Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Adresse au premier Consul, 20 floréal an XII

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ADRESSE


PRÉSENTÉE


AU PREMIER CONSUL


AU NOM DU CORPS LÉGISLATIF PAR LE PRÉSIDENT


Le 20 floréal an XII (10 mai 1804).




Citoyen Premier Consul,


Les membres du Corps législatif ne sont plus réunis, mais ils communiquent toujours ensemble par le même zèle pour la patrie, et dans cette grande circonstance ils ne peuvent rester indifférents au vœu national qui se manifeste de toutes parts.

Répandus sur les divers points de ce vaste empire, ils en peuvent mieux juger les besoins et les habitudes. Ils savent que la force et l’action de la puissance qui gouverne doivent être proportionnées à l’immensité du sol et de la population. Quand ce premier rapport établi par la nature est négligé par le législateur, son ouvrage ne dure pas.

Le premier bien des hommes est le repos, et le repos n’est que dans les institutions permanentes. La dignité suprême qui les garantit doit donc être à l’abri du caprice des élections. Tout gouvernement électif est incertain, violent et faible comme les passions des hommes, tandis que l’hérédité donne, en quelque sorte, au système social la force, la durée et la constance des desseins de la nature. La succession non interrompue du pouvoir dans la même famille maintiendra la paix et l’existence de toutes. Il faut, pour que leurs droits soient à jamais assurés, que l’autorité qui les protége soit immortelle. Le peuple qui joint le caractère le plus mobile aux plus éminentes qualités, doit surtout préférer un système qui fixera ses vertus en réprimant son inconstance.

L’histoire montre partout à la tête des grandes sociétés un chef unique et héréditaire. Mais cette haute magistrature n’est instituée que pour l’avantage commun. Si elle est faible, elle tombe ; si elle est violente, elle se brise, et dans l’un et l’autre cas elle mérite sa chute, car elle opprime le peuple, ou ne sait plus le protéger. En un mot, cette autorité qui doit être essentiellement tutélaire, cesse d’être légitime dès qu’elle n’est plus nationale.

Non, sans doute, ils ne sont pas des Dieux ces êtres puissants que l’intérêt général a rendus sacrés, et qu’il relègue à dessein dans une sphère éclatante et inaccessible, pour que la loi proclamée de si haut par leur organe ait plus d’éclat, d’empire et de persuasion. Mais, si la grandeur monarchique ne se fonde plus sur les mensonges brillants qui séduisaient l’imagination de la multitude, elle se montre appuyée par toutes les vérités politiques qu’ont fait triompher enfin la leçon du malheur et la voix des sages.

Les illusions antiques ont disparu : mais en a-t-il besoin celui qu’appelle notre choix ? Il compte à peine trente-quatre ans, et déjà les événements de sa vie sont plus merveilleux que les fables dont on entoura le berceau des anciennes dynasties.

La victoire et la volonté nationale ne peuvent trouver de résistance. Ces changements extraordinaires ne sont pas nouveaux. C’est au bruit des trônes qui tombent, se relèvent, et doivent tomber encore, que les générations méditent sur l’inconstance des choses humaines. Les vieux empires se renouvellent dans ces crises salutaires, et le chef d’une autre dynastie semble leur communiquer le mouvement de son âme et la vigueur de ses desseins.

N’en doutons point, une longue carrière de prospérité et de gloire s’ouvre encore pour nos descendants. Le dix-neuvième siècle, en commençant, donne à l’univers le plus grand spectacle et la plus mémorable leçon. Il consacre le principe de l’hérédité et de l’unité pour le bien de la France, dont il finit la révolution, et pour l’exemple de l’Europe, dont il prévient les erreurs.

L’esprit humain, travaillé de la pire de toutes les maladies, je veux dire celle de la perfection, a voulu faire d’autres hommes, une autre société, un autre monde. Mais bientôt, épouvanté de tout ce qu’il a produit, et las de tant d’efforts, il est venu se remettre à la suite de l’expérience et sous l’autorité des siècles.

C’est au moment qu’il reconnaît ses limites, que l’esprit humain s’est véritablement agrandi ; c’est aujourd’hui qu’il dirigera bien l’emploi de sa force, puisqu’il sait où doit s’arrêter sa faiblesse. Le souvenir de ses écarts lui donnera une utile prévoyance, et la crainte de retomber dans ses premiers excès ne le précipitera pas dans des excès contraires.

On ne verra point le silence de la servitude succéder au tumulte de la démocratie. Non, Citoyen Premier Consul, vous ne voulez commander qu’à un peuple libre : il le sait, et c’est pour cela qu’il vous obéira toujours.

Les corps de l’État se balanceront avec sagesse ; ils conserveront tout ce qui peut maintenir la liberté, et rien de ce qui peut la détruire.

Le gouvernement impérial confirmera tous les bienfaits du gouvernement consulaire, et va les accroître encore. Le premier n’aura pas besoin d’employer la même force que le second. La sécurité du pouvoir héréditaire en adoucit tous les mouvements ; il est moins rigoureux, car il a moins d’obstacles à vaincre et moins de dangers à combattre ; plus il se modère, et mieux il se maintient, et, s’il veut trop s’étendre, il se relâche et se détruit.

Ainsi, les prérogatives de l’Empereur, mieux définies, seront plus limitées que celles du Premier Consul. Le danger des factions avait nécessité l’établissement d’une dictature passagère. Ces temps ne sont plus ; la monarchie renaît, la liberté ne peut mourir : la dictature cesse, et l’autorité naturelle commence.