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Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours aux funérailles de La Harpe

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DISCOURS


PRONONCÉ DEVANT L’INSTITUT


AUX FUNÉRAILLES


DE M. DE LA HARPE.


28 pluviose an XI (17 février 1803).




Les lettres et la France regrettent aujourd’hui un poëte, un orateur, un critique illustre… La Harpe avait à peine vingt-cinq ans, et son premier essai dramatique l’annonça comme le plus digne élève des grands maîtres de la scène française. L’héritage de leur gloire n’a point dégénéré dans ses mains, car il nous a transmis fidèlement leurs préceptes et leurs exemples. Il loua les grands hommes des plus beaux siècles de l’éloquence et de la poésie, et leur esprit comme leur langage se retrouva toujours dans celui d’un disciple qu’ils avaient formé ; c’est en leur nom qu’il attaqua, jusqu’au dernier moment, les fausses doctrines littéraires ; et, dans ce genre de combat, sa vie entière ne fut qu’un long dévouement au triomphe des vrais principes. Mais, si ce dévouement courageux fit sa gloire, il n’a pas fait son bonheur. Je ne puis dissimuler que la franchise de son caractère et la rigueur impartiale de ses censures éloignèrent trop souvent de son nom et de ses travaux la bienveillance et même l’équité ; il n’arrachait que l’estime où tant d’autres auraient obtenu l’enthousiasme. Souvent les clameurs de ses ennemis parlèrent plus haut que le bruit de ses succès et de sa renommée : mais, à l’aspect de ce tombeau, tous les ennemis sont désarmés. Ici les haines finissent, et la vérité seule demeure.

Les talents de La Harpe ne seront plus enfin contestée ; tous les amis des lettres, quelles que soient leurs opinions, partagent maintenant notre deuil et nos regrets. Les circonstances où la mort le frappe rendent sa perte encore plus douloureuse ; il expire dans un âge où la pensée n’a rien perdu de sa vigueur, et lorsque son talent s’était agrandi dans un autre ordre d’idées qu’il devait aux spectacles sans exemple dont le monde est témoin depuis douze ans. Il laisse malheureusement imparfaits quelques ouvrages dont il attendait sa plus solide gloire, et qui seraient devenus ses premiers titres dans la postérité. Ses mains mourantes se sont détachées avec peine du dernier monument qu’il élevait ; ceux qui en connaissent quelques parties avouent que le talent poétique de l’auteur, grâce aux inspirations religieuses, n’eut jamais autant d’éclat, de force et d’originalité. On sait qu’il avait embrassé, avec toute l’énergie de son caractère, ces opinions utiles et consolantes, sur lesquelles repose tout le système social ; elles ont enrichi non-seulement ses pensées et son style de beautés nouvelles, mais elles ont encore adouci les souffrances de ses derniers jours. Le Dieu qu’adoraient Fénelon et Racine a consolé sur le lit de mort leur éloquent panégyriste et l’héritier de leurs leçons. Les amis qui l’ont vu dans ce moment où l’homme ne déguise plus rien, savent quelle était la vérité de ses sentiments ; ils ont pu juger aussi combien son cœur malgré la calomnie, renfermait de droiture et de bonté. Déjà même des sentiments plus doux étaient entrés dans ce cœur trop méconnu et si souvent abreuvé d’amertumes ; les injustices se réparaient ; nous étions prêts à le revoir dans ce sanctuaire des lettres et du goût, dont il était le plus ferme soutien ; lui-même se félicitait naguère encore de cette réunion si désirée : mais la mort a trompé nos vœux et les siens. Puissent, au moins, se conserver à jamais les traditions des grands modèles qu’il sut interpréter avec une raison si éloquente Puissent-elles, mes chers collègues, en formant de bons écrivains qui le remplacent, donner un nouvel éclat à cette Académie française qu’illustrèrent tant de noms fameux depuis cent cinquante ans, et que vient de rétablir un grand homme, si supérieur à celui qui l’a fondée !