ; car on me mande de chez moi qu’après le massacre des prisons, le peuple veut aller chez les marchands, chez les gens riches. Il y a une liste de proscriptions immense ; et, grâce aux scélérats qui crient dans les places publiques que c’est moi qui m’opposi à l’arrioét de nos fusils, je suis noté pour être massacré ! Laissons donc partir cette poste de vendredi : comme il faut que les lettres aillent par I Angleterre ou par un bateau frété à Dunkerque pour la //« ;/<’, puisque le Brabanf est fermé, nous regagnerons bien les deux journées que nous perdons.

« Je vous prie donc , monsieur, de changer l’heure de la conférence, de dix heure- du matin en dix heures du soir, pour que je puisse arriver chez von- avec moins de danger de perdre la ne qu’en plein jour.

"Mou zèle pour la chose publique est grand ; ii sans ma vie mon zèle ne sert de rien. Je me rendrai donc, si je puis, ce soir à dix heures chez vous ; -i je ne puis avoir une voiture et ries sûretés pour revenir dans ma retraite, ce ne sera que I r demain au soir. Mais nul temps ne sera perdu, car ce n est pas une lettre de M. de Mauldi qui peul seule finir i affaire : c’esl la présence de M. la Uoyui ou de moi, avec des mesures bien prises ; c’est le cautionnement de cinquante mille florins par If, Du ; i "/, en mon nom, i / des fon ’• pour solder tous les comptes que ces retardsoul occasionnés ; ce sonl ’i passi poi ts tels, que l’on ne soit point arrêté sur la route : el une intelligeni e supi ê n adresse, puisque les moyens de fierté ne peuvent employés, eua qui seyaient si bien à notre nation, offensée p<w l’affreuse conduite des Hollandais ’ m ’ rs moi,, négociant français ! Le temps qu’on a perdu e-i bien irréparable ; mai - partons du poinl où i- sommes. Je gémis depuis bien longtemps de voir crier partout Des armes ! i I d en savoir soixante mille arrêtées en pays étranger par la sottise ou par la malveillance : c’est l’une ou l’autre, ou toutes deux.

o Pardon, monsieur, -i mes réflexions sont sévères : je me les passe d’autant plus librement avec von-, que ce n’esl pas vous qu’elles atteignent. Mais j’ai le cœur navré de toul ce que je vois. « Recevez les salutations respectueuses d’un citoyen bien affligé, el qui le signe. « Signé Beaumarchais, h

P. S. » Ne dédaignez pas, monsieur, de donner un mot de réponse au porteur, par lequel j apprendrai que vous acceptez mes offres et approuvez mes précautions.

« Moi, le plus courageux des hommes, je ne sais pas lutter contre des dangers de ce genre ; et la prudence est la seule force qu’il me soit permis d’employer.

ci SijJUI BeAUJIABCHAIS. n

Ma lettre fui remise ; et le ministre fit répondre verbalemenl par son suisse qu’il m’attt uda samedi, à neuf heures précises du soir. Je calculai qu’il me fallait quatre heures pour me rendre a Paris, à travers les terres labourées. Je partis le 8 de septembre à cinq heures du soir, à pied, de chez mes bonnes gens, qui voulaient me conduire ; ce que je refusai, crainte qu’on ne nous remarquât.

J’arrivai seul, mes forces épuisées, traversé de sueur, avec ma barbe de cinq jours, mon linge sale, i ii redingote (comme à ma sortie de prison) ; j’étais à neuf heures précises à la porte de M. Lebrun. Le suisse me dit que le ministre, ayant affaire en cemoment, me remettait a onze heures, ce soir, ou demain malin, à mon choix. Je priai le suisse de lui dire que je reviendrais à onze heures, n’osant pas me montrer le jour. Je ne pouvais attendre chez le minisire : quelqu’un pouvait m’y voir, puis ébruiter mon retour ; j’en sortis.

Mais où aller ? que faire en attendant ce rendez-vous ?

La crainte d’être rencontré par quelque 

patrouille incendiaire me lit résoudre à me cacher sur le boulevard, entre des las de pierres el de n lions, où je m’assis par terre. Je m’admirais dans cel asile, OÙ la fatigue m’endermil ; et. -ans un tapage qui se tit assez prés de moi vers onze heure-, on m’ aurai ! trouvé le lendemain matin. .l’entendis sonner l’heure, et je m’acheminai aux affaires étrangères... Dieu ! jugez de ma douleur quand le suisse me dit que le ministre imi’ couché ; qu’il m’attendrait le lendemain, à neuf heures du mutin ! c Vous ne lui avez donc pas dit... -Pardonnez-moi, monsieur, je lui ai dit... — Donnez-moi vite du papier. > J’écrivis celle courte lettre, en dévorant ma frénésie :

Pour M. Lebrun, à son réveil.

nl.re, à onze heures, chez votre suisse.

Monsieur, J'ai fait cinq lieues à pied par les terres labourées, pour venir compromettre ma vie à Paris en cherchant l'heure du rendez-vous qu'il vous a plu de me donner. Je suis arrivé à votre porte à neuf heures du soir. On m'a dit que vous vouliez bien me donner le choix de ce soir à onze heures, ou demain à neuf heures du matin.

« D'après ma dernière lettre, où je vous ai appris tous les dangers que je cours dans cette ville, j'ai jugé que vous daigneriez préférer pour moi le rendez-vous du soir. Il est onze heures; vos fatigues excessives font que vous êtes couché, dit-on. Mais moi, je ne puis revenir que demain après brune, et j'attendrai chez moi l'ordre qu'il vous plaira me donner.

■ Ah ! renoncez, monsieur, à me recevoir dans le jour. Je courrais le danger de ne vous arriver qu'en lambeaux!

J'enverrai demain savoir quelle heure vous me consacrerez le soir. La poste de Hollande ne part que lundi matin. Le sacrifice du danger de ma vie était le seul qui me restât à faire pour ces fusils : le voilà fait. Mais n'exposons point, je vous prie, un homme essentiel à la chose, eu lui faisant coui ii' les rues de jour.

« Je vous présente l'hommage d'un bon citoyen. «Signé Beaumarchais. »

Le temps de me copier donna relui de ni'amcncr un fiacre- J'arrivai chez moi à minuit. Je renvoyai le fiacre à six cents pas, pour qu'il ne sût point qui j'étais. En rentrant, j'eus bien de la peine a modérer chez moi la joie de me revoir encore vivant : je recommandai le secret.

Le lendemain matin j'écrivis à M. Lebrun :

« Ce dimanche 9 septembre 17;)j.

i' Monsieur,

\ la courageuse franchise de mes démarches d'hier au soir, jugez de mon zèle. Rien ne saurail le refroidir : mais ils m'ont fourré dans toutes les listes de clubs suspects, moi qui n'ai de ma vie mi- le [lied dans aucun ; qui n'ai même jamais été '/ l'Assembtà nationale, ni a Versailles, ni à

i est ainsi que la haine agit ! Tout ce qui peut livrer un homme à la fureur d'un peuple égaré,

ILS LE FONT DIRE CONTKE .MOI. C'est le s,e

qui m'empêche de vous voir le jour. Ma morl n'est bonne à rien, ma vie peut être encore utile. A quelle heure voulez-vous donc me recevoir ce soir? Toutes me sont égales, depuis la brune de sept heures jusqu'au crépuscule de demain. «J'attends vos ordres, et suis avec respect, « Monsieur,

« Votre, etc.

• S .ne Beaumarchais, a

Le ministre me lit dire encore par son suisse de venir U soir même à dix heures. Je m'y rendis. Mai- le suisse, baissant les yeux, me remit, de sa part, au lendemain lundi à la m imi h ure.

Dévoré d'un chagrin mortel, j'\ revins le lundi " dio, heures du soir. On voil que, quand la chose importe, je jette sous mes pieds les dégoûts qu'on me donne. Mais, au lieu de me recevoir, il fit remettre chez son suisse le billel de laqua transcris ici :

« 10 septembre 179 !.

" Monsieur,

i Comme il n'y a pas aujourd'hui de i on il. monsieur Lebrun prie M. de Beaumarche de vouloir bien repasser demain au soir à neuf heures trois cards il ne peut avoir Ihonneur de le voir ce soir par raison de travaille-. »

le repondis sur-le-champ au billel — Quoi!

encore une lettre ? — Je vois l'impatience du lec- teur... — Monsieur de Beaumarchais se moque-t-il de nous, avec son fastidieux commerce? — Non, non, lecteur, je ne m'en moque point. Mais votre fureur mesoulage:elles'amalgame avec la mienne; et je ne serai pas content que vous n'ayez fende eux pieds, de colère, tous ce- récits ! Ah ! -i beaucoup de gens le font, j'ai gagne cet odieux procès ! J'in- idignation !

En effet, citoyens, voyez cet. homme courageux, au prétendu bonheur duquel beaucoup li portaient envie ! Le trouvez-vous assez humilié? Si

vous voulez savoir comment, savoir | 'quoi il le

soutirait, ah ! je consens a vous l'apprendre.

J'avais voulu d'abord bien servir mon pays. Ma fortune était compromise : ces vexation- accumulées avaient tourné mon zèle en obstination surl'arrï- es fusils... — Tu ne veux pas que la nation les ait, parce que tu ne les fournis pas, disais-je; elle U s aura malgré toi !

Les dangers que j'avais courus, et ceux, hélas ! que je courais encore, changeaient mon courage en fureur. Ah ! la pauvre nature humaine! Mon amour-propre et l'orgueil s'en mêlaient! et puis je me disais: Si ces messieurs, avec les avantages d'un grand pouvoir, une grande cupidité, les

moyens de tout envahir...; s'ils gagnent sur i

le dessus, je ne suis que brutal: eux, ils sonl ti -- adroits. Le peuple est abusé: ils auront n. qu'ils veulent; et moi, je serai poignardé !

L'affaire alors changeant encon

cramponnai au succès. J'oubliai tout, an r-propre

et fortune, et ne voulus que réussir. Je ra] mou secours tout ce que la prudence a de subtil et de déiical : je dis: 11 faut fouler aux pieds la va- mt; . :st une cargaison d armes que j -ipromitia à mon pays : voila le but, il faut l'atteindre : tout le reste n'esl que moyens. Quand ils ne sonl pas mal- honnêtes, on peut les user tous pour arriver au but. Nous jetterons l'échafaud bas, quand le palais sera construit. Ménagi ces messieurs !

Je répondis par la lettre suivante au beau billet de cuisinière, lequel m’avait transmis le nouveau délai du ministre :

A M. ti brun, minist — « Paris, Il septembre 1792.

" Monsieur,

» Chaque journée perdue rend le péril plus imminent. Je vous ai dit, monsieur, que ma têt< était en danger tant qui l’affaire ne marchi pas. Personne ne veut me croire lorsque je dis que je passe près des ministres les heures, les jours, les semaines et les mois en sollicitations inutiles. Dénoncé comme un malveillant, je vois mes amis effrayés me reprocher de rester exposé dans celle ville aux fureurs d’un peuple égal

p Pour faire avancer l’entreprise, je suis sorti de ma retraite, el nous avons perdu trois semainesà attendre.1/. di Maulde, qw l’on faisait, disiez-vous, revenir, et qui enfin m revient point. Dans les menaces qu’on me fait, je vois qu’on n’épargne personne : les scélérats s’exercent, et la surveillant me dit : Mais pourquoi ne finit-on point ? En effet, on n’y comprend rien. Je me crève inutilement : je cours les plus affreux périls ; mes sacrifices sont au comble, et l’affaire des fusils est là 1 ci Je me présenterai chez vous ce soir, à neuf heures trois quarts, comme votre billet me l’indique.

■ Recevez les respects d’un homme affligé. ■ Signt Beaumarch us. o

Je joignis à relie lettre un court traité à faire signer à MM. Si 1 1 an el Li brun, confirmatif de i elui du 18 juillet : non que je crusse qu’ils le signeraient, mais je voulais que l’effort existât de ma part.

Loin de m’introduire le soir, rumine il l’avait promis, M. L brun n’eut pas honte de me renu tire i ni ore, par la bouche du suisse, au h ndemain au soir, mercredi 12 de septembre, à huit heures. chez M. Servan, où le conseil s’assemblerait. Quoi ! dis-je avec fureur, il veul donc me faire égorger ? Après m’avoir force de quitter ma re-I fai perdre cinq jours en me repoussanl tous les soirs, contre ses paroles précises, la tin de loul est de compromettre nia vie en me rorçanl de nu montrer au milieu de mi — ennemis’ Devant aller le lendemain publiquement à l’hôtel de la Guerre, guerroyer contrt h pouvoir, el risquer le loul i’le lout, jc pris mon parti sur-le-champ. Dédaignant loule sûreté, je m’en fus en plein jour a l’audience de ce ministre. J’avais mon porti ■ feuille : je me fis annoncer. Il me parut un peu surpris.

Je n’ai pu, lui dis-jeen entrant, obtenirde voire bonté un rendez vous moins dangereux qu une au d i conseil : je viens vous demander, monsieur, jusqu’à quel point vous Irouvcz bon que j’j porte mes explications. — Moi, je n’ai rien à vous prescrire, me dit-il ; on vous entendra. » On annonça M. Clai it ri. Il entre, el je lui dis : c Puisque je dois, monsieur, traiter demain, dansle conseil, l’affaire dos fusils de Hollande, permettezmoi de vous faire une prière : c’est d’oublier nos anciens altercas. Des ressentiments particuliers doivent-ils influer sur une affaire aussi nationale ? i es ressentiments, me dit-il, sont trop anciens pour être ici de quelque chose ; mais on prétend que vous vous entendez avec votre vendeur pour que ces fusils n’arrivent pas…

Monsieur, lui dis-je en souriant, si quelqu’un y travaille, il est bien clair que ce n’est pas moi ! J’allais lire à monsieur ma dernière lettre à ce vendeur, M. Osy, de Rotterdam, et la réplique du négociant : cela répond à tout ; je vous prie de les écouter. ■>

Ici je demande pardon au correspondant hollandais, si l’un de nos débats sort de nos cabinets et de mon portefeuille. La circonstance m’y oblige ; mais c’est surtout pour instruire Lecointre que je copie la lettre tout entière.

LV. Osy et fils, de Rotterdam, ■ ! < prêsi nt à B) « a — H s.

« t’aris, le 2 auguste 1702.

« Je reçois, monsieur, une lettre de mon ami qui est à Rotterdam, par laquelle j’apprends que vous avez eu des inquiétudes que je ne vous renvoyasse, pour le léger solde des armes, à M. la Haye d< Bruxelles, ou que je ne cessasse de vous payer à son acquit. Si j’eusse eu des raisons pour changer de conduite, monsieur, la première chose que j’aurais faite eût été de vous en prévenir, en vous motivant, sans détour, ma nouvelle résolution : car c’est ainsi que les gens probes se conduisent.

« Loin de cola, monsieur, el malgré me— rm coi lentements contre la Haxji el contre vous, j’ai donné ordre à mon ami de vous solder entièrement, sans attendre même l’arrivée de M. d< la Hogue, lequel repart pour la Hollande : car il faut bien que je fasse, en hommi bless* d< l’injustice du gouvernement hollandais, ce que vous eussiez dû faire vous-même pour un h’le négociant qui s’est substitué si i<i.1 ! imenl à vous, cl qui vous couvre entièi i mi ni de vos risques, en ajoutant le cautionm nu nt auquel vous vous êtes engagé, envers feu l’empereur lé pold, a ses payements de tout genre. d Certes, monsieur, quand vous avez vendu ces armes, vous n’avez pasdû vouloir tendre un piège ., voti acquéreur, en lui rejetant sur lecorps tout le fardeau des embarras donl vous vousseriez facilement lire, si l’affaire eût continué a vous — tn personnelle, vu le crédit que je vous —ai— auprès des deux puissances autrichienne el hollandaise, qui blessent sans pri ta te, et poui si 1 1 ir l tique, le droit des gens et du commerce en la personne d’un négociant français, et d’une manière si outrageuse !

• Mais avant de porter mes plaintes éclatantes au tribunal de l’Europe entière contre ceux dont j’ai à me plaindre, j’ai voulu que tous intérêts d’argent de qui a traité avec moi fussent absolument soldes, afin qu’on n’eût aucun prétexte a m’opposer qui pût excuser tant d’horreurs. « En conséquence, monsieur (et ceci vous est étranger), j’ai commencé par payer toutes les primes que chacun s’est permis de s’adjuger sur un marché où personne que vous et moi n’a sorti de sa poche un florin, pas un sou. h Je vous ai fait payer à vous non-seulement le capital des armes, mais tous les frais de caisses, de raccommodages de fusils, ceux même de justice, dont vous ne m’avez fait donner le compte qu’après coup. Restent ceux très-considérables du cautionnement exigé ; enfin tout ce qu’il vous a plu m’imposer pour vous débarrasser vous-même. « Mais après tant de sacrifices faits pour me mettre en état de tenir mes engagements envers nos îles du golfe qui attendent ces armes, et à qui notre gouvernement n’eut pas mauqué d’en envoyer des siennes, s’il n’eût pas cru devoir compter sur mon honneur et sur la foi de mes paroles, je me crois en droit de crier hautement à la vexation, ut demi 1 plaindn ouvertement du gouvernement hollandais, puis de M. la Haye et de vous, dont pas un n’a daigné dire un mot ni faire une démarche pour obtenir la levée de l’indigne embargo qu’on a mis sur mes cargaisons dans un pays qui ne fleurit que par la liberté du commerce, et qui ne rougit pas de gêner dans ses ports celui des autres nations.

« .Non. vous n’agissez pas avec moi en honorable négociant, monsieur, en ne faisant aucun effort pour me faire rendre une justice que je n’aurais cessé de réclamer ici pour vous, si notre gouvernement eût été assez lâche pour vous en faire une pareille, et que vous m’en eussiez prié ! Les négociants, monsieur, ont des principes plus nobles que les faiseurs de politique. Eux seuls enrichissent les États, réparent,. lorsqu’ils sont loyaux, tout le mal que font les puissances, qui ne savent rien qu’asservir, tout gêner et tout engloutir. Que l’on s’éiic après si les peuples, indignés </• v i •, , , sous un pareil joug, font des efforts aussi terribles pour essayer de s’y soustraire !

« Mais laissons là tous les maux des nations, pour nous renfermer vous et moi dans ceux qui nous sont personnels. Vous êtes payé par moi, monsieur, et vous ne m’aidez point à faire partir les marchandises quej’ai loyalement soldées ! vila tous mes griefs et mes sujets de plainte. Vous êtes trop fin négociant, homme trop éclairé, monsieur, pour ne pas être frappé de la justice de mes reproches.

« Recevez les salutations d’un homme blessé jusqu’au vif, et qui le signe ouverti Sigm Caron Beaumarchais. ■

M. Osy, messieurs, dis-je à nos deux ministres, après m’avoir écrit que nous marchons d’accord sur le reste et les irai— que qous devons régler, finit sa lettre par ces mots, aussi insignifiants que s’il était grand politique :

■le crois le mieux, monsieur, de ne pas répondre sur les traits lances contre moi dans votre lettre. Je me bornerai à vous dire que si je peux vous être utile, je serai toujours charmé de vous prouver la considération parfaite avec laquelle j’ai l’honneur de me dire, monsieur, votre, etc. « Osy de Zéquewart

« Rotterdam, 23 août 1702. »

M. Claviêre se leva, et sortit sans dire un seul mot. M. Lebrun me dit : M. Claviêre a des soupçons ; el c’esl a vous, monsieur, à les détruire. Comment depuis cinq mois ces fusils n’arrivent-ils pas ? — Et c’esl "its, monsieur Lebrun, qui me le demandez, quand vous faites tout le contraire de ce qu’il foui pour qu’ils arrivent ; quand, retenant notre cautionnement, vous n’accordez aucun appui à M. de Maulde en ses efforts ! Vous connaissez son écriture: voyez ce qu’il m’écrit. » Je fouille dans mon portefeuille. — C’est bien elle, dit-il; il lit: « Vous ne doutez pas, monsieur, de toute mon activité, de tout mon zèle… Eh bien ! monsieur, je vais vous parler le seul langage digne de vous et de moi, la vérité.

« Ce gouvernement ennemi est décidé d’être injuste envers nous tant qu’il pourra l’être im-PUNÉMENT, et les circonstances ne prêtenl que trop à sa duplicité. En conséquence, ils sont décidés A NE l’AS ACCORDER L’EXPORTATION DE VOS ARMES. (Entendez-vous, monsieur Lebrun, qui feigniez </■ tout ignorer sur la nature des obstacles qui nous rci nai ut ces fusils, et’/m avez lu cetti lettn et i ingt autres d. M. de Maulde à vous, sans jamais y avoir répondu ! Je ne vois qu’un parti à prendre, celui de diviser l’objet entre plusieurs négociants et de prendre avec eux des lettres de garantie, etc. Alors vous pourrez être sur de l’expédition, puisque les négociants hollandais ne cessent d’en obtenir pour leur compte. Voilà le moyen indiqué par les circonstances. M. Durand voudra bien me suppléer pour l’analyse; mais permettez-moi de vous ajouter que vous ne devez pas compromettre plus louptemps vos intérêts. Vous voudrez bien raisonner de ceci avec M. de la Hogue, dont i.’arsence devient BIEN LONGUE, etC.

(M. de Maulde avait bien raison de s’en plaindre. Pendant cinq mois laHoguene lui rapporta aucune réponse, ni personne. les fabricateurs d’assignats fui’ut a mis i h liberté, et leur empoisonnement a recommencé de plus belle ! Voilà toute l’obligation que nous avons à nos ministres : interrogez M. de Maulde.)

Eh bien ! dis-je.1 M. /.’brun, est-ce encore moi ijui arrête les fusils" ? l’ant que vous retiendrez le r.auti mm nr nt comtm rcial exigé par M. Osy, puis-je entamer un vain débat contre la politique hollandaise, débat auquel lez aucun concours, aucun appui ?

Puis-je même employer le moyen du commerce sans ce maudit cautionn ment, lequel, eu lin de compte, ne doit coûter à notre France qu’une commission de banque ? M. Cto en el vous, vous I ; ignez de ne pas m’entondre !

Non, ce n’est pas cette commission, ni même ce cautionnement, qui arrête ["affaire ; non, c’esl la sale intrigue d’un siew Constantini et de ses associés, ]’lesquels on dirait qu’on me donne tous lins, sur lesquels je vous ai écrit, qui m’ont l’ait traîner en prison, espéi’anl que l’on m’y tuerait, el que nia l’ami Ile aux abois leur donnerait les armes pour rien, après que je ne serais plus, pour les revendre à la France bien cher !… M. L brun me dit qu’il ne pouvail m’écoutcr plus longtemps, son audknci l’attendant. Je le quittai fort mécontent.

El vous, Lecointre, qui avez lu mon épitre à M. Osy, sa réponse, la lettre de M. deMaulde, il me semble qu’i a toul ceci Provins, le brocanteur, ne fait pas très-grande figure ! Comment prouverez-vous cette phrase qu’on vous fll mettre dans votre dénonciation, que j’ai feint à Paris qui h gouvernement hollandais s’opposait à l’extradition des armes ; tandis que, selon vous, c’était Provins tout seul et ses sublimes prétentions qui nous arrêtaient es fusils, lorsqu’il n’était question de lui que dans l’intrigue des bureaux, [tour me tuer à coups ■ : 1e ?

on, Lecointre, ce n’est pas vous qui avez dit ces faussetés ! Lrompé par des brigands, vous avez abusé la Convention nationale…Vous revien-Irez de votre erreur, car ou vous dit très-honnèle homme !

lendemain 12 septembre au soir, devant le 1 il lé, je m’y rendis avec mon portefeuille, celi 1 subjugua la suit 1 ildénonciations vagues

et les clameurs des Colmar, des Larcher, des Mat at t d autres, le dis : Voilà enfin l’ultimatum de mes explications ! je dois les rendre convain-— ! ons amis,.-entant toul m langer, voulurent au moins m’accompagner. Moi, je ii—, 1 mon domestique : — Prends mon portefeuille . la redingote, reste dans l’antichambre ; el, ^’il m’arrivail un malheur, sans dire que moi, fuis vit irtefeuille. Ci <’

mon honneur et ma vengeance que tu portes lé sous ….1

Nous arrivons : tout le conseil s’assemble. la fin on me fait entrer. J’avance en saluant, sans rien dire à personne, el mé mets près de M. Lebrun. Voyanl qu’on ne me parlait pas, j’explique en peu de mots le grand objel qui m’amenait. M. Danton était assis de l’autre côté de la table ; il commence la discussion ; mais, comme je suis presque sourd, je me lève, et demande pardon si je passe auprès du ministre parce que j’entends mal de loin), en faisant, selon mon usage, un petit cornel de ma main. M. Clavièri fail un mouvement. Je regarde, et je vois que le rire de Tisiphone gàtail ce visage céleste. Il trouvait très-plaisant que j’entendisse mal. 11 entraîna tout l’auditoire ; on rit : j’avais juré que je me contiendrais…

Nous commençâmes la disi roulas ! » 1 m’ut. M. Dantonme dit : « Je veuxplaider ■ rocureur. — Moi, la gagni r

avocat », lui dis-je. M. Claviers pril laparole, el dit : » Ce cautionnement ifêtait pas dans l’acte de M. de Graves : donc cet acte n’est pas le même. —S’il avait dû être semblable, répondis-je à M. Clat < pourquoi l’eùl-on recommencé ? Les circonstances étaient changées : je demandais sans nul détour que l’on nie rendit nies fusils puisqu’on m’avait prouvé qu’on nt s’en souciait pas. ou que l’on se soumil à des conditions raisonnables. Les trois comit s réunis wee l s deux ministres ont choisi le dernier parti. Ce sonl ci — conditions qui forment le second traité : donc il dut être diffèrent. M.’lavière ne dil plus rien.

M. Danton me demanda si, donnant lecani ment, le gouvernement serait sûr d’avoir à la fin les fusils. « Oui, lui dis-je avec rorce, si l’on ne gâte pas vingt fois l’affaire, comme on l’a qu’à pli sent, n

M. Danton médit encore : Quand nous aurons ilonné le cautionnement, si les Hollandais s’obstinaient à ne pas rendre les fusils, qui nous rendra argi ni du aut im mi nt ? — Personne, lui répondis-je, parce que ce n’est point de l’argent qu’on doit donner de votre part, mais seulement un engagement de payer certaine valeur, si VOUS n’eti> caution

. tel que le traité le comporte ; qu’en second lieu, si les États de Hollande retenaient les ’eux, comme il n’y aurait point d’exporlation, le cautionnement tomberait de lui-même : nulle équivoque là-dessus. D’ailleurs, M. de Maulde el moi ne remettrons cel acte qu’en nous délivrant l’ordre d’embarquer nos fusils. — Mais, pu 1 est simple, repril encore M. Danton, le donnez-vous pas ? — l’aria raison, lui dis-je, que c’esl à vous que je livre les armes, el qu’après les avoir distribuées dans nos possessions d’outremer, si l’on ne me rapportai ! pas [’acquit à caution déchargé, par né§ ligem e ou bit n pai mali n’ayant aucun moyen pour vous 3 obliger, je payerais la vali ur de ce 1 autionncmi nt, el l’on se moquerait de moi. Celui qui seul a intérêt aux armes, qui en fait l’usage qu’il lui plaît, et qui seul a la faculté de faire décharger à ses îles l’acquit de ce cautionnement, est celui-là aussi qui doit seul le donner ; son intérêt alors le sollicite d’être exact sur la décharge de l’acquit. »

Je vis très-bien que ce ministre ne savait rien de ce qui se passait ; je le lui dis : on se lâcha. . ! i répondis : « Messieurs, si c’est un compte à rendre de ma conduite en celte affaire que vous exigez tous de moi, ah ! je ne demande pas mieux : mon portefeuille est ici pour cela ; nous la reprendrons ■ t non partiellement, comme vous faites. » M. Clavière se mit encore à rire : à mon tenir, je me lâchai. Il se leva, cl dit en s’en allant : Je chargerai quelqu’un de suivre l tout en Hollande, et de nous en rendre bon compte. Et moi je répondis : « C’est me faire honneur et plaisir. » Il sortit, et M. /( tait I.

M. Lebrun soutint encore qu’un autre que M. la lait plus propre à terminer l’affaire des fusils en Hollande, à cause de la publicité, A.h ! volontiers, messieurs, si c’est en votre nom. pour recevoir les armes avec M. de Maulde. Hais pour li siû» ’/-, non, messieurs : autre que lui ne le fera ! Rappelez-vous ma grande lettre du 19 août dernier, où la question est traitée 1res à fond. Peut-on exiger qy ius fasse Imrerparun autre • agent de .ses affaires ? Il stipule mes intérêts ; veillez sur les vôtres, messieurs ! je moi, sur la malveillance ! chacun de nous aura l’ait ce qu’il doit. » M. Lihriui me répondit : u Nous en raisonnerons demain ; ces messieurs vous ont entendu.

« — Entendu, monsieur, répliquai-je : oui, sur la moindre des questions ; mais, je le jure devant vous, ils ne savent rien de l’affaire : ce n’est pas ainsi qu’on s’instruit ! Jamais vous ne m’avez permis d’entrer avec détail au fond de la qui faudra donc que je l’explique à l’Assemblêt nationale. J’y trouverai plus de faveur, car il ne me faut que justice. • ■ Nous sortîmes tous du conseil. Je prie M. Danton, de même que Roland, qui ne sont rien dans l’affaire ; je prie aussi M. G le secrétaire du conseil, de vouloir attester que notre séance fut telle. D’ailleurs, ma lettre du lendemain, écrite à M. Lebrun, va vous certifier, citoyens, tous les délails du la soirée. Je me mets à vos pieds pour obtenir de ous que vous la discutiez avec la plus grande attention. J’y retravaillerais dix ans, que je ne pourrais mieux y poser la question. De si terribles choses ont suivi cette lettre, qu’on ne peut trop bien la connaître. « MONSIELT.,

« La séance du conseil d’hier au soir, où je fus appelé, me semblait destinée eà déleiminer les moyens de donner la plus prompte exécution an traite du 18 juillet sur les amer, rct nues en Ifollandt . Vous n’en avez touché que le point le moins I ni, parce

qie ; la question n’a pas été posée de façon à l’aire avancer l’affaire, comme j’eus l’honneur de vous le fain obsi i ver.

« Au lieu d’agiter uniquemenl la question des moyi os d t ai te, on a passé le temps à examiner si l’on devait OU non en admi ses, r, ;/, du cautionm nu nt. En sorte que je une espèce d’interrogatoire sur les motifs qui avaient fait changer un traité précédent en celui-ci, ce dont il me semblait qu’on ne devail pas s’occuper, à moins qu’il ne s’agil d’éclairer ma conduite, et de porter un jugement. Alors ce n’était point partiellement, monsieur, que l’on devait m’interroger, mai- bien sur la totalité, comme je l’ai offert ;el j’avais là toutes les pièces qui tondent ma justification, et font éclater mon civisme. Mais s’il ne s’agil réellement que di - ."■ cécuter les claust s d’un tt ailt de a mm << : c< nti •" tant s, tous les

autres rapports, monsieur, sonl étrangers à ci Lte discussion. Les seuls qui nous rapprochent et qui ut la chose sont ceux de vendeur el d’a-Comme ach t’ ur, si le département de la guerre se croyait en droit à" écarter une seule des cl Vaett ; comme vendeur, je ne pouvais êlrt tenu d’en utei aucîmercarcetraiténowsiîi égal ment. Donc, pour notre sûreté commune, et raisonner commercialement, nous devons nous borner à nous soumettre aux lois que l’acte nous impose, el rien de plus.

Donc ce n’es ! pas, monsieur, parce qu’il est plus ou moins avantageux . : i l’acheteur de donner le cautionnement, qu’il le doit, mais parce g J’y oblige. Lorsqu’il s’agira de prouver le très-grand intérêt qui le fit adopter par les m omités, je le ferai victorieusement ; mais c la touche la partit civiqut de l’affaire, el non on aspecl commercial, qui est l’exécution dt remplirai, messieurs, loyalement mes obligations : ne tiraillez point sur les vôtres, el je vous pi its bien que notre affaire marchera enfin. « Quel cœur français peut être froid sur un objet si important" ? Ce n’est pas le mien jure ! me- preuves ne sont que trop bien faites ! ii Mais, pendant que nous discutions, il s i passait dans l’antichambre la scène la plus scandaleuse sur moi. En sortant du conseil, M. Rotoidy a dil à quelqu’un tout haut, en répondant à une demande : Je suis là occapi d’une affaire qui nous tient depuis avant-hier, ’t qui m finira point i t mi la fin de la guerre, celle desfusilsde M. Beaw A peine, hélas 1 fut-il sorti, après avoir donné, sans dessein, celle nouvelle publicité à une affaire si délicate... qu’il se forma, comme au Palais-Royal, un cri de proscription sur moi : j’y fus traité comme un malveillante punir. I/un d’en Je pars demain pour la Hollande, et je la ferai bien finir ! Un autre : Il ne veut pas qui ces fusils-là entrent ; depuis cinq mois lui seul les retient en Hollande ! Et toutes les horreurs ont suivi. Deux de mes amis qui m’attendaient agitèrent entre eux s’ils ne devaient point entrer, vous prier de me faire sortir par une autre issue que celle-là.

ci Sur-le-champ j’ai écrit au président de la commission îles m mes, pour le prier de vouloir bien nommer des commissaires, négociants, gens de loi, pour éplucher sévèrement ma conduite, offrant ma tèti pour otage ; et prononcer enfin qui mérite h blâme ou l’éloge dans l’affaire de ces fusils : car je puis être déchiré par les bacchantes, comme Orphéi . avant que les armes arrivent, et elles n’arriveraient jamais !

l.Tini isdonc, monsieur, je vous en supplie, la partie commerciale de l’acte, pendant que j’en justifierai, devant un comité sévère, l’esprit, pour la troisième fois depuis qu’il a été conçu ; je ne puis plus soutenir l’état où celle affaire me met. Monsieur,

« Voire, etc., etc.

« Signé Caron Beaumarchais.

Ce 13 septembre H92. »

J’écrivis le soir même au comité des armes ; je sentais, à l’éclat qui s’était fait sur moi, à l’hôtel delà Guerre, pendant que j’étais au conseil, que mon danger était très-imminent : j’avaisle poignard sui la gorge. Mon mémoire fut remis le lendemain malin li septembre.

Beaumarchais à la Commission des armes. < Monsieur le président,

■ Le nom du comité auquel vous présidez m’annonce que mon affain’les fusils de Hollande esl spéciale ni de son ressort. Depuis cinq mois, à peine puis-je nie faire écouler de quelqu’un, pour mettre à fin l’affaire la plus intéressante au salut de notre patrie. De ce que ces arme— n’arrivenl point, les ignorants du fait, sur/nui mes ennemis, concluent que c’est moi suit qui les arrête, tandis que j’ai la preuve en main que peut-être moi seul j’ai fait mon devoir de patriote actif el de grand citoyen dans celle interminable affaire. < Pendant que les nouveaux ministres sont occupés, monsieur, de sa partie c merciale, et ne peuvenl donner leur temps à l’examen sévère de ma conduite, dent ils ne voient que des points, sans être à même d’en parcourir, d’en jiiger la série entière, j’ai l’honneurde vous prévenir qu’il importe également au salut public el au mien que ma conduiti soit épluchée par des commissaires < < li i n —, des négociants, des gens de loi, à moins qu’il ne vous convienne, monsieur, el au comité, de m’entendre ; ce qui marcherait plus au but, qui esl l’arrivêt di fusils.

i> demande une attestation de ci isme el de pureté qui assure mon existence, el j’offre ma tête en otage, si je ne prouve pas que je l’ai méritée par les plus grands efforts qui puissent honorer un Français.

« Si vous me refusez, monsieur, je puis êtn égorgé, ■mur j’ai déjà manqué de l’être trois fois pour cetti affaire. Ma mort n’est bonne à rien ; ma vie peut être encore utile, puisque sans elle vous n’obtiendrez jamais les soixante mille armes que l’on nous relient en Hollande.

» Je suis avec un grand respect, ii Monsieur.

ci Voire, etc.

— sijm’Caron Beaumarchais.

ii Taris, ce 13 septembre 1 792. Voila ce que. dans son rapport, mon dénonciateur appelle écrire bassi rm nt sur V affain. Citoyens, j’avais cru que la rigueur contre soi-même était fierté et non bassesse ! Mais on l’avait tellement égaré, que je ne veux plus me fâcher d’aucune chose qu’il ait dite.

La commission des armes me répondil catégoriquement le li sur ma demande, et sans perdre un seul jour. — Ha ! ha ! me dis-je, ces messieurs procèdent autrement qui h pouvoir exécutif ! Ils ont la bonté de répondre ; enfin, l’on sait comment on marche. Voici la lettre que j’en reçus : septembre 11

l’égatité.

l’an IV de la liberté

« La commission îles armes, qui a rem votre lettre du 13 courant, désirerait, monsieur, pouvoir vous entendre ce soir sur votre affaire des fusils de Hollande ; mais il convient préliminaireuient que vous présentiez une pétition à l’Assemblée nationale, qui la renverra à celui de ses comités qu’elle jugera convenable, et probablemenl ce sera à la commission des armes ; alors, monsieur, vous pouvez compter qu’elle conférera d’aulanl plus volontiers avec vous sur l’opération dont vous l’entretenez, qu’elle espère trouver dans le résultai des éclaircissements, et que vous pourrez lui donner l’occasion de rendre un nouvel hommage à votre patriotisme.

.i Les membres de la commission des armes, .. Signé Maignete, Bo, etc. « 

J’envoyai sur-le-champ la pétition suivante à l’Assemblée nationale :

ii Monsieur le président,

« Une affaire immense, entamée peur offrir à la France un grand sec. ans d’armes étrangères, en souffrana depuis Ion gtemps, exige en ce moment une discussion aussi sèvèri que discrète. Lapublicité lui nuirait. Le pétitionnaire vous supplie, monsieur le président, de vouloir bien renvoyer celle discussion au comité, aussi juste qu’éclairé, nommé la commission des ai m s.

« Il vous prie d’agréer l’hommage de son profond respect.

« Signé Caron de Beaumarchais.

« Ce 14 septembre 1792.

renvoi, no 38.

Renvoyé à la commission des armes et au comité militaire réunis, pour en faire l’examen et le rapport incessamment.

« Signé Louvet.

Ce renvoi à la commission, lequel ne se fit point attendre, me combla déplaisir. Je le reçus le 13, et le 15 j’écrivis aux comités militaire et des armes réunis :

« Ce 1S septembre 1792.

« Messieurs,

« L’Assemblée nationale m’ayant fait la faveur de renvoyer ma pétition à votre équitable examen, j’attends vos ordres pour me rendre où il vous plaira me mander. Si j’osais former quelque vœu, ce serait, ô mes juges, que votre assembléi fùtnombreuse, et que le ministre des affaires étrangères daignâts’y rendre aussi comme contradicteur. « Agréez les respects du vieux inutile. « Signé Beaumarchais. »

Deux heures après, la commission des armes me fit la réponse suivante :

« Taris, le 15 septembre 1702, l’an IV de la liberté et le 1er de l’égalité.

« La commission des armes me charge de vous prévenir, monsieur, que, d’après le renvoi qui lui est fait de votre pétition par décret de l’Assembi i nationale, elle entendra avec plaisir ce soir, à huit heures, les objections que vous vous proposez de lui soumettre sur l’affaire des fusils que vous avez négociée en Hollande.

« Le secrétaire-commis de la commission des armes,

« Signé Teugère. »

Voilà, me dis-je en la lisant, comme on fait marcher les affaires ; et non à la façon de messieurs nos ministres, qui, pour chaque incident, vous font perdre quinze jours et courir trente lieues, sans jamais finir sur rien ! Je me rendis le soir arec mon portefeuille aux deux comités réunis. Mais le ministre n’y vint pas pour être mon contradicteur, comme je l’avais instamment demandé.

Mon seul exorde fut prononcé. Du reste, je ne fis que lire tout ce que j’ai mis sous vos yeux. Je lus, parlai pendant trois heures ; le lendemain, pendant une heure et demie. Lecointre, vous seul y manquiez (j’en excepte M. Lebrun) ; vous étiez alors aux frontières, et je vous regrettai beaucoup.

Quoi qu’i ! en —oit, moi retiré, ces messieui 3 corn posèrent l’attestation très-honorable que je vais insérer ici. après qu’ils eurent reçu le compte rendu par deux de leurs membres, qu M— députèrent au ministre Lebrun, lesquels exigèrent ses promesse— —/< me remettre, le lendemain au soir, toul ce qu’il me fallait pour aller délivrer les armes. Je m’y étais rendu de mon coté. Les commissaires dirent au ministre « que les deux comités, « chargés par un décret de l’Assemblée nationale « d’examiner très-sévèrement ma conduit dans " cette affaire, l’avaient trouvée irréprochable et sur « la ferme et sur le fond ; qu’en conséquence ils « étaient chargés parles deux comités, au nom de l’Assemblée, de lui dire que leur mission était « d’obtenir sa parole de me mettre au plus tôt en » état île partir, puisque je consentais à faire le « sacrifice d’un tel déplacement, ci mon âge, et « malade. « 

J’expliquai au ministre que ce qu’il me fallait était un ordre à M. de Maulde d’exécuter le traité du 18 juillet, dans la partie qui le concerne ; ta remise du cautionnement, sans lequel tout le reste était bien inutile ; un passe-port pour moi, un pour M. laHogue, et les fonds que la guerre pourrait me remettre sans gêner le département. M. Lebrun promit a ces messieurs qu’au plus tard pour demain au soir j’aurais ce qu’il faut pour partir. (Ne perdez pas de vue, lecteur, cette promesse. Vous allez voir comment on l’accomplit. C’était h’Mi septembre. Je fus le soir aux comités ; mais ce ne fut que le 19 que le secrétaire me remit l’attestation signée que l’on va lire: « Les membres composant le comité militaire el la commission des armes attestent que, sur le renvoi qui leur a été fait, par l’Assemblée nationale, le I i du courant, de la pétition du sieur Caron Beaumarchais, relative c un achat de soixante mille fusils fait par lui en Hollande, au mois de mais dernier, il en résulte que ledit sieur Beaumarchais, qui nous a exhibé toute sa correspondance, a montré, sous les divers ministres qui se sont succédé, le plus grand zélé et le plus grand désir de procurer à la nation tes armes retenues en Hollande par le ? entraves dues à la négligence ou à la mauvaise volonté du pouvoir exécutif régnant sous Louis XVI; et que, d’après les conférences qu’il a eues avec le ministère actuel, en présence de deua commissaires pris dans le scindes deux comités réunis, le sieur Beaumarchais est dégagé de tout embarras, et mis dans la position heureusede fournir à la nation les soixante mille fusils.

« Sur quoi les soussignés déclarent que ledit sieur Beaumarchais doit être protégé dans l’entreprise du voyage qu’il se propose de faire pour ledit objet des armes, comme étant dirigé par le seul motif de servir la chose publique, et méritant à cet égard la reconnaissance de la nation.

« Fait auxdits comités réunis, l’an IVe de la liberté, le Ier, de l’égalité, 19 septembre 1792. »

Suivent toutes les signatures :

Gabran. l’Ortvier, L. Carxot, etc., etc.

Craignant encore que la mémoire de M. Lebrun le ministre ne trahît sa bonne volonté, le lendemain ti ; septembre je lui adressai, pour rappeler ses souvenirs, une lettre <|ui ne fait que rappeler ce qui a été dit plu* haut : car j’avais soin de constater par écrit le détail des conversations, afin qu’i il ne pût les nier quand le temps d’éclairer la nation arriverait.

Le soir, je fus frapper aux affaires étrangères pour recevoir de M. Lebrun ce qu’il mi fallait pour Ion ses paroles données. Le suisse me dil que jetai— invité île monter au bureau où l’on donne les passe-ports. L’n monsieur, alors très-poli, mais qui a bien changé depuis, me dil que. faute de mon signalement el de celui de M. M Hoguc, nos passe-ports n’étaient pas laits. Je donnai les deux signalements. Le monsieur poli me promit qu’il— seraient prêts le lendemain. Je voulus passer chez le ministre pour recevoir m » lettn à 31. de Maukle, le cautionm m on nie dit

qu’il était sorti.

Le lendemain 17. j’y retournai : le chef du bureau des passe-ports nie dit encore très-poliment nôtres devant être sis nés par tous les ministres ensemble, il fallait qu’il y eùl conseil, mais que eela ne larderait pas. Après l’avoir bien rcmei i ié, je voulus parler au ministre : par mallu m, il était sorti !

Le lendemain t^, j’y fus de si bonne heure, qu’il n’avait point d’affaire pour laquelle il put être absent. Enfin il me recul, ef me dil qu’il ne pouvail pas régler seul les objets qui me regardaienl ; qu’on s’en entretiendrait le se/, — fans h conseil. Je demandai la permission d’y être : il eut la boule de me dire que cela jouirait ygêni r lalibt rtt di opinions. Il voulut Lien m’entrelenir sur les sûretés que je donnerais pour les avances qu’on devait me faire jusqu’à lu livraison des armes a M. •>■ Maulde..le lui remis un aete par lequel j’engageais biens, comme le traité m’y obligeait. Il me dil que M. Clai a’,’’roulail qu en envoyai quelqu’un pour examiner ma conduite en Hol ’—. lin dis-je, monsieur, quel est ce • —l moi qui scruterai la Menue, car je h ferai rien qu’appuyé de bons actes. Pendanl que je les lirai d’un œil, je ferai Lieu le guet de Il ne— remil au lendemain 19, pour le cautioni i fonds ■ i lu lettn à AI. </’Maulde : Lu ren Iranl chez moi, j’écrivis à M. Lebrun pourlui rappelcr ses promesses, tanl je craignais ses distrac lions ! lui ilein i uns el ses bontés. le 19 au soir, par quelqu’un de forl sûr,

; écidéqu’onwi med mnerait pas 

un sou, pas même sur mes deux cent cinquanti nui : livres ! Qu’eût-il servi de me mettre en colère ? Je le voyais : c’était un parti pris. I. homme qu on i nvoyait en Hollande étail.M. Constantini ! Je savais qu’il venail de passer un imite avec tous ne. ministres, pour leur livrer soixante mille fusils qu’il allai ! chercher en Hollande ; je savais que c’étaient < s mi ns ; que, profitant des embarras où le minirnettait, il me devait renouveler ses offres faites par son ami Larcher, en liberté chez moi, puis au secret à l’Abbaye. Je savais qu’il devail me montrer son marche conclu avec tous nos ministres ; que, me prouvant par là quemon mal était je lui céderais mes fusils à sept florins huit sous, pour les revendre douze à la nation sous le bon plaisir des ministres, lesquels ne me donnant pas une obole, me refusant le cautionnement, me sachant bien discrédité par mes six journées de prison et la malveillance connue, espéraient Lien que je ne trouverais rien dans les bourses dont je disposais, el serais trop d’accepter les offres de C<jit<tuidini. VA je savais bien que par contre on l’avait surchargi cent mille francs en avances sur mes soixi nt< mill fusils à livrer au gouverne nt, sous la caution, me dit-on, d’un abbi ! Je savais que leur noble agent, Constantini et compagnie, allait avoir la fourniture exclusivi de touti s h s marchandises, aitm s i ( munitions qu’on devait tirer de Hollande. I< je savais… Que ne savais-je pas ? Je fus le lendemain, avant neuf heures ministre. Par malheur, il était sorti ! Résolu de mi contenir, je lui écrivis chez son suisse, qui me dit, de sa part, de revenir à une heure : septembre 1792, à 9 heures du

matin, chi z

< Monsieur,

Je ne viens point von— importuner plus long temps, mais seulement prendre congé de vous. Je reviendrai à une heure, comme vous me l’ordonnez, prendre vos telles pour U. de Maulde, si vous croj ez devoir m’en remettre.

« Ce que j’appris hier au soir me confirme que je ne dois rien attendre de ce ministère, excepti i ius mon ii ut ; et que je ne puis trop me hâter de partir, si je veux servir mon pays. Je fais un empriini onéreux pour les objets de mon toj le constate juridiquement ; et, quand je reviendrai de Hollande, j /’i rm tout <■< qui eonvkni à un : çais outi

■ Recevez l’assurance <u respecl de » Beaitm vri h

le retournai ver— une heure chez M. Lebrun, li me reçut d’un air… qui semblail annoncer du chagrin de toul celui qu’on me donnait… à peu près l’air… du premier jour que je le vis. Cela me rendit attentil. car c’étail un grand changement.

« Prenez vos passe-ports, me dit-il, et partez. Allez trouver M. de Maulde de ma part et faites ensemble pour le mieux de la chose. —— Et sur quel fondement, monsieur, voulez-vous qu’il m’en croie cuter les devoirs que le traité du 18 juillet . si vous, ministre, qui lu mettez en œuvre, ne.joignez pas une adhésion entière à ce traité, passé par vos prédécesseurs, en lui donnant l’m In ministériel dt Vexécutei-entowtpointïien’en ai nul besoin pour moi, mais lui ne marche que sur < ofre ordre.

« — Il faut bien qu’il le fasse, me dit vivement te ministre, eut ma lettre le lui enjoint : c’est le titre que je lui adresse par vous. Je vais le certifiée !, en l’insérant dans mon paquet. » Il écrivit en ma présence, au bas de l’acte du 18 juillet, ces mots : « Pour copie conforme à l’original. Paris, ce 20 septembre 1792.

« Le ministre des affaires étrangères

" Signé Lebrun. »

Il rouvrit son paquet à M. de Maulde, pour ajouter un post-scriptum relatif à la reconnaissance, à l’adhésion et à l’envoi qu’il lui faisait du lx juilli l.

« Et le cautionnement, lui dis-je, ne le remettez-vous pas ? C’est là le préalable à tout ; et je ne puis partir, si je ne l’emporte avec moi. « — Il vaut mieux pour vous et pour moi (me dit-il sans me regarder) que je l’envoie à M. de Maulde, puisque, l’affaire étant à nous, c’est pour nous qu’il doit h dormi r ! Soyez sûr qu’il le recevra ai on " ée à la Haye.

« Quant aux fonds que l’on vous refuse, ajouta-t-il obligeamment, vous avez raison de voit Mais si vous avez, pour finir, besoin de deux cent mille francs, ou même de cent mille écu nerai l’ordre à M. de Maulde de vous les compte ! sur vos demandes. Il a sept cent mille francs à moi, et je les prends sur ma responsabilité. • Vous me ferez même plaisir, si vous voulez, vous, négociant, sur les notes que je vous remettrai, vous informer du prix des qualités îles toiles, et d’autres objets importants, sur lesquels je serai fort aise d’avoir les avis d’un homme sage. Laissez-moi l’acte et le paquet, et revenez demain matin ; je vous les remettrai avec toutes mes notes. — C’est sur la foi, monsieur, de vos paroles que je pars, lui dis-je en le fixant beaucoup. — Vous comph r, o dit-il en détournant les yeux. J’y retournai le lendemain, 21 septembre ; on m’annonça : le domestique revint, et me remit une simple lettre à l’adresse de M. de Maulde. ■ Le ministre ne peut vous voir. Il vous fait disant qu : M.’àl pas autre • •

dire, que le trait’1 était inséré dans la lettre, et que je partisse au plus tôt.

Bravo ! me dis-je :’iuss> vais-je partir, après autant de jours perdus, sans aucun secours de personne, sans savoir si j’emporte et l’acte certifié et l’ordre de l’exécuter, ou quelque lettre insignifiante comme toutes celles qu’ils écrivent ! Je pris tristement mes passe-ports, et fus trouver une personne qui devait me taira pister 1 argent « pu m’était nécessaire : car je ne comptais plus sur celui de M. L brun.

L’homme me dit : — Monsieur, votre emprunt est manqué ; l’on vous regarde comme un homme proscrit que le gouvernement veut perdre, et les bourses vous sont fermées.

Je revins chez moi, où je pris le peu d’orque tout homme sage met en réserve pour les cas imprévus. Les écus que je destinais pour le trésor national, quand ou m’aurait niais mes fon /-. je les portai chez un banquier, pour avoir un crédit de pareille somme sur la Hollande ; et je partis avec trente mille francs, au lieu des fortes sommes qui m’étaient nécess ont si traîtreusement gardées ! Je partis d me, mais non sai l’ait une protestation contre toutes les horreurs que j’avais éprouvées de nos ministres, et que je voulais déposer cachetée chez mon notaire, r être ouverte en temps et lieu, en cas de mort ou de malheur. Mais la crainte qu’un acte de dépôt de ce paquet cachot.’ne leur d lât, avant le temps, l’éveil sur ma protestation, qui ne devait paraître que dans le cas où le ministre Lebrun manquerait à toutes ses paroles, m’a fait changer d’avis. Je l’ai laissée cachetée sur la table de mon secrétaire fermé, où elle sera trouvée quand on li scellés qui ont été mis chez moi lors du décret d’accusation. Je demande qu’elle soit ouverte et lue en présence des commissaires qui feront l’inventaire de mes papiers, afin qu’elle devienne authentique.

En attendant, je la transcris ici, sur copie que j’en ai gardée.

À Londres, ce S février 1703.

Ma protestation contre les ministres, depo <■ • >.cle chez Me  Dufouleur, notaire, rut Montmartre. Ne sachant plus ce que le sort me garde, ni si je réussirai à vaincre les obstacles que des méchants, des traîtres accumulent chaque jour contre l’arrivée en France des fusils dont la nation a tant besoin, et que les Hollandais nous retiennent à ■

Je iln lare que les manœuvres qui partirent dire, monsieur, de monter au bureau prendre vos d’abord de l’intérieur des bureaux de la guerre passe-ports, et de partir pour la Hollande. « Étonné d’alors sont devenues depuis celles des ministres de la réception : "Mon elur. lui dis-je, demandez— actuels. lui si le traité d’hier est dans la lettre qu’il m’en—)

Je déclare que ces ministres ont fait ce qu’ils

voie, e£ s’il a ou&fté ses « oies. » Il eatra, et revint, me

ont pu (et n’ont que trop réussi) pour arrêter M. de la Hogue en France, et l’empêcher d’aller en Hollande exécuter la mission que les ministres précédents et trois comités réunis lui avaient donnée, conjointement avec moi, d’aller m’exproprier des fusils à Tervère, et de les livrer pour la nation à M. de Maulde, notre ministre à (a Hayi. et maréchal de camp, instruit, selon le vœu du huitième article, — du traite du 18 juillet fi 92.

Je déclare que ces ministres ont supposé un ordre de l’Assemblée nationale, lequel n’a jamais existé ; que, sur cet ordre supposé, ils ont retenu en France M. la Hogue, mon agent.

Je déclare que le ministre Lebrun, répondant le h ; septembre aux députés des comités militaire et des armes, que l’Assemblée lui envoyait pour le presser de me remettre le cautionnement obligé et les fonds nécessaires à la libération des fusils, leur a soh m,. H, m. ut promis que, sous vingt-quatre heures, il me remettrait tout ce qu’il fallait pour aller libérer et livrer à la nation ces armes à Tervère, et me donnerait le cautionnement promis et les fonds stipulés dans l’acte du 18 juillet ; que, d’accord ensuite avec les autres ministres, il m’a déclaré que h conseil exécutif me refusait argent et cautionnement : me promettant, pour m’engager à partir, que lui Lebrun y suppléerait des fonds de son département.

Je déclare qu’en vertu de ces menées et de ces refus, je pars sans aucuns moyens pécuniaires, et presque sans espoir de m’en procurer chez l’étranger, mon arrestation à Paris et mon emprisonnement à [’Abbaye ayant altéré mon crédit tant en ce pays-ci qu’ailleurs.

Je déclare que je proteste de tout mon pouvoir contre la trahison du ministère actuel, que je le rends responsable envers la nation de tout le mal qu’elle peut entraîner, et qu’en ceci je ne fais qu’exécuter ce dont je les ai sévèrement prévenus dans une lettre, en terme de mémoire, remise à M. Lebrun le lu août, cette année, où je lui dis sans ménagement ces mots : — Après vous avoir expliqué ce qu’un nouveau ministre peut ne pas deviner, si le ministère va en avant en i ont] ei arranl ces données, je suis forcé de déclarer, monsieur, qu’ici ma responsabilité [uni ; ’in. j’endè} h fardeau sv h le pouvoir exécutif, que j’ai l’honneur d’en prévenir. « … J’.n été dix fois accusé : n’est-il pas temps m’jU’iifi’.’… Les ministres ne doivent rien ordonner sans être d’accord avec moi ; ou bien répondre seuls de tout l’événement. la — PATRIE, DONT LES INTÉRÊTS SONT BLESSÉS. » .li’déclare, en outre, que j’entends me pourvoir ri justice contre ledit ministère, dans la personne de M. Lebrun, pour tous les dommages que lier odieuse conduite peut faire souffrir à mes affaires ou a ma personne. En loi de quoi j’ai dépoa cetU protestation chez M— Uufouleur, notaire, sous mon cachet, pour êtn ouverte, el puni’que tout usage en suit lait en temps el lieu. ? i le cas y échet. Paris, le 1 1 septembre 1792.

■ Si’iuc Caron Beaumarchais.

..a sixième et dernière époque de mes travaux, de mes souffrances, contenant mon voyage en Hollande et mon passage à Londres, ou j’écris ce très-long mémoire, sous le double lien d’un décret d’accusation en France el d’un emprisonnement pour dette eu Angleterre, a l’occasion de ces fusils | le liait grâce aux boutes de noire sage ministère ! ) ; cette sixième époque, dis-je, —’Ta expédiée pour Vuiii dans quatre jours : el. sitôt que j’aurai l’avis qu’elle est donnée a l’impression, ma justification ne pouvant plus être étouffée, ; sacrifices boul laits pour mon acquittement à Londres : j’en pars, et vais me mettre en | Paris. Si j’y suis égorgé, convention nationale ! faites justice a mou enfant : qu’au moin— elle glane, après moi, où elle devait moissonner ! SIXIEME ET DERMEliE EPOQUE

Législateurs, et vous, ô citoyens ! que l’amour seul de la justice rend assez courageux pour suivre pied à pied ces horribles détails, votre indignation généreuse s’est mêlée à la mienne, en voyant l’astuce perfide avec laquelle le ministère a su m’éloitiinr de Paris, où ma présence embarrassait le plan qu’on formai ! de me perdre ! Encore un moment, citoyens, vous l’allez voir poser le masque ; mais permettez auparavant que je vous mette au l’ait de mes démarches en Hollande auprès de notre ambassadeur. Je m’en allais perplexe et désolé : désol de penser que tout cela n’était qu’un piège ; qu’on me laissait partir sans cautionnement et sansfonds, pour que je ne pusse rien l’aire ; perplexe, hélas ! sur un seul point, qui était de bien deviner pour l’intérêt de quel ministre se faisaient toutes ees manœuvres I

.le connaissais déjà les agents dont ou se — pvail La conduite des chefs était tout aussi claire, mais ils semblaient agir en masse ! Etaient-ils tous daus le secret, ou l’un d’eux trompait-il les autres ? En cheminant, je me disais : Il est prouvé pour moi qu’on veut me mettre au point de quitter la partie, eu cédant les soixante mille, ar — ■< ceux qui doivent ensuite, de concert arec eux, les revendre a la France au prix qu’ils voudront, et sans dire a person pie rV-t ma cargaison. Mai— i.i brun ! mai-, i.i lu-mi ! en est-il, ou n’en est-il pas ? Sa conduite esl inexplicable. J’avais l’ait une observation : c’est que dans tout ceci on ne m’avait jamais renvoyé à M. Servan. Dans la séance du conseil, la seule où je l’eusse aperçu, il n’avait pas ouvert la bouche. MM. Lebrun, Clavière, étaient les seuls à la brèche… Mais les variations du ministre Lebrun ! cet air bonhomme avec lequel il avait hâté mon départ, si opposé à sa conduite de la veille et du lendemain !… Allons, me dis-je, patientons !… l’avenir m’apprendra le reste.

Arrivé le 30 à Porthsmouth, j’étais le 2 octobre à Londres. Je n’y restai que vingt-quatre heures. Mes amis et mes correspondants, MM. Lecointe frères, à qui je dis mes embarras, me donnèrent un crédit de dix mille livres sterling, me disant : « Il faut en finir au plus tôt ; ne perdez pas une minute ! »

Enchanté de leur procédé, je m’embarquai pour la Hollande, où, après le passage le plus pénible qu’on eût fait depuis quarante ans, après six jours de traversée, j’arrivai malade à mourir. Je remis le paquet du ministre à M. de Maulde.

Il le reçut avec beaucoup de grâce, en me disant : « Cet ordre est positif, je m’y conformerai avec exactitude ; mais vous allez trouver ce pays bien semé d’entraves. »

Je lui demandai s’il avait reçu le cautionnement par M. Lebrun. « Non, pas encore. — Monsieur, lui dis-je, achevant le détail de ce que j’avais éprouvé, le ministre m’a dit qu’il vous donnerait l’ordre de me compter deux ou trois cent mille francs, s’ils m’étaient nécessaires, sur tous les fonds que vous avez à lui. — Je n’en ai point, dit-il ; ils sont employés au delà. Sans doute, il m’en fera passer. »

Je le priai de faire donner copie de ce que les divers ministres lui avaient écrit sur cette affaire des fusils. Il me le promit et l’a fait, car c’est un homme de probité.

En attendant que je m’en serve, voici la lettre de M. I brun renfermant le traité du 18 juillet certifié :

A M. de Maulde.

a Paris, ce 20 septembre 1792.

M. Beaumarchais, monsieur, qui vous remettra ma lettre, se détermine à aller en Hollande pour mettre fin à l’affaire des fusils arrêtés à Tervère. Comme vous êtes parfaitement instruit de tous 1’incidents qui ont jusqu’ici retardé l’envoi de ces armes à leur vraie destination, je vous prie de vous entendre avec M. Beaumarchais pour nous LES PROCURER LE PLUS PROMPTEMENT POSSIBLE. Je désire que cet envoi se fasse avec autant de sûreté onomie. Je compte beaucoup sur votre zèle et vos soins pour bien remplir ces deux objets, et je suis persuadé d’avance que M. Beaumarchais VOUDRA BIEN VOUS Y AIDER DANS L’OCCASION. « Le ministre des affaires étrangères, Lebrun. >> I’. S. Viras trouverez ci-joint, monsieur, une copie collationnée du marché fait entre M. Lajard,

ci-devant ministre de la guerre, et M. Beaumarchais. La franchise de cette lettre me ramenait à croire que M. Lebrun pouvait bien n’avoir servi que d’instrument à la haine ou bien à la cupidité des autres. On ne pouvait pas faire des actes d (s. Il n’y a pas un mot, disais-je, qui nous présente un autre sens. (Comme vous êtes instruit, dit-il, de ce qui a ivoi de ces armes À LEUR VRAIE DESTINATION, JC VOUS plie de VOUS 611-M. Beaumarchais pour nous les procurer LE PLUS PROMPTEMENT POSSIBLE.) Quel autre qu’un propriétaire emploierait ces expressions 1 {Je désire que cet en mec autant de sûreté que d’économie.) S’il ne regardait pas les armes comme à eux, que lui importerait l’économie ? Mais c’est que le traité les charge de tous les frais. [Je compte beaucoup sur voti :’■ t voi soins pour bien REMPLIR CES DEUX OBJETS.) Apre— des plll ; l-e— —i pressantes, c’est insulter M. Lebrun que de douter de sa bonne foi ! (et je

M. Beaumarchais voudra bien vous y aider dans l’occasion.)

tout mon rôle changé ! Au lieu d’être aidé dans ma chos

AXS LA CHOSE DU GOUVERNEMENT ! I dis-je, je le ferai, soyez-en sûr, monsieur I j’y mettrai ma chaleur et mon patriotisme, comme si les armes étaient encore à moi. Cela est très-clair maintenant : tant que M. Le---ait en nom collectif, j’étais bien maltraité par lui ; quand il parle en son nom, il est • J’y veux mettre tous mes moyei la malveillance des autres. Le ministre a me lu ie

même d’y aider ; is les fonds di I promis.

Pardon, pardon, monsieur Lebrun ! peut-être que M. Clavière était enfermé avec vous le jour que vous avez refusé de me voir ! Tout cela est Lien tortueux ; mais, hélas ! c’est la politique, et c’est ainsi que tout marche aujourd’hui. N’y pouvant rien changer, soumettons-nous ; et voyons arriver M. Constantini, le mignon et l’élu de nos mi >’ pat) iotes !

Je fus trouver M. de Maulde, et lui dis : « En attendant, monsieur, que le cautionnement arrive, je m’en vais exiger par acte notarié, du vendeur hollandais, qu’il me fasse une expropriation légale, et une livraison pareille, à Tervère même. Mais, comme j’ai affaire à des gens cauteleux à Paris, je veux qu’il soit bien constaté que, pour la première fois que je verrai ces armes (encaissées, emmagasinées, deux mois avant qu’on me les proposât), vous les voyiez en même temps que moi.

« Vous recevrez ma livraison le même jour que je prendrai celle du vendeur hollandais, afin qu’on ne puisse jamais soupçonner que j’en aie changé ou détourné une seule pour le service des ennemis : car c’est là le grand argument avec lequel ils rendent à Paris le peuple furieux contre moi ! Je veux que l’armurier brabançon < qui les a bien huilées, encaissées, emmagasinées à Tervère, il y a un an, vienne les y reconnaître devant vous sur l’état qu’il en fit alors, et que l’on m’a remis depuis, certifié par le vendeur en neuf cent vingt-deux caisses et vingt-sept tonneaux ou barils. »

M. de Maulde me répondit : « Vous pouvez, si vous le voulez, vous épargner tous ces embarras-là : un sieur Constantini, qui m’apporte une lettre du ministre Lebrun, le recommandant à mes soins, m’a prié de vous proposer de lui céder la cargaison entii re « sept florins huit sous la pièce, payés en or, et sur-le-champ. Ce n’est qu’un florin de moins que le prix du gouvernement : et vous le regagnerez bien par tous ! • s soins que i ous i oust pargm :.’Cet homme paraît tort avant dans la confiance des ministres. I ! en a obtenu le privilége exclusif de fournir au Tient tout ci qu’on tire de Hollande. Et les difficultés qu’on peut vous faire en France, il paraît bien qu’on ne les lui fera pas, du moins si j’en crois ses paroles. »

J’ouvris mon cœur à M. de Maulde (un des hommes les plus francs, les plus instruits, les plus honnêtes que j’aie rencontrés de ma vie). Je lui confiai mes vifs regrets sur l’imprudence que j’avais eue de sortir de la nullité dans laquelle je m’en. mrm faire ombrage à personne, en cédant up d’instances pour rendre à mon pays un aussi dangereux !

Je lui rendis tout ce qu’on vient de lire, et les que je courus à l’approche du 2 sep lorsque.1 eus refusé les offres et bien déd menaces de ce M. Constantini.

< Voilà, dis-je, pourquoi l’on m’a dénié tout concours, tout secours et toute justice à ci pouvoir Ils ont voulu nie mettre a la merci de leur Constantini, sans appui et sans nuls moyens ; mais M. Lebrun m’en tirera ! il nie l’a bien promis, el nous aurons servi la France malgré eux : C’est toute ma consolation !

Mais je vous supplie de me dire sous quelle l tistantini vous a prié de me faire ses offres, afin de bien juger des choses que je connais par celles que vous aurez la bonté de m’apprendre. o — Oh ! mais, dit-il, la forme est peu de chose quand le fond est bien avéré. II m’a dit fort légèrement, après m’avoir beaucoup vanté son crédit auprès des ministres — I inc ce Beaumarchais à me céder sa cargaison à un florin <r i moins que Cachai du gouvernement, s’il maravec moi, il s’en trouvera mal ! s’il y it, il i : hera son argent sur le champ << chez la veuve Lombaert, d’Anvers, chez qui j’ai ■ i

■ la sur ce que je lui ai dit que, si vous cédiez les fusils, je n’étais plus tenu d’en recevoir l’expropriation à T nri-e : —.’Je n’en ai pas besoin, dit-il, et je prends tout sur ma responsabilité, i ai du auprès de M. Lebrun. Je ne crains pas i’qu’il me refuse quelque chose, n 11 m’a même ajoute, d’un air un peu protectoral : ■ ous recevez " eliez vous ce Beaumarchais I mais je vous avertis » que cela peut vous nuire auprès de no (i vernement. Pensez-y un peu, je vous prie. Vous le voyez, lecteur, si cet boni ni était fort avant dans la confiance des ministi ••.’

« Lt il faut, au surplus, qu’il soit assez sur de son fait, a continué M. de Maulde, car, ayant acheté un parti de quatre mille fusils, dont M. Lebrun m’écrit qu’il a déjà livré six mille…, — M. Saint-Padou, officier d’artillerie (envoyé par M. Servan pour visiter les armes que ces grands fournisseurs enlèvent de ce pays), ayant voulu visiter ces quatrt milleh leur départ. Constantini m’a dit légèrement : « Je ne veux point de sa visite : je n’ai besoin de lui ni de personne pour les faire accepter là-bas ; je me charge de tout. J’ai du crédit. J’ai dit à Saint-Padou qu’il pouvait s’en retourner. » « Quand, j’ai rendu ces mots à M. Saint Pad ». me dit M. de Maulde, il m’a prié de sollii rappel près du ministre de la guerre, puisqu’il est inutile ici, ces messieurs prétendant se p. contradicteurs : ce que j’ai fait.

« — Eh bien ! monsieur, lui répondis-je, dites à M. Constantini que je rejette avec mépris ses offres, comme je les ai rejetées sous le poignard à l’Abbaye, et qu’il n’aura pas mes fusils. Il y a longtemps que cette affaire n’est plus commerciale pour moi. Certes, mon pays les aura ; mais il les tiendra de moi seul, au premier prix que je les ai vendus, et pas un florin au delà ! Nul brigandage ne se fera dessus ! »

Je tourmentais M. de Maulde pour se transporter à Tervère, et j’invoque son témoignage sur l’empressement que j’y mis. Il me répondait : « Attendons que le cautionnement soit arrivé, suivant votre propre principe, qu’il faut tout mener à la fois. J’en viens d’écrire à M. Lebrun, lui disant que nous l’attendons. »

Depuis le 20 septembre jusqu’au 18 d’octobre, point de nouvelles du ministre ! Ma confiance s’ébranlait. J’écris moi-même, le 16, à M. Lebrun. Ma lettre rappelle ses promesses et tout ce que vous avez lu. Après lui avoir annoncé les embûches qu’on me tendait, j’y mis ce petit P. S. :

« À la première nouvelle de nos succès (de ceux de Dumouriez), notre cent vingt-cinq millions a monté de quinze pour cent ; le change est à trente-six et demi. Il faut être en pays étranger pour se faire une vraie idée du plaisir excessif qu’une bonne nouvelle de France nous cause. La joie y va jusqu’à l’exaltation : elle se compose de notre plaisir, et du chagrin qu’il cause aux autres. »

J’attends jusqu’au 6 de novembre. N’ayant point encore de nouvelles, j’adresse à M. Lebrun une seconde lettre plus forte et plus circonstanciée, mais toujours sur le même objet. Je vais l’insérer dans le texte, uniquement pour contraster avec toutes celles qui vont suivre.

« La Haye, le 6 novembre 1792. " Citoyen ministre,

i. Si ma lettre « lu 10 octobre vous a été remise par mon premier commis, vous y avez vu qu’aussitôt mon arrivée ici, je me suis mis en devoir d’acquitter toutes mes paroles sur l’épineuse affaire des soixante mille fusils. Aujourd’hui j’ai l’honneur de vous annoncer, monsieur, que j’ai forcé mon vendeur, très-Autrichien quoique Hollandais, ou bien parce qu’il est Hollandais, à me livrer légalité semaine, au plus tard la prochaine, la cargaison entière des armes, ( longtemps ; et je le rends garant des obstacles que la politique hollandaise a mis à leur enlèvement. voulant ne reconnaître (à mon titre de négociant ; que l’homme qui i, et non leurs hautes puissances, à qui, lui dis-je, je n’ai rien à demander ; mais bien lui-même, qui est tenu d nt. Il me répond avec

un embarras plaisant que ma logique est aussi juste que pressante, et qu’en me livrant effectivement, comme il s’y prépare, il va faire les plus grands efforts pour m’aider à obtenir promptement l’extradition à’actuel de nos is, dit-il ; et moi je ré ponds:Je l’espère.

z certain, monsieur, que je ne compromettrai point M. deMaulde, qui n’a déjà que trop céments à la Haye (ce dont je me propose parler dans un instant; . Mon intention est de n’employer que ma force de négociant, de citoyen d’un pays libre. Le ministre n’y paraîtra que pour appuyer mes demandes, comme en étant chargé par le gouvernement de France. Mais j’ai l’honneur de vous prévenir, monsieur, que je reste à mon tour sans réponse, quand mon vendeur me dit que je n’ai nulle action civile contre lui jusqu’à ce que j’aie rempli la condition rigoureuse du cauti’lie florins

// ! ( ?, auquel il m’a soumis, l’étant lui-menu empereur. Et M. de Maulde sent si bien la force de cet argument, qu’il n’appuierait aucun de mes efforts, si ce préalable important n’était pas rempli de ma part, à cause de la réponse et nette et rigoureuse que leurs hautes puissances feraient au nom de mon vendeur, comme ce vendeur me l’a faite.

« Je suppose, monsieur, que vous l’avez expédié à M. de Maulde ou à moi, ce cautionnement tant diffère, mais sans lequel il est inutile de rien entamer d’énergique:car, pour que je puisse mettre un autre en son tort, je ne dois pas commencer par y être moi-même. Nous sommes d’accord du principe, M. de Maulde et moi ; et vous sans doute aussi, monsieur ? Nous attendons celte pièce importante. qu>— vous m’avez « 

plus souffrir aucun retard
sans quoi je

n’aurais pas cru devoir partir.

« Je reviens à M. d— Maulde, en vous priant de m’excuser si je sors un moment des bornes indivL duelles de mon affaire de commerce, pour vous parler de politique. Mais, monsieur, je suis citoyen avant tout, et rien de ce qui intéresse la France ne saurait m’être indifférent. Je ne désire pourtant pas que M. d Maulde ait jamais connais— I réflexions que je vous offre ; je craindrais qu’il n’imaginât que je suis ici son espion, ou que j’y fais de la politique à ses dépens, sans nulle mission de personne.

« Si jamais quelque chose eût pu me dégoûter de ce métier de politique, c’est le supplice réel auquel le ministre de France est condamné dans ce pays, l’éternelle cruciation qu’il y souffre, mais fièrement et sans se plaindre. De tous de dégoûts, on l’en abreuve à la journée. Il lui faut une vertu plus qu’humaine, un patriotisme pour ne pas prendre à chaque instant des bottes de sept lieues et s’enfuir ! Je vois qu’il se console de cette affligeante existence en travaillant comme un forçat, faisant sa besogne lui-même, et la besogne, obligé de la faire

le train le plus chétif

yé d’aucune puissance ait jamais eu dans ce pays, où tout le Nord vient aboutir, et qui est, selon moi, le centre de la diplomatie inti de l’Europe, pays où toutes les intrii diverses coalitions viennent se nouer ut — dénouer. Les autres ambassadeurs brillent, corrompent, dépensent et se montrent; lui seul, réduit au plus chétif état, qu’il ennoblit pourtant par un maintien républicain, deviendrait la risée de tous si, avec beaucoup de talent, sa fierté ne le soutenait. D’honneur ! il me fait compassion, et j’ai peine à me persuader que nos affaires n’ firent pas !

<t Avant-hier, trois ou quatre riches ru ° lam me disaient qu’il allait avoir d’autres couleuvres à dévorer, s’il était vrai, comme on l’écrivait de Berlin, que… i$ I, fait, « Ne sachant comment en (amer un point si d.’lient avec M. d<’■’ulde, je me suis proj écrire avant tout. Cela peut attirer des maux incalculables. Cet avis finit la mission que je me suis donnée moi-même. Vous êl — sieur : vous ne me compromettrez point avec notre ex-ambassadeur.

reviens à moi maintenant. Mes lettres de Paris m’apprennent qu’enfin l’ind que des brigandeaux avaient mise sur toutes les sommes que j’aurais à toucher au département de la guerre venait d’êtr

’sans motif ■’■ ipons con damnes en tous dommages eri ma /•’.< ur. C’est cette sale intrigue, c’est cette indigne opposition dirigée par d’autres brigands, qui seule m’empêcha de toucher en juillet les deux cent mille florins que j’ai reconnus dans mon acte m’avoir été payés par le ministre, et dont la retenue a fait un si grand mal à mon affaire des armes et à toutes mes autres affaires. J’ai ordonné chez moi qu’on vous signifiât, monsieur, cette mainlevée, en votre qualité de ministre par intérim du département de la guerre : car je ne puis rester dans la détresse où l’on m’a mis, et qui m’a forcé en partant de faire porter chez mon banquier, pour avoir de quoi vivre ici, le peu d’argent que je conservais en cas d’un malheur Ires-pressant. c. La belle équipée qu’on a faite de m’envoyer à Paris, ■ !) prison, au secret, pour éclaircir Vaffairt des fusils, et celle de la publier ensuite dans des journaux bien scandaleux, ont fait retirer de Hollande les lettres de crédit que’mes banquiers m’avaient données, regardant comme uu homme égorgé, ou tout au moinsforcé de fuir. Mon crédit s’trouve altéré ; el j’avoue que, sur les détails de ce que j’ai souffert en France, beaucoup de gens dans ce pays me prennent pour un émigré, ce qui a’y établit point mon crédit. Tout ce que je dis n’y l’ait rien. Jamais acte patriotique n’a causé tant de mal à aucun citoyen français ! » Quand les détails en seront publiés, on ne comprendra pas plus que les comités qui m’ont donné tant d’attestations honorables ne l’ont fait, comment j’ai pu subir cette persécution constante. ■ L’opposition étant levée, je vous supplie, monsieur, de me mettre en état d’achever honorablement l’ouvrage que j’ai commencé. Quand vous ne m’enverriez d’abord que cinquante mille florins par M. <le Mauldi, comme i ous mt l’avt —— dit i n partant, je me tiendrais fier en Hollande : n’y ayant plus besoin des secours de personne, on y verra m je suis citoyen.

« Si vous jugez à propos, monsieur, de remettre votre réponse à mon premier commis, qui vous rend cette lettre, elle me parviendra plus sûrement que par toute autre voie connue.

Agréez le rcspecl d’un citoyen qui vous honore, el qui ne prodigue point ses éloges. « Signé Beaumarchais.

i’. S. J’ai eu l’honneur de vous mander dans m. i dernière que beaucoup] d’indiscrets Français venaient ici mettre le l’eu dans les affaires qui regardent la France, voulant tout haut des fusils à tout pi ix ; ce qui, en s discréditant, l’ail monter jusqu a des prix fous toul ce qu’on demande i r la France. Qui croirai ! que de pareilles gens sont accrédités par l’État, et qu’une de ces compagnies i rrantes, sur la caution de dispose de cinq cenl mille livres | ■ soixante mille fusils aussi, donl vous n’obtiendrez pas un seul ? ce qui est bien sue ’.ujourd’hui que je sais que ce sont les miens. Kl quant à vos cinq cent mille’Ira ne-, von— le— m trouverez "M ei quand il plaira au dieu qu’on nomme Hasard, etc., etc. ■

Le’i novembre, ne’voyant rien venir, je lui envoie ee peu de mots, pour ne point trop l’impatienter :

A.V. Lebrun.

. La Haye, ce 1 novembre 1 : 02.

ii Monsieur,

« Lorsque la France a d’aussi grands succès, c’est un terrible exil que d’avoir affaire en Hollande.

« Je le serai pourtant, exilé de la France, jusqu’au jiuir oit une lettre catégorique de mus m’apprendra SI LE CAUTIONNEMENT NOUS ARRIVE, OU —"l ne me reste plus qu’a partir, pour aller justifier ma conduite patriotique dans mon pnt/s ! o Recevez les respects d’un citoyen. Signe Beaumarchais.

<> Le trésor et les archives de Bruxelles sont arrivés ; > Hottt rdam:les nouvelles de l’armée de Clairfayt niellent ici tout le monde au désespoir, excepté moi. »

Je commençais à perdre patience, accusant Ions les embarras ou la lenteur de ce ministre ; et. le courrier suivant, je lui écrivis de nouveau. 11 n’était pas possible, après avoir plaidé ma cause au conseil, comme il me l’avait assure ; après m’avoir enjoinl départir au plus vite; après avoir reconnu, ci rtifii l’acte du 18 juilh >:après avoir donné l’ordre à M. de Maulde de l’exécuter avec zèle et promptitude, en me priant de l’y m, I, r ; après m’avoir solennellement promis que le cautiomu un ni éternel serait m, mi moi à la Haye; âpre— m’avoir offert, sansque je le lai demandasse, deux ou trois cent nulle francs sur son département, me priant même de lui envoyer mes avis sur la manière d’acheter lis toiles et autres marchandises sèches de Hollande:je ne pouvais, sans l’insulter, lui montrer aucun doute sur sa lionne volonté. Prenant patience en enrageant, j’allais me rappeler encore; ï sa mémoire, lorsque l’on me remit une grande lettre contre-signéc Lebrun.

Ah ! me dis-je avec un soupir, qui sait attendre voit souvent la tin de —es tribulations. J’ouvris celle lettre, et j’y lus :

i Paris, le i novembre 1792, l’an " do la république.

« J’ai reçu, citoyen, la lettre que vous m’avez écrite de la Haye, el je n’ai différé d’j répondre ■ pie parce que je me suis procuré de veaux renseignements sur la cargais les fusils arrêtés par ordre de l’amirauté a Tervère. Sans entrer dans aucun détail sur la spéculation que vous avez l’aile, ni sur son objet, je vais vous instruire tout simplement de ee qui m’est revenu sur I i qualité de ces armes. Elles ont d’abord servi aux corps francs à l’époque de la dernière révolution tentée par les patriotes hollandais, ensuite vendues aux Belges, qui en ont aussi fait usage dans le temps de leur révolution ; elles ont enfin été achetées par des négociants hollandais, de qui vous les tenez.

« Je conviens qu’un cautionnement de cinquante mille florins, demandé pour lever l’embargo mis sur de vieux fusils, vous dégagerait sans doute d’un embarras bien grand, de savoir où les placer. Je conviens que le traité passé entre vous et l’ex-ministre Lajard est fort avantageux ; mais soyez de bonne foi, citoyen, et convenez à votre tour que nous serions bien dupes d’approuver un pareil traité et d’y donner notre adhésion. Nos vues et nos principes ne s’accordent point avec ceux de nos prédécesseurs. Ils ont eu l’air de vouloir ce qu’ils ne voulaient pas ; et nous, bons patriotes, bons citoyens, désirant sincèrement faire le bien et le voulant, nous remplissons les devoirs de notre place avec autant de loyauté, de probité, que de franchise 11.

" Depuis quelque temps je ne me mêle plus d’achats d’armes. Ces opérations mercantiles ne s’accordent guère avec le genre de travail et de connaissances qu’exige mon département. Dans un moment pressant, où il fallait de toute nécessité des fusils, on s’est jeté avidement sur tout ce que l’on a trouvé. Actuellement que les mêmes besoins n’existent plus, le ministre de la guerre s’attache principalement à la bonté des fusils et au prix modéré. Ce n’est donc plus mon affaire, et j’ai cessé de m’en occuper. Retournez-vous du côté du citoyen Pache, et adressez-lui vos réclamations: c’est à lui à prononcer, et à vous dire si elles sont justes et fondées.

ci Quant à moi, je ne suis plus en mesure ni en position de rien faire el décider sur un objet, comme vous savez, hors du ressort de mon département.

« Le ministre des affaires étrangères, « Lebiiun. ■>

« P. S. J’ai envoyé copie de votre lettre au mini-tri’ de la guerre; je recevrai incessamment sa i, dont je vous ferai parvenir la copie. » Ah ! grand Dieu ! m’écriai-je après ma lecture achevée, vit-on jamais rien de semblable ? El c’était pour finir ainsi que l’on m’envoyait en Hollande ! <"’déteMable perfidie !

Dans le premier mouvement de mon indigna lion, j’avais lutté, par macoïère, contre l’ironie du ministre. J’opposais à l’hypocrisie de son fatal patriotisme ses basses requêtes et ses perfides lettres à l’empereur Joseph contre la liberté brabançonne en ta, bon patriote ! aimant la liberté ! Il a donc bien changé depnis 1788 !

et 1788, et je mettais h gazetier à jour. Mes amis n’ayant pas souffert que ce premier élan trop amer m’échappât, je pris le pénible parti de raisonner avec qui m’insultait. Quand mes sens furent apaisés, je lui écrivis ce qui suit. Ah ! je prie mes lecteurs d’en dévorer l’ennui. C’est le secret de relie comédie terriblel « La Haye, ce 16 novembre 1792.

« Citoyen ministre,

« En réponse à l’unique lettre que j’aie jamais reçue de vous, en date du 9 novembre, je vous préviens que les difficultés qui clouaienl a Tervêrt les fusils de Hollande sonl levées, grâce à bumourkz, à l’instant où l’intrigue de la bureaucratie français* en fait renaître de nouvelles, pour les y river si elle peut.

• Vous êtes un homme trop honnête pour avoir lu, en la signant, la perfide ironie que l’on m’envoie en votre nom.

« Vous auriez réfléchi qu’il ne s’agit ici d’aucun embarras de ma part de vendre ces urines a pi 1 so ? wii, puisque depuis huit mois mon premier traité les attacki à la France ; que depuis quatre mois le second traité vous démontre que deux ministres et teois comités réunis onl relu-.’de les en détacher, lorsque, las des repoussoirs de nos ministres patriotes, je demandai très-net qu’on me permit d’EN disposer, pouvant le faire alors avec grand avantage, s’il était vrai que la France n’en voulût plus. « Vous auriez réfléchi que, ne pouvant être à la fois propriétaire et dépouillé pat l’actt du 18 juillet, je n’ai plus d’autre soin que de livrer ces aune— ; que, dans la position contraire, j’en serais maintenant d’autant moins empêtré, que votre élu Constantin m’en a l’ait offrir de nouveau par M. d< Mauldi les sept florins huit sous que ses grands associés me proposaient a l’abbaye, arec promessi d< m’en tin r si j’accédais à a marché. Vous auriez réfléchi encore, vous qui connaissez tant l’affaire comme commis, comme ministre, que, loin d’avoir jamais donné ces armes à personne pour ucutes. je n’ai cessé de dire et d’écrire à vous et à tous vos collègues qu’elles venaient dei Brabançons. Ci cautionnement exigé par l’empereur, du Hollandais que je dois en couvrir, n’est-il donc pas la preuve matérielle d’un fait qui vous battit h s oreilles crut fois ? Vos commis vous respectent peu, de vous faire dire dans celte lettre que vous apprenez à l’instant ce que vous savez bien que vous savez depuis su mois ! (.levons nommerai celui que vous devez gronder. I

« Vous auriez réfléchi en outre que, si ces armes eussent été neuves, je n’aurais pu vous les laisser au prix de huit florins banco, ou de quatorzi schellings ru or, ou de dix-sept fumes en crus, ou de tren^j livres en assignats (c’est tout un), quand vous aviez la bonhomie (que vousavez encore, messieurs) d’acheter pour trente schellings en or, à Londres, qui font trente-six livres en écus et plus de soixante livres en assignats, fusils neufs très-médiocres ;

lorsque, dans la même ville, vous ’avez depuis acheté dt vingt jusqu’à • ingt-i inq li n s sck llings i n or, ou trente livres en écus, ou plus d> cinquante en assignats, de vieux fusils qui presque tous avaient servi de lesl dans 1rs vaisseaux allant aux Indes ; dont "ii étail forcé, pour parvenir àvous les vendre, mper toutes les platines pour pouvoir dévorer la rouille, n’y retrempant que la battent ! » Vous les recevez néanmoins suuivous i>hun>h-c ni du haut prix nidt la basse rualitè, parce que ce sont, nous dit-on, vos affiliés qui les fournissent (oui, mais per partachir, comme .lit le Bagusarn : ce qui est un peu loin du prix modéré de mes armes vendues à huit florins ou quatorze schellings en or, ou dix-sept franesécus de France, ou trente livres en assignats ; mes armes, dans lesquelles il se trouve inif forte partie de neuves, que vous n’auriez pas aujourd’hui pour six couronnes a Liège, ou trentesù livres ■ n ècus, ou soixante livres ■>> assignats ; mes armes, que je soumettais au triage, les ayant achetées i n bloc !

Vous auriez enfin réfléchi qn’»» cautionnement il de cinquante mille florins «’< si point un débourst dt cettt sommt : el que toul se réduit, en rapportant [’acquit à caution déchargé, à une commission de banque, qui ne a pas à deux mille comme je vous l’ai dit vingt fois, tant chez vous qu’au conseil des ministres ; mais l’ignorance et la malignité marchent de pair autour de vous, monsieur ; c’est le malheur des mauvais choix ! ■ Notez, ministre trompé, que ceux qui vous écrivent ou qui vous donnent ces belles notions sur mes armes ne les ont jamais. , . car elles sont encaissées depuis pi s d’uni année. i Notez que ces donneurs d’avis ont fait prés de moi l’impossible pour me les arracher en 6 a Paris que depuis à la Haye, à un florin de moins que vous m b s payt :.

Notez que je vous l’écrivis h 19 août à Paris ; que mon relu ; de les céder me fit emprisonner, trois jours après, à I ibbaye, où, soks vos bons auspices, ils vinrent renouveler leurs offres ; où je manquai en lin d èl r - or§ i i qui la >o n ri i oulait. » Notez linistre trompé, que ces acheteurs exclusifs (privilégiés par vous) <b toutes fournitures hollandaises, i que i tus gorgez d’assi- • i ats comme l’on fait pour ses amis), ue peuvent i huit sous, sans les frais, au

premier mol qm leur échappe, s’ils ne son ! tains de les vendre dix, onze ou douze florins à la nation, par l’entremise bénévole ■ ■’• patriotes ; surtoul s’ils donnent, comme ils disent, vingt-cinq pour cent de toutes leurs fournitures au • du : H il / . -ans tous les intérôl - qu’on ai per pariai hir, bien entendu ’.

otre secrétaire vous fait dire, dans la lettre 

[lente, que depuis qui Iqui ti mps vous ne vous mêlez plus d’achats d’armes. Ah ! plût au ciel, pour la nation, que vous ne vous en fussiez jamais mêlé ! Mais tàtez-vous sérieusement : j ai p ne vous trompe encore ; témoin l’élu Constantini, qui i n ach ’< pai vos ordres.

ii II vous fait dire aussi que vos prédécesseurs, en traitant avec moi, feignaient tous de vouloir ce qu’ils ne voulaient pas. (C’est sans doute patrie que vous entendez par ces mots. Mais il oublie que. vos prédécesseurs Lajard, Chambonas s eurenl la modestie, que vous n’avi zpas onsulter les comités de l’Assemblée nationale ; qu’aucun d’eux n’a rien fail sans leur avis au préalable : d’où il résulte, selon vous, quoiqu’on n’ose pas vous le faire dire, que tous c étaient leurs complices et lesmiens ; tandis que vous, ministre soi-disant patriote, m’axez toutrefusé pour le service de la patrie, quand je partis pour la Hollande, malgré l’avis des comités, quoiqu’ils V cigeassent de vous, au nom de l’Assemblée, et qui vous le !■ ». promissit : ’.

« Minisire, il est bieii clair que tous n’êtes en ceci ni mon complice ni le leur. Personne ne vous en accuse. Si vous avii z besoin d’un joli témoin sur ce l’ait, l’ami Constantini pourrait très-bien vous en servir.

>< Je finis. — Si, au lieu d’apprendre ces choses ou de vos commis ou de moi, par hasard, trompé, vous en étiez instruit d’avance, je me verrais réduit à supputer que vous axiez bien envie de ces armes, pourvu que l’élu les fournit, et non moi ; que, comme il est certain qu’il ne les obtiendra i île brutalité gauloise, bien annoncée par lui à ses amis, peut avoir l’ail changer les anciennes mesures en de nouvelles plus sévères, qu’on ne re que vaguement ! Alors je serais bien tenté de vous écrire, en finissant ma lettre avec respect, que je suis en grande surprise de votre conduite impolitique,

« Citoyen ministre trempé... dans vos vues, c Votre, etc.

i.wîox Beaumarchais.»

t. Dit u kle pense ! Mais, puisque vous avez, dites-vous, communiqué la lettre au nouveau ministre Vache, communiquez-lui la réponse : c’est un commencement d’instruction dont il vous saura très-bon gré. »

Quand ma lettre fui à la poste, je me senti- bien soulagé : ma foi ! pour celle-ci, elle partit à son adresse, craignant peur mon chef de bureau qu on ne lui fil un mauvais t ■ si je l’ei le porteur. Attendons, dis-je, maintenant les avis qm l’on me promi t. oyons surtoul ce q notre nouveau ministre Pache.

Je m’en allai à Rottt rd im taire dresser I que je voulais avoir du négocianl Osy, premier vendeur. Il parut étonné de ce genre de , i t tion. Je l’assurai que ma position l’exigeait. Cela le rendit tâtonneur. Je m’apercevais bien qu’il servait son pays ; mais qu’avais-je à lui dire, moi qui servais le mien ?

Enfin nous terminâmes tout, moyennant les quatre actes notariés que l’on peut voir : le premier, par lequel il me reconnaît légalement propriétaire des fusils, moyennant toutes les sommes à lui payées par moi, dont la quittance finale est de la modique somme de mille vingt-six florins deux sous huit deniers pour solde ;

Le second, par lequel je m’engage de ne point faire sortir les armes de Tervère, sans lui avoir fourni le cautionnement de cinquante mille florins d’Allemagne :

Le troisième, par lequel je m’engage à lui rembourser tous les frais de magasinage et autres qui ne sont pas compris dans le payement des armes, et doivent en être arbitrés ;

Le quatrième, enfin, par lequel je promets de ne le point poursuivre personnellement pour les obstacles politiques que LL. IIII. PP. ont mis à l’extradition de mes armes.

Plus, une lettre à James Turing fils, de Tervère, avec ordre de me livrer tous les fusils qu’il a reçus, mais d’empêcher rembarquement jusqu’à remise par moi du cautionnement engagé ! Plus, une lettre à son armurier de Bruxelles, pour qu’il se transporte à Tervère à ma réquisition, y reconnaître que les fusils n’ont été vus ni touchés par personne depuis qu’il les a encaissés au mois de février dernier, et que tout est conforme à l’état qu’il en a donné.

On voit que je suis bien en règle. Mais dans ceci je ne vois pas que personne y fasse mention ni des prétentions d’un Provins que Lecointre m’a opposées, ni des arrêts que ce Provins a mis auprès du négociant Osy, pour qu’il ne livrât point ces armes à Pierre-Augustin Beaumarchais, qui est moi.

Dans tout ceci je ne vois pas non plus qu’il soit question d’aucuns débats sur ma propriété des armes, par aucun autre propriétaire qui les ait arrêtées à Tervère, comme le ministre Lebrun a dit expressément au dénonciateur Lecointre qu’il venait d’en faire à l’instant la très-heureuse découverte.

Monsieur Le brun ! monsieur Lecointre ! ces quatre actes sont imprimés. Les originaux, je les ai. Lisez-les bien, chacun dans votre esprit. Lebrun suit la marche des taupes ; on a rendu Lecointre injuriant pour moi : deux genres d’escrime où je ne suis pas fort. Voyons si la raison et la modération sont des armes d’assez bonne trempe pour faire plier celles-là !

Un mot d’explication est nécessaire ici pour lever toute obscurité sur la conduite des Hollandais.

Loin que les états puissent dire (comme le prétend M. Lebrun) qu’ils n’ont jamais empêché ces armes de sortir ; qu’il y a eu seulement des oppositions de personnes se disant propriétaires, etc., la vérité, prouvée par pièces juridiques (ma requête du 12 juin et la réponse des États-Généraux du 20 juin 1792. la vérité, dis-je, est que le seul réclamant qui se fût opposé an dépari de ces armes’•tait un sieur Buohl, ministre, agent de l’empereur, qui prétendait que son auguste maître avait encore des droits sur ces fusils, quoique M. Osy (de qui seul je les tiens) les lui eût bien payés comptant ; quoique ce même Osy, avanl de les faire enlever des citadelles de Malines et Namur ou d’Anvers, pour satisfaire aux lois rie son traité, eût fait fournir à l’empereur, par MM. Valkii i s, Gamaraches de Bruxelles, un cautionnement île cinquante mille /tarins, lequel esl libellé dans l’acte ; duquel cautionnement, qui éteint tans droits de l’empereur, je me suis fait donner, comme on l’a vu, cette attestation notariée par le même banquier Osy. ainsi que quittance finale de mes payements laits a lui par-devant le même notaire, pour répondre à M. Buohl, et plus encore à MM. Clavière el L ta un, qui feignaient d’élever des doutes non-seulement sur ma propriété, mais sur l’existence même des armes dans le port de ]’• n re.

La note de M. Buohl remise aux états de Hollande, au nom du roi de Hongrie, devient tellement importante pour reconnaître à tout jamais la vérité, le vrai motif de l’embargo des Hollandais sur nos fusils, et la véracité du ministre Lebrun, que je vais l’insérer ici.

Note de M. le baron de Buohl, chargt les affaires de I" cour île Vienne, remist l juin l~92 à LL. HH. PP. ; et le 9, par M. le greffier Fagel, à M. de Maulde, ministre plénipoti ntiairi di Franceà la Haye, quiena remis copù a M— de la Hogue h 9, lequel a répondu le 1 ?, et auquel LL. HH. PP. ont répondu le 26 juin.

« Le soussigné, chargé d’affaires de s. M. le roi apostoliquede Hongrie et de Bohème, a l’honneur de s’adresser à M. le greffier Fagel, le priant de vouloir bien portera la eau naissance de LL. HH. PP. que les armes qui se trouvent actuellement au port de Tervère en Zélande sont celles qui ont été vendues par le département de l’artillerie du roi aux Pays-Bas, a la maison Jean Osyetfils, de Botterdam, sous la condition expresse quelesdites a nues seraient transportées aux Indes, et qu’il en constaterait au gouvernement. Cette condition, bien loin d’avoir été remplie, ne pourrait qm t op faci ement être éludée, au préjudice du service de S. M., pair l’effet d’un contrat de rétrocession fait en faveur de dn i s acquéreurs.

u Le droit manifeste qui en résulte pour le roi apostolique de réclamer sa propriété 1, par le non. Il est joli le droit, quand il n’y a nulle époque fiiee dans lesdits actes, et qa’Osij a fourni une caution de cinquante mille florins ; et quand les tribunaux de e ont fait adjuger ces armes au sieur la Boy, sur la rétrocession ù’Osy ! Il est vrai juc accomplissement de la condition mentionnée, a motivé les ordres très-précis en vertu desquels le soussigné est chargé de demander l’interposition et l’autorité de LL. IIII. PP., afin que leur exportation ne puisse s’obtenir sous aucun prétexte quelconque.

(Entendez-vous ces mots, mon dénonciateur : sous aucun prétexte quelconque ? Tout vous paraît-il expliqué ?)

.. Les États-Généraux se prêteront sans doute avec d’autant plus d’empressement à celte mesure de justice, qu’ils ne sauraient manquer d’apprécier dans leur sagesse les raisons combinées qui ont porté le gouvernement général à s’attachera la condition exprimée, dont les circonstances survenu

  • — <>■ puis justifient trop l’objt t rouit s’en— désister.

(Entendez-vous encore ceux-ci, Lecointrt ? sentez-vous maintenant jusqu’à quel point vous fûtes abusé par le publiciste Lebrun ?)

, Fail i la Haye, le S juin 1792.

« Sitjné le baron de Buohl-Sciiavenstein. —Or ce M. Buohl, au nom de l’empereur, avait porté sur ces fusils les prétentions que vous venez de lire, ël donl le ministre L’hruu. qui feint toujours de l’ignorer, a la preuve depuis six moisdans cette même note de M. Buohl du’■’< juin 1702 ; dans notre requête du 12, présentée par M. de Maulde aux États-Généraux, en réponse à M. Buohl, avec une nui,’pressante de noire ambassadeur ; enfin, dans li réponse de LL. HH. PP., du 26 même mois : toutes lesquelles pièces ont été remises à Lebrun, étant premier commis, par M. Chambonas ; H depuis par moi-même, en sa qualité de ministre. El les complaisants Hollandais (grâce à Lui molle politique) trouvaient les prétentions du sieur Buohl si justes, qu’ils en arrêtaient nosfusils ! comme si la Hollande, ou ces arme— sonl par transit et donl j’ai —payé tous 1rs droits, devait a ce BuoM la complaisance de vexer nu Français pour plaire à sa gracieuse majesté, très-impériale sans doute, mai— nuit’un ut propriétaire !

Vous avez vu comment LL. Illl. PP., en répondant à noire requête du 10 juin, où nous deman, ! i l’extradition des armes à grands cris, disaient, dans leur réponse du 26, que les propriétaires [qui sont moi) avaient eux-mêmes renoncé à l’exportation de ces armes. Puis, quand ces vrais propriétaires leur soutenaient avec respect qu’ils n’avaient dil nulle pari cette lourde bêtise verbalemenl ni par écrit, nosseigneurs ne disaient plus rien, fumaicnl gracieusement leurs pipes, et gardaient encore mes fusils.

c’étail avanl qu’ils sussent que la // tye me les cêdcrail pour la l Les manœuvres n’uni commencé itre l’extradition des lorsqu’ils ont étd instruits, pat la loyauté de nos bureaux delà guerre d’aloi s, que j’étais Facketeur des fusils, etqt Voilà ce que Lebrun n’a jamais ignoré. Un i e droit de l rél tau i fondé que Vignorance de Lebrun sur Bien est-il vraiqu ils ajoutèrent dansleurréponsi du 20 juin.’c qui est plus intéressant) quei esm ciants [toujours moi) étaienl les maîtres de disposer, d’après leur bon plaisir, des neuf cent vingt-deux caisses, vingt-sept baril— [tonneaux) de fusils etde baïonnettes, dans ^’intérieur de la république, attendu que l’importation de ces armesest permise sans restriction, moyennanl le payt nu ni di s droits, qui oxt été acquittés. (Acquittés par moi, monsieur Lecointri.’acquittés par moi, monsieur Lebrun !) Ne perdons pas le lil du raisonnement des Hollandais : il est parlait.

Il— me donnent le droit de vendre mes armes dans l’intérieur, para qui j’ai payi les droits ; mais quels droits leur ai-je payés ? cewa de transit. Admirez la justesse ! parce que j’ai payé les droits qu’on nomme de passage, celui d’entrée i / de so) tie, ils gardent mes fusil— sens clef ! (Dieu bénisse les politiques avec leurs fatals raisonnements !) El c’est de celte nourriture qu’on alimente ma raison depuis neuf tristes mois, tant en Hollande qu’à Paris ! Hollandais, Buohl et Lebrun, vous êtes tous de la même lune !

Nolez encore que ce— Mal-, uni. s il* l’empereur François, me donnaient une permis-ion [quejene l’Ui demandais point de vendre ces fusils en Earopt ii uas ennemis, qui les recherchaient à tout prix (si c’est —mon bon plaisir., disent-ils !), malgré que l’un in reur, leur ami, eût exigé d’un Hollandais que ces armes iraient à Saint-Domingut, sous peine de cinquante milleflorins, etmalgréqueLL. llll.1T.. à l’appui de cette sûreté, eussenl exigé de nous en avril trois fois la râleur de ris armes. Jeu puéril ! tout était oublié ! Soldats français, tout étail bon. pourvu que vous ne les eussiez jamais ! Et nos perfides ministres, en abusant Lecointre et faisant publier la chose, viennent de faire gagner la partie à vos ennemis, par votre décret de novembre ! Hélas ! nosseigneurs de Hollande nous traitaient comme gens qui m méritaient pas qu’on si donnât la ininr d’avoir raison en leur parlant ! Moquerie outrageuse que Lebrun connaissait ! El c’étail votre ambassadeur, d Français, qu’on bafouail ainsi : car il appuya ma requête d’un très-fort mémoire de sa main, au nom de la nation française ! Mais pourquoi m’en étonnerais-je, lorsqu’il était bien plus bafoué par le ministre de Paris que par le bureau de la Haye ?

En demandant pardon à cet ambassadeur maltraité, vexé, rappelé’, quoiqu’il soit bien dans la dipl atic un des 1 is les plus forts que j’aie jamais rencontres, un travailleur infatigable, à q U i je donnerai.— Ire--liauteinenl nia VOÎX pour en faire un ministre’les affaires étrangères, si on les choisissait sur leur capacité : hélas ! j’en dis loul le bien que j’en sais, pour qu’il daigne me pardonner la contrariété que je me vis forcé de lui faire éprouver.

pour revenir à mon affaire, je somme donc M. de Maulde de déclarer, sans nul détour, si tout ce que j’ai dit tenir de lui sur le Constantini est faux.

Je le somme de présenter la lettre qu’il a reçue à ce sujet de la veuve Lombaert, d’Anvers, sur la cession de mes fusils.

Et comme le Constantini est vantard, avec son parler un peu niais, je somme aussi M. de Maulde de déclarer à la nation si ce que cet homme a dit en d’autres lieux, savoir : qu’il donne un intérêt de , ingi i inq pour ci nt sur tous ses achats de Hollande à certain ■protecteur de son privilégi exclusif, et lui en a remis sa soumission, il ne le lui aurait pas dit aussi dans ses vanterics accoutumées. Je le somme encore de nous dire s’il ne lui a pas l’ait quelque offre semblable, à lui-même, pour fermer les yeux sur le tout, même y aider dans l’occasion.

Ce qui m’engagea peser sur ces faits, c’est le rappel, si brusque el sans motif, de cel ambassadeur, au moment où c’étail un crime d’enlever de la Haye— un homme aussi instruit des intérêts du Nord, aussi aimé des Hollandais, Irès-estimé de leur gouvernement, quoiqu’on lui fit des avanies par haint cb notrt nation ; au moment, dis-je, où tous les cabinets venaienl se mêler et se peindre au cabinet stathoudérien, comme tout l’horizon se peint sur la rétine de notre œil, grande ce ^mc un œuf de serin !

Et si, contraire an triumrapinat, l’honneur de M. de Maulde Y & obligé de rejeter leur offre, je ne m’étonnerai plus de son brutal rappel, quoiqu’il lut l’homme le plus propre à nous bien servir en Hollande !

Des regards aussi vigilants auraient pu gêner bien des choses ! Eh ! qu’est le bien de la patrie près de M. Constantini’.’Il a bien mieux valu y envoyer Thaiwoille, qui, tout aussi vantard que l’autre, leur disait noblement au Havre, en racontant qu’il allait relever de Maulde ; Je m’en vois à la Haye balayer toute la boutique !

Cette diplomatie peut sembler un peu bien étrange à ceux qui savent combien il faut de vrai talent, de grâces, de ruse et de souplesse pour faire supporter ces missions inquisitoriales ! Telssontles gens cpii mènent nos affaires, en faisant du gouvernement un réceptacle de vengeance, un cloaque d’intrigues, un tissu de sottises, une ferme de cupidité !

Après avoir fini avec Os ; j de Rotterdam, el sans aucun égard aux menées de Lebrun, mais attendant ce qu’il me ferait dire par son nouveau collègue Pachc, j’écrivis à M. de Maulde une lettre officielle, le 21 novembre, ayant rapport à la réception de mes armes, qu’il était obligé de faire en qualité de maréchal de camp. J’y joins la lettre de ce ministre, en réponse à la mienne du 22. Cette réponse de M. de Maulde, exacte et fort honnête, comme tout ce qu’il écrit, est remarquable par trois points :

l" Par la conviction où il esl que lous cesrevt ndeurs protégés di marchandises hollandaises, Constantini et compagnie, ne me pardonneronl les avoir privés d’agioter sur mes fusils. J< croi. dit-il, que, pour parer encore à quelqut diablerie, car tous ces factieux d’agioteurs ne vous les économiseront /"’s. etc.

° Elle est remarquable par sa très-franche volonté d’exécuter sur ces l’u>ils les devoirs que lui imposai ! le traité du Is juillet, d’après les ordres de Lebrun, qu’il ne croyait point illusoires. ° Par la fatigut qu’il avait des vexations sans nombre que mou affaire n’avait cessi de lui fain éproux ci depuis huit mois qu’illa traitait et la suivait auprès des états de Hollande. (Voyez sa lettre.) Il y en avait donc réellement, de longues il fatigantes vexations de la part des états de Hollande sur cette affaire, que l’ambassadeur vigilant ne perdait pas de vue depuis huit mois, dont il avait lassé lès ministres de France, et dont Lebrun, qui sedonne l’air aujourd’hui de s’instruire des faits par un nouvel agent, avait eu les oreilles battues el I is deux yeux frappés cent fois comme premier commis, ensuite comme ministre, par vingt dépèches de M. de Maulde et par mes vives réclamations !


M. de Maulde m’envoyait avec sa réponse une lettre réquisitoriale au commandant français à Bruxelles. La voici :

La Haye,

républiqu

, l’an I « de la

ci Citoyen",

« La présence de M. Tomson, de Bruxelles, élanl absolument nécessaire dans ce pays pour terminer un achat d’armes fait par le citoyen Beaumarchais pour le gouvernement de nuire république, je vous prie, citoyen général, de faire obtenir à M. Tomson le passe-port nécessaire pour ce voyage. Servir la patrie, voilà notre devoir et noire plaisir. L’aimer uniquement, voila le culte digne de nous, vrai— Français républicains. « Signé Emu. deMauloe de IIosdvn. » Le 24 novembre, je demandai à ce ministre plénipotentiaire de France, mais officiellement, copie des lettres que les différents ministres lui avaient écrites sur l’affaire des fusils. Il répondit qu’il n’était pas d’usage qu’un donnât endiplomatit copie des lettres qui pouvaient parler d’autres choses, mais seulement de bous extraits. Il voulut bien me les envoyer.

On peut remarquer cette phrase dans ma lettre : je ne vous parle plus de ce fatal cautionnement, etc., qui n’arrive jamais, etc., parce que la malveillance qui l’arrête ne vient nullement de votre part, et que vous en avez écrit plusieurs fois au ministre, comme je l’ai fait moi-même, etc.

On peut remarquer celle-ci dans la réponse de M. de Maulde : Il faut donc être en mesure de prêter nu un a’. > h n is rien. Vuus ne doutez pas qi i : je ne retrace souvent cette observation al : ministre, a ’fn r présume que U citoyen Beaumarchais écrit chaque courrier. Hélas ! oui, je lui écrivais ; M. de Maulde lui écrivait : Constantini sans doute aussi lui écrivait. L’usage qu’il a l’ail des trois correspondances est l’exécrable et dernier drame ministériel ; mais, comme c’est la lin de tout, avant de vous le présenter je dois vous mettre sous les yeux ma lettre pressante du 30, et la réponse de M. dt Maul le, sur la livraison de mes armes. Elles sont trop importantes pour ne les pas insi rer dans le texte. Voici ma lettre :

! ,a Have, ce I ni vembi 

« Citoyen ministre plénipotentiaire de France, •< J’ai l’honneur de vous prévenir que l’armurier de Bmxelles, que mou vendeur hollandais et moi avons ete d’accord de taire venir à Tervèrt pour y reconnaître en nia présence et en la vôtre la quantité des armes eu caisses qui y sont détenues depuis plus de sepl mois , est enfin arrivé à In Hayesur l’expédition du passe-porl que le général qui commande a Bruxelles lui a donné, d’après la demande que vous lui en avez laite vous-même.

■ Je vous ai prévenu dans le temps, citoyen ministre et ministre citoyen, que si nous préférions cet armurier brabançon à tout autre, c’est parce (pie, depuis le commence ni de l’affaire, cet homme a ete chargé d’abord de faire passer les adelles de Mulines et de Kamur en . ensuite de réparer la partie d qui en avait le plus besoin ; qu’il a huile el encaissé ces armer,, et qu’il en a remis alors l’état certifié à mon vendeur, lequel me l’a remis depuis en le certifiant lui-même.

a La iiHil’ ■ ’il mee ministérielle, qui jusqu’à ce jour ’ in France le cautionnement exigible tant demandé et Vint de fois promis, ayanl servi de prétexte à la malveillance hollandaise pour empêcher rembarquement et l’extradition (h 1 ces armes, -i bien que moi que le moment de résipiscence hollandaise, qui’ u grands succès de Dumom i -. i -’< à pi u p p ■. par le décr< 1 de la Convi ntion nationale sur l’ouverture de la Meusi el de l’Escaut. J’ai dune l’honneur de vous requérir, >i même de 1 ou • sommt r pardonnez la rigueur du terme à la rigueur di - circonstances) ; j’ai l’honneur, dis-je, de vou requérir et smniiirr de vous transporter avec moi « i- , 1 ■ 1 1 . pour 5 recevoir, 1 » voti e 7" ’ité • !< maréchal de camp, mon expropriation légale el la li-

1 Ho do ers armes, payées depuis si long

ir moi, au même instanl ou elle me sera faite a i-mème, aux lermes du traité passé le is juillet dernier entre les ministres de la -Lajm 1 ■ I des affaires étran

près l’a i- très-motivé des U il dipl matique, militam . et des douzi . réunis ; traité di ni la teneur, expressément reconnue par le ministre I/ brun, en date du 20 septembre, qui envoyé par moi, vous j oblige, ainsi qui exprès que ce ministre vous a donne pour la partie qui vous concerne dans ce traité, par sa lettre du 20 septembre, que je vous ai remise à mon arrivée à la Haye.

Pardonnez si je vous préviens, citoyen ministre plénipotentiaire, qu’à votre refus di à ma réquisition, si une guerre, qui parait malheureusement trop prochaine, ouïr, ; la France et la Hollande aidée de l’Angleterre, privait la patrie de ci - aunes qui lui appartiennent, soil pai pillag 1 l’usurpation que les Hollandais en feraient, jt me 1 1 1 1 aïs foi ce dés à préi TOI n ; LA RESPON ’BU [Tl SUr I DUS, •’"</,/ déjà fait » Paris sur ■

refusât fait, qui existe de .«1 part, d’envoyé) en Hollande le cautionnement exige par h traité du 18 juillet, et d’en exécuter les conditions ; vous RENDANT GARANT EXVERS LA NATION de tOUtl la ■ , , iulti mit pour 1 IL de 1 otre 1 efu 1 di partir.

d J’ai écrit au ministre Lebrun, pour être mis SOUS LES YEUX Dl CONSEIL EXÉCUTIF PROVISOIRE, qilC je ne ferais pas une démarche en Hollande .-ans lui donner toute la rigueur des formes, connaissant bien les motifs des oppositions, et mon intention étant di dénon er •< la nation toutes les lâches intrigues dont nos ministres sont malheureusement ■ 1 enveloppés, pour empêcher ces armes en France.

-, citoyen ministre plénipotentiaire de France, les salutations respectueuses du vieux citoyen

« Beau.mahi.iiais. 1

malade ; ma lettre lui fut envoyée par -i de mes amis, auquel il répondit :

"11 noven ’■

Citoyen,

■• Je ne puis que transmettre au citoyi a fiais l’oi h impératif du ministre de la

m 11 1 m’appartient pas de le commenter. 

.Notre ministère nous astreinl aux notifications qui nous sont imposées. Je les fais officiellemenl ; c’est 1 emplir mi - obligations, -i’ sais, co»i ticulicr,ce qui l’honneur et la justice me et je n’aurai jamais besoin à cel égard de consulter personne. Mais comme garçon-min bordonné dès lors, je ne puis qu’obéir. Vous sentes qu’il ne m’est plus possible de me rendre Il 1 -t vraisemblable que les causes d’un 1 m’étonne .-iront bienlôl manifestées : peut-être même en serez-vous plus tôt instruit que moi, car les nouvelles m’arrivent lien lentement.

« Votre concitoyen.

« Le ministre plénipotentiaire de France,

« E.M.M. DE MaUI.DE DE HûSDAN. »

Sa lettre contenait la partie officielle d’une autre lettre du ministre Pache, très-importante à lire pour juger du désordre et de la profonde ignorance où vivaient tous les malveillants qui ont fourni les matériaux de ma dénonciation ; lettre que Lebrun envoyait tout ouverte au citoyen Maulde, avec un mot de lui (ce qui la rend plus digne de remarque) à Maulde, qu’il nommait encore ministre plénipotentiaire à la Haye, quoiqu’il y eût un mois que Thainville, qui le balayait, était parti en poste, avec son balai, de Paris.

Ô désordre ! ô contradiction ! Je jure que tout marche ainsi dans ce fatal département.

Lettre du m i

« Paris, le 20 novembre 1792, l’an Dr, | c la république.

Le ministre des affaires étrangères envoie la lettre ci-jointe au citoyen Maulde, que vient de lui remettre le citoyen ministre de la guerre. » Lettre du ministre Pache. (Artillerie.) « Je vous prie, citoyen, de mettre le plus de céé qu’il vous sera possible a m’informer si, en conséquence de l’invitation qui a pu vous en être faite à la lin d’avril on au commencement de mai dernier, vous avez, conjointement avec le maréchal de camp la Hogue, fait vérifier et constater l’état et la quantité des fusils et autres armesà feu dép isés au port de Tervere au compte de Caron Beaumarchais ; et si vous avez fail ficeler et cacheter les caisses qui les contiennent, afin qu’elles restassent dans leur intégrité.

« Si vous avez eu mission, citoyen, pour faire cette opération, et que vous l’ayez remplie, je vous prie de ne pas différer un instant à m’en faire part, et de surseoir, en attendant, à toute vérification ultérieure à cet égard. " Si, au contraire, vous n’avez eu ni mission à ce sujet ni opération à faire, il convient que sous quelque prétexte que ce soit, vous n’en commenciez aucune jusqu’à ce que, d’après les renseignements que je vous prie de donnera c I je vous fasse connaître le parti à prendre ultérieurement.

« Signé : le ministre de la guerre, Pache. » Au-dessous est écrit :

<■ Pour copie demandée par le citoyen Beaumarchais, le premier décembre au matin. « Signé Leroi d’Herval, secrétaire. » Réellement on ne sait par où prendre ce chefd’œuvre ministériel, pour en faire le commentaire. Certes ce n’est point là l’ouvrage de M. Pache. Un ministre sensé n’écrit point de d’Iles sottises sur une affaire qu’il ignore, et quand il se doute, surtout, qu’il pourra être relevé. Mais le hasard, joint à mes réflexions, m’a fait trouver encore le mot de cette absurde énigme.

Le lettre est d’un commis, fabricateur des fausses instructions qui ont trompé le citoyen Lecointre. Avant de parler de cet homme, commençons d’abord par commenter sa lettre

(la lettke.)

I ui us ;. lit le ministre mal instruit à l’ambassadeur bien instruit de m’informer si, en conséquence de l’invitation qui a pu vous en être faite à la fin cf avril ou au commencement de mai dernier, etc.

— Que parle M. Pac/ l’avril et de mai ? est-il possible qu’il ignore que les ordres donnés par le ministre Lebrun au citoyen ministre Maulde sont du 20 septembre dernier : lesquels ordres, portant de recevoir mon expropriation à Tervére, aux tenu.’s de l’article 8 du traité du 18 juillet, ne peuvent avoir aucun rapport à ce qui existait avant la fin d’avril, temps auquel cette livraison devait, par moi, se faire au Havre, et sur laquelle M. de Maulde n’avait eu ni invitation ni aucun ordre de personne, car il n’était pas en Hollande :’ (la lettre.)

Si, en ■ d l’invitation d’avril… vous avez, conjointement avec le maréchal de camp la Hogue…

— Grand merci, monsieur Page, pour mon ami la Hogue ! le voilà, grâce à vos commis, maréchal de camp en avril, lui qui n’y a jamais songé : et vous lui faites ce ridicule honneur sur ce que, h— [8 juillet, un traité fait par deux ministres, sur l’avis des trois comités, enjoint au citoyen de Maulde, en qualité de maréchal de camp, de recevoii la livn armes de mon ami M. de la Hogue, nullement maréchal de camp, mais chargé de faire pow livraison à cet ambassadeur, en vertu du traité le 18 juillet !

Si de pareilles lettres sortaient d’un des cabinets ennemis, que de rires nous en ferions ! comme nos gazetiers de Liège s’en extasieraient de plaisir ! Je vois ici le commis rédacteur se pavanant de sa sagacité. Il me rappelle un chasseur gentilhomme qui, voulant se donner un air savant sur la mythologie, avait nommé son chien Thisbé, et sa chienne Pyrame, et s’en pavanait devant nous. Je vous dirai dans un moment quel est ce sage commis-là.

(la lettre.)

Si vous avez, conjointement avec le maréchal de camp la Hogue, fait vérifier… et fait ficeler et cacheter les caisses (et toujours en avril). — Suivant l’ordre donné, comme je l’ai dit plus haut, le 20 septembre suivant, remis le 12 octobre au citoyen Maulde, par moi, missionnaire de M. Lebrun.

(la lettre.)

Et si vous l’avez faite, cette vérification, je vous prie de surseoir à toute vérification ultérieure. — Surseoir à la vérification d’une vérification faite et consommée ! Tout cela est d’une justesse, et je dirais, d’un sens exquis.

(la lettre.)

Si, au contraire, vous n’avez eu ni mission à ce sujet ni opération à faire, il convient que vous n’en commenciez aucune.

À quel titre M. de Maulde en commencerait-il, s’il i, i.i eu la mission de personne ? lui, ministre de France, qui ne fait rien sans ordre : et de plus » i ! j échal d< camp, titre que je lui restitue : il y a trop longtemps que l’on en pare mon ami, qui n’y a jamais prétendu.

Restituons aussi l’honneur d’avoir fait cette I Itre.i qui il appartient, car M. Pach l’a seulement signée. M. Lebrun, qui sait le fond des choses la lit, et nous l’envoie ouverte, sans se soucier le moins du monde qu’elle ait le sens commun ou non ; et nous disions en la lisant : La tête a-t-elle i.l’in.i tous les chefs et à tous les commis ? Je me mets à vos pieds, ô citoyens législateurs, pour obtenir votre indulgence sur) ridicule détail où je me ois forcé d’entrer ! mais il est si fort inhérent à cette dénonciation qui vous a fait lancer un décret contre moi, que je les crois de même main !

Et. iati u). pardonnez-moi, ou

plutôt sachez-moi bon gré de prouver ci laConvention que ces imposteurs matériaux ne sont nullemenl votre ouvrage ; que vous avez été trompé, vilainement trompé par ceux qui ne m’ont éloigné d France que pour m’assassiner avec impunité. fait :

J’avais chargé spécialement le ciel’de mes bureaux, mon 1 lé de pouvoirs, de tourmenter M. Lebrun pour m’obtenir une réponse à quatrt .11 m’écrit qu’il n’a pu parvenir à rien tirer de ce ministre, ni sur ses répot retard, ni sur le cautionnement promis ; qu’il lui imment trouvé tout l’embarras que je lui avais u ! Ce fut au point que, pour se tirer de mon homme sans laisser é< happer le m qu’il méditait, il renvoya le pressant questionneur a un sieur du Breton, des bureaux de la guerre ; lequel, après l’avoir | olimenl renvoyé dans des bureaux trop peu instruits, finil par l’adresser à u — "/ //… Mais laissons raconter à mon fondé de pouvoirs, qui l’a subie, la ridicule scène qu il eul avec cet //. C’est la lettre que je i opie, • Ce M. du Breton, dit-il, a fini par m’adress* r à ■ x i. //, dans les premiers bureaux duquel j’ai trouvé une foule de gens qu’il a fallu laiss dier avant que mon tour arrivât. Enfin j’ai péni tré jusqu’à sou cabinet.

« l’n peu surpris de l’air i garé de cel homme, pour m’assurer si c’était lui. j’ai débuté lui demandant si j’avais l’honneur de parler à.M. Il. qui, l’œil hagard, le teint enflammé, le poing ferme, m’a dit d’une voix de tonnerre, et avee I e pression de la fureur : Tu n’as point l’honneur…,. m suispoint monsieur…, ji m’appell II’". ii Interdit dune telle réception, j’étais prêt à m’enfuir ; mais, considérant que le personnagi n a ut point imposant et voulant remplir ma mission, je lui ai répondu avec sang-froid : ■ ■ Pardon, citoyen, si j’ai mal débuté avec toi : mais con dère que les gens du commencement du siècle ne s’habituent pas en une seconde au groti gage de sa fin. Au surplus, c’est dune ta manie de te taire tutoyer ? Pourrais-je le parler seul ? Je suis renvoyé à toi par un ministre qui se nomme Lebrun, I r savoir où en esl l’affaire du cautionnement t.i, il promis ù M. U— mm irehais, sur lequel on lui a donné tanl de paroles qui toutes ont été sans fruit’. Voilà ma question : lu peux répondre. — A qui parlé-je ? — A Gudin 1, fondé de pouvoirs de l’homme que j’ai nommé, et qui le demande une pai oie positive.

ci L’affaire dont tu me pari s, me répond II. est un— affain sur laquelle je suis occupt àjetei un coup d’œil sévère. Beaumarchais <• trompi Lajard, qui, comme un sot, s’est mis à laplau de Beaumarchais PAU UN MARCHÉ QUE JE PRÉTENDS DÉTRUIRE le faire imprimer avech premier, pour qu puisst juqet lui-méim ctl’affairi et l’homme. — Vous le pouvez, monsieur, lui dis-je ; et je ne doute pas que, sur votre réponse que je vais lui faire pass t, il ne prévienne vos intentions hostiles, et n’ins-Iruise ce public, que vous interpelle/, des torts des ministres « son égard, et dt I" manièri utili donl il a cherché à servir la nation, à laquelle la publicité que vous voulez donner a cette affaire arrache cinquante-trois mille armes dont elle a le plus grand besoin. — Nous n’avons point besoin d’armes, répond.’/ en courroux ; nous en avons plus qu’il ne nous en faut:qu’il fasse des sienn b u lui sembh ra ! — C’est là votre réponse ? — Je n’en ai point d’autre à te faire ! — J’aurais bien reparti que vous n’aviez trompé persoyme, ni traité avec Lajard seul; que c’était u i c U oi comiti s 1 1 unis < ! • /’Isst mbh i légi nistn s qui i ous avii : traitt : mais j’ai pensé que, s’il a.ui I audace d’imprimer, il fallait lui la doire de la ictorieusc ré] se que vous avez à l’aircen produisant l’avis des comiti éloges qu’ils ont donnés à votn cii ism< connu. d Tel est, monsieur, le résultat de mi s démarèrede II..1

i te bout d’i

me de lettres.

■eille du dél ches auprès de M. Lebrun. Il est visible que cette fin d’affaire est un piége affreux qu’on vous tend : il est prouvé qu’on voit avec plaisir que vous y avez compromis une partie importante de votre fortune. Il ne s’agit plus pour vous de solliciter ni faveur ni justice. Ce n’est plus cela qu’il faut obtenir, c’est vengeance ! c’est adressé à la Convention, et la punition des coupables.

.. J’ai l’honneur de vous répéter que l’on ne veut point de tus armes : ils veulent votre mine entière ; vous compromettre, si on le peut, aux yeux de toute la nation, p ur vous perdri avec plus d’audaci’ « Je viens d’écrire à H*** que je n’ai pas bien compris ce qu’il m’a dit ; que, pour ne pas hasarder près de vous une lettre insignifiante sur une affaire aussi importante, il convient qu’il me trace de sa main ce que j’ai mal entendu. « Voici ma lettre à 11***, absolument dans son beau style :

« Je t’avais demandé un entrelien particulier, el ton cabinet se remplissait à mesure que je te parlai-. Je no t’ai pas bien entendu ; écris-moi ta réponse, parce que je dois la transmettre à mon commettant. Voici ma question : Donnera-t-on le cautionnement tant de fois promis et non obtenu. Tu vois que j’ai profité de la leçon, que la politesse esl bannie de notre société ! Sois vrai, c’est toul ce que je te demande. Adieu, fl*** : j’attends ta réponse. Vvecun homme de ton caractère on uedoil point attendre. « Signé Gudin, républicain tout aussi fier que toi. »

Il nous revient une réponse de ce burlesque homme d’État, nommé, dit-on, le Lièvre, qui, allemagnisant son nom pour qu’il fût moins commun, el presque aussi original que lui, s’est l’ait appeler Il ", comme qui dirait aimant le lièvre. Mais, avant de la présenter, rappelons-nous sa réponse verbale, si sage et si digue delui : Nous n’avons aucun besoin d’armes : nous en avons plus qu’il ne nous en faut : qu’il fasse des siennes tout ce qui bon lui semblera.’

Quoi ! monsieur, c’est sérieusement que vous qous dites ces folies ? quand il s’en faut de plusde nt mille fusils que nous n’en possédions le nombre nécessaire ? Votre ministre Poche, bien mieux instruit que vous, surtout plus véridique, répond en ce mois de janvier, auconscil général de la commune de Paris, d’un autre ton que son chef de bureau :

« J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite, par laquelle vous demandez le remplacement des armes que les citoyens de Paris ont données. Malgré l’envie que j’ai d’armer promptement les citoyens de Paris, il m’est impossible d’effectuer, quant a présExr. le remplacement d’armes que vous demandez : LA RÉPUBLIQUE SE TROUVE DANS UNE TELLE pénurie d’armes, que je puis à peine suffire à l’armement des bataillons de volontaires qui deman lient à voler à l’ennemi.

<i Si’jnè Pache. »

Certes il y a quelqu’un qui ment entre le maître et le commis. Ce n’est point le ministre, el j i n trouve la preuve dans la réponse du commis.1 Gudin, mon chef de bureau :

« Détruisons l’obscurité !

(i La question que lu poses : Donnera-t-on h eau tionnement tant di fois promis et non obtenu ? n’est point du tout celle à laquelle je puisse et je doive repondre.

n II faut, axant tout, que j’aie une réponse décisive à cette question : A-t-on rempli les engagements du premier et du deuxième marché ? Rien ne le dit dans la correspondance et dans les pii ces qui —"lit dans les bureaux. »

Me— lecteurs doivenl être instruits qui 11. irçon de fourneau d’un chimiste avant d’être premier commis), au lieu de souligner les phrases qui le sont dans celte copie, les a écrites en encre noire, le reste de Pépitre étant à l’encre rouge. Les savants onl beau faire, il— ne sauraient se déguiser ! Gudin lui réplique a l’instant :

Tu réponds a ma question par une autre : cela n’est plus répondre. Et cependant tu dis : Détnti-’ii itt ! Ce que je demande est le mot de l’affaire. Sans cette satisfaction, elle est perdue. Est-a à ceux qui mettent les entraves à demander si les engagements sont remplis ? si ce que tu as de la correspondance esl insuffisant pour L’éclairer, on ne t’a pas tout remis.

’■ L’homme dont je stipule les intérêts n’en a rien perdu ni égaré. Llle lui a déjà servi à lui sauver la vie, à lui mériter les certificats du civisme le plus pur. J’aime à me persuader qu’elle lui servira encore dans cette occasion. ■■ Tout homme qui voudra l’examiner sans prévention n’y verra que gloire pour lui ! a Au surplus, si tu cherches la vérité, dis-moi sans nul détour en quoi consistent les engagements du premier marché, ainsi qui ceux du second, dont tu minus a reprocher V’inexécution. » Le Huron n’a plus répondu ; mais il a fait la belle lettre signée Vache, a M. de Maiiklc. sur le maréchal di camp la Hogue et sur moi, où l’on voit le gâchis que j’ai analysé, et que j’ai appelé chefd’œuvre d’ignorance. J’en demande pardon hPacke, Qui l’obligeait à signer cette lettre d’un insensé ? El c’est ce M. ii*** qu’on charge des dépouillements ; d’une affaire aussi capitale, qui n’a pas la moitié des pièces, qui ne sail ce qu’il lit, pas plus que ce qu’il trace : lequel, bien ignorant des faits, mais n’eu vnnlant pas moins détruire [ainsi qu’on le voit s’en vanter) un traité dont il ne sait rien, pas même les clauses qu’il contient, a fait tout le tra~ vail de mon accusation, travail dont l’ineptie m’avait tant étonné, avant d’être averti qu’il était du Lièvre !

Dieu ! que la défense est épineuse et longue sur l’attaque la plus absurde, quand on ne veut rien oublier ! Hâtons-nous, finissons. Le défaut d’intérêt tue la curiosité.

Je reprends mon triste narré.

Le 1er  décembre, on m’apporte la Gazette de la Haye, et j’y lis l’article qui suit :

» Paris, ce 23 novemhre :

« Hier, cent vingt mandats d’arrêt étaient déjà décrétés. Aussi était-on bien occupé à poser le scellé surtout dans la maison de Beaumarchais, qui est membre et appartient à la clique des conspirateurs, et a écrit diverses lettres à Louis XVI. ■• elle donnait un compte rendu sur l’affaire des fusils, fait de main de maître… Gonin. ■. traduit par un nol

de Londres et légalisé par M. Chavxelin, ministre plénipotentiaire de Fr u l’a remis. En lisant je souriais, et je disais : C’est iou I] [ue 1 ga : itiers étrange] — déla soif qu’on a partout des événements de Pur/s. lorsque divers avis d’amis très-bienveillants m’arrivent, et me préviennent que.. apprendre le comité des horreurs <• mon sujet, je n’ai pas un instant à perdre pour les aller < : Londres, mes amis n’ayant pas osé me les envoyer à la Haye, etc.

Je cours chez M. de Maulde le prévenir que je pars à l’instant, mais que je reviendrai sous peu. J’étais invité à souper, j’attends dans son salon. Sur la remise d’un paquet, il venait de passer chez le grand pensionnaire. Je partis, et le lendemain je lui écrivis ce qui suit : Du paquebot qui me passe à

. [ex (1, — la rcpubfiq

Londres, c : 2 diîce.abi’

S MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE,

« Une nouvelle fort étrange, que je trouvai hier dans la gazette hollandaise à mon sujet, m’avait déterminé à partir pour Amsterdam ; mais la con-Brmati Ii cette nouvelle, qui m’a été apportée de deux endroits différents, avec avis d’une de ces deux parts que si je voulais avoir les plus grands détails sur l’infamie qu’on veut me faire en France auprès de la Convention nationale, je les trouverais en Angleterre, m’a sur-le-champ déterminé à partir pour Londres, au lieu d’aller à Amsterdam. Je voulais avoir l’honneur de vous faire part de cette résolution, mais on m’a dit que vous étiez chez M. le grand pi nsionnain. On m’accuse d’avoir écrit plusieurs lettres à Louis XVI. C’est une scélératesse qu’on nu fait, pour parvenir à une friponnerie, ion’ai de : ma vie eu l’occasion d’écrire à ce prince, sinon la première année de son règne, il y a plus de dix-huit ans. Sitôt que j’aurai vu «  Lon i i i de quoi il est question au fond, je pars à l’instant pour Paris ; car il est temps que la Convention nationale soit instruite de tout ; ou je reviendrai à la Haye terminer avec vous l’interminable affaire des fusils de Tervère.

« Recevez, ministre citoyen, les assurances les plus sincères de la gratitude du vieux citoyen persécuté.

• Signé Beaumarchais. •

Arrivé par miracle à Londres, après avoir manqué périr comme le bâtiment qui nous suivit de près, et qui portait des émigrés français, la première phrase que j’y lus, en ouvrant mon paquet, fut celle-ci :

■’Si vous lisez ceci en Angleterre, rendez grâces à gi nous. car nu Dieu i ous ci p) éservé ! > Suivaient les détails bien exacts des manœuvres de nos ministres i ce sui quoi l’on m’invitait surtout au ciel était que si l’on m’eût arrêté ni //"/lande, où l’onavait dépêché un n extraordinaire pour m’amener pied:et poing liés, on comptait bien que je n’arriverais pas vivant à Paris ; car

j craignait le plus, c’était ma justification,

dont j’nmis trop, dit-on, menaa les ministres ! J’écrivis sur-le-champ au citoyen de Maulde la Iti suivante : je supplie qu’on la lise avec quelque attention, à cause de la réponse qui me fut faite, uon par lui, mai— par un de mes am —Haye.

A M. il— Maulde.

ci Citoyen ministre plénipotentiaire, « Les instructions que mes derniers avis ne disaient de venir chercher promptement à I parce qu’on n’avait pas cru bien sur de me les renvoyer à la Haye, étaient très importantes. I lli me détaillent fort au long— le plan de mes ennemis contre moi. On m’assure même qu’aussitôt qu’ils auront obtenu le fruit de leur trame odieuse, ils doivent vous envoyer Vordrt de m Hollande.

<■ Ce serait une chose piquante, si ci i étrangi di s affm allait vous expédier un courrier pour cela ! lui qui ne : envoyé un seul pendant tout le temps de votre ambassade ; lui qui a laissé relâcher, et n’a rien i l’empêcher, h s fui, , icateurs d’assign ils : si, pour servir de cupides intérêts, il allait se montrer, p la première fois, vigilant au point de vous charger, par un exprès, de la plus ridicule commission auprès des États-Généraux, en me donnant la préférence d’une inquisition —i atroi’■. quand la II" ! lande est pleine d’ennemis déclarés qu’en 3 laisse tranquilles, et à qui elle accorde une très paisible retraite ! Il serait tout aussi étrange que cette puissance, soumise aux fantaisies de toutes les autres, crût qu’elle doil obtempérer à la honteuse demande de Lebrun !

« Mais pardon de mon bavardage : mon voyage d’Angleterre vous dégagera de tout embarras à cet égard, si par hasard on vous le donne. Je n’ai besoin ni d’exempts ni d’archers pour me rendre à cette capitale infortunée, où tous les genres de désordre attendent que la Convention s’occupe enfin de nous donner des lois. On l’en empêche autant qu’on peut : et moi je lui demande, par une pétition très-forte, de garantir ma tête du poignard de mes assassins ; puis je pars sur-le-champ pour la soumettre au fer des lois, auquel seul je la dois, si j’ai les torts qu’on me reproche.

« Recevez les salutations respectueuses du citoyen le plus persécuté.

« Signé Caron Beaumarchais. »

Certain alors, à n’en pouvoir douter, de l’horrible farce jouée, je rendis grâces au ciel de m’avoir encore préservé.

Mais, ne sachant plus où écrire à ma famille errante et désolée, je mis dans les journaux anglais la lettre à ma famille, qu’on a tant critiquée, et qu’on peut relire à présent (voyez les lettres). Les Français, si prompts à juger, ne la regarderont plus cornu.11 de ma part. On cessera de trouver indécent que j’y aie versé le mépris sur cett les fusils (ainsi que je la nomme), et que je me sois cru seulement i ur i <i nom i. aussi faux que terrible, d’une correspondance coupable, dit-on, arec Louis XVI. Sans cette explication, que je donnai moi-même à l’empressement d’un oyé jour et nuit par Lebrun pour me garrotter en Holland ner en France avec scandale, de brigade en gendarmerie, jusqu’à la catastrophe horrible qui m’eût enterré je ne sais où, quel homme aurait pu croire à l’aveugle rage des ministres ? Eh bien ! c’était là leur projet ! On me le mandait de Paris. Le ministre Lebrun, qui sait mieux que personne combien les gazetiers sont bavards, craignant avec raison qu’ils n’eussent divulgué le l’ait de mon arrestation, se hâta d’envoyer son courrier à la Haye, pour jouir de la volupté d’être le premier à me l’apprendre. Mais, heureusement pour les hommes, l’art de deviner les méchants fait autant de progrès que leur art de se déguiser. Se veillais pendant qu’il veillait ; et mes amis veillaient autour de lui sans qu’il pût s’en douter, malgré ses hauts talents pour nuire. Voyant que j’avais la vie sauve, tout prétexte a semblé si bon pour m’écraser dans ma fortune, qu’au jour où ma Lettre à ma femme parut dans les journaux anglais, changeant et de thèse et de plan sur cela seul que je datais de Londres, on a crié partout : Émigré ! émigré ! comme si un homme libre, ou auquel on le fait accroire, sorti de France avec un passe-port tel que celui qu’on peut lire en note ■ ; so

de la Franc* car c’est là le., quoiqu’au fait il n’en ait aucun.’, devenail [u’il jiasse, pour affaires, de la B él ranger, à Londres, pays étranger ! Nous venez, citoyen, de la voir dans tous ses détails, cette superbe mission que le ministre Lebrun, usant de mes lumières, de mes talents, de mon expérience, m’avait donnée chez l’étranger. Vous savez maintenant que celte missii celle d’y aller attendre qu’on profitât dt mo pour élever un • contre moi, dont la présence avait déjoué pendant six mois tous leurs projets, moi qu’ils nommaient dans leur fureur un i rai volcan d’activitt !

Et le grand balayeur Thainville, nouvel envoyé à la Haye où il fait d’excellent ouvrage ; qui avait balayé (pour me servir de sa noble expression) toute la boutique de Maulde : de cela seul que je ne m’étais pas aussi laisse balayer de son fait, dans un passe-port qu’il donnait à mou pauvre valet malade, m’appelait, de sa grâce, fugitif émigré ! .Mais fugitif de quoi’? fugitif * Thainville ? Le beau motif pour sortir de la Haye ! Emigré d’où ? de la Hollande.’Mais ce pays, monsieur, n’appartenait pas à la France. Èmigrer (dans notri i ; happer d< l intêi ù ur à l’i i teneur en coupable ou en fugitif, et non passer très-librement"’ci à l’extérieur ? Et sur ce cri fatal : Émigré ! émigré ! v met chez moi scellé, double ible gardien, rdien, et qu’avec un raffinement de cruauté de cannibale, un homme pi, tien du bon ordre choisit exprès l’horrible nuit pour venir avec des soldats croiser des scellés di et faire expirer de terreur la femme et la celui qu’on n’a pas pu assassiner, et qu’il insultait lâchement, comme tous les hommes vils le font quand ils se croient les plus loris ! Qu’importe si j’ai tort ou non sur l’atroce affaire des fusils ? N’est-il pas clair que je suis émigré, puisque sur des avis pressants je suis allé de la HoUandt à Lon. LIBERTÉ-ÉGALITÉ.

AU NOM DE LA NATION.

A tous officiers civils et militaires chargés de maintenir l’ordre public dans les quatre-vingt-trois départements, et de fait le nom français chez l’étranger : laissez passer librement Pierre-Augustin Caron— Beaumarchais, âgé de soixante ans. figure pleine, yeux et sourcils bruns, nez bien fait, cheveux châtains rares, bouche grande, menton ordinaire, double, taille de cinq pieds cinq pouces, allant à la Haye en Hollande, avec son domestique, cl mission du gouvernement.

A Paris, le IS septembre 1792, l’an IV de la libcrl.

Le conseil exécutif provisoire,

Signé Lebrun, Dantok, J. Servan, Claviers. Par le conseil exéculif provisoire, Signé Gkouvelle, sec

Vu à la municipalité du Havre, le —. 1792, l’an premier de la république française.

Signé Rialle, maire. dres y recueillir des instructions sur la seule, l’unique affaire qui m’eût fait quitter notre France avec nu passe-port et une prétendue mission signés du ministre Lebmn et griffés par tous ses collègues ?

Voilà, dans toul pays, comment agit l’aveugle haine, et surtout comme elle raisonne ! Mais je distingue ma patrie de tous ces artisans de meurtres. J’étais si sur de leurs motifs, que j’écrivis à ce sujet au ministre de la justice, le 28 décembre, ce qui suit :

De la prison du Ba

décembre 1792, l’an

oi.1 Londres, le.

la République.

i Partie le 2S, ; onze heures du soir. Citoyen ministre de la justice de France, « J’apprends dans cette solitude, par des nouvelles de Paris du 20 décembre, que, mettant en oubli toute autre attaque contre moi que ma lettre imprimée dans les journaux étrangers du 9 décembre, on en conclut en France que je suis émigré ; qu’en conséquence, el sans s’oi cuper davantage de la très-ridicule affaire des fusils de Hollande, où j’ai cent fois raison, on va, dit-on, vendre mes liions comme ceux d’un pauvre émigré, soit que j’aie torl ou raison sur l’exécrable calomnie qui a fondé mon décret d’accusation. Je vous déclare doue, ministre citoyen, comme au chef de notre justice, que, loin d’être émigré ni de vouloir le devenir, je suis bien plus presse de me justifier hautement devant la Convention nationale qu’aucun de mes ennemis n’est curieux de m’y voir ; et que, sans l’affreuse traversée que j’ai faite en ce temps déplorable où j’ai manqué de périr, et qui m’a enlevé mes forées et ma sauté, surtout que sans nu accident, suite de toutes les injustices que j’éprouve dans mon pays, je me ri udrais à I instant à sa barre.

Mais un de mes correspondants de Londres. qui dans cette affaire des fusils, après tout déni de justice de votre pouvoir exécutif, lequel m’a mis au dépourvu, m’avait aide de dix mille louis d’or, apprenant aujourd’hui que mes biens sont saisis H France, sous prétexte d’émigration, el que j’y vendais retourner pour prouver le contraire, m ; i demandé caution pour celte somme ; et, sur l’impossibilité de la lui donner sur-le-champ, m’a fui mettre en arrestation dans la prison du Han du lioi, mi je languis du besoin de partir, en attendant q le—.unis, à qui j’écris. me rendenl le service de ni cautionner pour les dix mille louis que je dois : ce que j’espère obtenir pour réponse.

Je vous préviens, ministre de justice, que, pendanl que mon corps est privé di outi — ses forces, mon esprit, soutenu par une juste indignalion, en a conservé assez pour dresser « m pi tition à la Convention nationale, dans laquelle je la prie, pour unique faveur, de me garantir du coup de poignard qu’on me destine (et j’ai trop de fois raisou pour qu’on ne me le destine point ;  ; de m n garantir, dis-je, par une sauvegarde qui me permette d’aller me justifier hautement devant elle. Je m’engage dan— cette pétition de consommer ma ruine eu donnant à la France mon immense cargaison d’armes, sans aucun payement de sa paît. si je ne prouve pas, au gré de ma patrie, de tous les honnêtes gens, qu’il n’y a pasunseul motdans toutes ces dénonciation— qui ne soit une absurde fausseté, une fausseté absurdissime ! J’i ngagi non-seulement mes armes, niais toute ma fortune etmavie ; et la Convention nationale aurait ma pétition depuis plus de huit jours, si les ouvrages français s’imprimaient aussi vite à Londres qu’à Paris.

" Ne pouvant me traîner, je me serais fait porter a sa suite, eussé-je du mourir arrivant à Paris ; mais je soi— en prison jusqu’aux réponses d’outremer, bailleurs j’avais pense que, dans l’horrible fermentation qu’ils ont excitée contre moi pendant mon absence de France, uniquement pour que je n’y pusse arriver, je devais me faire précéder au moins par un commencement de justification : car j’ai la conviction en main qu’on a voulu me faire assassiner, pour m’empêcher de faire avec éclat une justification pleine et satisfaisante. Les écailles tomberont des yeux sitôt qu’on m’aura entendu, et je courrai me faire entendre sitôt que mes amis m’auront envoyé une caution. , Cetie affaire de— fusils est si atrocement absurde, que je n’eusse jamais cru a un décret d’accu ation sur elle, si la gazette de la cour de /" Haye, du t er décembre, n’eût articulé très-positivementees mots, aprèsla dénonciation de— fusils : n On a été occupé hier, 22 novembre, n mettri les scellés partout dans /" maison de Beaumarchais, qui figurt aussi parmi les grands conjurés, et a écrit plusieurs lettres à Lau* X 17.

.■ Je ne mets que la traduction, mais j’écris à la Haye pour qu’on m’envoie une demi-douzaine d’exemplaires de cette gazette du I er décembre à Paris : c’est la seule accusation qui m’ait uniquement occupé. L’autre est aussi trop maladroite, et je ne larderai pas à le prouver d’une façon qui ne laissera rien à désirer.

« A l’instant où je fais partir cette lettre, ministre citoyen, j’envoie chercher mon médecin pour savoir dans quel temps il croit que je puisse soutenir la voilure de terre el de nier. Ma caution arrivée, je pars sur-le-champ pour Paris : car ce n’esl pas la frayeur de la mort qui peut m’empêcher de partir ; c’esl la crainte au contraii i i mourir sans être justifié, el par conséquenl sans vengeance d’une aussi longue série d’atrocités, qui me fera braver tous les dangers. Je déposerai au greffe de l ondres la copie certifiée de l’lie lettre, si je suis assez heureux poui qu’on me permette d’en partir, afin qu’il soit au moins prouvé que je n’étais ni émigré ni peureux, que j’ai prévu tout ce qui m’attendait ; et que si un poignard m’atteint avant que le jugement de la Convention nationale soit porté, d’après mes défenses imprimées il puisse être certain que mes ennemis n’ont pu souffrir que je me justifiasse de mon vivant, à la honte absolue de mes accusateurs. Mais je voue à l’indignation publique mes suivants et mes héritit rs, si, ayant mes impurs en main, ils ne le font pas après moi.

i Ministre de la justice, je vous déclare aussi qu’il importe beaucoup à la nation que je me justifie : car mon voyage de Hollande est très-intéressant pour elle ; et si, en m’attendant, l’on vend mes biens sous prétexte d’émigration avant que je me justifie, je préviens l’Assemblée qu’elle aura la triste justice de les faire racheter sitôt qu’elle m’aura entendu, comme ceux d’un très-bon citoyen vendus sur des mensonges horribles. Je suis avec respect,

« Citoyen ministre de la justice de France, i Le plus confiant des citoyens en voir [uité. » Signé Beaumarchais. »

La seule lettre raisonnable que j’aie reçue des hommes en place de mon pays, dans cette abominable affaire, est la réponse de ce ministre. Elle m’a donne le courage d’écrire promptement mes défenses et de les envoyer. Puis, après avoir fait les plus grands sacrifices pour nf acquitter en Angleterre, j’accourais me mettre en prison, aux risques que l’on court dans les prisons de France, lorsque la Convention a daigné lever mon décret, en suspendre l’effet pendant soixante jours, pour me donner le temps de venir me défendre. Mais je n’en abuserai point : il ne me faut pas soixante heures. Actions de grâces soient rendues au ministre de la justice ! actions de grâces soient rendues à la Convention nationale, qui a senti qu’un citoyen ne doit jamais être jugé sans avoir été i ntendu !

Voici la lettredu citoyen Garât, bon ministre de la justice ; et je l’imprime exprès pour consoler les gens que l’injustice opprime, et fermer par un acte pur le cercle odieux des vexations que j’éprouve depuis dix mois, pour avoir servi mon pays contre le vœu de tous ceux qui le pillent : « Taris, ce 3 janvier 1793, l’an II de la république.

« J’ai reçu, citoyen, votre lettre du 28 décembre 1792, datée de la prison du Ban du Roi à Londres. le ne puis qu’applaudir à l’empressement que vous me témoignez de venir vous justifier devant la Com ention nationale ; et je pense qu’aussitôt que vous serez libre, et que votre santé vous le permettra, rien ne doit retarder une démarche si naturelle à un accusé sur de son innocence. L’exécution de ce projet, si digne d’une âme forle et qui n’arienàsc reprocher, ne doit pas même être relardée par des craintes que des ennemis de votre tranquillité, ou des esprits trop prompts à s’alarmer, peuvent seuls vous avoir suggérées. Xon, citoyen, quoi qu’eu disent les détracteurs de la révolution du 10 août, les événements désastreux qui l’ont suivie, et que pleurent tous les vrais amis de la liberté, ne se renouvelleront pas. « Vous demandez une sauvegarde à la fmn en lion nationale, pour pouvoir avec —unie lui présenter votre justification : j’ignore quelle sera sa réponse, et je ne dois pas la prévenir ; mais, lorsque l’accusation même portée contre vous vous remet entre les mains de la justice, elle vous place spécialement sous la sauvegarde des lois. Le décret qui me charge de leurexécution m’offre les moyens de vous rassurer contre toutes les terreurs qu’on s’est plu a vous inspirer. Marquez-nmi dans quel port vous comptez vous rendre, cl à peu pies l’époque de voire débarquement. Aussitôt je donnerai des ordres pour que la gendarmerie nationale vous fournisse une escorte suffisante pour calmer vos inquiétudes et assurer votre translation à Paris. Et même, sans avoir besoin de ces ordres, ■ous pouvez vous-même réclamer cette escorte de l’officier qui commande la gendarmerie dans le port où vous descendrez.

u Votre arrivée ici suffira pour empêcher que l’on ne puisse vous confondre avec les émigrés ; et les citoyens qui ont cru devoir vous mettre en état d’accusation entendront eux-mêmes avec plaisir votre justification, et seront flattés de voir qu’un homme employé par la république n’a pas mérité un instant de perdre sa confiance’. « Le ministre de lajustia. signé Garât. » Il me reste à fixer l’attention des bons citoyens, dont l’exaltation départi n’a pas égaré les lumière-, sur h décret d’accusation que l’on a lam é conti ■ moi : je vais l’examiner avec la même sévérité que j’ai mise à scruter mes œuvres et celles de mes accusateurs, puis résumer ce long mémoire, me reposer sur mes travaux ; enfin, attendre avec confiance le prononcé de la Convention.

DÉCRET D’ACCUSATION

Extrait du •procès-verbal di la Convention nationale du 28 novembre 1702, l’an I er de la république française.

La Convention nationale, après avoir entendu son comité de la guerre, considérant que le traité du 18 juillet dernier est le fruit dt la collusion et de la fraude ; que ce traité, en anéantissant celui du 3 avril précédent, a enlevé au gouvernement français toutes les sûretés qui pourraient répondre de . Ce qui suit a été t

; depuis i l’achat et de l’arrivée des armes ; qu’il se manifeste 

bien clairement par ce traité 1 intention de ne point procurer d’armes, mais seulement de se serii’ de ce prétexte pour faire des bénéfices i onsidi ■ râbles < I illicites, avec la certitude que ces armes ne parviendront pas ; que les stipulations ruineuses qui constituent la totalité de l’acte du 18 juillet dernier doivent être réprimées avec sévérité : Art. 1 er . Le marche passé li 3 avril dernier à Beaumarchais par Pierre Graves, ex-ministre de la -lierre, et la transaction faite le 1S juillet suivant entre Beaumarchais , Lajard <■[ Chambonas, sont innulés : en conséquence, les sommes par I gouvernement à Beaumarchais, en exécution ile^eli tr- traités, seronl par lui restituées. . Attendu la fraude et l" connivence criminelle qui i ègnent, tant dans l 1 marché du 3 avril que dans la transaction ’lu 18 juillet dernier, entre Beaumarchais, Lajard ef Chambonas, Pien - . dit Beaumarchais, sera mis en état d’accusation.

. Pierre- Auguste Lajard, ex-ministre de la guerre, ri Scipion Chambonas, ex-ministre des affaires étrangères, sont et demeurent, avec Beaumarchais, solidairement responsables, et par corps, des dilapidations résultantes desdits traités ; et ils seront tenus de répondre sur ces articles, ainsi que sur «eux pour lesquels ils ont été décrétés d’accusation : en conséquence, le pouvoir exécutif meure chargé d’eu faire le renvoi devant les tribunaux.

’ n] i ■■

OBSERVATI0

! i Com • ntion, partanl d’un rapport travaillé 

sur des notions si frauduleuses, et les prenant toutes i r vraies, ne pouvait juger autrement, sinon qu’elle aurait pu me mandi r à - i barre et m’entendre dans mes défenses ; surtout ne pouvanl ignorer que les comités m, des armes, après m’avoir sévèrement écouté sur la luire en septembre, par ordn i

l’Assemblée, m’avaient donné tout d’une voix une on de civisme la plus honorable possible, finissant par ces mots : qui j’avais mériti la ue-Là • NON.

Et si la Com ■ ntion cùl daigné me mander, j’aurais pressé l’accusateur ; ledébal < ugé ! homme cl la < bosc ; tous nos rusils seraient en France ; nos ennemis ne riraienl pas de nous, des tromperies que l’on vous fait, de la façon doul on vous mène : on n’eùl poinl ruiné le crédit d’une bonne mais le commerce, el mis .m désespoir une famille entière, donl nulle justice aujourd’hui ne peut réparer le malheur ! Voilà ce qui lui arrivé.

Discutons le décret dicté au citoyen Lecointre : i qu’on éclair i r ion de ju i • LE décret (préambule).

La Convention, considérant qui /< traitédu [ijuilh t i de la collusion t t de la fraude... La collusion A quoi ? et la fraude <h qui.’ ,|.-s trois comités réunis, diplomatique, militait / m-, dont j’ai cité l’avis entier dans la troisième époqu di ce compti rendu ; h^id avis seul a guidé deux timides ministres, qui n’osaient rien prendre sur eux : traité donl pas nue clause ne s’écarte de cet avis, sinon n mun ilt*iirtiiitutjc, puisque les comités prescrivent qu’on me ■ ’■ - retéspour , -. el mt me

armes me soient payéi sans nul délai, • i LES ENLÈVENT da/lS UM ;/» -n- Cl merci ! Or, ces sûretés convenues étaient bien le dépôt de la tomme chez mon notaire. Le traité i tit, ma sûreté a été retranchée de l’acte par uni ■ lu lion bien prouvée contre moi l ’i si ici , s’applique), sous prétexti di pénurii au départen ’ de te guerre. (Lisez la lin de ma troisième époque.) le décret (préambule).

Que ci traité, en anéantissant celui du 3 ai calent, a enlevé au gouvernement français t ut - / sùn tés qui pourraient répondre de l’achat et di l’ai i il et des armes...

l’accusé.

il y a ici une profonde ignorance des faits : ce fut le contraire qui arriva, car le premier traité ne m’imposait qu’un dédit de cinquante mille Iran.- ’. par obstacles de mon fait, partie des armes n’arrivait pas au lemps prescril par le traité.

!.i toute ma seconde époque est employée a bien 

prouver f ; ar

aicdi nom iateur) que leministi red alors, el Cfai e , el Servait, excepté Dumouriez, ont toujours refuse le plus léger concours pour faire lever l’embargo mis par les états de Hollande sur l’extradition des fusils, me laissant dédaigneusement maîti de disposer ia armes. Et ma troisième époqui entière prouve, jusqu’i e, loin que le second traite ait enlevé à la nation les sûretés qui pouvaient répondre que les armes tirai, ni , ! amvi raii nt dans si |

// fut, au i ont} aire, proui • aua ti ois • ou elles étaient, depuis plus de trois mo tées i i payéi - par moi ; i w la France - i ment.

Il fui prouvé aux comités que j’aurais eu, comme négocia at, un avanl e à rompre le traité d’avril, pour vendre es armes ailleurs ; que. loin de le vouloir, en bon citoyen que je suis, je donnai au contraire fous (es moyens di le consolider, mouler le prix des armes, en accroissanl les sûretés.

il fut prouvé ■ qu’au lieu d’un seul dédil de cinquante mille francs que contenait l’acte du 3 avril, lequel dédit n’était plus d’aucun poids dans des marchés d’une telle importance, quand même on n’eût eu nul égard aux preuves accumulées que les obstacles n’étaient point de mon fait, les avantages immenses que je refusais en Hollande, et mes offres finales de consolider ces refus en m’expropriant sur-le-champ (ce sur quoi je fus pris au mot), donnaient à notre gouvernement toutes les sûretés raisonnables que l’honneur, le patriotisme et un grand désintéressement pouvaient offrir à la nation.

Cependant, aujourd’hui, je suis dénoncé, outra)é, discrédité, ruiné, positivement pour le fait qui me valut alors les plus honorables éloges de la part des trois comités ! Non, vous n’avez pas composé ce rapport, citoyen Lecointre, car vous êtes un honnête homme.

LE DÉCRET (préambule).

Qu’Use manift ste bien clairement par ce traité l’inne point procurer d’armes, mais seulement de se semr de ce prétexte pour fax ibles et illicites, avec la certitude que ces armes tendront pas, etc.

Certes je l’aurais i m. la i i titudt enti fusils ne vous p pas, si j’avais pu prévoir alors que les ministres d’aujourd’hui, funestes à la chose publique, rentreraient dans leurs places avant le traité consommé ! Mais, dans ce cas, pom un million déplus, je n’aurais pas signé le fatal traité de juillet.

Non, ils ne l’ont pas lu, ce traité qu’ils font accuser ! Comment feraient-ils dire que le traité nous manifeste l’intention d< m point procurer d’armes, lorsqu’il est clair que je m’y exproprie, offrant délivrer à l’instant les fusils achetés et payes ; lorsque je n’y demande, pour son net aca mt rit, que le cautionnement déjà donné par Dumouriez, refusé d’acquitter pour la nation françaisepax Hoguer, Grand, nos banquiers d’Amsterdam (tous les genres d’insultes, nous les avons reçus dans ce pays) : lequel fatal cautionnement, constamment reais par tous nos ministres actuels, a été i dont ils se sont servis pour essayer de me ravir ces armes, par leur Constantini, par mon emprisonnement, par mon inutile voyage, afin de vous les vendre au prix qu’ils voudraient… ? Si je n’ai pas prouvécela, rien n’est prouvé’ions nom mi moin.

Et quant aux bénéfices que Lecointre appelle illiites, et qu’il m’accuse d’avoir faits, ma troisième époque n’a que trop bien prouvé : 1° que je n’en voulus point, étant trop méprisables auprès de ceux que je vous sacrifiais : je ne vendais point mon civisme ! 2° que rien n’empêchait d’annuler même l’intérêt commercial, en me payant comptant, quand je m’expropriais, quand je ne cessais de le dire et de le demander ; au lieu de me remettre à la fui de la guerre, qui aurait pu durer dix ans et ruiner toutes mes affaires ; et quand, pour comble d’ineptie, les rédacteurs, lu citoyen Lecointn m’attribuent tous ces bénéfices, dont je n’ai pas touché un sou, que je méprise presque autant que leur inepte méchanceté.

LE DÉCRET (.’lit. 1 er).

ché passé le 3 a Beaumarchais

par Pierre Graves… et I" tî ansaction faiti le 18 juil < l suivant outre Beaumarchais, Lajard et Ch u s mt annulés, etc.

l’accusé.

Quoi ! tous les deux ? Il résulte pourtant du préambule et de l’article 1 er ci tte contrad ctior, que vous annulez le traité du 18 juillet, parce qu’il oie, dites-vous, toutes les sûretés contenues’Ions le [in mur acte, que 1rs aenir. ; sei ait ni ach téeset livi et s ! sûretés apparemment dont vous faisiez grand eus ! Mais le traité du 3 avril, qui vous donnait ces sûretés-, pourquoi donc le détruisez-vous ? pourquoi fait-on détruire ? Vous n’en savez rien, < iloyi m : Je m’en vais vous apprendre, moi, le cret qu’ils vous ont caché. C’est qu’il leur reste un fol espoir de m’amener encore, à force d’embarras, à leur céder ces armes à vilprix : car, mainten je suis décrété (bien pis, si je iuis égorgé donneront plus sept florins huit sous de mes armes. issé-je réduit à les jeter dans l’OcéaD, ils n’en auront pas une seule ! Sans doute on va tâcher de vous faire nettoyer cette battologie dai second article, car on ne comprend rien à celui-ci.

LE DÉCRET (art. 2).

Attendu la fraude et connivence criminelle qui régnent, tant’Ions le marché du 3 avril que dans la transaction du 18 juillet dernier, l’.-A. C., dit Beaumarchais, sera mis en état d’aï rose/m, ;. Donc, s’il n’y a ni fraude ni connivence rapporter le décret ! Ici je n’ai qu’un mot à dire. Bans cette connivena entre trois ministres et moi (triste fait qu’ils ont inventé, ou qui l’on cous a fait méchamment présumer ;’l’ait vous n’avez aucune preuve et ne savez pas un seul mot), pourquo oubliez-vous les trois comités réunis, diplomatique, militairi el des douze ? Ne vous ai-je pane vous ai-je pas bien prouvé, par ma troîsiémi qu’ils furent nos complices dans l’acte du 18 juillet ; et non-seulement nos complic nos maîtres, et plus criminels que nous tous, si quelqu’un de nous l’a été ? Pourquoi donc les oubliez-vous ? Avez-vous deux poids, deux me-Pourquoi oubliez-vous, dans votre proscription sur le traite du 3 avril, le comité militairi eu la pn nve qu’il fut complice d i, imême vous rien étiez pas ; et cette preuve,

; i voh i : Lorsque Chabotme dénonça, avec autant 

de justice que de justesse, comme ayant, disait-il, c nquante mille fusils dans mes caves, vous vous rappelez bien que Lacroix répondit : Nous savons ce qui sont a s armt s ; on nous en a communiqué h t) aiti dans h temps ; il y a trois mois qu’elles sont livrées au gi uvei m ment. Et ce fut ce qui me sauva du pillage et ilu massacre !

Tmii fut donc défén alors à et comitt militairt ! Ce comité fut donc aussi complice et delà connivence du ministre Gravesei de moi ? Et cependant ions l’oubliez en dictant mon accusation ! cela n’est i conséquent, ni exact, ni juste : donc un autre a fait le décret ! Vous êtes plus fort que cela dans tout ce que j’ai vu de vous, ou vous avez, Lecointre, dt ? ux poids, deux mesures.

LE DÉCRET (art. 3).

Pierre-Auguste Lajard et Scipion Chambonas sont et demeurent, avec Beaumarchais, solidairement ri SpOtlSableS, ET PAR CORPS, (fes DILAPIDATIONS résultantes desdits traités, et ils seront tenus di répondrt sur ces articles, etc.

l’accusé.

J’ai déjà répondu pour eux, moi qu’on nomme partout l’avocat des absents ! et je souhaite que vos ministres se tirent de la connivence, de la fraude Constantinienne, aussi bien que MM. de Graves, Lajfiid et Chambonas se sont disculpés de la mienne : je l’apprendrai avec plaisir.

Or, sur ce point de dilapidations commises que vous établissez, Lecointre, avec tant de sévérité, et sur lequel vous nous rendez solidairement responsables, et par corps, les deux ministres et moi ne demandons point de quartier ; mais vous daignerez nous apprendre quelles sont ces dilapidations Car, puisque vous les attestez à I < Corn < ntion nationah. vous devez au moins les connaître, el vous j êtes i lamnc.

I" Mais je vous ai prouvé que je n’ai jamais rien touché du département de la guerre, que cinq cent milli francs d’assignats, en avril, qui perdaient quarante-deux pour cent, réduits en florins de Hollande, seule monnaie dont je pusse me servir, i i qui ne rendirent pas deux cent quatre-vingt-dix mille livres ; pour la valeur desquels j’ai déposé, , ,. ;, , , , „, suis exproprié de sept cent quarante-cinq mill, in res de contrats du gouvernement, et garantis, pur vous, de la nation à la nation, dontvous , — encort à moi les deux cent quarante-cinq mille livres excédant les cinq cent milli livres reçues. Jusqu’à présenl je ne vois pas que vous soyez dilapidé, ayant plus de dix mille louis à moi, sur lesquels je n’ai rien à vous. Ce n’est donc point sur < i lait-là que vous m’avez t’ait décréter comme nu i // dilapidât ! ur ?

î" Je vous ai bien prouvé, par me* trois derh res époques, que de toutes les clauses qui lia nui envers moi le département de la guerre dans l’acte du 18 juillet…, aucune n’a été exécutée. Quelle dilapidation pourrait s’en être suivie de la part de qui n’a rien reçu ? Ce n’est donc point encore, mon dénonciateur, sur ce fait que vous m’accusez ? ° Dans ce traité, pour m’engager à souffrir qu’on ne me payât qu’à la fin di la guern vraie proposition léonine des fusils que j’avais bien payés comptant, que j’allais livrer à l’instant à M.’/■ Mauldt. qu’on avait choisi pour en faire la réception, l’on s’engage de me payer cent mille florins à compte de la dette. On me tourmente, je résiste. Vanchel insiste. les minisires me pressentie me rends ; on m’accable de compliments !… On n’a pas pave un florin ! Qui de vous ou de moi, je vous prie, est dilapidé dans ce traitement de corsaire ? Ce n’est doue pas non plus ce fait-là qui me n nd coupable ? Peut-être enfin le trouverons-nous !


i° Pour obtenir de moi que je renonce au dépôt, arrêté par les comités mes complices, de la somme entière des armes, quidi eaii i tri fait sur leur avis chez mon notaire, on m’offre dans ce même traité deux cent milli florins comptant, au lieu di cent. On me presse, on me trouble, on me prend >ur le temps ; on l’exécute malgré moi, en faisant recommence ) l’art !… On ne m’a rien pave des deux cent mille florins. La dilapidation tombe-t-elle sur vous ou sur moi, qui perdis mes sûretés sans aucun dédommagement ? Que dites-vous, ô citoyen Lecointre ? Ce n’est donc pas ei v de ce fail là que vous parlez dans votre attaque ? Cependant je suis décrété ! Avançons dans la caverne où je porte le flambeau.

° Cet acte assure que l’on va me compter quatre mois échusd’un intérêt commercial que’l’on substitue, malgré moi, h mon payement qui./• demandt .’On me fail un fort grand mérite de vaincre ii i mes répugnance— ;. Je me lai—e aller, je consens Jamais ox n’en a rien payé, quoique vous avez attesté dans votre dénonciation que j’ai reçu soixante-cinq mille livres pour l’objet de ces intérêts ! Je cherche en vain la dilapidation dmit "ii-nous rendez responsables par coups, et pour laquelle, dites-vous, je dois être ri l’instant mis en état d’accusation. Je vois au contrain que c’est moi qui suis trompé, berné, dilapidé, n’ayant rien reçu de personne. Peut-être entendez-vous parler d’un autre fait dans le décret ? Nous allons les parcourir tous.

ti° Cet acte me promet le remboursemenl de mes frais depuis l’instant où la nation se reconnaît propriétaire… • ! n.mais je n’en ai eu un sou ! Sur cet objet, comme sur tous les autres, la dilapidation ,.■ mim e, et pourtant jt suis di cri’i peur avoir dilapidi ! Mais sans doute à la fin quelqu’un nous apprendra sur quelle dilapidation on a fait porterie décret dont je demande le rapport !

7o Cet acte oblige expressément, sur le vœu positif des trois comités réunis, le département des affaires étrangères à me remettre sur-le-champ un cautionnement nécessaire de cinquante mille florins d’Empire, et sans lequel je déclarais que le reste était inutile. On en convient, on s’y engage… Jamais on ne l’a effectué, pour vous mieux ravir ces fusils ! Quand on aurait des yeux de lynx, je défie que l’on voie ici d’autre dilapidation qu’une insultante moquerie des ministres à mon égard, que j’ai soufferte trop longtemps, et dont ce décret est la fin. Ce n’est donc point encore sur ce fait-là, monsieur, que porte mon accusation ?

8o Vous avez vu, citoyens, l’acharnement prouvé que le conseil exécutif actuel a mis à retenir constamment ce cautionnement, pour m’empêcher de rien finir ! Vous avez vu que, par cette manœuvre, ils ont espéré me lasser, et que leur homme aurait mes armes. Mes fonds sont là depuis dix mois, mes revenus sont arrêtés, trois gardiens sont dans ma maison, tous les genres d’insultes m’ont été prodigués par l’exécuteur de ces ordres ; mes amis me croient perdu, tout cela fait mourir de honte, et seul je suis dilapidé ! Heureusement pour le décret que tout n’est pas examiné ! Il faudra pourtant à la fin que j’aie dilapidé la nation sur quelque chose, puisqu’on me condamne, et par corps, à rapporter ce que j’ai pris !

° Cet acte oblige encore M. de la Hogue, mon ami, qui n’est point maréchal de camp, malgré Pache le ministre et malgré son commis, d’aller pour moi livrer à M. de Maulde, lequel est maréchal de camp, tous les fusils qui, par cet acte, appartiennent à la nation, que j’ai payés pour elle, et qu’elle ne m’a point payés, quoiqu’on fût très-pressé de les avoir alors.

Nous avez vu avec quelle infernale astuce, pendant ma quatrième époque, ce ministère actuel a empêché la Hogue de partir pour la Haye, en supposant un ordre de l’Assemblée nationale, lequel n’a JAMAIS EXISTÉ.

Vous avez vu comment ce ministère, malgré mes cris et mes menaces, a forcé mon ami de demeurer en France, de son autorité privée, depuis le 24 juin qu’il est sorti de la Hollande, jusqu’au 12 octobre qu’il y est rentre avec moi (quatre mois de perdus), sans argent de la France, et sans cautionnement, forcé de fondre, pour partir, jusqu’à mes dernières ressources !

Vous avez vu comment ils profitent de mon absence pour me faire décréter d’accusation sur des dilapidations inventées dont il n’y a pas de vestiges, si ce n’est moi, qui suis dilapidé ; comment ils envoient un courrier pour qu’on m’amène garrotté, pour que je sois tué en route, et ne puisse les accuser ! Ce ne peut être enfin sur tout ce mal que l’on m’a fait, que Lecointre me croit coupable. Disons ce qui est bien prouvé. On Va trompé indignement : voilà le vrai mot de l’énigme. " Cet acte me donnait enfin, au nom des trois comités réunis, de grands éloges sur m, , , , civisme et sur mon désintéressement. Deux autres comités, depuis émerveillésde ma patience, m’en oui décerné de plus grands, déclarant, signant tous, que j’ai mérité dans ceci la reconnaissance de la nation ; ils ont même exigé du ministre Lebrun, qui a’a b-ar attestation, qu’il me mit en état de partir surle-champpour faire arriver les fusils. Ce ministre le leur promet, m’abuse… ou ne m’abuse p<>mt. par son langage obscur, par ses fausses pr isses ; il est six semaines sans m’écrire ; enfin il joint à l’ironie de samoqueuse lettre en Hollande la lâche atrocité de me faire dénoncer en France ; et, pour qu’il ne reste aucune trace des éloges qu’on m’a donnés, il fait transformer ces éloges en injures les plus grossières ! Ainsi l’on m’a dilapidé même sur la partie monde de l’affaire:et pourtant je >uis décrété, pendant que ce ministre est libre ! J’ai épuisé les incidents et toutes les clauses du traité, baignez donc maintenant nous instruire, ô Lecointre, de quelles dilapidations deux minisires et moi nous devons répondre par corps ? pour quelles dilapidations je suis accusé, décrété ? pourquoi les scellés sont chez moi, mes possessions saisies, ma personne en danger, et ma famille au désespoir ? Et si vous ne pouvez le faire, soyez assez juste (et j’y compte) pour solliciter avec moi le rapport de l’affreux décret ! Est-ce trop exiger de on-— ? Keconnaissez-vous à ce trait le vieillard que j’ai comparé au bonhomme la Mothe-IIoudart ? Il pardonna une brutale insulte, et moi j’oublie une funeste erreur. Mais son jeune homme la répara… VOUS la réparerez aussi.

Le vrai résultat de ceci, c’est que la nation a depuis Un an septt Cent cinquante mille francs à moi, AVEC LES INTÉRÊTS QU’ILS PORTENT ; que je n’ai pas un sou à elle; que je n’ai jamais demandé, exigé m reçu de personne cinq cent mille francs d’indt invité, comme ou a eu l’audace de vous le faire avancer dans votre dénonciation, pas plus qu’une autre indemnité sur la perte des assignats, comme on vous l’a fait dire aussi pour mieux indigner contre moi el la Com 1 ntion et le peuple, sur le nouvel égarement duquelon comptait bien pour me faire périr ! Et cependant, monsieur, pour ces dilapidations que nos ministres ont rêvées, dont aurunc n’a <:ri>té. si ce n’est celle qm je souffre, pendant plus de trois mois les scellés ont été chez moi ; mon crédit est dilapide ; ma famille est dans les sanglots ; j’ai dû être égorgé cinq fois; ma fortune est allée au diable, et j’étais prisonnier à Londres, parce qu’après avoir fait renoncer la Convention à mes fusils, et lui avoir fait dire qu’elle ne roulait plus en entendre parler (ce qui a, tristement pour nous, réjoui les ennemis de la France), les sages et conséquents ministres qui les arrêtaient en Hollande et vous en privaient sciemment, tant quecesarmi s 1 —in appartinrent, ô citoyens législateurs, les y envoient militairement réclamer, et qui pis est, en votre nom, sitôt qu’elles ne sont plus à vous, à l’instant même où l’on vous y fait renoncer… Dans l’histoire du monde et des fatals ministres, on ne voit nul exemple d’un désordre de cette audace. d’une aussi grande dérision, d’un si moqueur abus de la puissance ministérielle : d’où mes créanciers effrayés m’ont regardé comme perdu, comme sacrifié sans pudeur, et m’ont arrêté pour leur gage !

Je passe sous silence, ô citoyen Lecointre, la façon plus qu’étrange dont on vous a fait m’outrager, vous qu’on dit un homme très-humain, parce que personne n’ignore qu’en plaidant, de fortes injures ne sont que de faibles raisons !

Je laisse de côté les dilapidations des acheteurs favoris de nos ministres en Hollande, qui n’ont pas un rapport direct à l’affaire de mes fusils, ainsi que ce qui tient aux fabricateurs d’assignats, que ces mêmes ministres ont laissés échapper des prisons d’Amsterdam, où M. de Maulde les tenait, et pour l’arrestation desquels j’avais prêté des fonds à cet ambassadeur qu’on y laissait manquer de tout ; lesquels faussaires si dangereux n’ont pas cessé depuis d’exercer contre nous ce genre d’empoisonnement, le plus grand mal qu’on pût faire à la France ! faute par ces ministres d’avoir jamais à ce sujet répondu aux dépêches de notre ambassadeur ; faute de lui avoir jamais envoyé un courrier, ni sur cette affaire importante, ni sur aucune autre de celles dont sa correspondance est pleine, excepté néanmoins l’important courrier de Lebrun, qui eut ordre de crever tous les chevaux sur la route pour me faire arrêter à la Haye, moi qui les avais prévenus que j’allais partir pour Paris, et porter enfin la lumière à la barre de la Convention sur leur ténébreuse conduite ! Et je n’en dis pas plus ici, parce qu’il sera temps, quand on m’interrogera, de poser sur ces faits des choses plus avérées que toutes les horreurs dont ils m’ont accablé.

Je résume ce long mémoire, et vais serrer en peu de mots ma justification, maintenant bien connue.

Ma première époque a prouvé que, loin d’avoir acheté des armes pour les vendre à nos ennemis et tâcher d’en priver la France, comme j’en étais accusé, j’ai soumis au contraire le vendeur aux plus fortes peines, si l’on détournait une seule pour quelque usage que ce fût ;

Que, loin d’avoir voulu donner à ma patrie des armes de mauvaise qualité, j’ai pris toutes les précautions pour qu’elles fussent de bon service, les ayant achetées en bloc et les soumettant au triage ;

Que vous n’en avez jamais eu d’aucun pays à si bas prix ; que le traité fut fait par M. de Graves, de concert et d’après l’avis du comité militaire d’alors, et que j’ai déposé sept cent quarante cinq mille livres en contrats viagers qui me rapportaient neuf pour cent d’intérêts, que vous avez gardés aussi, contre cinq cent mille francs d’assignats qui perdaient quarante-deux pour cent, ne donnaient aucun intérêt, et ne m’ont pas rendu cent mille écus nets en florins.

Ma seconde époque a prouvé que tous nos ennemis, instruits par la perfidie des bureaux, ont fait mettre en Hollande un insultant embargo sur ces armes ; que j’ai fait mille efforts auprès de nos ministres (qui se disaient tous patriotes) pour parvenir à le faire lever ; que mes efforts ont été vains.

Ma troisième époque a prouvé que, demandant enfin une solution quelconque aux deux ministres et aux trois comités, qui me permit de vendre mes fusils, s’il était vrai que l’on n’en voulût plus, les trois comités réunis ont rejeté l’offre que je faisais de reprendre mes armes ;

Qu’ils ont fixé eux-mêmes les clauses du marché qui les assuraient à la France ; qu’ils m’ont su un gré muni du grand sacrifice d’argent que.1 n fut de si bonne grâce pour que ces armes vous parvinssent, me soumettant, contre mes intérêts, à tout ce qu’ils ont cru avantageux à la nation ; Qu’à l’exécution du traite toutes les clauses en ont été éludées contre moi ; que j’ai tout souffert sans me plaindre, parce qu’il s’agissait du servi nation, à qui je dois le pas sur moi. Ma quatrième époque n’a que trop bien prouvé qu’après avoir perdu cinq mois et usé huit à neuf ministres sans obtenir aucune justice, au grand dommage de mon pays, j’ai vu que le mot de I énigme était que le » nouveaux ministres voulaient que mes armes passassent dans les mains de LEURS AFFILIÉS, pOW les eeeruilee à la inll’mn à bien plus haut prix que le mien ; el que sur mon refus de les céder à leurs messieurs pour sept florins huit sous la pièce, on m’a fait nuitée à l’Abbaye, où l’on m’a renouvelé ces offres avec promesse de m’en faire sortir, muni d’une belle attestation, si j’entendais à leurs propositions ; àl’Abbaye, où, sur mes refus obstinés, j’eusse été massacré, dans la journée du 2 septembre, sans un secours étranger aux ministres, qui m’arracha de cet affreux séjour et me ravit ;’i leurs projets de mort.

Ma cinquième époque ; t prouvé que Lebrun, Clavière et autres avaient fait arrêter en France M. de la Hogue, mon agent (chargé par le traité d’aller livrer les fusils à M. de Maulde. pour que rien ne pût s’achever si je ne cédais pas les armes ;’i leur i pi i • il :, i :’qu n i il : de ces ibs mil IgUi s, j’en ai porté mes plaintes à l’Assemblée nationale, qui a fait ordonner au ministre Lebrun de me mettre en état de partir sous les vingt-quatre heures avec tout ce que le traité exigeait, pour nous faire arriver les armes ;

Que ce ministre l’a promis il s’y est engagé : i i d m ; > fait perdre encore huit jours, ni i l’ut partir s un— me remettre ni fonds m en ni mu m mt ut. sous des promesses insidieuses qui n’avaient d’autre but que de m’écarter de la France pour amener la catastrophe, si je m’obstinais au refus des offres de leur acheteur qu’ils envoyèrent en Hollande ; de me les renouveler encore par l’organe de notre ambassadeur, dont j’invoque le témoignage.

Ma sixième époque a prouvé qu’ayant prié M. de Maulde de leur montrer tout le mépris que j’avais pour leurs offres, certains qu’ils ne gagneraient rien ni sur moi ni sur mes fusils, ils m’ont fait accuser, décréter par Lecointre à la Convention nationale, ont dépêché le seul courrier qu’ils eussent envoyé en Hollande depuis que M. de Maulde y était, pour m’y faire arrêter ; espérant bien qu’avec les torts qu’ils m’avaient prêtés à Paris, d’être en commerce avec Louis XVI, je n’arriverais pas vivant, et que leur exécrable intrigue n’y serait jamais découverte ; et qu’enfin, après moi, ils obtiendraient pour rien, de tous ceux qui me survivraient, mes fusils, pour les revendre à onze ou douze florins, comme ils ont fait ou voulu faire des détestables fusils de rempart de Hambourg, que M. de Maulde avait rejetés au prix de cinq florins, et que j’ai rejetés de même. Interrogez M. de Maulde.

Heureusement un dieu m’a préservé ! j’ai pu me faire précéder par ces défenses, que j’ai suivies. Mes sacrifices ont été faits pour obtenir la liberté de quitter ma prison de Londres, quoique depuis un mois je ne fusse plus au Ban du Roi. Je suis parti à l’instant pour Paris, je m’y suis rendu à tous risques ; ma justification étant mon précurseur, j’ai dit : Je ne cours plus celui d’être déshonoré, je suis content. Si je péris par trahison, ce n’est qu’un accident de plus ; la lâche trahison est démasquée : c’est encore un crime perdu.

Ô citoyens législateurs, je tiens ma parole envers vous ! Après cet historique lu, jugez-vous que je sois un traître, un faux citoyen, un pillard ? Prenez mes armes pour néant, je vais vous en passer le don ruineux.

Trouvez-vous, au contraire, que j’aie bien établi la preuve de mes longs travaux pour vous procurer ces fusils au prix d’un loyal négociant, avec tous les efforts d’un très-bon citoyen ? trouvez-vous que les vrais coupables sont mes lâches accusateurs, comme je vous l’ai attesté ? faites-moi donc justice, et faites-moi-la prompte : il y a un an que je souffre et mène une vie déplorable !

Je vous demande, citoyens, le rapport du décret que l’on vous a surpris ; une troisième attestation de civisme et de pureté (vos comités m’ont donné les deux autres) ; mon renvoi dans les tribunaux, pour les dommages et intérêts qui me sont dus par mes persécuteurs.

Je ne demande rien contre le citoyen Lecointre. Ah ! je l’ai vu assez depuis mon arrivée en France, pour être bien certain que le fond imposteur, la forme virulente de ce rapport ne furent jamais son ouvrage. En me voyant, il a bientôt senti qu’il ne faut point peindre les hommes avant de les avoir connus ; que l’on s’expose à les défigurer, en se laissant conduire la main, J’ai vu sa profonde douleur sur le désordre affreux qui règne, et sur les dilapidations que nos ministres ont laissé faire dans les fournitures des troupes que l’hiver vient d’accumuler ! J’ai lu le terrible rapport qu’il vient d’écrire et d’imprimer sur ces dévastations, capables de dévorer la république ; et je suis beaucoup moins surpris qu’aigrissant son patriotisme et l’abusant par des horreurs qu’il n’a pas pu approfondir, on l’ait facilement porté à se rendre un crédule écho des mensonges ministériels sur l’affaire de ces fusils. C’est son amour pour la patrie qui égara son jugement. Il a servi sans le savoir la vengeance des scélérats qui n’ont jamais pensé que, sauvé de leur piége, échappant au fer meurtrier, je viendrais courageusement leur arracher le masque à votre barre.

Je fus vexé sous notre ancien régime ; les ministres me tourmentaient : mais les vexations de ceux-là n’étaient que des espiègleries auprès des horreurs de ceux-ci.

Posons la plume enfin : j’ai besoin de repos, et le lecteur en a besoin aussi. Je l’ai tourmenté, fatigué…, ennuyé : c’est le pis de tout. Mais, s’il réfléchit, à part lui, que le malheur d’un citoyen, que le poignard qui m’assassine est suspendu sur toutes les têtes et le menace autant que moi, il me saura gré du courage que j’emploie à l’en garantir, lorsque j’en suis percé à jour !

Ô ma patrie en larmes ! ô malheureux Français ! que vous aura servi d’avoir renversé des bastilles, si des brigands viennent danser dessus, nous égorgent sur leurs débris ? Vrais amis de la liberté', sachez que ses premiers bourreaux sont la licence et l’anarchie. Joignez-vous à mes cris, et demandons des lois aux députés qui nous les doivent, qui n’ont été nommés par nous nos mandataires qu’à ce prix ! Faisons la paix avec l’Europe : le plus beau jour de notre gloire ne fut-il pas celui où nous la déclarâmes au monde ? Affermissons notre intérieur. Constituons-nous enfin sans débats, sans orages, et surtout, s’il se peut, sans crimes. Vos maximes s’établiront, elles se propageront bien mieux que par la guerre, le meurtre et les dévastations, si l’on vous voit heureux par elles. L’êtes-vous ? Soyons vrais : n’est-ce pas du sang des Français que notre terre est abreuvée ? Parlez ! est-il un seul de nous qui n’ait des larmes à verser ? La paix', des lois, une constitution ! Sans ces biens-là, point de patrie, et surtout point de liberté !

Français ! si nous ne prenons pas ce parti ferme dans l’instant, j’ai soixante ans passés, quelque expérience des hommes ; en me tenant dans mes foyers, je vous ai bien prouvé que je n’avais plus d’ambition ; nul homme, sur ce continent, n’a plus contribué que moi à rendre libre l’Amérique : jugez si j’adorais la liberté de notre France ! j’ai laissé parler tout le monde, et me tairai encore après ce peu de mots : mais, si vous hésitez à prendre un parti généreux, je vous le dis avec douleur, Français, nous n’avons plus qu’un moment à exister libres ; et le premier peuple du monde, enchaîné, deviendra la honte, le vil opprobre de ce siècle, et l’épouvante des nations !

Ô mes concitoyens ! en place de ces cris féroces qui rendent nos femmes si hideuses, voici le Salvam fac gentem que j’ai composé pour ma fille, dont la voix douce et mélodieuse calme nos douleurs tous les soirs, en récitant cette prière :

Détourne, ô Dieu, les maux extrêmes
Que sur nous l’enfer a vomis !
Préserve les Français d’eux-mêmes :
Ils ne craindront plus d’ennemis.

Ce citoyen toujours persécuté,

Caron Beaumarchais

Achevé pour mes juges, à Paris, ce 6 mars 1793, l’an second de la République.

COMPTE RENDU

DE

L’AFFAIRE DES AUTEURS DRAMATIQUES

ET DES COMÉDIENS FRANÇAIS

PAR BEAUMARCHAIS, L’UN DES COMMISSAIRES DES GENS DE LETTRES ET CHARGÉ DE LEURS POUVOIRS

On répand dans Paris que depuis quatre ans je fais tous mes efforts pour entrer en procès avec la Comédie française, parce qu’elle est injuste envers les auteurs : et moi je vais montrer tout ce que j’ai tenté depuis quatre ans pour éviter d’avoir ce procès avec la Comédie, quoiqu’elle soit très-injuste envers les auteurs.

On ajoute avec un espoir malin que je vais faire un mémoire fort plaisant contre les comédiens ; et parce qu’on rit quelquefois aux jeux du théâtre, on croit qu’il faut rire aussi des affaires du théâtre : on confond tout dans la société. Mais que les comédiens se rassurent ! le plus simple exposé de notre conduite réciproque est le seul écrit qui sortira de ma plume ; il tiendra lieu de ce plaisant mémoire, que je ne ferai point.

On dit aux foyers des spectacles qu’il n’est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a raison : la gloire est attrayante ; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq fois ; et si le guerrier, l’homme d’État ne rougit point de recueillir la noble pension due à ses services, en sollicitant le grade qui peut lui en valoir une plus forte, pourquoi le fils d’Apollon, l’amant des Muses, incessamment forcé de compter avec son boulanger, négligerait-il de compter avec les comédiens ? Aussi croyons-nous rendre à chacun ce qui lui est dû, quand nous demandons les lauriers de la Comédie au public qui les accorde, et l’argent reçu du public à la Comédie qui le retient.

On prétend surtout qu’au lieu d’arranger l’affaire des auteurs, qui m’était confiée depuis quatre ans, je me suis rendu redoutable aux comédiens, et montré dur, injuste, intraitable, au point d’offenser personnellement MM. les premiers gentilshommes de la chambre 11, qui se portaient conciliateurs. Ce dernier trait m’oblige à ne composer mon récit que des lettres et réponses de chacun, c’est-à-dire à réduire l’affaire aux seules pièces justificatives.

Si cette façon d’exposer les faits est sèche, sans grâce, et peu propre à soutenir l’attention du lecteur, au moins n’en est-il aucune aussi propre à montrer qu’après m’être assuré du bon droit des auteurs, je suis depuis quatre ans un modèle de patience devant les comédiens ; et ma conduite, un effort de conciliation devant leurs supérieurs.

À la vérité, mes confrères n’auront pas en moi l’avantage d’un défenseur aussi éloquent que M. Gerbier, qui conseille et dirige et défend les comédiens ; mais la cause des auteurs est si juste, qu’elle n’a pas besoin de prestige. Des principes bien posés, des faits accumulés, une discussion exacte, un peu de saine logique, il ne faut pas d’autre éloquence à la vérité.

Procédés des auteurs envers les comédiens ;

Droits des auteurs usurpés par les comédiens :

Telle est ma division. Si mes confrères, instruits des vues dans lesquelles je fais cet expose, le reconnaissent exact, ils en signeront la conclusion. Si les comédiens y trouvent à reprendre, ils nieront les faits ou disputeront sur les conséquences ; alors nous espérons que le roi, bien informé du I. Les quatre premiers gentilshommes de la chambre du roi, chargés de l’administration des théâtres, étaient alors : M. le maréchal due de Bichelicu, de l’Académie française ; M. le maréchal duc de Duras, ià.’ Le ducd’Aumont,

Le duc de Fletiry.

Il y avait aussi des intendants des menus plaisirs et affaires de la chambre du roi, tels que MM. de la Fertéetdes Entelles, qui, sous ces quatre premiers gentilshommes, dirigeaient les détails des spectacles de la cour. véritable état d’une question que tant de gens ont intérêt d’obscurcir, daignera nous juger dans son conseil, ou nous renvoyer aux tribunaux établis par lui-même pour veiller sur la propriété des citoyens : ce qui nous est également avantageux.

PREMIÈRE PARTIE

• DES ACTEURS ENVERS LES COMÉDIEXS. (En 1776a Fatigué, peut-être humilié de voir que d’interminables débats sur l’état et les droits des auteurs dramatiques aigrissaient depuis trente ans les gens de lettres contre les comédiens français, je ; cgrettais qu’un bon esprit n’eùl pas i u le i otiras ■’1 étudier la question, qu’on n’eût pas essayé tous les moyens de poser de meilleures bases à des droits toujours contestés, parce qu’ils n’étaient jamais éclaircis.

Il venait de paraître un mémoire imprimé de M. de Lonvay de la Saussaye, auteur de la.1 nu m e tienne, dont l’objet était d’obtenir justice des comédiens français. 1 ! — avaient, disait-il, cessé de jouer sa pièce avant qu’elle fût dans l’état fâcheux qu’on nomme à la Comédie tombée dans . c’est-à-dire, en français, avant qu’elle fût tombée à une certaine somme de ri dessous de laquelle les i orm diens se croient en droit d’hériter des auteurs vivants, et de s’emparer de la propriété de leurs ouvrages : proo toul.i fail dans les règles ordinaires. De la Saussaye cil rtumeun compte à lui fourni par les comédien — pour les cinq i talions de sa pièce, et ce compte unissait ainsi : . Partant, pour son droit acquis du douzi

; eprésentations de sa pièce,

" l’auteur redoil la son di ci Qt une livres huit « sous luii ! deniers à la Comédie. C’était encore là, s’il faut l’avouer, l’établissement d’une étrange règle:un pareil résultat avait eu de quoi surprendre l’auteur; j’en fus frappé moi-même en lisant son mémoire. En effet, il était bien difficile de supposer un calcul raisonnable en vertu duquel une pièce ayant rapporté pft/s dt douze milh livn d< recette à la Comédie, en cinq représentations, pouvait nerendre à l’auteur d’autre fruit que l’honneur de payer cenl une livres aux comédiens pour son di oit di ins le produit de la recette.

En ce temps-la les comédiens français avaient refusé, de leur seule autorité, les entrées du spectacle à Mercier. auteur d’une pièce reçue, il j avait eu sur ce fait protestations formées, procès entamé, mémoires répandus, évocation au conseil du roi, surtout bea p d’aigreur entre les parties.

De lielloi, disait-on, n’ayant d’autre re ourci ■ énie, étail mort de i hagrin di > crui I — i ■" édés di i omédiens. i de lu /’-’.— lie d< i hass di II | <o Dupuis et Desronais, e d’autres charm vrages, outré de la conduite d — comédii i égard, venaitd’abandonnerabsolument le théâtre : une grande perte.

La Harpe, le Blanc, de Sauvigny, de la Place, Cailhava, Sedaine, Renou, el presqi tours, se plaignaient hautement des c c’était un cri général dans la littéi Tous assuraient que la Comédie le— Ir pail de plus de moitié dans le compte qui leur étail rendu de leur droit du neuvième sur une recette atténuée a leur seul préjudice par nue foule d’entrées el d’abonnements abusifs, par la création des petites loges plus abusives encore, par la répartition léonine de l’impôt appelé quart des pauvres, parl’aci roissement arbitraire de prétendus frais du spectacle, par le haussement illégal et subit do la somme à laquelle les pièi n • dans les régies, par des compensations obscun — cl rui-Dtre les rrais journ ili t— et la recette des petites loges, par l’énorme abus de ne montrer qu’une recette partielle au lieu du produit entier du spectacle, quand il s’agil d faire perdre aux auteurs la propriété de leurs ouvrages, et surtout par l’impossibilité de jamais obtenirun compte en i ègle el clairement posé par la Comédie : tous autant d’abus qui avaient enfin réduit i droit du neuvième des auteurs a moins du vingtième effectif.

M. le maréchal de Richelieu, frappé de bruit, et désirant enfin connaître à qui l’on devait imputer tant de rumeurs el de réel m : fit l’honneur, en me remettant les règlemi i ciens et nouveaux de la Comédie, de m’invitera bien étudier la question, à tâcher d’éclaircir les laits et de rapprocher les esprits, ou tout au moins à lui faire part de mes découvertes el du moyen que je croirais propre à terminer ces débats : il me lit la grâce d’ajouter qu’il m’en parlait comme unie capable de taire discussion

i de porter un jugement sain sur l< — prétentions de chacun. Il crut même avancer l’affaire en écrivant aux comédiens de me

leurs livres à plusien

m ■ s ; mais ce fui ce qui la recula. Les comédiens indignés refusèrent net la communication des registres, et me dirent que la h : in d i/ i man chai w< m ; donnait aucun d i oit d’i a amini r l< urs lix n s d’int •■ il était n,.. ■, ,’,. ingei ■■

Que cela fût juste ou non, je m : retirai ; je rendis les règlements a M. le maréchal, el lui promi de saisir la première occasion que mes ouvrages me donneraient de compter avec les comédiens, pour examiner sérieusement qui avail torl ou raison. Je gardai le silence ; et quant aux querelles que je devais apaiser sous ses auspices, elles continuèrent avec aigreur comme par le passé.

Pendant ce temps on avait joué trente-deux fois le Barbier de Séville, vrai badinage et la moins importante des productions théâtrales. Mais, comme il s’agissait pour moi d’en discuter le produit et non le mérite, je fis bon marché de ma gloire aux journalistes, et me contentai de demander un compte exact aux comédiens.

Ces derniers, de qui je n’en avais jamais exigé pour mes précédents ouvrages, furent peut-être alarmés de me voir solliciter celui du Barbier de Séville. On craignit que je ne voulusse user d’un droit incontestable pour compulser ces registres si durement refusés, et déterminer enfin si les plaintes des auteurs étaient fondées ou chimériques.

Ma demande existait depuis six mois (novembre 1770) ; j’en parlais souvent aux comédiens. Un jour, à leur assemblée, l’un d’eux me demanda si mon intention était de donner ma pièce à la Comédie, ou d’en exiger le droit d’auteur. Je répondis en riant, comme Sganarelle : Je la donnerai si je veux la donner, et je ne la donnerai pas si je ne veux pas la donner ; ce qui n’empêche point qu’on ne m’en remette le décompte : un présent n’a de mérite que lorsque celui qui le fait en connaît bien la valeur.

Un des premiers acteurs insiste, et me dit : « Si vous ne la donnez pas, monsieur, au moins dites-nous combien de fois vous désirez qu’on la joue encore à votre profit ; après quoi elle nous appartiendra. — Quelle nécessité, messieurs, qu’elle vous appartienne ? — Beaucoup de MM. les auteurs font cet arrangement avec nous. — Ce sont des auteurs inimitables. — Ils s’en trouvent très-bien, monsieur : car, s’ils ne partagent plus dans le produit de leur ouvrage, au moins ont-ils le plaisir de le voir représenter plus souvent : la Comédie réj I toujours aux procédés qu’on a pour elle. Voulez-vous qu’on la joue à votre profit encore six fois, huit fois, même dix ? parlez. »

Je trouvai la propositions ! gaie, que je répondis sur le même ton : « Puisque vous le permettez, je demande qu’on la joue à mon profit mille et une fois. — Monsieur, vous êtes bien modeste. — Modeste, messieurs, comme vous êtes justes. Quelle manie avez-vous donc d’hériter des gens qui ne sont pas morts ? Ma pièce ne pouvant être à vous qu’en tombant à une modique recette, vous devriez désirer, au contraire, qu’elle ne vous appartînt jamais. Les huit neuvièmes de cent louis ne valent-ils pas mieux que les neuf neuvièmes de cinquante ? Je vois, messieurs, que vous aimez beaucoup plus vos intérêts que vous ne les entendez. » Je saluai en riant l’assemblée, qui souriait aussi de son côté, parce que son orateur avait un peu rougi.

Depuis, j’ai été instruit que la Comédie faisait cette proposition à presque tous les auteurs dramatiques.

Enfin le 3 janvier 1777, je vis arriver chez moi M. Desessarts le comédien : il me dit avec la plus grande politesse car on le lui avait bien recommandée que ses camarades et lui, désirant que je n’eusse jamais de plaintes à former contre la Comédie, m envoyaient quatre mille cinq cent six livres qui m’appartenaient pour mon droit d’auteur sur trente-deux représentations du Barbier > !’Si i Me. Aucun compte n’étant joint à ces offres, je n’acceptai point l’argent, quoique le sieur Desessarts m’en pressât le plus poliment du monde (car on le lui avait fort recommandé).

<• Il y a beaucoup d’objets, me dit-il, sur lesquels nous ne pouvons offrir à MM. les auteurs qu’une cote mal taillée. — Ce que je demande à la Comédie, beaucoup plus que l’argent, lui répondis-je, est " ; < cote bien taillée, un compte exact, qui puisse servir de type ou de modèle à tous les décomptes futurs, et ramener la paix entre les acteurs et les auteurs. — Je vois bien, me dit-il en secouant la tête, que vous voulez ouvrir une querelle avec la Comédie. — Au contraire, monsieur ; et plaise au dieu des vers que je puisse les terminer toutes à l’avan-’ des parties ! » Il remporta son argent. Et le 6 janvier 1777. j’écrivis aux comédiens français la lettre suivante:

ci Ne portez point d’avance, messieurs, un faux i ut sur mon intention, qui est très-bonne, et laissez-moi dire un moment; vous serez con" lents de ma logique.

■ M. Desessarts est venu m’offrir obligeamment, de votre part, une somme de quatre mille et tant de livres, qui, dit-il. ni >"iil dues pour ma part d’auteur du Barbier de Séville. Grand merci, messieurs, de cette offre ! mais, avant de l’accepter, je désire savoir exactement comment s i .. la Comédie française le compte de cette rétribution, fixée, par un ancien usage, au neuvième de chaque recette, et qui a souvent excité des murmures et de sourdes réclamations parmi les gens de lettres.

t. Ce compte à rendre n’a occasionné tant de débats entre les auteurs et les comédiens que parce que la question n’a peut-être jamais été bien posée. Il n’est pas indigne d’un homme de qui s’intéresse à leur avancement de la discuter paisiblement avec vous, messieurs. Voici comment je la conçois :

« Tout auteur dont la pièce est acceptée fait avec les comédiens une entreprise à frais et à bénéfices communs, dont la livre, en termes de négociants, est de neuf sous, les frais équitablement prélevés et convenus entre les parties. Les comédiens prennent huit sous dans le bénéfice, et . /, neuvième reste net à l’auteur. Ce n’est point ici le cas d’examiner si cette affaire est utile ou dommageable aux gens de lettres ; aussi longtemps qu’elle subsiste, ils n’ont droit d’en exiger que l’exactitude. Voilà toute l’affaire en trois mots.

« Ce principe une fois posé, il reste fort peu de choses incertaines et soumises à la discussion des auteurs. Qu’ont-ils à demander en effet à la Comédie ? le nombre de représentations de l’ouvrage, qui est le fonds de la société, et le produit net de chaque séance : ce produit se compose de deux espèces de recettes, celle qui se perçoit ■ casuellement à la porte, et celle que produit fixement l’affermage annuel d’une partie des loges de la Comédie, la première recette est écrite au grand livre du receveur, jour par jour, il ne peut avoir sur cet article d’erreur imputable aux comédiens : ils perdraient, cou les auteurs h si le caissier était infidèle. On doit croire qu’ils veillent constamment.

(i La seconde recette, connue sous le i le /" tites loges, est également sans erreur, et rentre aussi dans le produit net de chaque séance au profit de la société. Ceux qui les louent et qui jouissent du travail de l’auteur et des comédiens fournissent une partie fixe et connue de la recette journalière, qui doit se partager entre les comédiens et l’auteur pendant toute la durée de l’ouvrage mis en société. ce qui n’entraîne aucune difficulté pour le compte. Il suffit de bien connaître le produit annuel de cet affermage de loges et le nombre rond des séances annuelles de la Comédie, pour extraire facilement la recette journalière de ces loges de leur location annuelle, et la porter au profil de la société anlani de lois que l’ouvrage en question a été représenté. Ce n’est là, comme vous voyez, qu’une opération très-simple d’arithmétique. Quant aux frais, ils ne me paraissent pas plus embarrassants à fixer que la recette, et doivent se partager avec la même équité. Les plus respectables de tous sont l’impôt levé sur le spectacle en faveur des pauvres : il est hors de toute conteste, car il se forme du prélèvement net d’un quart de la recette annuelle et journalière. Cette double recette une fois connue, chaque représentation fait supporter à la société le quart des deux recettes en dépense : point de difficulté. — Ou bien cet impôt se forme d’un arrangement annuel à bail et fixe, qui le modère au profit de la société : point de difficulté encore. En supposant, par exemple, que cet impôt lui annuellemenl fixé à soixante mille francs, il n’y aurait autre chose à faire qu’à recommencer l’opération expliquée ci-dessus pour les petites i Ysl-à-dire former un nombre r I de toutes les séances de la Comédie dans le cours de l’année, lesquelles, supportant en Minime l’impôt de soixante nulle livres, donneraient |a1 ile ni i impôt journalier de chaque représentation, que la société doit alors supporter au marc la livre des conditions sous lesquelles elle subsiste ; et vous sentez combien cela est simple. À l’égard des frais journaliers du spectacle, ils sont fixés par un arrêt du conseil, qui fait loi. Mais, comme il n’est pas juste que les comédiens soient plus lésés que les auteurs dans une entreprise coin le ; si les frais montent réellement plus haut que leur fixation par cet arrêt où les comédiens seuls ont été consultés, cet objet mérite un examen sérieux, et non une cote mal taillée : en pareil cas, un calcul rigoureux me paraît préférable à l’équivoque, à l’incertitude qui subsiste entre une grâce que l’auteur ne doit pas recevoir de la Comédie, et une injustice que les comédiens ne doivent pas être accusés de lui taire.

À ma façon nette d’exposer les choses, vous devez voir, messieurs, que mon intention n’est point du tout d’élever un différend entre la Comédie et moi, mais de faire tomber une bonne fois le reproche tant répété d’une prétendue lésion faite aux auteurs par les comédiens ; opinion qui ne subsiste apparemment que taule de i s’être bien entendus en terminant chaque société particulière.

ci Je vous prie donc, messieurs, de vouloir bien m’envoyer le relevé des articles ci-dessous, sur lesquels je vérifierai, à tête reposée, la justesse ou l’erreur de la somme qu’on me propose ; je vous enverrai mon calcul et son résultat à vous seuls et sans bruit, pour que vous y apposiez à votre tour vos observations, auxquelles j’aurai les mêmes égards que je vous demande pour les miennes, comme cela doit être entre honnêtes gens qui terminent un compte exact et de bonne loi.

•• Envoyez-moi donc :

.. I" Le nombre des représentations qu’a eues h Barbier de Séville ;

« 2° La recette casuelle de chaque représentation ;

ci 3 u Le prix de l’affermage annuel des petites loges ;

•< i" Le prix des abonnements annuels et personnels ;

ii.’i" Le prix de l’arrangement annuel et fixe de a l’impôt en faveur des pauvres ; — 6° La fixation des frais journaliers par le dernier arrêt du conseil ;

ii 7" L’état exact des augmentations journalières que vous croyez juste de faire entrer dans les frais supportés par la société. h si quelque objet exige confércni : ompul sation des registres, je conférerai volontiers avec les gens chargés de votre confiance, et je compulserai les registres avec eux.

» Puisse, messieurs, cette façon honnête deprocéder terminer à jamais les querelles entre les auteurs et les comédiens ! puisse le résultat qui en va sortir servir de base aux traités subséquents ! Et vous, messieurs, conservez-moi votre amitié, dont je fais autant de cas que j’estime vos talents. Le public souffre de nos éternelles divisions : il est temps qu’elles finissent, et c’est l’affaire d’une bonne explication.

J’ai l’honneur d’être, etc. »

Mes intentions pacifiques étaient si bien expliquées dans celte lettre, que la Comédie ne dut point s’y tromper ; niai-, occupée d’objets plus graves, >lle oublia de me répondre, et le bruit courut à Paris qu’après avoir refusé l’argent des corné diens, je les avais traduits en justice. On voit qu’il n’en était rien. Pour rassurer mes débiteurs, qui pouvaient le craindre, je leur écrivis, le 19 janvier 1777, la lettre suivante :

« Tout le momie me dit, messieurs, que je suis ci en procès avec la Comédie française. On suppose « apparemment qu’il en est du tracas de la vie « comme des plaisirs du spectacle, et qu’un petil procès doit me délasser d’un grand, ainsi que < Patelin détend l’âme après Polyeucte. 11 est vrai <’que j’ai eu l’honneur de vous écrire il y a treize’ c jours sur le Barbier de Séville, et que je n’ai pas < reçu de réponse de vous ; mais un mécontentement, messieurs, n’est pas plus un procès que er iteurs,

« Siijiié Desessarts, pour les semainiers ci ses autres camarades, a

En examinant un bordereau sans signature de personne, cl dont le résultat, toute balance supposée faite, offrait, pour droit d’auteur de trente-deux représentations de ma pièce, quatre mille cinq cent six livres quatorze sous cinq deniers ; en le comparant avec la phrase de la lettre qui disait que ce bordereau di < ompte était fait suivant l’usage obsi rvé i ar la Comêd • a ec messù urs h s autt urs, je conclus, ou qu’on avait oublie de signer celui-ci, ou que les gens de lettres avaient eu grande raison de se plaindre de cette façon légère de c pter avec eux. Je répondis aux comédiens, en leur renvoyant le bordereau le 2i janvier 1777 : ii J’ai reçu, messieurs, l’état que vous m’avez » envoyé des Irais et produits du Barbu rdi s i —//. (i avec la lettre polie de M. Desessarts, qui l’accompagnait : je vous en fais mes reinerciments ; » mai— vus préposés aux relevés qui formenl cel — étal ont oublié de le certifier véritable ; et, sans » cette précaution, vous sentez que tout état est ii plutôt un aperçu qu’un compte en règle. Je vous ii c : ru (cri ohlr. de voulon bisn le faire certifiai" h et me le renvoyer. M. Desessarts, qui lui pratiii cien public avant d’être comédien du roi, vous c assurera que ma demande est raisonnable. c Pour faire cesser le marnais hruil qui court ■I d’un procès idéal entre non-, vous devriez, mesci sieurs, mettre sur votre prochain répertoire le ■ Barbier de Séville:c’est le plus sûr moyen de disc créditer les propos, et de nous venger innocemment de vos ennemis et des miens. « J’ai l’honneur d’être, etc. »

Et le 27 janvier étant arrivé sans que j’eusse aucune réponse à ma lettre, je craignis que mon paquet ne se fut égaré ou que tous les écrivains île |; i Comédie ne fussent malades. J’envoyai donc un exprès, avec ordre de remettre au semainier la lettre suivante:

« Pardon, messieurs, de mon importunité; ce ii n’est qu’un mot : Avez-vous reçu ma lettre enfermant notre compte, que mon domestique h assure avoir remise au suisse de la Comédie le « 24 de ce mois ? Comme il ne faut qu’un moment « pour certifier véritable ua compte auquel on a « mis tout le temps nécessaire, et que voilà trois « jours écoulés sans qu’il me soit revenu, j’ai craint « que la négligence ou l’oubli n’eût empêché ce " paquet de vous parvenir. Je vous prie de vouloir « bien éclaircir ce fait, et me renvoyer votre état c. certifié : je le recevrai par ce même exprès, qui » a l’ordre d’attendre. « Je suis malade ; on m’interdit pour quelques jours les affaires sérieuses : je profiterai de ce loisir forcé pour m’occuper de celle-ci, qui ne l’est point du tout.

« Je vous demandais aussi par ma lettre d’ouvrir une fois cette semaine la boutique peinte en bleu de notre Figaro : cela ne ferait point mal du tout. On s’obstine à vouloir que nous soyons en procès : il serait assez gai de prouver ainsi aux bavards qu’il n’en est rien et que vous ne cessez point, comme on le dit, de jouer les pièces assitôly qu’il est question de leur produit. Je suis, etc. »

Je m’étais trompé sur le motif du silence : il ne venait que de l’embarras de certifier un compte aux données duquel la Comédie n’avait pa plus de confiance que moi, si je m’en rapporte à sa i | tndée d’autant de signatures obligeantes que le bordereau en avait ><-u : elle portait le nom de dix membres de la Comédie. La voii i :

" Monsieur,

c Le compte qui vous a été envoyé peut bien ertifié véritable pour le produit des relc la ] orl ■— de chaque représentation, parce qu’elles sonl constatées. „ Quant au produit des petites loges, on ne peut vou en donner qu’un aperçu, cette recette étant ., susceptible il— variation à tous moments, soit ■ par la retraite ou la mort de différents locataires qui ne louent point tous par bail, soit pour les i non-valeurs, pour raison de eux des proprié„ taircs q U i ne p point ; soit en raison des

! notoire qu’il 3:

locations l’été que l’hiver, et que votre pièce a été jouée dans l’un et l’autre temps. Il en est de même des frais journaliers, qui ne peuvent non plus être li mêmes tous les jours ; ils varient nécessairement à chacune des représentations, ■ ison du choix des pièces. Vous la, monsieur, que l’on ne peut vous d h compte que par aperçu, et faire, comme on dit, 11 un, cotemal taillée. Au reste, la Comédie ne pense « point comme le public, el ne sait d’où vient le , 1 bruit du 1 >se entre nous.

Si vi ii— désirez, monsieur, de plus amples éi lain issements, la Comédie se fera un plaisir ,. et un devoir de vous les procurer. Rétablissez votre santé, qui noms intéresse ; croyez que nou . donnerons votre pièce au premier moi h 1 s pourrons, et faites-nous l’honneur de 1 croire, avec toute la considération et l’estime possibles,

c Monsieur,

Vos très-humbles et très-obéissanl i i. leurs, tant peur nous que pour 1’ « marades.

Ce 21 jau

COMPTE RENDU.

Le ton affectueux d tte lettre m’ayant absolument gagné le cœur, je résolus de tirer la Comédie de l’embarras où I ignorance des affaires la mettait à mon égard; et, toujours plein du désir de fixer le sort des auteurs à l’amiable, parl’exemple du mien, j’envoyai le 28 janvier aux comédiens la lettre instructive qui suit: h En lisant, messieurs, la lettre obligeante dont vous venez de m honorer, signée di beaucoup , 1 entre vous, je me suis confirmé dans l’idée que vous êtes tous d’h lêtes gens, très-disposés à faire pendre just’n e aux ailleurs ; mais qu’il en — est de vous comme de tous les hommes plus ver-les arts agréables qu’exerces sur les I iem es exactes, et qui se font des fanl des embarras d’objets de calculs que le moindre méthodiste résout sans difficulté. . Par exemple, il est de règle que tout compte entre associés doit être d’une exactitude rigou■ reuse, et que rien île problématique n’y peut i. être admis. Cependant, à la demande trè que je vous fais de certifier l’état que vous m’avez envoyé, vous me répondez que l’on peut « la certifier véritable I— produit des r a ttes de la porte, para qu’il est constaU chaque jour; 11 mais que, quant au produit des petites loges, on ii ne peut en donner qu’un aperçu, a , susceptibl de • aviation à chaque moment. mort ou par retraites, non-vab "es. n « son 1, etc. Ici vous proposez unecotemal taillée: je ne la vois pas juste; et voici mon vation :

II Votre raisonnement, messieurs, aurait toute sa

demandais une évaluatioi

, 1, , produit futur des petites loges ; ma , , quelque chose d’éventuel

« ou d’incertain dans cette location pour les .. ai 1 s prochaines, la n cette de ces mêi … pour le cours des années passées -i certainement arr 1’onnue aujourd’hui que celle du parterre el des grandes pour les mêmes an :

, H n’est pas plus difficile

„ table de relever, sur les livres de 1775 le produit exact des loges à t’ai, occu] dans tel ou tel mois, que de m’apprendre exactement ce qu’on a reçu à la porte tous les jours lêmes moi ! réfléchir

,. qu’il ne m. us vient pas à l’esprit que I , mc rendre à cet égard esl absolument sem„ Mai, le à celui que M’ire comptable.1 rendu, sur « ce même objet, à la Comédie. Si, d’après —es tabli us

1. eu nulle peine a pn 1 : d ir 1 t, cn a pas plus a procéder e : ai : nu ni au mien, .., 1, 3 que je m’en rapporte aux 1 dont vous contents pour vous mjmcs. Qu’est-il ave/

arrivi

I •

uaud les mois ont été reconnu.— moins forts en location de petites loges ? La part de chacun de vous s’est trouvée amoindrie d’autant : il en doit être ainsi de la mienne, et je ne me rendrai ni plus ni moins rigoureux que vous à l'examen de ces relevés. Mais point de cote mal taillée entre nous : rien n’est plus contraire aux vues honorables dans lesquelles je fais cette recherche.

« Pour mieux nous entendre, substituons l’exemple au précepte ; el permettez-moi de vous proposer une méthode assez simple de calculer et compter ces produits, applicable à toutes les occasions.

« Je suppose, en nombre rond, que vos registres vous ont montré pour les mois de janvier, février el mars 1775, trente mille livres par mois, de petites loges occupées : elles auront donc produil mille livres par jour de recette. «Maintenant, telle pièce nouvelle a été jouée

douze fois dans le cours de ces trois mois ; cela
fait pour cette pièce une recette, en petites loges,

de douze fois mille livres, dont le neuvième, pour l’auteur, est de mille trois cent trente- ■ trois livres six sous huit deniers : rien de plus i facile à vérifier.

« Dans les mois d’avril, mai, juin et suivants, je -oppose qu’il n’y a plus eu que pour vingt mille livres par mois de petites loges occupées ; alors elles n’ont produit que six cent soixante-six li res treize sous quatre deniers de recette par joui’. Si la même pièce a été jouée encore douze fois t pendant ces trois mois, il est clair que cela lui pour celte pièce douze fois six cent soixante-six livres treize sous quatre deniers de recette en pei tites loges, ou huit mille, dont le neuvième, pour < l’auteur, est, sauf erreur, huit cent quatre-vingt- > huit livres dix-sept sous neuf deniers : ainsi des < autres mois et saisons. Qu’est-il de plus aisé i qu’un pareil calcul ?

« Cependant, si cette opération, toute simple < qu’elle est, embarrasse votre comptable, j’ai sous - ma main, messieurs, un des meilleurs liquidateurs de Taris : je l’enverrai nettoyer ce compte ; ( eu huit traits de plume il extraira le produit i net. Vous n’avez qu’à parler.

t Quant aux frais journaliers, sur lesquels vous ■ me mandez qu’oH nepeut donner de compte quepar • y . ■ ». je ne vois pas non plus ce qui vous embarrasse ; un arrêt du conseil les a fixés à trois cents livres par jour ; mais, comme le dit votre lettre, si îles frais extraordinaires varient en raison du choix des pièces, et cela est incontestable, ■ il ne l’est pas moins que les frais extraordinaires ■ d’une pièce une fois connus ne l’ont plus de va- 1 riété sur les diverses représentations de celte « même pièce ; ce qui éloigne tellement toute évaluation arbitraire de ces frais, que, sans vousen " denier, vous en avez l’ait un article fort net du « compte que vous m’avez envoyé.

ci Pour quatre soldats, à vingt sous par h jour, treille deux repn sentations du « Barbier de Séville 128 liv.

<’ Pour quatre livres par jour d’autres « Irais extraordinaires 128

liv. 

« D’où je vois que le Barbier de Séville a coûté, « en frais journaliers, tant ordinaires qu’extraorci dinaires, trois centhuil livrespar représentation. h l’oint d’équivoques à cel égard. ci Cet article n’exige donc pas plus que celui des petites loges unecote maltaillèe. Eh ! croyez-moi, •< messieurs, point de cote mal taillée avec les gens ci de lettres : trop fiers pour accepter des grâces, ci il- sont trop malaisés pour essuyer des pertes. ci Tant que vous n’adopterez pas la méthode du ii i . ni ! | . ii’ exact, ignorée de vous seuls, vous aurez h toujours le déplaisir de vous entendre reprocher ii un prétendu système d’usurpation sur les gens ii de lettres, qui n’esl sûrement dans l’esprit ni ci dans le cœur d’aucun de vous.

ci Pardon si je prends la liberté de rectifier vos (■ idées, mais il s’agit de s’entendre ; el comme ci vous me paraissez, dans voire lettre, embarrassés ci de la meilleure foi du monde à donner une forme ci exacte au plus simple arrêté, je me suis permis ci de vus proposer une méthode à la portée des ci moindres liquidateurs.

ci Deux mois, messieurs, renferment toute la ii question présente : Si l’état que je vous ai renn voyé n’est pas juste, il faut le rectifier ; si vous s le croyez très-exact, il faut le certifier. Voilà « comme on marche en affaires d’intérêts. Je vous remercie des éclaircissements que la ci Comédie veut bien me promettre à ce sujel ; je ci n’en puis désirer aucun avant que les bases fonce damentales de notre compteàrégler soientposées ■ exactement et certifiées par vous ; le reste ne ci sera que des points de l’ail sur lesquels, de votre « part, le oui ou le non, bien réfléchi, me suffira ci toujours.

« J’ai l’honneur, etc. »

Au lieu d’envoyer cette lettre le jour même, je la gardai jusqu’au 31 janvier, qu’elle partit avec le mot suivant :

« J’ai laissé reposer deux jours sur mon bureau, « messieurs, la lettre ci-jointe, avant de vous l’aie dresser. Je viens de la relire à froid ; je n’y « trouve rien qui doive l’empêcher de partir : elle « est l’expression de mon estime et de mes sentici ments pour vous ; elle contient une méthode ci aussi claire qu’aisée pour compter avec les « auteurs, du produit net des petites loges, el des ci irais extraordinaires quelesdrames nécessitent. ci Je vous prie de la lire avec attention, d’en acci cueillir les dispositions, etde vouloir bien mlioi. norer d’une réponse accompagnée de notre compte en règle, afin que cette affaire entamée entre nous ne languisse pas davantage. »

La Comédie, touchée de mes égards, et surtout des soins que je me donnais pour lui en épargner beaucoup, me répondit, le 1er  février 1777, en ces termes :

« Monsieur, la Comédie n’a d’autres désirs que de vous rendre la plus exacte justice et de faire les choses de la manière la plus régulière et la plus honnête.

« Pour y parvenir, elle a assemblé messieurs les avocats de son conseil, qui ont bien voulu se charger, avec quatre commissaires de la société, d’examiner chacun de vos chefs de demande. Dès qu’ils auront pris un parti définitif, la Comédie aura l’honneur de vous en faire part.

« Nous sommes, etc. »

Assembler tout un conseil d’avocats, el des commissaires lires du corps de la Comédie, pour consulter si l’on devait ou non m’envoyer un bordereau exact et signé de mes droits d’auteur sur les représentations de ma pièce, me parut un préalable assez étrange. Mais enfin, résolu de porter la douceur et les égards aussi loin qu’on pouvait l’espérer d’un ami du bon ordre et delà paix, j’envoyai au Courrier de F Europe le désaveu d’un mécontentement qu’on m’y supposait, des comédiens, dans un paragraphe assez dur pour eux ; et je leur adressai à eux-mêmes, le 8 février 1777, la lettre suivante pour les en prévenir, en y joignant mon désaveu publie :

ti Je mus avec déplaisir, messieurs, que votre ii lenteurs régler notre compte éveille vos enne. mis el les mel en campagne. Un paragraphe du u Courrier de l’Europe, que je vous envoie, indique ci assez qu’on veut user de ce prétexte et de mon u nom peur vous maltraiter dans les papiers pu, i blics.

ii II ne me sera plus reproché, messieurs, d’en■ Iretenir cette erreur f ste a votre réputation ii même, par un silence qui pourrait être pris pour Un tacite aveu de ma part,

•i Ne m’étant plaint encore à personne de votre ii lenteur, qui sans doute est l’effet de l’exactitude el de— précautions que vous mettez à la rédaction de notre compte, je désapprouve infiniment les libertés qu’on se permel à cet égard dans le Courrier de l’Europe, et je me hâte de vous envoyer la copie du désaveu que j’en viens d’écrire a son rédacteur à Londres 1.

. i Au rédacteur du Coiumui de l’Euiiope. ■ Paris, S révrier 1777.

i, li— désavoue, monsieur, l’intention i|ui m’est prêtée,’Lins votre dernier Courrier, de démasquer et de confondre les corn diens français sur rntrmrr infidélité ni mauvaise foi reconnue dans le compte qu’ils me rendent de mes pièces de théâtre : |o parce que

e compte, qui m’avait été remis sans signature, et qucj’ai renvoyé,

" Plus je me rends sévère au règlement due » compte qui interesse également la fortune des .1 auteurs et l’honneur.les comédiens, moins je « puis souffrir que des esprits inquiets ou turbulents donnent au public d’aussi fausses notions [i de votre probité, ni qu’ils traduisent insidieuse(i nient devanl lui cette affaire particulière, i nlamée avec autanl d’honnêteté de ma part que .1 j’espère y rencontrer de lionne foi de la vôtre. » C’est dans ces sentiments que j’ai l’honneur ii d’être, i n attt ndani tmjow — l tat ci rtifié qu< i ous « dt i ez me n m oyi r, votre, etc. » Les comédiens, louches encore une fois de n. procédés, voulurent bien m’en l’aire ainsi leurs remercîments, le I i— février 1777: .1 Monsieur, nous avons reçu la lettre que vous « nous avez l’ait l’honneur de nous écrire le 9 du ii courant, ainsi que le désaveu que vous écrivez « à l’auteur du Cou mi i de /’£ » /■.— ;,.., |<uil, , , ,.; . .. vous renvoyons le n° 27.

• i Vous êtes bien bon, monsieur, de vouloir réfuii ter les sottises d’un gazetier, qui, pour amuser ii les oisifs, va recueillant les anecdotes, vraies ou fausses, qu’il peut ramasser. Nous n’en sommes ■i pas moins reconnaissants Ae ce que votre désaveu contient d’obligeant et d’honnête pour non-, « et nous nous en taisons nos sincères remercîii ments.

n A l’égard de la lenteur dont vous paraissez u vous plaindre, soyez persuade, monsieur, quel ! ■ ii u est pas volontaire de noire part. H s’agit tou" jours d’assembler notre conseil ; et la circonsii lance du carnaval, jointe au service que nous •i sommes obligés de faire à la cour el à laville, a i. empêché jusqu’ici la fréquente reunion des ii différentes personnes qui doivent s’occuper de .i cette affaire.

u Nous avons l’honneur, etc. »

Je conclus de celte lettre que la Comédie était conteuie de moi, mais que le carnaval lui paraissait un mauvais temps pour s’occuper d’affaires. Laissant donc danser en paix les comédiens et les avocats, leur conseil, j’attendis patiemment jusqu’à la lin du carême ; mais ou l’on dansait encore. ne m’esl pas encore revenu ; _’<> parce que je sais que les comédiens frauçais oui assemblé un conseil composé d’avocats, el de quelques-uns il.’iilie iii. ev|.i’is ji.ini travailler.i faire pleine an —ni—. lettres en ma persoi, el me rendre compte avec l’exactitude el la netteté qu’on les a, trop peut-être, accusés de négliger dans ces parta-es.

  • l’n ne pouvait donc plus mal prendre son temps pour renouveler

contre eux mi reproche donl ils désirent si sérieusement se laver pour le passé ou se garantir pour l’avenir ; et l’on ue devait pas surtout accréditer d’avance, en mon nom, une ; ir<Nis, iii<>ii il’iuliil.’liiij ni de mauvaise foi, que je <— puis former avec raison contre I s comédiens, el que je ne veux jamais former sans raison contre personne.

n)e vons prie d’insérer dans votre prochai : i Courrier, monsieur, cet aveu de l’auteur d’Eugénie, des Deux Amis et du Bart Sé

ou l’on faisait pénitence d’avoir dansé, car je n’entendis parler de personne.

Quatre mois s’écoulèrent dans un profond sommeil, où nous serions restés, si je n’eusse été réveillé (le 1er  juin 1777) par une visite au sujet du Barbier de Séville, qu’on avait en vain demandé plusieurs fois à la Comédie sans pouvoir l’obtenir. J’avais en effet remarqué que depuis neuf mois, c’est-à-dire depuis l’époque où mes demandes d’un compte exact avaient frappé l’oreille des comédiens, on n’avait plus donné ma pièce. Reprenant donc la plume avec un peu de chaleur, je dépêchai (le 2 juin) la lettre suivante à la Comédie :

« Si la patience est une vertu, il ne tient qu’à « vous, messieurs, de nie trouver le plus vertueux ii des hommes. Mais si vous en prenez droit d’oublier que vous me devez depuis deux ou trois ■< ans un compte certifié véritable ; que je vous l’ai « demandé bien des fois verbalement et par écrit ; « qu’après beaucoup d’échappatoires vous avez dû « me l’envoyer le 20 janvier dernier ; que, sur de « nouvelles représentations de ma part, vous vous « êtes excusés, le 14 février dernier, sur les fatigués ou les plaisirs du carnaval, de ne vous « être pas mis en règle à cet égard ; que le carême, le temps de Pâques, celui de la Pentecôte, se » sont écoulés sans que j’aie eu nouvelle de cet ■ imprésentable compte, et que nous ne sommes « pas plus avancés en juin 1777 qu’en janvier 177(i, « vous conviendrez, messieurs, que c’est me traiter un peu légèrement, et qu’il ne tiendrait qu’à « moi d’en être offensé : car il y a des bornes à la « patience même la plus absurde.

« D’autre part, je sais que toutes les fois qu’on « propose à vos assemblées de jouer quelqu’un « de mes ouvrages, la réponse de vos sages est « qu’on ne peut eu jouer aucun, parce que vins « êtes en dispute avec l’auteur. — Eu dispute, ic messieurs ! est-ce vous disputer quelque chose » que d’user les mois et les années à vous prier « de faire justice ? et votre compagnie a-t-elle, il entre autres beaux privilèges, celui de refuser ii constamment d’ouvrir un compte avec ses bénins associés ? Je l’ai vainement cherche dans ii ims règlements.

« Hier encore, M. le président de F***, qui permet qu’on le cite, est venu me dire que beaucoup « de dames étrangères l’avaient prié de demander ■ le barbier de Séville à la Comédie, en payant « les loges prescrites par les règlements ; mais « qu’on l’avait constamment refusé sous plusieurs « prétextes, et que la dernière réponse des coinôdiens avait été que cela ne dépendait pas d’eux, « mais de l’auteur uniquement.

« Vous savez, messieurs, que je ne me suis » jamais opposé qu’on donuàL ce léger ouvrage ; I’qu’on a même usé de mon consentement acquis ii dans des occasions très-dangereuses pour la ii pièce ; ri que j’ai reçu plus d’une fois de la Con médie les remerciments de mon excessive complaisance a ce sujet.

« J’ai donc promis à M. le président de F*** que i< j’aurais l’honneur de vous écrire, cl je le fais… « le plus poliment qui’je puis : car je trouve assez « étrange la maxime adoptée de cesser de jouer » un ouvrage aussitôt que l’auteur parle de « compter.

» Enfin, messieurs, vous donnerez la pièce ou « vous ne la donnerez pas ; ce n’est pas décela « qu’il s’agit aujourd’hui : ce qui m’importe csl de <i fixer un terme à tant d’incertitudes. Convenons ii donc, : —i vous l’acceptez, que je recevrai sous huit » jours de votre comptable (et imti de votre conseil absolument étranger à cet objet) un compte « certifié que vous me retenez depuis si longtemps ; « et que, ce terme expiré, je pourrai regarder votre « silence comme un refus obstiné de me faire juslice. Alors ne trouvez pas mauvais que, faisant u un pieux usage de mes droits d’auteur, je conlic i. les intérêts des pauvres à des personnes que leur /rie il leur ministère obligeront de discuter ces . intérêts plus méthodiquement que moi, qui fais .1 vœu d’être toujours, avec le plus grand amour .. pour la paix,

« Votre, etc. »

La Comédie, réveillée par ma lettre comme je l’avais ete moi-même par la visite du président, se hâta de réparer sa négligence, en me répondant neuf jours après eu ces termes obligeants : « lOjuiu 1777.

« Monsieur, il nous est absolument impossible « de regarder notre conseil comme étranger u dans le compte que vus n. ms demandez. Le u sieur de Nesle était encore notre caissier lors des u premières représentations du Barbu r de Sévill ; .’notre conseil ayant assisté aux comptes que n M. de Nesle nous a rendus, ce n’est que par ses « lumières que nous pourrons nous guider. Vous « nous avez toujours propose d’assister à telle ■i assemblée qu’il lui sérail loisible d’indiquer « pour traiter cette affaire : si c’est encore voire .1 intention, prononcez, et nous le prierons île » s’assembler.

« Huant au refus que vous prétendez que nous •I faisons de jouer vos pièces, la circonstance présente vous prouvera le contraire, la dame la « Croisette débutant par Eugénie’. « Nous attendons votre réponse avec la confiance « de gens qui ne demandent que la continuation de ii la paix que vous invoquez, et qui auront toujours » pour vous les sentiments de la plus parfaite considération.

..V. n. qu’Eugénie

fait il. ii a la Comédie dt

n’appartcnaîl plus.1 L’autcUl

i la première rej résciitatioii.

S

« Nous sommes avec toute l’estime et l’attachement possibles, etc. »

Je jugeai bien à cette lecture que les comédiens n’avaient plus pensé à mon affaire dès que j’avais cessé de les en presser. Aussi, pour les tenir en haleine, et mettant toute la réflexion possible à ma démarche, je leur écrivis sur-le-champ :

i Proposer quelque chose, messieurs, est au moins aller en avant : je vous en remercie. Quoique je comprenne mal pourquoi il faut tant d’appareil pour un objet aussi simple qu’un relevé de recettes, j’accepte avec plaisir la conféi rence avec vous, assistés de votre conseil. Si i. ■ i agréez, ce sera jeudi le matin ou l’aprèsdi .11 voire choix ; mais en vérité l’on pouvait parg lier col embarras, en ordonnanl tout simplement à votre comptable de faire un él de mes droits d’auteur, de le certifier et de <( me l’envoyer. Au reste, comme la forme ne fait rien pourvu qu’on s’entende, je recevrai votre pour l’heure agréée, et j’irai vous rer, où l’on m’indiquera, l’assurance de la .idération et de l’attachement avec lesquels ■ j’ai l’honneur d’être, etc. »

repris, comme on voit, ma douceur et n — anciens procédés ; el si le rendez-vous que j’ill mdais fui encore retardé, j’en reçus au moins, le 11 juin 1777, les excuses de la Comédie, en ces Monsieur,

i Pour nous conformer à ce que vous souhaitez, j’ai prévenu M. Jabineau, hier matin, de l’asemblée que vous avez fixée à jeudi ; je reçois actuellement sa réponse, par laquelle il me prévient que, MM. les avocats du conseil ayant tous des engagements pour cette semaine, il est imle les rassembler ; mais qu’ils prendront jour i ■ la semaine prochaine, et qu’il ; vou le feront savoir. Je ne puis, monsieur, que vais — témoigner combien je suis fâché de ce retard, qui vous dérangera peut-être ; mais, dès qu’ils ui’i il fixé le jour, je prendrai la liberté de vous en avertir.

• Je suis, monsieur, avec estime, votre, etc.

ci Signé Desessarts.

i, mercredi matin, li juin 1777.. Je trouvai les comédiens bien liens de croire qu’après avoir attendu plus d’un an leur commodité, j’irai ■ m offenser d’un nouveau petit retard de quelques jours : j’étais trop accoutumé à leur faire, pour perdre patience à si peu de frais. Je résolus donc d’attendre le moment qu’il leur plairait d’assigner à cette assemblée si fugitive ; el je l’attendais en effel, lorsque je reçus, le i l juin 1777. de M. le maréchal de Duras, que je n’avais pas encore eu l’honneur de voir une seule fois sur celte affaire, la lettre suivante : « Ayant appris, monsieur, que vous aviez des discussions avec les comédiens français, et désirant vivement les terminer et empêcher l’éclat que cette affaire pourrait avoir, je voudrais bien que vous voulussiez en rniilnvr avec moi. Je — crois entrer dans vos vues en cherchant les moyens qui pourront vous être agréables. Je vous prie en conséquence de vouloir bien m’indiquer le jour où nous pourrions en causer, je vous attendrai : et, si cela ne vous gêm pa ji ■■ préférerais la matinée. Je vous prie de vouloir bien me mander vos intentions, et d’être p (i des sentiments avec lesquels je suis très-parfaitement, monsieur, votre, etc.

<■ Signé le maréchal duc de Duras. »

Qu’avait-on donc fait entendre à M. le maréchal, puisqu’il désirait empêcher l’éclat que cette affaire pourrait avoir ? Je n’avais pas dit aux comédiens que je voulusse donner de l’éclat à l’affaire. Nous étions renti es dans les termes de la conciliation : il ne s'agissait que d’une assemblée pacifique ; elle était proposée de leur part, acceptée de la mienne ; et j’attendais toujours, en me prêtant à tout ce qui pouvait excuser la lenteur de la Comédie.

t u peu blessé pourtant de ce qu’au lieu de convoquer l’assemblée, les comédiens avaient été se plaindre à M. le maréchal de Duras, en invoquant sa protection contre mes mauvais desseins, je me hâtai d’adresser à M. le maréchal la réponse suivante, datée du 16 juin 1777 :

u Monsieur i e M vréchal,

« Il m’est bien doux d’avoir à plaider l'intérêt des lettres levant un des chefs de la littérature, aussi respectable qu’éclairé. Mais on vous a trompé sur l’état de la question : s’il y a loin de la discussion à la dispute, l’affaire n’est pas près d’éclater, puisque je n’en suis pas . mène’encore à discuter avec les comédiens. p Depuis u an je leur demande un compte, et je ne puis l’obtenir. Nous sommes associés, leur dis-je, en une affaire connu, a Irais el a béneliei ", communs:la livre, entre nous, est de « neuf sous; vous en prenez huit el m’en laissez i un. L’est vous qui tenez les livres, et qui par • ■ conséquent rendez les comptes. Certifiez-les s’ils « sont exacts, rectifiez les s’iis ne le sont pas. » A « les demandes si justes les comédiens se regardent, usent le temps, tergiversent, assemblent leur conseil, me font attendre une réponse plus de si mois, cessent de ji r mes pièces. « ne m’envoient auc:ompte, et finissent par t vous importuner de leur puéril embarras; mais il n’y a qu’eux au monde qu’un dilemme aussi simple puisse inellre en cervelle. « Vous vous intéressez trop, monsieur le maréchai, au progrès du plus beau des arts, pour n’être pas d’avis que si ceux qui jouent les pièces des auteurs y gagnent vingt mille livres de rentes, il faut au moins que ceux qui font la fortune des comédiens en arrachent l’exigu nécessaire.

« Je ne mets, monsieur le maréchal, aucun intérêt personnel à ma demande ; l’amour seul de la justice et des lettres me détermine. Tel homme que l’impulsion d’un beau génie eût portée re■ nouveler les chefs-d’œuvre dramatiques de nos maîtres, certain qu’il ne vivra pas trois mois du fruit des veille— <lr trois années, après eu avoir perdu cinq à l’attendre, se fait journaliste, libelliste, ou s’abâtardit dans quelque autre métier iaussi lucratif que dégradant.

N’est-ce donc pas assez, monsieur le maréchal, que les ouvrages des gens de lettres dépendent pour éclore de la fantaisie des comédiens, sans que leur chétif intérêt soit encore soumis aux calculs arbitraires de ces terribles associés ? J’aurai l’honneur de me rendre à vos ordres demain dans la matinée. Le premier avantage de cette discussion sera pour moi de vous renouveler l’assurance du très-respectueux dévouement avec lequel je suis,

« Monsieur le maréchal, votre, etc. » En effet, je me rendis, le J T juin 1777, chez M. le maréchal de Duras ; j’eus l’honneurde lui communiquer tout ce qu’on vient de lire : il parut un peu surpris de ma conduite modérée et des termes où j’en étais avec la (. idie, bien différents de ceux qu’on lui avait présentés. Mais comme la fiction n’est pas un crime dans la bouche des comédiens, je pris le parti de donner ce nom au petit déguisement dont ils avaient usé envers leurs supérieurs ; et, disposé que j’étais à faire tout ce qui pourrait plaire à un si honorable médiateur, je lui demandai ses ordres.

M. le maréchal, persuadé qu’une plus longue obscurité sur les données des comptes présentés par la Comédie aux auteurs pouvait éterniser les querelles, mais jugeant, à la conduite des comédiens, combien ils redoutaient d’entrer en éclaircissemenl à cet égard, voulut bien me proposer d’échanger la discussion de nos droits contre un plan qu’il avait dans la tête. Il ajouta qu’il croyait un nouveau code ou règlement très-nécessaire au théâtre ; et que, si je voulais entrer dans ses vues, et réunir quelques-uns des auteurs les plus sages, pour former ensemble un projet qui pût tirer les gens de lettres des chagrins d’un débat perpétuel avec les comédiens, et de mille autres entraves qui offusquent le génie, il se livrerait entièrement à cette réforme utile.

L’indiscipline ou l’indocilité des comédiens ne paraissait pas l’arrêter. M. le maréchal était même d’avis que le plus bel usage de l’autorité était de venir au secours de la raison et de la justice ; et il se promettait de déployer celle qu’il tenait du roi sur la Comédie, si elle tentait de s’opposer à la ré forme.

M. le maréchal y portail une chaleur si obligeante pour la littérature dramatique, que j’en fus vivement touché.

J’abandonnai donc mes idées pour me livrer entièremenl aux siennes, et c était bien le moins que je crusse lui devoir. Je me permis seulement de lui représenter que, les auteurs étant indépendants les uns des autres, il étail plus décent d prendre l’avis de tous, que de prétendre en soumettre une partie à l’opinion de l’autre. Il m’engagea de les assembler, de m’occuper sérieusement de ce travail avec eux, et de le lui communiquer promptement.

Le27juin, j’écrivisà tous les auteurs du Théâtre-Français la lettre circulaire qui suit : ii Une des choses, monsieur’, qui nie paraît le « plus s’opposer au progrès des lettres, est la mul-Litude de dégoûts dont les auteurs dramatiques « sont abreuvés au Théâtre-Français, parmi lesii quels relui de voir leurs intérêts toujours compromis dans la rédaction des comptes n’est pas « le moins grave à nies yeux.

« frappé longtemps de cette idée, l’amour de la ii justice et des lettre », m’a l’ail prendre enfin le . parti d’exiger personnellement des comédiens " un compte exael et rigoureux de ce qui me revienl | ■ le Barbier de Séville, la plus légère u des productions dramatiques, ;  ! la vérité ; mais •’le moindre Litre es) hou quand on ne veut qu’avoir justice.

« TVI. leinaréchal de Duras, qui veuf sincèrement ■ aussi que cette justice soi ! rendue aux gens de lettre. a eu la bonté de me faire pari d’un plan, ii et d’entrer avec moi dans des détail— très-intéii ressants pour le théâtre ; il m’a prié de les communiquer aux gens de lettres qui s’j consacrent ; i’en m ell’orçant de réunir leurs avis à ce sujet. « Je m’en suis chargé d’autant plus volontiers, d que je mettrais à la tête de mes plus doux succès " d’avoir pu contribuer à dégager le génie d’une ii seule de ces entraves.

ii Lu conséquence, monsieur, si vous voulez, me u l’aire l’honneur d’agréer ma.soupe jeudi prochain, j’espère vous convaincre, ainsi que messieurs les auteurs dramatiques à la suite desquels je m’honore de marcher, que le moindre « des gens de lettres sera en toute occasion le plus ii zélé défenseur des intérêts de ceux qui les cultivent.

i. J’ai l’honneur d’être, avec la plus haute considération, etc. »

Ces messieurs (le 3 juillet 1777) nie firent presque tous l’honneur de se rendre à mon invitation. Après leur avoir rendu compte de tout ce qui avait précédé la lettre de M. le maréchal de Duras et de ma conversation avec lui, il fut unanimement arrêté que les vues de M. le maréchal, très-avantageuses au Théâtre-Français, méritaient la plus grande reconnaissance des gens de lettres, et la plus sérieuse application à former le nouveau règlement théâtral sur un plan sage et modéré, tel enfin qu’il était désiré par M. le maréchal de Duras et par nous tous.

Chacun offrit de communiquer ses idées par écrit : mais, comme la rédaction de tous ces matériaux et le soin de les faire adopter exigeaient plutôt le travail suivi d’un seul homme ou de peu de personnes, que le concours d’une assemblée nombreuse, il fut arrêté d’en confier le soin à plusieurs d’entre nous, qui en rendraient compte à tous les auteurs dans des assemblées semblables à celle qui venait de réunir nos intérêts et nos vues. Il en fut sur-le-champ dressé une délibération signée de tous, et conçue en ces termes :

ii Aujourd’hui 3 juillet 1777, nous soussignés, ■’étant assemblés sur l’invitation de M. de Beaumarchais, en raison de ce qui suit : Il nous a présenté une lettre de M. le maréchal de Duras, à lui écrite en date du l.’i juin 1777, annexée à i présente délibération, ainsi que la réponse qu’il y a faite ; et nous a rendu compte de la conversation qui s’en est suivie entre M. le maréchal et lui, et des intentions dans lesquelles il a trouvé MM. les premiers gentilshommes de la chambre, de faire un nouveau règlement à la Comédie française, relatif aux gens de lettres qui se sont consacrés à ce Ile àtre. prc— avoir délibéré sur toutes les questions agitées dans la présente assemblée, nous avons arrêté ce qui suit, savoir : que

« Nous avons prié et prions M. de Beaumarchais de nous représenter comme commissaire et représentant perpétuel nommé par nous pour suivre l’affaire présente et tous autres événements qu’elle peut embrasser par la suite, tant auprès de MM. les premiers gentilshommes de la chambre, que de toutes autres personnes qui pourraient y influer ; discuter nos intérêts, nous rendre compte de ses travaux, recevoir nos observations, les rédiger ; et enfin porter le vœu gi ni rai de tous nous autres gens de lettres partout mi nos intérêts l’exigeront : et, pour partager entre plusieurs le fardeau de tous ces — —, nous avons prié et prions MM. Saurin, de I(i montel cl Sedaine, de se joindre à lui en mêmes qualités de nos commissaires et représentants perpétuels ; et, en cas de longue absence de l’un de nos susdits commissaires et représentants perpétuels, pour cause d’affaires ou de maladie, nous avons arrêté que nous nommerons à sa réquisition, dans une assemblée à ce sujet, l’un de nous pour le suppléer. Quant à ce qui regarde les auteurs dramatiques avoués par notre dite assemblée, et qui n’ont pu se trouver et signera la présente délibération, nous avons arrêté qu’ils seront invités d’en prendre lecture, d’y faire leurs observations, et d’y donner leur adhésion.

ci N’entendons, par la dénomination d’auteurs dramatiques ayant droit d’avis et voix délibérative entre nous, que les auteurs qui ont une ou plusieurs pièces représentées à la Comédie française ; et nous convenons de n’admettre à délibérer désormais avec nous que les auteurs dramatiques qui seront dans le même cas expliqué ci-dessus.

|| Ont signé : Rochon de Chabannes, Lemierre, la « Place, Chamfort, Bref de Sauvigny, Dlin de ci Sainmore, Gudin de lu Brencllcrie. du Loyer, « Lefévre, Ducis, Favart, Dorât, Lemonni. •i Cailhava, Leblanc, Barthe, Rousseau. Plus bas est écrit : « Et nous quatre, commissaires honorés de la nomination de la présente assemblée, avons accepté et signé la présente délibération.

i. Saurin, Muni’util, Sedaine, Caron d> Beaumarchais. ■

Voilà donc l’affaire absolument dénaturée : il ne s’agit plus d’un compte que je demandais aux comédiens, et que je n’ai pu obtenir après un an de soins et de patience ; aujourd’hui c’est lin code mi règlement nouveau proposé, par lequel les auteurs, dégagés du soin de compter, c’est-à-dire de disputer sans cesse et sans fruit avec les comédiens, doivent avoir un sort décent, équitable, enfin indépendant.

Le plan de M. le maréchal de Duras est que l’on forme d’abord une somme fixe, équivalente au cinquième de la recette, et qu’elle soit touchée, chaque représentation, par l’auteur d’une pièce nouvelle, sans autre déliât que d’aller recevoir cette somme autant de fois que la pièce ne sei i pas tombée dans les règles, c’est-à-dire, tant que la i, ci tte entière du spectacle ne sera pas tonifiée deux fois de suite au-dessous de don/’.’cents livres. Le veste était abandonné à la prudence des auteurs. Les différents travaux furent répartis entre tous les membres de l’assemblée ; les commissaires chargés de les rédigée et mettre en œuvre y travaillèrent avec tant de suite et de zèle, qu’on fut en état dès le 23 juillet (c’est-à-dire, au bout de trois semaines de proposer à M. le maréchal de Duras la communication du plan général que la société des auteurs avait embrassé. Les comédiens, effrayés de voir les auteurs s’assembler et travailler sérieusemenl à un projet de règlement pour le théâtre, se récrièrent hauteineni contre la forme et le fond d’une chose qu’ils ne connaissaient pas encore : on les livrait, disaient-ils, aux auteurs, qui en allumeraient pour les ruiner et perdre la Comédie.

Ils avaient crié contre la demande du compte : ils criaient contre le vœu d’un règlement ; ils criaient surtout contre l’assemblée des auteurs. Ils avaient eu si bon marché de chacun d’eux séparés, que ce qu’ils craignaient le plus était leur réunion : ils les voulaient bien en baguettes, et les redoutaient en faisceau.

La réponse de M. le maréchal, en date du dimanche 2 août 1777, fut telle que nous pouvions la désirer, et ne fit qu’encourager nos travaux.

« J’ai reçu, monsieur, les deux lettres que vous avez pris la peine de m’écrire. Quand vous aurez totalement fini l’ouvrage dont vous avez bien voulu vous charger, nous en conférerons ensemble, et je vous communiquerai les réflexions que je croirai devoir vous offrir. J’espère que nous viendrons à bout de terminer cette besogne, et je me ferai un grand plaisir de concourir à la satisfaction des gens de lettres, et à la vôtre en particulier : soyez-en aussi persuadé, je vous prie, que des sentiments avec lesquels je suis très-parfaitement, monsieur, votre, etc. »

Pour concourir à des vues si utiles et pour apaiser les clameurs des comédiens, nous nous hâtâmes de remettre, dès le 12 août 1777, à M. maréchal de Duras, le projet de règlement, revêtu des motifs qui en avaient fait adopter les articles.

Nous en transcrivons ici le préambule, afin qu’on soit en état de juger dans quel esprit de sagesse et de paix les gens de lettres s’occupaient du spectacle français.

Aux auteurs assemblés.

Nous, commissaires et représentants perpétuels nommés par vous, messieurs, pour travailler à la formation et rédaction d’un nouveau règlement dramatique désiré par nous tous, et qui nous a été demandé par MM. les premiers gentilshommes de la chambre ; après avoir réfléchi sur le mécontentement perpétuel qui éloigne les auteurs des comédiens et sur l’intérêt constant qui les en rapproche, nous avons pensé, messieurs, que tout moyen dur, tout règlement nouveau qui tendrait à subordonner l’un de ces corps à l’autre, irait contre le but qu’on se propose, le progrès de l’art du théâtre et la bonne intelligence entre ceux qui le cultivent : il en serait comme de ces lois mal digérées qui, contrariant la nature, finissent par tomber en désuétude ou n’ont que des effets fâcheux.

En effet, supposons que par un règlement impératif on parvînt à remettre le comédien, dont le talent est de débiter, dans un degré de subordination convenable à l’auteur qui créa l’ouvrage, en un mot, à la seconde place, il ne faut pas se dissimuler que les comédiens reprendraient bientôt la première ; et peut-être encore faudrait-il excuser de ne pas se tenir à leur place des gens dont l’unique métier est d’en sortir continuellement : d’ailleurs le désir de faire agréer un ouvrage à la lecture et de réussir à la représentation, animant tout auteur, le ramènerait naturellement à cette dépendance du comédien dont on cherche à le tirer ; et la supériorité de droit reconnue dans l’auteur, mais toujours balancée par la dépendance de fait dans laquelle il rentre aux deux moments critiques de la lecture et de la représentation, jetterait l’homme de lettres dans la succession perpétuelle de deux états très-opposés de prééminence et de dépendance : et, comme la supériorité qui n’est que de droit tend toujours à s’affaiblir lorsque la dépendance de fait va toujours en augmentant, il résulterait de ce conflit une nouvelle guerre affligeante pour l’homme de lettres, et sa rechute assurée dans l’état fâcheux qui fait l’objet de la réforme projetée.

Nous induisons en conséquence, messieurs, qu’il est à propos d’adopter, pour principe fondamental de notre travail, d’exclure du nouveau règlement toute clause qui tendrait à classer durement les comédiens, qui les humilierait et les aigrirait, sans remédier aux maux réels des auteurs, dont la division avec les comédiens est la source éternelle.

Si vous nous entendez bien, messieurs, si vous approuvez nos vues, et sentez la nécessité où se voit l’homme de lettres de caresser souvent le comédien pour l’intérêt de la gloire, essayons seulement d’opposer un intérêt aussi fort, qui tienne toujours le comédien dans l’obligation de se rendre agréable aux gens de lettres, en remplissant ses devoirs.

Ne pouvant empêcher que le triomphe et le succès des auteurs ne dépendent un peu de la bonne volonté des acteurs, faisons en sorte que l’intérêt et l’avancement des comédiens soient toujours déterminés par le suffrage et le concours d’opinion du corps des gens de lettres (avancement soumis, comme de raison, au jugement de MM. les gentilshommes de la chambre du roi, supérieurs nés des comédiens, et présidant toutes les affaires de la Comédie) : de façon que l’augmentation des parts, le passage d’une classe inférieure à la supérieure, et tout jugement tendant à l’accroissement du bien-être et de l’état de comédien, dépendent en quelque sorte du témoignage que le corps des gens de lettres rendra du talent et de la conduite théâtrale de l’acteur à ses supérieurs.

Ce moyen doux, mais plus fort que tout règlement qui classerait et blesserait les comédiens, balancerait sans cesse une dépendance de fait par une dépendance aussi de fait ; et tous les débats qu’on n’a pu jusqu’ici résoudre ou concilier s’éteindraient bientôt, de cela seul que le corps des auteurs et celui des acteurs auraient le mutuel pouvoir de se contenir et de s’obliger alternativement.

N’oublions pas surtout qu’entre ces deux corps, si les rangs diffèrent, les intérêts sont les mêmes ; et que si la supériorité appartient de droit aux auteurs, ils ne doivent jamais s’en souvenir, à moins que les comédiens ne l’oublient.

Toutes les idées de détails ou secondaires du nouveau règlement me paraissent devoir découler de ces idées primitives, de ce principe également doux et fort, de toujours balancer une influence par une autre, et d’engager les comédiens, qui sont les premiers à juger du talent des auteurs, à bien servir ceux qui deviendront à leur tour les soutiens de leur fortune et les arbitres de leur avancement.

Si ces vues générales vous semblent propres, messieurs, à fonder solidement le nouvel édifice du théâtre, unissons-nous pour travailler à leur accomplissement : tous les intérêts se réunissent ici.

1o L’intérêt de l’État est de faire fleurir un art à qui la langue française a l’obligation d’être devenue celle de toute l’Europe, et qui, mettant notre théâtre au premier rang, attire à Paris le concours d’étrangers que nous y voyons ; un art surtout qui, en s’épurant, a rendu la fréquentation du spectacle essentielle à l’éducation, et a fait du Théâtre-Français une espèce de code moral, où la jeunesse apprend à se conduire et à connaître les hommes ;

2o L’intérêt du public est d’entendre et de voir commodément de bonnes pièces bien représentées ;

3o L’intérêt des auteurs est de recueillir la gloire et le fruit que leurs travaux méritent ;

4o L’intérêt des comédiens est que leurs efforts et leurs talents soient applaudis et récompensés ;

5o Enfin, l’intérêt commun est de diminuer la dépense et d’augmenter la recette. Mais, pour mettre de justes bornes à ces objets, la satisfaction du public est la boussole qu’il faut toujours consulter.

Nous diviserons donc en autant d’articles séparés tout ce qui se rapporte à chacun de ces divers intérêts ; et, conservant ce qu’il y a de bon dans les anciens règlements, nous tâcherons seulement d’y ajouter ce qui nous paraît y manquer, et de faire porter l’édifice entier du théâtre sur des bases plus solides que par le passé.

Nous déférerons sur la totalité de nos travaux, d’abord à vous, messieurs, en première instance ; ensuite à MM. les premiers gentilshommes de la chambre. De là ce travail passera sous les yeux du conseil du roi, pour y prendre un caractère auguste émané du législateur même, et viendra ensuite dans le parlement recevoir la sanction publique, qui rend toute loi immuable et nationale.

Tel est notre plan, messieurs ; telles sont les vues équitables et modérées que nous avons crues les plus propres à rétablir l’ordre et la paix entre le corps des auteurs et celui des comédiens, dont les talents doivent toujours être réunis pour concourir au bien du Théâtre-Français.

Les articles suivaient ce préambule. Ils furent soumis en cet état, le 8 octobre 1777, à M. le maréchal de Duras, qui voulut bien (le 12 novembre suivant) donner sur ce projet ses observ ; I quatre pages écrites de sa main : nous les avons. Ensuite le travail passa dans les mains de M. le maréchal de Richelieu, qui lit lé même honneur à nos articles : nous avons aussi ses remarques ; et ce fut sur les observations de ces deux supérieurs des ce Idiens que nous corrigeâmes les articles à leur satisfaction, ainsi qu’on peut le voir en confrontant les remarques et les corrections. M. le maréchal de Duras nous envoya depuis, liar M. des Ëntellcs, de nouvelles observation lesquelles nous réformâmes encore lesarl ii réformés.

’font semblait être fini et arrêté, lorsque le 10 novembre.M. le maréchal de Duras, qui dans l’origine avait résolu de refondre la Comédie d’autorité, désira que tous les articles du règlement fussent montrés aux comédiens, mais absolument dépouillés des motifs qui les avaient fait adopter. Quoique ce nouveau plan nous parût aller contre L’objet même du règlement les motifs n’y étant joints que pour en démontrer l’esprit de justice, il fut arrêté dans l’assemblée des auteurs, le IS janvier 1778, qu’en reconnaissance de la bonne volonté de M. le maréchal, on déférerait en tout à son avis, et que les articles seuls du règlement lui seraient remis sans préambule, en le suppliant pourtant d’avoir égard à six mois de travaux qui se trouveraient perdus, s’il arrivait que les comédiens eussent le crédit de s’opposer à l’exécution du règlement. Nous fûmes rassurés par la réponse de M. le maréchal, pleine de force et de justesse ; et nous lui laissâmes le règlement, en le priant de vouloir bien accélérer la décision. Il nous le pr il. Mais le o avril 1778, cinq mois après cette conférence, ol près d’un au après l’adoption des idées de M. le maréchal de Duras, les auteurs, n’entendant plus parler de rien, exigèrent de leurs commissaires (avec un peu d’humeur de ce qu’ils nommaient notre excès de confiant) de les rappeler au souvenir de M. le maréchal ; ce que je fis par la lettre suivante, datée du S avril 1778. » Monsieur le ! l uikchal,

« Vous aviez eu la bonté de nous promettre de vous occuper efficacement et promptement de la réforme de la Comédie et du règlement qui touche les auteurs. Cependant neuf mois sont écoulés depuis qu’on y travaille, et nous n’avançons pas. Mes amis se plaignent à moi de toutes ces lenteurs ; et peu s’en faut qu’ils ne se plaignent de moi, qui ne puis pourtant que vous représenter sans cesse, monsieur le maréchal, que ce règlement ainsi retardé laisse une foule de prétentions indécises et d’intérêts en souffrance.

.< Voilà la quinzaine de Pâques : c’est le temps ou jamais de terminer cette affaire. Je vous supplie donc, monsieur le maréchal, de vouloir bien accorder aux quatre commissaires une conférence définitive sur cet objet, s’il est pi avant mercredi, parce que les gens de lettres nous demandent une assemblée pour jeudi prochain, dans laquelle ils exigent que nous leur rendions un compte exact de notre gestion jusqu’à ce jour. Les quatre commissaires se i à votre hôtel, à l’heure que vous voudrez bien leur indiquer.

ci J’ai l’honneur de vous renvoyer les observations conciliatrices que vous nous avez fait remettre par M. des Entelles ; nous y avons répondu, et nous espérons que vous ne désapprouverez pas que nous insistions sur plusieurs articles essentiels au bien commun des auteurs et des comédiens : car nous savons dans ce même esprit que vous avez dicté ces observations.

. J’attendrai votre réponse pour la communiquer à mes co vous aller assurer de nouveau du très-profond respect avec lequel je suis,

» Monsieur le maréchal, votre, etc. » Le lendemain, je reçus la réponse de M. le maréchal, conçue en ces termes

" Ce 6 avril 1778.

" Ce n’est en vérité pas ma faute, monsieur, si nous ne sommes pas plus avancés. Je vous ai communiqué les réponses que je crois que les comédiens feraient à plusieurs articles du projet que vous m’aviez communiqué. Je serais très-u aise d’en conférer avec vous et avec MM. vos acolytes ; mais je ne pourrai vous donner d’autre heure que mardi ou mercredi à onze heures du matin, ayant un tribunal demain et une assempa us mardi l’après-dînée.

« Je doute fort que nous puissions concilier tous les intérêts, et terminer une besogne qui vous intéresse.

« Je suis très-parfaitement, monsieur, Votre, etc. »

Je reconnus bien dans cette lettre le même esprit de conciliation, de bienveillance, et la même honnêteté qui avaient toujours excité notre reconnaissance ; mais elle semblait annoncer de nouvelles difficultés que nous n’avions pas pic effel. M. le maréchal ne nous cacha point que, sur les vives n présentations des comédiens, il lui avait paru nécessaire de conférer du règlement avec les autres premiers gentilshommes de la chambre, ses i olli gués ce —pi il fi rail aussitôt qu’il trouverait le moment de les rassembler. Je pris la liberté de lui demander ce prés inter moi-même le projet de t tenu île tous les motifs, parce qu’étant le fruit des réflexions les plus profondes, ces motifs raissaienl propres.1 reunir MM. r-es collègues à sou avis, dont nous nous honorions tous d’avoir ete. M. le maréchal nous invita de lui remettre encore une loi’; il l’avait

lu d’abord, et de lui laisser traiter seul cette affaire avec ses collègues, saut à nous admettre après a défendre les articles, s’ils se trouvaient obsti n. m< ni ni lui lut remis à ;

avec prière de vouloir bien s’en occuper le plus tôt possible. 11 nous le promit. nient d’un proies qui intéressait autant mon honneur que nia fortune m’ayant appelé peu de jours après en Provence, je partis de Paris, et n’y revins que dans le courant d’août. Mon premier soin fut d’aller saluer M. le maréchal de Duras, le 17 août 177^ il m ■nient de voir M. le maréchal de Richelieu, avant de convoquer, me dit-il, une nouvelle assemblée des quai tilshommes de la chambre, où je serais admis à plaider pour l’exécution du nouveau règ t,

; ils avaient paru désapprouver la plu-décisions auxquelles il s’était arrêté lui-même. 

Je fus reçu le 28 aoûl de M. le maréchal’le Richelieu avec une bonté particulière el 1 grâces qui lui sont naturelles : il me in meilleure volonté de terminer l’affaire des auteurs. Mais, sur quelques diffîculti.1 lecture ment, qui avait, dit-il, ete laite à une assemblée des quatre supérieurs de la Comédie, il me renvoya à M. le maréchal de Duras, comme étant celui d’entre eux auquel ils avaient : l’administration de la Comédie française. 1 1 qui — lit le mieux le fond de l’affaire. J’eus donc l’honneur de revoir M. le maréchal de Duras le I4septembre 177^ : il voulut bien me dire alors que, l’objet étant très-important, il se proposait d’en parler a M. le comte de Maurepas, et que sa décision lèverait bien des difficultés ; que dans peu de temps il entrait d’an ni roi, el que son séjour à Versailles le mettrait dans le cas de saisir les moments favorables d’en conférer avec ce premier ministre. J’attendis, non sans beaucoup réfléchir sur les nouvelles difficultés que tant de délais semblaient annoncer ; mais j’avais résolu de braver tous les 5, et de lasser, à force de constance et de soins, tous ceux qui pouvaient avoir intérêt à nous faire attendre la jusl

Le mois de janvier arriva : M. le maréchal de Duras entra d’année, et moi j’attendis. Trois mois -eudre parler de rien, et j’attendais toujours. Les auteurs, perdant alors toute patience, se plaignirent à moi de moi ; et d’autant plus de moi, que les comédiens triomphaient hautement, en publiant que M. de Beaumarchais, et son règlement, était… ce qu’on nomme, au palais, tondu.

En effet, mon règlement et moi, nous en avions tout l’air. Mes confrères (avril 1779) m’assurèrent qu’on allait jusqu’à dire à Paris que je m’entendais avec les supérieurs de la Comédie pour jouer les auteurs. — Eh ! par quel intérêt, messieurs ?… Enfin, fatigué de leurs reproches, je pris la résolution d’aller présenter moi-même le réglement à M. le comte de Maurepas ; mais, comme on était fort empêtré à la Comédie par les débats des dames Vestris et Sainval, je crus devoir patienter encore jusqu’au moment où les esprits seraient un peu calmés par une bonne décision des supérieurs. La bonne décision des supérieurs arriva : la demoiselle Sainval fut exilée, et les esprits ne furent point calmés.

Croyant m’apercevoir qu’ils ne se calmeraient pas de longtemps, je pris le parti de passer outre : et 15 juillet 1779, c’est-à-dire, après avoir inutilement espéré quelque fin à ces débats pendant une année entière, j’eus l’honneur d’adresser cet interminable règlement à M. le comte de Maurepas, non sans en avoir prévenu M. le maréchal de Duras, qui parut approuver assez ma démarche.

Ma lettre au ministre était une espèce d’excuse d’oser le distraire un moment des grands objets qui l’occupaient, pour lui en mettre un sous les yeux propre au plus à délasser son esprit à la promenade.

« 15 juillet 1779.

« Monsieur le Comte,

« Une petite affaire repose quelquefois des grandes, et je sais que vous ne regardez point la littérature française comme un objet au-dessous de vos soins paternels.

« Depuis longtemps je suis à peu prés d’accord avec MM. les premiers gentilshommes de la chambre sur les articles d’un nouveau règlement à faire à la Comédie française, surtout dans la partie qui touche les auteurs dramatiques.

« Ce règlement est dress éde concert avec MM. les premiers gentilshommes ; il ne s’agit que de lui donner son exécution. M. le maréchal de Duras, après m’avoir envoyé de sa main ses objections, que j’ai levées, a désiré que j’eusse l’honneur de vous en parler, pour avoir votre attache sur un changement si utile aux auteurs. Je ne sais autre chose que de vous adresser le règlement lui-même, que l’on décharnera de ses motifs lorsqu’ils auront servi à le faire adopter.

« M. le maréchal de Richelieu nous a donné aussi ses observations de sa main : ainsi vous voyez, monsieur le comte, que nous ne sommes point, comme on le dit, des séditieux qui conspirent dans les ténèbres ; nous sommes une compagnie d’auteurs, dont les uns font rire, les autres font pleurer : nous demandons justice aux comédiens et protection aux ministres. Mais, pour arracher la première, il faut commencer par obtenir la seconde ; et c’est au nom de tous les gens de lettres que je m’adresse à vous.

« L’ouvrage que j’ai l’honneur de vous adresser n’est point pour votre cabinet ; mais il peut être excellent pocheté pour vos promenades de l’Ermitage. Apres cela, dites seulement : Je le veux bien, et tout ira le mieux du monde.

« À voir le ton d’importance qui règne dans le préambule des articles, vous rirez peut-être de cet air plénipotentiaire ; mais vous changerez d’avis, lorsque vous réfléchirez que rien n’est si chatouilleux que l’amour-propre de tous ceux dont je parle, et qu’auteurs et acteurs nous sommes des ballons gonflés de vanité ; et qu’enfin, s’il faut lâcher le mot, une Comédie est beaucoup plus difficile à régler qu’un État à conduire, soit dit sans offenser personne.

« Vous connaissez mon très-respectueux attachement ; il est fondé sur la plus vive reconnaissance, etc. »

Quelque temps après, ce ministre, en me rendant le projet, dont il parut content, me dit que M. le maréchal de Duras ne lui avait jamais parlé des auteurs ; mais que cela n’était pas étonnant, parce que, dans l’embarras où les querelles de deux actrices mettaient encore la Comédie, il paraissait malaisé qu’on pût s’occuper de ce qui touchait les gens de lettres.

Je fis ce récit aux auteurs, frappés du silence de M. le maréchal de Duras, ils m’assurèrent que les soupçons d’un accord secret entre les supérieurs de la Comédie et moi s’affermiraient infailliblement dans l’esprit de tout le monde, si je ne reprenais sur-le-champ le parti de traduire les comédiens aux tribunaux ordinaires, pour obtenir enfin un compte en règle de la Comédie. Mais, malgré mon mécontentement, il m’en coûtait trop de regarder comme perdues trois années entières employées à concilier l’affaire, pour aller en avant sans en avoir au moins prévenu M. le maréchal de Duras.

Le 2 août 1779, encore échauffé de la conférence des auteurs, j’écrivis à M. le maréchal la lettre suivante, qui se ressent un peu de la situation où leurs soupçons m’avaient jeté. Comme ce n’est pas une apologie, mais l’exact énoncé de ma conduite, que je trace ici, je ne veux pas plus omettre ce qui peut m’accuser auprès de quelques-uns, que ce qui doit m’excuser dans l’esprit de tous.

« Monsieur le Maréchal,

« Nous avez eu la bonté de me promettre d’assembler MM. les premiers gentilshommes de la chambre, vos confrères, et de m’admettre à plaider devant eux l’exécution du nouveau règlement pour le Théâtre-Français. Depuis deux ans et demi cette affaire est remise de mois en mois, quoique avec toute la politesse et les égards qui soutiennent la patience.

« Mais comme à la fin la volonté se montre, même à travers les procédés qui la dissimulent, je suis obligé de revenir à l’opinion générale, et de croire que vous n’avez jamais eu le dessein sérieux de nous faire faire cette justice que vous nous aviez tant promise.

« Remettant donc l’affaire au point où elle était le jour où vous m’avez fait l’honneur de m’en parler pour la première fois, je vous prie de vouloir bien me rendre la parole que je vous donnai, de ne point inquiéter les comédiens sur le compte qu’ils ont à me remettre.

« Mon intention est de donner aux pauvres tout ce qui m’est dû au théâtre, et de faire poserjudiii clairement des bornes au déni de jusl « les comédiens font aux auteurs. Mes droits sévèrement liquidés dans les tribunaux, en faveur des pauvres, serviront de modèle au compte que chaque homme de lettres a droit de demander aux comédiens.

« Vous voudrez bien, monsieur le maréchal, me rendre le témoignage que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour prévenir cet éclat ; et toutes les pièces justificatives de la conduite des auteurs depuis deux ans montreront au public que ce n’est qu’après avoir vainement épuisé toutes les voies conciliatoires que je me suis déterminé avec chagrin à prendre celle d’une discussion juridique.

« Je suis avec le plus profond respect, etc. »

Le 4 août, je reçus la réponse suivante :

« J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire, et je vous avoue que j’ai été un peu étonné du reproche qu’elle contient, puisque vous me paraissez douter de la bonne foi avec laquelle je me suis conduit, et du désir que j’avais de terminer tous les différends qui s’étaient élevés entre vous et la Comédie, et même de faire un arrangement général qui pût éviter toute discussion par la suite avec messieurs les auteurs, ■)<■ vous ai instruit de ce qui s’était passé entre mes camarades et moi, quand je leur ai fait part du projet que vous aviez bien voulu me confier, et je vous ai prié d’en conférer avec M. le maréchal de Richelieu. « Des affaires personnelles et plus importantes vous ont éloigné de Paris ; et mon service auprès du roi m’a retenu ici depuis le I er jan ■ « avoir été à Paris. Je n’ai reçu de vous ni de personne, depuis cette époque, aucune lettre ni aucune proposition. Je n’ai pas douté que vous n’eussiez remis celle affaitf, ou q le vous ne vous en fussiez entretenu avec M. de Richelieu, qui est plus au fait que moi des difficultés qui sont présentées.

« Il me semble même avoir ouï dire que parmi MM. les auteurs plusieurs s’étaient récriés contre l’arrangement. Au surplus, monsieur, vous êtes à portée de vous en éclaircir auprès de M. de Richelieu. Mon service ne me permettant pas d’aller à Paris, je ne serai pas en position de les suivre.

« Quant à vos demandes particulières avec la Comédie, j’en ignore le détail : il me semble qu’il y aurait des moyens de vous concilier. Établissez vos droits : les comédiens vous répondront après les avoir examinés : si vous êtes content de leurs réponses, il n’y aura pas matière à procès : si vous n’êtes pas satisfait, vous aurez toujours la ressource que vous proposez aujourd’hui. » Pourquoi venir d’abord à un éclat qui ne peut aller qu’au détriment de ce spectacle, qui n’est déjà que trop en désordre ? Vous êtes trop honnête pour saisir un moment où la fermentation est plus forte que jamais parmi eux. Voilà, ■ monsieur, ce que je pense.

c J<— finis en vous priant de rendre désormais plus de justice à ma façon de penser, et de me croire incapable de cette basse dissimulation qui, dans tous les points, est indigne de moi. Je suis très-parfaitement, monsieur, votre, etc.

Signé le maréchal de Duras. »

J’ai eu depuis plusieurs occasions de juger que M. le maréchal de Duras avait réellement conservé sa bonne volonté pour les auteurs ; mais alors je ne vis dans sa réponse qu’un inconcevable oubli du passé, soutenu d’un renvoi à cent ans pour l’avenir.

Bien résolu d’assigner les comédiens, et la tête échauffée de me voir outrageusement soupçonné d’une part et payé de l’autre par un déni formel de justice, j’adressai sur-le-champ 7 aoûl 177 à M. le maréchal la réponse suivante, de la chaleur de laquelle je lui ai fait sincèrement mes excuses, lorsque j’ai cru depuis reconnaître qu’il ne nous ssuyer que les contradictions qu’il éprouvait lui-même :

i Monsieur le Maréchal,

« La lettre dont vous m’avez honoré est la preuve la plus complète que l’affaire des auteurs dramatiques est malheureusement sortie de votre mémoire ; et je dis de votre mémoire, parce que le reproche que vous me faites de partager l’inquiétude de mes confrères sur vos dispositions à les obliger ne me permet plus d’en douter. « Lisez donc, je vous prie, monsieur le maréchal, avec attention la rapprochement de toutee u qui s’est passé sur cette affaire ; et vous vous convaincrez avec étonneraient que, revenus au point d’où nous sommes partis il y a deux ans, nous n’avons fait autre chose que tourner dans un cercle oiseux, et perdre nos travaux, notre temps et notre espérance.

« Par exemple, vous me mandez qu’il y aurait moyen de me concilier avec la Comédie ; que je dois établir aujourd’hui mes droits devant elle, et que les comédiens me répondront après les avoir examinés. Mais vous oubliez, monsieur le maréchal, que c’est après avoir vainement posé ces droits pendant un an, les avoir établis dans trente lettres qui ne m’ont valu de leur part que des réponses vaines, vagues et sans effet, que je fus traduit par eux devant vou, à I instant où, perdant patience, j’allais forcer, le timbre à la main, leur comptable de me remettre un état en règle de mes droits contestés.

« Vous oubliez, monsieur le maréchal, que le vif désir que vous me montrâtes alors de changer cette discussion personnelle en un arrangement général entre les comédiens et les auteurs me détermina sur-le-champ à préférer vos promesses à la voie juridique, et à rassembler chez moi les auteurs mes confrères, pour leur faire part de vos bonnes intentions. Vous oubliez, monsieur le maréchal, qu’alors vous ne vouliez qu’être bien éclairé sur les demandes des auteurs, pour trancher la question el —an.— MM. vos confrères, qui, disiez-vous, avaient abandonné cette partie.

« Vous oubliez encore que, sur un léger doute de ma part que vos occupations mois permissent de cl n ner à cette affaire toute la suite et l’attention qu’exigeait son succès, votre premier mot lui que vous casseriez la Comédie, si < lie opposait le moindre obstacle à des i in.s aussi judicieuses. ii nui n’aurai) pas cru i omme moi, d’après cela, monsieur le maréchal, qu’un travail projeté de concert avec vous, la il par tous les gens de lettres, corrigé sur vos observations > i terminé sous vos auspices, allait rendre aux auteurs dramatiques les droits injustement usurpés qu’ils réclament ur leurs propres ouvrages ? Cependant, après in ii • ans de patience, je suis renvoyé, par vous, de m i veau mes droits d’auteur devant les comédien, c’est-à-dire à i ccommencer penautre année tout ce qui a été dit et fait entre eux et moi, i ■ entamer ensuite un nouveau traité conciliatoire avec M. le maréchal de Duras, que les comédiens ne manqueront pa im iquer encore, à l’instant où l’impatience me fera de nouveau recourir aux voies juridiques. C’est-à-dire, monsieur le maréchal, que, sans vous en limiter, vous m’invitez à parc ir > ucore une fois le cercle fatigant de trois ans de travaux perdus et de soins inutiles : autant valait-il alors me laisser aller au parlement, comme je me disposais à le faire.

ci Nous me renvoyez, dans votre lettre, d M. U ci man chat de Rida lit » sut h s obji étions faitt s <"nti • n le règlement, parce que, dites— vous, votre seri/ta </< ce Versailles vous empêche de mus en occuper ; niais ci vous oubliez, monsieur le maréchal, qu’à la fin de l’an passé vous vous félicitiez d’entrer d anci née à Versailles, parce que vous espériez qu’étant à demeure dans le lieu qu’habite M. le comte de Maurepas, vous trouveriez facilement le moyen de régler avec lui l’affaire de la Comédie, dans des moments : elles de l’État lui laisseraient un peu de repos.

ci Su i— ici espoir, j’ai remis à M. le comte de Maurepas le nouveau règlement du théâtre, avec vos corrections. Ce ministre, à qui j’ai depuis pris la liberté d’en demander son jugement, m’a répondu qu’il en était content, mais que jamais vous ne lui aviez dit un mot des auteurs dramatiques, et qu’il vous croyait trop embarra se d i i rai a : de — acteurs, pour qu’on pût vous proposer de penser aux auteurs dans ce moment-ci. " À quelle époque donc les auteurs dramatiques peuvent-ils espérer qu’on s’occupera de leur affaire.’^ a-t-il, monsieur le maréchal, une patience à l’épreuve d’une pareille inai lion ? et —i ci tous ces faits étaient connus du public, n’aurions-nous pas a nia ni de partisans de nos pi a in les ■’qu’il y a de gens sensés dans le royaume ? ci Vous me mandez encre, monsieur le maréchah, ci cpie vous avez ouï dire que. parmi les auteurs, plusieurs se sont récriés contre l’arrangement ; mais vous oubliez que vous avez su par moi, dans le temps, que le point de division entre quelques membres et le corps entier des auteurs ne portait que sur le vœu général de l’assemblée pour l’élévation d’un second théâtre. Plusieurs voulaient que la demande en fût remise au temps où l’on aurait épuisé tous les moyens d’avoir justice ; et les autres, que l’on ci nencàl par cette demande au conseil du roi:certains, disaientci ils, que jamais nous n’obtiendrions rien de l’administration de la Comédie.

ci Il est bien fâcheux, nsieur le maréchal, que l’événement semble justifier aujourd’hui leurs inquiétudes. À la vérité, quelques objets de discipline intérieure entre les auteurs ont pu les émouvoir dans leurs assemblées; mais avez-vous jamais doute que tous les vœux ne se réunissent pour un règlement qui mettait leurs intérêts à couvert et tendait a consolider leurs succès ? Il faudrait donc supposer que mes confrères et moi ne sommes ni hommes, ni auteurs dramatiques.

.’Vous voulez bien me dire, monsieur le maréchal, que vous me croyez trop honnête pour saisir un moment où la fermentation est plus forte que jamais parmi les comédiens:mais je .’ne m’adresse point au comédiens, c’est à leurs supérieurs que je demande justice; et qu’importe alors que les comédiens manquent de sagesse ou d’équité, si leurs supérieurs en sont suffisamment pourvus ? Que font au règlement des auteurs les tracasseries des actrices, si l’on veut bien ne pas confondre un objet grave avec des minuties, et donner à l’affaire des gens de lettres quelques-uns des moments trop prodigués peut-être à régler la préséance entre ces dames ?

« L’usage que je fais de mes honoraires d’auteur en faveur des pauvres montre assez, que ceci n’est pas une combinaison d’écus, mais un moyen forcé, à défaut de tout autre, de constater enfin les droits des auteurs, dont les reproches m’affligent et me fatiguent, autant que leur confiance m’avait d’abord honoré.

« D’ailleurs, quand je ne mettrais aucune importance personnelle à cette décision, est-il possible, monsieur le maréchal, que vous n’y en mettiez pas vous-même ? et n’ai-je pas dû penser « qu’en me présentant à M. le maréchal de Duras, « très-grand seigneur, gentilhomme de la chambre c< du roi, académicien français ; de plus, institué (i supérieur du spectacle national, pour en main11 tenir la splendeur el redresser les griefs qui len(i denl aie dégrader : n’ai-je pas dû penser, dis-je, que je lui faisais ma cour de la manière la plus « flatteuse, en le priant de vouloir bien être l’arbitre d’une querelle aussi intéressante aux gens de lettres qu’utile à la Comédie, qu’il est bon n quelquefois de séparer des comédiens ? « Quel temps donc, monsieur le maréchal, n croyez-vous plus propre à régler les droits des « auteurs, que celui où les dissensions intérieures n du spectacle obligent l’autorité de s’occuper du « spectacle ? Espérez-vous qu’il y ait jaunis un i intervalle sans querelle à la Comédie, tel que les « trois ans qu’on a consumés à nous fain « une justice que nous n’avons pas obtenue ? Car « il est bien clair que, se.it avec int mtion, ou malci heureusement, ou par hasard, nous sommes arrêtés depuis trois ans sur un objel de règlemenl « qui, franchement accueilli par vous, monsieur « le maréchal, n’aurait pas dû nous occupée trois « semaines.

» 11 esl bien clair encore que M. 1e maréchal de Richelieu va nous renvoyer vers vous, qui nous « renvoyez vers lui, lorsqu’il aura fait ses observalions. Pour peu qu’il faille après revenir enn coreà consulter les comédiens, dont on sait déjà « que l’avis est de tout garder, puisqu’ils ont « tout usurpé ; pour peu qu’on Hotte encore une « autre couple d’années entre nos demandes et ■I leurs objections ; pour peu surtout que le système de démissions, dont les comédiens nieiia(i cenl eu toute occasion de taire usage, soit mis u par eux en avant contre nos demandes à défaut ci de bonne réponse, pouvez-vous nous dire, monsieur le maréchal, ce que nous devons faire « alors, et à qui nous devons nous adresser ? u Puis donc que l’autorité’des supérieurs de la c< Comédie est sans pouvoir sur les comédiens, ne u vaudrait-il pas mieux, monsieur le maréi liai. laisser décider la question des droits des auteurs " aux tribunaux chargés de veiller sur les propriétés des citoyens ? car ne pas l’aire justice, et (i trouver mauvais qu’on la demande ailleurs, est » une idée qui soulèverail tous les bons esprits. • Je vous supplie, monsieur le maréchal, au ’i nom de tous les auteurs dramatiques, au nom i’du public, mécontent de l’appauvrissemi ni gé(i néral du Théâtre-Français, di vouloir bien peser ii la force de mes représentations. Certainement n on ne peiii disconvenir que ce théâtre ne soit ci aujourd’hui tombé dans le pire état possible ; et » que le plu— diocre théâtre de province, toute « proportion gardée, avec un chétif directeur, et « point d’autre loi que son intérêt, ne marche u mieux et ne contente plus le public que la Comédie française, le spectacle par excellence, .i ayant à sa tête, pour directeurs, quatre hommes ii de qualité puissants, constitues dans les plus » hautes dignités, donl deux soni de l’Académie ce française:ce qui suppose, outre le mérite acaii demique, un grand amour du théâtre et des « belles-lettres.

ci 11 y a donc un ice, ou dans la constitution « ou dans l’administration de ce spectacle; et quand nous vous proposons des moyens sûrs de .1 ranimer l’émulation des auteurs el des acteurs, ci nous voyons avec chagrin que les plus faibles ci considérations, qu’une crainte frivole, une panici que terreur que les gens de lettres ne tendent ci sourdemenl à domine r l’autorité de— gentilsci hommes de la chambre sur le spectacle, esl le ci vrai motif qui les empêche de prêter la main à nos demandes légitimes.

« Mais puisq’esl à vous, monsieur le maréci chai, que i s nous adressons, nous sommes « donc bien éloignés de contester votre supréma-’i lie au spectacle. Nous, vouloir tout domini r sur « la Comédie ! Que Dieu préserve tout homme sage " d’avoir une idée aussi contraire à son repos ! Et si •■ toul le pouvoir et les lumières réunies de quatre .. des plus grands seigneurs du royaume, absoluci ment maîtres en cette partie, ne peuvent réprimer la déplorable anarchie qui désole et détruit le c Théâtre-Français, comment les gens de lettres, .1 qui n’ont seulement pas le crédit d’obtenir jusci lice pour eux-mêmes, peuvent-ils être soupçonnés » d’attenter à une autorité qu’ils n’ont cesse d’in.i voquer jusqu à ce jour ?

u D’après ces observations, j’aurai l’honneur de .1 voir M. le maréchal de Richelieu, comme vous u m’y invitez ; mais, si cette tentative ne me réusci sissail pas plus que les précédentes, pourriezci vous trouver mauvais que je fisse assigner les .i comédiens à me rendre en justice un compte « exact et rigoureux, qui mettrait dans le plus grand jour les produits de la caisse et les abus qui se commettent aux dépens des auteurs à la Comédie française ?

« Je suis avec le plus profond respect, etc. »

Voici la réponse à cette lettre :

« Versailles, le 11 août 1779.

« Je n’entreprendrai pas, monsieur, de répondre à tous les articles contenus dans votre lettre du 7. Mon devoir ne me laissant pas le temps qui serait nécessaire, je me bornerai à quelques réflexions qui doivent détruire les soupçons très-mal fondés que vous persistez à avoir sur ma façon de penser et sur ma conduite vis-à-vis de vous.

…/. croyais voies avoir dit d’une façon très-claire que i avais trouvé, de la part de mes camarades, , une opposition marqi à l’exécution du projet ii que nous avions arrêté. Je l’ai discuté très-longtemps ii vis-à-nis d’eux, et jt n’ai pu les vaincre. Je n’ai ii qu’une voix parmi • ux, < lie n’t si p is prépondérante. ii Je vous en ai prévenu pour que vous pussiez u vaincre les obstacles, et je vous prie d’en conférer avec M. de Richelieu. Ma façon de penser u n’a point changé, mais elle ne décide pas. — Je vous ai parlé duprocésque vous vouliez faire aux comédit ns, parce quej’ai cru qu’il ne pouvait „ qut produire un mauvais effet pouk eux : car, au n surplus, que m’importe à moi une affaire de cette espèce ? Je suis trop ennemi de tous ces •■ détails, pour qu’on puisse me soupçonner d’y i. mettre nue grande chaleur. J’ai désire qut ce spec<i tacle put se soutenir ; je me suis occupé de ce qui « pouvait y contribuer : les cabales, les intrigues h y ont apporté les plus grands obstacles : j’en suis « bien fâché, mais je ne peux m’en affecter a un .1 certain point.

(i Pour votre projet même, je puis vous assurer « qu’il y a beaucoup d’auteurs qui se sonl donné » beaucoup de mouvement pour en empêcher i. l’effet.

.. Vous me reprochez de n’avoir point parlé.1 (. M. de Maurepas : ce ministre a apparemment trop ii d’affaires peur se souvenir de toul ce qu’en lui 11 dit ; mais quand vous voudrez, non— lui parlerons I ensemble. Je vous avoue que je suis un peu II étonné que le désir de plaire à MM. les auteurs 11 ne m’attire que îles reproches et des soupçons ii a i-dessus desquels je me crois en droit de me I. mettre. Si je ne I ai ais pas pen <, je nt l’aurais pas ii dit ; si je ii’l’ai pas exécuté, c’est qui fiela ne dépend pas uniquement de moi. Voilà ma profi ion e foi.

Je sui

très-parfaitemenl votre très-humble. u Signi le maréchal de T > r 1 ■. s. Ouanil "ii— aurez u M. île Richelieu, —i m. us Moi./ à Versailles ci que vous désiriez me voir, je ei ai a mi— ordres. »

Ainsi M. le maréchal île Duras a trouvé dans ses confrères de l’opposition à l’exécution </ » projet ij u 1 u" a s avions arrêté. Nous avions donc arrêté un projet, M. le maréchal et moi. J7 l’a discuti très-longtemps devant ses camarades, et n’apules vaincre. M. le maréchal était donc en tout de mon avis. Su façon’/< f u-’1 n’a j’i’ini changé, mais ellt ne décide pas. L’opposition de se— collègues mêmes n’a pu l’empêcher de reconnaître que j’avais raison, Il m’a parb’duprocès que, /■ voulais fain aua comédiens, para qu’il a cru qu’il m pouvait que produiri un mauvais effet pour eux. Pour eus.’cela esl clair. M. le maréchal pensait donc que le procès des ailleurs était.juste ; il ne m’arrêtait que par bonté peur les comédiens.

Tous ces aveux sonl bien précieux a retenir, aujourd’hui que l’on parait changer. /’"<</ mon proji t. ill’approuve ; il en u parlé, dit-il, « M. deMaurepas. S’il m l’avait l’us pensé, il m:l’aurait pus dit; et s’il iw l’a pas exécuté, c’est que cela ne dépend pas uniquement de lui. Voila.ma profession de foi, ajoute.M. le maréchal.

Je supplie le lecteur île ne pas oublier toutes ces circonstances:elles trouveront leur— places. El moi je cou li nue ; mai— avant de reprendre ma narration. qu’on nie permette une courle rétlcxion sur la bizarrerie de elle affaire.

M. le maréchal de Duras est de 1 1 avis.; il trouve de l’opposition dan— —• — oui livres : mais ni M. le duc d’Aumont ni M. le duc de I leurç ai se mêlent du spectacle français : reste donc M. le maréchal de Richelieu ; mais je l’ai toujours trouvé de mon avis toutes les lois que je lui ai parlé deauteurs. Si on lit son billet attaché aux remarques qu’il a faites sur le projel de règlement que M. le maréchal de Duras approuve, on voit combien M. le duc de Richelieu montre de grâces et de bienveillance pour nos succès. Dans son aveu de la justice de s demandes sur l’amélioration du sort des ailleurs, voilà ses termes (page 10 du règlement : Détails très-raisonnables, qui dévoilent la juste nécessité de faire cm : nouvelle appré iatios puni— ce qui doit r’venir aux mit’tus. .1 en— 1 lionncurde voir M. le maréchal de Richelieu le jour même 12 am’ii que j’avais r. eu la dernière lettre de M. le maréchal de Duras. Le premier me dil que M. le maréchal de Duras, bien fâché conlre moi des reproches donl ma dernière lettre était remplie, lui avait pourtant indique un rendez-vous chez lui, où je serais le maître de me trouver i même, pour essayer encore nue loi— d’éviter le procès que je paraissais vouloir intenter a la Comédie.

du reconnaîtra dan— le billet que M. le maréchal de Richelieu me lit l’honneur de m’écrire, au sujel .le l’assemblée projetée, combien il était éloignéde mettre des entraves aux di mandes de— ailleurs. ,. Paiis, ce 3 septembre ;

ii M. le maréchal de Uichelieu.-cra prêt a la conconférence dont M. de Beaumarchais l’instruit que M. le maréchal de Duras désire ; et, pour qu’il ne l’oublie pas, il va lui écrire. Mais, comme il y a tribunal lundi, il présuppose que ce sera lundi matin : cependant M. le maréchal de Richelieu ne serait point étonné que cette affaire fût encore fort longue : car depuis bien des années il n’en a vu finir aucune, de ce genre surtout. »

D’où il résulte que tous ceux qui ont pris connaissance de mes travaux dans cette affaire sont de mon avis ; que les deux seuls premiers gentilshommes de la chambre qui se mêlent du spectacle ont pensé comme moi. Et puis qu’on trouve après, si l’on peut, d’où a pu sortir la diabolique opposition qui a toujours empêché que le bien ne se fît !

Le jour de l’assemblée venu (4 septembre 1779), M. le maréchal de Duras nous assura positivement que le roi n’approuvait point qu’on s’occupât d’un projet de règlement ; et qu’il fallait s’en tenir à l’objet pécuniaire du droit des auteurs, sur lequel j’étais le maître de revenir, en épuisant les moyens d'écarter un procès qui nuirait beaucoup aux comédiens ; et l’on me demanda si je ne voulais pas me prêter à de nouveaux essais.

Ma réponse, un peu sèche peut-être pour l’occasion, fut que j’allais en effet recommencer les recherches de mes droits d’auteur, puisque M. le maréchal assurait que le roi s’opposait à ce que ceux qui ont dix fois raison lui demandassent une fois justice. Et pour qu’on ne prît point le change sur ma résignation, j’ajoutai que, quel que fût l’espoir des comédiens d’éluder l’effet de mes recherches, j’assurais bien qu’ils pourraient me fatiguer, mais qu’ils ne me lasseraient point, et que je mettrais tout le temps et les soins convenables à découvrir jusqu’où la Comédie française pouvait porter le crédit d’être impunément injuste envers tous ceux que leur malheur mettait en relation avec elle.

J’allais me retirer, lorsque M. de la Ferté, intendant des menus, proposa, pour m’apaiser, de me remettre en main un état de recette et dépense de plusieurs années de la Comédie, sous ma promesse de ne le communiquer à personne, pas même à mes confrères, avant que j’eusse fait part à la même assemblée, que nous formions en ce moment, du résultat de mes travaux arithmétiques, et de l’évaluation que j’en tirerais du véritable droit des auteurs sur les représentations de leurs ouvrages.

Cette offre en effet m’arrêta. Je promis de suspendre le procès et de garder le secret sur les papiers qui me seraient confiés, ne demandant pas mieux que de réduire à des chiffres incontestables une question que trois ans de raisonnements et de débats n’avaient pas encore effleurée.

Je ne sais comment on s’y prit ; mais enfin, malgré les répugnances de la Comédie, je reçus par M. de la Ferté (21 septembre 1779) un état des dépenses de trois années et un état de recette, tant des petites loges que du casuel de la porte de la Comédie française, pour les trois mêmes années.

Enfin muni de ces états plutôt arrachés qu’obtenus, après quatre ans de soins perdus ; muni de tous les arrêts, lettres patentes et règlements passés, c’est de ce moment que je puis dire avoir commencé un travail un peu fructueux pour les auteurs mes confrères ; et c’est son résultat qui va faire la matière de ma seconde partie, plus essentielle que ma première.

SECONDE PARTIE
droits des acteurs usurpés par les comédiens.

Avant de chercher si la Comédie rend ou retient aux auteurs ce qui leur appartient sur les représentations de leurs ouvrages, il faut savoir en quoi consistent leurs droits ; quelle loi les a fondés ; en quel temps cette loi fut donnée ; quel était l’état du spectacle lors de sa promulgation si cet état est le même aujourd’hui qu’on dispute sur l’exécution de la loi. Toutes ces données sont indispensables, et la question à juger en découle nécessairement.

Il paraît que la première loi fut la convenance réciproque des contractants ; celui même par une suite de cette libre convenance que les comédiens, craignant de trop payer une pièce présentée en 1653 par Quinault, jeune encore, crurent la mettre au plus bas rabais en lui offrant le neuvième du produit des représentations qu’aurait sa pièce. Or ce plus bas rabais d’un ouvrage dédaigné, cette offre du neuvième de la recette, n’en est pas moins l’arrangement qui a subsisté depuis entre les auteurs et les comédiens.

Alors il dut paraître essentiel de fixer au moins jusqu’à quel terme ce neuvième de recette appartiendrait à l’auteur. Le plus naturel était celui qu’on choisit.

Les comédiens dirent aux auteurs : Nous avons l’été pour trois cents livres de frais par jour ; et l’hiver ils montent à cinq cents livres, à cause du feu, de la lumière et de l’augmentation de la garde aux portes. Vous avez droit au neuvième de la recette : mais quand nous ne faisons de recette que nos frais, vous sentez qu’il n’y a rien à partager ; et lorsque, après plusieurs essais, nous voyons que la recette ne remonte plus et que le goût du public est usé sur un ouvrage, vous devez consentir à ce que nous cessions de le représenter.

Cette règle était si simple et si juste, que les auteurs l’avaient adoptée sans conteste : aussi les premiers règlements qui furent envoyés aux comédiens par madame la Dauphine, en 1685, ne firent que sanctionner une convention si naturelle.

Il est vrai que les comédiens ne parlèrent point alors à l’auteur de ce qui lui reviendrait s’ils reprenaient un jour sa pièce, et si le goût du public, échauffé de nouveau sur l’ouvrage, lui donnait un jour des recettes abondantes. De ce silence les comédiens ont conclu depuis que les fruits de la reprise des pièces étaient une hérédité prématurée, qu’on ne devait pas leur disputer du vivant même des auteurs.

En 1697, un nouveau règlement donné pour réformer quelques abus confirma l’ancien arrangement du neuvième. Ainsi la loi d’une convenance réciproque, sanctionnée par plusieurs règlements a maintenu les auteurs depuis li 53 jusqu’en 1737, c’est-à-dire pendant plus de cent ans, dai le droit modéré il-’/ ucher le neuvième ih la recette, les frais ordinaires etjournalii i s prélei es : < I de jouir di ce neuvième jusqu’à ce que la Comédie leur eût prouvé, par deux recettes consécutives au-dessous il* 1 trois cents /uns l’été et cinq cents liera l’hiver, qu’elle n’avait tiré que ses frais, et que le goût du public était usé pour l’ouvrage.

Mais il paraît que l’année I7S7 lui un temps de haute faveur pour les comédiens français. À cette époque ils avaient fait un tel abus du privilége de se gouverner eux-mêmes, qu’ils devaient quatre cent quatre-vingt-sept mille livres, et ils n’en obtinrent pas moins de la bonté du roi que S. M. payât à leur décharge une somme de deux cent soixante-seize mille livres ; et, au moyen d’une autre déduction également de faveur, ils se trouvèrent, en I7b7, ne plus devoir que cent soixante-dix-neuf mille livres.

Ils obtinrent de plus la permission de vendi e à ie cinquante entrées au spectacle, lesqu illes, à trois mille livres chacune, devaient leur rendre cent cinquante mille livres, et réduire ainsi leurs dettes à trente mille i ces.

Pendant qu’ils étaient en train d’obtenir, il ne leur en coûta pas plus de faire glisser, dans un règlement intérieur et non communiqué : que les auteurs qui jouissaient depuis cent mis du neuvième de la recette de leurs pièces jusqu’à ce qu’elles fussent tombées deux fois de suite à cinq cents livres l’hiver et trois cents livres l’été, c’est-à-dire jusqu’à ce que les comédiens n’eussent fait que leurs frais deux fois de suite ; ils firent, dis-je, glisser facilement que les auteurs cesseraient à l’avenir de jouir du neuvième axissitàt que la pièce Si rait tombée deux fois de suite au-dessous de douze cents livres l’hiver et Unit r<iiis livres l’été.

C’était plus que couper en deux leur propriété : car, si une pièce, pour tomber à cinq cents livres de recette, avait pu jouir de douze représentations, on sent qu’elle ne devait plus prétendre qu’aux fruits de cinq représentations, dès que les comédiens la retireraient à douze cents livres de recette.

On se garda bien de communiquer alors ce règlement aux auteurs, qui en étaient pourtant l’unique objet ; mais les comédiens osaient tout, parée ijn M se sentaient protégés, et qu’ils agissaient contre des gens isolés, dispersés, sans réunion, sans force et sans appui ; contre di qui avaient plus d’intelligence de leur art que de connaissance des affaires, « m plus d’amour de la de fermeté pour défendre leurs droits.

Cette usurpation, ou cette heureuse distraction des comédiens, fut le signal d’une foule de distractions de la même espèce, qui se succédèrent depuis sans interruption.

Par exemple, une pièce un peu suivie pouvail ne pas tombci assi >. tôl an gré des 1 1 médiens, i n deux i’pi éseiU’■ suiti. au dessous de’Ion/ :’ cents livres do recette, parce qu’un grand jour succédant à un petil jour, il arrivait souvenl que la pièce se relevait. Les comédiens, féconds en distractions, trouvôrenl moyen de communiquer les leurs au rédacteur d’un nouveau règlement ; il oublia d’écriri r,. si nta tions, ces petits mots, de suite, qui se trouvaient dans le premier règle ni non communiqué : alors l’alternative seule des grands el des petits jours devanl amener en peu de jours deux repri tenta tions séparées au-dessous de douze cents livres, la pièce se trouva bientôt perdue pour l’auteur. Il est impossible d’assign t le moyen donl ils se servirent pour opérer dan la tète du rédacteurun oubli qui tendail à racci urcir encore la propriété des auteurs : ce qu’il ; a de vrai, c’est que ces derniers n’entendirent pas plus parler du second règlement que du premier, qui les avait coupés en deux

On murmurait beaucoup cependant ; mais chaque auteur pouvant à peine attraper le rang d’une nouvelle pièce en cinq années d’attente, on ni avec quelle facilité un corp permanent assurail le fruit de ses distractions, en les exerçant toujours sur de nouveaux individus.

’près avoir beaucoup lu, beaucoup étudié les principes de l’ancienne convention, qui a duré un siècle et a été confirmée par divers règlements adoptés, et les avoir appliqués à l’état des receltes ci dépenses de la Comédie, au bordereau remis par la Comédie en 1776 pour le décompte du / ; ■/. &îi r de Si i il e, je suis parvenu à former un résultai si exact sur le droit d’auteur, qu’il m’a paru très-important de le communiquer aux comi diens. Enfin, après bien des difficultés combattues, et six mois de patience encore écoulés à solliciter une conférence où ces objet pussent être examinés, je suis parvenu à faire assembler, le 22 jan vier I7S0, chez M Gerbier, avocat, tout le conseil de la Comédie, donl il esl membre, composé de irnis avocats au parlement, deux au conseil, six comédiens français, un intendant des menus ; el les quatre commissaires de la littérature, donl l étai :. s’y sont rendus de leur côté. Pour disposer l’auditoire à me porter une alleution favorable et nécessaire, j’ai commencé par lui mettre sous les yeux l’exposé de ma conduite modérée, tel qu’on l’a lu dans la première partie. Puis, cessant de montrer ces pièces justificatives de ma patience exemplaire, je leur ai dit :

« Pour que la littérature et la comédie, messieurs, aient également à se louer de mon exactitude, je vais, en vous montrant mes travaux, vous indiquer jusqu’aux procédés mêmes que j’ai employés pour arriver au décompte le plus certain du droit d’auteur.

« 1o Par l’état de recette et dépense de trois ans que la Comédie m’a fait remettre, j’ai vu que trois années de spectacle n’avaient produit que neuf cent soixante-treize représentations à la Comédie. J’ai divisé ce nombre en trois, pour obtenir celui des représentations d’une année commune prise sur trois : ce qui m’a montré que l’année théâtrale n’était pas composée de trois cent soixante-cinq jours comme l’année civile, mais seulement de trois cent vingt-quatre jours. J’ai donc pris ce nombre pour diviseur de la somme de toutes les dépenses et recettes annuelles de la Comédie : ce qui donnerait au quotient la dépense journalière du spectacle dans leurs justes relations avec les totaux annuels.

point d’appui prouvé, messieurs, j’ai cherché quels objets, dans la recette et I annuelles de la Comédie, étaient assez invariables pour qu’on pût en former la fixation journalière par le diviseur trois cent vingt-quatre. « Dans la recette, j’ai reconnu que, d’aprèsl étal remis par la Comédie, les petites loge par an, sur le pied de leurs baux, deux cent cinquante-neuf mille livres ; lesquelles, divi ut vingt-quatre, font par jour huit ci nts recette assurée à la Comédie, qu’on doit regarder comme un démembrement de la reci tte casuelle de la porte, et qu’il y faut ramener. — Sur la dépense, j’ai trouve que l’abonnement fait avec les hôpitaux pour la redi vance appi ■ : ■■■■ quart des pauvres coûte par an à la Comédie soixante mille livres ; lesquelles, divisées par trois cent vingt-quatre, fixent le coût journalier de cet impôt à cent quatre-vingt-cinq livres, donl l’auteur doit payer le neuvième.

« 3° J’ai examiné la dépense de trois années, montant, suivant l’état fourni par la Comédie, à un million vingt-quatre mille livres en nombres ronds. Si l’état est juste, il n’y avait qu’à diviser cette somme en trois pour avoir la dépense annuelle ; laquelle ensuite, divisée par trois cent vingt-quatre, nombre établi diviseur commun, donnerait juste la dépense journalière de ce spectacle : rien n’était si simple encore. « 4° Un seul objet, messieurs, ne pouvait pas être soumis à cette division générale : c’était la recette journalière et casuelle qui se fait à la porte de la Comédie, parce que le plus ou moins d’af-RENDTJ. 607

fluence met une variété infinie dans cette recette ; mais, comme on en tienl des registres fidèles, le relevé de chaque jour, mi— dan— toutes ses différences en colonne additionnelle, suivant le nomd joui où chaque pièce nouvelle a été jouée, donnerait fidèlement la recette casuelle sur laquelle un auteur doil prélever sou droit acquis du non ième.

° J’ai remarqué que par l’arlicli 23 de l’acte de société comédiens en 1 737, el des lettres patentes enregistn es en I7CI, la Comédie avait obtenu du roi la permission di vendre à vie cinquante abonnements personnels, à trois mille livres chacun. Sans savoir combien il existait de ces al nements, j’ai conclu que tous ceux qui avaient été vendus étant un démeml remenl des recettes de la porte, ainsi que les petites loges, autant il s’en trouverait sur les registres, autant il s’en compter lit par jour de représentation, sur quoi l’auleur | m neuvième.

Bien assuré de toutes ces données, je me suis

urs, de comparer en votre pré

— : nce le I ordereau que la Comédie m a envoyé, en I776, dctren résentations du Barbier • ! ■ Sévill. d’après lequel il revenait, disait-on, à l’auteur cinq mille quatre cent dix-huit livres. Je vais le c parer avec les i ais éléments de ce compte, tels que je viens de les établir, en faisant observer que la (oui,’, lie avait joint à son bordereau une lettre qui portail que ce bordereau était l’ait suivant l’usage con tant de la Comédie avec MM. les auteurs : d’où il résulte que si ce i un] offre une somme exacte d’après les données dont nous venons de tomber d’accord, tous les auteurs qui avaient sourdement réclamé, depuis trente ans, contre de prétendues usurpations de la Comédie, seronl reconnus dans leur tort ; et que, dans le cas contraire, ce sera la Comédie : c’esl ce qu’il fallail essayer de fixer une bonne fois pour remédier au mal, de quelque part qu’il vint, el tâcher de ramener la paix et la bonne intelligence entre les deux partis.

Copie du bordereau envoyé par la < PAitT d’auteub.

M. de Beaumarchais, pour trente-deux i quatre actes.

Recettes journalière ! 1

trente-deuv représentations CS, S66 I. » s. " J —’— s, 6 —i „. a Abonnemeuts des petites lo— j

ges, a ; 9, 600’

Sur quoi â déduire :

Quart des hôpitaux 19, 341 10

Frais ordinaires et journa liers, à 300 livres par jour. 0, 600 n S soldats assistants, a vingt

sous 128

Frais extraordinaires par

jour’28

Reste net de la recette —18, 768 10 Dont le neuvième pour le droit d’auleur est de.. 5, 418 L4

Alors, faisant mes rapprochements, j’ai dit : « Vous voyez, messieurs, au premier article du bordereau, pour trente-deux représentations du Barbier de Séville, reçu à la porte soixante-huit mille cinq cenl soixante-six livres. Il n’y aurait pu avoir ici qu’une erreur d’addition ; mais, comme elle s’est trouvée sans faute, je passe aux autres points du bordereau.

(i Deuxième article. Pour l’abonnement des petites loges : trois cents livres par jour, pour trente-deux représentations, font neuf mille six cents livres.

" Comparant cette somme de trois cents livres avec le produit de huit cents livres par jour que portent au quotient les deux cent cinquante-neuf mille livres de recette annuelle, morcelée par le diviseur 324, je demande, messieurs, quelle explication • > 1 1 peut donner de la différence de trois cents livres du bordereau de la Comédie, au produit réel do huit cents livres par peu-. » M" Gerbier a répondu, pour la Comédie, que si les petites loges n’étaient portées sur le bordereau qu’à trois cents livres par jour, quoiqu’elles en rcndissenl réellement huit cents, c’est qu’on offrait à laideur une compensation raisonnable, eu ne lui comptant aussi les frais journaliers que sur le pied de trois cents livres, quoiqu’ils coûtassent beaucoup davantage à la Comédie : ce qu’on reconnaîtrait a l’examen de l’article des trais. Je me mus permis de répliquer qu’il nie semblait plus convenable, en présentant un coin pie, d’y porter la recette el la dépensée leur valeur exacte, que d’altérer l’une et l’autre par une compensation obscure ou arbitraire : question sur laquelle je me proposais de revenir a l’article des trais. Ll j’ai continué l’examen avec eux.

" Dans le bordereau, messieurs, la Comédie porte le quart des hôpitaux, sur la recette de trente-deux représentations du Barbier de Séville, à dix-neuf mille cinq cenl qnarante-deux livres, dont le neuvième, supporté par l’auteur, est de deux mille cenl soixante-onze livres huit sous,.le ne puis m empêcher de taire observer ici que, suivant l’él i général des dépenses fourni par la Comédie, elle convient ne payer aux hôpitaux que soixante mille livres par an ; lesquelles, divisées par 324, donnent une dépense journalière de cenl quatrevingt-cinq livres au profil des pauvres. Si, multipliant, ai-je dit, ces cent quatre-vingt-cinq livres par trente-deux représentations, on trouve en résultat les dix-neuf mille cinq cenl quarante-deux livre— ; portées au bordereau de la Comédie, ce bordereau sera exact ; mais trente-deux lois cenl quatre-vingt-cinq livres ne font qui’cinq mille neuf cenl vingt, dont le neuvième a payer pour l’auteur esl six cenl cinquante-sepl livres. La différence de cette somme a celle du bordereau, deux mille cent soixante-onze livres, forme donc encore au dommage de l’auteur uif erreur île mille cinq cent quatorze livres. Que d’erreurs, messieui ! que il erreurs ! u

M e Gerbier a répondu, pour la Comédie, que I abonnement qu’elle avait fait avec les pauvres ne pouvait profiter à MM. les auteurs ; qu’à la vériti ils in nm, ut part pour uî ! neuvième dans la sociéti /■ jour de chaque représentation de leurs pièces, mais qu’ils n’étaient pas associés à la Comédie m au c comédiens ■■ don il résultait que l’abonnement annuel qu’elle avait fait avec les pauvres était son affaire particulière ; que si elle y gagnait, celait un bénéfice qui n’avait rien de commun avec celui des représentations dans lesquelles les anleurs oui droil ; que, m elle y perdait, MM. les ailleurs seraient bien fondés à rejeter cet abonnement comme une chose étrangère ; en un mot, que ce traité eiait un marché particulier que toute personne aurait pu taire avec les hôpitaux ; et qn il était contre tout principe de vouloir eu faire une cause commune cuire les auteurs cl la Comédie.

Je me suis permis de répliquer,)° que M e Gerbier savait aussi bien que moi qu’il n’y avait ai ici ni règlement qui soumit les auteurs a paver ni l’orchestre, ni les ballets, ni l’illumination, ni les pauvres ; mais qu’il esl dii seulement dans le— règlements qu’après tous les objets de d&pensi journalière acquittés par In Comédie, lu somme qui reste rn ceci tir sera dit isi e i n m uf pm ta, dont huit appartii ndront aux n, , , , , , ii, us. 1 1 In n, mi, un u l’autt nr : d’où il résulte que le neuvième de l’auteur doit m— prélever ml sur la recette entière appartenant aux comédiens, loin Irais journaliers acquittés par eux. Or, une portion de ces Irais journalier— étanl cette somme de cent quatre-vingt-cinq livresque la Comédie paye aux pauvre-, je n’entends pas bien par quel principe les comédiens prétendraient faire passer a l’auteur, dans leurs frais journaliers, sur le pied de six cent dix livres quatorze sous sept deniers de dépense, un impôt qui ne leur coûte à eux-mêmes que cenl quatre-vingt-cinq livres par jour. C’esl faire payer aux auteurs, sur le pied de cenl quatre-vingt-dix-huit mille livres par an, ce qu’ils ni’payent que soixante mille livres. Il 3 a cul trente-huil mille livre— d’erreur sur cel article, au préjudice des ailleurs. •J" une h les comédiens se sont rendus fermiers des pauvres sur le débet de leur quart, ils se sont aus^i rendus fermiers des riches sur la n cille des petites loges ; nr on sail bien qu’afin de louer ces loges pour tous les jours de l’année, ils donnent sur le pied de deux livres dix sous par jour trois cenl vingt places, dont plus delà moitié auraient rendu -i livres chacune. Imiles les l’ois que les nouveautés attirent du monde, si ces place— eussent été laissées au public ; cl si l’argument de p Gerbier esl bon, qui dit qu’< » cas de perte sur nu abonnement annuel, que in Comédie mu, /nui [nu, partager aux auteurs, ceux-ci seraient bien fondés à rejeter l’abonnement comme chose étrangère à eux, ils ont donc le droit rigoureux, suivant Me  Gerbier lui-même, de rejeter cet abonnement de petites loges, et de demander compte aux comédiens de trois cent vingt places, partie sur le pied de six livres, qui rendraient de seize à dix-huit cents livres par jour, au lieu de huit cents livres que la Comédie leur passe : car il n’y aurait ni raison ni équité de prétendre forcer un auteur à entrer dans l’abonnement annuel des petites loges, qui lui fait perdre gros, en refusant de l’admettre à celui des hôpitaux, où il y a quelque bénéfice à faire.

« Ne trouvez donc pas mauvais, ai-je continué, que nous usions de votre propre argument pour démontrer que notre réclamation sur le quart des pauvres est non-seulement juste, mais tout entière à l’avantage de la Corne. lie : car si l’on nous renvoyait en l’état de payer les hôpitaux, ri de toucher franchement toute la recette, sans entrer dans aucun affermage des pauvres ni des riches, il y aurait cent pour cent de gain sur le marché poulies auteurs.

« Quatrième article du bordereau de la Comédie. A. trois cents livres de Irais par jour, trente-deux représentations font neuf mille six cents livres.

« Je me rappelle ici, messieurs, ai-je dit, que la Comédie, dans sa première réponse, a proposé la modicité de cette dépense comme une compensation du même prix de trois cents livres auquel elle réduisait vaguement le produit des [" tites loges par jour ; et ma réplique lut qu’un compte exact de la dépense valait mieux qu’une altération obscure de la recette, pour servir de compensation a cette dépense aussi vaguement altérée:je crois donc devoir en fixer arithmétiquemeut les rapports devant l’Assemblée.

« En examinant le compte de la Comédie, j’ai trouvé pour trois années, au total de la dépi use, un million vingt-trois nulle quatre cent soixante-seize livres, faisant pour chaque année trois cent quarante et un mille cent cinquante-huit livres en nombre rond, dont j’ai cru devoir retrancher douze articles abusivement portés en dépense, faisant ensemble une somme de cent sept mille quatre cent deux livres ; ce qui réduit la dépense réelle de chaque année à deux cent trente-trois mille sept cent cinquante-six livres. Alors, usant du diviseur 324, établi pour extraire de tout ce qui est annuel la recette ou la dépense journalière, j’ai cru reconnaître évidemment que les frais journaliers dans lesquels les auteurs doivent entrer pour un neuvième montent à sept cent vingtune livres, le quart des pauvres compris, et en supposant encore que tous les articles portés sur oient exacts, ce que je me propose d’examiner. Puis, retranchant de cette dépense journalière de sept cent vingt-une livres la somme décent quatre-vingt-cinq livres pour le quart des pauvres, RENDU. G09

je suis arrivé à la solution exacte du problème des liai— intérieurs de la Comédie, qui se montent à cinq cent trente-six livres par jour. « Ainsi la Comédie, selon moi, se proposant de compenser les petites loges par la dépense journalière, sans le quart des pauvres, se trompe encore, au préjudice des auteurs, de deux cent soixante-quatre livres par jour. !  ! •■ quoi ! messieurs, pas un seul article sans perte ? A cela M Gerbier a répondu, pour la Comédie, que sur les douze articles retranchés par moi de la dépense, et montant par année à cent sept mille quatre cents livres, la Comédie passait condamnation sur six, comme justement taxés par moi d’erreur, de double ou de faux emploi; lesquels -’"’lit:

Soldats assistants 4, 3i8 1. 6s. 8d. Jetons du répertoire 9, 101

Jetons de lectures 7, 492

Parts d’auteurs 14, 386

— i la ci ur 7, 021 6 Capitation et f; .0 s n iitucli.’s 1, 542 n l

Mais il a fait observer que les six autres articles, qui sont :

Pensions d’auteurs retirés… 18, 9021. S s. » d. Tensions d’employés retirés 337 » u Reutes constituées 24, 753 6 S

I s des fuuds d’acteurs..

I Ln/tcurs 9, 110

Jetons aux pensionnaires 1, 800 »

Il a fait observer, dis-je, que ces six articles d vaieut rentrer dans les dépenses journalier, s. Mu— ce n’étaient pas de simples aperçus qui pouvaient militer contre l’étude approfondie que j’avais laite des objets mal portés en dépense aux auteurs, et qu’il en fallait soustraire. Pour le prouver, je me hâtai d’en discuter le plus fort article en leur présence, celui des vingt-cinq mille livres de rentes constituées par la Comédie. Vous vous rappelez, messieurs, qu’en 1761, lors’!’■ l’enregistrement de l’acte de société des comédiens et des li lires patentes, le roi étant venu au secours de la Comédie, qu’un désordre antérieur avait endettée de quatre cent quatrevingt-sept mille livres, elle se trouva, grâce à la générosité de Sa Majesté, ne plus devoii soixante-dix-neuf mille livres. Vous vous aussi que les abonnements à vie, vendus trois mille livres chacun par la Comédie, avec la permission du roi (et qu’on dit être au nombre de dix), ont fait rentrer alors à la Comédie nue somme de trente mille livres, applicable au payement du reliquat de ses dettes, ce qui les réduisait en 17f>4 à cent quarante-neuf mille livres, sans compter tous les fond— destinés parles lettres patenti — à ci même acquittement, et qui sont provenus depuis des parts ou portions de part de comédiens morts ou retirés, mises en séquestre jusqu’au remplacement des acteurs ; ce qui, en seize années, a dû éteindre, et au delà, les cent quarante-neuf mille livres que la Comédie redevait alors.

s Néanmoins la Comédie présente aux auteurs, un 1780, pour vingt-cinq mille livres de rentes par elle constituées, au payement desquelles elle prétend les forcer d’entrer pour un neuvième : d’où l’on voit, messieurs, qu’au lieu d’avoir payé les cent quarante-neuf mille livres qu’elle devait en 1764, la Comédie a t’ait depuis pour six cent mille livres de dettes en quinze ou seize ans, malgré une recette annuelle de plus de sept ceut vingt mille livres. Qu’en doit-on conclure ?

• Ou ces six cent mille livres empruntées ont un emploi fructueux, et alors cri emploi compense t-t au delà l’intérêt de l’emprunt ; ou cel est le fruit d’un nouveau désordre : alors il encore plus étranger aux auteurs. Un pareil abus pourrait se propager à l’infini ; il dénoir nu vire actuel cl toujours subsistant dan.— l’administration du spectacle : au, si, loin d’entrer danstes dépenses les ailleurs sont-ils en droil de 1’S écarter, tant qu’on ne leur expliquera pas clairement à quel litre on a emprunté six cent mille livres en quinze ans, et ce qu’elles sont devenues. Voilà pourquoi je les ai rejetées de l’état des dépensi. ius les autres articles, messieurs, étaient soumisau même examen, il pourrai ! bien se trouver sur chacun d’eux un pareil abus. Jetons un coup d’œil sur l’article appelé feux d’acteurs, i tant à neuf mille cent dix livres. Ou ce nom serl à couvrir une rétribution que chaque acteur prend sur la masse des bénéfices, alors c’est un article de recette pour la Comédie, et non une dépense ; il y a faux emploi ; ou ce sont réellement des bois achetées pour le chauffage, cela en lait environ quatre cents voies, sans les feux généraux des foyers, des poêles, etc., qui se montent, suivant l’étal de la Comédie, à trois mille livres ou cent trente voies de bois ; cela ferait doue en tout cinq cent trente voies pour chaque hiver a la Comédie : lussi improbable que les si cent nulle livres de dettes cou I raclées en quinze ans. u Enfin, profitant du silence de l’assemblée, que celle manière austère cl juste de compter étonnait un peu, j’ai ajoute sans m’arrêter : « Un mol aussi, messieurs, sur les pensions d’acteurs retin . Cet article, qui monte à dix-neuf mille livres, demenl étranger aux auteurs.

« La Comédie gagne par an (j compris le neuunie des auteurs, et ses dépenses payci cenl quaire-vingl trois mille six cenl soixante dix sepl livres douze sous, si les auteurs vivants partagcaienl tous les jours de l’( ée le neuvième de celle |V, elle, il, I on, Ile r.’l i en I pal’.111 cinqil.’lille trois mille sepl cenl quarante-deux livres ; mais, suivant les comptes donnés parla Comédie pour trois années, le ailleurs vivants n’ont louche par an que quatorze, mille trois cent quatre-vingt-six livres de neuvièmes : il esl donc resté aux comédiens, pour leur héritage des auteurs morts ou ne partageant plus, et eu pur gain alors sur tous les neuvièmes d’une année, trente-neuf mille trois cent cinquaute-six livres. Cette somme, prise —iules auteurs retires, est plus que suffisante pour payer dix-neuf mille livres de pension aux acteurs retires, car ici l’emploi se trouve identique : il reste encore sur cet objet plus de vingt mille livres de bénéfice aux comédiens en exercice, ainsi du reste.

c Mais je m’aperçois, leur dis-je en me reprenant, que la Comédie voit avec chagrin qu’on porte une inquisition aussi sévère sur ses affaires intérieures : je lui avoue a mou tour que c’esl avec peine que je ni’v livre, et que j’entrerai volontiers dans tous les moyens décents de lui épargner cette recherche, qui pourrait se renouveler désagréablement pour elle à chaque décompte d’auteur ; car ils eu oui le droit rigoureux. ne fut rien conclu dans celle séance, non plus que dans beaucoup d’autres conférences particulières entre les conseils de la Comédie el moi. M e Gerbier, voyanl qu’il notait pas possible de rn’entamer en détail, proposa de trancher en gros sur toutes les difficultés, en faisant une masse de la différence que tous les objets contestés pouvaient produire, el se relâchant ensuite de part et d’autre de la moitié de celte masse. Je n’acceptai point celle offre, parce qu’elle ne lil aucun point fixe qui pût servir dan— la suite île ba >e aux comptes qui seraient a faire avec les auteurs, ce qui était le principal but de mes travaux ; el parce que ceux-ci avaient trop à perdre dans le sacrifice qu’on leur demandait. Après avoir cherché, proposé, débattu plusieurs autres idées de conciliation, y avoir même appelé de nouveau les, mires membres du conseil et les députe, de la Comédie, pour en d avec eux, ou s’est enfin unanimement fixé, dans le conseil de l.i Comédie, àme proposer de faire justice aux auteurs :

° Sur les six premiers articles par moi retranches des dépenses, el montant a peu près a quarante-quatre mille livres ;

•i" De convenir avec moi d’un examen ultérieur sur l’article’le i cenl mille li res de délies, 1e la Comédie, el autres articles retranchés par moi, pour juger en connaissance « le cause s’ils fout partie ou non, le la dépense que les auteurs doiveul supporter ;

° Me ne faire supporter aux auteurs Je neuvième du quart des pauvres que sur le pied de l’abonnement annuel ;

i° De leur ( « u i i— un e |, ie rx.ict du produit il--, petites loges, suivant la teneur de leurs baux ; au moyen, 1e quoi ll le, ailleurs a’élèveraie il plus de difficultés sur Ions les articles ded— peu l, qui demeuraient fixés par mon examen, le droit d’examen de tous les chefs de dépense m’ayant fait accepter les conditions offertes.

M Gerbier a conseillé à toute la Comédie de 1 1 1’réfléchir sur cet exposé, sur le —vœu de ses cous* il i nédiens députés, qui ont eu la connaissance la pli le tous mes calculs ; et de prendre une délibération qui. dans la position des choses, ne pouvait plus être que de souscrire à ce plan d’arrangement, ou de plaider avec les auteurs.

Sur quoi, le 1 er mars 1780, la matière mise en délibération, il a été arrêté, à l’unanimité absolue de la Comédie e1 de ses conseils, que, pour donner à MM. les auteurs une preuve du désir qu’ont les ms de vivre en paix avec eux, et d’éviter toute espèce de procès, la Comédie adopte le plan d’arrangement ci-dessus ; mais on a veri ajouté que son engagement à cet égard ne peut avoir lieu que pour les comptes à faire par la suite, et pour les comptes seulement qui restent a finir avec ceux de MM. les auteurs qui n’ont pas encore touché leur neuvième.

J’ai l’ait observer à mon tour que, d’après la discussion que je venais i articles —in bordereau de la Comédie pour le Bm’ ■Mail évident qu’il en résultait pour l’auteur une perte de plus d’un ti — droits ; et que, sur l’assurance que la Comédie m’avait donnée que ce décompte était modelé sur les décomptes envoyés par elle aux auteurs, on devait conclure que depuis trente ans chaque auteur, ayant reçu un pareil bordereau, avait souffert une pareille perte ;

Que dans tous les tribunaux du monde, où l’erreur de compte ni’se couvre point, et l’usurpation ne prescrit jamais, la restitution que j’obtenais pour moi devenait un titre de réclamation pour tous les auteurs qu’on avait trompés sciemment ou par erreur, dans tous les comptes rendus de leur droit de partage ; que le sacrifice que l’on demandait de toutes les distractions que la Comédie s’était permises à leur préjudice était un ip considérable pour que je prisse sur moi de l’imposer aux auteurs, à l’instant même où je venais d’en démontrer et l’existence et l’étendue ; qu’en conséquence je ne prenais en leur nom d’engagement à cet égard que pour l’avenir, laissant à chacun des auteurs qui avaient terminé leur compte avec la Comédie le droit de réclamer, s’ils le jugeaient à propos, ce qui leur a été retranché injustement de leur part dans les produits, ainsi que je venais de le faire pour moi-même : ce qui, j’espérais, n’arriverait pas, si l’accord à l’amiable s’exécutait de bonne foi. Cette assemblée n’a rien terminé de positif. Mais le dimanche 5 mars 1780, la Comédie ayant député sept de ses membres pour assurer aux quatre commissaires de la littérature, en présence de fout son conseil assemble chez M’Gerl l’intention de la Comédie était de termii miabledces conditions, dont il serait fait m i, j’ai répondu qu’en acceptant cet arrangement pour les auteurs, je voyais sister encore dans ce plan même le germe de perpétuelles difficultés, parce que l’on ne pourrait ôter à chaque auteur le droit d’examiner tous les chefs de dépense en comptant avec la Comédie ; qu’à la vérité il n’y aurait plus de contestation sur les objets dei ette qui n’étaient que de i brements de celle de la porte, dans laquelle ils rentraient tous, suivant le produit réel, et comme en ayant été abusivement retranchés ; mais que j’aurais bien désiré qu’une pareille iixilé put être établie sur les objets de dépense, atiu de tirer la Comédie du danger d’une inquisition future qui ne pourrait que lui déplaire, et lui susciter sou-ut beaucoup d’embarras.

Enfin, frappé comme d’un coup de lumière, j’ai proposé à l’assemblée de chercher une somme moyenne, et d’y fixer les frais journaliers de la , dont chaque auteur à l’avenir supporterait le neuvième sans examen ni contesti ; au moyen de quoi le décompte de chaque pii rait très-aisément.

Tout le monde applaudit : on me demande quel est. mon mot. Je réponds que, mes calculs m’ayant donné cinq cent vingt-trois livres de frais journapropose cette somme comme la plus juste qui me vienne à l’esprit.

M Gerbier prie les quatre commissaires île la littérature de passer dans une autre pièi que les sept comédiens puissent délibérer avec leurs conseils.

Mais, en rentrant, on se trouve plus éloigné que jamais ; et M Gerbier soutient le refus J des comédiens, par l’argument que la masse totale désirais, tels que la Comédie les a toujours comptés aux auteurs, se monte à plus de treize cents livres par jour ; que, ma plus grande réduction les portant à cinq cent vingt-trois livres, le moyen terme ne pouvait être cette somme ainsi réduite, mais un milieu entre les deux sommes.

Et moi, qui vois qu’on oublie le principe, je me hâte de leur rappeler qu’ils prennent l’abus pour la loi ; que, par les données et discussions qu’on a vues, la surpaye du quart des pauvres, la, i citant rptrwri’autwr d’uni fauss compensation entre la recette despetites loges et la dépense journi 1 tranckêspar eux de la dép*

eu double emploi, devant être proscrits, puisqu’ils étaient le fondement trop réel de justes réclamations des auteurs dramatiques, il ne fallait chercher un moyen terme entre mon résultat et celui de la Comédie qu’après que tous ces objets r vicieux seraient absolument rejetés du compte ; que’. MM. les comédiens étant de plus convenus prudemment d’eu retrancher aussi les intérêts de l’emprunt abusif de six cent mille livres, je trouvais, moi, que le résultat donnait pour la dépense journalière (non compris le quart des pauvres) cinq cent trente-six livres, qui pourraient encore se trouver réduites lorsque j’en scruterais avec soin les détails ; que, pour finir à l’amiable, je consentais à porter les frais journaliers pour l’avenir à cinq cent soixante livres, mais que je n’irais pas au delà.

Alors M. Jabineau l’avocat s’étant écrié : Messieurs, six cuits livres ! c’est le double de ce qui estfixépar l’ancien arrêt du conseil pour les frais journaliers, et les comédiens seront contents, chacun s’est réuni à son cri de six cents livres, même les (rois autres commissaires des auteurs, qui ont voulu faire un dernier sacrifice à la paix ; en sorte que, malgré ma résistance trop bien fondée, je me suis vu forcé il v accéder, et de passer les irais a >ix cents livres par jour.

L’on est convenu de proposera la Comédie le résultai de cette dernière assemblée, pour qu’elle réfléchît encore une Pus sur le parti qu’elle devait prendre.

Ce qui suit est copié su, l’acte conciliatoire entre les auteurs et les comédiens, tel qu’ilesi annexée la minute de l’arrêt du conseil du 1 2 mai 1780. Cejourd’hui 11 mars 1780, la matière mise en " délibération, il a été arrêté, à l’unanimité absolut v de la Comédie et de ses conseils, que, pour donner > a MM. les auteurs une preuve d’égards, de con• sidération, et du désir sincère qu’ont les co• médiens de leur faire justice, el d’éviter toutes " sortes de procès el de difficultés avec eux, la < Comédie adopte en entier le plan d’arrangemenl s concerté entre son conseil, ses propres députés, " el MM. Saurin, Marmonlel, Sedaine el Caron •/< i Beaumarchais, comme commissaires et députés " « le MM. les auteurs, dont ils ont été priés de « ■joindre à cet acte les pouvoirs de transiger en < « leur nom ; en conséquence, il a été arrêté el fixé < « ce qui suit :

« I » A compter « le ce jour, soit pour les pièces " nouvelles qui seront jouées à l’avenir, soil pour celles donl les auteurs n’ont pas encore touché l « nr m uvième, tous les frais journaliers el ordinaircs de la Comédie demeureronl fixés, par « chaque jour de représentation, à la si. mine.le (i six cents livres, laquelle somme sera prélevée ur " la recclte brute du spectacle, ainsi que le quarl di pauvres, donl il va être parle ; et le neuvième, douzii nu dix-huitièi lu restant du ■ produil nel suivant l’étend les pièces) appar" tiendra à chaque auteur, tanl qu’il aura droil au partage avec les comédiens.

» —" Par i-appoii aux irais extraordinaires, la ’le’eu traitera avec l’auteur à l’amiable, " lorsqu’il sera question de mettre la pièceà l’élu. le " pour la représenter ; et, dans le cas où l’auli ur ci croira ces frais el embellissements nécessaires (. au succès de son ouvrage, il est arrêlé qu’il euii tre’ra pour un quinzième dans lesilits Irais ex.. traordinaires, el celte convention sera inscrite ci sur le registre des lectures, et signée par l’auleur.

« 3° Les auteurs supporteront en outre le neuvieme île la somme journalière à laquelle se n trouvera monter l’abonnement présent ou futur « que la Comédie a fait ou fera du droit des pauvres avec les hôpitaux, en li 1 divisant par trois ci cent vingt-quatre représentations, nombre cornée mun des jours de spectacle d’une année. " i° La masse de la recette journalière sera com(i posée non-seulement de ce qu’on reçoit casuelleuieiit à la poite, mais de ce que produiront les ii loges louées par représentation, les loges louées ci à l’année sur le pied de leurs baux annuels. raci mené, au produit journalier par le même divi .’seiir 324, c me à l’article précédent, le produit ce évalué sur le pied de l’intérêt à dix pour cent des « abonnements à vie ; etenfin « le tout ce qui forme « .les parties intégrantes de la recette entière du " spectacle, sous quelque dénomination qu’elle se ce perçoive, suivant la lettre et l’esprit de tous les ci règlements ; dans laquelle masse l’auteur prendra son neuvième net (déduction faite des frais « expliqués ci-dessus), tant qu’il aura droit au parci tage avec les comédiens, suivant le présent décompte.

c o" One, dérogeanl à tous usages contraires à ci la présente délibération, sur tous les points conc. tenus en elle, el polir >er il’d’exemple el île " modèle à tous les décomptes futurs’, soit des ci auteurs dont on donnera des pièces nouvelles, soil île ceux qui n’ont pas eu. oie reçu leur neiic « vième, le décompte particulier du Barbier de c Séi illi, fait sur le plan, les principes el les douce nées ci-dessus expliqués, sera annexe à la suite i ; du compte de ce qui reoient à l’auteur du Barbier de Séie sur le produit de quarante-six représentation, !./ tte pièce.

IECETTE DRI’TE.

Produit des recettes à la

porte, pour tes quarante six représentations

Produitdes petites loj e

Abonnements à vie, au nom bre de neul à ■ Oi ■ liv

de principal, et représen

tant chacun une rente via

gère de 300 liv., ou, au

total, une o ic annuelle

de 2, 71 " liv., laquelle di visée par 324, diviseur

commun des différent

lictes de r itte ou dépense

annuelle, donne un produit

journalier de S I. 6 s, 8d. :

pour quarante m repré sentatious

, 901 1.15s

A reporter. de la présente délibération, pour y avoir recours en cas de besoin.

« Et pour que la présente délibération ait toute l’authenticité nécessaire, elle sera présentée à MM. les premiers gentilshommes de la chambre du roi, en les suppliant de vouloir bien l’agréer et confirmer ; puis il en sera fait deux copies, dont l’une sera annexée aux registres de la Comédie, et l’autre, signée de tous les comédiens, sera remise à MM. les commissaires des auteurs dramatiques, pour, à l’avenir, avoir forme et force de loi.

« Fait et arrêté dans l’assemblée de la Comédie, « tenue dans la salle des Tuileries, le dimanche 1 1 « mars 1780.

Conseil ! S ^ « 6 Co’ » ’L’J — Chausse-Pierre, Jabineau, ’’’l de la Yoiile, Gerbier, Brunet. i Préville, Brisard, Bouret, Vanhoae, Desessarts, Bellecour, Fleury, Mole, Drouin, Pré Me, Vestris, Suin, Dugazon, Courville, Luzzi, Dazincourt, Dorioal, Pontkeuil, Bellement, Contai, Doligny, Lachassagne. « Vu et approuvé pour avoir son exécution, à « Paris, ce 31 mars 1780. WS " Le maréchal duc de Duras.

« Le maréchal duc de Richelieu. » Je remis aux comédiens le décompte de ma pièce, pour être écrit sur les registres de la Comédie, et servir de modèle aux décomptes futurs, avec parole de le signer sur ce registre quand on m’avertirait qu’il y était inscrit, et d’y transporter aussi le pouvoir donné par tous les auteurs à leurs commissaires, pour terminer en leur nom, comme nous venions de le faire.

Ainsi l’accord semblait tellement arrêté, que Report 130, 6081. 2s. Cd.

DÉPENSE A SOUSTRAIRE.

Quart des hôpitaux, lequel,

étant fixé à 60, 000 livres

par an, et disisè par 324,

’I ■ par jour 185 1. 3 s.

S d., et pour quarante-six

représentations 8, 5181. 8 s. 8 d. Frais journaliers fixés a 600

livres : quaraute-six repré seutations 21, 000 »

PRODUIT MET 94, 489

Dont le neuvième pour le

droit d’auteur est de 10, 408

FRAIS EXTRAORDINAIRES.

soldats à 20 sous… 184 • » Frais de théâtre, à 4 liv. par jour : quarante-six repré se itations 184 « »

»

Dout le quinzième seulement

à déduire sur le dr 1 au teur est 24

H est dû a M. de Beaumarchais, tous frais faits. 10, 174 chacun se félicite, el dit en se serrant la marn : l oilù <i<<iii— tout fini ; el moi, bonhomme ainsi que mes confrères, je dis avec les autres : Voilà donc tout fini : mais quelqu’un du conseil de la Comédie souriait dans sa barbe, et grommelait en lui-même : Et moi je dis que tout n’est pas fini. Il s’en fallait beaucoup que toul le fût, el nous connaissions mal les gens avec qui nous traitions ! Je me suis dit plus d’une fois : Est-ce donc une chose si naturelle et tellement inhérente à la Comédie, de ne pouvoir vivre et prospérer sans piller les auteurs, que des droits bien reconnus, une discussion profonde, un décompte exact, et enfin un accord signé de tous, ne puissent arrêter cette fureur d’usurper ! Cl croira-t-on que dans ce même cabinet deM e Gerbier, où nous fondions un accord public sur d’aussi grands sacrifices d’auteurs, et dans le moment même où nous le terminions, on travaillait à minuter sourdement un arrêt du conseil (qu’on se gardait bien de nous communiquer), par les clauses duquel on était bien sûr de regagner sur les auteurs deux l’ois plus que mes travaux ne venaient de forcer les comédiens de leur restituer ?

O comédiens ! les gens de lettres, qui sont les distributeurs des réputations, se taisent sur votre compte, ou ne parlent pas trop bien de vous : comment n’avez-vous su qu’aliéner les seuls hommes capables de vous rendre par leurs écrits ce que le préjugé vous refuse, la considération publique ? Vous êtes applaudis comme gens à talent : pourquoi ne voulez-vous pas être loue— comme une société de gens honnêtes, la seule chose qu’il vous importe aujourd’hui d’acquérir ? En effet, trois semaines après la signature de l’accord, les auteurs apprennent qu’un nouvel arrêt du conseil existe (2a avril 1780). On en fait un grand mystère ; et ce ne lut que plus d’un mois après qu’il eut été lu à la Comédie, que je parvins à en obtenir une copie. On citait entre autres l’article 7, dont quelqu’un avait fait le relevé.

« Art. 7. Les sommes au-dessous desquelles les « pièces seront censées être tombées dans les régies demeureront fixées, comuB elles l’étaient dans « l’ancien règlement, à douze cents livres pour les représentations d’hiver, età huit cents livres pour « les représentations d’été… » Arrêtons-nous un moment : ceci mérite un double examen.

Cet article 7 semblait d’abord n’être fait que pour rappeler, confir r, donner enfin tore,’de lui à l’usurpation sur les ailleurs insérée en 1737 dans un règlement non communiqué, lequel avait abusivement port.’la chute dans les règle— ;, de cinq cents livres, où elle était depuis cent ans, à la somme de douze cents livre-. Voilà bien la confirmation d’un règlement secret que l’on veut appuyer en 1780, après vingt-trois ans d’abus, de l’autorité d’un arrêt du conseil.

Usurpation, possession, oubli du principe, sanction, voilà comment les trois quarts des droits s’établissent.

Mais pourquoi s’arrêter en si beau chemin ? ont dit les comédiens. En coûterait-il plus de sanctionner tout de suite une autre usurpation nouvelle et du même genre ? Les auteurs sont bonnes gens, essayons ; et l’on a fait ainsi la suite de l’article :

« … sans que pour le calcul de ces sommes (douze cents livres et huit cents livres) on puisse demander d’autre compte que celui de la recette qui se fait à la porte. »

Certes, cette phrase n’est la confirmation d’aucun article existant, d’aucun règlement quelconque ; ici l’on saute à pieds joints par-dessus la pudeur et l’honnêteté, pour donner, pendant qu’on y est, la même sanction d’un arrêt à un autre abus introduit sourdement à la Comédie depuis celui des petites loges.

Ainsi les comédiens, assistés de leurs conseils, qui avaient déjà diminué le sort des auteurs de plus de moitié, en faisant glisser en 1757, dans le règlement non communiqué, que la chute dans les règles (alors au-dessous de cinq cents livres) aurait lieu pour l’avenir lorsque les pièces tomberaient à douze cents livres de recette ; ainsi les comédiens, dis-je, profitant de ce que le silence, la faiblesse ou la bonhomie des auteurs avaient laissé passer et subsister cet abus, essayent, en 1780, non-seulement de sanctionner par un arrêt l’ancien accroissement abusif de cinq cents livres à douze cents livres, mais encore de porter tout d’un coup, par un second accroissement plus abusif, la somme de douze cents livres à celle de deux mille livres ; car douze cents livres prises sur la seule recette de la porte, et huit cents livres de la recette des petites loges (oubliées dans ce dernier compte), font tomber les pièces dans les règles justement à la somme de deux mille livres de recette entière.

Ainsi (car on ne peut le présenter sous trop de faces) les auteurs, à qui je venais de faire restituer, par la sévérité de mes calculs, plus d’un tiers de leurs droits usurpés sur le compte abusif de chaque représentation, reperdaient tout d’un coup, par cet article d’arrêt, sur leurs droits entiers, les deux tiers retranchés du nombre des représentations, car si, pour tomber dans les règles à douze cents livres de recette, et perdre sa propriété, un auteur avait pu jouir du fruit de vingt séances, il n’en devait plus espérer que douze, attendu que douze cents livres sont à deux mille livres de recette comme vingt représentations sont à douze. Ici la preuve est complète de la plus mauvaise volonté, de quelque part qu’elle vienne ; et les gens de lettres auraient dû me regarder comme un lâche complice de cette usurpation, si je l’avais passée sous silence.

Outré d’une pareille conduite et muni de cet étrange arrêt, je vais à Versailles (26 avril 1780) faire les plus vives représentations à M. Amelot. J’explique le motif de ma plainte, et j’apprends que le ministre, étranger à tous ces détails, avait regardé le projet d’arrêt qu’on lui avait présenté comme le résultat de notre accord avec la Comédie. Eh ! comment le ministre ne s’y serait-il pas trompé ? M. Jabineau, avocat, et conseil de la Comédie, en apportant le projet à Versailles, avait assuré qu’il était minuté de concert avec moi, ce qui l’avait fait expédier sans difficulté.

Non-seulement les conseils de la Comédie l’avaient assuré au ministre, mais ils en avaient tellement imposé à M. le maréchal de Duras, qu’ils étaient parvenus à lui faire écrire à M. Amelot que cet arrêt était fait de concert avec les auteurs ; tandis qu’il est bien prouvé qu’aucun d’eux n’en avait jamais eu connaissance. On alla même jusqu’à publier à Paris que j’avais donné les mains ou présidé secrètement à sa rédaction.

Cette ruse tendait à m’attirer les reproches des auteurs, et à me faire abandonner leurs intérêts par l’indignation d’une pareille injure.

En effet, mes confrères m’en parlèrent avec amertume. Ce trait de ma part leur paraissait l’accomplissement des avis qu’on leur avait fait donner plusieurs fois, que je m’entendais avec les supérieurs de la Comédie pour jouer les gens de lettres.

J’avais désabusé le ministre ; je désabusai mes confrères, en souriant avec eux de la maladresse de nos adversaires ; et je courus, le 2 mai 1780, chez M. le maréchal de Duras, qui, toujours rempli de son ancienne bienveillance, et me voyant si bien instruit des moyens qu’on avait employés pour tromperie ministre, voulut bien me dire que la chose n’était pas sans remède, et que si je lui communiquais mes observations sur cet arrêt, il prierait lui-même M. Amelot d’en expédier un autre sur le nouveau plan que je projetterais.

En pareille occasion, perdre un moment eût été d’une imprudence impardonnable. Je fis mes observations sur l’arrêt dans la même journée ; et je pris la liberté de demander, dès le second jour, un nouveau rendez-vous à M. le maréchal de Duras, qui eut l’égard délicat de me l’accorder pour le lendemain 4 mai. Je m’y rendis, accompagné de MM. Saurin, Marmontel et Sedaine, commissaires, et de MM. Bret, Duvit, Chamfort et Gudin, nos confrères ; car je me faisais un point d’honneur d’être lavé devant eux, par l’attestation de M. le maréchal de Duras, de la fausse imputation d’avoir connu un seul mot de cet arrêt injuste avant son expédition.

Ce premier point bien éclairci, nous présentâmes nos observations sur l’arrêt ; et M. le maréchal les trouva si justes, qu’il voulut bien nous réitérer l’assurance de signer la rédaction du nouveau projet d’arrêt aussitôt que je l’aurais achevée sur ce nouveau plan ; ajoutant qu’il avait déclaré la veille, à l’Académie française, qu’il était l’ennemi juré des injustices que les comédiens faisaient aux gens de lettres. Il n’y eut donc encore que des grâces à lui rendre.

Je revins achever la nouvelle rédaction ; et le 6 mai 1780, jour que M. le maréchal m’assigna pour la lui porter, M. des Entelles, intendant des menus, et deux des premiers comédiens français, MM. Préville et Monvel, s’étant trouvés comme par hasard chez lui, je le suppliai de les admettre à la lecture que j’allais lui faire du projet d’arrêt, désirant ne rien dissimuler à personne de mes travaux ni de leurs motifs.

À la lecture de l’article 7, le plus important de tous, M. Préville fit une observation qui me force à le rapporter ici tel que je l’avais rédigé.

« Art. 7. Les sommes au-dessous desquelles les pièces seront tombées dans les règles demeureront fixées, comme elles étaient dans l’ancien règlement, à douze cents livres pour les représentations d’hiver, et huit cents livres pour les représentations d’été. Bien entendu que, pour ce calcul, toutes les recettes brutes, sans aucune déduction de frais, et sous quelque dénomination que ce soit, rentrent dans la recette brute de la porte, dont elles ont été successivement retranchées. Et cela selon la lettre et l’esprit de l’accord fait entre les auteurs et les comédiens, signé d’eux tous, des premiers gentilshommes de la chambre, approuvé, confirmé par S. M., et annexe au présent arrêt. >> M. Préville remarqua donc que, vu l’abondance de la recette ordinaire, si la Comédie était forcée de jouer les pièces nouvelles jusqu’à ce qu’elles tombassent à douze cents livres de recette entière, le public, las de les voir si longtemps, abandonnerait le spectacle : car, y ayant déjà huit cents livres de recette par jour en petites loges, aucune pièce ne pouvait plus tomber l’été dans les règles ; et l’hiver elles y tomberaient tout aussi peu, puisque la plus mauvaise pièce donnerait au moins quatre cents livres de recette casuelle à la porte : ce qu’il ne disait pas, ajouta-t-il, pour toucher à la propriété des auteurs, mais afin qu’on cherchai un moyen d’empêcher une pièce usée pour le public de traîner longtemps à la plus basse recette. Je repondis que la remarque était juste, et qu’il ne fallait pas que le public souffrît de la loi qui fixait la propriété des auteurs à un certain taux ; mais que cet inconvénient ne venant que d’une recette constamment abondante-, et qui donnait chaque jour un produit assuré plus considérable que les frais du spectacle, il y avait un moyen simple de ménager tous les intérêts, qui était de restituer au droit des auteurs, sur le fruit de chaque représentation, ce que le respect dû au public forcerait de retrancher sur le nombre des représentations.

Je rappelai encore ici le principe de la chute dans les règles, dont l’esprit n’avait pas été de dépouiller un auteur vivant dans la vue d’enrichir les comédiens, mais seulement de permettre à ces derniers de cesser de jouer une pièce lorsque la Comédie prouvait à l’auteur que le goût du public était usé sur l’ouvrage, puisqu’elle n’avait fait en recette que ses frais deux fois de suite, ou trois fois par intervalle : ce qu’il ne faut jamais oublier.

La chose fut bien débattue ; et enfin M. le maréchal me proposa, par esprit de conciliation, de porter à quinze cents livres de recette entière le terme où les comédiens pourraient cesser de jouer régulièrement une pièce nouvelle. Et moi, qui voulais la paix autant que lui, je consentis à ce sacrifice, à cette augmentation de cent écus en faveur de la Comédie, pourvu que l’auteur conservât son droit de propriété sur sa pièce, s’il plaisait un jour aux comédiens de la reprendre ; et ce tant qu’elle ne serait pas tombe i deux IV is de suit : i douze cents livres de recette, etc. J’écrivis sur-le-champ au bureau de M. le maréchal cette addition de clause à l’article 7, et elle me sembla le terminer à la satisfaction de tout le monde.

Pendant que je la rédigeais, les deux comédiens français s’entretinrent un moment dans une pièce voisine avec M. le maréchal ; et lorsqu’ils rentrèrent, on me demanda si, pour compenser cette conservation de propriété des auteurs, je ne consentirais pas que les pièces nouvelles fussent jouées de deux jours l’un, sans distinction de grands et de petits jours, afin d’aller plus vite, et, de représenter par an plus d’ouvrages nouveaux, ce qui plairait fort au public.

On craignait sans doute que je n’acceptasse point la proposition, car sitôt que je dis que je n’y voyais point d’inconvénient, M. le maréchal me proposa d’y soumettre les auteurs par ma signature, et comme chargé de leurs pouvoirs, etc. Je consentis à le faire, pourvu toutefois qu’on accoutumât le public à ce changement en rompant l’ordre des jours de la Comédie, et donnant sans distinction de grands et de petits jours, pendant trois ou quatre mois, des tragédies ou comédies anciennes, avant de soumettre à cette épreuve les ouvrages nouveaux : ce qui passa pour arrêté.

La rédaction de l’article fut faite tout de suite, et signée de moi pour les auteurs ; elle le fut aussi de M. le maréchal de Duras, et de MM. Préville et Monvel pour les comédiens. J’ai cette minute entre les mains ; et j’appuie sur ce mot, parce qu’on ne tardera pas à juger de quelle importance cette minute est devenue pour démêler l’intrigue élevée contre ce second arrêt du conseil.

Je fis mettre au net la minute entière du projet de l’arrêt ; le 9 mai, j’en portai l’expédition à M. le maréchal de Duras avec cette minute, pour les confronter ; et M. le maréchal, après en avoir pris lecture, écrivit de sa main au-dessous du dernier article immédiatement (je dis de sa main :

« Ce projet m’ayant été communiqué, je prie M. Amelot de vouloir bien veiller à son exécution.

« Paris, ce 9 mai 1780.

« Le maréchal duc de Duras. »

Et sur-le-champ, au même bureau de M. le maréchal, j’écrivis au-dessous de sa signature :

« Ce projet d’arrêt du conseil ayant été communiqué à l’assemblée des auteurs dramatiques, ils ont chargé le soussigné, l’un de leurs commissaires et représentants perpétuels, de supplier M. Amelot de vouloir bien lui faire donner la plus prompte expédition. Ce 9 mai 1780.

« Caron de Beaumarchais. »

Si ce n’est pas là marcher en règle, et conserver tous les égards, je n’ai plus aucune notion de la manière ouverte et franche dont on doit se comporter en affaire importante.

On fit un paquet du tout, qui fut envoyé à M. Amelot, à Versailles ; et M. le maréchal en était si content, que j’obtins, dans cette même séance, qu’en livrerait à mes observations un nouveau règlement ignoré des auteurs, et qu’on avait annexé au premier arrêt secret dont nous venions de réparer les torts, sous l’offre que je fis de n’insister vivement que sur les articles qui intéressaient personnellement les auteurs.

Ce reniement me fut remis deux jours après par M. des Entelles, intendant des menus. Je le trouvai fait absolument dans le même esprit que le premier arrêt du conseil non communiqué : partout un dessein formé d’asservir les auteurs aux comédiens, d’envahir leur droits et de les dégoûter du théâtre, comme gens dont on croit n’avoir plus aucun besoin pour vivre agréablement.

Presque tous les articles en lurent refondus sur le modèle du règlement dont on a lu le préambule dans ma première partie ; et le 12 mai 1780, M. le maréi hal de Duras, toujours plein de bienveillance, eu entendit la lecture devant quatorze auteurs dramatiques et l’intendant ou commissaire des menus. Itans celle assemblée, les articles subirent encore quelques retranchements et additions ; puis on en fil une seconde lecture publique ; et M. le maréchal de Duras, en ayant paraphé tous les bas des pages et additions en marge, arrêta i i l nient en ces tenues, el le signa : ii Vrrêté le présent règlemenl avec toutes les modifications et augmentations qu’il contient, tant dans le corps des articles que dans les marée, —, • et je prie M. Amelot de vouloir bien l’annexer tel qu’il est ne vai iztwi 1 1 arrit du conssil ilsxp ; (i dition duquel il donne ses soins actuellement.

« Ce limai 1780.

« Le maréchal duc de Duras.

Il est impossible de rien ajouter à la reconnaissance des auteurs et à la satisfaction qu’en ressentit M. le maréchal ; il porta la grâce et la bonté jusqu’à dire aux quatorze personnes qui le remerciaient : Puisqu vous êtes contents, messieurs, ce jour est le plus beau dt ma i U : et vous me trouverez inébranlable dans ces dispositions.

Cet arrêté, ces corrections, ces paraphes, cette signature, et ce que M. le maréchal avait écrit de sa main, au bas de l’arrêt, le 9 mai, et ces procédés touchants d’un chef respectable de la Comédie, ne doivent pas sortir de la mémoire du lecteur ; on en verra les conséquences avant peu

Je fis faire deux copies collationnées de ce règlement, tel qu’il venait d’être arrêté : l’une fut remise à M. le maréchal de Duras ; j’eus l’honneur d’envoyer l’autre à M. Amelot, le 13 mai, après en avoir certifié l’exactitude en ces mots, au-dessous de l’arrêté de M. le maréchal de Duras : Je soussigné, I un di s commissaires et représentants pi i pi in, is des auteurs dramatiques, certifie que l’original du prêsi ni i êgl nu nt, sigm, arrêh et paraph à toutes les pages, additions en marge, par M. h maréchal-duc de Lnims, en présence de quatorze députés de la littérature dramatique, aujourd’hui %mai 1780, est resté en dépôt dans mes mains, avec tous h s papii i s relatifs à la présente affaire, pour que je puisse répondre de la fidélité de la présente copù. que je certifie conforme à l’original.

Caron de Beaumarchais.

Je joignis dans le même paquet une copie collati iee de l’accord à l’amiable fait cidre les comédiens et les auteurs, signe de toutes les parties, pour être aussi annexée à l’arrêt du conseil que M. Amelot faisait expédier ; et le paquet fut adresse à M. Robinet, avec la lettre suivante : A Paris, i i 1180

ii J’ai l’honneur, monsieur, de vous adresser une u copie bien collationnée et certifiée véritable du i glement fait pour la Comédie française, el une ii copie aussi collationnée et certifiée de l’accord u entre les auteurs et les comédiens ; pour les deux (i pièces être annexées à la minute de Y arrêt du c conseil dont je suis chargé de vous renouveler la u demande en double expédition, l’une adressée à ii M. le maréchal-duc de Duras, vue la Comédie, et ci l’autre adressée à moipour le dépôt des auteurs dra(i matiques. Il ne nous restera que i<^ remercime ni-— a vous faire ; el Ion Ire entier des gens de « lettres me charge de vous les présenter d’avance, ii el de vous assurer de la très haute i onsidération et parfaite reconnaissance avec lesquelles nous avons l’honneur d’être, etc.

« Caron de Beaumarchais.
Pour tous les auteurs dramatiques.

« M. le maréchal de Duras vous renvoie ici le premier arrêt du conseil pour l’annihiler. »

M. le maréchal de Duras crut devoir écrire à M. Amelot, de son côté, pour le prier de lui adresser une lettre au nom du roi, par laquelle S. M. défi ndait à tous les comédiens, ou autres personnes, de faire aucune observation sur l’arrêt et le règlement actuels, tels qu’ils venaient de sortir, et ordonnait qu’on eût à les exécuter à la lettre, etc.

M. le maréchal espérait par là se mettre à couvert de nouvelles criailleries de la Comédie : il se trompait.

M. Amelot envoya, le 20 mai 1780, une expédition de l’arrêt, en parchemin, à M. le maréchal de Duras, et une autre semblable à moi, pour être conservée au dépôt des auteurs. Il écrivit à M. le maréchal, au nom du roi, la lettre demandée ; et M. le maréchal ordonna sur-le-champ l’impression de l’arrêt du conseil et du règlement y annexé : j’en ai vu les dernières épreuves entre les mains de M. des Entelles.

Puis tout à coup voilà les comédiens, les comédiennes, et les avocats leurs conseils, qui accourent chez M. le maréchal de Duras, et qui, malgré la lettre du ministre et la défense qu’elle contenait au nom du roi, le tourmentent sur tous les articles de l’arrêt dans lesquels ils se prétendent lésés. M. le maréchal, outré, leur déclare qu’il n’en veut plus entendre parler, et que, s’ils ont des observations à faire, ils peuvent s’adresser, s’ils l’osent, au ministre.

Leur douleur amère portait sur ce que les pièces de théâtre, disaient-ils, ne tomberaient plus dans les règles du vivant de leurs auteurs ; et de ce qu’ils n’auraient plus la liberté de traiter à forfait, c’est-à-dire d’acheter à fort bon marché les ouvrages qu’on leur présenterait à la lecture.

On conçoit combien M. le maréchal dut être irrité de cette conduite : il me fit inviter, par M. des Entelles, d’en aller raisonner avec lui (le 27 juin). J’eus l’honneur de l’engager de toutes mes forces à écouter les observations Jes couiéJioiis, parc qu’ils ne Jisputaient apparemment que faute Je les bien entenJre, et parce que c’est en quelque sorte altérer la bonté d’un acte que d’empêcher d’autorité les gens qu’il intéresse J’en discuter la teneur et Je la bien éclaircir. J’allai même jusqu’à lui représenter que messieurs ses collègues, moins fatigués que lui, verraient peut-être avec peine les coméJiens recourir à une autre autorité que la leur.

« L’article 7, qui les blesse le plus, lui dis-je, ne contient aucune innovation, si ce n’est un sacrifice de trois cents livres par représentation que vous nous ave/ engagés de faire à la Comédie pour le bien public, et que nous avons fait. La fin de cet article rappelle uniquement l’état naturel et la loi du droit d’auteur, expliquée dans tout le cours de l’article. Mais comme je venais d’admettre, au nom Jes auteurs, une restriction de trois cents livres sur nos droits, peut-ôlrc agréable au public, certainement utile aux comédiens, mais dommageable à nous seuls, il m’avait paru nécessaire d’ajouter, pour qu’on n’abusât pas de cette restriction : sans qui pour cela l’auteur perdt son droit dt propriété, •pour toutes les fois que les comédi ns joueront sa pii ce alorsmisi au répertoire, laquelh m cessera de lui appartenir que lorsque la recette totale brute, et sans aucune déduction de frais, suivant la spécification de l’articlt ïde l’accord des auteurs dramatiques et des conit dû us, si ratombéedeux fois de suite a, etc., d’après n n règlement contre lequel je renonce à réclamer. Tel est l’article 7 : pouvait-il être plus clair, plu.- légal et plus modéré ? »

M. le maréchal et M. des Entelles en convinrent, et furent si frappés Je la clarté Je celte explication, qu’ils nie proposèrent de voir M e Gerbier chez lui, pour lui démontrer que l’article étail simple, él sans aucune innovation que le sacrifice Je trois cents livres fait Je notre part à la Comédie.

Je répondis que M e Gerbier le savait aussi bien que moi ; que par ces procédés étranges il avait certainement entendu se délivrer de moi el me fermer sa porte ; que néanmoins j’allais l’inviter à se trouver chez M. le maréchal, où je me rendrais moi-même à jour indiqué. El j’écrh i ? la lettre suivante à M Gerbier, le 30 juin 1780 : « Je ne sais, monsieur, ce que vous pensé/ de « notre aliénas ; mon avis est qu’il ne doit pas y « avoir de bavardage intermédiaire entre ce que « je dis de vous et ce que <>ii- pensez Je moi. .le « suis prêt à répéter en votre présence ce que j ai « dit tout haut : c’est qu’avoir fait un arrêt du n conseil et un règlement contraires aux principes « Je l’accord que nous terminions en commun « chez vous ; c’est que les avoir faits dans le temps - même où, de concert, nous tâchions Je rapproii cher les acteurs et les auteurs, el qu’avoir en-- voyé ce) arrêt et ce règlement au ministre en lui « faisant dire et écrire qui’ cela se taisait d’accord « avec moi, à qui l’on n’en avait rien dit, est un « procédé si étrange, que je n’ai pu m’empècher « d’en être fort blessé.

« Or, celui qui a fait le règlement et l’arrêt sans « m’en parler, n’est-ce pas vous ? Celui qui a dit à ii M. Robinet que j’en étais d’accord, n’est-ce pas n M. Jabineau, votre confrère ? Et la personne à « qui on l’a fait croire et qui l’a écrit au ministre, ci n’est-ce pas M. le maréchal de Duras ?

n Dans mon premier ressentiment, j’ai répondu
à ceux qui m’invitaient d’aller chez vous examiner les réclamations de la Comédie que vous n’aviez pu avoir d’autre intention que de me fermer votre porte en me traitant aussi mal ; mais comme l’intérêt du Théâtre-Français me touche beaucoup plus que le mien, j’oublie volontiers ce dernier pour ne m’occuper que de l’autre ; et j’ai l’honneur de vous prévenir que je dois aller lundi, à onze heures, chez M. le maréchal de Duras, pour agiter de nouveau cette affaire. Si vous n’avez pas de répugnance à vous y rendre, j’aime mieux la traiter avec vous qu’avec tout autre, parce que, bornant ma prétention modeste au seul honneur d’avoir raison, plus mon adversaire aura de lumières, moins je craindrai d’être contredit par un faux ou fol argument, dont le privilège appartient aux comédiens.

« J’ai l’honneur d’être, avec toute la considération que vous m’avez refusée, etc.

Caron de Beaumarchais. »

M. Gerbier m’écrivit en réponse (2 juillet 1780) qu’il était trop accablé d’affaires pour pouvoir entrer dans aucun détail ni vérification de tout ce qui s’était passé. Il ajoutait : « Si je ne devais aux comédiens mes soins en qualité d’un de leurs conseils, je renoncerais tout à fait à me mêler d’une affaire dont il n’aurait jamais dû être question, après l’accord que j’étais parvenu à conclure à la satisfaction de MM. les auteurs. »

Ainsi Me  Gerbier refusait un éclaircissement dont je m’étais bien douté qu’il n’avait pas besoin. Cependant il avait un mémoire tout prêt pour les comédiens ; et, malgré ce qu’on vient de lire dans sa lettre, il avait cependant minuté un troisième arrêt du conseil, destructeur du second, et fait sur le plan du premier, qu’on n’avait pas osé soutenir.

Cependant les comédiens, d’accord avec Me  Gerbier, écrivaient à MM. Saurin et Marmontel, mes confrères, et non à moi, qu’ils avaient ordre de M. le maréchal de Duras de les prier de se trouver lundi chez M Gerbier, pour travailler à cette affaire.

Poussés ainsi à bout, la Comédie et son conseil fuyaient tant qu’ils pouvaient la clarté que je versais journellement sur leur intrigue; ei,,lans l’espoir de séduire ou de tromper deux des commissaires des auteurs qui n’avaient pas sui i leurs démarches aussi sévèrement, ils les invitaient seuls, sans M. Sedaine et sans moi, a une assemblée chez Me  Gerbier ; ils compromettaient M. le maréchal de Duras, en abusant de son nom pour m’exclure ; et Me  Gerbier, qui n’avait le temps de se mêler de rien, se mêlait de tout ; et l’affaire dont par sa lettre il refusait de s’occuper en ma présence le lundi, chez M. le maréchal de Duras, il se proposait de la terminer en mon absence le même lundi !

Et pour qu’on ne croie pas que j’en impose sur
les petites menées des comédiens, voici leur lettre du 6 juillet 1780, à M. de Marmontel :
« Monsieur,

Monseigneur le maréchal de Duras ayant témoigné à la Comédie qu’il désirait qu’elle pût se concilier avec MM. les auteurs, et vous ayant indiqué avec M. Saurin comme devant être les représentants de MM. les auteurs dans cette conciliation, la Comédie a saisi avec empressement ce moyen de rapprochement ; et, par sa délibération de dimanche dernier, en acceptant la négociation projetée, elle a ajouté la proposition d’un troisième auteur (M. Bret), pour départager les deux autres en cas de division dans les avis.

D’après cette délibération, MM. du conseil (c’est-à-dire Me  Gerbier) m’ont chargé d’avoir l’honneur de vous proposer une première assemblée lundi, à midi, chez Me  Gerbier, quai Malaquais. Je vous prie, monsieur, de me faire savoir si ce jour et l’heure vous conviennent, pour que » j’avertisse tous ceux qui doivent se trouver à cette assemblée.

J’ai l’honneur d’être avec respect,
Monsieur, votre, etc.
De la Porte,
secrétaire de la Comédie française. »

Mes collègues, étonnés d’une invitation qu’on avait eu grand soin de me cacher, se transportèrent chez M. le maréchal de Duras ce, jour même, pour s’expliquer sur cette nouvelle intrigue de la Comédie.

Personne, lui disent-ils, ne sait mieux que vous, monsieur le maréchal, que les travaux et tous les cette affaire ont été confiés à M. de Beaumarchais conjointement avec nous, qu’il a toutes les pièces du procès entre les mains, et qu’il n’est ni décent ni possible qu’aucun de nous accepte une assemblée où M. de Beaumarchais ne soit pas appelé.

M. le maréchal de Duras leur répond qu’il n’a nulle connaissance de la lettre ni de la malhonnêteté des comédiens ; qu’il désapprouve infiniment leur conduite à mon égard, et que cet abus de son nom est une audace dont il doit se ressentir ; que, loin d’écarter M. de Beaumarchais de la suite de cette affaire, qu’il traitait depuis trois ans avec lui, il se disposait au contraire à lui écrire, et à l’inviter à la seule assemblée dont il fût question, pour le vendredi d’ensuite, chez M. le maréchal de Richelieu, où l’on tâcherait de rapprocher les esprits et les intérêts de tout le monde.

M. de Marmontel répondit en ces mots à la lettre du secrétaire de la Comédie :


7 juillet.

« Je viens, monsieur, d’avoir l’honneur de voir
M. le maréchal de Duras. L'arrangement qu’il a

pris avec M. le maréchal de Richelieu lève toute difficulté. Je vous prie de dire à MM. les comédiens que, s’il m’est possible d’être à Paris le «jour de l’assemblée, j’ porterai, ainsi que ti MM. mes collègues, l’esprit de concorde ou de «conciliation qu’on a droit d’attendre de nous ; » persuadé que les intérêts des gens de lettres et « celui des comédiens, bien entendus, n’en doivent « jamais l’aire qu’un.

« J’ai l’honneur d’être, etc.

« DE MARMONTEt. »

Cependant les comédiens, qui croyaient avoir réussi à écarter L’homme dont ils redoutaient le coup d’œil austère, s’en donnaient le triomphe en public. Ils répandaient que M. le maréchal de Duras, outré de ce que je l’avais trompé en changeant à mon gré les articles de l’arrêt, venait de me fermer sa porte, et de transmettre h d’autres personnes le pouvoir de suivre leur affaire. Beaucoup de gens le croyaient et le répétaient. Je reçus l’invitation pour l’assemblée du vendredi chez M. le maréchal de Richelieu, et l’on ne parla plus de celle indiqué’.' chez M Gerbier. La petite intrigue eut la petite confusion de son petit échec, et quant à la personne qu’on s’était promis d’écarter, elle continua de marcher paisiblement à son but, comme s’il ne lût rien arrive Je me rendis, le 14 juillet 1780, chez M. le maréchal de Richelieu, accompagné de MM. Saurin et Sedaine ; M. de Marmonlel, troisième commissaire, élan ! à la campagne, fut supplie par M. Bref. Cependant la Comédie, qui a pins d’une ressource, ne désespérait pas encore du succès ; elle se flattait que, hérissé de calculs et de définitions, toujours à cheval sur les principes, ne pouvant souffrir qu’on en tirât de légères ou fausses conséquences, et devant piailler devant six grands seigneurs, protecteurs nés des comédiens, et plus accoutumés à commander d’un geste à la Comédie qu’à suivre une discussion pénible qui eût rapport à elle, j’aurais du dessous, et que je ne tiendrais pas devant l’éloquence parlière, agréable et facile de M e Herbier, soutenue du suffrage des six supérieurs de la Comédie, de deux intendants des menu-, des confrères de M" Gerbier, et quatre comédiens, tous défenseurs de la. même cause. Il m’a paru que le plan de M» Gerbier était de faire passera cette assemblée un troisième projs I d’arrêt du conseil, absolument minuté sur le plan de ce premier que mes observations avaient fail évanouir : il le tenait tout prêt dans sa poche. Mon plan à moi fut de poser un premier principe du droit des auteurs, et de montrer tous les abus qui l’avaient progressivement altéré ; de prouver ensuite que mes travaux, depuis quatre ans, étaient une chaîne de notions déduites les unes des autres, et qui établissaient si lumineusemenl le droit des auteur . que les comédiens et leurs conseils avaient été obliges de le reconnaître : témoin l’accord fait à l’amiable entre les auteurs ri les acteurs. Les débats durèrent pendant neuf ou dix heures.

.Mai-, voyant enfin qu’on ne m’entamail pas, on voulut passer outre, el rayer d’autorité ce septième article : le moment était pressant ; je protestai contre. On trouva, l’acte el le m. il peu respectueux pour les supérieurs de la Comédie, on me le dil avec humeur ; el i, qui ne prenais point le change sur une querelle ainsi détournée de son objet, j’assurai de nouveau (mis les grands seigneurs devant qui j’avais l’honneur de parler de mon profond respect ; mais j’ajoutai que le respect dû au rang n’entraînait point le sacrifice du droit, et je continuai de prolester contre tous changements quelconques de l’article 7. Ainsi l’arrêt du conseil du 12 mai 1780, signé Amélot, et dont j’avais reçu de ce ministre l’expédition en parchemin depuis deux mois el demi, fut maiuteuu par moi dans toute son intégrité, quoiqu’on n’eût cessé dans toute cille si le traiter à’arrèt subreptice ou surpris, et quelquefois (par bonté pour moi) de simple projet d’arrêt. La discussion ou plutôt le débat s’échauffait, lorsque M’ 1 Gerbier, comptant sans doute sur les boutes de M. le maréchal de Duras, se permit de lui dire, en montrant les députés des auteurs avec dédain : Monsieur le maréchal, s’ils m 1 1 ulent point île notre arrêt. liorez-nous-les, et laissez faire aux comédiens : ils vous m rendront bon compte. Cette phrase, très-offensante pour tous les auteurs dramatiques, me lit monter le teu au visage ; je pris la liberté de me lever et de rompre la séance. Lu me retirant, je m’aperçus bien qu’on taisait peu de cas de ma protestation, el que, regardant comme arrangé ce qui n’avait pu l’être, o posait à faire passer au ministre le projet d’arrêl de M" l.erbier, comme absolument fixé par leçon sentemeul unanime des parties.

En conséquence, et pour donnera ma protestation toute la force dont elle était susceptible, le lendemain je fis signifier l’arrêt du 12 mai aux comédiens, et je chargeai l’huissier du conseil de leur remettre la lettre suivante :

t. Messieurs.,

« La signification que je vous fais faire aujourd’bui, tant en mon nom que stipulant les intéo rets des auteurs dramatiques mes confrères, de o L’arrêt du conseil d’État du roi, du 12 mai 1780, « portant règlement des droits des auteurs dramatiques, n’est poiut une déclaration de gi « ma part ; il n’est aucun de vous, messieurs, « dont j’aie personnellement à me plaindre, et nul « n’aime et n’estime autant que moi le beau taie lent de plusieurs d’entre vous.

« Mais, dans une assemblée tenue vendredi dernier chez M. le maréchal de Richelieu, les avocats vos conseils ont paru douter de l’existence de cet arrêt ; et, dans le cas de son existence prouvée, ils ont été jusqu’à le qualifier, en « otre nom, d’arrêt subreptice ou surpris. . Si ces imputations viennent d’une autre cause u que de l’ignorance où vous êtes de l’arrêt et de (i la manière donl il a été rendu, la signification ii que je vous en fais faire va vous mettre à portée de poursuivre les prétendus auteurs de la surprise faite . ; i S.i Majesté, dans une affaire qui u vous intéresse, ou de désavouer ce propos imn prudemment avancé en votre nom.

c Un autre motif de la signification de cel arrêl » est que les intérêts de plusieurs auteurs et les n miens en particulier souffriraient tropd’uneplus longue inexécution de quelques-uns de ses articles. Comme il y a deux mois el demi qu’il est ii expédié el envoyé à MM. vos supérieurs et à ■ nous, je demande qu’il suit exécuté, sans pr.éii tendre vous ôter le droit de représentation ; cl avec le désir sincère de pouvoir adopter, | r mes confrères el pour moi, tout ce qui sera proposé pour le rapprochement et la conservation de uns droits respectifs.

ii J’ai l’honneur d’être avec considération, etc. I’ Caron de Beaumarchais. »

Eu conservant ainsi de mon mieux les droits des auteurs, el défendanl l’arrêt qu’on voulait attaquer, je ne renonçais pas à l’espoir de parvevir a nue conciliation raisonnable ; je faisais la guerre d’une main en proposant la paix de l’autre. Les comédiens furent se plaindre à M. le maréchal de Duras de la signification que je leur faisais l’aire, comme d’un attentat contre l’autorité souveraine : el moi, de mon côté, j’eus i honneur de l’en prévenir pour justifier la précaution que je venais de prendre.

C’est maintenanl que je dois expliquer comment cette foule de précautions que j’avais (irises lors de la discussion et rédaction de l’arrêt du 12 mai 1780, el donl j’ai prié le lecteur de ne pas perdre 1 ; imoire, sont devenues très-importantes ; elles le sont devenues à tel point, que, si j’eusse manqué il en prendre une seule, je demeurais entaché sous l’accusation bizarre d’avoir fabriqué, transcrit el l’ail signifier aux comédiens un faux .- rrêl du conseil el un Taux règlement : puisque, malgré toutes les preuves que j’ai prodiguées du concours de M. le maréchal de Duras à la formation de cel arrêt, delà foule de ses discussions contradictoires, de ^"s consentements, adhésions, signatures, paraphes sur toutes les pages, lettres au soutien, etc., il passe pieu- constant, au i nent où j’écris, que l’arrêl en parchemin que j’ai l’ail signifier aux comédiens n’est pas plus le véritable arrèl du conseil que le règlement j annexé n’est le vrai n glemcnl discute, arrête, signé el paraphe par M. le maréchal de Duras, mais un arrêt et règlement de ma façon, dont jamais M. le maréchal n’a eu connaissance.

On est tenté de me croire en démence, au récit d une pan ille fi lu m :i on cessera de rire quand on saura qu’entre autres preuves de ce l’ait, le S août dernier, M. le maréchal de liiehelini, donl la bonté pour moi ne s’est jamais démentie, mais auquel M c Gerbier venait à l’instant d’assurer la vérité de ces ai cusations, me demanda forl sérieusement si j’attesterais bien par écrit queji n’avais rien changi aux minutes des arrêt et règlement signés par son collègue le maréchal de Duras, en les faisant signifii r aux comt dit ns ! Je ne sais s’il prit mon étonnemenl pour de la confusion ; mais, sur ma réponse que je trouvais un peu dur qu’il parût en douter, il me dit que je lui ferais le plus grand plaisir de signer la di i a ration, qu’il allait écrire lui-même en mon nom. Il se mit à son bureau, où il écrivit l’énoncé qui suit :

u L’arrêt donl M. de Beaumarchais demande d l’exécution est l’expédiLion fidèle de la minute signée el paraphée par M. le maréchal de Duras, après discussion contradictoire, sans qu’on ail ii ajouté un seul mot ; cette minute est entre les - mains de M. Amelot, el M. le maréchal de Duras » a écrit a M. Amelot pour lui demander une lettre ii au nom du roi, que M. Amelot a envoyée, el que u M. le maréchal de Duras a dans les main-, par ii laquelle le roi fait défense à toute personne de u s’opposer à l’exécution de cel arrêt, et même ii d’y faire aucune observation ; et M. de Beau- .1 marchais consent à essuyer le déshonneur puii blic, s’il y a un mol dan- cel exposé donl il ne n fournisse la preuve, el s’il a fait signifier autre chose que ce même arrèl en parchemin, daté du u 12 mai 1780, tel qu’il l’a reçu de M. Amelot, ni n l’ait aucune autre signification nu opposition, i M. le maréchal voulut bien m’en faire la lecture, el me dit, avec un regard île l n : u Le plus diffiii cile n’était pas de l’écrire ; mais c’esl de vous le .. voir signer que je suis bien curieux. » Je pris la plume, et j’écrivis au bas de la déclaration :

Je soussigné certifit tout l’exposé ci-dessus conforme à la plus exacte i < rite, et je me dé om à l’exécration publique, si j< n’< n prouve pas tout h CÛ itt un. Ci’ s aoûl 1780.

Caron de Beaumarchais.

J’ajoutai de suite au-dessous :

ii .lai de plus entre les mains l’original du règlement donl l’expédition est aussi remise à M. Ame- " lot, el qui est annexée audit arrêl du 12 mai 1780, lequel, discuté cl rédige en présence el avec « M. le maréchal de Duras, devan’ quatorze auteurs, est paraphé à toutes les pages et à tous les renvois, et enfin signé par M. le maréchal de Duras. Même date que dessus.

« Caron de Beaumarchais. »

Jamais étonnement ne fut égal à celui de M. le maréchal de Richelieu, quand il lut ce que j’avais écrit : « Par ma foi, me dit-il, il est absolument impossible de ne vous pas croire, et dès ce moment je ne doute plus de rien de ce que vous me direz ; mais avouez qu’il y a, je ne sais de quelle part, une infernale méchanceté dans tout ceci ! »

— Doutez encore, je vous prie, monsieur le maréchal, jusqu’à ce que l’honneur de me justifier par les faits ait effacé la honte que je sens d’en avoir eu besoin. Gardez mon écrit, daignez m’en faire délivrer seulement une expédition certifiée de vous : elle sera mon titre pour mettre au plus grand jour ma conduite modérée, celle des auteurs et leurs droits usurpés, tout ce qu’on a tente pour se maintenir dans cette usurpation, et leurs procédés pacifiques pour en obtenir la restitution. Depuis quatre ans, ils m’ont confié leurs intérêts ; aucun propos de leur part, mémoire, épigramme ou sarcasme, ne leur est échappé : ce n’est faute assurément ni de chaleur, ni de ressentiments légitimes ; mais plus ils ont été modérés et patients, plus il est juste enfm qu’une loi émanée du roi fixe le sort et l’état des auteur--, et 1rs mette à jamais à l’abri de pareilles vexations. — Je suis de votre avis, dit M., le maréchal ; et je commence à concevoir où vous avez puisé toute la chaleur de votre plaidoyer dans notre dernière assemblée : il n’est pas défendu d’avoir un peu décolère quand on esl autant outragé.

M. le maréchal me remit la copie de ma déclaration, et écrivit au bas :

Je certifier/ne lu présente copie est conforme à l’original resté entre uns mains.

Ce 12 août 1780.

Le maréchal de Richelieu.

J’ai fait part aux auteurs, mes constituants, de ce qui venait d’arriver ; ils m’ont ordonné de rendre le compte exact qu’on vient de lire, et qu’il est temps de résumer. Mais trop d’objets rassemblés ■ ■ut souvent rompu le til des idées qu’il importait lir ; il faut le renouer en peu de mots. RÉSUMÉ

Dans la première partie,

J’ai montré que trente ans d’aigreur et de querelles avaient absolument éloigné les auteurs des comédiens français ; que les premiers se plaignaient d’être trompés de plus de moitié dans le compte rendu de leur neuvième, atténué partant de frais accumulés, qu’il n’était plus même aujourd’hui le vingtième effectif de la recette. J’ai montré comment, invité par M. le maréi hal de Richelieu, en 1776, d’étudier, d’éclaircir une question qui tenait àl’examendes livres de recette et dépense du spectacle, et porteur d’une lettre de lui pour qu’on me montrât ces registres, je n’ai I btenir des comédiens une communication aussi essentielle au travail demande par leurs supérieurs.

On a vu comment j’ai attendu que le produit acquis d’une de mes pièces de théâtre me donnât le droit d’exiger un compte exact de la Comédie ; Comment je l’ai demande pendant un an, sans pouvoir l’arracher ; les moyens que je n’ai ces-é d’indiquer pour l’aire ce compte, et la continuité des subterfuges dont on a usé pour s’y soustraire. J’ai montré comment les comédiens, ne pouvant plus éloigner une assemblée qu’ils avaient demandée eux-mêmes (avec tous leurs conseil-, à la vérité très-inutiles à la signature d’un compte en règle), ont été se plaindre à M. le maréchal de Duras, leur supérieur, et l’engager à les sauver par sa médiation de leur ruine entière, qu’un méchant méditait ; ci ce méchant, c’était moi. J’ai fait voir ensuite comment M. le maréchal, mieux instruit par moi de l’état dis choses, m’a prnpo-é d’abandonner rua demande d’un compte exact, attendu qu’il pouvait jeter les comédiens dans les plus grands embarras is-à-’v is des auteurs mécontents, et m’a invité de travailler avec lui à la réforme du théâtre, dont le premier point serait l’amélioration du sort des auteurs, du neuvième atténué, au cinquième effectif de la recette. On a vu avec quel respect je me suis soumis aux vues de M. le maréchal, et comment l’affaire a tout à coup change ainsi de nature ;

Comment, d’accord avec M. le maréchal, j’ai invité tous les auteurs dramatiques à s’assembler chez moi, pour m’aider de leurs travaux dans cette utile réforme ;

Comment chacun d’eux, renonçant à tout ressentiment particulier et à toule demande personnelle, a travaille de bonne grâce à la formation d’un nouveau règlement relatif aux auteurs et aux comédiens ;

Comment MM. les maréchaux de Duras et de Richelieu ont honoré nos travaux d’observations de leur main, d’après lesquelles nous les avons réformés ;

Comment on a exigé que ces travaux fussent communiqués aux comédiens, mais détachés des motifs qui les avaient l’ail adopter, ce qui tendait à ramener des disputes éternelles ;

Comment en effet trois ans. depuis juillet 1777 jusqu’en août 1780, se sont passés en travaux perdus, en commerce de lettres oiseux, en démarches inutiles, et comment, après trois ans, fatigué de nos importunités, on nous a renvoyés à lapremière qm Mon qu’on nous a ait tant pn’i s d’abandonner, la demande d’un compte exact aux comédiens ;

Comment, révolté de ce badinage cruel, j’allais enfin employer la voie juridique contre les comédiens, lorsqu’on m’a proposé, pour m’apaiser, de me remettre enfin les états de recette et de dépense

trois ans, pour en extraire

les données d’un compte en règle à l’amiable, qui pût servir de modèle à tous les décomptes futurs ;

Comment, l’affaire ayant ainsi de nouveau changé de lace, il m’a fallu oublier tout ce que j’avais appris, rapprendre toul ce que j’avais oublie ; et, renonçanl à toute amélioration de leur sort, promise aux auteur*, me contenter de plaider de nouveau contre les usurpations accumulées sur le plus modique des droits, le neuvième de la rec Eutîn, j’ai montré comment, ayant reçu les anciens et nouveaux règlements, el l’état des trois années delà Comédie, j’ai commencée travailler un peu fructueusement à l’affaire des auteurs mes confrèresel mes constituants. D’où l’on peut juger si j’ai bien prouvé que les procédés des ailleurs ont toujours été modères : et s’il esl vrai, comme je l’ai dit, que je suis un modèle de patience devant le.- comédiens.

Il me reste a rappeler au lecteur que ma conduite a été un continuel effort de conciliation devant eux et leurs supérieurs ; c’est ce que je vais faire. Dans la .

Après des études et des recherches infinies sur - données des droits d’auteur au spectacle français, j’ai toul ramené au principe simple el reconnu que l’auteur a un droit rigoureux au neuvième de la recette, tous / . et à la jouissance dt a m m ième iusqu’ v ce que les comédiens n’aient FAIT EX PRODUIT ISKCT OUE LEURS FRAIS I I DE SUITE, OU TROIS FOIS SÉPARÉMENT, m rf Stt piéCC. Ensuite j’ai montré comment, à force d’abus d’une pari et de bonhomie de l’autre, les comédiens "Ht successivement détourné le vrai sens du principe, el porté, sans cause, de cinq cents à douze cent- livres la somme de recette où l’auteur perdrail sa propriété ;

Coi enl les comédiens ont abusé de la des petites loges pour raccourcir de deux tiers le nombre des séances où les auteurs partagent ; de même qu’ils onl diminué d’un tiers le produit journalierde ces séances par des évaluations arbitraires de frais el de produits obscurs, donl ils ne rendaienl aucun compte :

Comment, sur le seul impôt levé pour 1 . pectacle, les comédiens ont porté l’usurpation jusqu’à me compter, dan- le bordereau de ma pièce, dix-neuf mille cinq cenl quarante-di us livres payées aux pauvres, pour les trente-deux représentations où j’avais partagé, lorsque cet impôl ne leur coûtait à eux, pour ces trente-deux repré-- ntations, que cinq mille neuf cenl vingl livres ; qu’ils me faisaienl payer l’impôt sur le uatre-vingt-dix-huil mille li

d eux-mêmes que

an, lors

soixante mille li res.

J’ai l’ait voir par quel sophisme badin quent défenseur, M e Gerbier, avait voulu cuser de cette lourde erreur, et comment, dans plusieurs assemblées pacifiques, je les ai amenés tous à convenir de la justesse de mes principes et di la modération des conséquences que j’en tirais. On a dû remarquer aussi comment, passanl de l’évidence a une évidence plus forte, des preuves aux démonstrations, tant sur les dépenses abusivement comptées aux auteurs que sur les envahissements de leur propriété dans les produits, j’ai forcé toul le monde i lier que depuis trente ans les ailleurs avaienl été lésés de plus d’un tiers dans tous les comptes rendu

donnait le droit incontestable en justic clamer plus de deux cent mille livres sur les comédien- ;

Comment surtout, en faveur de la paix qu’on invoquait, j’ai promis de porter les auteurs au sacrifice de toutes les usurpations précédentes, el consenti pour eux à celui de passer à l’avenir aux comédiens pour six cents livres de frais par jour, quoique je n’en reconnusse que pour environ cinq cent vingl livres ; commenl j’ai fait le sacrifice de passer la chute des pièces dan- les règles à douze cents livre- de reci tte entière, quoique la masse des faux frai- 1 le quarl des pauvres prélevé n’a làl me à lmii cents livres par jour ;

Et comment enfin, lai— a ni subsister tons ticles des ancii n- règlements qui ne contrariaient point les clauses de l’accord à l’amiable que nous arrêtions, cet accord, fondé sur nos sacrifices, a de tous les comédiens, de leurs conseils et de leurs supérieurs.

.l’aurai- bien désiré pouvoir finir à cette époque le compte que j’avais à rendre ; mais il a fallu montrer, malgré moi, comment, lorsque nous supposions toutes les querelles éteintes, nous avons appris que dans le même temps, dan- le même lieu, el par les mêmes personnesavec qui non- sortions de traiter à l’amiable, il venail d’être fait el envoyé au ministre, pour être expédie.// ;/ arrêt du conseil et un règlement secret, par lesquels nait sur /es .mi, tus deux fois plus qu’on n’avait été obligé de leur restitm r i n cmnptani avec moi. Il a bien fallu montrer commenl en avail trompé le ministre, en lui disant el lui faisan ! écrire <j ic j’étais d’accord, peur les auteurs, de toutes les (danses /le l’arrôl qu’on le priait d’expédier, quoiqu’on se lui bien gardé de m’en dire un seul mot ; Comment, à cette nouvelle, les auteurs m’ont accablé de reprorbes sur l’abandon de leurs intérêts, que j’étais accusé d’avoir (raids ; et comment, a cette injure qui devail m’éloigner feux, redoublant de courage el de soins, j’a i déti ompi le, ailleurs, le mini-ire. et même ramené M. le maréchal de Duras a réparer tout le mal qui s’étail fait sans doute contre son intention, à écouter nos observations sur les clauses de cet arrêt et de ce règlement non communiqués, et à les admettre comme équitables ;

Comment, de concert avec lui, et par son ordre donné devant huit auteurs, j’ai fait le projet d’un autre arrêt du conseil ;

Comment les articles en ont été discutés contradictoirement avec M. le maréchal, avec l’intendant des menus, et deux comédiens français ;

Comment ensuite la rédaction de cet arrêt a été reconnue, bonne et fidèle, approuvée, signée, paraphée, et envoyée par M. le maréchal de Duras à M. Amelot, avec une lettre pour en solliciter une, au nom du roi, qui forçât les comédiens à mettre en silence ;

Comment, dans son consentement, M. le maréchal de Duras a bien voulu soumettre à mes observations le règlement secret, comme il y avait livré l’arrêt secret ;

Comment devant quatorze auteurs, et l’intendant des menus, ce règlement a été lu et arrêt ’/-, et paraphé sur toutes les corrections en marge par M. le maréchal de Duras, mot si obligeant pour les auteurs, que, its, ce joui i tait le plus beau

et’..minent ce règlement a été envoyé

par lui à M. Amelot pour être annexé à l’arrêt du conseil qu’il faisait expédier alors ; Comment le ministre a envoyé deux expéditions en parchemin de ce second arrêt du conseil, l’une à M. le maréchal de Duras pour le— comédiens, l’autre à moi pour les auteurs, ainsi que la 1. ttre au nom du roi demandée, par M. le maréchal pour empêcher les comédiens d’y faire aucune ition.

Puis j’ai montré comment les comédiens et leurs conseils, furieux de n’avoir pu conserver leurs nouvelles usurpations, n’onl plus garde démesure, el ont déclaré qu’ils ne voulaient plus avoir affaire à moi ;

Comment les auteurs ont reçu en riant cet éloge naïf de ma vigilance ; et eomment les comédiens ont tenté de m’écarter d’un nouvel essai d’accommodement, en invitant à une assemblée chez M e Gerbier deux commissaires des gens de lettres, à mon exclusion ;

Comment ils ont compromis le nom respectable de M. le maréchal de Duras, m écrivanl que c’était par son ordre que cette exclusion avait lieu ; Comment ils ont répandu que j’avais trompé M. le maréchal sur la rédaction des arrêt et règlement ; qu’il m’avait fait fermer sa porte, et avait remis l’affaire à d’autres conducteurs ; et commentée bruit faux et absurde était devenu public. On a vu aussi comment MM. Marmonteî, Bret, Saura, ont refusé toute assemblée où M. Sedaine et moi ne serions point appelés ; et comment on a changé l’assemblée particulière de M’Gerbier en une assemblée générale chez M. le maréchal de i, où j’ai été invité par M. le □ de Duras, qui n’était pour rien dans tout ce qu’on vient de lire ;

Comment M e Gerbier, qui ne s.’mêlai ! el se mêl.iii de (mil..’-i ai rivé a cette assemblée avec un m. an..ii’.’p. mi— les comédiens, et un troisième projet d arrêl du conseil ; Comment ce troisième arrêt, destructeur du deuxième, était l’ait sur I.’— donm es.lu premier, i os observations avaient anéanti ; Comment l’arrèl du 12 mai, signé, paraphé par M. le maréchal de Duras, et expédié enpai lu min depuis deux mois.■( demi, a été traité, dans cette assemblée, d’arrêl subreptice el swpris : Comment, après neuf à dix heures de débat, j’ai ri,’obligé.1.’protesti r contre les innovations que M e Gerbier avait l’éloquence et le succès de faire approuver de presque toute rassemblée : ni mi a pris ma protestation r

offense ; et comment on a passé outre àl’envoi de cel arrêl au mini-Ire. comme m je l’eusse adopté ; Comment on m’adonne partout pour un homme dur. injuste, intraitable, et duquel on ne p.. mail espérer aucun accommodement ;

Commenl en effet, voyant qu’on prétendait regarder l’arrêt du 12 mai comme non avenu, et que la promulgation d’un autre arrêt allait me laisser sous l’odieux soupçon de m’étiv donné de coupables libertés dans la rédaction de celui qu’on anéantissait, j’ai iaii signifier cel arrêl du 12 niai à la Comédie, afin de le bien constater, et de reproche public à ceux qui l’auraienl mérité ;

Et eomment enfin la persuasion que j’avais fai : i [uéou falsifié arrêt et règlement s’esl I r. l’indue et confirmée, que M. le maréchal d.’liiehelieu s’esl cru obligé à me proposer de signer une ■ !. claration qu’il a écrite et libellée lui-même, où j’attestais, sous peine de déshonneur, qu’il n’y un mol de différent entre la minute de l’arrêt du 12 mai elle règlement y annexé, signés et paraphés par M. le maréchal de Duras, et. l’expédition que j’ai fait signifier aux comédiens français.

On a vu avec quelle fierté j’ai signé cette déclaration, quelle indignation m’en est restée ; et comment enfin, maigre lanl d.’dégoûts et I ordre exprès de mes confrères et constituants de rendre un compte rigoureux de toute l’affaire, je n’ai pas cessé de travaillera l’arranger, en faisant a M. le maréchal de Duras, par écrit, les propositions d’accommodement les plus acceptables et les plus modérées.

Mais enfin, ne recevant plus de réponse de personne, et l’affaire prenant moins que jamais la tournure d’un arrangement, j’ai continué mon travail, et l’ai d’autant plus hâté, que j’ai reçu de M. Amelot la lettre suivante :

Paris, le 21 août 1780

« Vous ne m’avez point encore remis, monsieur, le mémoire que vous m’avez annoncé il y a plus d’un mois, et que vous paraissiez disposé à me remettre incessamment. Je l’attends avec d’autant plus d’impatience, que l’intention du roi est de ne pas différer de prendre un parti sur l’objet dont il s’agit.

« Je suis très-parfaitement, monsieur, votre, etc.

« Signé Amelot. »

J’ai eu l’honneur de lui répondre en ces termes :

« Monsieur,

« Recevez avec bonté les actions de grâces de tous les gens de lettres ; il ne pouvait leur être annoncé rien de plus heureux que l’intention où est S. M. de prononcer enfin sur le différend qui, depuis trente ans, subsiste entre eux et les comédiens français.

« De ma part, je serais inexcusable si j’avais mis le plus léger retard volontaire dans la rédaction du mémoire auquel je me suis engagé pour eux, puisque vous avez la bonté de suspendre l’examen et le rapport de l’affaire jusqu’à cette instruction indispensable. Mais, monsieur, il est impossible que vous vous fassiez une idée de l’excès où l’on s’est porté contre moi dans le récit calomnieux que les comédiens, leurs conseils et leurs amis, ont fait à tout le monde de ma prétendue audace au sujet du dernier arrêt du conseil.

« Me voilà donc, monsieur, engagé solennellement à prouver l’honnêteté de ma conduite, ou à rester courbé sous l’imputation d’une odieuse calomnie !

« Depuis ce jour, mes confrères, instruits de ce qui se passait, ont exigé de moi qu’au lieu d’une discussion simple des articles de l’arrêt du 12 mai, sur les droits des auteurs, que j’avais faite avec soin, je rendisse un compte public de l'affaire entière, appuyé de toutes les pièces justificatives, ainsi que de ma conduite et de la leur, si méchamment calomniées. J’ai donc été obligé de refondre mon ouvrage, et il est devenu plus long. M. le maréchal de Richelieu m’en demande un exemplaire pour chacun de MM. les premiers gentilshommes de la chambre.

« Il en faut un à chaque ministre du roi : nous désirons même que les comédiens et leurs conseils en soient pourvus ; car aujourd’hui, non-seulement les auteurs sont au point de supplier le roi de vouloir bien nous donner une loi qui fixe enfin leur sort au théâtre, mais aussi de demander à S. M. justice des indignités auxquelles la discussion de cette affaire vient de les exposer : ce que je vais faire en leur nom, si vous l’approuvez, monsieur, par une requête au roi, à laquelle le compte rendu que je viens de terminer, et qui sera signé samedi par tous les auteurs, servira de preuve et d’appui ; et si le roi le permet, l’authenticité, la fidélité reconnue de l’arrêt du 12 mai 1780, tel que je l’ai fait signer, remplira le premier objet de sa justice ; et la publicité de notre mémoire apologétique et modéré sera la seule peine infligée à nos calomniateurs, pour remplir le second.

« Je suis, etc.

« Caron de Beaumarchais. »

J’ai fait écrire ensuite à tous mes confrères et constituants, pour les prier de s’assembler (liez moi aujourd’hui samedi 26 août 1780. Vous m’avez tous fait l’honneur de vous y rendre ; car c’est à vous, messieurs, que j’ai l’honneur de parler, et à qui j’ai dû d’à lu in I présenter le compte de l’affaire entière dont vous aviez confié le soin à MM. Saurin, Marmontel, Sedaim et moi, en qualité de vos commissaires et représentants.. Toutes les pièces justificatives sont sous vos yeux ; il vous reste à délibérer sur le fond, la forme et le contenu de ce récit ; à l’approuver et le signer tous, si vous le tri une/ ; exact et modéré ; vous arrêterez ensuite sous quelle forme il doit être remis aux ministres du roi, soit comme instruction pure et simple de l’affaire à juger par le conseil, soit pour vous servir de mémoire et d’appui à une requête au roi, par laquelle vous supplierez S. M. de fixer, dans une loi émanée du trône, le sort et l’état de la littérature française dans tous ses rapports forcés avec la Comédie. Et ont signé : Caron de Beaumarchais, Sedainc, Marmontel, Barthe, Rousseau, Ulin de Sainmore, Favart, Cailhava, Sam igny, Gudin de la Br< n< Ut > ie, Leblanc, Laplace, Lucis, Chamfort, la Harpe, Lena : n,. Rochon dt Chabannes, h / ; vre.

Mais, avant que vous preniez un dernier parti, messieurs, sur l’usage que vous devez faire de ce compte rendu, je dois vous communiquer une seconde lettre de M. Amelot, en réponse à la mienne, par laquelle vous connaîtrez l’intention où est S. M. de vous faire justice, en vous recommandant d’oublier le ressentiment des injures, et de renoncer à la publication de vos défenses jusqu’à nouvel ordre. Voici la lettre du ministre :

Versailles, ce 25 août 1780.

J’ai, monsieur, communiqué à M. le comte de Maurepas la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire le 23. Nous pensons tous deux que vos plaintes concernant les discours tenus à M. le maréchal de Richelieu ne doivent point être confondues avec les objets sur lesquels S. M. est dans l’intention de prononcer ; que ces plaintes sont un incident étranger à l’affaire principale ; et qu’il serait d’autant plus inutile d’en faire la matière d’une requête, qu’il ne s’agit au fond RAPPORT FAIT AUX AUTEURS DRAMATIQUES. tijr, « que de propos vagues, détruits par les explica- tions que vous avez eues avec M. le maréchal c. de Richelieu, et sur lesquelles S. M., suivant « toute apparence, ne croirait pas pouvoir rien < statuer. «Nous pensons aussi que, l’affaire principale « devant être traiter en pure administration sans « aucune forme contentieuse, il n’y a point de mo- k tiTs pour multiplier les copies de votre mémoire, « au point où vous paraissez dans le dessein de le ci faire; qu’a la rigueur, il suffirait que l’original « m’en lût remis; et que vous pouvez cependant en « faire faire une copie pour MM. les premiers gen- « tilshommes de la chambre, si l’ordre des procé- dés vous parait l’exiger : mais qu’il est surtout convenable que vous ne fassiez rien imprimer (i dans cette affaire. c Vous ne devez pas douter que le oi n r e le « aux auteurs la justice qui peul leur « mais il serait contre toutes li « de la publicité à une discussion qui n’est soumise i qu’à S. M. seule, et qu’elle doit décider par une i loi île son propre mouvement. <i Je suis très-parfaitement, monsieur, - Votre, el :. Après la lecture de cette lettre, chacun d’accord de mériter la justice entière que le roi nous promet, parle sacrifice entier de nos ressen- ti nts, nous avons unanimement voté dans la délibération suivante, ainsi qu’on va le « Aujourd’hui 26 août 1780, nous étant assem- blés en la forme accoutumé! chez M. de Beaumar- chais, l’un de nos commissaires perpétuels et repré- sentants; etnous étant trouves le nombre compi tenl pour discuter des intérêts de la société, nous avons délibéré et arrêté ce qui suit, savoir : que, « M. Caron de Beaumarchais nous ayant l’ai t lec- ture du compte que nous l’avions chargé de rendre de notre conduite et de la sienne, des principes sur lesquels nos droits d’auteurs au spectacle fran- çais sent établis, des usurpations énormes que les comédiens n’ont cessé d’y faire, ainsi que des dis- cussions profondes qui les ont constatées, et ont amené l’accord à l’amiable entre les auteurs et les comédiens du 11 mars 1780, et l’arrêt du conseil du 12 mai suivant ; «Nous reconnaissons que le compte rendu qui vient de nous être lu ne contient que des faits exacts, véritables et connus de nous tous; qu’il est écrit avec modération; et nous l’adoptons comme un ouvrage indispensable à notre défense contre les comédiens, intéressant à noire honneur et très- utile à nos intérêts. En conséquence, nous l’avons tous signé. « M. de Beaumarchais nous a fait ensuite la lec- ture d’une lettre de M. Amelot, du 25 août, par laquelle nous apprenons que M. le comte de Mau- repas et lui désirent que nous fassions le sacrifice | entier du ressentiment légitime que nous avons tous des discours outrageants tenus tant conlre nous que contre nos commissaires, au sujel de la rédaction de l’arrêt du 12 mai dernier; et de plus, que les copies de notre mémoire apologétique ne soient pas répandues. « Pour donner aux deux respectables ministres, qui veulcnl bien nous assurer de l’intention ouest S. M. de nous faire justice, la preuve la plus com- plète de notre respect, de notre reconnaissance el de notre soumission, nous avons arrêté qu’il ne sera fait, quanta présent, qu’une seule copie du compte rendu, pour être remise à M. Amelol uni- quement, el que nous attendrons que les deux mi- nistres en aient pris lecture, pour savoir de M. Ame- lol s’ils jugenl que nous devions en envoyer une semblable’ à .MM. les premiers ^eiililshoimiic- de la chambre; mais que M. de Beaumarchais fera un mémoire fort court pour le ministre, qui tiendra lieu, quant à présent, de la requête où non- àe ions exprimer en raccourci tous les objets de nos de- mandes; auquel mémoire ce compte rendu servira d’appui, étant fondé totalement sur des piècesjus- liflcatives; el il ne sera fait rien autre chose quant à présent. « Mais en mettant ainsi nos justes ressentiments aux pieds du roi, nous supplierons S. M. de rece- voir les supplications de la littérature entière pour l’élévation d’un second théâtre, et la destruction des misérables tréteaux élevés de toutes parts, à la honte du siècle; El de vouloir bien permettre qu’en cas de nou- velles difficultés de la part des comédiens, et d’une obligation de la nôtre d’employer contre eux les voies juridiques, soit pour l’exécution de l’arrêt, soit pour d’autres réclamations légitimes, notre mémoire apologétique puisse nous servirde moyens publics de défense, comme contenant les preuves les plus authentiques de nos droits attaqués, et de notre conduite modérée en les défendant. Signé, Caron d< Beaumarchais, Marmontel, Se- daine,Leblanc,BlindeSainmore, Rousseau, Cailhava, Gudin de la Brenellerie, Sauvigny, Faïuit, Laplace, Barthe, Ducis, Chamfort, la Harpe, /.< mit rre,B ’■ n de Chabannes, Lcfévre. » RAPPORT AUX AUTEURS DRAMATIQUES SUR LE TRAITEMENT PROPOSÉ PAR LA COMÉDIE FRANÇAISE EN 1791, ET DÉLIUÉRATION PRISE A CE SUJEj ’ Vous désirez, messieurs, que je vous offre, sous la forme d’un nouveau rapport, les vues qui ten- . Les auteurs dramatiques, fatigués d’entendre partout des per- sonnes induites en erreur leur dire qu’ils traitent mal les comédiens dent à rapprocher les auteurs dramatiques des comédiens français ; et mes observations sur les offres de ces derniers, qui sont : le septième de la recette, neuf cents livres de frais prélevés, sans les frais extraordinaires.

Une seule difficulté m’arrête à la première période.

Sans doute vous ne voulez point faire un mystère aux comédiens français de mon rapport ni de vos décisions, et, pour le bien de tous, vous ne devez pas le vouloir. Mais l’Assemblée nationale, par un de ses décrets, ayant détruit toute corporation, toute association nommée délibérante, les comédiens pourraient, en pressurant le texte du décret, méconnaître une résolution émanée de vous en commun, et, par cette objection vicieuse, nuire au rapprochement que nous désirons opérer.

Pour lever cet obstacle —ans rien eh vœu que vous tonne/, de n’avoir tous qu’un même avis sur des conventions raisonnables, je dois vous rappeler que, la loi ue détendant point d’émettre un vœu individuel gui peut êtn celui de tous, rien n’empêche, messieurs, que vous vous assembliez pour veiller en commun à la propagation d : l’art que vous professez tous à sa décence, à son perfectionnement, à tous les points qui intéressent el ses succès el sa durée.

Alors, les auteurs soussignés qui formeront votre assemblée ayant un égal intérêt aux sages eonventions qu’on doit faire avec les spectacles, chacun peut adopter les vues qui conviennent à tous, , i donner ses pouvoirs pour traiter avec les théâtres au même procureur fondé que nous avions chargé des nôtres avant le décret prononcé contre le associations.

Je pense aussi que le théâtre qui élèverait cette difficulté avant de traiter avec vous aurail d’un grand mérite pour effacer la juste répugnance qu’une telle conduite vous donnerait pour lui. Je ne le présume d’aucun, puisque déjà trois grands spectacles ont accepté les conventions que nous fous auti "es soussignés avons arrêtée— avec eux sous cette forme très-légale.

Cela posé j’entre en matière.

ivez, messieurs, sollicité, obtenu de nos tirs un décret solennel qui vous assure enfin la propriété intégrale de vos ouvrages de théâtre.

té rentrée, il a fallu songer à en régler l’usage. D’une commune voix, vous ave/ tous qu’il n’y avait pour les auteurs qu’un Prenanl pour base de vos demandes aux théàtri qui doivent représenter vos pièces l’équité la plus modérée, vous avez arrêté de continuer de faire à tous les comédiens, dans une affaire absolument commune, un sorl bien supérieur au sort que vous vous réservez. L’entreprise elle-même restant chargée de tous les frais,

septième, et tous leur laissez les six a Une prétention —i modeste n’est pas ni votre part:depuis douze ans la Comédie française, seule filière alors de vos succès, en rccueillail tout l’avantage; et, malgré l’immense crédil qui 1’ur eùl pi nui— d’oser plus, depuis douze ans les comédiens français étaient forcés de convenir que garder six septièmes du gain, après avoir levé six cents livres de frais, était un orl bien magnifique abandonné par les auteurs. Depuis douze ans aussi, dirigés par le menu.’esprit, vous voyez sans chagrin, messieurs, que tous les auteurs dramatiques ne s’étaient jamais partagé jusqu’à trente-huit mille francs par an, dans ces fortes année— où le produit brut d’un million laissait aux coi français vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept nulle francs de part entier. :.

La médiocre somme que vous vous partagiez n’aurait rendu à chaque auteur alors que mille six cent cinquante livres en masse, s’ils avaient fait bourse commune.

Vous vous étiez réduits ainsi, parce que vous aviez jugé que les comédien-, ont des ch revers auxquelles vous a êtes point soumis, parce que vous pouvez cesser de faire des pièces de théâtre quand ils ne peuvent cesser d’en jouer ; parce que leur état, exigcanl des dépenses, leur impose un genre de vie dispendieux et dissipateur, que le travail du cabinet vous rend à vous presque étrange qu’enfin l’homme de génie peul s’honorer d’être fier, pauvre et modeste, lorsque le lalent du débit demande une sorte de faste. Vous aviez donc tous arrêté que, levanl les frais du spectacle réglés à ? ix ce ni— francs par jour, chaque auteur n’aurait qu’un septième sur le restant de la recette pour un grand ouvrage en cinq actes, et les.mires en proportion, laissant aux acteur— qui les jouent les su septièmes de toul le reste. Vous ne changez rien aujourd’hui à desles conventions, sinon qu’au Heu de six ci nts livres vous en passez sept cents aux c édiens français, sans augmenter votre sorl d’une obole. (in chercherait en vain ici la cause du pi débat, el pourtant vous en avez un qui me parail qui fût décent, digne du noble emploi que interminable. , aïs faites île m.— talent s, celui de vous soumettre a la parfaite châlits de drcii ut l’util ; it lhoni n fique.

juré leur imiii

fait que pour eux ri pi

i 1 Impression, afin qu’oi

MM. le

que ce travail, i|u

pût juger dos motifs qui fut

Avant de mettre au jour CC qui VOUS honore, messieurs, dan— celle répartition de gains h une plus grande inégalité que ceci n’en offre l’aspect, permettez-moi île rappeler succinctement générales d’où.-orient vos traités avec tous les théâtres.

" l.a loi du septième exigé sur la recette pour les pièces en cinq actes (une somme de frais levée) doit être rigoureusement uniforme pour tous les théâtres de France ; sans cela, plus de base fixe à l’état futur des auteurs : vous suivrez, pour les autres pièces, votre proportion établie du dixième et du quatorzième sur le règlement du septième.

° La loi que vous vous laites de passer aux spectacles une somme de frais équitablement arrêtée, tient les articles ne varient point, doit être maintenue aussi : sans cela, plus de règles pour traiter avec les spectacles ; toul devient arbitraire, etles disputes recommencent.

° La méthode de simplifier les comptes de cette partie, en substituant une somme fixe de frais alloués à l’amiable aux détails fatigants d’un examen perpétuel de ces frais, est assez bonne selon moi, mais c’est lorsque le résultat d’une discussion préliminaire rentre à peu près dans la somme allouée ; sans cela les auteurs seraient justement assaillis des plaintes des spectacles qui se trouveraient traités moins favorablement que d’autres ; et c’est ce qu’on doit éviter.

° Les considérations particulières qui peuvent faire accorder des exceptions avantageuses à de certains théâtres doivent toujours être expliquées dans les conventions écrites, pour qu’elles répondent d’avance aux réclamations des spectacles qui ne se trouveraient point dans le cas d’obtenir de ces exceptions.

° Nul auteur signataire dans la libre a ociation que le bien du théâtre exige ne doit se croire eu droit d’y rien changer dans ses conventions avec les spectacles qui joueront désormais sis pièces ; autrement tout devient un combat sourd d’intrigues perpétuelles pour obtenir des préférences, et l’état des auteurs modérés et paisibles serait pire que par le passé.

° Vous devez tous vous regarder comme les défenseurs-nés des théâtres, pour arrêter I tions que les abus d’autorité voudraient leur faire supporter ; et cet article est de rigueur pour vous. Il serait bien à souhaiter, messieurs, quetoutes les questions qui s’élèveront relativement à ces principes fussent à l’avenir jugées à l’amiable par un comité de gens de lettres et de théâtre, bien choisis, où tous les contondants, auteurs et comédiens, expliqueraient les motifs de leurs prétentions réciproques, afin que ces débats, qui, portés dans les tribunaux, y sont souvent vus du côté qui prête au ridicule, cessent de mettre les hommes d’esprit ou de génie de la littérature à la merci des sots dont le monde est toujours rempli.

Appliquons maintenant au Théâtre-Français l’usage de tous ces principes.

Si l’exactitude des chiffres donnait des résultats sévères contre les comédiens français, n’en induisez pas, je vous prie, que je suis l’ennemi d’un arrangement avec eux. Personne plus que moi n’en sent la grande utilité, à laquelle je souhaiterais qu’on pût faire fléchir la rigueur même du principe. Col à vous de juger, messieurs, si vous pouvez admettre en leur faveurdes considérations particulières ; ou si, dans des dispositions qui intéressent autant vos successeurs que vous, il vous est permis d’accueillir d’autre principe de décision que celui seul de la justice.

Des comédiens se réunissent vingt-trois personnes pour partager les emplois d’un spectacle el les produits de l’entreprise, ou tous les mois ou buis les ans : soit qu’ils jouent, soit qu’ils ne jouent pas dans l’ouvrage île chaque auteur, ils partagent tous au produit , car ils sont en société.

Les hommes de lettres qui se succèdent pour fournir au jeu d’une année les représentations théâtrales sont à peu près vingt-trois aussi par an. Chacun d’eux ne partageant point quand on joue l’ouvrage d’un autre, et n’étant point en société nid succès m de recette : à la fin de l’année, au compte gênerai, il résultera seulement que, ce spectacle ayant levé ses frais, a partagé son bénéfice entre vingt-trois auteurs et vingt-trois comédiens ; mais dans une telle proportion, que les auteurs vivants, qui semblent lever entre eux tous un septième effectif sur la recette annuelle, n’en touchent réellement qu’un vingt-septième in masse, et que la proportion exacte du sort des vingt-trois comédiens à celui des vingt-trois auteurs est, pour chacun des comédiens, ’"initie vingt-sept francs " vingt sous. Cela peut paraître choquant ; eu voici la preuve évidente : Si les auteurs vivants n’offraient à jouer aux comédiens que des ouvrages en cinq actes, et qu’on en donnait un tous les jour de l’année, le toucheraient par au le septième du produit net. Mais comme le fonds existant du plus superbe répertoire d’ouvrages d’auteurs morts ne laisse d’espoir à ceux qui vivent que de voir jouer leurs u plus dt trois jows l’un, en concurrence avec les chefs-d’œuvre anciens, ils ne toucheront jamais dans la recette annuelle ’jh’uh septième dans le tiers des représentations, ou le vingt et unième "» total ; encore en supposant qu’on jouerait, dans ce temps qui leur est consacré, une pièce en cinq actes par jour.

Mais comme il est aussi prouvé qui’, sur les ouvrages nouveaux, la succession de la mi-’ 1 au théâtre est toujours établie entre une pièce en cinq actes, une en trois actes et une en deux ou un, qui oui différents honoraires, il en résulte qu’un tiers seul des ouvrages représentés offre à ses auteurs l’honoraire du septième ; puis le second tiers, le dixième ; et l’autre enfin, le quatorzième : lesquels tous pris ensemble n’offrent <jii’iiu neuvième effectif , qui n’a lieu, ainsi qu’on l’a vu, que pour un seul tiers de l’année.

Donc la part annuelle des auteurs, ne pouvant être en masse que du neuvième dans le tiers des recettes, n’est que du vingt-septième sur la totalité : ce qu’il fallait vous démontrer.

Tout ceci bien prouvé, quelle que soit la recette, forte ou faible, immense ou exiguë, la proportion sera toujours la même, du sort des Comédiens au vôtre. Ainsi (pour donner un exemple qui ne sorte point du sujet) pendant l’année dernière la Comédie française prétend n’avoir touché que huit mille francs de part entière, au total de cent quatre-vingt-quatorze mille livres, divisées en vingt-trois parties : les vingt-trois auteurs de l’année, s’ils n’avaient pas retiré leurs pièces, n’auraient partagé entre eux tous, dans la proportion du vingt-septième établi, que sept mille cent quatre-vingt-cinq livres. Donc trois cent douze livres eussent été le sort de chaque homme de lettres.

Les auteurs se contenter d’un, lorsque les acteurs ont vingt-sept, ce n’est point là ruiner la Comédie

! ançaise. En quelque ville de l’empire que vous 

employiez un théâtre à ce taux, vous pourrez vous vanter, messieurs, d’un parfait désintéressement, Pa c iurons d’autres hypothèses. Je suppose que • comédiens, trouvant leur répertoire usé, pen-- ni qu’il est de leur intérêt d’exploiter plus de nouveautés, et qu’au lieu d’un tiers de l’année ils doivent leur en consacrer deux : il est bien clair alors tous les rapports restant les mêmes, quand celui-là seul est changé, que le sort des auteurs se trouverait doublé, et qu’au lieu de dix-huit mille livres ils auraient à se partager trente-six mille livres chaque année ; qu’alors la proportion de sort entre les comédiens et eux ne serait plus comme vingt-sept à un, mais seulement comme dix-huit.

Mais aussi, comme cette idée ne peut venir aux i li n- que lorsqu’ils sentiront enfin que les sw septièmes d’une grande recette valent mieux que les sept septièmes d’une petite : si le sort des auteurs était doublé en masse, celui descomédiens reviendrait tout ce qu’il l’ut dans ces formidables ani s où, au lieu de cinq cent mille livres, ils eurent jusqu’à un million de produit brut à répartir. La proportion serait toujours la même entre le sort des comédiens et des auteurs ; seulement le produit aurait été doublé pour tous. Que si, sans augmenter la recette commune présumé !

n deux mille cent livres, les comédiens sentaient 

qu’ils ne peuvent arriver même à ce taux moyen .pieu forçant sur les nouveautés (les ouvrages anciens leur rendant à peine les frais), alors il faudrait revenir à ce très-bon raisonnement qu’ils repoussent de toutes leurs tètes, que, les nouveautés seules faisant la prospérité des ■■eei.ieles, j| est peut-être encore moins malhonnête que maladroit de vouloir amoindrir le sort leste des auteurs, au risque de périr faute de bonnes nouveautés ; lorsque, dan- les grandes and i la portion de chaque comédien a monte à vingt-sept mille francs, celle des vingt-trois auteurs ensemble n’a jamais été jusqu’à trente-huit mille livres.

Je crois savoir, ainsi que vous, quel peut être l’espoir des comédiens français, lequel n’est pas toujours déçu : c’est que quelques jeunes auteurs, en faisant leurs premiers e.-sais, pressés de gloire ou de besoin, leur céderont souvent des pièces au prix qu’ils voudront en offrir. Mais ,-,.. jeunes L’en-, détrompés, ne tarderont pas à sentir le tort qui leur aura été fait, lorsque les troupes du royaume, en leur demandant leurs ouvrages qu’on aura joués cà ce théâtre, leur diront assez justement : Les comédiens français vous donnaient le dixième, ou le seizième, ou le vingtième, qui vous rapportaient peu de chose ; nous, dont les recettes sont moindres, nous ne vous offrirons pas plus. Où vous aviez vingt francs chez eux, il vous revient vingt sous chez nous. Alors -eut. mt la conséquence du mauvais parti qu’ils ont pris, et qu’une démarche légère les met à la merci de tous les directeurs, il- qui n "i-onl les comédiens français.

Abordons maintenant la question des frais journaliers. Ils n’ont rien de semblable entre eux que la nature des articles, qui ne doit varier nulle part. La valeur de chacun d’eux varie selon l’importance des théâtres, suivant le plus ou moins d’objets qu’un spectacle veut embrasser.

Les seuls articles invariables que vous allouez aux spectacles, sous le nom de frais journaliers, dans l’imprimé qu’ils ont reçu de vous, sont :

Le loyer de la salle ;

La garde, autant qu’elle est payée ;

Le luminaire ;

Le chauffage ;

L’abonnement des hôpitaux, tant que l’abonnement subsiste ;

Les employés au service du spectacle ;

Les affiches, les imprimés ;

Le service pour les incendies.

Vous n’en avez point passé d’autres.

Ces objets arrêtés, vous avez vérifié, en traitant avec les spectacles, à quelle somme chacun montait, et vous les avez tous alloués avec la plus grande équité sur les registres et les renseignements que chaque théâtre a fournis.

Puis ils vous ont priés, pour simplifier les comptes, d’en faire une somme commune, qu’on allouerait à l’amiable, en ajoutant, pour frais extraordinaires entre un cinquième et deux cinquièmes de la somme allouée, dont le total serait la retenue journalière au delà de laquelle le partage commencerait sur le pied du septième, ainsi que vous l’avez réglé.

Le résultat de vos calculs vous a fait allouer, messieurs, sept cents livres de frais, tout compris, à la Comédie italienne, même somme de sept cents livres au Théâtre-Français de la rue de Richelieu, six cents livres par jour au théâtre dit du Marais ; ainsi en proportion aux autres.

Restaient MM. les comédiens français, qui, calculant avec chagrin la différence qui résulte pour eux de la concurrence actuelle à leur monopole passé, n’ont voulu traiter avec vous qu’au dixième de la recette pour les pièces en cinq actes, retenant huit cents livres pour les frais journaliers ; plus, les frais extraordinaires. Mais vous avez jugé, messieurs, que vous ne pouviez vous écarter de cette unité de principes qui sert de base à vos traités avec tous les autres théâtres, sans rester exposés à des réclamations, à des difficultés, à des débats sans nombre ; et vous m’avez chargé d’écrire en votre nom aux comédiens français que, sans rien changer au passé, vous continueriez tous de traiter avec eux au septième de la recette, en allouant avec équité les seuls articles de frais ci-dessus spécifiés comme à tous les autres théâtres, quelles qu’en fussent les sommes établies d’après leurs registres. Dans leur chagrin, ils oui été longtemps sans vouloir les communiquer. Enfin, les ayant obtenus, j’ai fait un long travail, dont le but pacifique était de leur prouver qu’à la différence prés d’hériter des auteurs au beau milieu de leur carrière, dont le décret du 13 janvier les avait justement privés, ils ont réellement obtenu beaucoup d’amendements en mieux sur divers articles des frais.

Les auteurs, leur dis-je, ne vous passaient depuis douze ans que six cents livres de frais par jour ; et pourtant, par les relevés de vos registres mêmes, sur tous ces articles de frais, alloués alternative ment, vous gagniez déjà, de compte fait, trente et un mille livres par an, puisque tous ces frais journaliers (les seuls qu’allouaient les auteurs, d’accord avec vous sur ce point) ne se montaient chez vous, d’après les livres de vos comptes, qu’à cent soixante-trois mille quatre cents livres, quand les auteurs vous en passaient cent quatre-vingt-quatorze mille quatre cents, en vous allouant à l’amiable six cents livres de frais par jour, et comptant l’année théâtrale alors de 324 jours.

Au lieu de six cents livres que les auteurs passaient, ils vous en ont offert sept cents, qui, calculées à trois cent cinquante jours par an, vous feront désormais une autre différence en gain de trente-cinq mille livres chaque année.

Vous gagnez les vingt mille écus de votre abonnement des pauvres.

Vous ne payez point de loyer, quand les autres spectacles en ont au moins pour trente mille livres chacun.

Vous ne payerez plus quatorze mille livres de garde extérieure, car cette exigence est injuste. La différence de ces som- / 31,000 i.} mes (en comptant comme 5 ? ,00 ° ( ,~ [(( vous comptez) bonifiera donc i l’H° 1/0 ’ (J001 votre sort, sur vos dépenses ( eo’ooo j journalières, de cent soixante-dix mille livres par an. Ces gains-là, messieurs, vaudraient mieux qu’un misérable grappillage sur le traitement des auteurs, lequel ne ruai pus mille crus, et peut amener votre ruine.

Si vos recettes sont diminuées par les événements actuels, c’est un mal passager que les auteurs partagent avec vous. Ce n’est point sur leur soit modeste que vous pouvez réparer ce malheur. Quand vous annuleriez leur entier traitemenl à tous, il est trop disproportionné pour entrer en ligue de compte avec les gains puissants que vous regrettez justement.

Eh ! ([ne ferait leur sacrifice entier, lorsqu’il est démontré que (sept cents livres de frais levées) deux mille cent livres de recette par jour vous donneront un produit net, par an, de quatre cent quatre vingt-dix mille livres, dans lequel produit les auteurs ne peuvent jamais entier en masse que pour dix-sept mille six cents livres qu’ils se partagent entre vingt-trois : ce qui doit produire à chacun sept cent soixante-cinq livres par an, quand vous aurez pour chaque part vingt mille cinq cent trente-neuf livres ?

Si, au lieu de lever sept cents livres de frais, vous en voulez prendre neuf cents : au lieu de deux cent quarante-cinq mille livres par an, vous lèverez alors trois cent cinquante fois neuf cents livre-, ou trois cent quinze mille livres. Suivant votre façon de compter, dont je vous prouverai le vice, la différence en plus, pour vous, sera de soixante-dix mille livres. Mais comme les auteurs ne partagent que sur le pied du neuvième dans le tiers, qui est le vingt-septième, vous ne retrancherez sur la part des mêmes auteurs que le neuvième du tiers des frais, qui n’est aussi qu’un vingt-septième. Et c’est donc pour leur arracher ce vingt-septième de soixante-dix mille livres par an, ou deux mille cinq cent quatre-vingt-douze livres sur leurs dix-sept mille six cents livres, que vous vous obstinez à refuser leurs offres ! car tout le reste porte sur vous. Remarquez bien cela, messieurs : tout h restt porte sur vous ! Voyez si deux mille cinq cent quatre-vingt-douze livres de plus ou de moins par an, dans une recette présumée de sept cent trente-cinq mille livres, peuvent entrer en considération avec le mal affreux de vous séparer des auteurs : daignez comparer avec moi le résultat des deux décomptes, et jugez qui doit en rougir !

Si les vingt-trois auteurs faisaient ce sacrifice, les dix-sept mille six cents livres qu’ils se partagent entre vingt-trois, réduites alors à quinze mille huit livres, ne laisseraient plus à chacun, au lieu de sept cent soixante-cinq livres, que six cent cinquante-trois livres par an ; c’est presque le huitième que vous leur ôteriez, lorsque cette différence, si c’est vous qui la supportez, n’est qu’un cent quatre-vingt-troisième de diminué sur votre sort. Au lieu de vingt mille cinq cent trente-neuf livres, vous ne toucherez plus chacun que vingt mille quatre cent vingt-sept livres ; c’est cent douze livres de moins, par an, à chaque comédien français. Pour les auteurs vos nourriciers, c’est le huitième de leur sort ; pour vous, c’est un cent quatre-vingt-troisième : et voilà l’objet du débat auquel vous sacrifiez le Théâtre-Français ! Vous n’y avez pas bien réfléchi !

Tels ont été mes arguments. Je leur ai cent fois remontré que, dans leurs sept meilleures années, depuis 1782 jusques et compris 1789, où ils faisaient, année commune, neuf cent cinq mille livres de recette, toute la littérature en masse ne leur avait coûté que trente-sept mille huit cent deux livres par an ; qu’un traitement aussi modique, fût-il diminué d’un huitième sur d’aussi puissantes recettes, ne pouvait jamais réparer ce qu’ils appelaient leur malheur.

Je leur démontrai, plume en main, ainsi que je viens de le faire, que désormais cette littérature, malgré le décret national qui la rendait à ses propriétés, ne leur coûterait qu’un vingt-septième du produit net de chaque année ; et ce travail, messieurs, que j’ai mis sous vos yeux, vous a bien convaincus, j’espère, du motif conciliateur qui me l’avait fait entreprendre. Mes peines ont été perdues.

Malgré mes arguments, mes conseils, et surtout mes chiffres, après de longs délais et beaucoup de débats, MM. les comédiens français n’ont cru pouvoir aller qu’à vous offrir, messieurs, le septième de la recette, en retenant, par jour, neuf cents livres de frais ; plus, les frais extraordinaires, qui doivent passer dix mille livres : lesquels ensemble font trois cent vingt-cinq mille livres par an.

Pour appuyer la prétention des neuf cents livres, ils disent qu’ils dépensent treize cents livres par jour (ce qui est vrai pour onze cents livres). Mais si cette somme se compose de frais la plupart étranger à ceux dont les articles sont justement fixés par vous avec tous les autres spectacles, doit-on vous les passer en compte ?

Des feux d’acteurs, qui entrent dans leurs poches !

Des arrérages d’emprunts, dont ils ont des immeubles !

Des intérêts de fonds d’acteurs, dont l’argent est censé en caisse !

Des parts d’auteurs, qu’on peut payer ou non ; et prises sur les bénéfices, quand les frais ont été levés !

Des voyages à la cour, qui demeure à Paris !

Des vingtièmes, des capitations, des aumônes (devoir de citoyens que nous remplissons tous) !

Des étrennes, des fiacres, des acteurs à l’essai, etc., etc., et vingt articles d’etc., qui s’élèvent ensemble à plus de deux cent mille livres, sont-ils bien des frais journaliers dans lesquels l’auteur doive entrer sur son neuvième très-chétif, surtout lorsqu'en leur accordant sept cents livres avant le partage, ils ont à prélever deux cent quarante-cinq mille livres pour les frais ?

Après m’être un peu trop fâché, la ténacité qu’ils mettaient à se cramponner à leur offre m’a fait faire un nouveau travail, pour tâcher de les ramener d’une erreur aussi dangereuse. Mais ils croyaient, messieurs, avoir fait un si grand effort en ne vous arrachant pas plus, qu’ils m’ont répondu net q i’i tait aux autt urs à fairi a $m i t’/ti e, i uisqu’eux s’étaient tant avancés sur leur in, us. quand mus n’aviez rien changé sur les vôtres. One dire à celte obstination, sinon qu’ils sont bien malheureux d’aimer si fort huis intérêts, et de les entendre si mal ?

Enfin, dans une conférence entre leurs commissaires et quatre d’entre nous, j’ai pris sur moi d’aller jusqu’à leur proposer huit nuis livres de [nus par jour, sans être sûr que vous m’en avoueriez, mû par les considérations que les Français étaient le seul théâtre qui avait fait des pertes à la révolution, puisque tons les autres partagent un répertoire immense, qu’ils avaient seuls depuis cent ans ; que ce théâtre avait été le bel tous vos succès ; qu’ils payent les sotti es de leurs prédécesseurs ; qu’ils font vingt mille francs de pensions où leur honneur est engagé ; qu’aucun autre spectacle enfin ne pouvait exciper d toutes ces considérations, pour réclamer un avantage qu’un motif personnel aux comédiens français avait pu seul vous arracher. Mais, je le dis avec chagrin, j’ai perdu tout espoir d’un arrai ; i ment avec eux lorsque, pour unique réponse, ils m’ont répété quêteur mot était de prélever neuf cents livres di frais pur jour, sans les frais extraordinaires, en n’accordant que le septième.

Or, voyez tout le faux de ce fatal raisonnement !

Des six cents livres que vous passiez aux neuf cents livres qu’ils demandent, il paraît y avoir pour eux trois cents livres de gain par jour, ou cent cinq mille livres par an, sans les frais extraordinaires, qu’on peut porter à dix mille livres. Mais ce gain de cent quinze mille livres, auquel ils sont si acharnés, n’est qu’une vaine illusion, un faux aspect qui les égare.

Les soixante mille livres de l’abonnement des pauvres, le loyer qu’ils ne payent point, et la garde extérieure cessant d’être à leur solde, sont des objets d’un gain réel. Le faux gain sur les frais n’est rien.

Ces cent quinze mille livres exigées auraient bien toute leur valeur, si les auteurs, à qui on les demande, devaient les payer en effet ; mais leur part est si misérable dans les recettes d’une année, que, sur un produit présumé de sept cent trente-cinq mille livres, on a vu qu’elle ne va pas même à dix-huit mille livres par an. On en retiendrait mille écus (et c’est plus qu’on ne peut vouloir leur arracher), que les comédiens, sur leur part, n’en payeraient pas moins, par an, cent douze mille livres dans les cent quinze : objet d’un puéril débat, puisque le tout porte sur eux.

Cette rage de disputer, de mordre sur les gens de lettres, et d’écorner leur misérable part, est donc vide, à peu près, d’intérêt pour les comédiens. Or il faut me prouver que mes calculs sont faux, ou bien convenir qu’on les trompe, avec le funeste projet de les ruiner entièrement, quand on les fait s’obstiner si longtemps à verser sur les seuls auteurs leur malheureuse économie.

Je dis leur malheureuse, car ce constant refus de la modique différence entre vos offres et leurs demandes leur a déjà coûté plus de cent mille francs de recette, depuis six mois que leur obstination les a privés de vos ouvrages ; joignez-y la scission qui s’est faite entre leurs sujets, et qui est la suite fâcheuse de leur division avec vous : voilà le secret de leurs pertes.

Vous m’avez entendu ; je vais me résumer, et vous prononcerez après.

Yous’ne pouvez avoir, messieurs, de société partielle intéressée avec les comédiens français que pendant un tiers de l’année. Les deux aul consacrés au jeu d : I m ien répertoire ; et quand ils ne jouent pas vos pièces, leur théâtre vous est étranger autant que s’il n’existait point. Le tiers de trois cent cinquante jours qui composeront désormais J’année théâtrale des spectacles donne un peu plus de cent seize jours ; moi, je l’abonne à cent vingt jours.

De ces cent vingt jours-là, un tiers serait rempli l’ii— vos pièces eu cinq actes, lesquellemille cent livres de recette commune, dont nous sommes tombés d’aco livres de frais prélevés, lesquels sont l’objet du débat), laisseraient au partage mille quatre cents livres de recette, dont le septième, pour vous, serait deux cents livres par jour, pendant le tiers des cent vingt jours, ou quarante jours de spectacle. Or. quarante fois deux cents livres font huit mille livres de recette pour toutes les pièces en cinq actes.

Puis l’autre tiers des cent vingt jours, ou quarante jours de pièces eu trois

la recette, vous produirait, aussi par an, cinq mille six cents livres de recette.

Puis quarante jours de pièces en un acte ou en recette, ne vous pro duiraient plus que quarante fois cent livres ou quatre mille livres par an : lesquelles trois sommes 1 8, 000 livres, j

de] 5, 600 | ensemble 17, 000 livres, ( 4, 000)

sont, dans l’année, tout ce que la littérature peut espérer tirer des comédiens français sur les sept cent trente-cinq mille livres, produit brut de trois cent cinquante recettes présumées à deux mille cent livres.

En prélevant sept cents livres de frais par jour, ou deux cent quarante-cinq mille livres, plus les dix-sept mille six cents livres touchées par les auteurs, il resterait aux comédiens français quatre cent soixante-douze mille quatre cents In i divisées en vingt-trois parts, donner, comme nous l’avons’lit. vingt nulle cinq cent trente-neuf livres, quand chaque auteur ne toucherait que sept cent soixante-cinq livres par an. Le sort des comédiens à celui des auteurs serait ingt-sept à un.

Je dois pourtant vous répéter, messieurs ne suis point votre avocat, mais le rapporteur de l’affaire.que cette différence, qui parait si énorme en comparant le sort de vingt-trois auteurs dramatiques à celui des vingt-trois comédiens, que cette différence s’abaisse quand on veut bien se souvenir que, les auteurs n’étant en société avec les comédiens que pendant un tiers de l’année, le produit des deux derniers tiers du trava Comédie leur est de tout point étranger. Ils n’ont donc tous à comparer leur sort qu’avec un tiers de celui des acteurs : or, sur une recette de quatre cent soixante-douze mille quatre cents livres palan, ce tiers n’est plus que cent cinquante-sept mille quatre cent soixante-six livres trei ; laquelle somme à son tour, comparée à mille six cents livres, est. à peu de chi a) —ont à un.

La différence du sort des comédiens français à celui des auteurs qui travaillent pour eux est donc toujours au moins comi un r un tiers de l’année, seul temps où le partage entre eux est établi.

Si l’on objectait à ceci qu’il n’esl pas bien certain que les deux autres tiers de l’année qui restent consacré— aux ouvrages anciens donnent, ainsi que le tiers consacré aux nouveaux, deux ni livres chaque jour, votre réponse est celle-ci, messieurs ; si elle est sévère, elle est juste :

Les ouvrages anciens ne peuvent-ils soutenir la prospérité du spectacle ? ne dispub prix des nouveautés, puisqu’elles seules vous font vivre ! Les trouvez-vous trop chères pour leur produit ? jouez-en beaucoup moins, elles vous coûteront peu d’argent ; et tâchez de filer l’année avec des ouvrages anciens, dans le produit desque vous n’entrera : et ce dilemme iplique doit finir toutes les disputes. nfin le quatorzième, h quels, tous réunis, ne font que le n i tiers de la am.

livres de frais préleva. son ! donc, messieurs, ce que vous demandez aux comédiens français pour leur donner tous vos ouvrages exclusivement pour un an ; et mes calculs vous ont prouvé que ce neuvième, dans le tiers d’une recette annuelle présumée de sept cent trente-cinq mille livres, ne leur coûtera jamais dix-huit mille francs par an, et que la.proportion des sorts entre les comédiens et vous sera toujours comme vingt-sept à un ; et c’est pour amoindrir ce misérable vingt-septième, c’est pour réduire à six cent cinquante-trois livres les sept cent soixante-cinq livres dont ils vous gratifient par an, que l’on débat depuis six mois ! Cela passe ma conception.

Si j’ai rappelé tant de fois ce résultat comparatif, c’est pour mieux inculquer dans l’esprit de tous mes lecteurs que, sur des recettes immenses, vos prétentions, messieurs, ont toutes été si modérées, qu’on doit avoir bien de la peine à croire qu’elles aient été refusées.

Si l’on pouvait penser que cette obstination vînt de mauvaise volonté, il faudrait laisser là les comédiens français, comme des hommes très-malhonnêtes envers les auteurs dramatiques. Mais je jure, messieurs, et je m’en suis bien convaincu, que de leur part c’est ignorance pure, inquiétude sans objet. Je n’ai pu leur faire comprendre qu’ils jetaient des louis par la fenêtre en disputant sur des deniers ; que ce qui enlevait le huitième aux auteurs, vu le modique sort qu’ils avaient dans la part commune, n’était qu’un cent quatre-vingt-troisième à chaque comédien français ; que cette lésinerie (à peine cent louis) leur coûterait cent mille écus par an, et qu’elle finirait par ruiner leur théâtre. Ils m’ont dit qu’ils n’en croyaient rien ; mais que, quand cela devrait être, beaucoup d’eux aimaient mieux périr que d’en avoir le démenti. Là, j’ai rompu toutes les conférences.

D’après cela, messieurs, décidez maintenant si, comme aux grands théâtres, vous contentant du modeste septième, réduit par le calcul au modeste neuvième pendant quatre mois de l’année, qui n’est qu’un vingt-septième annuel, vous allouerez aux comédiens français sept cents livres de frais par jour, ou cent livres de plus, par des considérations personnelles, ou neuf cents livres qu’ils demandent, plus les frais extraordinaires, terme au-dessous duquel ils ont juré ne vouloir point descendre.

Une décision de vous est le seul but de ce rapport.

Lu dans l’assemblée des auteurs, ce 12 auguste 1791.

Caron de Beaumarchais, rapporteur.

Délibération prise à l’assemblée des auteurs dramatiques, au Louvre, ce 12 août 1791.

M. de Beaumarchais ayant fait le rapport du travail de MM. les auteurs nommés, qui, le 7 de ce mois, ont chez lui discuté avec MM. Molé, Desessarts, Dazincourt et Fleury, les intérêts des auteurs et ceux des comédiens ; ayant ensuite communiqué à l'assemblée un travail très-détaillé, très-clair et très-précis sur cet objet : la question dûment éclaircie et posée, pour savoir ce que les auteurs peuvent équitablement allouer de frais, tant ordinaires qu’extraordinaires, audit théâtre ; plusieurs votants ont été de l’avis que, par des considérations particulières aux comédiens français, il pouvait leur être accordé huit cents livres de frais par jour. Mais la grande majorité a dit que, d’après l’examen exact des dépenses de ce spectacle, il ne devait être accordé aux comédiens français que sept cents livres de frais par jour, et tous leurs soussignés se sont rangés à cet avis.

L’impression du rapport et de la délibération a été ordonnée ; et ont signé

MM. Ducis, de la Harpe, Marmontel, Sedaine, Lemierre, Cailhava, Chamfort, Brousse des Faucherets, Chénier, Palissot, Leblanc, Dubreuil, Lemierre d’Argis, Fillette-Loraux, Guillard, de Santerre, la Montagne, de Sade, des Fontaines, Pujoulx, Harni, Faur, Laujon, Dubuisson, André de Murville, Gudin de la Brenellerie, Cubières, Fenouillot de Falbaire, Mercier, Fallet, Dumaniant, Radet, Patrat, Grétry, Daleyrac, Lemoine, Forgeot, Caron de Beaumarchais.

Chaque théâtre ayant la liberté d’embrasser tout genre de spectacle, et ce délibéré ne portant que sur le partage entre le génie qui compose et tous les talents qui débitent, les auteurs de différents genres ont eu un droit égal d’émettre et de signer leur vœu. De même que nos poëtes tragiques ont donné des pièces chantées, de grand musiciens ont orné de leur art les chefs-d’œuvre de la tragédie ; témoin M. Gossec et ses beaux chœurs dans l’Athalie de Racine, et témoin plusieurs autres.

Cette note répond à l’objection futile : que MM. les comédiens français, ayant le droit de nous prendre un à un, ne reconnaissent point d’arrêté général des auteurs. Celui-ci n’engage que nous : permis à eux de n’en faire aucun cas. Il nous suffit à tous d’avoir bien instruit le public.


PÉTITION

À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

PAR CARON DE BEAUMARCHAIS

Contre l’usurpation des propriétaires des auteurs par des directeurs de spectacles, lue par l’auteur au comité d’instruction publique le 23 décembre 1791, et imprimée immédiatement après.

Jusqu’à présent les directeurs des troupes qui jouent la comédie dans les villes des départements du royaume n’ont opposé, au droit imprescriptible des auteurs dramatiques sur la propriété de leurs ouvrages, reconnu, assuré par deux décrets de l’Assemblée nationale constituante, et aux réclamations qu’ils n’ont cessé de faire contre leur usurpation, que des sophismes et des injures. Je vais, dédaignant les injures, réfuter les sophismes avec le zèle ardent que j’ai voué aux progrés de l’art dramatique , aux intérêts pressants des hommes de lettres qui l’exercent. Vous me pardonnerez, messieurs, si les termes un peu durs vous frappent dans le cours de cette pétition : ils sont désagréables ; mais, sur l’action dont nous nous plaignons tous, je n’en connais point de plus doux, malheureusement pour la cause et pour nos ardents adversaires.

Une première observation a frappé tout le monde. Il est, dit-un, bien étrange qu’il ait fallu une loi expresse pour attester à toute la France que la propriété d’un auteur dramatique lui appartient ; que nul n’a droit de s’en emparer. Ce principe, tiré des premiers droits de l’homme, allait tellement sans le dire pour toutes propriétés des hommes acquises par le travail, le don. la vente, ou bien l’hérédité, qu’on aurait cru très-dérisoire d’être, obligé de l’établir en loi. Ma propriété seule, comme auteur dramatique, plus sacrée : que toutes les autres, car elle ne me vient de personne, et n’est point sujette a conteste pour dol, ou fraude, ou séduction, l’œuvre sortie de mon cerveau, comme Minerve tout armée de celui du maître des dieux ; ma propriété seule a eu besoin qu’une loi prononçât qu’elle est à moi, m’en assurât la possession. Mais ceux qui observent ainsi n’ont pas saisi le texte de la loi.

Bien est-il vrai qu’on n’osait pas me dire : L’ouvrage sorti de vous n’est pas de vous. Mais les directeurs de spectacles ont posé cet autre principe : Auteur dramatique, ont-ils dit, l’ouvrage qui est sorti de vous est de vous, mais n’est pas à vous. Vous n’en obtiendrez aucun fruit : il est à nous ; car nous sommes, depuis cent ans, par longue suite des abus d’un régime déprédateur et votre faiblesse avérée, en possession de nous enrichir avec lui, sans vous faire la moindre part du produit que nous en tirons.

La loi, pour réprimer ce scandale de fout un siècle, n’a point dit dans ses deux décrets : L’œuvre d’un auteur est à lui ; ces décrets eussent été oiseux : mais elle, a dit formellement qu’attendu les abus passés, les usurpations continuelles établies en droits oppresseurs, aucun ne pourra désormais envahir la propriété des auteurs sans encourir tel blâme ou telle peine. Alors, commençant à l’entendre, les directeurs detroupes ont cherché, non à nier la justesse de cette, loi, mais à l’éluder s’ils pouvaient, â échapper a sa justice par tous les moyens d’Escobar.

Le premier dont ces directeurs aient penséqu’ils pouvaient user a été simplement de mépriser la loi, de continuer à jouer nos pièces comme si le législateur n’avait point prononcé contre eux : car, ont-ils dit, i ! se passera bien du temps avant que l’ordre rétabli ait armé contre nous la force réprimante ; ce que nous aurons pris le sera, et nous restera : beaucoup de nous n’existeront plus en qualité de directeurs ; et quel moyen de revenir contre un directeur insolvable ? Or, pour ce temps-là tout au moins, la loi sera nulle pour nous. Ils avaient fort bien raisonné, non pas en loi, mais en abus ; car, depuis les décrets qui défi mleiii à tous directeurs de continuer à usurper la propriété ia auteurs, leurs ouvrages ont été joués avec la même audace dans toutes les villes des départements de l’empire, excepte dans la capitale, sans leur permission, malgré eux, comme s’il n’y avait point de loi, sans qu’aucun des humilies de lettres ait pu obtenir de justice des tribunaux des villes où sont établis ces spectacles, qu’ils ont vainement invoqués. L’un nous refuse l’audience, l’autre nous répond froidement : Quoiqu'il y ait une loi formelle, les auteurs sont aisés ; ils peuvent bien attendre que notre directeur ait tenté un nouvel effort pour faire changer cette loi : comme si ce changement, même en supposant qu’il dût se faire, pouvait sauver un directeur de troupe de l’obligation de payer à l’auteur ce qui lui appartient de droit, pendant tout le temps écoulé entre deux lois qui s’excluraient ! Et si le directeur a fait banqueroute pendant ce temps, qui me payera, juge partial, le déficit causé dans ma fortune par votre négligence ou votre déni de justice ? Voilà, messieurs, quel est l’état des choses.

Mais à la fin, ce brigandage excitant un cri général, les directeurs despotes ont cru qu’il était nécessaire de se coaliser avec les comédiens esclaves, pour faire une masse imposante de dix mille réclamateurs contre trente auteurs isolés.

Cette coalition formée, les directeurs de troupes ont tous payé leur contingent pour les frais de députation, de sollicitation, de mémoires, de chicane et même d’injures. Un rédacteur bien insultant s’est chargé de tout le travail. Insulte à part, voici ce qu’il a dit pour eux :

1o Les auteurs ont formé une corporation illégale pour faire exécuter la loi qui prononçait en leur faveur : donc la demande de chacun, et la réclamation sur sa propriété constamment envahie, ne mérite aucune réponse, aucun égard de notre part.

2o Les auteurs ont vendu leurs ouvrages à des libraires, à des graveurs : donc nous, qui avons acheté un des exemplaires imprimés la forte somme de vingt-quatre sous, ou un exemplaire gravé la somme exorbitante de dix-huit livres tournois, nous sommes bien devenus les propriétaires de ces œuvres, pour nous enrichir avec elles, et sans rien payer aux auteurs, malgré la loi qui dit expressément qu’on ne pourra jouer la pièce d’un auteur vivant sans sa permission formelle et par écrit, soit qu’elle ait été imprimée ou gravée, sous peine, etc. Tel est le sens bien net de l’argument des directeurs.

3o Ils ne rougissent pas d’ajouter que la permission donnée autrefois aux auteurs par le gouvernement, d’imprimer et représenter, allouait évidemment, à celui qui achetait vingt-quatre sous cette pièce imprimée, le droit de la représenter sans rien rendre au propriétaire. Quoiqu’on ne puisse articuler de pareilles absurdités qu’en profond désespoir de cause, je ne laisserai pas celle-ci sans réponse : non pour éclairer l’assemblée, je ne lui fais pas cette injure, mais pour faire honte aux adversaires de se servir de tels moyens.

4o Nous étions dans l’usage constant, disent encore ces directeurs, de jouer les pièces des auteurs vivants sans leur rendre la moindre part du produit que nous en tirons ; aucun d’eux n’a jamais réclamé contre ce qu’ils nomment un abus : donc chacun d’eux a reconnu que notre droit était incontestable, de ne rien payer aux auteurs dans toutes les villes de province en y représentant leurs pièces, quoiqu’aucun théâtre de la capitale ne pût et n’osât les jouer sans leur payer le prix convenu, soit qu’elles fussent imprimées ou non, et sous un régime qui protégeait toujours les comédiens contre les gens de lettres. Mais vous verrez bientôt, messieurs, si nous n’avons pas réclamé.

5o Enfin nous serions tous ruinés, disent encore les directeurs, nous marchands du débit des pièces dramatiques, si l’on nous obligeait à en payer les fournisseurs ; de même que tous débitants d’étoffes, en boutique et en magasin, se verraient ruinés comme nous, si, par le même hasard, une loi bien injuste les obligeait tous de payer les fabricants de Lyon, d’Amiens ou de Péronne, qui leur ont fourni ces étoffes. On sent combien cela serait criant ! Heureusement pour eux, aucune loi ne les y soumet, et nous présumons bien qu’ils ne les payent point. Notre droit est semblable au leur ; car si ces marchands louent des magasins pour vendre, nous, nous payons des salles pour jouer. S’ils salarient des garçons de boutique et des teneurs de livres, nous gageons des acteurs et des ouvreurs de loges. S’ils payent leur luminaire, leur chauffage, leurs voyageurs, leurs porte-faix, les impositions de leur ville, et tous autres frais de commerce, nous sommes soumis comme eux. Donc, en vertu de tant de dépenses forcées, comme il serait par trop inique qu’une loi obligeât tous ces vendeurs d’étoffes de les payer aux fabricants, de même on ne saurait, sans la plus grande iniquité, nous obliger de payer les auteurs dont nous récitons les ouvrages, et quoique nous vendions tous les jours le débit de ces pièces au public, qui vient les voir dans notre salle en nous payant argent compté ; car nous sommes les seuls revendeurs qui ne fassions point de crédit : ce qui rend notre cause plus favorable encore que celle des marchands d’étoffes, à qui l’on emporte souvent le prix d’une vente imprudente. Telle est la conséquence juste de l’argument des directeurs.

Un des auteurs, ajoutent ces messieurs, en traitant l’affaire en finance, quoiqu’il soit le plus riche de tous, a dégradé la littérature dramatique par cette avarice sordide d’exiger de nous quelque argent pour un noble travail qui ne doit rendre que de la gloire, et souvent n’en mérite pas.

Cet auteur prétendu financier, c’est moi, qu’un amour vrai pour la littérature attache à cette grande affaire. Malgré les injures grossières dont ces messieurs m’ont accablé, je jure à mes confrères que je n’abandonnerai point les intérêts qu’ils m’ont confiés : cette démarche en est la preuve, et cette pétition contient mes vrais motifs.

Tels sont en substance, messieurs, les arguments des directeurs contre les auteurs dramatiques, leurs nourriciers dans tous les temps.

Je vais les réfuter, en suivant le même ordre dans lequel ils sont rappelés, et me citant seul en exemple, pour tuer d’un seul mot l’idée d’une corporation.

Les auteurs, vous dit-on, messieurs, ont formé une corporation illégale pour soutenir ensemble une loi très-injuste, etc., etc.

Ma réponse est nette et fort simple. Je suis un auteur dramatique : je me présente seul à l’Assemblée nationale, pour empêcher que l’on continue à me faire un tort habituel qui n’a duré que trop longtemps. Par cela seul que je suis seul sur la cause qui m’intéresse, et que je défends devant vous, on ne peut m’objecter, messieurs, cette fin de non-recevoir, qu’on prétend faire résulter d’une forme très-illégale, s’il était vrai qu’il y en eût une dans la demande des auteurs sous le nom de corporation. Chaque auteur usera, s’il veut, des moyens que j’emploie ici pour repousser, pulvériser une attaque aussi misérable. Tous ceux dont je vais me servir auront un avantage égal pour l’intérêt blessé des littérateurs dramatiques. Il n’y a point de corporation à user de la même défense pour repousser la même attaque sur des intérêts tout pareils.

Les auteurs, vous dit-on encore, ont tous vendu leurs pièces à des libraires ou des graveurs : donc leur propriété, transmise à nous par ces derniers, pour vingt-quatre sous les pièces imprimées et dix-huit francs celles gravées, nous appartient sans nul conteste, etc., etc. Sur cette vente générale, je rappellerai en deux mots ce qu’imprime l’un des auteurs.

Comment ! dit M. Dubuisson dans son excellente réponse aux directeurs, un libraire ou bien un graveur aurait-il le droit de vous vendre ce qu’il ne m’a point acheté ? Vend-il le droit de contrefaire mon livre à ceux qui l’achètent pour le lire ? Il serait ruiné ; moi aussi. Jamais théâtre de Paris ne s’est cru en droit de jouer la pièce imprimée d’un auteur, s’il n’a acheté ce droit du propriétaire de la pièce, quoique les comédiens l’aient souvent chez eux imprimée, car ils l’ont achetée comme vous. Voulez-vous exercer un droit qu’on n’a point dans la capitale ? Eh ! qui donc vous l’aurait donné ? Nous prétendez avoir acquis celui de gagner mille louis et plus avec une pièce qui vous a coûté vingt-quatre sous, et souvent moitié moins, grâce au vol des contrefacteurs, aussi grands logiciens que vous sur le droit de piller les auteurs ! C’est en vérité se moquer des auditeurs qui vous écoutent !

Mais enfin, laissant chaque auteur défendre un droit incontestable, je vais répondre pour moi seul. Je n’ai jamais vendu à aucun libraire ni graveur le Mariage de Figaro, dont je réclame ici la propriété usurpée. Il a été imprimé à mes frais, ou dans mon atelier de Kehl. Tout misérable qu’est l’argument, vous ne pouvez pas m’objecter la transmission par un libraire. Mais un fait positif vaut mieux que tous les raisonnements ; j’en vais citer un sans réplique.

Lassé de voir le brigandage dont les malheureux gens de lettres étaient constamment les victimes, je voulus essayer d’y remédier autant qu’il pouvait être en moi. Nommé depuis longtemps par tous les auteurs dramatiques un de leurs commissaires et représentants perpétuels, j’avais eu le bonheur, en stipulant leurs intérêts, de faire réformer quelques abus dans leurs relations continuelles avec le Théâtre-Français ; je voulus profiter du succès d’un de mes ouvrages, qu’on désirait jouer en province, pour travailler à la réforme du plus grand de tous les abus, celui de représenter les ouvrages sans rien payer à leurs auteurs. Je répondis aux demandeurs du Mariage de Figaro que je ne le ferais imprimer, et n’en permettrais la représentation en province, que quand les directeurs des troupes se seraient soumis par un acte à payer, non pas à moi seul, mais à tous les auteurs vivants, la même rétribution dont ils jouissaient dans la capitale.

Que firent alors ces directeurs ? Ils firent écrire ma pauvre pièce pendant qu’on la représentait, la firent imprimer sur-le-champ, chargée de toutes les bêtises, de toutes les ordures et incorrections que leurs très-maladroits copistes y avaient partout insérées, puis la jouèrent ainsi défigurée sur les théâtres des provinces : et ma pièce, déshonorée, volée, imprimée, jouée sans ma permission, ou plutôt malgré moi, devint, par cette turpitude, l’honnête propriété des adversaires que je combats. Je m’en plaignis à nos ministres, seuls juges alors dans ces matières. Je n’en obtins point de justice, car je n’étais qu’homme de lettres ; ma demande n’eut aucune faveur, car je n’étais point comédienne. En vain me serais-je adressé aux tribunaux d’alors, même aux cours souveraines : toutes les fois que le cas arrivait, les comédiennes sollicitaient ; la cour sollicitée évoquait l’affaire au conseil, où elle n’était jamais jugée. Et mon récit, accompagné d’un de ces scandaleux exemplaires que je dépose sur le bureau, est ma réponse au défaut de réclamation que les directeurs nous opposent. La suite va la renforcer.

Obligé de chercher à me faire justice moi-même ; et la pièce, mal imprimée par ceux qui l’avaient mal volée, étant aussi beaucoup trop bête, ce que je fis dire partout en désavouant cette horreur, quelques directeurs de province vinrent me demander de jouer mon véritable ouvrage : je leur montrai mes conditions. Ceux de Marseille, de Versailles, de Rouen, d’Orléans, etc., les acceptèrent sans balancer, en passèrent, acte notarié, dont je joins une expédition[3].

D’après la lecture d’un tel acte, auquel tous les autres ressemblent, on pourra bien être étonné que je n’aie jamais pu tirer un denier de toutes ces troupes, ni moi ni aucuns auteurs, avec mes actes notariés, malgré que j’eusse exprès consacré ces produits aux pauvres de ces grandes villes, espérant que ce bon emploi ferait des défenseurs actifs à la cause des gens de lettres ; mais il n’est pas moins vrai que la pièce imprimée par moi, pour que ces directeurs la fissent représenter en me payant mes honoraires, m’a été de nouveau volée, et que c’est à ce titre seul qu’elle est jouée partout en France. Tels sont les droits des directeurs sur le Mariage de Figaro.

Il n’en est pas moins vrai aussi que j’ai réclamé hautement contre un abus si manifeste, tant pour les auteurs que pour moi. On ne peut donc point m’opposer le défaut de réclamation, et s’en faire un titre aujourd’hui pour continuer à nous dépouiller tous.

Mais à quoi pouvaient nous servir ces réclamations personnelles contre les directeurs de troupes, quand le gouvernement lui-même ne pouvait s’en faire obéir ? Témoin l’Honnête Criminel, dont la cour défendit la représentation, et qui fut joué dans toutes les provinces, quoique le ministre la Vrillière eût ordonné expressément à nosseigneurs les intendants de s’opposer aux représentations.

Qu’arriva-t-il de tout cela ? que le gouvernement ne fut obéi nulle part ; que l’auteur fut volé partout : et que les directeurs s’enrichirent, en se moquant impunément des lois, du propriétaire et du ministre : ce qu’on voit encore aujourd’hui ; car, malgré la constitution et deux décrets consécutifs qui assurent nos propriétés, nos droits et nos réclamations sont nuls : c’est la cause que nous plaidons.

Dans ce même temps à peu près, messieurs les directeurs de Lyon, forcés par les citoyens de leur



devoir rester en entier aux directeurs en compensation des frais journaliers du spectacle.

VI. Que si, pendant le premiers succès d’un nouvel ouvrage à Paris, les directeurs ou actionnaires l’auteur le manu —<

nanec "ii, 1 iuten I,

l’impressi le s i pièce, ce rrl.ua m. s et directeurs de faire

ih iiUre, i Mi’iiiMi, oi non, et dansa sans se — iltrc à toutes les condi qu’ils ma du bénéfice que doit leur I n limée pai I adoption qu’ils en a qu ils la iissciil rçpivsculer ; ri rein foire.’i les auteurs dans li

,..ml toutes les

us, ni ciiiipriisahun des frais

. : ci 3 d’un nouvel ouvrage à

avaient négligé de demander à

obstacle, des raisons de conve auteui de le leur envoyer avant

e donnerait : un di oit auxdits

représenter l’ouvrage sur leur

cun ten ps de la vie de l’auteur,

appoi ter la pièce él ml toujours aieul laite, en quelque temps

adopti t. ml n. litre uffi lut

urs dans li droil ■ tipulés ci-di Ici i jouern la pièce.

i IX. MM. les auteurs dramatique soûl d’aci I et conviennent ’!’"■ les un s condi s auront lieu a leur égard pour toutes les veautés de leur portefeuille qui n’auri a pas été jouées à Paris, doiil lis directeurs ri actionnaires de Marseille, désirant la primeur, seraient d’aï a sur ce point avec les auteurs < !’■ l’ouvrag di iiré C’est s. que le toul a été venu el ai rcté entre les parties, •■ s n s il qualités, qui, pour l’exécution des présentes, font le li’’I icile in teui s demeure i:tisdites.

« Fait et passé à Paris, l’an 1784, le 25 juin ; et le 21 septembre 1784, expédition de l’acte ci-dessus, passé chez Me  Momet, notaire, a été délivrée par Me  Dufouleur, son successeur, etc. »


ville de contribuer aux charités publiques, pour son noble établissement en faveur des mères qui Hum i issent, et dont j’avais été le très heureux instigateur en en donnant partout l’idée, ri en envoyant, on diverses loi-, mille pistoles pour les joindre aux aumônes des généreux citoyens de Lyon, les directeurs de cette ville me demandèrent si je voulais qu’on jouát au profit des pauvres mères le Mariage de Figaro, qui n’était encore imprimé ni par moi, ni par ceux qui me le dérobèrent aux représentations, oui, répondis-je:à condition qu’après la séance des pauvres vous ne jouerez jamais cette pièce, ni d’autres, qu’en payant aux auteurs vivants la rétribution de Paris, suivant un acte notarié pareil à celui de Marseille ; et moi, pour vous y engager, je donne aux pauvres mères ce qui m’appartient comme auteur.

Qu’ont fait les directeurs de Lyon ? ne voulant point accepter cette condition, à laquelle les mères ou leurs vertueux protecteurs auraient donné une exécution rigoureuse, ils ont joué une autre pièce au profit des mères qui nourrissent ; et, pour se bien venger sur moi de ce sacrifice forcé, ils m’ont volé la pièce de Figaro, et l’ont jouée depuis ce temps-là sans rien payer ni à l’auteur, ni aux pauvres mères qui allaitent. À ce récit des faits des directeurs de Lyon j’ajouterai, messieurs, que, depuis les décrets qui nous assurent enfin la propriété de nos pièces, je me suis plaint au sieur Flachat, qui, de procureur du spectacle, a si bien fait par ses journées, qu’il en est devenu propriétaire, et le signataire des injures que tous les directeurs nous disent, Je’me plaignais à lui tr ce que l’on continuait à y jouer, sans une permission de moi, /■■ Mariage de Figaro; il m’a donné cette réponse, dont la citation curieuse est ici à l’ordre du jour:

Nous jouons votre Mariage, parce qu’il nous fournit d’excellentes recettes; et nous le jouerons malgré vous, malgré tous les décrets du monde : je ne conseille même à personne de venir nous en empêcher : il y passerait mal son temps. Nous voilà menacés du peuple !

Ce principe adopté par tous les directeurs de troupes, les évasions des tribunaux, les dénis même de justice, m’ont un jour arraché cette réflexion très-sévère : Quel mérite secret a donc la Comédie partout, pour se soustraire ainsi aux lois ? est-elle donc maîtresse universelle de ceux dont elle est la servante ? est-ce la serva padrona du royaume ? Les parlements, les nobles, ont cédé ; le clergé, tous les grands abus, se sont anéantis à la voix du législateur : la Comédie seule a trouvé d’injustes appuis de des torts dans le peuple et les tribunaux, dans les rues et dans les ruelles ! Mais les auteurs ont la confiance que l’Assemblée nationale à la fin en fera raison.

Ne se confiant pas trop aux principes dont ils se servent, les directeurs de troupes veulent vous apitoyer, messieurs, sur leur ruine, qu’ils disent certaine, si ces fils de Mercure et de la nymphe Écho sont forcés de donner aux enfants d’Apollon, qui seuls font les pièces qu’ils jouent, une part modérée dans le produit de leurs ouvrages, après avoir levé les frais. J’ai bien prouvé, par la comparaison des marchands débitants d’étoffes, qui payent tous leurs fabricants sans venir devant vous, messieurs, débiter la haute sottise qu’ils sont ruinés par ces payements (car qui voudrait les écouter ?), j’ai bien prouvé que la Comédie seule au monde ose déraisonner ainsi, pour intéresser l’auditoire par la voix de ses directeurs.

Je disais un jour à l’un d’eux : Mais si les temps sont si fâcheux que vous ne puissiez pas payer les ouvrages à leurs auteurs (sans lesquels cependant il n’y aurait point de spectacle), comment donc pouvez-vous payer vos acteurs, vos décorateurs, les peintres, musiciens, cordonniers, chandeliers et perruquiers de vos théâtres ? car aucun d’eux n’est aussi nécessaire aux succès où vous prétendez, que la pièce jouée qui les met tous en œuvre. Oh ! mais, dit-il, ils nous y forceraient ! Cette réponse si naïve me paraît juger la question. Cinquante auteurs bien isolés, loin des endroits où on les pille, n’ont jamais eu, pour obtenir justice, la force ou le crédit qu’ont des milliers de fournisseurs des accessoires de ces spectacles, qui, présents à l’emploi que l’on fait de leurs fournitures, obligent, par leurs cris, la justice à les écouter. Les auteurs ne l’ont jamais pu ; ils ont toujours été volés.

Un autre directeur de troupe, acteur célèbre de Paris, me priait un jour d’engager quelques auteurs de mes confrères à lui laisser jouer leurs ouvrages presque pour rien, dans la semaine appelée sainte, à son spectacle de province.

Hé ! mais comment, lui dis-je, oserai-je le proposer à des gens de lettres qui savent que vous menez à Rouen une de vos camarades, dont la grande réputation vous attirera bien du monde en cette semaine de récolte ?

Oh ! mais, dit-il, vous savez bien que je suis forcé de payer vingt-cinq louis par séance à la camarade que je mène ; elle ne viendrait point sans cela : ce qui emporte tout mon gain. Je lui répondis à mon tour : Si vous ne pouvez obtenir de votre propre camarade, qui n’est que d’un sixième dans le jeu de ma pièce, la plus légère diminution sur les vingt-cinq louis qu’elle exige pour aller y jouer un rôle, comment pouvez-vous demander à l’auteur, qui n’obtient pas de vous, pour sa composition entière, le dixième de ce que vous payez à votre belle camarade, qu’il réduise à rien ce dixième ? Il m’entendit, n’insista pas ; ma réponse était sans réplique. Le vrai mot de l’énigme est donc que les directeurs de spectacles, forcés de tout payer bien cher, s’y soumettent sans murmurer, pourvu qu’ils pillent les auteurs : c’est là la probité de tous.

Un autre directeur m’a dit, en hésitant, ces mots : Vous, monsieur Beaumarchais, que l’on prétend si riche, comment n’appréhendez-vous pas que l’on vous taxe d’avarice, en exigeant sévèrement un payement pour vos ouvrages ? Mon cher monsieur, lui répondis-je, feu la maréchale d’Estrées avait deux cent mille livres de rentes ; jamais je n’en ai pu tirer une bouteille de vin de Sillery sans lui avoir, au préalable, donné un écu de six francs, et personne ne l’accusa d’avarice ni d’injustice ; et cependant ma pièce est bien plus ma propriété que sa vigne n’était la sienne. Et puis, connaissez-vous l’usage que je fais de cet argent-là ? S’il m’aide à soutenir quelques infortunés, ai-je chargé ces directeurs d’être mes aumôniers secrets ? Et les fillettes qu’ils confessent sont-elles au nombre de mes pauvres ? Mais, que je sois avare ou non, quelqu’un a-t-il le droit d’envahir ma propriété ?

Si l’on croyait devoir s’apitoyer pour tous ces directeurs de troupes, qui se disent souffrants, en s’emparant de nos ouvrages, que fera-t-on pour les auteurs, dont la propriété, presque nulle pendant leur vie, est perdue pour leurs héritiers cinq années après leur décès ? Toutes les propriétés légitimes se transmettent pures et intactes d’un homme à tous ses descendants. Tous les fruits de son industrie, la terre qu’il a défrichée, les choses qu’il a fabriquées, appartiennent, jusqu’à la vente qu’ils ont toujours le droit d’en faire, à ses héritiers, quels qu’ils soient. Personne ne leur dit jamais : Le pré, le tableau, la statue, fruit du travail ou du génie, que votre père vous a laissé, ne doit plus vous appartenir, quand vous aurez fauché ce pré, ou gravé ce tableau, ou bien moulé cette statue, pendant cinq ans après sa mort : chacun alors aura le droit d’en profiter autant que vous : personne ne leur dit cela. La propriété des auteurs, par une exception affligeante, est la seule dont l’héritage n’a de durée que cinq années, aux termes du premier décret. Et pourtant, quel défrichement, quelle fabrication pénible, quelle production émanée du pinceau, du ciseau des hommes, leur appartient plus exclusivement, plus légitimement, messieurs, que l’œuvre du théâtre, échappée au génie du poète, et leur coûta plus de travail ? Cependant tous leurs descendants conservent leurs propriétés ; le malheureux fils d’un auteur perd la sienne au bout de cinq ans d’une jouissance plus que douteuse, ou même souvent illusoire : cette très-courte hérédité pouvant être éludée par les directeurs des spectacles, en laissant reposer les pièces de l’auteur qui vient de mourir, pendant les cinq ans qui s’écoulent jusqu’à l’instant où les ouvrages, aux termes du premier décret, deviennent leur propriété, il s’ensuivrait que les enfants très-malheureux des gens de lettres, dont la plupart ne laissent de fortune qu’un vain renom et leurs ouvrages, se verraient tous exhérédés par la sévérité des lois !

Voyez, messieurs, ce qu’il en est de quelques vieillards gens de lettres : plusieurs ont perdu les pensions dont ils vivaient sur les journaux ; l’un d’eux, chargé du poids de plus de quatre-vingts années, pour ne pas mourir de besoin, forcé de faire jouer deux tragédies qu’il gardait depuis trèslongtemps, pour que sa nièce en héritât, va peut-être mourir avant qu’elles aient eu le succès qui peut sustenter sa vieillesse ! S’il les fait imprimer, messieurs, les directeurs de troupes les joueront sans lui rien payer ; s’il les fait jouer sans qu’on imprime, il n’en tirera presque rien : on les laissera reposer les cinq ans qui le suivront. Puis, devenues alors une propriété publique, lui ni son héritière n’auront recueilli aucun fruit d’ouvrages qui peuvent enrichir, après sa mort, tous les spectacles qui voudront les représenter ; tandis qu’un directeur de troupe, ayant gagné cent mille écus à ne rien payer aux auteurs, en fera jouir à perpétuité ses enfants ou ses héritiers, en leur laissant et pièces et spectacle ! Lesquels sont les plus malheureux, des directeurs ou des auteurs ?

Les gens de lettres sont presque tous malaisés, mais fiers, car point de génie sans fierté : et cette fierté sied si bien à des instituteurs publics ! Moi, le moins fort peut-être, mais l’un des plus aisés, j’ai pensé qu’il me convenait de me rendre avare pour eux. Ce qu’ils dédaignaient tous de faire, j’ai cru devoir m’en honorer. On ne m’a pas fait l’injustice de croire que j’en fisse un objet d’intérêt personnel. Mais de cela seul que je me fis le méthodiste d’une affaire qui jusque-là n’avait été que trouble, perte et désordre, on s’est gendarmé contre moi : des libelles, des invectives, sont devenus ma récompense. Je n’en veux tenir aucun compte : si ces considérations arrêtaient, on ne serait utile à rien.

J’ai promis de répondre un mot à l’absurde argument qu’on fait sur le texte des permissions que l’on accordait aux auteurs, d’imprimer et de représenter leurs pièces. Tous ces auteurs n’étant ni imprimeurs ni comédiens, il est bien clair que cette permission était pour eux celle de faire imprimer et de faire représenter. La précaution prise en faveur des mœurs n’avait aucun rapport à leur propriété, ne la donnait ni ne l’ôtait, mais n’en faisait part à nul autre. Comment ose-t-on exciper d’une formule uniquement morale, pour usurper une propriété ? Si une telle loi existait, qui ôtât aux auteurs la propriété de leurs pièces dès qu’ils les font imprimer ou graver, aucun auteur ne ferait imprimer ses œuvres ; il ne resterait rien pour l’instruction publique ; tous les imprimeurs et graveurs seraient ruinés par cette loi. Ces tristes raisonneurs, qui dirigent les troupes et vivent du talent des comédiens et des auteurs, en deviendraient plus malaisés eux-mêmes ; car, indépendamment du prix de ces ouvrages, qu’ils ne pourraient plus dérober aux auteurs, il faudrait qu’ils en fissent faire autant de copies à la main, à trois louis pour les pièces parlées, au lieu de vingt-quatre ou douze sous à quoi leur revient l’impression : au lieu de dix-huit francs que leur coûte la pièce en musique gravée, ils dépenseraient vingt-cinq louis pour chaque partition avec les parties séparées. C’est bien alors, messieurs, qu’ils jetteraient tous les hauts cris ! Cette impolitique mesure, ayant pris la forme de loi, serait funeste à tout l’empire.

Je crois avoir bien répondu à toutes les assertions des directeurs de nos spectacles.

En me présentant seul, j’ai détruit d’un seul mot la futile apparence d’une corporation supposée.

J’ai montré, par mon seul exemple, qu’ils n’ont pas dit un mot de vrai sur notre conduite avec eux, relativement à nos réclamations ; j’ai prouvé que tous les auteurs n’avaient jamais cessé d’en faire, et qu’en ma qualité de leur représentant je les avais faites pour tous.

J’ai prouvé que, malgré des actes publics et toutes mes réclamations, on m’avait volé mon ouvrage, après l’avoir déshonoré.

J’ai bien prouvé que nos réclamations ne devaient avoir eu jamais aucun effet, puisqu’un ministre bien despote n’avait pu se faire obéir par ces directeurs de province ; tant est sûre et puissante la secrète influence qu’ils ont partout à leur disposition !

J’ai prouvé qu’ils n’avaient nul droit de jouer en province, et sans le payer aux auteurs, les pièces qu’on ne jouait pas à Paris ; sans leur rendre un prix convenu, soit qu’elles fussent ou non imprimées.

J’ai bien prouvé, par la comparaison des débitants d’étoffes, combien devient risible cette doléance fondée sur la nécessité de payer l’ouvrage à l’auteur, surtout quand celui-ci, tous les frais prélevés, se contente de demander un septième sur le produit. Car ce qui pourrait arriver de plus vraiment avantageux à ces perfides raisonneurs, ce serait d’avoir à payer à un auteur, pour son septième, soixante-dix mille francs ; ce qui prouverait seulement que la troupe a tiré de l’ouvrage quatre cent quatre-vingt-dix mille francs de profit net.

J’ai dit, sages législateurs. Les gens de lettres, pleins de confiance, attendent avec respect votre dernière décision.

Signé : Caron de Beaumarchais.
  1. Pendant qu’on imprime ceci, j’apprends que je viens d’être dénoncé aux Jacobins comme ayant travaillé à Londres, avec M. Calonne (lequel est à Madrid), à faire de faux assignats. Vous voyez, citoyens, avec quelle rapidité toutes les infamies se succèdent ! Ne perdez pas de vue que j’ai prêté l’argent qui fit arrêter les faussaires de Hollande : priez Lecointre de vous dire quel service je vous rendis, et portez votre jugement sur l’honnête homme qui me dénonce.
  2. On la trouvera dans la correspondance.
  3. J’en vais copier le préambule, ainsi que plusieurs des articles. Il est assez curieux de voir comment je m’expliquais sur les propriétés d’auteurs, et comment je forçais les directeurs à les reconnaître, sept ans avant que la constitution eût fait une loi formelle d’un droit incontestable, et que ces messieurs prétendent n’avoir jamais existé.

    « Par-devant les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés :

    Furent présents Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, demeurant à Paris, Vieille rue du Temple, paroisse Saint-Paul, au nom et comme l’un des commissaires et représentants perpétuels des auteurs du Théâtre-Français, autorisé à l’effet des présentes par délibération et consentement unanime de ses confrères assemblés, d’une part ;

    Et le sieur André Beaussier, négociant à Marseille, y demeurant ordinairement, rue Longue-des-Capucines, étant de présent en cette ville de Paris, logé à l’hôtel des Milords, rue du Mail, paroisse Saint-Eustache, tant en son nom comme principal actionnaire et l’un des chefs-administrateurs du spectacle de Marseille, SENTANT ICI TOUT LE COUPS m, L’ADMINISTRATION, QU’IL ENOAGE avec lu 1, d’autre part ;

    Lesquels ont dit et reconnu qu’il est rigoureusement juste que les directeurs îles troupes de province, dont la fortune est fond o sur le som, 1e rappeler le public à leur spectacle par l’attrait des nouveautés soi lies de la capitale, en partagent le produit avec les une proportion équitable, ainsi qu’il est reconnu juste I Paris que les auteurs prennent part a la recette de leurs ouvrages sur le théâtre primitif. La pue,., r nil 1 n le lettres étant une propriété honorable,’imilée au produit d’une terre II lui, tous les. diciis qui la jouent s, , ut. à son égard, 1 le négociant des villes, qui ne vend au public les fruits de la culture oui, pies les avoir achetés des plus noide. propi iciaires, lesquels ne rougissent point d’en recevoir le prix ; et de même que te gain de 1 négociants sur les denrées sérail, 01, , |.il, eliereliaieut a s’en emparer sans n, mdre auj cultivateurs, il serait injuste que les directions de provinces s’enrichissent avec les pièces des auteurs vivants, sans leur offrir une juste part du profit avoue qu’ils en tirent.

    Ces principes reconnus par les parties ès-dits noms, et posés comme base du présent acte, elles sont convenues et ont arrêté ce qui suit :

    « Art. Ier, Que tout auteur dramatique dont la pièce nouvelle, jouée a Taris, sera demandée parles directeurs ou actionnaires du spectacle de Marseille, enverra son manuscrit, avec les rôles copiés, aux directeurs, si la pièce n’est pas imprimée lors de la demande ; ou, si elle est imprimée, un des premiers exemplaires de l’ouvrage, afin que ers actionnaires ou directeurs fassent jouir au plus tôt le public de leur ville du spectacle nouveau dont la capitale s’amuse.

    II. Que les directeurs ou actionnaires du théâtre de Marseille se rendent garants envers l’auteur, et sous tous les dommages de droit.de la non-impression dudit manuscrit, cl de la préservation fidèle de toute entreprise a cet égard.

    III. Que les directeurs ou actionnaires dudit théâtre se soumettent à payer à l’auteur, ou à son fondé de pouvoirs à Marseille, le septième net de la recette brute qui se fera à la porte du spectacle toutes les fois qu’on jouera sa pièce ; ou la recette brute entière d’une représentation sur sept, au choix de l’auteur : sur quoi d aura s. m, 1e s’expliquer lorsqu’on devra jouer sa pièce. Et, dans le cas de son choix d’une représentation sur sept, les actionnaires et directeurs s’engagent a mettre ce jour-là sur l’affiche : Que cette représentation est entièrement consacrée A remplir les droits de l’auteur ; n’exceptant de ce qu’on nomme ici recette brute que les seuls abonnements à l’année, lesquels, après un unir examen de leur état actuel, et pour éviter de plus longs calculs, nous paraissent