Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours à Sa Sainteté Pie VII

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DISCOURS


ADRESSÉ À SA SAINTETÉ PIE VII,


PAR LE PRÉSIDENT DU CORPS LÉGISLATIF[1],


Le 10 frimaire an XIII (1er décembre 1804).




Très saint Père,



Quand le vainqueur de Marengo conçut, au milieu du champ de bataille, le dessein de rétablir l’unité religieuse, et de rendre aux Français leur culte antique, il préserva d’une ruine entière les principes de la civilisation. Cette grande pensée, survenue dans un jour de victoire, enfanta le Concordat ; et le Corps législatif, dont j’ai l’honneur d’être l’organe auprès de Votre Sainteté, convertit le Concordat en loi nationale.

Jour mémorable, également cher à la sagesse de l’homme d’État et à la foi du chrétien ! C’est alors que la France, abjurant de trop longues erreurs, donna les plus utiles leçons au genre humain. Elle sembla reconnaître devant lui que toutes les pensées irréligieuses sont des pensées impolitiques, et que tout attentat contre le Christianisme est un attentat contre la société.

Le retour de l’ancien culte prépara bientôt celui d’un gouvernement plus naturel aux grands États, et plus conforme aux habitudes de la France. Tout le système social, ébranlé par les opinions inconstantes de l’homme, s’appuya de nouveau sur une doctrine immuable comme Dieu même. C’est la religion qui poliçait autrefois les sociétés sauvages ; mais il était plus difficile aujourd’hui de réparer leurs ruines que de fonder leur berceau.

Nous devons ce bienfait à un double prodige. La France a vu naître un de ces hommes extraordinaires qui sont envoyés de loin en loin au secours des empires prêts à tomber, tandis que Rome en même temps a vu briller sur le trône de saint Pierre toutes les vertus apostoliques du premier âge. Leur douce autorité se fait sentir à tous les cœurs. Des hommages universels doivent suivre un Pontife aussi sage que pieux, qui sait à la fois tout ce qu’il faut laisser au cours des affaires humaines, et tout ce qu’exigent les intérêts de la religion.

Cette religion auguste vient consacrer avec lui les nouvelles destinées de l’Empire français, et prend le même appareil qu’au siècle des Clovis et des Pépin. Tout a changé autour d’elle ; seule elle n’a point changé.

Elle voit finir les familles des rois comme celles des sujets ; mais, sur les débris des trônes qui s’écroulent, et sur les degrés des trônes qui s’élèvent, elle admire toujours la manifestation successive des desseins éternels, et leurs obéit avec confiance. Seule elle peut affermir la grandeur naissante, et consoler la grandeur qui n’est plus.

Jamais l’univers n’eut un plus imposant spectacle ; jamais les peuples n’ont reçu de plus graves instructions.

Ce n’est plus le temps où le Sacerdoce et l’Empire étaient rivaux. Tous les deux se donnent la main pour repousser les doctrines funestes qui ont menacé l’Europe d’une subversion totale. Puissent-elles céder pour jamais à la double influence de la religion et de la politique réunies ! Ce vœu, sans doute, ne sera point trompé ; jamais, en France, la politique n’eut tant de génie ; et jamais le trône pontifical n’offrit au monde chrétien un modèle plus respectable et plus touchant.



  1. On peut voir dans l’Histoire de la Vie et du Pontificat du Pape Pie VII, par M. le chevalier Artaud (tom. 1, pag. 498 et suiv.), les circonstances intéressantes de cette allocution de M. de Fontanes.